[1]
Esclavage
et
Traite des Esclaves
chez les Arabo-Musulmans
Compilation d’articles divers
[2]
Les Négriers en Terre d’Islam
Jacques Heers. Professeur honoraire d'histoire à l'Université Paris
IV-Sorbonne.
Auteur de nombreux ouvrages, dont, notamment, Christophe Colomb,
Hachette, Paris, 1981 ; Marco Polo, Fayard, Paris, 1983 ; Machiavel,
Fayard, Paris, 1985 ; Gilles de Rais, Perrin, Paris, 1994 ; Jacques Coeur,
Perrin, Paris, 1997 ; Les Barbaresques, Perrin, Paris, 2001 ; Les négriers
en terre d'Islam, Perrin, Paris, 2001.
1
Les blancs, captifs et esclaves
La guerre pourvoyeuse de captifs (VIIe-Xe
siècle)
Les conquêtes musulmanes, du VIIe au VIIIe
siècle, si brutales et d'une telle ampleur que le
monde méditerranéen n'avait jamais rien connu
de tel, provoquèrent un nombre considérable de
captures et, aussitôt, un très important trafic
d'hommes et de femmes, conduits en troupes sur
les marchés des grandes cités.
L'esclavage devint alors un phénomène de
masse affectant tous les rouages sociaux, hors de
proportion avec ce qu'il avait été dans l'Empire
byzantin.
Dans les tout premiers temps de l'islam, les es-
claves étaient, comme dans l'Antiquité romaine
ou du temps de Byzance, essentiellement des
Blancs, raflés lors des expéditions ou exposés sur
les marchés par des trafiquants qui allaient les
acheter en de lointains pays, très loin même des
terres d'Islam.
Les négriers en terres d'Islam, p. 11
2
En Orient : captifs grecs et perses
La flotte du calife de Bagdad assiège Constantinople en 673. Elle trouve les murailles
de la ville renforcées par d'impressionnants fortins et les redoutables vaisseaux grecs
siphonophores, capables de lancer le terrible feu grégeois, prêts au combat. Cette résis-
tance byzantine ruine l'enthousiasme des assaillants qui se replient et ne tentent plus de
fortes attaques avant plusieurs décennies. En 716, ils mènent leurs troupes à travers
l'Anatolie, passent les Détroits et pénètrent jusqu'en Thrace tandis qu'une flotte de mille
vaisseaux cerne de nouveau Constantinople. Mais, attaqués par les Bulgares au nord,
[3]
décimés sur mer par le feu grégeois, les musulmans abandonnent, cette fois encore, le
siège après un an de durs combats. Ces premiers élans brisés, la guerre ne fut plus dès
lors que raids de cavalerie, raids sauvages, inopinés, non pour conquérir ou établir des
colonies militaires, centres de garnisons pour d'autres offensives, mais simplement pour
le butin et la chasse aux esclaves. Chez les chrétiens, les populations se réfugiaient dans
des camps fortifiés, à Dorylée, à Smyrne, à Milet. Sur ce front mouvant et incertain, har-
diment défendu par les colonies des acrites, soldats et paysans, les chefs guerriers se
retranchaient, sentinelles hasardées, dans leurs palais ceints de hautes murailles. Les
poèmes épiques, souvent d'origine populaire, modèles peut-être de nos chansons de
geste, content les hauts faits d'armes des héros, capitaines des châteaux dressés sur les
rives de l'Euphrate, mais disent aussi, en d'autres accents, les angoisses et les peines des
petites gens, paysans, villageois, surpris au travail, incapables de fuir assez tôt, emmenés
captifs pour servir en des terres lointaines d'Arabie ou d'Irak.
Ibidem, pp. 15-16
3
Les premiers grands marchés d'esclaves (IXe-Xe siècle)
Esclaves saxons, marchands juifs et chrétiens
Pendant longtemps, les géographes, les voyageurs et les marchands musulmans te-
naient pour «Slaves» tous les hommes qui vivaient hors de leurs Etats, de l'Espagne aux
steppes de la Russie et de l'Asie centrale et, plus loin encore, sur les terres inconnues,
contrées réputées rebelles de Gog et Magog.
Les conquérants musulmans n'ont tenté que très rarement des raids aussi loin de
leurs bases et les esclaves slaves ne pouvaient être qu'objets de traite. Ceux de Bohême
étaient régulièrement conduits à Prague, centre de castration pour les hommes, puis à
Ratisbonne. Ceux des pays plus au nord, avec les Saxons faits prisonniers lors des cam-
pagnes de Charlemagne des années 780, furent expédiés vers les gros bourgs fortifiés de
la route germanique pour finir sur le marché de Verdun. De là, on les menait à Lyon,
autre grand carrefour pour ce négoce des captifs, puis à Arles et Narbonne et, enfin, vers
les ports d'Espagne, du Maghreb ou, directement, de l'Orient.
Ce n'était ni affaires de peu ni d'un court moment: au xe siècle encore, Liutprand,
évêque de Crémone (920-972), ne cessait de dénoncer et de condamner les profits
énormes, proprement scandaleux, que réalisaient les marchands de Verdun. A la même
époque, les recensements des Slaves amenés sur le marché musulman de Cordoue don-
nent un chiffre de plus de dix mille en l'espace de cinquante années, de 912 à 961. Ils ont
très vite formé, comme les Turcs en Orient, peuple non encore islamisé, une part impor-
tante des troupes et du corps des officiers au service du calife.
Au temps de la décadence de ce califat de Cordoue et de l'éparpillement des pouvoirs,
dans les années 1000, plusieurs d'entre eux, notamment dans le Levant ibérique, prirent
la tête d'un petit royaume, alors complètement indépendant.
Les marchands des pays d'islam, eux non plus, ne se risquaient pas volontiers hors du
monde méditerranéen et répugnaient à se rendre en Gaule où ils ne rencontraient que
des populations hostiles. On ne les y voyait pas fréquenter les marchés d'esclaves alors
que les Juifs étaient, eux, communément montrés comme les maîtres de ce malheureux
commerce.
[4]
Certains n'étaient que de petites gens, colporteurs errants, vendeurs de bibelots et de
pacotille qui ne prenaient à leur suite qu'un ou deux captifs. D'autres, au contraire, bien
en place auprès des palais des rois francs, maîtres d'entreprises implantées dans tout le
pays, convoyaient vers les ports de la Méditerranée de nombreuses troupes de prison-
niers, embarquées vers l'Orient.
« Ils rapportent d'Occident des eunuques, des esclaves des deux sexes, du brocart, des
peaux de castor, des pelisses de martre et des autres fourrures et des armes.»
Nos auteurs, musulmans et chrétiens, insistent particulièrement sur le rôle des Juifs
qui, dans l'Espagne musulmane, formaient souvent la majorité de la population dans les
grandes villes, notamment à Grenade, appelée communément, au VIIIe siècle, la « ville
des Juifs».
Négociants en produits de luxe, métaux, bijoux et soieries, plus rarement prêteurs sur
gages, ils se groupaient en petites sociétés de parents et d'amis, les uns établis dans une
des cités proches de la frontière castillane, les autres dans les ports d'Ibérie et d'Afrique
du Nord, et prenaient à leur compte certainement une bonne part des transactions entre
les deux mondes. On assurait aussi que, les musulmans s'y refusant, ces trafiquants
israélites veillaient à la bonne tenue des centres de castration.
Cependant, des marchands gaulois et chrétiens, de Verdun surtout, allaient eux aussi
régulièrement commercer à Saragosse et dans les autres cités musulmanes d'Espagne
pour y présenter et y vendre des captifs.
L'abbé Jean de Gorze, chargé de mission par l'empereur germanique Otton 1er auprès
du calife de Cordoue, se fit accompagner par un de ces négociants chrétiens de Verdun
qui connaissait bien l'Espagne.
Les Mozarabes, chrétiens demeurés en Espagne sous la domination musulmane, ne
demeuraient pas inactifs; ils passaient les Pyrénées, fréquentaient les marchés, à Verdun
bien sûr et jusque dans les cités des rives du Rhin.
Pour l'Italie, les mêmes auteurs parlent beaucoup moins des Juifs mais plus souvent
des marchands chrétiens, hommes de vilaines mains, pillards et complices, meneurs de
raids au-delà des Alpes ou sur l'autre rive de l' Adriatique, tous trafiquants d'esclaves,
capables de faire prisonniers et de ramener hommes et femmes sans regarder à leurs
origines ou à leur religion.
Les hommes d'affaires vénitiens, ceux-ci mieux organisés et plus honorablement con-
nus, armant des navires à leurs noms, y prenaient part. Soumise alors à Byzance, Venise
bravait les empereurs de Constantinople qui avaient formellement condamné cette
traite et menacé les coupables de dures sanctions.
Pour mettre un terme à ces sinistres négoces ou, du moins, en limiter les profits, Léon
V l'Arménien, empereur (813820), interdit à tous ses sujets, plus particulièrement aux
Vénitiens, de commercer dans les ports d'Egypte et de Syrie. L'on vit pourtant d'auda-
cieux trafiquants traquer des esclaves dans les Abruzzes et le Latium pour les revendre
dans le Maghreb.
Ibidem, pp. 16-18
4
[5]
Les Russes et les Bulgares de la Volga
Le Livre sur la clairvoyance en matière commerciale, attribué à l'écrivain al-Djahiz (d.
669), faisait déjà mention d'esclaves des deux sexes importés du pays des Khazares sur
les rives de la Volga, près de son embouchure.
Cependant, les trafics marchands avec les villes de Russie ne prirent un bel essor que
plus tard, au temps où la dynastie des Sassanides puis celle des Bouyides, toutes deux
originaires de Perse, régnèrent à Bagdad.
Le célèbre lettré athTha' alibi imagine une conversation entre deux courtisans du roi
bouyide Adud al-Dawla (977-983) et les fait parler de jeunes esclaves turcs, de concu-
bines de Boukhara et de servantes de Samarkand.
Sur les lointains marchés de Kiev et de Bulghar, la capitale des Bulgares, les mar-
chands musulmans étaient presque tous originaires ou de la Transoxiane ou du Kharas-
san, au nord-est de l'Iran.
Les trafiquants de la ville de Mechhed venaient, chaque saison, au retour de leurs ex-
péditions dans le Nord et les pays des steppes, vendre à Bagdad diverses sortes de four-
rures, les moutons et les bœufs, le miel, la cire et les cuirs, les cuirasses et, surtout, les
esclaves.
Pour se procurer ces hommes et ces femmes, de plus en plus nombreux et d'origines
de plus en plus lointaines, les musulmans de Perse traitaient avec les Bulgares ou avec
les Russes, intermédiaires obligés, convoyeurs de captifs.
L'année 921, le calife abbasside de Bagdad, Muqtadir, envoya une ambassade au roi
des Bulgares de la Volga. Le secrétaire de l'expédition, Ahmed ibn Fodlan, tenait, au jour
le jour, registre des marches de la caravane et des étapes, jusque très loin dans des pays
jusqu'alors inconnus; il s'attarde longuement { décrire les mœurs et les usages poli-
tiques de ces peuples, si différents de ceux de son monde.
« La coutume est que le roi des Khazares ait vingtcinq femmes dont chacune est la fille
d'un des rois des pays voisins. Il les prend de gré ou de force. Il a aussi des esclaves con-
cubines pour sa couche au nombre de soixante qui sont toutes d'une extrême beauté.
Toutes ces femmes, libres ou esclaves, sont dans un château isolé dans lequel chacune a
un pavillon à coupole recouvert de bois de teck. Chacune d'elles a un eunuque qui la
soustrait aux regards. » Et encore : « Quand un grand personnage meurt, les gens de sa
famille disent à ses filles esclaves et à ses garçons esclaves: " Qui d'entre vous mourra
avec lui? " » Pour eux, c'est un honneur que de se sacrifier.
Ibn Fodlan voit aussi, à leur campement au bord du fleuve, des Russes, « les plus mal-
propres des créatures de Dieu », qui ancrent leurs bateaux sur les berges et construisent
de grandes maisons de bois. Dans chacune de ces maisons, sont réunies de dix à vingt
personnes. « Avec eux sont de belles jeunes filles esclaves destinées aux marchands.
Chacun d'entre eux, sous les yeux de son compagnon, a des rapports sexuels avec une
esclave. Parfois tout un groupe d'entre eux s'unissent de cette manière, les uns en face
des autres. Si un marchand entre à ce moment, pour acheter à l'un d'eux une jeune fille
et le trouve en train de cohabiter avec elle, l'homme ne se détache pas d'elle avant
d'avoir satisfait son besoin. »
Ce fut, au long des temps, un négoce tout ordinaire, quasi routinier, soumis aux cou-
tumes, aux règles et aux taxes. «Quand les Russes ou les gens d'autres races arrivent
[6]
dans le pays des Bulgares avec des esclaves, le roi a le droit de choisir pour lui un esclave
sur dix. »
Les Russes s'aventuraient très loin et, des régions les plus éloignées du « pays des
Slaves », ramenaient des captifs, hommes et femmes des deux sexes, et des fourrures
précieuses, peaux de castor et de renard noir.
Deux cents ans après Ibn Fodlan, Abu Hamid de Grenade, lors d'un long et pénible
voyage en Europe de l'Est, trouve les Russes partout sur son chemin. Ils lui parlent des
Wisu, peuple de la région du lac Ladoga où les hommes chassent le castor, et des Arw du
pays des grands fleuves qui, eux, chassent 1 'hermine et le petit-gris.
Au-delà des Wisu, près de la mer Arctique, «la mer des ténèbres », vit un peuple de
nomades, les Yura, qui, contre des épées, livrent aux Russes des peaux de zibeline et des
esclaves. Ces deux négoces, peaux de bêtes et bétail humain, allaient partout de pair.
Là aussi, les Juifs assuraient certainement une part importante des échanges, en par-
ticulier à l'est, pour les produits de la lointaine Asie ou des steppes et déserts des hauts
plateaux. L'historien et géographe Ibn Khurdadhbeth consacre un long passage de sa
description du monde à ces Juifs Radhanites et décrit, noms de nombreux fleuves, de
villes et de peuples à l'appui, quatre de leurs grands itinéraires : l'un arrivant de l'ouest,
par mer, vers Antioche, un autre le long de la côte méridionale de la Perse, un autre en-
core par la mer Rouge et la mer d'Oman jusqu'en Inde, et le dernier, le plus important,
vers l'Europe centrale et les pays du Nord.
Ibidem, pp. 18-21
5
La ruée des Ottomans (XIIe-XVIe siècle)
En pays d'islam, principalement en Orient, les esclaves ne fondaient pas de familles et
n'avaient pas ou peu d'enfants. Le nombre relativement important d'eunuques, l'inter-
diction faite, bien souvent, aux femmes de se marier, les mortalités terriblement élevées
du fait des conditions de travail sur les grands domaines et dans les mines, des guerres
entre souverains, peuples et factions, des maladies et des épidémies, firent que les
maîtres voyaient leur cheptel humain sans cesse s'affaiblir et devaient le renouveler.
Cependant, dès le IXe siècle, les conquêtes se sont essoufflées et les peuples déjà
soumis et convertis n'étaient plus territoires de chasse. Pendant plusieurs siècles, les
musulmans ont cessé de lancer leurs troupes loin de leurs Etats et la traite fournit alors,
de très loin sans doute, le plus grand nombre de captifs.
Les grandes offensives n'ont repris que quelque trois cents ans après celles des pre-
miers conquérants lorsque les Turcs ottomans venus d'Asie centrale, convertis à l'islam,
lancèrent de nouvelles attaques contre les chrétiens en Anatolie : sur Erzeroum dès
1048, sur Sébaste l'an suivant. En 1071, à Mantzikiert, au nord du lac de Van, ils infligent
une retentissante défaite aux troupes de Byzance, font prisonnier l'empereur Romain
Diogène, s'ouvrent la route de Constantinople, installent leur capitale à Brousse et un
sultanat { Konya, en plein cœur du pays.
Ce fut, de nouveau, le temps des chasses aux esclaves, sur mer et sur terre. Les poètes
de cour, à la solde des émirs ottomans d'Anatolie, chantaient les exploits des pirates de
Smyrne et d' Alania qui enlevaient les femmes et les enfants de « ces chiens de mé-
[7]
créants ». De 1327 à 1348, Umur Pacha, l'un des cinq fils de l'émir d'Aydin 21, lui-même
émir de Smyrne et pirate à tous vents, sema la terreur dans tout l'Orient méditerranéen,
dans les îles de Chio et de Samos, et jusque sur les côtes du Péloponnèse. Non pour con-
quérir des terres, non même pour établir des guerriers et des marchands en quelques
comptoirs, mais pour ramener, chaque saison, de merveilleux butins et des centaines de
captifs.
Ses hommes « capturèrent beaux garçons et belles filles sans nombre au cours de
cette chasse et les emmenèrent. Ils mirent le feu à tous les villages ... Au retour, riches et
pauvres furent remplis de joie par ses présents. Tout le pays d'Aydin fut comblé de ri-
chesses et de biens et la gaieté régna partout. Filles et garçons, agneaux, moutons, oies,
canards rôtis et le vin étaient débarqués en abondance. A son frère, il donna en cadeau
nombre de vierges aux visages de lune, chacune sans pareille entre mille; il lui donna
aussi de beaux garçons francs pour qu'il dénoue les tresses de leurs cheveux. A ces ca-
deaux, il ajouta de l'or, de l'argent et des coupes innombrables ».
Ce n'étaient pas simples brigandages, expéditions de forbans, de hors-la-loi, mais une
guerre encouragée par les chefs religieux, aventures bien codifiées, menées selon la Loi
et les règles de l'islam, en tous points une guerre sainte : la cinquième part du butin, «
part de Dieu », allait aux orphelins, aux pauvres et aux voyageurs.
Les armées ottomanes franchissent les Détroits vers 1350, s'établissent à Andrinople,
défont les Serbes à Kossovo (1389) puis les princes et les chevaliers de la croisade de
Sigismond de Hongrie à Nicopolis (1396). Pendant plus d'un siècle, elles allèrent de plus
en plus loin à la chasse au butin et aux esclaves. En 1432, Bertrandon de La Broquière,
conseiller du duc de Bourgogne et chargé de mission en Orient, par ailleurs tout à fait
capable de s'entendre avec les Turcs au cours de son voyage en Anatolie, croise sur sa
route, dans les Balkans, plus d'une troupe misérable de captifs menés par des guerriers
au retour d'une razzia chez les chrétiens et prend alors conscience de la manière dont
les Turcs traitent leurs prisonniers, tous voués à l'esclavage:
« Je vis quinze hommes qui étaient attachés ensemble par de grosses chaînes par le
cou et bien dix femmes, qui avaient été pris peu auparavant dans une course que les
Turcs avaient faite dans le royaume de Bosnie et qu'ils conduisaient pour les vendre à
Andrinople. Ces malheureux demandaient l'aumône aux portes de la ville; c'était une
grande pitié que de voir les maux dont ils souffraient. »
Ils prenaient les enfants pour les convertir de force et les initier très jeunes au métier
des armes, les soumettre à un dur entraînement pour en faire ces janissaires, corps
d'élite de leur armée.
Partout où passaient leurs troupes ou leurs galères de combat ce n'étaient que rafles
de prisonniers, butin de guerre. Et pas seulement en pays des « chiens de mécréants » :
en 1517, entrant dans Le Caire, vainqueurs de l'empire mamelouk d'Egypte et de Syrie,
empire musulman bien sûr, ils enlevèrent nombre de jeunes garçons imberbes et des
esclaves noirs.
A la même époque et jusqu'à leur retentissante défaite de Lépante (7 octobre 1571),
où plus d'une centaine de leurs galères de combat furent envoyées par le fond ou prises
d'assaut, les Turcs ne cessèrent de lancer chaque année vers l'Occident, Espagne et Italie
surtout, de fortes escadres chargées de nombreuses pièces d'artillerie. Les sultans
criaient leur détermination de prendre Rome et d'anéantir les Etats chrétiens, ceux du
roi d'Espagne en premier.
[8]
Ils échouèrent et cet acharnement à poursuivre leurs attaques si loin de leurs bases
du Bosphore et d'Asie n'eut pour eux d'autres profits que de ramener régulièrement des
troupes d 'hommes et de femmes, de jeunes gens surtout, pris lors des sièges de villes
pourtant puissamment fortifiées ou razziés au long des côtes. De telle sorte que cette
guerre des sultans ottomans de Constantinople, de Sélim 1er et de Soliman le Magni-
fique, s'est le plus souvent ramenée à de misérables et cruelles rafles d'hommes. Dans un
des gros bourgs de la Riviera génoise, en 1531, un homme sur cinq se trouvait alors es-
clave chez les Turcs.
Dans Alger, où l'on ne comptait pas moins de six ou sept bagnes pour les chrétiens
prisonniers, plusieurs centaines de captifs, peut-être un millier, étaient entassés dans
des conditions épouvantables, dans le plus grand bagne, situé en plein cœur du tissu
urbain, sur le souk principal qui courait d'une porte à l'autre. C'était un vaste édifice de
soixante-dix pieds de long et quarante de large, ordonné autour d'une cour et d'une ci-
terne.
Au temps d'Hassan Pacha, dans les années 1540, deux mille hommes logeaient dans
un bagne plus petit et, un peu plus tard, encore quatre cents dans celui dit « de la Bâ-
tarde ». A Tunis, demeurée longtemps indépendante sous un roi maure, la conquête de la
ville par les Turcs, en 1574, fit que l'on bâtit en toute hâte huit ou neuf bagnes qui suffi-
rent à peine à y entasser les prises de guerre; les hommes s'y pressaient jusqu'à dix ou
quinze dans des chambres minuscules, voûtées et sombres.
Toute conquête s'accompagnait inévitablement, sur des territoires de plus en plus
étendus, d'une chasse aux esclaves, bien souvent but principal de l'expédition. « Les
Turcs, voisins des chrétiens, envahissent souvent les terres de ces derniers, non telle-
ment par haine de la croix et de la foi, non pour s'emparer de l'or et de l'argent, mais
pour faire la chasse aux hommes et les emmener en servitude. Lorsqu'ils envahissent à
l'improviste des fermes, ils emportent non seulement les adultes mais encore les bébés
non encore sevrés qu'ils trouvent abandonnés par leurs parents en fuite; ils les empor-
tent dans des sacs, et les nourrissent avec grand soin. »
Aux raids des Ottomans en Occident et en Afrique, répondaient, à la même époque,
ceux des sultans musulmans du Deccan qui, pour la cour et les armées comme pour le
service domestique, lançaient en Inde razzia sur razzia contre les Infidèles. Pendant son
séjour à Delhi, Ibn Battuta assiste au retour d'une chasse: « Il était arrivé des captives
indiennes non musulmanes. Le vizir m'en avait donné dix. J'en donnai une à celui qui me
les avait amenées mais il ne l'accepta pas; mes compagnons en prirent trois jeunes et,
quant aux autres, je ne sais ce qu'elles sont devenues. »
Il lui fit aussi présent de plusieurs villages, dont les revenus s'élevaient à cinq mille
dinars par an. Ces expéditions n'étaient pas des aventures menées seulement par
quelques hommes mais bel et bien de vastes opérations qui mobilisaient de grands
moyens que seuls les chefs de guerre, les sultans et les vizirs pouvaient réunir: les non-
musulmans se retranchaient dans d'épaisses forêts de bambous « qui les protégeaient
comme un rempart et d'où l'on ne pouvait les déloger qu'avec des troupes puissantes et
des hommes qui peuvent entrer dans ces forêts et couper ces bambous avec des outils
particuliers ».
Ibidem, pp. 21-24
6
[9]
Les raids des musulmans: l'Egypte, le Maghreb et les oasis
« Les janissaires et autres soldats turcs, en garnison au pays d'Egypte, s'associent en
certain temps de l'année plusieurs ensemble et, prenant des guides et provisions de
vivres, s'en vont au désert de Libye, à la chasse de ces nègres. On leur baille au Caire,
lorsqu'ils sont mis en vente, une pièce de toile qui leur couvre les parties honteuses. »
Au sud de la Nubie et à l'ouest de l'Ethiopie, le trafic des esclaves du Darfur, absolu-
ment crucial pour l'économie des sultans musulmans, résultait soit des ventes par les
trafiquants installés sur place, Arabes pour la plupart, qui ne pratiquaient que d'assez
pauvres razzias sur les villages des environs, soit des raids directement placés sous l'
autorité du sultan du Caire.
