LE CAMEROUN VUE DE 2025
Alors que d'autres régions du monde ont déjà connu de profondes transformations politiques, l'Afrique, et plus particulièrement le Cameroun, reste en attente d’un véritable réveil. Sans prétendre être un historien accompli ni un prophète, il est néanmoins juste d’affirmer que le Cameroun traverse aujourd’hui l’une des périodes les plus cruciales de son histoire contemporaine.
Le pays entre dans les trois années les plus décisives de son existence. Jamais auparavant il n’a été confronté à une telle convergence de défis politiques, économiques et sociaux. Dans moins de deux mois, le Cameroun organisera ses troisièmes élections sénatoriales, après celles d’avril 2013 et de mars 2018. Il convient de rappeler que bien que le Sénat ait été inscrit dans la Constitution révisée de 1996, il n’a vu le jour qu’en 2013, par décret présidentiel n°2013/056 du 27 février, signé par le président Paul Biya qui détient le pouvoir exclusif de convoquer le collège électoral.
Ces élections sénatoriales s’inscrivent dans un calendrier politique plus large : les législatives prévues en 2024, et surtout, l’élection présidentielle attendue en 2025. Cette dernière suscite une attention toute particulière, tant elle pourrait marquer un tournant majeur dans l’histoire politique du pays.
Dans un pays où plus de 35 % de la population a entre 15 et 34 ans, et où plus de 60 % a moins de 40 ans, la transmission du pouvoir aux générations Y et Z demeure encore un horizon lointain. Hormis les élections de 2018, et peut-être les toutes premières élections multipartites – rarement une année électorale n’aura suscité autant d’anticipation. L'âge avancé de la classe dirigeante actuelle alimente les espoirs d’une relève générationnelle, porteuse d’idées nouvelles, d'une énergie renouvelée et d’une gouvernance plus en phase avec la réalité démographique du pays.
Mais les enjeux du Cameroun dépassent le strict cadre électoral. Le pays est confronté à des difficultés économiques persistantes : ralentissement de la croissance, pression fiscale croissante, corruption endémique, détournements de fonds publics, sans oublier des atteintes préoccupantes aux droits humains. Ces facteurs combinés posent une question essentielle : à quoi pourrait ressembler le Cameroun en 2025 ?
Cet article se veut une tentative d’exploration prospective du Cameroun de demain. Il s’agira d’examiner, à travers une analyse rigoureuse, les dynamiques politiques, économiques et sociales en cours, pour esquisser les scénarios possibles à court terme. Car comprendre les enjeux actuels, c’est se donner les moyens d’influencer positivement le futur
Sur le plan économique, le contraste entre le Cameroun et plusieurs autres pays Africains ou occidentaux est saisissant. Tandis que certaines nations cherchent à amortir les effets de l’inflation mondiale par des politiques sociales audacieuses, comme l'Espagne ou l'Allemagne qui ont réduit le coût des transports publics pour soulager le budget des ménages, ou encore des pays africains comme le Kenya, la Côte d'Ivoire et le Togo qui ont revu à la hausse leur salaire minimum, le Cameroun semble opter pour une stratégie diamétralement opposée. Au lieu d’atténuer les pressions économiques sur les citoyens, le gouvernement a multiplié les taxes et impôts, souvent doublés, sans que cela ne s’accompagne d’une quelconque revalorisation salariale.
Cette politique fiscale agressive, combinée à l'absence de mesures de soutien aux populations les plus vulnérables, alimente un climat de défiance. L’opinion publique résume souvent cette gestion erratique par l’expression locale de la « danse Bafia » : une bonne décision aujourd’hui, suivie de trois mauvaises demain. Depuis deux décennies, la confiance entre le peuple et ses dirigeants s’est considérablement érodée, notamment à cause des nombreux scandales politico-financiers qui ont secoué le pays.
