REGULATIONS A VENIR DANS UN MONDE QUI BASCULE
Dans un contexte de rivalités géopolitiques, les déséquilibres économiques mondiaux sont de plus en plus difficiles à gérer. Les chocs économiques sont plus fréquents et persistants, et la coopération internationale est plus limitée. Cela rompt avec la gestion des crises depuis les années 1980, marquée par le leadership des États-Unis et le rôle central de la Réserve fédérale américaine (Fed) comme prêteur en dernier ressort. La rivalité entre les États-Unis et la Chine est la principale source de ce changement, affectant l'équilibre économique, politique et stratégique mondial. D’une relation complémentaire, on est passé à une confrontation économique, technologique et stratégique. Pékin, désormais moteur industriel et technologique, attire le Sud global et développe ses propres alliances et institutions. Dans le monde qui se dessine, les impulsions de court terme seront encore l’apanage des Américains mais les impulsions de long terme, celles qui structurent l’économie globale proviendront davantage de la Chine. Le monde n’est plus centré sur les États-Unis, sans être encore centré sur la Chine : l’enjeu est la redéfinition des règles de coopération et du système monétaire mondial. L’Europe, quant à elle, doit renforcer son marché intérieur, investir dans l’innovation et développer des financements communs pour rester dans la course.
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Les transformations du monde et la montée des rapports de force géopolitiques modifient profondément la manière dont les déséquilibres globaux seront gérés. Ce nouvel environnement est illustré par trois dimensions : les chocs économiques seront plus fréquents et plus persistants ; la désynchronisation des cycles entre grandes régions du monde accentuera ces perturbations ; enfin la coopération internationale, plus limitée, allongera la durée et augmentera le coût des ajustements.
Dans ce nouvel environnement, il faudra définir de nouveaux instruments afin de prévenir et de gérer les chocs. Le point de friction portera sur l’hétérogénéité des instruments et des objectifs puisque les cadres institutionnels n’évolueront plus de concert. Le rôle des banques centrales sera profondément modifié. Au cœur de la résolution des crises via notamment la coordination de leurs actions, elles pourraient être soumises à des objectifs différents dans un cadre macroéconomique global moins homogène. Elles n’auront pas forcément systématiquement intérêt à intervenir selon les mêmes modalités parce qu’elles seront des régions aux dynamiques cycliques qui pourraient être distinctes. Ce serait une rupture dans la gestion des crises depuis, notamment, le début de la globalisation financière au début des années 1980.
Le rôle des États-Unis comme prêteur en dernier ressort
Depuis l’accord du Plaza (1985), la gestion des chocs – principalement financiers – s’est inscrite dans un cadre global coordonné et se caractérise par deux facteurs :
1- Le dollar s’est imposé comme monnaie internationale.
2- La Federal Reserve a joué le rôle de leader parmi les banques centrales, faisant des États-Unis le prêteur en dernier ressort d’un monde en voie de globalisation.
Ce système a été renforcé par son élargissement lors de la chute du Mur de Berlin puis par l’intégration de la Chine dans le commerce mondial. Pour les pays développés, ces évolutions se sont traduites par 3 conséquences
1- Une période dites de la grande modération qui s’est traduite par une croissance mondiale soutenue, une faible volatilité de l’inflation et un rôle central donné aux banques centrales.
2- La régulation collective servait l’intérêt commun : amortir les chocs, préserver une dynamique de croissance et réorienter l’économie vers sa tendance antérieure.
3- La gestion rapide et efficace de la crise de 2008/2009 illustre cette logique.
Le basculement du rapport de force
La particularité du moment est que la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine altère l’équilibre du monde sur deux fronts :
1- Économique (comme face au Japon dans les années 1980), avec des échanges commerciaux très denses
2- Politique (comme lors de la guerre froide avec l’URSS), avec une volonté des deux pays antagonistes de repenser leur propre capacité d’influence sur les affaires du monde.