Ces chasses aux hommes se pliaient à des règles parfaitement définies, impliquant des
accords constants entre le pouvoir, les notables et les marchands. Celui qui prenait la
tête d'une razzia, d'un ghazwa, devait d'abord solliciter la salatiya, autorisation du sul-
tan. Celui-ci définissait très exactement le territoire de chasse et prenait, en quelque
sorte, les chasseurs et les négociants sous sa protection. Il prêtait une escorte armée et
interdisait à d'autres d'aller courir aux Noirs dans les mêmes pays.
Le chef de raid avait tous pouvoirs, disposait de la même autorité que le sultan dans
ses villes et ses Etats et, effectivement, on le disait bien sultan al-ghazwa, « sultan »
maître du raid. Il réunissait ses fidèles, plus ou moins nombreux selon sa renommée, en
fait selon le succès de ses entreprises les années précédentes, et négociait avec des
groupes de marchands qui fournissaient les vivres nécessaires à de longs jours de route
contre l'engagement de recevoir, en échange, un certain nombre de captifs.
Chaque année le sultan autorisait plusieurs dizaines de razzias, jusqu'à soixante par-
fois; les hommes partaient avant les pluies, de juin à août, et suivaient toujours, sans s'en
éloigner, une route fixée à l'avance, tant pour l'aller que pour le retour. Les contrats
souscrits par les négociants stipulaient que ceux qui accompagnaient le raid très loin
dans le Sud et se chargeaient de convoyer les captifs jusque sur les marchés des villes en
recevraient deux fois plus que ceux qui attendaient simplement le retour de la razzia
dans le Nord.
Ces raids ne tournaient pas forcément aux affrontements guerriers. On traitait avec
des rabatteurs ou avec des chefs de tribus eux-mêmes chasseurs d'hommes dans le voi-
sinage. Les Noirs surpris n'étaient certainement pas en mesure de résister les armes à la
main et l'on savait qu'une bonne expédition pouvait ramener de cinq à six cents es-
claves. Le plus souvent les chasseurs opéraient, en toute quiétude, dans la région même
du Darfur, plus particulièrement au sud et au sud-ouest. D'autres se risquaient beaucoup
plus loin et l'on parle d 'hommes qui demeurèrent six mois en route avant de renoncer,
ayant atteint un fleuve qu'ils n'osèrent franchir.
Ibidem, pp. 65-66
7
Portugais, Américains et Juifs
Parler de la traite des chrétiens et taire les musulmanes, ou les réduire à trop peu,
était déjà travestir la vérité. Fallait-il, de plus, pour cette traite atlantique, ne citer que
les armateurs de France ou accessoirement d'Angleterre et ne rien dire des autres, no-
[10]
tamment des Portugais qui furent, et de très loin, les plus actifs sur place, solidement
implantés, agents d'un commerce pionnier et maintenu en pleine activité bien plus long-
temps ?
Arrivés les premiers sur les côtes d'Afrique et sur les rives des fleuves, ils furent bien
les seuls, avec les Américains, à s'établir à demeure dans les postes de traite à l'intérieur
du continent, là où les Noirs étaient livrés sur le marché bien plus nombreux qu'ailleurs.
Ces hommes n'étaient pas seulement capitaines de navires jetant l'ancre pour de
courtes escales, le temps d'embarquer les esclaves que d'autres Noirs leur vendaient,
mais des résidents, chefs d'entreprises florissantes, négriers au sol, propriétaires de fac-
toreries, d'entrepôts et même de troupes de rabatteurs.
------ Peut-on imaginer que les Américains se soient contentés de recevoir des navires
d'Europe chargés de Noirs captifs? Ils furent, au contraire, parmi les plus actifs des
armateurs et capitaines négriers. Leurs bâtiments de Maryland, de Georgie et de
Caroline allaient régulièrement en Afrique, plus particulièrement sur la côte de Guinée
qu'ils appelaient tout ordinairement la «Côte des esclaves».
Ils avaient conclu des accords avec les rois de ce littoral et avec ceux du Togo qui en-
voyaient leurs guerriers razzier à l'intérieur du continent et livraient leurs prisonniers à
Anecho (actuellement à la frontière du Togo et du Dahomey), à Porto Novo et à Ouidah,
sites portuaires fortifiés.
Au temps le plus fort de la traite, au début du XVIIIe siècle, l'on comptait plus de cent
vingt vaisseaux négriers, pour le plus grand nombre propriété de négociants et arma-
teurs juifs de Charleston en Caroline du Sud et de Newport dans la baie de Chesapeake
en Virginie (Moses Levy, Isaac Levy, Abraham AlI,
Aaron Lopez, San Levey), ou de Portugais, juifs aus-
si, établis en Amérique (David Gomez, Felix de Sou-
za), qui, eux, avaient des parents au Brésil.
A Charleston, une vingtaine d'établissements,
nullement clandestins, distillaient un mauvais al-
cool, principal produit proposé en Afrique pour la
traite des Noirs esclaves.
Certains négriers américains, et non des
moindres, se sont, à la manière des Portugais et par-
fois de concert avec, eux, solidement établis en
Afrique, sur la côte et même à l'intérieur, gérant
alors en toute franche propriété d'importants postes
de traite, entrepôts et embarcadères pour les loin-
tains voyages. Ce que n'ont fait ni les Anglais ni les
Français.
Ibidem, pp. 255, 258
http://www.denistouret.net/textes/Heers_Jacqu
es.html
[11]
L'esclavage musulman
A l’heure où les tentatives de culpabilisation de l’Occident se font déli-
rantes, Louis Chagnon ouvre le dossier de l’esclavage musulman.
L’histoire de l’esclavage est { l’actualité, utilisée comme outil pour soutenir des re-
vendications communautaristes, elle est falsifiée pour introduire la seule critique de
l’Occident. Ne pouvant pas reprendre toute l’histoire de l’esclavage, je rappellerai rapi-
dement quelques données élémentaires.
L’esclavage se perd dans la nuit des temps et les noirs n’en ont pas été les seules vic-
times, comme les Occidentaux n’ont pas été les seuls esclavagistes. Le mot «esclave»
vient du mot «Slave», les Slaves païens ont en effet fourni les contingents les plus nom-
breux d’esclaves pendant le haut Moyen-âge, vendus par les Vénitiens aux arabo-
musulmans. Si esclavage et colonisation se sont rejoints aux XVIIe et XVIIIe dans le
commerce triangulaire pratiqué par des commerçants, et non par des colons, l’esclavage
n’est pas inhérent { la colonisation occidentale, il existait des millénaires avant et exista
après. Bien au contraire, la colonisation entraîna la disparition de l’esclavage dans les
colonies. Avant même la colonisation de l’Afrique, les Européens avaient agi pour faire
supprimer l’esclavage en Tunisie: «Après les trois mois de règne de son frère Othman, le
fils de Mohammed bey, Mahmoud bey (1914-1824), se vit contraint par les puissances
européennes { supprimer l’esclavage, malgré la perturbation économique que devait
entraîner cette brusque mesure (1819).» . Lorsque les Français sont arrivés en Afrique
du Nord et en Afrique noire au XIXe siècle, ils ont trouvé des esclaves. L’esclavage était
pratiqué par les Arabes et les noirs depuis des siècles. Les ethnies noires se réduisaient
en esclavage entre elles et ce sont des chefs noirs qui par des razzias alimentaient les
négriers occidentaux aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce qu’on oublie trop souvent de rappe-
ler. On estime que fin XVIIIe et au début du XIXe en Afrique noire, un quart des hommes
avaient un statut d'esclave ou de travailleur forcé. C'étaient des prisonniers de guerre ou
des prisonniers pour dettes. La guerre et les dettes étaient les sources traditionnelles où
s’approvisionnaient les marchands d’esclaves. Mais, si les Occidentaux supprimèrent
l’esclavage, ils laissèrent le travail forcé.
Les Arabes réduisirent en esclavage pendant des siècles, non seulement des noirs,
mais aussi des chrétiens par des razzias sur les côtes occidentales et la piraterie barba-
resque: «Plus que des marchandises pillées, les Barbaresques tiraient profit des captifs.
Le Chrétien cessait d’être un infidèle qu’on arrachait { son pays pour devenir un objet de
négoce, dont on essayait de se débarrasser le plus vite et le plus cher possible.» . L’église
catholique les racheta pendant des siècles. C’est cette piraterie qui fut un le motif essen-
tiel de la colonisation de l’Algérie.
Pour illustrer ces propos, je vous propose de lire un texte écrit par le général E. Dau-
mas et A. de Chancel, publié en 1856 . Rappelons qu’{ cette époque, la France n’est pré-
sente en Afrique que sur le littoral algérien et qu’{ cette date elle avait aboli l’esclavage
depuis huit ans, en 1848. Le Sahara n’est pas encore bien exploré et il n’existait { cette
date aucune colonie française en Afrique noire. Le général Daumas dont le but était de
recueillir des informations sur les peuples du sud saharien, s’était introduit dans une
caravane qui partait de Metlily, en Algérie, pour se diriger vers un royaume musulman
du sud saharien, du nom d’Haoussa, ayant pour chef le sultan Bellou le Victorieux et
[12]
pour capitale Kachena , leurs habitants appelés { l’époque Foullanes étaient arabes. Ces
caravanes trans-sahariennes furent les pourvoyeuses d’esclaves pour le bassin méditer-
ranéen et les Arabes du nord pendant des siècles. Les Foullanes avaient soumis tous les
royaumes noirs échelonnés sur les fleuves Niger et Sénégal. Aujourd’hui, ce royaume se
situerait sur la frontière entre le Niger et le Nigeria. Dans un passage de son livre, il rela-
tait les informations sur les conditions et les préceptes réglementant l’esclavage chez les
musulmans. C’est ce passage que j’offre { votre lecture. Il se place dans l’esprit des gens
qu’il accompagne et qu’il rencontre, il utilise le pronom «nous» pour représenter en fait
les algériens de la caravane ou les habitants de la région. Je n’ai pas actualisé
l’orthographe et l’ai laissée telle que le général Daumas l’utilisa:
«Au centre de la place était posé par terre un énorme tambour qu’un vigoureux Nègre
battait { tour de bras avec un bâton tamponné. (…) C’est le tambour du sultan; jamais il
n’est battu que pour convoquer l’armée. (…)
« Voici la volonté du serki :
« Au nom du sultan Bellou le Victorieux, que la bénédiction de Dieu soit sur lui, vous
tous, gens du Moutanin, êtes appelés à vous trouver ici demain au jour levant, en armes
et montés, avec des provisions suffisantes pour aller, les uns dans le Zenfa , les autres
dans le Zendeur , à la chasse des Koholanes idolâtres, ennemis du glorieux sultan notre
maître. –Que Dieu les maudisse !»
«Tout ce qu’ordonne le sultan est bon, répondirent les soldats; qu’il soit fait selon la
volonté de notre seigneur et maître!»
Le lendemain, en effet, les Mekhazenia , exacts au rendez-vous, se partagèrent en
deux goums , dont l’un prit { l’Est et l’autre au sud-ouest, avec mission de tomber sur les
points sans défense, d’en enlever les habitants, et de saisir tous les paysans occupés { la
culture de leurs champs; en même temps, des ordres étaient donnés pour traquer à
l’intérieur les Koholanes idolâtres. (…)
En attendant le retour des goums qu’Omar avait envoyés { la chasse aux nègres, nous
nous rendions tous les jours au marché des esclaves, Barka, où nous achetâmes aux prix
suivants:
Un nègre avec sa barbe ……………………………………….10 ou 15,000 Oudâas
On ne les estime point comme marchandise, parce qu’on a peu de chance pour les
empêcher de s’échapper.
Une négresse faite, même prix
pour les mêmes raisons …………..………………………….10 ou 15,000
Un Nègre adolescent………………..……………………………30,000
Une jeune Négresse, le prix varie selon qu’elle est plus ou moins belle…….50 à 60,000
Un négrillon…………………………………………….…………...45,000
Une négrillonne………………………………..…………………..35 { 40,000
Le vendeur donne { l’acheteur les plus grandes facilités pour examiner les esclaves, et
l’on a trois jours pour constater les cas rédhibitoires. On peut rendre avant ce temps ex-
piré:
[13]
Celui qui se coupe avec ses chevilles en marchant;
Celui dont le cordon ombilical est trop exubérant;
Celui qui a les yeux ou les dents en mauvais état;
Celui qui se salit comme un enfant en dormant;
La négresse qui a le même défaut ou qui ronfle;
Celle ou celui qui a les cheveux courts ou entortillés (la plique).
Il en est d’ailleurs que nous n’achetons jamais, ceux, par exemple qui sont attaqués
d’une maladie singulière que l’on appelle seghemmou.
– (…).
On n’achète pas non plus ceux qui, étant âgés, ne sont pas circoncis;
Ni ceux qui viennent d’un pays situé au sud de Noufi: ils n’ont jamais mangé de sel, et
ils résistent difficilement au changement obligé de régime;
Ni ceux d’une espèce particulière qui viennent du sud de Kanou: ils sont anthropo-
phages. On les reconnaît { leurs dents qu’ils aiguisent et qui sont pointues comme celles
des chiens. Nous craindrions pour nos enfants.- ils mangent d’ailleurs, sans répugnance
les animaux morts de mort naturelle (djifa, charognes). –On dit qu’ils nous traitent de
païens, parce que nous ne voulons que les animaux saignés par la loi ; car disent-ils, vous
mangez ce que vous tuez, et vous refusez de manger ce que Dieu a tué.
Nous n’achetons pas non plus ceux appelés Kabine el Aakoul. Ils passent pour avoir la
puissance d’absorber la santé d’un homme en le regardant, et de le faire mourir de con-
somption. On les reconnaît à leurs cheveux tressés en deux longues nattes de chaque
côté de la tête.
L’achat des Foullanes, des Négresses enceintes et des Nègres juifs est sévèrement
prohibé par ordre du sultan. L’achat des Foullanes, parce qu’ils se vantent d’être blancs;
des Négresses enceintes, parce que l’enfant qui naîtra d’elles sera propriété du sultan,
s’il est idolâtre, et libre s’il est musulman; des Nègres juifs, parce que tous sont bijou-
tiers, tailleurs, artisans utiles ou courtiers indispensables pour les transactions commer-
ciales; car sous la peau noire ou sous la peau blanche dans le Soudan , dans le Sahara,
dans les villes du littoral, partout les juifs ont les mêmes instincts et le double génie des
langues et du commerce.
Pour éviter la fraude, une caravane ne sort point à Haoussa sans que les esclaves
qu’elle emmène aient été attentivement examinés; et il en est de même encore { Taous-
sa, à Damergou et à Aguedeuz, chez les Touareug, où Bellou a des oukils chargés des
mêmes soins. Le marchand qui contreviendrait { ces ordres s’exposerait { voir toutes
ses marchandises confisquées.
En un mot, les esclaves proviennent des ghazias [razzias] faites sur les Etats nègres
voisins avec lesquels Haoussa est en guerre, et dans les montagnes du pays, où se sont
retirés les Koholanes qui n’ont pas voulu reconnaître la religion musulmane; des enlè-
vements de ceux qui, observant la religion nouvelle, paraissent regretter l’ancienne, et
sont hostiles au pouvoir ou commettent quelques fautes.
(…)
[14]
De l’esclavage chez les musulmans.
La loi permet la vente des esclaves, parce qu’en général ils sont infidèles.
«Dieu a dit: «Faites la guerre à ceux qui ne croient point en Dieu ni au jour du juge-
ment.» Le Koran, chap. IX, verset 29.
«Dites aux prisonniers qui sont entre vos mains; «Si Dieu voit la droiture dans vos
cœurs, il vous pardonnera, car il est clément et miséricordieux.» Le Koran, chap.VIII, ver-
set 70,
Les docteurs ont toutefois diversement interprété cette parole du Koran. Les uns veu-
lent que le maître d’un infidèle ne l’oblige point { embrasser l’islamisme et le laisse agir
selon sa propre impulsion.
D’autres au contraire ont dit: Il importe qu’un maître enseigne à son esclave les prin-
cipes de la religion et les devoirs dictés par Dieu aux hommes; il doit l’obliger au jeûne et
à la prière, et tendre par tous les moyens à le rendre incapable de nuire aux musulmans,
dût-il, pour atteindre ce but, employer la rigueur.
D’autres enfin, entre ces deux opinions, en ont mis une troisième:
«Tant qu’un esclave infidèle est jeune, disent-ils, son maître est tenu de chercher à le
convertir; plus tard, il peut le laisser libre de faire à son propre gré.»
Il résulte de ces avis divers qu’un musulman doit agir avec son esclave selon que sa
conscience a parlé; mais il est meilleur qu’il essaye d’en faire un serviteur de Dieu.
Sur quoi tous les docteurs sont d’accord, c’est que l’esclave musulman, mâle ou fe-
melle, soit traité avec ménagement et même avec bonté.
«Vêtissez vos esclaves de votre habillement et nourrissez-les de vos aliments,» a dit le
Prophète.
Et nous lisons dans les hadites [hadiths] (conversations de Sidna-Mohammed), que
l’on doit fournir consciencieusement { l’entretien et { la nourriture de l’esclave, de
même qu’il ne faut pas lui imposer une tâche au-dessus de ses forces.
Sidi Khelil a écrit:
«Si vous ne pouvez pas entretenir vos esclaves, vendez-les.»
Le chef du pays est chargé de veiller à cette règle, et de faire procéder à la vente des
esclaves si leur maître ne pourvoit pas { leurs besoins de première nécessité ou s’il les
fait travailler plus qu’il ne le devrait.
Malek, interrogé sur cette question, savoir: si l’on peut forcer un esclave { moudre
pendant la nuit a répondu: «S’il travaille le jour, qu’il se repose pendant la nuit, { moins
que l’occupation prescrite soit de peu d’importance et d’absolue nécessité.»
Ainsi un serviteur ne peut travailler la nuit entière auprès de son maître; on admet
seulement qu’il lui donne des vêtements nécessaires pour le couvrir, de l’eau pour boire,
qu’il lui rende enfin de ces services qui, se réitérant peu souvent, permettent le repos; et
s’il est reconnu qu’un esclave ait souffert de la faim ou de l’excès de travail, il est vendu
même malgré son maître.
Abou Messaoul a laissé ces paroles :
«J’ai frappé mon esclave et j’ai entendu une voix crier aussitôt: « Dieu est plus puis-
sant vis-à-vis de toi que tu ne l’es vis-à-vis de ton serviteur! «Je me suis retourné, j’ai re-
[15]
connu le Prophète et je me suis écrié: «Mon esclave est dès à présent affranchi pour
l’amour de Dieu.»
Et Mohammed m’a répondu: «Si tu n’avais pas agi ainsi, le feu t’aurait dévoré.»
Selon Ibn Omar, un homme vint un jour auprès du Prophète en lui disant: «Combien
de fois n’ai-je pas pardonné à mon esclave!». Mais Mohammed ne lui répondit point. Et
deux fois encore cet homme répéta la même plainte sans obtenir un mot de blâme ou de
conseil. [ la quatrième fois enfin, l’envoyé de Dieu s’écria: «Pardonne { ton esclave
soixante-dix fois par jour, si tu veux mériter la bonté divine.»
En souvenir de ces enseignements, les docteurs musulmans se sont appliqués à régir
par des lois équitables tout ce qui concerne les esclaves et à leur assurer une constante
protection.
La méchanceté, l’avarice, la débauche et la pauvreté même de leurs maîtres ne peu-
vent rien contre eux.
Les formes de vente et d’achat sont définies.
Un bien-être au moins suffisant leur est assuré.
Leurs mariages et leurs divorces sont réglementés.
Les modes d’affranchissement nombreux, les promesses d’affranchissement sacrées,
et l’affranchi, se fond dans la population franche sans que son origine soit jamais pour lui
un sujet d’humiliation.
La négresse, que son maître a fait mère, prend le titre d’oum el-ouled (la mère de
l’enfant) et jouit de tous les égards dus aux femmes légitimes. Son fils n’est point bâtard,
mais l’égal de ses demi-frères; il hérite comme eux, comme eux appartient à la tente:
aussi ne voit-on pas de mulâtres esclaves.
On raconte qu’un jour un musulman ayant dit devant Abou Bekr et Abdallah Ibn
Omar: «Je compare { des mulets les enfants d’une négresse et d’un homme de race: leur
mère est une jument et leur père un âne; n’ayez point confiance en eux.
-Nous sommes certains, car nous l’avons vu, lui répondirent ses auditeurs, que ces
gens-là sont au combat aussi courageux sur leurs chevaux que les enfants de race pure.
Ne dites donc jamais: un tel est un fils d’une Négresse, et celui-l{ d’une femme de race; le
champ de bataille, voilà ce qui doit les faire juger.»
Enfin, chez tous les hommes craignant Dieu, les esclaves font à certains égards partie
de la famille; et l’on en voit souvent qui refusent d’être affranchis, comme le fit celui de
notre seigneur Mohammed.
C’était un jeune Nègre qui avait été donné à Khedija, la femme du Prophète, et dont
elle avait fait présent { son mari. Il se nommait Zeïd Ibn Haret. Son père, l’argent { la
main, vint un jour pour le racheter. «Si ton fils veut te suivre, j’y consens, dit Mohammed,
emmène-le.» Mais l’enfant, consulté, répondit: «Mon père, l’esclavage avec le Prophète
vaut mieux que la liberté avec vous.». Cette réponse émut l’envoyé de Dieu, qui, ne vou-
lant pas rester en générosité au-dessous d’un esclave, l’affranchit et le maria.
Votre religion, à vous chrétiens, vous défend d’avoir des esclaves, je l’ai entendu dire {
Alger, et, en effet, je ne vous en vois pas. [ Kachena, on m’avait assuré cependant que les
rois nègres du sud du Niger et des bords de la grande mer, { l’Ouest, vous en vendaient
de pleins vaisseaux. On ajoutait, il est vrai, que le commerce avait à peu près cessé de-
[16]
puis quelques années, et que le sort des Nègres enlevés dans les guerres en était devenu
beaucoup plus rigoureux. Lorsqu’ils pouvaient vendre leurs prisonniers, les rois les en-
graissaient, en prenaient soin et les faisaient peu travailler; { présent, n’en sachant que
faire, ils les égorgent par milliers pour ne pas les nourrir, ou les parquent près de leurs
cases, enchaînés, sans vêtements, sans un grain de maïs, en attendant leur jour. S’ils les
font travailler, c’est { coups de bâton, car les malheureux sont trop faibles, ne vivant que
de racines, d’herbes ou de feuilles d’arbres, pour faire un bon service. Il en sera sans
doute ainsi jusqu’{ ce que tout le pays se soit fait musulman. Que Dieu allonge assez mon
existence pour que j’en sois témoin!
Il vous répugne d’avoir des esclaves? Mais que nos serviteurs soient notre propriété
et que les vôtres soient libres, entre eux le nom seul est changé. Qu’un domestique chré-
tien ait le droit de changer de maître si bon lui semble, il n’en sera pas moins pour toute
sa vie domestique, et par conséquent, esclave, moins le nom. Quand nos Nègres sont
vieux, nous les affranchissons; ils sont encore de nous, de notre tente; quand l’âge a pris
vos serviteurs, qu’en faites-vous? Je n’en vois pas un seul { barbe blanche.
Chez vous, la femme du mariage a mépris pour la femme servante à qui son maître a
donné un enfant. Pour vivre, il faut qu’elle ne dise jamais non. Chez nous, elle est oum el-
ouled; elle a son logement; son fils est honoré; tous les deux sont de la famille.
«Vous êtes trop orgueilleux, et vous n’êtes pas assez dignes.»
Pour tous les vrais musulmans, Bou Houira a posé cette sentence:
«Ne dites jamais: mon esclave, car nous sommes tous les esclaves de Dieu, dites: mon
serviteur ou ma servante.» (fin de citation).