Le cas emblématique du stade d’Olembe cristallise cette désillusion. Annoncé en grande pompe dès 2008, ce projet, censé incarner la vitrine du renouveau sportif national, est devenu le symbole du gaspillage public. Plus de 200 milliards de francs CFA y ont été engloutis, pour un résultat qui reste loin des attentes initiales. Ce projet n’est malheureusement pas un cas isolé : il illustre un phénomène plus large qualifié de « projets éléphants blancs », ces chantiers interminables sans réelle valeur ajoutée concrète pour la population.
Les stratégies de développement du Cameroun, telles que le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) ou encore la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND30), paraissent davantage relever du registre déclaratif que d’une planification rigoureuse. Les promesses d’émergence à l’horizon 2035 se heurtent à une réalité faite d’inertie bureaucratique, de corruption systémique et d’objectifs non atteints. Les données issues du ministère des Finances, du MINEPAT ou encore de l’Institut National de la Statistique indiquent clairement que la quasi-totalité des cibles fixées restent hors d’atteinte.
Dans les faits, les investissements massifs promis dans les infrastructures, le développement rural ou l’emploi des jeunes se traduisent rarement sur le terrain. Les projets de centrales hydroélectriques à Lom Pangar et Memve’ele, pourtant lancés en 2012, attendent toujours de tenir les promesses de transformation énergétique plus de dix ans après.
La situation fiscale est également préoccupante. À titre d'exemple, les timbres fiscaux sont passés de 50 FCFA en 1980 à 1500 FCFA en 2023, soit une augmentation de 2900 % sur 43 ans. Cette pression fiscale accrue, dans un contexte de stagnation salariale et de chômage de masse – plus de 70 % de la population active n’ayant pas d’emploi décent, aggrave la précarité quotidienne. À cela s’ajoute un salaire minimum mensuel particulièrement bas : environ 36 200 FCFA, bien inférieur à celui du Gabon (150 000 FCFA), de la Côte d’Ivoire (75 000 FCFA) ou même du Togo (52 000 FCFA).
L’environnement économique est ainsi marqué par une bureaucratie lourde, des conditions hostiles à l’entrepreneuriat, et une absence de mécanismes d’autonomisation des jeunes. Résultat : la jeunesse, pourtant majoritaire, se retrouve contrainte de naviguer entre débrouillardise informelle et désillusion sociale, dans un climat où la décadence devient souvent un moyen de survie.
Face à cette réalité, une question s’impose : l’année 2025 peut-elle marquer un tournant ? Alors que la jeunesse camerounaise semble de plus en plus consciente de ses responsabilités et aspire à prendre le contrôle de son destin, l’espoir d’un renouveau économique commence à poindre. Mais cet espoir pourra-t-il se traduire en changement réel si les structures restent les mêmes ?
Sur le plan social, le Cameroun traverse l’une des périodes les plus préoccupantes de son histoire contemporaine. En moins d’une décennie, l’immoralité s’est insidieusement infiltrée dans toutes les couches de la société, au point de devenir presque une norme tolérée. Il est désormais courant de rencontrer des adolescentes de 15 à 17 ans enceintes, des mineurs plongés dans la consommation de drogues, ou encore des enfants livrés à la prostitution. L’abandon scolaire, quant à lui, continue de croître à un rythme alarmant, aggravant un cercle vicieux de pauvreté et de désespoir.
Quelles sont les racines de cette déchéance sociale ? Les hypothèses sont nombreuses : la rareté des opportunités économiques, la perte de foi en un avenir prometteur, les traumatismes persistants de la crise anglophone, ou encore l’effondrement du système éducatif et civique. Entre 2018 et 2022, le pays a été le théâtre d’une véritable crise morale. Dans les établissements scolaires, la drogue est devenue banale, tandis que la prostitution juvénile s’est installée dans l’espace public. Parallèlement, la corruption s’est multipliée, érigeant l’illégalité en mode de gouvernance.
Plus grave encore, les atteintes à la liberté d’expression et à la sécurité des journalistes ont atteint un niveau dramatique. En août 2019, le journaliste Samuel Ajiekah Abuwe, dit « Wazizi », est arrêté et meurt en détention dans des conditions troubles, comme le rapporte Amnesty International. En 2023, c’est Martinez Zogo, célèbre animateur radio, qui est enlevé, torturé et assassiné – un acte qui a choqué la conscience collective. Ces événements tragiques illustrent l’érosion des libertés fondamentales garanties par les instruments juridiques nationaux et internationaux.