La rivalité est donc simultanément économique, politique et stratégique. L’émergence de deux fronts rivaux est ce qui caractérise désormais la situation globale.
De la complémentarité à la confrontation
Pendant longtemps, la relation fut complémentaire : technologie américaine contre main-d’œuvre chinoise et excédents chinois réinvestis en actifs US.
Cependant,
1- Depuis 2015, la montée technologique de la Chine a bouleversé l’équilibre entre les deux pays.
2- Les tensions se sont cristallisé, en 2019, avec l’affaire Huawei. Donald Trump, durant son premier mandat avaient banni la firme chinoise du marché américain. Cette firme et quelques autres soulignaient la bascule technologique entre les deux pays. Se repliant sur la Chine, la firme de Shenzhen a redéployé son activité sur des composants et des capacités non américaines.
Aujourd’hui, le refus chinois d’utiliser les semi-conducteurs américains Nvidia ressort d’une logique similaire. Huawei avait montré, contrainte par son bannissement, a gagné en indépendance, Les autorités chinoises ne veulent plus dépendre de semi-conducteurs qui conditionnerait leur croissance notamment dans l’Intelligence Artificielle. La stratégie est donc de ne compter que sur ses propres capacités. Dans le même temps, les Américains contraignent les exportations de produits sophistiqués en Chine. C’est le cas de Samsung qui ne peut plus exporter vers l’Empire du milieu des produits fabriqués dans ses usines américaines.
Nouvelles alliances et recompositions géopolitiques
La particularité du tête-à-tête est qu’il définit forcément une nouvelle dimension du cadre politique. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a redistribué les cartes au sein de l’Otan et exprimé la volonté américaine de souhaiter une forme d’isolationnisme tout en s’occupant de régler les conflits.
Du côté chinois, l’objectif est de progressivement définir un autre ordre du monde, éventuellement concurrent de celui des pays occidentaux. Depuis quelques années, les dirigeants chinois cherchent la bonne formule pour avoir le soutien des grands pays émergents, c’est l’objectif de la constitution des BRICS élargis, mais aussi de rallier les pays du Sud Global. Cette nouvelle construction viendrait en complément des échanges et des soutiens approfondis avec la Russie de Vladimir Poutine.
La réunion de Tianjin le 1er septembre traduit en partie cette confusion puisque la Shanghai Cooperation Organization (SCO) était initialement un lieu d’échanges entre la Chine, la Russie et les pays d’Asie de l’ex URSS. La présence de l’Inde, de l’Iran et d’autres nombreux pays en Chine cette semaine traduisait le souhait de trouver un nouveau cadre. Il reste encore à définir et ce que l’on conservera à l’esprit est le grand défilé militaire sur l’immense Avenue de la Liberté à Pékin.
On note aussi les différences dans les alliances puisque la Chine et la Russie soutiennent désormais l’Iran, alors qu’en 2015 elles partageaient encore la ligne américaine. Ce choix est un signal au moment où les frappes américaines n’ont finalement pas éliminé les 450 kgs d’uranium qui pourraient permettre à l’Iran de fabriquer une dizaine de petites têtes nucléaires. C’est un marqueur.
Les asymétries entre États-Unis et Chine
La montée en puissance de l’économie chinoise a fait émerger quatre déséquilibres majeurs :
1- Dépendance américaine : les États-Unis dépendent des capacités de production et d’assemblage chinoises, ce qui limite leur marge de manœuvre tarifaire. Cette situation s’est progressivement inversée au cours de la dernière décennie.
2- Structure industrielle : la Chine est devenue le centre mondial de l’automobile (60 millions de véhicules sur 90 produits dans le monde). C’est un élément clé puisque, dans tous les pays industriels, le secteur automobile a structuré l’industrie. La Chine bouscule les pays déjà installés dont les USA mais aussi l’Europe.