Cette longue citation éclaire les principes qui régissent et justifient l’esclavage chez
les musulmans. Ceux-ci sont toujours actuels puisqu’ils proviennent du Coran et des Ha-
diths, c’est-à-dire que l’esclavage résulte de la volonté de Dieu: «Que ceux qui ont été
favorisés ne reversent pas ce qui leur a été accordé à leurs esclaves, au point que ceux-ci
deviennent leurs égaux. –Nieront-ils les bienfaits de Dieu?» sourate XVI, verset 71 ; «Ne
forcez pas vos femmes esclaves à se prostituer pour vous procurer les biens de la vie de
ce monde, alors qu’elles voudraient rester honnêtes. Mais si quelqu’un les y contrai-
gnait… Quand elles ont été contraintes, Dieu est celui qui pardonne, il est miséricor-
dieux.» sourate XXIV, verset 33.
L’islam est donc une idéologie politico-religieuse esclavagiste. D’ailleurs les relations
sexuelles entre le maître et ses femmes esclaves sont les seules relations sexuelles hors
mariage acceptées par le Coran: «[ l’exception des hommes chastes qui n’ont de rap-
ports qu’avec leurs épouses et avec leurs captives de guerre; -ils ne sont donc pas blâ-
mables, tandis que ceux qui en convoitent d’autres sont transgresseurs», sourate LXX,
verset 29-31.
Grâce aux pressions internationales, les pays arabo-musulmans à connaître encore
l’esclavage durent l’abandonner, ainsi l’Arabie Saoudite, très en avance sur les droits de
l’homme, comme chacun sait, abolit l’esclavage en 1962! Qui pense { le lui reprocher?
Puisqu’il est demandé { la France de se repentir, il serait normal que ce soit réci-
proque et élargi à tous les acteurs esclavagistes. Je propose donc que la France demande
{ l’Algérie de se repentir pour tous les Chrétiens que ses barbaresques ont réduits en
esclavage. Que Fahd Bin Abdulaziz Al Saoud, roi d’Arabie Saoudite se repente officielle-
ment parce que son royaume n’a aboli l’esclavage qu’en 1962.
[17]
Mais il y a pire et le silence sur cette situation est assourdissant! Aujourd'hui, 12.3
millions de personnes sont victimes du travail forcé dans les pays en voie de dévelop-
pement. C'est l'estimation faite par le Bureau International du Travail (B.I.T.) dans un
rapport publié au mois de mai 2005. Il y a encore pire: après la décolonisation,
l’esclavage revint dans certains pays africains. La République Islamique de Mauritanie
s’illustre dans cette catégorie. Sous les pressions internationales, ce pays a aboli
l’esclavage en….1981! Mais les décrets d’application ne furent jamais promulgués! Au-
jourd’hui, l’esclavage existe donc toujours dans ce pays! Quel intellectuel ou homme po-
litique français ose demander des comptes { M. Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, prési-
dent de la République Islamique de Mauritanie? Personne! Est-ce que Madame Taubira
demande { ce qu’il soit traduit devant une cours de justice internationale pour «crime
contre l’humanité»? Pas du tout! Sa loi en ne condamnant que le seul esclavage pratiqué
par les Occidentaux alors qu’il n’existe plus depuis plus de 150 ans, légitime implicite-
ment l’esclavage arabo-musulman qui existe toujours en Afrique, la loi Taubira de 2001
est, par conséquent, une loi anti-humanitariste et parfaitement scandaleuse.
Tout ceci démontre que les campagnes de falsifications historiques sur l’esclavage,
lancées par certains communautaristes n’ont pas pour objectif la lutte contre
l’esclavagisme, mais d’asseoir leurs revendications communautaires, brisant un peu plus
la citoyenneté française. L’objectif reste en définitive toujours le même: salir la civilisa-
tion occidentale pour mieux la soumettre.
Louis Chagnon pour Libertyvox.
Notes:
1 Charles-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, de la conquête arabe { 1830,
Paris, Payot, 1978, t. II p. 301.
2 Charles-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, de la conquête arabe { 1830,
Paris, Payot, 1978, t. II p. 279.
3 Le général E. Daumas et A. de Chancel, Le grand désert du Sahara au pays des
Nègres, Paris, Michel Lévy, libraires-éditeurs, 1856.
4 Aujourd’hui orthographiée Katsina.
5 De Kachena.
6 Mohammed Omar, calife responsable de la région vis-vis du sultan.
7 Aujourd’hui, la région située entre Gusau et Kano au Nigeria.
8 Aujourd’hui, la région de Zinder au Niger.
9 Membres des tribus Makhzen traditionnellement chargés de la police et de prélever
les impôts.
10 Un goum est une troupe de cavaliers.
11 Ethnie noire animiste.
12 Il faut prendre cette expression comme une simple figure de style afin d’introduire
le tarif des différents types d’esclaves.
13 Coquillages du Niger servant de monnaie.
14 Maladie tropicale.
[18]
15 La viande hallal.
16 A cette époque on appelait Soudan tout le sud du Sahara.
17 Hadith.
18 Les citations du Coran sont tirées de la traduction de Denise Masson publiée dans
la Pléiade.
http://www.libertyvox.com/article.php?id=149
[19]
Esclaves en terre d'islam
Frédéric Valloire, le 21-03-2008
Ils furent deux fois plus nombreux que les esclaves des traites atlantiques. Ils
venaient surtout d’Europe et d’Afrique. L’émancipation de l’esclavage aura pris un
siècle et demi. Elle n’est pas achevée.
Etonnant retour des choses : l’esclavage, la traite négrière ne concernaient jusqu’alors
que l’Occident et ses repentances. On avait négligé, sciemment ou pas, l’esclavage en
terre d’Islam. C’est aujourd’hui un phénomène de librairie. Non pour disculper les activi-
tés européennes, mais pour explorer un champ historique sous-estimé. Il y a quinze ans,
le grand islamologue Bernard Lewis notait « qu’en terre d’islam, l’esclavage reste un sujet
à la fois obscur et hypersensible ».Des pionniers l’avaient défriché : Jacques Heers, dans
les Négriers en terres d’islam,Olivier Pétré- Grenouilleau avec Traites négrières,qui envi-
sageait pour la première fois le phénomène dans sa globalité, Robert C.Davies, avec Es-
claves chrétiens,Maîtres musulmans, qui étudiait le trafic d’esclaves blancs en Méditerra-
née : 1,25 millions d’Européens de l’Ouest asservis du Maroc à la Libye de 1530 à 1780 !
La nouveauté vient désormais des auteurs et de l’articulation entre religion et esclavage.
Les auteurs ? Ils sont marocains comme Mohamed Ennaji, professeur { l’université
Mohamed-V de Rabat, d’origine sénégalaise comme Tidiane N’Diaye,anthropologue et
cadre { l’Insee, ou né { Skikda comme Malek Chebel anthropologue franco-algérien.
L’articulation entre religion et esclavage ? C’est ce qu’examinent Guillaume Hervieux et
Malek Chebel. Cette articulation constitue un fait nouveau. Avant le christianisme et
l’islam, la séparation entre le maître et l’esclave se fonde sur un critère juridique : le
premier est libre, le second (quelle que soit son origine) est privé de liberté, d’identité,
de famille, de cité et appartient à un individu ou à une collectivité.Personne ne songe à
supprimer l’esclavage, y compris les esclaves révoltés tel le fameux Spartacus.Mais que
se passe-t-il si celui qui est réduit en esclavage est de la même religion que son maître ?
La Bible ne le condamne pas ; le judaïsme antique ne l’abolit pas { l’exception de cer-
taines sectes, celle des thérapeutes, celle des esséniens, considérées comme des com-
munautés exotiques, en marge de la société normale. Cependant, la Bible formule une
distinction théorique entre l’esclave hébreu, qui ne peut être vendu { un peuple étran-
ger,qui ne peut demeurer plus de six années esclave (sauf s’il le demande et dans ce cas
on lui perce l’oreille) et que l’on ne peut ni séparer des siens ni brutaliser, et l’esclave
non juif, provenant des peuples qui entourent Israël, esclave à vie, soumis à la loi mo-
saïque (il ne peut être tué ou estropié) et qui bénéficie du repos du septième jour.
Deux originalités dans le monde antique : l’esclave fugitif n’est pas livré { son maître,
mais habite chez celui qui le recueille ; l’argent public, même destiné { la construction
d’une synagogue, peut être utilisé pour racheter des captifs juifs. Des rachats qui
s’intensifient aux Xe et XIe siècles { la suite de la piraterie mauresque en Méditerranée
orientale. Au point de devenir un devoir religieux majeur au XIIe siècle. C’est que, paral-
lèlement { l’esclavage qui existe { cette époque dans les pays européens chrétiens, mal-
gré le Nouveau Testament où Paul abolit implicitement la séparation entre hommes
libres et esclaves, une nouvelle forme d’esclavage { grande échelle est apparue, celle que
pratiquent les pays convertis par les cavaliers de l’islam.
L’univers dans lequel le texte coranique est élaboré entre le VIIe et le Xe siècle est un
monde où l’esclavage paraît un état normal,héritier direct des civilisations antiques :
[20]
Mahomet luimême a des esclaves.Que le Coran pérennise cet usage traditionnel ne peut
surprendre. Comme cela existait dans la tradition stoïcienne, puis chrétienne, il associe
métaphoriquement l’esclavage { la situation de l’homme vis-à-vis de son Créateur ou à
sa dépendance physique et morale aux plaisirs. Mais le Coran définit également dans 29
versets un statut juridique et social de l’esclave. Comme il s’inscrit dans l’ordre du
monde tel que l’a voulu Dieu, cette distinction entre les êtres humains ne peut être ni
condamnée, ni critiquée.
Un musulman libre ne peut être réduit en esclavage, aurait édicté le deuxième calife,
Omar, sous son califat (634-644). Cela encourage très vite les musulmans à
s’approvisionner en esclaves : la traite des esclaves noirs connaît son premier grand dé-
veloppement avec la conquête arabe de la Méditerranée. Dès le VIIe siècle, on signale
une révolte des Zanjs, des esclaves noirs capturés sur les côtes de l’Afrique de l’Est qui
travaillent dans de vastes domaines du sud de l’Irak. Au XVIe siècle, les corsaires barba-
resques enlèvent plus de chrétiens en un seul raid sur les côtes de Sicile, des Baléares ou
de Valence qu’il n’y avait d’Africains déportés chaque année dans la traite transatlan-
tique, relative- ment peu importante il est vrai. Et jusqu’au XIXe siècle, l’esclavage reste
l’une des bases essentielles du pouvoir de l’Empire ottoman : les esclaves du sultan for-
ment l’armature de l’administration et de l’armée.
Si un esclave se trouve être musulman, il l’est soit parce qu’il s’est converti { l’islam,
soit parce qu’il est né esclave. Avantage : l’esclave musulman est supérieur { l’esclave
non musulman. Il peut en effet être associé à la prière collective et même la diriger, se
marier à des musulmans de condition libre ou servile. De plus, il est interdit de le vendre
à des non-musulmans. Dans tous les cas, le Coran recommande au maître de bien le trai-
ter et de pourvoir à son entretien.
L’esclave ne possède aucun bien, sauf un pécule et son maître exerce une tutelle sur
toutes ses activités. Sur le plan pénal, l’esclave est traité comme un individu de rang in-
férieur dont le témoignage n’a aucune valeur face { celui d’un homme libre. Et un mu-
sulman ne peut être condamné { mort s’il a tué un esclave. Autrement dit, le prix du sang
n’est pas le même. Enfin, un enfant issu d’une esclave, concubine légale d’un musulman,
naît libre. En théorie, ces dispositions sont relativement favorables { l’esclave, surtout si
ce dernier est musulman. Mais jamais le Coran n’émet une condamnation de l’esclavage.
Au contraire, des hadiths, le fikh (le droit musulman) et la charia (la loi de dieu) complè-
tent et affinent ces dispositions.
Les conditions de vie de l’esclave sont des plus contrastées. Selon sa couleur, sa beau-
té, son âge, sa condition sociale, ses capacités, sa religion, l’époque, le pays et le lieu où il
sert, son sort varie du tout au tout. Récupéré aux marges de l’Empire, il est vendu aux
enchères. C’est entre les mains et sous le fouet des chasseurs et des marchands
d’esclaves que ces pauvres gens souffraient le plus. Les femmes (les Circassiennes sont
très appréciées pour leur beauté) et les enfants servent comme domestiques ou concu-
bines dans les cours de Cordoue, de Constantinople ou de Bagdad. Les hommes devien-
nent soldats, artisans, galériens, fonctionnaires, chambellans ou sont parqués dans des
bagnes abominables si leurs ravisseurs pensent qu’ils en obtiendront une rançon. Seule
civilisation à avoir systématiquement prélevé des enfants pour en faire des mercenaires,
les janissaires, l’Empire turc confie des armées et des provinces { des esclaves militaires,
les mamelouks, qui restent néanmoins une exception.
La traite islamique aura duré treize siècles
[21]
Entre le VIIe siècle et les années 1920, plus de 21 millions de personnes auraient été
victimes de la traite d’esclaves en pays d’islam. Les Turcs prélevèrent environ 4 millions
d’esclaves en Europe, tandis que la seule Afrique noire se vit ponctionnée de près de 17
millions d’habitants, soit beaucoup plus que l’ensemble des traites atlantiques (11 mil-
lions). Si la traite commença au VIIe siècle dans sa partie orientale, elle connut son apo-
gée au XIXe siècle, avec pour l’Afrique noire continentale des estimations comprises
entre 4,5 et 6,2 millions de personnes. Cette importance prise par l’Afrique noire résulte
en partie de la conquête par la Russie de la Crimée et du Caucase, qui ferme au monde
musulman de vastes régions où depuis des siècles il se procurait des captifs.
S’ajoutent { cela l’amélioration des moyens de transport, la désertification du Sahara
qui poussent les nomades à intervenir dans les affaires des paysans noirs, la demande
des Indes et l’essor du coton en Égypte. Ce qui est remarquable, malgré les différences
régionales, c’est la régularité des prélèvements. En outre, alors qu’au Brésil, aux États-
Unis ou dans les Antilles, vivent des descendants d’esclaves, dans les pays musulmans,
ces descendants sont rares, en particulier pour ceux dont les ancêtres avaient la peau
noire, remarque Tidiane N’Diaye. Castrés, eunuques, ils ne pouvaient procréer.Un géno-
cide, donc.
Mais, et c’est ce que montre Mohamed Ennaji, l’esclavage n’est pas que l’héritier d’un
monde antérieur. Il imprègne toute la mentalité de l’État musulman, la conception d’un
pouvoir présenté comme une image de la relation entre le maître et l’esclave. « L’histoire
du monde arabe, écrit-il, est prisonnière du discours religieux et de ses représentations. »
Est-ce la raison fondamentale qui expliquerait la lenteur de l’émancipation ? Amorcée en
1846 avec la Tunisie, elle s’achève en 1981 lorsque la Mauritanie promulgue l’abolition
officielle de l’esclavage : un siècle et demi plus tard ! Et Malek Chebel affirme que trois
millions d’esclaves vivraient encore en terre islamique…
À lire
L'Esclavage en terre d'islam, de Malek Chebel,
Fayard, 506 pages, 24 Euros.
http://www.valeursactuelles.com/public/valeurs-
actuelles/html/fr/articles.php?article_id=2127
[22]
L’esclavage en terre d’Islam :
un musulman libéral secoue le tabou
Louis-Bernard Robitaille
jeudi 22 novembre 2007.
C’était en 2004 : l’universitaire Olivier Pétré-
Grenouilleau, dans un gros livre savant, expliquait
que l’esclavage n’avait pas été une exclusivité oc-
cidentale.
Et qu’on retrouvait des « traites négrières »
comparables ou même plus importantes dans
l’histoire de l’Afrique ou du monde arabe.
Quelques jours après la sortie du livre, le dis-
cret universitaire avait reçu des menaces de mort -
prises au sérieux par la police - et préféré ne plus
paraître en public.
C’est donc sur un terrain miné que l’essayiste franco-algérien Malek Chebel
s’aventure ces jours-ci avec un ouvrage sur « l’esclavage en terre d’Islam ».
« Un dossier délicat, admet-il avec un fatalisme tranquille lorsque je le rencontre dans
le quartier de la Bastille. C’est pourquoi j’attends un peu avant de donner des confé-
rences à Paris. Mais à la différence de Pétré-Grenouilleau ou d’autres, c’est de l’intérieur
que je critique les dérives de l’islam, les extrémismes et les sectarismes. »
Auteur prolifique depuis 25 ans, Malek Chebel se veut à la fois un musulman irrépro-
chable, fin connaisseur du Coran, et un libéral sans concession, partisan de la laïcité et
hostile au porte du voile. Un adversaire résolu de « l’Islam politique » et de ses préten-
tions à « régenter la société ».
Avec cette nuance : « Contrairement { d’autres, j’ai le souci d’être audible et donc
d’éviter les provocations inutiles : je prends donc soin de n’insulter personne. » Dans
l’affaire des caricatures de Mahomet, il a surtout essayé de « calmer le jeu ».
Mais cette fois, c’est le sujet lui-même qui est tabou. Et Malek Chebel, après avoir
pendant trois ans fouillé dans les textes et enquêté dans une quinzaine de pays, dresse
un constat sévère.
L’esclavage dans le monde musulman, trois fois plus étalé dans le temps qu’en Occi-
dent, a aussi touché deux fois plus d’individus, même si les formes de la servitude étaient
parfois plus « humaines ».
« Cet esclavage a touché plus de 20 millions de personnes sur 10 siècles, explique
Chebel. Il a duré officiellement jusque dans les premières décennies du XXe siècle, une
soixantaine d’années après son abolition en Occident. Jamais aucun responsable reli-
gieux musulman ne s’est prononcé pour son abolition.
« Un esclavage discret et { peine atténué se perpétue aujourd’hui, en Arabie Saoudite,
par exemple. Au Niger ou au Mali, vous pouvez acheter - à lunité - un enfant de 10 ans
dont vous ferez ce que vous voudrez.
[23]
Alors que les autorités religieuses en Occident ont fini par basculer dans le camp des
abolitionnistes au XIXe siècle et aujourd’hui encore battent leur coulpe pour les crimes
passés, je n’entends aucun prédicateur d’Al-Jazira condamner ces pratiques. »
Au hasard de ses déambulations et recherches, l’auteur découvre des choses éton-
nantes : une loi sur l’affranchissement des esclaves en Mauritanie datant de 2003 ! Des
zones de non-droit absolu en Arabie Saoudite et dans certains pays du Golfe. Trois codes
de l’esclavage en pays musulmans datant du XIXe siècle. Mais aussi, dans l’histoire de la
Turquie et de l’Égypte, d’étonnantes pratiques permettant { des esclaves affranchis
d’occuper de hautes fonctions dans l’État (en Turquie), ou de former une nouvelle caste
privilégiée, tels les Mamelouks en Égypte).
« Ce qui me révolte au-del{ de tout, dit Malek Chebel, c’est que, plus ou moins explici-
tement, on invoque l’islam pour justifier l’asservissement, l’inégalité foncière entre hu-
mains, les rapports de maître { serviteur. Ce que j’appelle la politique du baisemain.
Or, sur les seuls 25 versets du Coran qui évoquent le sujet, presque tous penchent du
côté de l’affranchissement. Strictement rien dans les textes ne justifie le système escla-
vagiste. Mais c’est ainsi : sous diverses formes, une coterie religieuse vénale, aux ordres
des dictatures, conserve une emprise totale sur l’islam et son interprétation. Il y a 30 ou
40 ans encore, l’Islam des Lumières auquel je me réfère était en plein progrès, en Égypte
notamment, et la démocratie était en vue.
Aujourd’hui, on est en pleine régression : si l’on faisait aujourd’hui des élections libres
dans le monde arabo-musulman, les islamistes l’emporteraient presque partout. Cela dit,
je ne crois pas que ce soit irréversible : l’Égypte pourrait redevenir une terre des Lu-
mières. Et il y a des frissonnements démocratiques au Maghreb ou ailleurs. »
Pour certains esprits critiques, Malek Chebel, auteur médiatique et parfois un peu
trop habile, est moins contestataire qu’il ne le prétend. Reste que le seul fait de soulever
une question aussi taboue et de dénoncer la collusion entre le haut clergé musulman et
les régimes dictatoriaux demande un certain courage.
La France est aujourd’hui de loin le premier pays islamique d’Europe, avec cinq mil-
lions de musulmans. Avec des organisations intégristes extrêmement puissantes et
structurées.
« Si jamais on lançait une fatwa contre moi, je m’empresserais d’aller { la télé et de
leur dire : vous m’avez condamné { mort, mais vous n’êtes que des voyous, des criminels
passibles du tribunal de La Haye. Vous n’êtes pas des musulmans mais des assassins,
vous pouvez m’envoyer 10 commandos de tueurs si vous voulez, mais je ne me cacherai
pas ! »
Et Malek Chebel ajoute : « Ces gens ont peut-être des tueurs à leur service, mais moi je
crois qu’en utilisant les armes de la communication, on peut les faire reculer. »
L’esclavage en terre d’Islam, 498 pages, Ed. Fayard
Malek Chebel a écrit une vingtaine d’ouvrages, dont Le Dictionnaire amoureux de
l’Islam et Manifeste pour un Islam des Lumières en 2004.
[24]
ISLAM ET ESCLAVAGE
mercredi 7 mai 2008 à 08:00 ::
L'affranchissement est recommandé au croyant dont il favorise l'accès au Paradis. Le pro-
phète Mohammed n'avait-il pas donné l'exemple en la matière ?
«Le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative personnelle du
maître. Cette ambiguïté est constitutive de l'approche coranique : encourager ceux qui font le
bien, mais ne pas alourdir la peine de ceux qui ne font rien», écrit Malek Chebel. «Plusieurs
versets entérinent au demeurant l'infériorité de l'esclave par rapport à son maître».
JEUNE Afrique DU 18 AU 24 NOVEMBRE 2007 N°2445
DOMINIQUE MATAILLET
TABOU, Au terme d'une longue enquête qui l'a mené de Nouakchott Brunei, Malek CHE-
BEL dresse un constat accablant : l'esclavage a été et reste un fait musulman
Le mot le plus courant, en arabe, pour désigner l'esclave est 'abd, duquel dérivent des
termes comme 'ubudiyya (« esclavage »).D'autres vocables sont encore utilisés, tels que raqîq
(« mis en servitude »), jâriya (« esclave femme »), ghulîm (« esclave homme »).Et ce n'est pas
tout. Au Proche-Orient, zandj (probablement de Zanzibar) et aswad désignent l'esclave noir,
alors que mamlûk (littéralement « possédé ») s'applique à une catégorie particulière, la caste
militaire servile.
Ce n'est donc pas le vocabulaire qui manque en terre d'Islam pour parler de l'esclavage.
Cette richesse sémantique tranche toutefois avec le mutisme qui entoure le phénomène. Un
mutisme d'autant plus choquant, aux yeux de Malek CHEBEL, que l'esclavage a pris des di-
mensions considérables tout au long de l'histoire de cette région du monde et qu'il reste à bien
des égards très présent dans le quotidien de centaines de millions de gens.
C'est pour briser ce silence assourdissant que l'anthropologue algérien, bien connu des lec-
teurs de Jeune Afrique pour ses nombreux ouvrages autour de l'islam, s'est livré à une longue
enquête. Fruit d'innombrables lectures, son pavé de 500 pages est aussi et surtout le compte
rendu d'un voyage de plusieurs mois qui l'a conduit des rives de l'Atlantique au fin fond du
Sud-Est asiatique en passant par les pays du Golfe, l'Asie mineure, l'Afrique saharienne.
Le constat final est accablant : « À Brunei, au Yémen, dans les pays du Sahel, chez les
Touaregs, en Libye, dans le Sahel tunisien, en Égypte, en Arabie, en Mésopotamie, au Soudan
ou à Djibouti, il n'est pas un lieu gagné par l'islam où ne se soit jamais pratiqué le commerce
d'esclaves
Encore convient-il d'établir des distinctions entre pays et de relever les caractéristiques
propres des différentes contrées concernées. La Libye et l'Algérie, par exemple, débouchés
naturel des routes commerciales transsahariennes, ont surtout servi de voies de transit. Des
pays tels q l'Égypte ou l'Arabie saoudite actuelles étaient, eux, de gros consommateurs, osera-
t-on dire. Idem pour la Turquie. Les Européens ont fantasmé sur les odalisques des harems
d'Istanbul, sujet de prédilection pour les peintres orientalistes, et se sont extasiés sur les ex-
[25]
ploits militaires des janissaires de l'Empire ottoman. Faut il rappeler que les premières comme
les seconds étaient des captifs?