En parallèle, la détention arbitraire de militants politiques, d'opposants et d’acteurs de la société civile, notamment dans le cadre de la crise anglophone, alimente un climat d’insécurité et de répression. Dans un pays qui se voulait modèle de stabilité, la peur de s’exprimer librement est devenue omniprésente.
Selon les projections du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE), les citoyens camerounais devaient bénéficier d’un cadre de vie amélioré, comprenant l’accès à l’éducation de qualité, à l’eau potable, aux soins de santé, et à un environnement sécurisé. Pourtant, ces engagements restent largement lettre morte. La réalité sociale actuelle reflète plutôt un échec patent de ces ambitions, laissant place à des frustrations croissantes.
Les politiques publiques, souvent inéquitables, ont contribué à creuser un fossé toujours plus large entre les classes sociales. Le tribalisme, le népotisme et le favoritisme continuent d'empoisonner les relations sociales et de bloquer la méritocratie. À tel point que certains analystes n’hésitent plus à qualifier le Cameroun d’entreprise criminelle centrale(ECC) – un État où la corruption est non seulement institutionnalisée, mais acceptée comme un fait social ordinaire.
Dans ce contexte, les valeurs morales et culturelles, autrefois vantées comme les piliers du vivre-ensemble camerounais, s’effacent peu à peu sous le poids de la décadence et de l’individualisme. L’exode culturel, marqué par l’abandon progressif des repères traditionnels et civiques, annonce une société en dérive, où la jeunesse est à la fois victime et acteur de la rupture.
À quoi ressemblera alors le Cameroun en 2025 ? Pourra-t-il retrouver une boussole morale ? Pourra-t-il offrir à sa jeunesse un cap, une raison d’espérer, un environnement où il est encore possible de rêver sans se compromettre ? Ces questions demeurent ouvertes, mais leur réponse conditionnera l’avenir du pays bien au-delà du cycle électoral à venir.
Politiquement, la question de savoir qui dirigera la magistrature suprême en 2025 est sans doute la préoccupation majeure de tout Camerounais averti. Comme mentionné dans la première partie de cette analyse, les enjeux des prochaines élections sont parmi les plus cruciaux de l’histoire politique du pays. Contextualisons cette inquiétude.
Depuis son indépendance en 1960 (pour la partie francophone) et en 1961 (pour la partie anglophone), le Cameroun n’a connu que deux présidents. À l’époque fédérale, le partage du pouvoir n’était pas encore problématique. Cependant, la conférence de Foumban en 1972 a marqué la fin du système fédéral au profit d’un État unitaire, concentrant le pouvoir entre les mains d’un seul parti : c’est le point de départ historique de la « crise anglophone ». Il faudra attendre 1990 pour que le multipartisme soit autorisé, et 1992 pour que le pays organise ses premières élections multipartites — un moment très attendu par les Camerounais.
L’espoir de changement en 1992 a cependant été rapidement déçu. Le pays a été secoué par une vague de protestations, grèves et actes de désobéissance civile. Les Camerounais espéraient alors que le système de parti unique, instauré par Ahmadou Ahidjo puis consolidé par Paul Biya, toucherait à sa fin.
Plus récemment, 2018 a ravivé cet espoir. Le président Paul Biya, alors âgé de 85 ans et au pouvoir depuis 36 ans, était perçu comme trop âgé pour continuer à gouverner. Les rumeurs de démence, combinées à une opposition rajeunie et dynamique, avec des figures comme Cabral Libii, Maurice Kamto, Akere Muna ou Joshua Osih, ont donné lieu à une mobilisation sans précédent. Pourtant, malgré quelques tentatives de coalition (notamment entre Kamto et Akere), les résultats des élections ont surpris : le RDPC a remporté une majorité écrasante de 71,28 %, malgré un bilan jugé peu reluisant par une grande partie de la population.