3- Technologie et innovation : C’est probablement l’élément de rupture le plus marqué. La recherche et le développement dans les technologies critiques se déplacent vers la Chine. La domination américaine n’est plus. Les classements font apparaître une domination très nette de l’Empire du milieu, les Etats-Unis n’étant plus leader que sur une petite partie. C’est l’inverse qui prévalait il y a une dizaine d’années. C’est ce basculement qui soutient les restrictions américaines sur les transferts de technologies (sauf quand ce transfert est un moyen de conditionner un développement particulier comme l’IA (cf. Nvidia))
4- Soft power et influence globale : L’Amérique séduit moins quand on regarde les sondages internationaux. Le monde américain apparait comme celui d’hier. En conséquence, le Sud global se tourne davantage vers Pékin qui soutient un modèle qui a permis à l’économie chinoise de sortir de la pauvreté. En outre, la Chine assure des financements et nourrit les investissements dans les infrastructures des pays émergents.
Conséquences sur la dynamique mondiale
La redistribution des cartes entre les Etats-Unis et la Chine pose plusieurs questions sur l’équilibre global puisque le monde économique n’est plus centré sur les USA.
Bien sûr à court terme, on perçoit encore l’influence puissante de Washington sur les affaires du monde. La politique des droits de douane, l’indépendance de la Fed ou l’arrêt des politiques climatiques sont autant de facteurs qui provoquent des réactions immédiates.
Cependant, les impulsions de long terme, celles qui structurent l’économie, sont désormais l’apanage de la Chine, Pour illustrer ce point, la Chine est le principal partenaire commercial d’une grande majorité de pays émergents, notamment en Afrique, et c’est un pays où le changement climatique fait l’objet d’une stratégie dans la durée.
Ce basculement va se traduire par l’arrivée progressive à maturité de 3 éléments clés
1- Nouvelles institutions : le FMI et la Banque mondiale, conçus pour les pays développés, seront progressivement contrebalancés par des institutions centrées sur les émergents (ex. : New Development Bank des BRICS).
2- Technologies chinoises : Pékin imposera de plus en plus ses standards, des drones aux semi-conducteurs, captant les revenus associés.
3- Dollar et système monétaire : le statut du dollar sera remis en question si les États-Unis perdent leur rôle de prêteur en dernier ressort – sans que la Chine ait, pour l’instant, les moyens d’assumer cette fonction.
Conclusion
Le monde n’est plus centré sur les États-Unis mais il n’est pas encore centré sur la Chine. Le sera-t-il un jour est une question importante des dix prochaines années.
1- Néanmoins, Washington garde un poids décisif à court terme, alors que Pékin s’affirme comme l’architecte des dynamiques de long terme.
2- Cette redistribution des cartes marque une rupture durable, à la fois économique et politique, dont l’enjeu principal sera la redéfinition des règles de la coopération internationale et du système monétaire mondial.
3- Cela passe alors par la définition d’un cadre qui pourrait être plus hétérogène que celui qui portait l’économie mondiale depuis quelques décennies avec la définition d’instruments qui ne seront pas forcément compatibles et d’objectifs spécifiques à chaque région.
4- L’Europe devra trouver son chemin. Le chemin sera complexe car il faudra à la fois définir un marché intérieur plus efficace, rester dans la course sur la technologie et l’innovation et mettre en place des financements européens pour les biens communs à l’Europe. L’enjeu est redoutable et ne pourra se faire que collectivement pour ne pas perdre le fil d’un monde qui se construit à Pékin.
Dr. Histoire militaire _ Enseignant-Chercheur-Consultant-formateur
3 sem.Le monde bascule d’une économie globalisée sous hégémonie américaine vers une compétition systémique États-Unis–Chine, où les institutions et règles internationales sont redéfinies. L’enjeu majeur réside dans la création d’un nouvel équilibre : coopération sélective, fragmentation accrue, ou émergence d’un système hybride. L’Europe, si elle ne parvient pas à surmonter ses faiblesses structurelles, pourrait rester spectatrice d’un duel sino-américain qui redessine le XXIe siècle.