En Afrique, on le sait, c'est à la lisière du monde
noir que l‘esclavage prit les plus grandes proportions.
Au Maroc où la composante négroïde de la population
saute aux yeux du voyageur les traces sont manifestes.
Que sont les musiciens gnaouas sinon les descendants
des Noirs importés » de la zone soudanienne au temps
où le Maroc était une grande puissance régionale? Et
puis, il y a le cas de la Mauritanie, où, malgré les dé-
mentis, l'esclavage reste une réalité manifeste. La
preuve en est que le Parlement a voté à plusieurs re-
prises des textes l'interdisant. Malek Chebel rappelle
un indice qui ne trompe pas: de nombreuses associa-
tions d'affranchis tentent de se constituer en force poli-
tique. « En attendant, commente l'auteur, chaque foyer
de Beidane ("Blancs") entretient des harratine noirs,
fils d'anciens esclaves auxquels il donne le nom de
"serviteurs", un peu comme on faisait naguère à la
Barbade, où l'on gratifiait pudiquement du nom d'apprentis" les esclaves fraîchement libérés
de leurs chaînes. »
Ainsi donc, une bonne part de la main-d'oeuvre servile utilisée dans le monde arabe venait
d'Afrique subsaharienne - en Tunisie, le même mot, abîd, désigne indistinctement l'esclave et
le Noir... - et tout particulièrement du Sahel, de l'Éthiopie ainsi que de la côte orientale du
continent. Mais les Balkans et les steppes de l'Asie centrale furent également d'importants
bassins pourvoyeurs.
Combien furent-ils? Dans le cas de la traite occidentale, les éléments de chiffrage existent:
les négriers tenaient des journaux de bord dans lesquels était reporté le détail de leur com-
merce honteux. Rien de tel avec la traite orientale. Confrontant les diverses sources, Malek
Chebel estime à plus de 20 millions le « volume total de l'esclavage en terres arabes et mu-
sulmanes ». Ce nombre englobe aussi bien les captifs de guerre slaves, les concubines et les
domestiques circassiennes, que les domestiques noirs achetés à des négriers ou razziés dans
les villages du Sahel, les marins chrétiens capturés par les corsaires barbaresques en Méditer-
ranée. Les négriers arabes auraient donc fait « mieux » que leurs homologues européens. Les
uns ont, il est vrai, sévi pendant quatorze siècles, contre moins de quatre pour les autres.
Faut-il chercher dans le Coran la cause du mal? Le Livre, certes, accepte que la condition
de sujétion des esclaves par rapport aux maîtres soit maintenue en l'état. Car l'islam est né
dans une région du monde où l'esclavage était quasiment un mode de production. Mais il tente
d'en limiter les abus;'tout comme il apporte un progrès incontestable à la situation des femmes
(notamment en limitant à quatre le nombre des épouses autorisé).
Par ailleurs, l'affranchissement est recommandé au croyant dont il favorise l'accès au Para-
dis. Le prophète Mohammed n'avait-il pas donné l'exemple en la matière?
Vivement encouragé en théorie, l'affranchissement n'a, hélas, guère été suivi en pratique.
De siècle en siècle, l'esclavage est devenu un fait musulman, s'inscrivant profondément dans
les habitudes. Pourtant, c'est un sujet dont on ne parle pas. En dehors de l'Égyptien Mohamed
Abdou, du Syrien Rachid Ridha, de l'Iranien Mirza Ah Mohamed, fondateur, au XIXe siècle,
du bâbisme, qui a fermement condamné cette pratique, la plupart des réformateurs sont restés
étonnamment discrets sur la question.
[26]
Et que dire des islamologues ! Louis MASSIGNON, Vincent MONTEIL ou Jacques
BERQUE disposaient des informations qui leur auraient permis, en plein XXe siècle, de tirer
la sonnette d'alarme. Peut-être ont-ils préféré, écrit Malek CHEBEL, « la hauteur mystique
des grands penseurs, des philosophes et des théosophes de l'islam aux réalités scabreuses des
marchands de chair humaine ». Ils savaient, mais leur empathie pour l'islam les inclinait à
trouver à cette religion et aux hommes qui s'en réclament des excuses qui ne sont en rien justi-
fiées.
Quand bien même la réalité de l'esclavage arabe est reconnue, c'est souvent pour en atté-
nuer la rudesse : il n'aurait pas abouti à la dépersonnalisation de l'esclave, comme cela a été le
cas avec le commerce triangulaire Afrique-Amérique-Europe, affirme-t-on. Comme s'il pou-
vait y avoir une graduation dans l'infamie...
Mais le pire est peut-être dans l'impact que l'esclavage a eu sur les mœurs politiques du
monde arabe. Dans un livre tout récent*, l'universitaire marocain Mohammed ENNAJI ex-
plique en quoi il a fondé le rapport au pouvoir et donc l'absolutisme qui est encore souvent la
règle dans cette partie du monde.
Une fois le livre de Malek CHEBEL - dont, curieusement, les médias ont peu parlé - fer-
mé, on ne voit plus la civilisation islamique de la même façon. Comme l'auteur lui-même, qui,
pour, cette étude a dû « parcourir au moins 120000 kilomètres » pour en arriver à cette terrible
conclusion: « L'islam dit l'inverse de ce que les musulmans pratiquent, et c'est une énigme en
soi. La duplicité humaine qui consiste à transformer un message d'émancipation en goulag
humain fait partie intégrante de ce paradoxe. » ∎
 Le Sujet et le Mamelouk. Esclavage, pouvoir et religion dans le monde
arabe, éd. Mille et une nuits, 368 pages, 16 euros.
Malek Chebel : « j'ai voulu briser le silence» Propos recueillis par Dominique MATAIL-
LET
JEUNE AFRIQUE : Pourquoi ce livre, et pourquoi maintenant?
MALEK CHEBEL : C'est une question qui me tenait à cœur depuis longtemps. Pour
écrire mes livres, je constitue des dossiers richement documentés. La prise de conscience,
tardive, hélas, du phénomène de l'esclavage dans le monde islamique m'a laissé penser que
l'opinion était assez bien préparée. Compte tenu de la surface que j'ai acquise dans le domaine
des études sur l'islam, je me suis dit: c'est un discours qui peut passer maintenant.
Est-ce que ce discours passe effectivement? Il semble qu'il crée beaucoup de gêne.
[27]
S'il dérange, c'est que je touche quelque chose de fondamental et de vrai. C'est qu'il y a en-
core des esclaves. Tant mieux donc si mon livre gêne, car j'ai voulu briser l'opacité qui en-
toure cette question de l'esclavage.
Avez-vous eu vent de réactions hostiles?
Il y a eu un mouvement dans les chancelleries arabes, qui a été vite éteint. Ils ont compris
que, médiatiquement parlant, cela aurait été très mauvais pour eux d'enclencher une offensive.
Les médias vous suivent-ils ?
Je constate une gêne, une retenue de leur part, ici, en France. Les journalistes sont circons-
pects. Ils ne savent pas comment prendre l'information.
Au Maghreb, mis à part un papier, en août, donc avant la sortie du livre, dans Le Quotidien
d'Oran, c'est motus et bouche cousue. Même au Maroc, d'habitude plus ouvert, aucun écho
dans les médias non plus. En clair, il y a un blocage maghrébin.
Dans quels pays l'esclavage a-t-il gardé le plus de réalité ?
L'esclavage est encore sensible en Mauritanie. Mais l'État fait des efforts assez importants
pour se débarrasser de cet héritage scandaleux. Le phénomène des petites bonnes au Maroc
est aussi à prendre en considération. Un secrétariat d'État a d'ailleurs été créé pour recenser les
jeunes filles et leur donner un statut. Il y a évidemment tout un esclavage invisible dans les
monarchies et les sultanats du Golfe. À quoi s'ajoute, dans les mêmes pays, un nouvel escla-
vage économique. Dans l'Afrique moyenne, au Mali, au Tchad et ailleurs, subsistent de mul-
tiples formes d'esclavage, liées cette fois à la pauvreté. On ,m,',a parlé de vente d'enfants ici
ou là. Il faut mentionner également les intouchables en Inde.
Vous décrivez la société touarègue comme l'une des pires sociétés esclavagistes...
Les rapports esclavagistes ont été à peu près maintenus. Il y a, bien sûr, eu une atténuation
avec l'apparition des États-nations dans les ` cinq pays africains où vivent les Touaregs.
'L'existence d'une police nationale, d'une justice relativement distincte des ethnies et des oli-
garchies est un progrès incontestable. Mais, sous cape, les aristocrates touaregs sont toujours
des aristocrates et les esclaves, les harratine, sont toujours leurs serviteurs.
Pourquoi les mentalités évoluent-elles si lentement?
Parce que tout le monde, à commencer par les élites religieuses, se tait. Quand on pose la
question, on dit qu'il y a bien d'autres problèmes tels que la pauvreté, les maladies. Moi, je
dis: sur le plan moral, ce n'est pas acceptable en 2007 qu'il y ait encore des esclaves.
[28]
Comment expliquer ce silence dans le monde arabo-musulman?
Pour beaucoup de gens, l'esclavage, ça n'existe pas. Même quand tu dis à un esclavagiste:
« Tu as des esclaves. » Il te répond: « Mais non, ce sont mes enfants adoptifs. Je les aime
comme mes fils. »
On dit aussi que l'esclavage dans le monde arabe n'a rien à voir avec l'esclavage occiden-
tal...
C'est vrai que la traite négrière occidentale était strictement économique, puisqu'elle con-
sistait à transporter des Africains dans les plantations en Amérique, alors que l'esclavage
oriental était plus diversifié. Les captifs étaient utilisés dans l'agriculture, mais aussi comme
soldats ou pour servir dans les palais.
Si la traite occidentale a duré moins de quatre siècles, la traite orientale s'est étalée sur qua-
torze siècles, puisque j'en situe les débuts avec la naissance de l'islam. Le fait que le phéno-
mène soit dilué dans le temps et qu'il n'y ait pas eu de bateau négrier donne le sentiment que
c'est différent. Le volume total de l'esclavage dans le monde arabo-islamique atteint pourtant,
selon les estimations les plus sérieuses, les 20 millions, soit plus que le nombre d'Africains
déportés dans les Amériques. Alors, pour moi, aujourd'hui, c'est pareil.
http://blog.francetv.fr/Faawru/index.php/2008/05/07/71997-islam-et-esclavage
[29]
Esclaves noirs en Méditerranée
Jean-Michel Deveau
Plan
I - Qui sont ces esclaves ?
II - Zones de capture et itinéraires de traite
III - Fluctuations du système et incertitude des nombres
Conclusion
1 Dans le cadre d’une rencontre consacrée { l’étude de l’esclavage en Méditerranée, il
était difficile de laisser sous silence une des pages les plus méconnues, mais peut aussi
l’une des plus importantes qui a affecté les relations entre les rives de cette mer et
l’Afrique sahélienne. On reste sur les retranchements d’un tabou pour une histoire qui
débute avec la conquête arabe et ne s’achève officiellement que dans un tardif
XIXe siècle.
2 Il n’est pas question dans ce bref article d’innover sur la base de nouvelles re-
cherches en archives, mais simplement de dresser un bilan historiographique.
L’impulsion donnée depuis une dizaine d’année par l’UNESCO aux recherches sur
l’esclavage s’est heurtée { une fin de non recevoir pour ce qui concernait ce sujet. Aussi
n’en trouve-t-on que des bribes éparses dans une somme de publications dont cette
communication tente de reprendre l’essentiel.
3 La présence d’esclaves noirs est attestée dès la plus haute antiquité sur les rives de
la Méditerranée, et lorsque s’achève l’époque moderne ils sont encore légions sur
l’ensemble des rivages du monde musulman. Or cette constante de l’histoire méditerra-
néenne n’a laissé que des traces aussi ténues qu’éparses dans les sources, d’où la diffi-
culté de cerner avec précision son ampleur et les mécanismes de son fonctionnement.
4 Paradoxalement les sources médiévales sont beaucoup plus abondantes, surtout
grâce aux chroniques des empires du Mali, édifiés sur le bassin du Niger à partir de la
pénétration musulmane au sud du Sahara. Le Tarikh el-Fettach et le Tarikh el-Soudan,
en particulier, renseignent abondamment sur les captures, sur les ventes et sur la traite
transsaharienne à partir de Djenné ou de Tombouctou1. Cependant l’historiographie
semble encore balbutier dans une enfance très ignorante de l’arabe et du turc, car,
semble-t-il, de nombreux manuscrits dorment encore dans les archives des pays qui ont
relevé de la mouvance de l’ancien empire turc.
5 Il semble également qu’un certain tabou relatif { ce sujet n’encourage pas particu-
lièrement les recherches. Cependant quelques auteurs commencent { s’y aventurer
certes avec prudence, mais aussi avec une liberté d’esprit qui ne peut qu’encourager les
nouvelles générations d’historiens2. En revanche si les sources occidentales ont été
beaucoup plus sollicitées, les chercheurs ont plutôt centré leur problématique générale
de l’esclavage dans le monde méditerranéen, ne travaillant que par incidence sur la spé-
cificité sub-saharienne.
6 Pendant longtemps on a évacué le problème en considérant qu’{ partir du
XVIe siècle, la traite atlantique avait tari le flux médiéval transsaharien. Cette thèse, pré-
sentée comme un axiome, arrangeait l’école historique de tendance tiers-mondiste qui la
répétait { longueur d’ouvrages sans se poser plus de problème sur cette vision des
[30]
choses érigée en dogme. Il est donc intéressant de s’interroger sur la réalité de la pré-
sence de ces Noirs qui s’inscrit en continu sur les rivages méditerranéens depuis la fin
du XVe siècle, alors que les caravelles d’Henri le navigateur débarquèrent leurs pre-
mières victimes sur les marchés du Portugal, jusqu’au XIXe siècle marqué par l’abolition
de la traite en 1815.
7 Là encore, sans preuve scientifique, on a longtemps admis que cette abolition avait
réactivé les courants caravaniers de la traite transsaharienne. Mais c’est entrer dans une
nouvelle problématique qui dépasse les limites chronologiques de cette étude centrée
sur la période moderne.
I - Qui sont ces esclaves ?
8 L’image d’Epinal traditionnelle a popularisé l’esclave domestique jusqu’{ faire de
l’odalisque un archétype de la peinture orientaliste des XVIIIe et XIXe siècles. Elle donne
au tableau la tache sombre qui rehausse le chatoiement lumineux où se prélassent des
Blanches aux lignes opulentes. Deux siècles plus tôt c’étaient des hommes qui jouaient ce
rôle. Les traits franchement négroïdes du visage surmontaient la livrée princière de leur
maître qu’ils servaient { table ou aidaient dans une scène diplomatique ou militaire.
9 Ces visions un peu réductrices par la seule représentation domestique n’en figu-
raient pas moins une réalité largement répandue. En Méditerranée musulmane, l’esclave
est d’abord un domestique, sans que l’on puisse actuellement avancer aucune statistique
sur son importance relative. Domesticité semble-t-il nombreuse dans les familles riches
puisqu’il est de coutume d’offrir une esclave noire en cadeau de noces { Fès au XVe siècle.
10 Selon Haëdo deux siècles plus tard, à Alger :
« les principales dames qui sortent, mènent avec elles autant de négresses (elles en
ont plusieurs qui valent de 25 à 30 écus chacune) que de blanches chrétiennes dont elles
ont aussi beaucoup(…). Il y en a qui ont une escorte de quatre, de six et même de dix es-
claves3 ».
11 Selon la tradition, toutes ces esclaves auraient été traitées avec la plus grande bon-
té, étant parfois même considérées comme membres de la famille, sortes de parents
pauvres accablés par le destin. Dans les villes, on leur enseignait l’arabe, et en général on
essayait de convertir les Noires { l’Islam. Conversions superficielles, impossibles { cata-
loguer dans le cadre d’une acculturation réussie.
12 A la première occasion le vernis islamique craquait, laissant place à un retour aux
coutumes sub-sahariennes, comme on pouvait le constater, par exemple { l’occasion des
mariages. En effet, avec le consentement de leur maître ces femmes pouvaient épouser
un esclave.
13 Plus au sud, dans le désert presque toutes les tribus nomades ont à leur service de
nombreuses femmes noires, toujours aussi bien traitées, dit-on. Certaines, après une
période de bons et loyaux services, retrouvaient la liberté au sein de la tribu avec les
mêmes droits que les autres membres.
14 Ce discours, repris dans la seule analyse herméneutique des textes sacrés, deman-
derait une étude de cas vécus, encore impossible à faire faute de sources en langue
arabe, si toutefois elles existent, car, pour l’instant, aucune n’a encore été mise { jour. En
revanche, les études de cas relatées par Claude Meillassous pour l’époque contempo-
[31]
raine, sur la base d’enquêtes orales laissent entrevoir une réalité beaucoup plus sordide
dans le monde des Touareg. Alors peut-on extrapoler dans le temps et dans l’espace ?4
15 Beaucoup de Noires furent enfermées comme concubines dans les maisonnées.
Elles avaient auprès des Arabes une réputation de beauté et de performances physiques
qui les faisaient rechercher quel qu’en fût le prix. Leur nombre reste tout aussi mysté-
rieux que le secret des harems, mais on peut l’estimer suffisamment important puis-
qu’elles ont réussi { métisser une bonne partie de la population sur un espace qui joint
la zone des oasis à la latitude de Warghla aux centres de redistribution comme Sidjil-
massa ou Fés.
16 Au chapitre de la domesticité, les eunuques noirs ont troublé l’imaginaire occiden-
tal, mais l’approche statistique reste aussi impressionniste que la précédente. Les Noirs
n’ont pas été les seuls mais ils semblent de loin les plus nombreux. En revanche, la réali-
té sociologique a pris un relief, certes poétique, mais probablement très voisine du vécu
avec la traduction des Mille et une Nuits par Galland { l’aube du XVIIIe siècle5.
17 Sans égard pour la misère de ces malheureux, on distinguait ceux qui avaient subi
l’ablation des seuls testicules et ceux dont on avait coupé la totalité des organes sexuels.
L’opération était pratiquée après la traversée du Sahara, très souvent en Egypte où les
moines coptes s’en étaient fait une spécialité. Seuls ceux de la deuxième catégorie
étaient commis à la garde des harems, car les autres conservaient une capacité
d’érection, qui selon la rumeur publique, les rendait encore plus désirables. La fidélité
des uns et des autres valait toutes les gardes prétoriennes. Sachant que le reste de la
société les rejetait sans appel, ils ne trouvaient de compensation affective que dans la
reconnaissance de leur maître. Un véritable transfert au sens freudien s’opérait qui n’a
pas encore été étudié par les psychanalystes.
18 Quoi qu’il en soit, l’eunuque était symbole de richesse puisqu’il valait plus du
double de l’esclave ordinaire. A partir du IXe siècle leur nombre se multiplie dans les pa-
lais princiers. Le calife Al-Muqtadir (908-932) en aurait possédé 11000 dont 7000 Noirs,
rapport numérique qui se passe de commentaire sur l’écrasante majorité des Africains.
La cour ottomane allait les chercher en Egypte. Certains ont rempli de très hautes fonc-
tions, et, à partir de 1582, les Noirs supplantent définitivement les eunuques blancs dans
la fonction publique. En Arabie, on en trouvait beaucoup employés sur les lieux saints où
certains ont réalisé d’énormes fortunes.
19 Pour être complet il faudrait ajouter ceux qui assuraient un simple service domes-
tique, ou ceux qui avaient des fonctions dans l’économie, ou dans l’armée comme nous
allons le voir.
20 Les gardes noires apparaissent dès le début de la conquête islamique en Tunisie et
en Egypte.
21 Dans ce dernier pays, elle comptera jusqu’{ 40 000 hommes { la fin du IXe siècle et
autant au début du XII°, et finira par jouer un rôle si important qu’on l’estimera dange-
reuse. A plusieurs reprises le pouvoir encouragea la foule à les massacrer. En 1169, lors
d’une dernière tentative de soulèvement, 5O OOO Noirs furent mis hors de combat, mais
l’alerte avait été si chaude que la garde fut définitivement supprimée, ce qui n’empêcha
pas de continuer à enrôler des Africains dans les autres corps de troupe.
22 Au Maroc, ce corps d’élite dura beaucoup plus longtemps. Mulay Isma’il (1672-
1727) organisa même non plus un corps de garde, mais une véritable armée noire. A
partir de 1672, les expéditions se multiplient vers le sud pour razzier les Noirs ou en
[32]
acheter sur les grands marchés du Soudan, à Djenné ou à Tombouctou. Très vite cette
armée devient si nombreuse que le sultan bâtit une ville pour la loger. Les soldats sont
encouragés à se marier et leurs enfants deviennent à leur tour soldats-esclaves. A 16 ans
ils achèvent leur formation et épousent une jeune négresse afin que leurs enfants les
remplacent un jour. Le système fonctionna si bien qu’un siècle plus tard ce corps était
devenu la première force de l’Etat et décidait du maintien ou de la chute du souverain et
de ses collaborateurs. Sadi Muammad, menacé d’une nouvelle révolte dissout définiti-
vement le corps et en dispersa les hommes sur l’ensemble du royaume.
23 Le système productif méditerranéen ne semble pas avoir retenu une foule
d’esclaves comme cela fut le cas dans la Caraïbe ou aux Etats-Unis par exemple. Seul
l’orient mésopotamien semble avoir utilisé le travail servile sur une échelle comparable
{ celle de l’Amérique. Les itinéraires de cette traite passaient par le Sahara et par les
berges méditerranéennes autant que par celles de la mer Rouge.
24 Les travaux d’Alexandre Popovic sur les grandes révoltes des VIIe et IXe siècles en
révèlent l’ampleur, mais rien de comparable n’a encore été entrepris pour l’époque mo-
derne en Méditerranée. On connaît cependant l’importance des plantations de canne {
sucre du Maroc dont l’essentiel de la main-d’œuvre provenait du sud du Sahara. L{ en-
core de sérieuses révoltes dans les années 1576-1598 ont dû ébranler le système, mais
on en ignore à peu près tout, aussi bien des conditions que du déroulement.
25 Hors de ce cas, semble-t-il marginal du Maroc, le travail des esclaves noirs relève
beaucoup plus du saupoudrage artisanal que de la concentration industrielle. Ce qui
n’exclut pas un total important d’hommes ou de femmes mis au service d’un superflu. Il
vaudrait donc mieux parler d’une société d’esclavage que d’une société esclavagiste.
II - Zones de capture et itinéraires de traite
26 Depuis que les musulmans ont investi la traite transsaharienne, deux grandes
zones d’approvisionnement divisent la région du Sahel.
27 - A l’est, sur une bande qui englobe l’actuel Soudan et les marges de l’Erythrée et
de l’Ethiopie, la tradition des razzias remontaient à une époque très ancienne. Les Pha-
raons souvent en guerre contre ces turbulents voisins leur imposaient déjà des tributs
en esclaves. Le traité de 651 av. JC les obligeait { en livrer 360 par an et précisait qu’ils
devaient tous être de magnifiques spécimens humains, en excellente forme, ni impu-
bères, ni trop vieux. A l’extrême est, la corne de l’Afrique alimentait un fort courant en
direction de l’Arabie et du Golfe Persique, comme nous l’avons vus pour une période
ultérieure au moment des révoltes de Basra.
28 - La seconde zone { l’ouest s’étend sur la vallée du Niger et pousse des extensions
en direction de la Sénégambie et du golfe de Guinée. Sur cette immense région à échelle
continentale, une continuité opiniâtre de rafles travers l’histoire du VIIe siècle jusqu’{ un
tardif XIXe dont on n’est pas certain qu’il ne se prolonge pas en plein XX°!