Ce résultat a engendré un climat de colère et de résignation. Beaucoup de Camerounais ont alors murmuré : « C’est son dernier mandat », « laissons-le organiser la CAN et partir », ou encore « il ne finira pas ce mandat ». Et pourtant, nous voilà à l’orée de 2025.
Les prochaines élections sénatoriales, législatives et présidentielles s’inscrivent dans un contexte de grande attente et de tension. Le Sénat, dont les membres sont souvent des figures âgées et proches du pouvoir, symbolise une institution d’anciens privilégiés. Dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 40 ans, ce décalage est frappant. Bien que cette chambre ait un pouvoir limité, ses résultats seront symboliques : reflèteront-ils l’aspiration au changement ou la perpétuation du statu quo ?
L’Assemblée nationale, quant à elle, constitue un enjeu encore plus stratégique. Actuellement, le RDPC détient 152 des 180 sièges. Une domination continue depuis 1997. Pour que l’opposition puisse contrer les manœuvres du régime, elle devra impérativement réduire cette majorité. Une victoire présidentielle sans majorité parlementaire ne suffirait pas à impulser le changement attendu. Là encore, les résultats auront un effet direct sur l’atmosphère politique de 2025. Et dans un contexte de pauvreté grandissante, de violations des droits humains et d’abus de pouvoir, les tensions sont à leur comble.
L’actuel président de l’Assemblée nationale est en poste depuis 1992. Trente ans plus tard, il dirige toujours la plus haute institution législative du pays. Cette longévité politique dans un pays se disant démocratique est difficilement justifiable. Les Camerounais pourront-ils supporter cinq années supplémentaires d’inertie ? Ou feront-ils le choix du changement dans les urnes, dans le respect de l’État de droit ?
Alors, qu’est-ce qui rend les élections de 2025 si spéciales ?
Paul Biya aura 92 ans. Il approchera l’âge atteint par Robert Mugabe lorsqu’il a quitté le pouvoir en 2017. Même Abdelaziz Bouteflika n’a pas gouverné jusqu’à ses 90 ans. Les Camerounais éliront-ils encore un homme de cet âge, dans un pays en proie à une crise économique, une déchéance sociale et une absence de réformes profondes ?
La question de la succession alimente aussi toutes les spéculations. En Afrique centrale, la transmission dynastique du pouvoir est devenue courante : Ali Bongo au Gabon en 2009, Mahamat Déby au Tchad en 2021, Teodoro Nguema Obiang en Guinée équatoriale… Tous ont hérité du pouvoir de leurs pères. Au Cameroun, la montée progressive de Frank Biya, fils du président, dans les cercles de pouvoir alimente les soupçons. Est-ce une stratégie orchestrée pour normaliser sa candidature ? Ou une tentative de tester l’opinion publique ?
Cette éventualité a suscité de vives critiques de la société civile et de la presse, qui militent pour une ère post-Biya. Le Cameroun pourrait ainsi se retrouver en zone rouge de violences post-électorales. La crise anglophone, elle-même née d’une inégale répartition du pouvoir, risque de s’aggraver si aucun progrès politique n’est réalisé. La jeunesse frustrée, en chômage chronique malgré des diplômes, pourrait aussi se radicaliser. On s’attend à une mobilisation croissante de la génération Y et Z, et une nouvelle dynamique dans l’opposition. Tous les indicateurs convergent : un changement est inévitable. Mais sera-t-il positif ou négatif
En conclusion, le Cameroun traverse une période d’incertitude historique. Les trois prochaines années seront décisives. Face aux défis économiques, sociaux et politiques, chaque citoyen est appelé à faire preuve de patriotisme, d’autodiscipline et d’engagement. Le développement passe par des transformations profondes, souvent douloureuses, mais nécessaires. C’est en abandonnant l’égoïsme, le népotisme et l’appropriation des ressources publiques que la nation pourra se reconstruire.
2023-2025 représente cette fenêtre cruciale pour que les Camerounais affirment leurs choix, s’investissent et laissent un héritage d’un Cameroun influent, équitable et digne. Rendez-vous en 2025.
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2 ansKeep working towards your goals 💪