29 Restons sur la ligne de partage ethnique entre nomades et sédentaires, entre agri-
culteurs et éleveurs, entre Blancs et Noirs et l’ensemble des conflits et des stratégies
s’éclaire dans de savants équilibres où il s’agit d’exploiter l’autre jusqu’au point de rup-
ture qui risquerait de le faire disparaître. Franchir cette limite c’est tarir la source de
richesse, aussi, alternent guerres et longues périodes de collaborations favorables à tous
les métissages physiques et culturels. Les Tarikh en relatent les débuts, mais la plupart
[33]
échappent au scriptural et ne peut être relaté que dans une tradition orale en voie de
disparition.
30 Quoi qu’il en soit, demeure l’insoluble problème statistique, clef de l’évolution dé-
mographique de toute la région, et partant des possibilités de ponction. L’archéologie
devrait fournir de solides bases { partir de l’extension de la désertification due très sou-
vent aux variations climatiques facilement repérables, mais lorsque ce n’est pas le cas, il
s’agit de l’exode de populations qui n’en peuvent mais devant la tragédie des rafles. La
limite extrême est atteinte lorsque l’insécurité ne laisse plus la possibilité d’une produc-
tion agricole.
31 C’est ce que révèle le très beau travail conduit au Sénégal le long de la vallée du
fleuve par les chercheurs de l’IFAN. Mais tout reste { faire pour la vallée et le delta inté-
rieur du Niger. Il faut croire que les prédateurs ont ratissé avec l’efficacité maximale
puisque certains sont allés jusqu’au nord de l’actuel Ghana ou le long d’une ligne qui sert
aujourd’hui de frontière avec la Côte d’Ivoire. L{, subsiste la route dite des mosquées, le
long de laquelle les Musulmans venus du nord, convertissaient en même temps qu’ils
rassemblaient leurs caravanes d’esclaves destinées { Djénnée et { Tombouctou. Que l’on
réalise bien la distance de près de mille kilomètres avant d’atteindre cette dernière qui
n’était que le prélude { la traversée du Sahara.
32 La halte s’imposait plus ou moins longue sur ces marchés nigériens, point de rup-
ture des caravanes. Les esclaves y étaient vendus { d’autres marchands routiers du dé-
sert. Il fallait constituer de nouveaux convois, ce qui pouvait prendre plusieurs mois.
33 Ces énormes marchés avaient gonflé la population des cités devenues également
des centres majeurs de la culture musulmane. Autour des mosquées, de puissantes uni-
versités débattaient de la légitimité de l’esclavage. Hamed Baba enseignait à Tombouc-
tou que la servitude de l’incroyant ne posait aucun problème de conscience. Tout
l’argumentaire reposait sur les cas limites du captif de guerre converti au moment de sa
défaite et autres hypothèses formalistes où la science coranique s’épuisait en débats
aussi vains que ceux des scolastiques formalistes de nos universités médiévales. De tout
cela subsiste le sentiment d’une mauvaise conscience comparable { celle que connaîtra
l’Europe au XVIIIe siècle. L’Islam au reste n’apportant pas plus de solution humaniste que
la Chrétienté.
34 Retenons de tout cela que le trafic négrier pour susciter de tels débats n’avait rien
d’anecdotique, mais condamnait chaque année des milliers de victimes { franchir le dé-
sert.
35 La traversée suivait trois itinéraires principaux :
 1 - celui de l’ouest joignait le Niger et la Tripolitaine en passant par Tahert, Zawi-
la, le Fezzan et le Kanen. De Tripoli une partie des esclaves repartait à Alexandrie
et au Caire d’où ils étaient redistribués dans l’orient arabe et { l’est de la Méditer-
ranée. El Bekri en 1068 décrit ce flux traversant des marchés très actifs du Caire,
{ l’ombre de la grande mosquée où les esclaves s’échangeaient contre des étoffes
rouges, tandis qu’autour s’éployaient jardins irrigués et palmeraies surgies en
plein désert.
 2 - par Warghla Tadmekket on rejoignait Tunis ou Bougie. Axe qui semble avoir
été moins fréquenté que le précédent dont le succès était dû { l’importance de
Tripoli comme plaque tournante.
[34]
 3 - { l’est, le Maroc communiquait avec le Soudan par Ouadane. Les caravanes
traversaient Sidjilmassa avant de gagner Fès. A partir de 1591, cette route connut
un trafic intense avec la conquête de l’empire Songhay par les troupes maro-
caines qui occupèrent le pays jusqu’{ la fin du XVIIIe siècle. S’il s’agissait dans un
premier temps de contrôler le commerce du sel saharien, l’échange d’esclaves se
révéla très vite le meilleur moyen de paiement, ce qui explique l’abondance de
soldats africains dans l’armée marocaine.
36 Quel que fut l’itinéraire, les esclaves connurent l’un des pires martyr au cours de
ces traversées. Dans un mémoire daté de 1697, Petis de la Croix suit une caravane entre
Tripoli et Tombouctou. Traditionnellement en octobre, 400 à 4000 personnes selon les
années partent accompagnées de 3 à 4000 chameaux. Elles arrivent au Fezzan deux
mois plus tard, et il leur en faudra encore deux pour gagner le Bornou où elles séjourne-
ront six autres mois avant de rentrer à Tripoli au printemps suivant.
37 On retrouve les délais de la traite atlantique. La Croix note qu’au cours de ce retour
« il meurt beaucoup d’esclaves de misère et de manque d’eau ». Dans ces conditions il ne
faut pas s’étonner des énormes plus-values ; l’esclave acheté 8 piastres au Bornou est
revendu entre 40 et 60 piastres6. Petis ajoute que, tous les ans, d’autres caravanes plus
modestes, de 15 à 20 hommes partaient aussi de Tripoli.
38 Toujours au XVIIe siècle, chaque année, de Tunis partaient deux caravanes qui re-
venaient vendre les esclaves sur le marché de Souk al Barka construit à cet effet entre
1610 et 1637. Il est certain que l’investissement était encore rentable en dépit de la con-
currence de la traite atlantique.
III - Fluctuations du système et incertitude des nombres
39 Vaste problème que ce détournement du commerce transsaharien par la traite
atlantique. Sans s’appuyer sur d’autres sources que le bon sens, les historiens affirment
que la seconde a ruiné le premier, sans quoi l’Afrique n’aurait pas pu supporter une telle
ponction. Peut-être, au regard de certains indices faut-il nuancer ce propos.
40 Personne ne nie qu’au XVe siècle l’arrivée des Portugais sur les côtes occidentales
de l’Afrique brise en partie ces anciens réseaux. Le commerce des esclaves se détourne
massivement vers l’Atlantique sur les côtes de Sénégambie et sur celles du golfe de Gui-
née. Le choc fut assez rude pour que la guerre dite des Marabouts ensanglante le nord de
la Sénégambie entre 1637 et 1677.
41 Sous couvert de ramener les populations à une stricte orthodoxie religieuse Nassir
al Din déclencha un vaste mouvement anti-français. Il voulait en réalité les chasser de
Saint-Louis d’où ils drainaient un fort courant esclavagiste destiné aux Antilles. Le mot
d’ordre était clair : ne plus livrer un seul esclave. Ce fut un échec. Dans ses troupes les
Peuls, fervents islamistes, s’étaient engagés en masse. Après la défaite ils se retirèrent au
Fouta-Djallon où ils fondèrent un solide royaume, véritable plaque tournante de la traite.
Ce revirement s’explique aisément si l’on admet qu’ils maîtrisaient désormais les razzias
sur l’ensemble de la zone nigérienne dont ils divisaient les victimes entre les marchés de
Tombouctou et ceux du Galam destinés à Saint-Louis.
[35]
42 Par la suite il ne fut plus jamais question de conflit avec les Musulmans, le partage
assurait de nouveau le ravitaillement des caravanes transsahariennes. On peut même
supposer que les Européens qui déportaient en gros trois hommes pour une femme,
abandonnaient ces dernières aux Musulmans qui travaillaient dans la proportion in-
verse. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle demande réflexion.
43 Comme c’est toujours le cas dans cette histoire, on bute sur les données statis-
tiques qui nous donneraient la clef du problème. L’incertitude la plus forte est du côté
musulman. On dispose d’indices sans plus. Ainsi Ibn Battuta dit avoir rejoint, en 1353,
une caravane traînant 600 femmes de Takada au Maroc. Le Polonais Radziwill qui sé-
journe au Caire en 1582/83 voyait régulièrement des marchés présentant 2000 esclaves
{ des prix très bas. L’historien Raymond Mauny qui étudié le problème sa vie durant,
arrive à une estimation de 20 000 Noirs déportés chaque année à travers le désert, soit
deux millions par siècle du VIIIe au XIX°.
44 Après une analyse fine Ralph Austen propose la fourchette de 1000 à 6000 par an
entre 600 et 1700, soit un total fluctuant de un à six millions, à quoi il ajoutait 1 290 000
autre de 1700 à 1890. Herbert Klein remontait ce bilan de 5000 à 10 000 par an. Fran-
çois Renault, pour le XVIIIe siècle estime à150 000 les arrivées à Tripoli et 650 000 celles
de l’Egypte.
45 On entre dans une précision plus fiable pour Tripoli car fondée sur les correspon-
dances consulaires. Autre indice, Tripoli réexportait une partie de ces Noirs à Constanti-
nople, en Grèce et dans les îles de l’Egée en nolisant des navires chrétiens dont les ar-
chives subsistent. Elles dénoncent clairement la continuation du trafic par les Français
après l’abolition prononcée par la Convention en 1794. Le score n’était pas mince
puisque chaque navire embarquait en moyenne 200 à 250 esclaves. Au fil des ans le tra-
jet s’était déporté de Tombouctou vers le Fezzan dont le cheik, depuis 1626, payait un
tribut annuel de 4000 mitkals payables moitié en poudre d’or et moitié en esclaves (en-
viron 70 esclaves).
46 Quoi qu’il en soit tous les indices convergent pour attester la continuation d’une
traite que les Européens n’ont jamais tarie, tout au plus l’ont-ils ralentie.
Conclusion
47 Notre propos focalisé sur les esclaves n’a pas tenu compte du commerce conjoint
de l’or et le l’ivoire africain, toujours actif. La Méditerranée se trouve ainsi au centre d’un
double courant, celui bien connu qui alimente les flux de Chrétienté en Islam et celui
plus mystérieux d’Afrique Noire en pays arabes et turcs.
48 Elle n’a donc pas perdu son rôle de centre dans une économie intercontinentale
foulant aux pieds le plus élémentaire humanisme et plaçant à égalité deux mondes reli-
gieux théoriquement assoiffés de la grandeur de l’homme, mais qui n’ont rien { s’envier
sur le chapitre de l’esclavage.
Notes
1 - Le texte arabe et la traduction de ces deux ouvrages publiés pour la première fois
en 1913-1914 ont été réédités en 1981 par la Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien
Maisonneuve, Paris.
2 - Ennaji (M), Soldats, domestiques et concubines. L’esclavage au Maroc au XIX° siècle,
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[36]
3 - Diego de Haëdo, Topographie et histoire générale d’Alger, Editions Bouchène, 1998,
p. 145
4 - Meillassoux (C), L’esclavage en Afrique précoloniale, Paris, Maspéro, 1975.
5 - Parue en 12 volumes de 1704 à 1712.
6 - Lange (D), « Un document de la fin du XVIIe siècle sur la traite transsaharienne »,
RHFOM, 1979, n° 242-243, p 211-219.
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Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Michel Deveau, « Esclaves noirs en Méditerranée », Cahiers de la Méditerranée,
vol. 65, L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne, 2002, [En ligne], mis en ligne
le 15 octobre 2004. URL : http://cdlm.revues.org/document27.html. Consulté le 02 fé-
vrier 2009.
Auteur
Jean-Michel Deveau
C.M.M.C - Université de Nice-Sophia-Antipolis
Paru dans Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, L'esclavage en Méditerranée à
l'époque moderne , 2002
[40]
L'esclavage des Noirs en terre d'islam
« Il est en islam un clivage choquant que nul n'ose dénoncer, de peur sans doute de
soulever le couvercle qui couvre le puits : celui de la couleur de peau des esclaves.
Certes, l'islam rappelle aussi clairement que possible à ses adeptes qu'il n'est fait au-
cune différence entre un Arabe et un Barbare (A'jami), si ce n'est le degré de foi de
chacun. Mais la réalité est plus complexe. Sur le plan des représentations, on doit
constater que le regard négatif porté sur le Noir s'est cristallisé depuis l'Antiquité, ce
que la tradition arabe, puis la doxa musulmane n'ont fait qu'entériner. [...] Si nombre
de musulmans ne voient là qu'une vétille qui ne mérite pas qu'on s'y attarde et la
prenne au sérieux, beaucoup d'autres, noirs de peau ceux-là, en souffrent terrible-
ment et commencent à le dire. Ce tabou se dissimule dans les replis d'une fausse certi-
tude selon laquelle, en islam, il n'y aurait ni esclavagisme, ni ostracisme, ni même ra-
cisme, hypothèse naïve, à l'évidence, qu'un auteur comme Bernard Lewis dans "Race
et couleur en islam" déconstruit avec son habituelle dextérité [...] »
Malek Chebel
Partie 1 - L'esclavage des Noirs en terre d'islam
Partie 2 - Le racisme antinoir ordinaire
Partie 3 - A l'assaut de l'Afrique
Partie 4 - La traite des Blancs en Europe
Partie 5 - L'esclavage sexuel
Partie 6 - Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias
Partie 7 - Conclusion
Avant propos
Pour prévenir les éventuelles récupérations de cet article à des fins diverses, il con-
vient d'expliquer que ce qui a motivé son écriture. Cet article est né de la volonté de ré-
futer les mensonges affirmés de manière péremptoire sur la question de l'esclavage des
Noirs en terre musulmane pendant plusieurs siècles. Beaucoup de prosélytes musul-
mans se permettent en effet de réécrire l'Histoire de la traite et de l'esclavage des Noirs
en pays d'islam en retranchant cyniquement la vérité historique afin de mieux la rem-
placer par des mythes. À les entendre, les esclaves noirs étaient bien traités et pas le
moindre racisme n'est venu obscurcir ce magnifique tableau. Ça en devient même pathé-
tique de voir le surgissement de ce négationnisme et de voir la masse d'arguties réquisi-
tionnées pour en constituer le socle. Cet article démontrera par conséquent qu'il n'y a
pas de quoi fanfaronner vis-à-vis de ce que les Africains déportés ont dû subir en Afrique
du nord ou au Moyen-Orient. Et surtout que le racisme, la bêtise et le racisme ordinaires
étaient leur lot quotidien bien avant que les Européens ne s'y mettent. Ceux qui défen-
daient jusqu'ici cette théorie de l'esclavage « jovial et humain » en terre d'islam sans sa-
voir de quoi il retournait, tout comme ceux qui se contentaient de répéter bêtement des
inepties inventées de toutes pièces par des théologiens qui confondent leur ego avec la
vérité historique, vont vraiment tomber de haut. Mais alors de très très haut.
[41]
Introduction
Depuis toujours, on nous a affirmés avec une certaine assurance péremptoire que la
traite et l'esclave institués dans les pays arabes étaient différents de ce qui s'était passé
aux Amériques. Pour preuve, on démontrait cette différence fondamentale avec un ar-
gument imparable : les Arabes réduisaient en esclavage tout le monde, sans distinction
de couleur alors que les Européens s'étaient racialement spécialisés sur les Africains.
Mais est-ce que cela signifie pour autant que la race n'a joué aucun rôle tout au long de
l'histoire dans les pays musulmans dans lesquels une forte population servile existait ?
À l'origine, les Arabes sont uniquement les habitants de la péninsule arabique. C'est
grâce à la révélation du Coran qu'ils partent à la conquête, d'abord du Proche-Orient,
puis de l'Afrique, de l'Europe et du monde. Lors de ces conquêtes militaires, ils rencon-
trent d'autres peuples qu'ils soumettent et auxquels ils imposent, très souvent, leur
langue. Ces peuples - parfois sémites, parfois pas du tout - sont automatiquement quali-
fiés à leur tour d'« Arabes » par les Européens à partir du moment où ils parlent la
langue des conquérants de la péninsule arabique. D'où la confusion constante entre
« Arabes » et « musulmans ». Une exposition sur l'ancienne Nubie à Paris ? Et c'est L'Ins-
titut du monde arabe qui l'organise. Or la Nubie légendaire n'a rien à voir avec le monde
arabe, ni de près ni de loin. Mais la confusion s'opère du seul fait que les Nubiens con-
temporains parlent aujourd'hui l'arabe et sont en majorité musulmans. C'est un peu
comme si on disait que la civilisation inca était espagnole sous prétexte que les descen-
dants de ces Incas sont devenus chrétiens et parlent de nos jours l'espagnol pour une
bonne partie d'entre eux. Les Mésopotamiens (d'Irak) de l'époque de Nabuchodonosor
II, par exemple, étaient des Sémites, mais pas des Arabes. À cette époque, les tribus sé-
mites du Moyen-Orient étaient des tribus cousines, parlant une langue voisine, ayant des
us et coutumes très proches mais on ne les qualifiait pas encore d'arabes. On ne parlera
des peuples sémites d'Irak, de Syrie, du Liban etc. comme étant des « Arabes » que lors-
que l'expansion des tribus bédouines d'Arabie, portant le fer au nom de l'islam, les ara-
biseront en imposant leur langue et leur religion.
Des peuples non-sémites, comme les Kurdes, les Perses (ces deux peuples sont cou-
sins et parlent des langues indo-européennes) et les Berbères d'Afrique du nord s'isla-
miseront et adopteront la langue arabe, ce qui fera, qu'à leur tour, on les assimilera aux
originaires de la péninsule arabique bien qu'ils ne soient pas sémites sur un plan an-
thropologique. Les Turcs ottomans s'islamiseront eux aussi sans pour autant être assi-
milés à des « Arabes ». Comme préciser à l'instant, les Arabes, dans le cadre qui nous
intéresse ici, sont intimement liés à l'islam puisque c'est en son nom qu'ils partent à la
conquête du monde. Lorsque le mot « islam » ne prend pas la capitale, il s'agit explicite-
ment de la religion en tant que telle. Lorsqu'il prend la majuscule, le terme « Islam » dé-
signe l'ensemble des populations musulmanes ainsi que la civilisation et les sociétés
islamiques. Les Africains rencontreront donc tous ces peuples durant l'Histoire mais
nous nous concentrerons sur la période située entre le 7ème et le 20ème siècle en prê-
tant une attention toute particulière sur le traitement réservé aux Africains et aux métis
d'Africains dans un contexte d'asservissement.
L'esclavage dans les textes
Que disent les textes au sujet de l'esclavage ? En fait, l'esclavage est une pratique mil-
lénaire qui existait sur tous les continents. La Bible et le Talmud acceptent l'esclavage,
[42]
tout comme le Coran. Talmud, Bible et Coran réclament que les esclaves soient bien trai-
tés - on imagine, certes, mal lire le contraire. Cependant, aucun d'entre eux ne le con-
damne fermement, ni ne l'interdit.
Dans le Talmud, pour inciter les juifs à bien traiter leurs esclaves, il leur est rappelé la
période où ils furent eux-mêmes « esclaves en Égypte ». Dans le nouveau Testament, les
traducteurs ont parfois remplacé le terme « esclave » par le mot « serviteur » pour des
raisons « morales ». On lit dans Éphésiens (VI, 6) : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon
la chair, avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre cœur, comme { Christ ».
Puis plus bas, le mot « serviteur » disparait soudainement : « sachant que chacun, soit es-
clave, soit libre, recevra du Seigneur, selon ce qu'il aura fait » (Éphésiens, VI, 8).
On remarque que dans le premier cas, c'est une injonction à servir le maître sans re-
chigner : les traducteurs ont donc volontairement employé le mot « serviteur » afin de
ne pas contredire le message biblique qui prétend libérer l'Homme. Or le terme grec qui
est traduit ici est doulos. Dans le deuxième cas, afin de démontrer l'ouverture du chris-
tianisme, les traducteurs ont, cette fois, laissé le mot « esclave » car, dans ce contexte, la
phrase évoque un aspect positif du Livre qui ne distingue pas les êtres selon leurs condi-
tions. Pourtant, ici aussi c'est le terme grec doulos qui a été employé pour désigner des
esclaves. En somme, le terme doulos a été employé dans les deux cas mais selon l'image
qu'ils voulaient donner, les traducteurs ont transposé le terme doulos, soit en serviteur,
soit en esclave.
Dans l'Arabie préislamique, l'asservissement est, comme dans beaucoup d'endroits
du monde, au cœur des sociétés pastorales des bédouins du désert. Le prophète de
l'islam se chargera d'« adoucir » l'esclavage en lui donnant un cadre plus « humain ». Il
appelle les musulmans à traiter leurs esclaves avec bonté, à bien les nourrir, à partager
la nourriture avec eux, à ne pas être démesurément sévères dans les punitions infligées
en cas de faute et à les affranchir dans certaines conditions. Tous ces versets existent
dans le Coran. Cependant, rien n'est exigé. Ce ne sont pas des sommations mais des re-
commandations : il n'est, à aucun moment, question d'ériger l'esclavage en interdit abso-
lu. Pourtant, on trouvera des théologiens pour jouer sur les mots et faire passer ce mes-
sage, en faveur du bon traitement des esclaves, pour un message abolitionniste exigeant
l'abrogation de l'esclavage. Or remettre en cause le traitement d'un homme exploité
n'est pas la même chose que de dénoncer sa condition servile à telle enseigne qu'un par-
tisan de l'esclavage peut, pour des raisons morales, refuser que des abus soient perpé-
trés contre des gens en servitude sans pour autant considérer cette servitude comme
une aberration morale. Visiblement, certains n'arrivent pas à appréhender cette com-
plexité sémantique et en profitent pour semer la confusion là où elle n'a pas lieu d'être.
Extraits du Coran :
« Ceux qui parmi vos esclaves demandent [leur affranchissement] par écrit, donnez-le-
leur si vous avez une bonne opinion d'eux et faites leur des largesses avec les biens dont
Allah vous a comblé ; [La voie droite], c'est de libérer ceux qui sont captifs »[i]
L'affranchissement est ici conditionné (par la phrase « si vous avez une bonne opinion
d'eux ») à un jugement fondé sur le mérite. On retrouvera cette condition dans un autre
verset du Coran cité par M. Chebel : « Quant à ceux de vos captifs qui désirent s'affranchir,
rédigez en leur faveur un accord qui stipule leur liberté, pour autant qu'ils l'aient méritée »
(XXIV, 33). Là aussi, la condition de l'affranchissement est claire : on incite à libérer les
esclaves tant que ceux-ci le méritent mais ce n'est pas une injonction. Un autre passage
est encore plus en contradiction ave le mythe de l'abolitionnisme contenu dans le Co-
[43]
ran : « Dieu a favorisé les uns par rapport aux autres en matière de richesse et de biens.
Ceux qui ont été favorisés vont-ils jusqu'à partager leurs biens avec leurs esclaves de sorte
qu'ils deviennent leurs égaux ? Douteraient-ils des bienfaits de Dieu ? » (XVI, 73). Ce pas-
sage du Coran dit que si Dieu a choisi de faire des inégaux en richesse ce n'est pas pour
que les riches aillent ensuite, d'eux-mêmes, partager leurs biens avec les pauvres ou
leurs esclaves. Le faire, c'est tout simplement douter de celui qui établit cette hiérarchie
de classe. Donc, douter de dieu.
Alors certains s'offusqueront : si l'esclavage est si inhumain, pourquoi ne pas avoir
exprimé explicitement son interdiction en faisant de ses partisans des ennemis de
l'islam, tout simplement ? Le Coran est rempli d'interdits d'ordre sexuel et alimentaire,
pourquoi pas un interdit sur cette question bien précise si elle était si importante ? En
fait, pour se distinguer de la traite et de l'esclavage occidental, certains théologiens mu-
sulmans ont réécrit l'Histoire en leur faveur afin de faire dire à des versets du Coran ce
qu'ils n'ont jamais voulu dire. Là où il n'était question que d'invitation à un affranchis-
sement très souvent conditionné, ils ont traduit cela par un rejet total de l'esclavage. Et
dans cette opposition comparative, perpétuelle et concurrentielle avec la traite et l'es-
clavage des Noirs par l'Occident, on a cherché à établir un « pire » et un « moins pire »,
tout en faisant de ce « moins pire » un modèle comparé au « pire ». Sauf que ce qui fonde
la nature d'une bonne conduite, ce n'est pas son opposition au « pire » mais bien ce qui
la constitue intrinsèquement, en tant que telle.
On ne peut par conséquent affirmer sentencieusement que le « Coran prône l'abolition
de l'esclavage » que s'il le prône concrètement, effectivement et non pas parce que sa
position est « moins pire » que celle des autres Livres. Ainsi, l'affirmation selon laquelle
le Coran prône l'abolition de l'esclavage est fausse. Tout simplement fausse. On peut
jouer sur les mots, détourner les débats, faire des pirouettes rhétoriques, tout cela n'y
changera rien. Les mots ont un sens bien précis. Autre point à préciser : les esclaves dont
il est question dans le Coran ne sont pas que des Noirs mais sont constitués de Noirs, de
Perses, comme de membres d'autres tribus arabes. Pourtant, là aussi, on a tendance à
croire que, dès qu'il est question d'esclaves, il s'agit forcément d'Africains et d'eux seuls.
Les premiers esclaves des Arabes sont d'autres Arabes.
« L'abolition, affirme Malek Chebel, n'est pas un système étatique, structuré comme tel,
non plus qu'un puissant leitmotiv du Coran. Le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition
relève de la seule initiative personnelle du maître. Cette ambiguïté est constructive de
l'approche coranique : encourager ceux qui font le bien, mais ne pas alourdir la peine de
ceux qui ne font rien. Plusieurs versets entérinent au demeurant l'infériorité de l'esclave
par rapport à son maître.
[...]
Il faut rappeler que l'islam des débuts était infiniment plus humaniste, et sans doute
aussi plus spirituel, que celui des siècles ultérieurs. L'esclavage y était considéré comme une
calamité naturelle dont il fallait prémunir sa famille et la grande famille des croyants -
hormis toutefois la servitude de l'ennemi, celle du captif, celle que l'on acquiert par suite
d'un achat, d'une guerre, d'une razzia ou d'un troc. Mais la jurisprudence est floue, nuan-
cée, alambiquée. En réalité, deux doctrines tranchées s'affrontent en islam : la première est
celle des féodaux qui distordent le sens des versets coraniques pour les rendre plus favo-
rables à leur commerce ; la seconde est celle des abolitionnistes qui prennent prétexte de la
loi coranique pour affranchir à bon prix leurs esclaves ou parfois affranchir les esclaves des
[44]
autres. Car certains ne touchent pas aux leurs, qu'ils appellent tantôt "enfants", tantôt "fils"
ou "filles " et qu'ils regardent comme de véritables enfants adoptifs
[...]
Si l'islam interdit vraiment l'esclavage, pourquoi le Prophète aurait-il "détaxé" la pro-
priété de l'esclave ? C'est ce que nous apprend un théologien comme El-Bokhari (Traditions
islamiques, t. I, p. 477), qui dit tenir le propos d'Abû Horaira (VIIème siècle), l'une des
sources les plus fiables de la Tradition. Après l'avoir entendu du Prophète en personne, ce-
lui-ci aurait dit que "Le Musulman ne doit pas la dîme, ni pour son cheval, ni pour son es-
clave". Aussi, les grands seigneurs n'hésitaient-ils pas à garnir leurs palais d'esclaves, au
même titre que de tapis somptueux ou de marbres les plus chers »[ii]
Le droit musulman (la charia) réglementait les peines infligées aux esclaves reconnus
de délits ou de crimes. Pour un esclave reconnu du délit de fornication, le tarif était de
50 coups de fouet alors que pour un Arabe libre il était de 100 coups. Le faux témoignage
d'un esclave se voyait puni de 40 coups de fouet alors que celui d'un homme libre l'était
de 80. Magnanimité vis-à-vis des esclaves ? Absolument pas. Pour le droit musulman,
l'esclave est une sorte d'être irresponsable de ses actes. Il est en dehors de la raison hu-
maine et on lui concède une faiblesse d'esprit telle qu'on ne lui reconnait qu'une semi-
responsabilité. Le mépris vis-à-vis des esclaves est tel que, comme le note L. Franck au
sujet de l'esclavage en Tunisie en 1810, « tant qu'une négresse est esclave, elle peut aller
dans les rues à visage découvert ; mais dès qu'elle est devenue libre, la décence exige qu'elle
se couvre d'un voile, comme les femmes mauresques »[iii]. Tout cela pour dire que l'escla-
vage en tant quel tel ne posait aucun problème sur le plan de sa réalité sociale ni à la
population ni aux théologiens de l'islam. Ils ont codifié tout un tas de règles dont le but
n'a jamais été d'abolir l'esclavage mais bien de le cadrer afin que cet état, ainsi que le
commerce qui en découle, perdure au bénéfice de toute la société et en particulier aux
Jellab, un des noms donnés chez les Arabes aux marchands d'esclaves.
Au Caire, au 19ème siècle, les imams couvrent ouvertement le trafic d'esclaves par
des fatwas et ils ferment les yeux sur l'ignoble trafic tant qu'ils y trouvent un intérêt. Il
se créa effectivement un office spécialement dédié à la question du trafic d'esclaves,
constituant une preuve de la reconnaissance morale et religieuse de ce trafic. Il se nom-
mait Service des esclaves auprès de la corporation des esclavagistes (meslahat ar-raqîq bi-
wakalat al jallaba). Sa mission était « de surveiller les transactions et les rentrées massives
d'argent [et] fut dirigé successivement par Hajj ‘Ali (1826), Ismai'il ben Radi (de 1833 {
1834), Hajj ‘Abd al-Karim ‘Ali (1826) et de nouveau par Isma'il (sic) ben Radi de 1843 {
1852 »[iv]
Malek Chebel précise encore : « de fait, les anciens théologiens décrètent que tel ou tel
métier manuel est vil - ainsi ventouseur, sacrificateur, phlébotomiste, tisserand, marchand de
linceuls, coiffeur, tanneur, cordonnier, etc. - mais se refusent à inclure parmi eux le commerce
d'esclaves. L'explication que l'on peut en donner tient au fait que les souverains eux-mêmes
sont esclavagistes. Par conséquent, ils font appel aux services de marchands d'esclaves qui
leur fournissent le quota qui les intéresse. Ni l'autorité publique, ni l'instance religieuse n'ont
rien trouvé à y redire, les maîtres du pays eux-mêmes se livrent à ce trafic »[v]
Les trois religions sont donc d'accord sur ce point : l'esclavage est partie intégrante
des sociétés contemporaines à la naissance de l'islam, du judaïsme et du christianisme.
Murray Gordon, professeur de science politique à la City University et auteur du livre
L'esclavage dans le monde arabe, voit donc le prophète de l'islam plus comme un « ré-
formiste » qu'un « révolutionnaire ». Il s'étonne d'ailleurs de voir certains penseurs mu-
[45]
sulmans utiliser cet alibi pour « soutenir que son véritable objectif était l'élimination gra-
duelle de l'esclavage »[vi]. Car, en effet, face à lui, Mohammed avait une société dans la-
quelle l'esclavage était la norme et, de peur de s'aliéner un maximum d'esclavagistes, il
lui était impossible de condamner fermement cette pratique et d'en interdire l'usage
alors qu'il était déjà marginalisé par les tribus païennes d'Arabie qu'il désirait ramener à
sa foi. Mais bien évidemment, en l'adoucissant, il le légitimait en lui donnant un cadre
légal. Ironie de l'histoire : c'est ce désir d'humaniser le statut de l'esclave qui va ensuite
servir de prétexte aux musulmans pro-esclavagistes pour justifier le fait qu'ils possèdent
des esclaves puisque, selon eux, le Coran ne remettait pas en cause ce droit.
« En autorisant l'esclavage, le Coran ne posait pas les fondations d'une nouvelle institu-
tion arabe ; simplement, il donnait sa bénédiction à ce qui constituait un mode de vie très
ancien dans cette partie du monde. L'existence de l'esclavage impliquait que, au cours des
années, un ensemble de règles normatives s'était instauré entre maîtres et esclaves qui fai-
sait partie du tissu social de la société musulmane. En décrétant la validité de l'esclavage,
le Coran accepte une discrimination entre les êtres humains, en accord avec l'ordre des
choses divin. Dans cet ordre d'idées, l'esclave devait se résigner à servir son maître. Cepen-
dant, le Coran voulut tempérer les rigueurs de cette institution en cherchant un équilibre
entre les droits et les obligations du maître et de l'esclave. Si l'esclave avait l'obligation de
servir son maître, il jouissait aussi de droits reconnus. Son propriétaire ne pouvait pas les
ignorer et était légalement responsable de leur respect. Sur le plan spirituel, l'esclave pos-
sédait la même valeur que l'homme libre en ce sens qu'il pouvait espérer les mêmes récom-
penses éternelles pour son âme dans l'au-delà. Aux yeux de Dieu, il était l'égal de son
maître. Sur un plan plus terrestre, le Coran se souciait autant des besoins sociaux et hu-
mains de l'esclave que de ses droits légaux. On trouve ici reflétées les vues du droit isla-
mique qui considéraient l'esclave à la fois comme une chose, c'est-à-dire un bien meuble, et
comme une personne. [...] Dans la classification des propriétés, le statut de bien mobilier de
l'esclave était renforcé qu'il était mis dans la même catégorie des animaux, au sort des-
quels le sien ressemblait fort »[vii]
Plus les conquérants musulmans s'emparaient de nouvelles terres et plus l'esclavage
devint, aux termes de la loi islamique, difficile puisqu'il était interdit d'asservir des per-
sonnes musulmanes nées libres au sein de la société, sauf si elles étaient nées de parents
esclaves ou si elles avaient été faites prisonnières au cours du jihad. C'est Omar, le deu-
xième calife de l'islam, qui prononça cette fatwa interdisant aux musulmans d'asservir
d'autres musulmans. Le jihad fournit ainsi la plus grande source des esclaves durant les
premiers siècles d'expansion de l'islam. Mais une fois les frontières stabilisées, les popu-
lations d'esclaves ne pouvaient, { elles seules, satisfaire le besoin d'une main d'œuvre
servile toujours plus nécessaire. Ce sera donc l'achat et les razzias au-delà des frontières
des terres musulmanes qui vont prendre le dessus. En Espagne, depuis le 10ème siècle,
des esclaves « slaves » sont des milliers à être asservis par les Omeyyades - ces derniers
prolongeaient le califat des Omeyyades de Syrie qui fut déposé par les Abbassides d'Irak
au milieu du 8ème siècle.
Le « Slave » asservi par les Omeyyades est, comme à l'accoutumée dans les pays mu-
sulmans, eunuque, « concubine », domestique de maison ou de cour, soldat, chanteuse,
danseuse, secrétaire particulier, travailleur manuel, gardien de lieux, etc.
Les Arabes nomment « slaves » (saqâliba) tous les peuples « blancs » d'Europe. De ce
fait, lorsque l'on entend parler de « slaves » en réalité ça peut tout aussi bien concerner
des Slaves réels que des Ibériques, des Germains, des Grecs, des Caucasiens, des Italiens,
des Français etc. Dans cette appellation, aux premiers siècles de l'islam, on y trouvait
[46]
même les Turcs qu'ils asservissaient par dizaines de milliers en les achetant ou en les
razziant en Asie Centrale. Les païens turcs étaient présentés comme de bons esclaves-
soldats qui faisaient d'excellents archers. Des Africains viendront aussi combler ce lot de
malheureux en constituant peu ou prou les mêmes catégories de servitude.
Au cœur de l'expansion de l'islam il y a donc le jihad - la guerre sainte. Le jihad est un
alibi parfait puisque celui-ci permet de partir en guerre au nom de l'expansion de la foi
islamique et de soumettre des populations à l'esclavage. Car, dans ces conditions bien
précises, les victimes infidèles de ce jihad sont esclavagisables aux yeux de la charia :
« Le jihad» est une pratique typiquement islamique à laquelle on ne peut recourir en
toute légalité que dans le but de consolider ou étendre la loi islamique. Toutes les autres
formes de guerre (harb) dressant des musulmans contre d'autres musulmans étaient inter-
dites parce que considérées comme brutales, impies et motivées par des intérêts terrestres.
Pour les propagandistes, le jihad représentait une autorisation bien pratique de faire la
guerre aux infidèles. [...] Des milliers de prisonniers étaient ramenés en territoire musul-
man et réduits en esclavage par les armées victorieuses de l'islam, qui déferlaient sur l'Asie,
l'Afrique du nord et le sud de l'Espagne [...]On dispose d'assez d'éléments pour affirmer que
la capture d'esclaves resta un puissant motif de guerre même au cours des grandes cam-
pagnes d'expansion militaire et religieuse»[viii]
Au départ, l'esclavage des vaincus n'est supposé être qu'une conséquence du jihad.
Mais très vite, le jihad ne deviendra qu'un prétexte pour rapporter des milliers d'es-
claves. Il suffira de l'évoquer pour légitimer la capture d'hommes, de femmes et surtout
d'enfants dans les territoires des infidèles et il va ainsi servir de prétexte systématique
pour razzier des esclaves partout. La présence de cette multitude d'esclaves ne pouvait
échapper à la codification. Et le premier code que l'on trouva sur la question des rap-
ports maîtres/esclaves était présent dans la Moudawwana d'Ibn al-Qasim qui a été re-
censée par l'imam tunisien Abû Saïd Sahnoun - né à Kairouan (Tunisie) en 777. Ibn al-
Qasim était un éminent juriste égyptien qui rencontra l'imam Malik ben Anas à Médine.
Malik fut le fondateur du malékisme, l'une des premières écoles de l'islam sunnite légifé-
rant sur le droit musulman. Née au 7ème siècle, cette école prédomine aujourd'hui en
Afrique du nord et demeure influente en Afrique de l'ouest : un musulman sur cinq s'en
réclame. Des érudits comme Ibn Khaldun ou Ibn Battûta se reconnaissaient d'elle. Le
malékisme a codifié les rapports entre maîtres et esclaves avec un souci certain. Cette
Moudawwana est découpée en plusieurs « livres » dont les principaux articles sont :
Livre du négoce en terre ennemie, Livre de la vente à option, Livre de tromperies, Livres de
la « propriété sexuelle » (sic) etc.
Le Livre de la guerre sainte traite de tout ce qui touche les captifs :
« Article 8 bis : le dhimmi ne peut pas donner asile à un esclave de musulman en fuite »
Article 8 ter : « selon le baqt, le Nubien qui appréhende un esclave appartenant à un mu-
sulman, perdu ou en fuite, devra le rendre sans jamais soulever de protestation ou de diffi-
culté en la matière »
Article 9 : « l'esclave, marchand d'un ennemi, se convertit en terre d'islam : les mar-
chandises lui restent et ne sont pas soumises au partagent (quint, cinquième du butin) »
Article 11 : « L'esclave d'un ennemi s'islamise en terre ennemie puis est acheté par un
musulman : il reste esclave »
[47]
Le Livre de la vente à option :
Article 21 : « On échange un esclave contre un autre avec option durant laquelle il
meurt. Question analogue pour une bête de somme, mais dont on a déjà versé le prix. L'op-
tion passe aux héritiers de qui en est titulaire »
Article 27 : « La revente à bénéfice d'une esclave déflorée avec qui ont a coïté. Cas où elle
était vierge. Cela peut en diminuer le prix »
Le Livre de la propriété sexuelle :
Article 58 : « Les "parties honteuses" de l'esclave femelle appartiennent de droit à son
maître. Il en va ainsi de son ventre (ses enfants) »
Article 59 : « L'esclave ne peut se marier sans l'accord de son maître, mais ce dernier
peut l'y obliger »
Article 60 : « L'esclave ne peut épouser que deux femmes (contre quatre pour l'homme
libre)
Article 61 : « L'esclave n'a pas le droit de prendre d'«esclaves-concubines » (al-tassarri)
Article 66 : « L'enfant de l'esclave revient à son maître, sauf si ce dernier ne le reconnaît
pas. »[ix]
Ces quelques articles (en tout il y en a 68) démontrent parfaitement un désir, non pas
de faire de l'affranchissement une règle, comme le conseille le Coran, mais bien de l'ins-
crire dans des règles, elles-mêmes adaptées à la loi islamique. En définissant ce qui était
autorisé et ce qui était interdit, en validant et en invalidant telle opération de vente ou
d'achat, c'est bel et bien un entérinement de l'esclavage qui est signé et non une rupture
ou une culture de l'affranchissement. Le sunnisme, courant principal de l'islam, compte
4 écoles : le hanafisme, le malékisme, le chafiisme et le hanbalisme - qui donnera le wah-
habisme saoudien après une reprise en main musclée d'al-Wahab au 18ème siècle qui
exigeait un retour à l'islam des origines. Le Hanafisme réglementera lui aussi les droits
des esclaves en traitant, sur plusieurs chapitres, tous les cas d'affranchissement, de
fuites d'esclaves, des droits du maître sur son esclave etc. Tout est pensé et réglementé
avec un souci du détail relevant de la précision suisse.
Malek Chebel cite un troisième code qui, dès le premier article, laisse pantois : « La loi
permet la vente de nègres réduits à l'état d'esclavage, parce qu'en général ils sont infidèles.
Toutefois, elle s'oppose à la vente de ceux de ces individus qui proviennent des peuples mu-
sulmans ou des populations amies de ces derniers ». La source n'est pas précisée car l'ori-
gine est incertaine. On sait juste que ce code provient d'Afrique, de peuples sans doute à
la lisière entre monde maghrébin et monde négro-africain. Malek Chebel évoque une
possible origine haoussa mais on a du mal à imaginer que des Noirs promulguent un
code dans lequel ils désigneraient les « nègres » comme pouvant être asservis à cause de
leur kufr (incroyance). Quoique, ça ne m'étonnerait pas plus que ça vu le niveau d'aliéna-
tion et le complexe d'infériorité que certains Africains musulmans faisaient par rapport
aux musulmans blancs devant lesquels ils se courbaient comme s'ils faisaient face à des
êtres supérieurs en tout point. Le dévouement de certains est assez consternant : En
1953, l'ambassadeur de France en Arabie Saoudite qui dénonça, grâce à la lecture d'une
lettre à l'Assemblée nationale, les réseaux de traite d'esclaves institués par les Saoudiens
[48]
de Djedda et de la Mecque. Ces négriers modernes ne pouvant plus razzier des Africains,
tentaient de les attirer par la ruse en envoyant...des émissaires Saoudiens d'origine afri-
caine afin de tenter de duper les « nègres naïfs » à qui ils promettaient de payer le
voyage du pèlerinage à la Mecque. Arrivés sur place, on confisquait le passeport des
Burkinabais, Maliens et autres Soudanais roulés par leurs semblables avant de les distri-
buer aux richissimes Arabes qui les avaient commandés.
© Kahm Piankhy
Source : www.Piankhy.com
Notes
[i] Coran (XXIV, 33) et (XC, 13). Cité par Malek Chebel « L'esclavage en terre d'Islam »,
p. 18
[ii] M. Chebel, op. cit., pp. 18, 20 et p. 43
[iii] Cité par M. Chebel p. 66
[iv] M. Chebel p. 167
[v] M. Chebel, op. cit., p. 34
[vi] Murray Gordon « L'esclavage dans le monde arabe », p. 25
[vii] Murray Gordon op. cit, p. 40-41
[viii] Murray Gordon, op. cit., p. 30-31-32
[ix] Cité par Malek Chebel, op. cit., p. 339 à 346
http://www.lepost.fr/article/2008/11/19/1331121_l-esclavage-des-noirs-en-terre-d-
islam.html
[49]
Diaspora africaine, esclavage et Islam
À propos de Slavery on the Frontiers of Islam, Lovejoy Paul E. (dir.)
Matthieu Fintz
p. 203-213
Référence(s) :
Slavery on the Frontiers of Islam, Princeton, Markus Wiener Publishers, Lovejoy P. (ed.),
2004
Plan
Esclavage en terre d’Islam et musulmans en terre d’esclavage
Les frontières de l’Islam
Les zones frontières de l’esclavage dans le Bilâd al-Sûdân
Esclaves noirs et frontières de la pratique religieuse islamique au Maghreb
Esclaves musulmans aux Amériques
1 C’est tout l’intérêt de Slavery on the Frontiers of Islam, ouvrage dirigé par Paul E. Lo-
vejoy, que de revenir sur la formation des frontières entre Dâr al-Islâm et Dâr al-Harb,
entre musulmans et non musulmans, entre hommes libres et esclaves et sur la place
d’entre-deux du Bilâd al-Sûdân (le « Pays des Noirs ») dans cet écheveau de frontières. Ce
faisant, les différents contributeurs confrontent aussi la logique scolastique de
l’esclavage, telle que déployée dans les traités juridiques ou religieux, aux pratiques
d’asservissement qui mettent en jeu les déterminations religieuses aussi bien que les
configurations variées de différenciation sociale et politique. L’ouvrage est le fruit du
travail accompli au sein du Nigerian Hinterland Project, programme de recherche héber-
gé par la York University (Toronto, Canada), et mené en relation avec l’UNESCO et des
universités ouest africaines. L’objectif de ce programme est de documenter la constitu-
tion de la diaspora africaine issue de l’arrière-pays nigérian au temps de l’esclavage, de
1650 à 1900.
2 Dans cet ouvrage, Paul E. Lovejoy défend une « approche afro-centrique » dont le
contenu n’est discuté que dans le dernier chapitre, même si le lecteur la devine dès les
premières pages. Celle-ci consiste à « regarder vers l’extérieur depuis l’Afrique » (« to
look outward from Africa ») (p. 234) et vise à contrebalancer la vision euro-centrique
qui mettait davantage en valeur la subordination des esclaves à leur régime
d’asservissement, au détriment d’une prise en compte des dynamiques, conflictuelles ou
non, de production des identités au sein des populations asservies et des arrangements
possibles entre diaspora et « homeland »1. Cette perspective, qui appréhende les rela-
tions entre Islam et esclavage depuis les pratiques et points de vue de ceux qui ont cons-
titué la diaspora africaine, explique en grande partie la volonté des auteurs de soumettre
l’esclavage des mondes sub-saharien et atlantique au même questionnement en rappor-
tant le regroupement de ces ensembles géographiques, culturels et politiques aux flux
des populations asservies plutôt qu’aux idéologies de l’esclavage en Europe et dans le
[50]
monde musulman. L’organisation de l’ouvrage suit ainsi les itinéraires d’esclavage de-
puis l’Afrique sub-saharienne, qui a retenu en son sein une partie importante des es-
claves, jusqu’aux deux points d’arrivée de la diaspora africaine en Afrique du Nord et
Méditerranée et aux Amériques.
3 La teneur des contributions réunies dans ce livre permet, par ailleurs, d’entrevoir
rétrospectivement le chemin parcouru par les recherches menées sur l’esclavage et
l’influence que les postcolonial, subaltern, et diaspora studies ont eu sur les questionne-
ments pratiqués. Le champ d’étude se déploie désormais jusque sur les terrains de
l’histoire orale2, permettant d’obtenir de précieux éléments biographiques sur les cons-
tructions identitaires { l’œuvre chez les esclaves eux-mêmes et leurs descendants.
L’utilisation de la masse documentaire que constituent les manuscrits arabes d’Afrique
de l’Ouest restés longtemps inexplorés est toujours une ressource importante des re-
cherches publiées dans ce livre. De cette utilisation, il apparaît clairement que l’idée pré-
valente depuis les colonisations et jouant sur le couple absence d’écriture/ absence
d’histoire du continent africain ne fut qu’un mythe arrangeant bien la « mission civilisa-
trice » des puissances européennes. Grâce à ces manuscrits, il est désormais possible de
documenter l’histoire de l’Afrique indépendante. Et le livre de Paul E. Lovejoy le fait en
adoptant de nouveaux questionnements et de nouvelles méthodologies. L’ouvrage pro-
pose en effet une stratégie de recherche qui s’éloigne des canons de l’histoire des idées
islamiques relatives { l’esclavage pour se rapprocher d’une histoire des pratiques
d’agency, c’est-à-dire des modalités historiques, donc flexibles et créatives, de percep-
tion de soi parmi les membres de la diaspora africaine.
4 Avant de revenir sur la présentation des études de cas de l’ouvrage dans lesquelles
ces questionnements et méthodologies sont déployés, il est peut être utile de donner
quelques caractéristiques de l’esclavage en terre d’Islam, tel qu’il a pu être codifié et
exercé aux frontières méridionales de Dâr al-Islâm.
Esclavage en terre d’Islam et musulmans en terre d’esclavage
5 « L’imam [i.e. le leader musulman dirigeant le jihâd] devrait prendre en considéra-
tion le sort des prisonniers adultes mâles, et prendre celle d’entre les options suivantes
qu’il considère la plus salutaire : les mettre à mort, les libérer sans pénalité, demander
une rançon pour eux, demander la taxe de capitation (jizya), ou les mettre en escla-
vage ». Ainsi statue Khalîl ibn Ishâq al-Jundî, auteur d’une compilation juridique Mâlikî
égyptienne du 14e siècle faisant autorité, sur les règles du jihâd3. La mise en esclavage de
prisonniers n’est ainsi qu’une des cinq options. En même temps, le jihâd est la seule voie
légitime possible autorisant l’asservissement selon les préceptes islamiques. Car, comme
le rappelle encore l’érudit de Tombouctou Ahmad Bâbâ { la fin du 16e siècle : « La cause
de l’esclavage est la non croyance. Tout esclave possédé doit avoir été capturé, ou un de
ses ancêtres doit avoir été capturé »4. La mise en esclavage n’est donc possible, d’après
la jurisprudence islamique (fiqh), qu’au-delà de Dâr al-Islâm.
6 Cependant, comme la parution même du traité d’Ahmad Bâbâ l’atteste, entre Dâr al-
Islâm et Dâr al-Harb, « la porte du doute est restée ouverte pour ceux qui cherchaient un
prétexte pour la possession »5d’esclaves. Le traité d’Ahmad Bâbâ constitue en effet une
réponse { une requête des habitants de l’oasis saharien de Tuwât concernant les catégo-
ries de personnes légitimement réductibles { l’esclavage et s’étonnant de
[51]
l’asservissement de populations du Bilâd al-Sûdân ayant embrassé l’Islam de longue
date. La parution du traité indique ainsi qu’en dépit du critère religieux restrictif sur
l’approvisionnement en esclaves, celui-ci était souvent ignoré au profit d’autres facteurs
comme l’ethnicité, l’ascendance ou la couleur de peau utilisée pour discriminer qui était
libre et qui pouvait être asservi6. La « porte du doute » demeurait d’autant plus entrou-
verte que les frontières de Dâr al-Islâm au Bilâd al-Sûdân étaient elles-mêmes fluc-
tuantes selon les conjonctures historiques.
7 Il y a donc eu des musulmans asservis par d’autres musulmans en violation de la ju-
risprudence. La question de la mise en esclavage de musulmans noirs et, par là, la recon-
naissance, implicite ou explicite, de critères ethniques ou raciaux { l’esclavage n’a cessé
d’être posée sous l’effet des vagues d’islamisation dans le Bilâd al-Sûdân. Malgré leurs
essais cartographiques de définition des terres d’Islam et des zones où la mise en escla-
vage pouvait s’exercer, les érudits n’ont souvent pas tranché radicalement la question,
laissant une large place aux controverses7dont l’issue accréditait parfois l’idée que le
critère décisif pouvait, dans certains contextes, reposer sur la couleur de la peau8.
8 Le contexte du jihâd qui domine le Soudan occidental et central au 19e siècle9est éga-
lement marqué par l’asservissement de musulmans par d’autres musulmans. Ces es-
claves pouvaient être des réformistes musulmans capturés au cours du jihâd sans être
rachetés ou libérés ou des individus perçus comme musulmans « syncrétiques », cor-
rompus ou ennemis du jihâd. Hors de ce contexte, il pouvait encore s’agir de commer-
çants musulmans attaqués et capturés le long des routes trans-sahariennes par des
groupes pratiquant le banditisme et l’esclavagisme.
9 Le commerce trans-saharien fut non seulement un producteur d’esclaves, mais aus-
si un producteur d’esclaves musulmans. Comme le remarque John O. Hunwick dans la
contribution que nous présenterons plus loin, des motifs économiques permettent aussi
de rendre compte de l’écart entre la jurisprudence et les pratiques effectives
d’asservissement. Sur les marchés d’esclaves de la Méditerranée, les esclaves noirs
étaient en effet vendus en tant que musulmans, les marchands d’esclaves opérant la
transformation du païen en musulman au cours du trajet trans-saharien. Circoncision,
apprentissage des rudiments de la prière en arabe, ou encore imposition d’un nom arabe
étaient supposés offrir un argument commercial et un gage de probité de la marchandise
{ une clientèle réservée sur l’incursion de non musulmans dans le foyer et l’intimité fa-
miliale10. Devenus musulmans, les esclaves ont dès lors multiplié les façons d’être mu-
sulman.
Les frontières de l’Islam
10 Le chapitre introductif de Paul Lovejoy permet de donner toute sa dimension à la
notion de frontières telle qu’elle est appliquée { l’examen des relations multiples entre
esclavage et Islam. Les frontières de l’Islam sont représentées par l’assemblage de plu-
sieurs couches. Trois modalités de la frontière structurent en fait l’ensemble des contri-
butions. Il s’agit d’abord des frontières géographiques de l’Islam dont les contours sont
dessinés dans les stratégies d’expansion des États soudaniens aux dépens des popula-
tions voisines. Ces frontières sont les sources de constitution de la diaspora africaine qui
est ensuite dirigée vers les ports du commerce transatlantique ou à travers le Sahara
vers les villes de la Méditerranée, ou encore abandonnée aux marchés d’esclaves des
[52]
États et royaumes soudaniens. À la lisière des émirats musulmans qui se constituent au
début du 19e siècle, ces frontières mobiles de l’esclavage sont aussi le lieu de discrimina-
tion entre Dâr al-Islâm et Dâr al-Harb. La référence géographique des frontières de
l’Islam en Afrique soudanienne est ainsi redoublée par la frontière symbolique entre mu-
sulmans et non musulmans. En effet, l’esclavage a interrogé la définition même de ce
qu’est un musulman. L’intégration croissante de populations noires du Bilâd al-Sûdân au
monde musulman a d’abord conduit au questionnement des critères de l’« esclavage
juste » mis { l’épreuve par les pratiques d’asservissement de populations noires musul-
manes. Les érudits soudanais, interrogés par les souverains musulmans de ces zones
frontalières, ont tenté de répondre à cette question. À un second niveau, par leurs pra-
tiques religieuses déployées dans leur société d’accueil (musulmanes ou non), les es-
claves musulmans d’Afrique soudanienne ont aussi réinventé ce qu’être musulman veut
dire et, par là, ont redéfini les frontières de la pratique religieuse islamique. Les fron-
tières de l’Islam sont enfin entendues dans cet ouvrage comme les lieux atteints par la
diaspora africaine musulmane, tant en Afrique du Nord et au Moyen-Orient que dans les
Amériques, démontrant ainsi la contribution du mouvement des Africains asservis à la
formation du monde musulman moderne.
Les zones frontières de l’esclavage dans le Bilâd al-Sûdân
11 Les six chapitres suivants rendent compte de l’organisation du commerce
d’esclaves et de la différenciation sociale du monde des esclaves sur les lieux-frontières
de constitution de la diaspora africaine aux frontières soudaniennes du monde de l’Islam
au 18e et, surtout, au 19e siècles. Les sites explorés dans les contributions correspondent à
l’espace de développement du califat de Sokoto11à partir du début du 19e siècle et au
Soudan central dans le contexte du jihâd inauguré par Usman dan Fodio en 1804-9 et
poursuivi par ses successeurs tout au long du siècle.
12 La contribution de George Michael La Rue est particulièrement éclairante sur la
constitution d’une zone frontière d’asservissement au Bagirmi (royaume occidental du
Tchad contemporain) et son insertion dans le réseau des routes commerciales et de pè-
lerinage traversant les émirats du Soudan central et le Sahara pour atteindre les villes
méditerranéennes de Tripoli et de Benghazi, les ports de la mer Rouge en Égypte ou en-
core les villes d’Assiout et de Minia le long de la vallée du Nil. Il montre comment le tracé
de ces routes et l’utilisation du Bagirmi comme réservoir d’esclaves dépendaient des
politiques des gouvernements situés le long et à la fin de ces routes. Le rôle de la poli-
tique d’occupation « ottomane égyptienne »12 du Soudan nilotique dans les années
1820 dans le transfert d’esclaves du Bagirmi { la vallée du Nil est par exemple évoqué.
Dans ce contexte, l’occupation du Soudan nilotique, cumulée aux pressions britanniques
sur l’Empire ottoman pour abolir l’esclavage, est un des éléments déclencheurs de
l’émergence de la Zarîba. Le recrutement des esclaves, engageant également le com-
merce d’ivoire, n’est alors plus directement mené par des États mais par des slave rai-
ders privés du Nord Soudan qui fuyaient la sécheresse de 1834-1837, les taxations du
régime « turc » et la réforme agraire ayant abouti à la constitution de vastes domaines
privés reposant sur le travail des esclaves13. La sécheresse de cette décennie le long de
la vallée du Nil impose également un sérieux coup de frein { la demande d’esclaves par
l’agriculture égyptienne. Ces perturbations politiques et écologiques de la voie commer-
[53]
ciale Bagirmi – Darfour – Assiout conduisent à son délaissement par les caravanes au
profit d’une nouvelle route reliant le Bagirmi { Wadai (Tchad central contemporain)
puis { Benghazi, le commerce d’esclaves sur la route d’Assiout ne reprenant qu’après la
décennie 1840 et perdurant au-del{ de l’abolition décidée par l’Empire ottoman en 1857
en raison de la forte demande de main-d’œuvre induite par le boom cotonnier égyptien.
13 Une place importante dans ces six chapitres est accordée { l’étude du groupe des
« esclaves royaux » formant une part grandissante de l’élite militaire et administrative
des émirs au fur et à mesure de la routinisation du jihâd. La contribution de Sean Stilwell
est particulièrement stimulante à deux points de vue. Il étend la notion de mamlûk au-
delà de ses contextes habituels de formation et de transformation au Moyen-Orient pour
la faire fonctionner dans le contexte du califat de Sokoto. Il montre comment ce groupe,
fortement différencié, d’esclaves royaux est devenu un creuset pour la constitution et
l’acquisition de savoirs de gouvernement, à la fois militaires et administratifs14. Mais le
développement de ce type d’esclavage concomitant de la prise de pouvoir par les émirs
de Sokoto n’est pas tant rapporté par lui { la forte inspiration islamique de ces mouve-
ments politiques qu’au processus de centralisation du pouvoir { l’intérieur du califat.
Affrontant l’hostilité de l’aristocratie hausa et le risque de factionnalisme, les leaders du
jihâd ont trouvé dans le recrutement d’esclaves royaux le moyen de se maintenir en dis-
posant d’une garde rapprochée tendant { devenir un intermédiaire obligé dans tout un
ensemble de transactions (collecte d’impôts, gestion de la terre, protocole) : « Les es-
claves étaient utilisés parce qu’il y avait un impératif politique à agir ainsi » (p. 103).
Cette étude stimulante permet ainsi de répondre en partie à la question souvent explo-
rée du rôle de l’Islam dans l’accroissement du commerce d’esclaves en Afrique sub-
saharienne au 19e siècle, en rapportant cette concomitance aux dynamiques politiques de
l’exercice du pouvoir dans ces régions plutôt qu’{ des principes religieux islamiques qui
seraient foncièrement esclavagistes. L’Islam ne fut qu’une, quoique importante, variable
de la mise en esclavage et de l’accroissement de l’esclavage dans cette région au cours
du 19e siècle.
14 La différenciation du monde des esclaves fait encore l’objet de la contribution de
John Edward Philips sur les Ribât, campements fortifiés et zones frontières par excel-
lence, dont la présence est attestée avant le 19e siècle, mais qui sont développés au cours
de l’installation du califat de Sokoto. L’auteur montre que dans ses fonctions multiples
de défense des routes commerciales et des frontières du califat, de centres de produc-
tion d’artisanat, de moyen de sédentariser les pasteurs fulani, de mêler l’Islam fulani et
hausa { l’intérieur d’une conception jihadiste et, enfin, d’entrepôt d’esclaves, les Ribât
pourraient bien avoir signifié la naissance d’une culture islamique hybride au sein de
laquelle les esclaves auraient joué un rôle important. Le Ribât est en fait essentiel au dé-
veloppement d’une classe d’esclaves fonctionnaires, les mamlûk du califat, qui vont ac-
quérir une place importante dans la structure politique mais aussi dans le recrutement
d’esclaves et leur gestion. Ces esclaves royaux pouvaient détenir eux-mêmes des es-
claves et le système des plantations royales, grandes utilisatrices d’esclaves, pouvait éga-
lement être entre leurs mains.
15 Seule la contribution de Ibrahim Hamza quitte les sphères de l’élite des esclaves
pour revenir sur la situation des esclaves non royaux du califat, désignés par le terme de
Gwarawa insistant sur le fait qu’ils parlent une langue différente du Hausa et qu’ils sont
considérés comme d’origine non musulmane. Ils forment sans doute la plus grande par-
tie de la population d’esclaves de l’émirat de Kano qui, lors de son incorporation au cali-
fat de Sokoto en 1806, représente la moitié de la population totale de l’émirat. L’auteur
[54]
montre comment ce commerce s’est déroulé dans le cadre du développement de
l’agriculture { grande échelle sur les plantations destinées { alimenter le palace de
l’émir.
Esclaves noirs et frontières de la pratique religieuse
islamique au Maghreb
16 Deux contributions concourent { documenter les processus d’imposition
d’identités et de redéfinition des frontières de la pratique religieuse islamique induits
par la présence d’esclaves musulmans noirs au Maghreb. Elles traitent du culte Bori en
Tunisie aux 18e et 19e siècles. [ l’instar du Zâr en Éthiopie, au Soudan, en Égypte ou dans
la péninsule arabique, le Bori est un culte de possession développé au Maghreb par les
esclaves importés du Bilâd al-Sûdân (principalement des esclaves hausa). D’après la con-
tribution de John O. Hunwick, on peut penser que les lieux d’exercice du culte Bori ont
pu servir de zones de contact entre des pratiques stigmatisées comme païennes et des
pratiques musulmanes. Il montre en effet que les esclaves sub-sahariens ont trouvé dans
les sociétés maghrébines une structure d’opportunités caractérisée par un nombre po-
tentiellement infini de jinn et au sein de laquelle des systèmes de croyance sub-
sahariens ont pu s’intégrer et permettre { leurs porteurs de faire face au traumatisme
psychologique de l’asservissement. « Des croyances et des pratiques prenant leur source
en Afrique sub-saharienne ont été accommodées { l’intérieur d’une structure islamique
généreuse et sont devenues une influence importante dans la vie religieuse des Nord
Africains » (p. 167).
17 Dans sa contribution, Ismael Musah Montana souligne également que la prégnance
du soufisme dans la vie religieuse tunisienne aux 18e et 19e siècles et le pluralisme reli-
gieux (les cultes de saints en particulier) ont certainement concouru à faire entrer le
culte Bori dans l’espace religieux légitime tunisien. Mais, par l’examen des écrits de
l’érudit Ahmad ibn al-Qâdî al-Timbuktâwî, il insiste sur le fait que la frontière entre pra-
tiques religieuses légitimes et illégitimes fut âprement discutée et controversée au tour-
nant du 19e siècle, conjoncture marquée à la fois par le jihâd en Afrique de l’Ouest et le
mouvement wahhâbî en Arabie, ce dernier s’érigeant contre les innovations (bid‘a) de
l’Islam populaire comme les cultes de saints ou le soufisme. Fils d’un qâdî de Tombouc-
tou, éduqué dans la ville sainte de Jenne avant de revenir à Tombouctou, al-Timbuktâwî
écrit en 1808-9 deux opuscules dans lequel il dénonce la pratique du culte Bori telle qu’il
a pu l’observer en Tunisie { son retour de pèlerinage. L’attaque d’al-Timbuktâwî cible
non seulement les adeptes du culte qu’il accuse d’hérésie (shirk) et d’incroyance (kufr)
mais plus encore les praticiens du culte pour lesquels il réclame l’interdiction de prati-
quer, la persécution et le maintien en esclavage comme juste punition à leur déviance
religieuse. Les femmes prêtresses du culte Bori sont particulièrement frappées par le
courroux de l’érudit qui les représente comme des sources de dévoiement et de lesbia-
nisme (musâhaqa). Selon l’auteur, les vues dogmatiques et puritaines d’al-Timbuktâwî
reconnaissent explicitement une relation entre identité ethnique et légalité de
l’esclavage. Pour preuve, son utilisation de la catégorie des Sûdân Tûnis, terme qui dis-
crimine { l’intérieur de la communauté des wusfân (domestiques) la portion des es-
claves nés dans leurs patries d’origine et arrivés récemment en Tunisie et qui, selon al-
Timbuktâwî, sont les principaux propagateurs du culte. La condamnation du culte Bori
[55]
s’intègre ainsi au projet plus vaste de définition des critères de l’esclavage, voire de sé-
grégation sociale (il promeut par exemple une législation interdisant le mariage entre
wusfân et femmes musulmanes).
Esclaves musulmans aux Amériques
18 Les trois derniers chapitres, tous cosignés par Paul E. Lovejoy, sont des tentatives
exemplaires pour retracer les pratiques d’agency déployées par les esclaves africains
musulmans dans les Amériques, figurant ainsi une nouvelle frontière de l’Islam. Ces con-
tributions s’inscrivent dans la discussion sur l’importance des processus de créolisation,
de résistance et/ou d’ajustements (accommodation) des rapports de la diaspora afri-
caine { ses sociétés d’accueil. Pour les auteurs, la diaspora d’africains musulmans asser-
vis met en question les processus de créolisation qui décrivent un background africain
totalement reforgé dans la culture américaine. Ils partent de l’hypothèse inverse, d’une
continuité entre ce que les esclaves musulmans africains pouvaient espérer aux Amé-
riques compte tenu de leurs caractéristiques sociales et de la fréquentation antérieure
de l’esclavage dans leurs sociétés musulmanes d’origine en Afrique de l’Ouest.
19 Le profil sociographique des africains musulmans asservis et déportés aux Amé-
riques en fait une population, certes différenciée, mais qui regroupe un certain nombre
de caractéristiques communes. D’abord, ils sont relativement peu nombreux. Or, malgré
cette faiblesse numérique, il apparaît que le nombre de manumission est relativement
plus important pour les esclaves musulmans que pour les autres15. Ensuite, il s’agit
d’une population essentiellement mâle, jeune et urbaine16. Enfin, ces esclaves africains
musulmans proviennent souvent de familles de commerçants ou des élites aristocra-
tiques et militaires des États musulmans d’Afrique de l’Ouest qui possèdent elles-mêmes
des esclaves. De ce fait, ils possèdent une éducation religieuse, un savoir pratique et une
connaissance des textes arabes définissant les conditions de la mise en esclavage légi-
time. Ces esclaves musulmans avaient dès lors des « raisons légitimes de rechercher leur
liberté au titre que, en tant que nés libres, ils n’auraient légalement pas dû avoir été as-
servis » (p. 240). Cette continuité entre Afrique et Amérique permet de résoudre
l’apparent paradoxe de la faiblesse numérique des esclaves africains musulmans et le
nombre relativement plus important de manumission qu’ils sont parvenus à obtenir
avant même la mise en place de l’abolition.
20 L’étude de Yacine Daddi Addoun et Paul E. Lovejoy sur un manuscrit arabe écrit
autour de 182317 par Muhammad Kabâ Saghanughu, esclave dans une plantation des
environs de Kingston et leader de la communauté musulmane locale, permet de mieux
saisir ce processus. Originaire d’une famille de clercs mandingues reliée { un courant
quiétiste de la Tarîqa Qâdiriyya18, il arrive en Jamaïque comme esclave en 1777. En
1812, dans le contexte d’une dispute entre esclaves et propriétaires, il trouve assistance
auprès d’une mission chrétienne morave, suite { quoi il se convertit au christianisme.
Pour les auteurs, la trajectoire de Kabâ illustre le comportement des esclaves musul-
mans en Jamaïque qui « ont utilisé le langage parlé pour transmettre un message
d’adaptation (accommodation) et d’adhésion { la chrétienté tout en utilisant l’arabe écrit
et des symboles particuliers, tels que les noms, pour clamer leur autonomie religieuse et
leur supériorité spirituelle en tant que musulmans » (p. 207). Kabâ s’institue alors
comme un véritable intermédiaire entre les esclaves et les propriétaires : il fréquente les
[56]
premiers dans les champs et les seconds { l’église, préférant, en raison de ces apparte-
nances multiples, ne pas participer aux révoltes d’esclaves de 1831-32.
21 Dans cette optique, les comportements de résistance, ou de compromis avec les
maîtres, ou encore les stratégies de retour en Afrique au moment de l’abolition
s’expliqueraient par la modulation des systèmes d’attentes acquis en Afrique de l’Ouest
et expérimentés aux Amériques. Les auteurs distinguent deux types de réactions des
esclaves musulmans africains. La première, davantage expérimentée par les esclaves en
provenance de terres du jihâd comme le Hausaland, comportait un fort engagement ré-
sistant allant jusqu’{ la fomentation de révoltes (Bahia, 1835). La seconde, davantage
exploitée par des esclaves provenant des traditions musulmanes plus quiétistes du pays
Mandingue, consistait { rechercher, sur le modèle établi en Afrique de l’Ouest, des rela-
tions de compromis avec les maîtres évoluant sur le registre patron/ client. Selon Paul E.
Lovejoy (dernier chapitre), l’opposition des deux stratégies n’est pas inéluctable et il
n’est pas sûr que les stratégies d’ajustements n’aient pas aussi servi la recherche
d’autonomie, d’émancipation et de retour en Afrique. Ce faisant, certains esclaves mu-
sulmans ont pu se faire les porte-parole de leur communauté auprès de leurs maîtres
afin de lui assurer un meilleur sort (comme l’assignation { des travaux qualifiés) tout en
maintenant une identité musulmane que permettait d’entretenir l’utilisation de l’arabe,
incompris des maîtres. C’est { la description de types d’ethos que tend le projet de Paul
E. Lovejoy.
Notes
1 Cette interprétation « révisionniste » de l’histoire de l’esclavage est davantage ex-
plicitée dans Lovejoy P. E., 1997, « The African diaspora : revisionist interpretations of
ethnicity, culture and religion under slavery », Studies in the World History of Slavery,
Abolition and Emancipation, 2(1). L’ouvrage présenté ici élargit la problématique au
commerce trans-saharien.
2 Stilwell S., Hamza I., Lovejoy P. E., Dako S., 2001, « The oral history of royal slavery
in the Sokoto Caliphate : an interview with Sallama Dako », History in Africa, 28, p. 273-
91.
3 Cité dans Hunwick J. O., Troutt Powell E., 2002, The African Diaspora in the Mediter-
ranean Lands of Islam, Princeton, Markus Wiener publishers, p. 23.
4 Barbour B., Jacobs M., 1985, « The Mi‘raj : a legal treatise on slavery by Ahmad Ba-
ba » dans Willis J. R. (dir.), Slaves and Slavery in Muslim Africa. 1- Islam and the ideology
of enslavement, Londres, Franck Cass, p. 136.
5 Willis J. R., 1985, « The ideology of enslavement in Islam » dans Willis J. R. (dir.), op.
cit., p. 6.
6 Sikainga A. A., 2000, « Comrades in arms or captives in bondage : sudanese slaves
in the turco-egyptian army, 1821-1865 » dans Toru M., Philips J. E. (dirs), Slaves elites in
the Middle East and Africa. A comparative study, Londres/New York, Kegan Paul Interna-
tional, p. 199-200.
7 Hunwick J. O., 1999, « Islamic law and polemics over slavery in North and West
Africa, 16th-19th century », dans Marmon S. (dir.), Slavery in the Islamic Middle East,
Princeton, Markus Wiener Publishers, p. 43-68 ; Hunwick J. O., 2000, « Ahmad Bâbâ on
[57]
Slavery », Sudanic Africa, 11, p. 131-139 ; Hunwick J. O., Troutt Powell E., 2002, The Afri-
can Diaspora in the Mediterranean Lands of Islam, op. cit., p. 35-50.
8 Cela est d’autant plus vrai au fur et { mesure que l’on s’élève dans les hiérarchies
entre esclaves. Nasser Rabbat souligne en effet que lors de son institutionnalisation le
mot mamlûk ne fut jamais utilisé pour désigner les esclaves noirs, même lorsque ceux-ci
servaient exclusivement comme guerriers, comme ils le firent durant la période fatimide
en Égypte. Ainsi, le mot mamlûk en vint à avoir des connotations géographiques et eth-
niques : « il signifiait des jeunes hommes blancs, principalement des turcs ou turqui-
sés », en l’occurrence des Circassiens, des Turcs ou des Mongols, Rabbat N., « The Chan-
ging Concept of Mamlûk in the Mamluk Sultanate in Egypt and Syria » dans Toru M., Phi-
lips J. E. (dirs), Slaves Elites in the Middle East and Africa. A comparative study, op. cit., p.
82.
9 Sur le contexte intellectuel de l’Islam au Soudan occidental { cette période, Willis J.
R., 1967, « Jihad fi Sabil Allah – Its doctrinal basis in Islam and some aspects of its evolu-
tion in nineteenth-century West Africa », Journal of African History, 8(3), p. 395-415.
10 Une des caractéristiques de l’esclavage dans l’Empire ottoman, par rapport {
l’esclavage transatlantique, réside en effet dans l’utilisation massive d’esclaves { des fins
domestiques. Cette caractéristique a été mobilisée par les avocats de l’esclavage pour
contrer les campagnes abolitionnistes britanniques dans la première moitié du 19e siècle
en défendant l’idée d’un esclavage doux se déployant dans l’ambiance feutrée des ha-
rems royaux et passant sous silence { la fois l’esclavage agricole, la différenciation so-
ciale entre formes d’esclavage domestique et la différenciation raciale calculée sur la
couleur de peau (pour les concubines notamment). Voir à ce sujet, Baer G., 1967, « Slave-
ry in Nineteenth Century Egypt », Journal of African History, 8(3), p. 417-41 ; Toledano E.
R., 1998, Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East, Seattle/ London, University of
Washington Press ; Troutt Powell E. M., 2003, A Different Shade of Colonialism. Egypt,
Great Britain and the mastery of Sudan, Berkeley – Los Angeles – Londres, University of
California Press.
11 Les frontières atteintes par le califat de Sokoto durant cette période s’étendent
depuis la zone sahélienne du Burkina Faso actuel { l’Ouest, pour englober le Nord Nige-
ria jusqu’au Nord Cameroun actuel { l’Est.
12 Nous reprenons ici l’appellation utilisée par l’auteur et par ses références { Tole-
dano E. R., 1998, Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East, Seattle/ London, Uni-
versity of Washington Press ; Toledano E. R., 2003, State and Society in mid-nineteenth-
century Egypt, Cambridge, Cambridge University Press ; Troutt Powell E. M., 2003, A Dif-
ferent Shade of Colonialism. Egypt, Great Britain and the mastery of Sudan, Berkeley/Los
Angeles/Londres, University of California Press. Ces différents travaux parlent de
l’émergence d’une élite ottomane-égyptienne au moment de l’arrivée au pouvoir de Mu-
hammad Ali. En porte-à-faux avec les récits de l’histoire nationaliste officielle en Égypte,
ces études situent Muhammad Ali comme un simple gouverneur ottoman, plutôt que
comme un leader nationaliste égyptien visant { libérer l’Égypte du joug ottoman. On
peut rappeler aussi que, dans l’histoire du Soudan nilotique, la période d’occupation par
les armées de Muhammad Ali est nommée la Turkiyya, indiquant que le point de vue
afro-centrique légitimerait la nature « ottomane-égyptienne » du gouvernement de Mu-
hammad Ali.
13 Sur ce point, Spaulding J., 1982, « Slavery, land tenure and social class in the Nor-
thern Turkish Sudan », International Journal of African historical Studies, 15(1), p. 1-20.
[58]
14 Dans une publication antérieure, Sean Stilwell suggère, en référence à Pierre
Bourdieu, de penser l’acquisition d’esclaves royaux comme une accumulation de « capi-
tal culturel », Stilwell S., 2000, « The power of knowledge and the knowledge of power:
kinship, community and royal slavery in pre-colonial Kano, 1807-1903 » dans Toru M.,
Philips J. E. (dirs), Slave Elites in the Middle East and Africa, Londres/ New York, Kegan
Paul International, p. 117-56.
15 Cette faiblesse numérique des esclaves musulmans fait dire à Paul Lovejoy que
« L’« abolition » européenne a été possible parce que les gouvernements musulmans
étaient opposés à la vente de quelque esclave que ce soit aux chrétiens, comme un
moyen de protéger { la fois ceux d’entre les musulmans qui pourraient être mis en es-
clavage { tort et les esclaves qui auraient pu se convertir { l’Islam ultérieurement » (p.
238).
16 Cette dernière caractéristique étant développée plus récemment dans Lovejoy P.
E., 2005, « The urban background of enslaved Muslims in the Americas », Slavery and
Abolition, 26(3), p. 349-76.
17 Le manuscrit porte le titre de Kitâb al-Salât (Le livre des prières).
18 Confrérie soufie d’Afrique de l’Ouest fondée par Abd al-Qâdir al-Jîlânî (mort en
1166).
Pour citer cet article
Référence électronique
Matthieu Fintz, « Diaspora africaine, esclavage et Islam », Égypte/Monde arabe, Troi-
sième série, 3 | 2006, [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL :
http://ema.revues.org/index1725.html. Consulté le 02 février 2009.
[59]
La vérité sur l'esclavage en Islam
Dans une enquête mondiale, l'anthropologue musulman révèle les pratiques d'asservissement
dans le monde islamique et leur inquiétante persistance par malek chebel
- Un combat actuel
La Mauritanie a voté le 8 août 2007 une nouvelle loi antiesclavagiste plus répressive.
En mai dernier, à Marrakech, s'est également tenu le premier colloque international sur
l'esclavage dans les pays arabo-musulmans, sous l'égide de l'Unesco. Et un peu partout
dans le monde arabe, dans le Golfe, en Iran, en Afrique, des écrivains s'engagent, des as-
sociations, composées d'anciens esclaves ou de leurs descendants, apparaissent et mili-
tent, malgré l'hostilité des Etats. Un véritable mouvement se dessine, dont l'Occident ne
mesure pas encore l'ampleur, mais qu'il faut soutenir, sans quoi le pire est toujours à
venir. Ces enfants de Bamako qui courent vers les étrangers pour se livrer eux-mêmes
en servitude ne nous le disent-ils pas ?
La traite atlantique avec son système triangulaire, concentrée entre le XVIe et le XIXe
siècle, nous est désormais bien connue. Malgré l'existence de travaux universitaires de
qualité, on connaît encore malheureusement trop peu la traite orientale ou musulmane,
qui s'étend, elle, sur près de quinze siècles et qui a asservi des millions de Noirs (15 mil-
lions ? peut-être plus ?), mais aussi des Européens captifs de guerre, des Slaves, à l'instar
des janissaires dans l'armée ottomane, ou des Circassiennes, ces femmes originaires du
Caucase qui remplirent les harems du calife et des notables de Bagdad.
Parce que je suis un intellectuel musulman, un anthropologue qui défend depuis tou-
jours le droit des personnes et qui combat les tabous de l'islam, je me sens missionné
pour dénoncer ce drame de l'esclavage qui a contaminé tous les pays où l'islam a pros-
péré. A Brunei, au Yémen, dans les pays du Sahel, chez les Touaregs, en Libye, dans le
Sud tunisien, en Egypte, en Arabie, en Mésopotamie, à Oman et Zanzibar, au Soudan ou à
Djibouti, il n'est en effet pas un lieu gagné par l'islam où ne se soit jamais pratiqué le
commerce d'esclaves.
Le phénomène demeure encore vivace. Les marchés de chair humaine à ciel ouvert
n'existent certes plus, mais que sont d'autre que des «esclaves modernes» les domes-
tiques non rémunérés, réquisitionnés nuit et jour, fondus dans le décor des palais et des
maisons bourgeoises marocaines, les ouvriers auxquels on retire leur passeport dans les
pays pétroliers du Golfe, les jeunes enfants exploités en Afrique, en Inde ou en Indonésie,
les femmes qu'on livre à des inconnus contre quelques billets ou lors de «mariages de
jouissance», et les concubines qui subissent un asservissement sexuel dans les familles ?
Sans oublier la polygamie, qui est selon moi une forme soft d'esclavage. Comment expli-
quer ces pratiques, si ce n'est par la survivance d'une mentalité esclavagiste au sein
même de l'Islam ?
- Le Coran et les esclaves
On me dira peut-être que j'aggrave les attaques continuelles contre l'Islam ou l'on uti-
lisera mes positions pour tenter de déculpabiliser l'Occident de son passé colonialiste.
Tant pis, je cours le risque de ces récupérations idéologiques. Je parle avec ma cons-
cience et avec l'objectivité du scientifique. Je n'en demeure pas moins scandalisé par les
[60]
discours de la droite, ceux de 2005 sur les «effets positifs de la colonisation» comme ce-
lui prononcé cet été à Dakar par le président Sarkozy, qui réitère le refus du «repentir de
l'homme blanc». Or il y a bel et bien eu crime. J'ajoute qu'il est tout autant nécessaire que
l'Islam fasse lui aussi son travail de remise en question. Les pays musulmans ont leur
propre responsabilité pour un esclavage qu'ils ont eux-mêmes fait prospérer.
Héritage de l'Antiquité, l'esclavage, lors de l'avènement de l'islam, au vif siècle, était
une pratique largement répandue. La situation des hommes asservis dans le Hedjaz et
dans la péninsule Arabique était alors déplorable. Le Coran, qui évoque la question dans
vingt-cinq versets, a voulu y mettre fin en promulguant une politique d'affranchissement
suivie par le calife Abû Bakr (mort en 634), qui consacra sa fortune personnelle au rachat
et à la libération des esclaves. Mais dès Omar, le deuxième calife, elle fut contrecarrée.
Dans un hadith classé «authentique», le Prophète dit que «Dieu n'a rien créé qu'il aime
mieux que l'émancipation des esclaves, et rien qu'il haïsse plus que la répudiation». A celui
qui Lui demandait ce qu'il devait faire pour mériter le Ciel, Mohammed aurait répondu :
«Délivrez vos frères des chaînes de l'esclavage.»
En adoptant la nouvelle religion, l'esclave païen acquiert aussi la liberté. Tout musul-
man sincère qui possède un esclave est donc invité à l'affranchir. Mais l'Islam n'a prati-
qué qu'une politique timorée, sans réelles contraintes pour les grands propriétaires ter-
riens et les marchands d'esclaves, les gellab en arabe (le même mot utilisé pour désigner
les marchands de bestiaux !), qui ont continué à faire fructifier leur abject commerce.
C'est là qu'est la faille constitutive de l'islam qui fait de l'esclavage l'une de ses patho-
logies : le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative person-
nelle du maître. L'idée d'affranchir un esclave en vue de gagner la bénédiction du Ciel a
ainsi été reléguée au second plan. J'ai même découvert que juristes et théologiens
avaient édicté un «Code noir» arabe, composé d'articles réglementant toutes les ques-
tions concernant l'esclave, depuis sa vente jusqu'à sa place dans la guerre sainte, en pas-
sant par son échange pour vice caché. J'en ai trouvé trois versions. Au paragraphe 58 du
Livre de la propriété sexuelle, extrait de la «Moudawwana» d'Ibn al-Qâsim, telle que
rapportée par Sahnoun (776-854), il est par exemple écrit : «Les parties honteuses» de
l'esclave femelle appartiennent de droit à son maître. Il en va ainsi de son ventre (ses en-
fants) et de son dos (sa force de travail).» Le grand penseur Ibn Khaldoun (1332-1406)
lui-même, dans sa «Muqaddima», explique les diverses manières de choisir son «domes-
tique». Il a fallu attendre le XVIIIe siècle vertueux et surtout l'émergence, au XIXe siècle,
d'une morale universelle, impulsée par les Constitutions occidentales, pour que s'amor-
cent lentement des politiques d'abolition dans le bassin méditerranéen. Certains souve-
rains réformateurs, comme Ahmed Bey, à Tunis, virent là l'occasion de rattraper la
marche du progrès, mais trop souvent ces politiques furent hypocrites et peu suivies.
- Pour un sursaut
Aujourd'hui encore le constat demeure affligeant. Je regrette que de nombreux mu-
sulmans, arabes ou non, ne semblent éprouver de plaisir, hélas, qu'en accomplissant
l'inverse de ce que recommande si clairement le Prophète, et s'emploient sans vergogne
à répudier leurs femmes et à mettre en servitude leurs domestiques. Au Koweït comme
au Qatar, en Arabie Saoudite ou à Dubaï, l'employeur a de puis longtemps remplacé le
négrier. «Esclaves économiques», Philippins, Indiens, Malais, Bangladais se sont substi-
tués aux anciens captifs d'Afrique, Habachis et Zandj. Au Maroc se pose aujourd'hui la
[61]
question des domestiques, ces «petites bonnes» non rémunérées, corvéables à merci,
qu'on réquisitionne jour et nuit, et que les autorités elles- mêmes évaluent à plus de 1
million. Que dire aussi des eunuques à La Mecque ! Oui, en 2007, des eunuques gardent
toujours les lieux saints de l'islam !
Soyons clairs, je n'attaque ni un pays en particulier, ni l'islam en tant que religion.
Mais son dévoiement, qui n'en finit pas de faire des ravages. Il faut que l'Islam retrouve
sa vraie nature et rejoigne enfin les grandes civilisations libératrices.
Anthropologue et spécialiste de l'islam, Malek Chebel est l'auteur d'une vingtaine
d'ouvrages, dont le «Dictionnaire amoureux de l'islam» (Plon, 2004). En 2007, il a publié
«l'Islam expliqué par Malek Chebel» (Perrin) et «Treize Contes du Coran et de l'islam»
(Flammarion). Il publie aujourd'hui chez Fayard «l'Esclavage en terre d'Islam. Un tabou
bien gardé».
Marie Lemonnier
Le Nouvel Observateur
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2236/articles/a354186.html
[62]
Maroc : Islam, esclavage et servitude
Posté par achkoune le 19/2/2008 21:33:41
Dans―L‘esclavage en terre d‘Islam‖ (Editions Fayard, 2007), Malek Chebel revient sur un
paradoxe : celui d‘une religion prônant l‘égalité entre les hommes, mais tolérant
l‘asservissement sur ses terres. À lire.
Selon un cliché bien ancré, l’esclavage est une affaire de blancs et de noirs, entre Occi-
dentaux esclavagistes et Africains mis en servitude. L’esclavage se décline, selon cette
perception, comme l’œuvre exclusive d’un occident négrier, se souciant plus de la pro-
ductivité de ses usines et la fertilité de ses champs, que de la condition des millions
d’êtres humains, réduits au statut d’outils de production.
Dans l’imaginaire collectif musulman, la figure de Bilal, esclave affranchi devenu pre-
mier muezzin de l’islam, domine la perception de l’esclavage musulman, et lui donne une
image qui ne correspond pas { une réalité plus complexe. C’est { cette illusion que
s’attaque Malek Chebel dans L’esclavage en terre d’Islam, en essayant de démontrer que
“l’esclavage est en réalité la pratique la mieux partagée de la planète”. L’anthropologue
algérien tente d’analyser cette pratique en compulsant des documents historiques, qui
constituent de véritables codes noirs musulmans, mais aussi en partant sur les traces de
cette pratique dans “un voyage aux pays des esclaves”.
Un paradoxe musulman
Révélé dans une terre où l’esclavage était considéré comme naturel, l’islam n’a pas
aboli cette pratique, mais a essayé d’inciter ses fidèles { affranchir les esclaves, notam-
ment les musulmans parmi eux. L’islam avait des allures de révolution sociale dans son
aspect égalitariste, en soumettant tous les hommes à un seul maître, Dieu. Des esclaves
en quête d’affranchissement ont été parmi les premiers convertis { l’islam et allaient
former par la suite le noyau de la première armée musulmane. Toutefois, et comme le
remarque Malek Chebel, le Coran n’était pas contraignant en matière d’abolition. Dans
une démarche d’affranchissement progressif basée sur l’initiative individuelle, l’islam ne
voulait pas susciter l’animosité des aristocrates arabes qui tiraient confort et profit de ce
qu’on peut appeler la traite des hommes. La préférence allait ainsi aux méthodes douces,
{ l’instar du calife Abou Bakr, qui voulait donner l’exemple aux fortunés de Qoraïch en
consacrant une partie de sa fortune personnelle { l’affranchissement des esclaves…
Toutefois, l’extension progressive de l’empire musulman, le besoin impérieux d’une
main d’œuvre pour travailler dans les nouvelles terres annexées et l’abondance des pri-
sonniers tombés en captivité après les conquêtes musulmanes, ont relégué les recom-
mandations religieuses au second plan. “De dynastie en dynastie et de siècle en siècle,
l’esclavage est devenu un fait musulman. Nulle part on ne trouve contre lui d’opposition
ou de réprobation. Le nombre d’esclaves et la condition servile étaient profondément
enracinés dans la société féodale et passaient pour un fait naturel”, résume Malek Che-
bel.
Progressivement l’idée d’affranchir un esclave en vue de gagner la bénédiction divine
disparaissait, laissant la place au sentiment de puissance et de supériorité que procure la
situation de maître. La production théologique allait suivre cette évolution, en fournis-
[63]
sant des codes pour réglementer l’esclavage, quand il est devenu impossible de l’abolir.
Dans la dernière partie de son livre, Malek Chebel présente trois textes, qu’il qualifie de
“codes arabes de l’esclavage”, { l’instar du “code noir” du roi Louis XIV, qui réglait la vie
des esclaves dans les colonies françaises. Dans ces textes, on prodigue des conseils sur
l’achat des esclaves et leurs prix, comment éviter les tromperies sur “la marchandise”,
on y précise les droits dont disposent les maîtres sur les esclaves, y compris les droits
sexuels. Il a fallu attendre le 19ème siècle et l’influence d’une morale occidentale de
naissance et universelle de portée, pour qu’apparaissent lentement des demandes et des
politiques d’abolition dans les pays musulmans.
La galerie des esclaves
L’histoire de L’esclavage en terre d’islam révèle des pratiques différentes et des sta-
tuts d’esclaves aussi variés que les tâches auxquelles ils ont été assignés. Des figures et
des destins différents déterminés par le sexe, la couleur de la peau ou le sexe de ces es-
claves.
Dans cette histoire on peut trouver ainsi le ‘mamlouk’, esclave soldat qui peut at-
teindre le sommet du pouvoir grâce à ses talents militaires et à la puissance de sa corpo-
ration. Baybars, le sultan d’Egypte, incarne ce “rêve musulman”, où on commence es-
clave et on finit grand vainqueur des Croisés et des Mongols. On y croise aussi
‘l’eunuque’, esclave asexué dont la mutilation est le prix { payer pour s’introduire dans le
sanctuaire du harem. Un espace où on trouve également l’esclave ‘concubine’, objet de
fantasmes des peintres et voyageurs occidentaux, dont le charme et l’utérus sont les
principaux atouts pour accéder au statut de sultane et mère de sultans. Mais il y a aussi
la figure moins glamour des esclaves noirs des marais irakiens, qui ont déclenché au
9ème siècle la première révolution sociale de l’histoire de l’islam, faisant ainsi trembler
Bagdad et les califes abbassides pendant 14 ans. Une révolution qui ressemble, comme
deux chaînes de fer, à celle de Spartacus face au tout-puissant empire romain, mais qui
demeure mal connue, en attendant un Stanley Kubrick pour la faire découvrir. Mais “le
meilleur” esclave, si l’on croit Malek Chebel, demeure “celui qui est, { la base, un arabe
sachant manier la langue du Coran, qui se convertit avec ferveur à la foi islamique et qui,
de surcroît, montre de réelles dispositions { partager les valeurs du maître”. Pour les
autres esclaves, qui n’étaient pas arabes ou musulmans, il fallait démontrer des qualités
exceptionnelles, ou naître sous une bonne étoile, pour connaître un destin différent de
leurs semblables.
Voyage au pays des asservis
Plusieurs siècles d’esclavage et des millions de personnes mises en servitude ont lais-
sé des traces dans l’histoire et la culture des peuples musulmans. Elles sont encore vi-
sibles, d’autant que l’abolition de cette “pratique” dans certains pays musulmans est en-
core récente (exemple de la Mauritanie qui, même après avoir aboli l’esclavage en 1981,
a dû faire voter une nouvelle loi en 2003 pour réprimer la traite des personnes). La
langue, les hiérarchies sociales, la musique et la littérature dans ces pays comportent des
réminiscences ou des séquelles encore vivaces de la servitude. Pour les besoins de son
livre, Malek Chebel a voyagé dans plusieurs pays musulmans. Objectif : effectuer une
sorte de “carottage” comme les géologues qui forent le sous-sol en quête de minerais ou
[64]
de nappes de pétrole : “Une extraction de données historiques et sociologiques ayant
vocation { parler”.
Du Maroc { l’Inde et de Bagdad { Tombouctou, quand l’esclavage ne disparaît pas
complètement, ou quand il ne prend pas d’autres formes (plus modernes mais non
moins dégradantes), il est encore présent sous forme de monuments ou de lieux de mé-
moire. Au Maroc, la musique gnaouie a la même portée historique que le blues aux Etats-
Unis : une musique créée par des esclaves et leurs descendants. Les racines de cette mu-
sique sont à retrouver dans les chants et les rythmes des pays africains dont ces esclaves
étaient originaires. Selon les historiens, le mot même de”gnaoui” dérive de “guinéen”,
une région où les négriers arabes étaient très actifs. “Grande puissance esclavagiste”,
selon l’expression de Malek Chebel, le Maroc contrôlait les voies caravanières venant
d’Afrique subsaharienne et remontant vers le nord. Le racisme qui touche les noirs dans
des pays musulmans comme la Mauritanie est une séquelle béante d’une longue histoire
de l’esclavage dans ces pays. Une histoire dont le principal enseignement semble être :
tous les musulmans sont égaux, mais certains moins que les autres.
3 questions à Malek Chebel.
“L’esclavage parti, la servitude est restée”
Quelles ont été les conséquences de la révélation islamique sur l’esclavage ?
L’Arabie ancienne était une société esclavagiste avec des strates sociale serviles.
L’islam a été une révolution sociale contre la domination de l’aristocratie qoraïshite en
s’adressant aux pauvres et aux miséreux. Les premières générations de l’islam ont saisi
l’intérêt d’affranchir les esclaves, qui allaient fournir le noyau d’une armée musulmane.
Toutefois, cet affranchissement a été relatif et soumis à des conditions bien déterminées.
Comment expliquer que l’esclavage s’est tout de même répandu en terre
d’islam ?
L’islam s’est imposé en grande partie par le biais des conquêtes. L’armée musulmane
s’est retrouvée avec des milliers de captifs (hommes, femmes et enfants) auxquels il a
fallu trouver un statut. Ce fut celui d’esclave. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé devant un
paradoxe entre ce que dit l’islam et la pratique historique de l’esclavage en terre d’islam,
entre la théorie et la réalité effective de la chose.
L’esclavage a-t-il complètement disparu des pays musulmans ?
En principe oui, sous l’effet des lois qui ont aboli cette pratique à partir du 19ème
siècle. Il ne faut pas oublier que la Tunisie a aboli l’esclavage en 1840. Toutefois, j’insiste
sur la distinction entre esclavage et mise en servitude. L’esclavage a disparu en tant que
marché, mais la mise en servitude persiste encore dans ces pays sous différentes formes
: la condition des domestiques, l’exploitation des ouvriers étrangers, le racisme { l’égard
des descendants d’esclaves…
Parution. Maîtres musulmans, esclaves chrétiens
[65]
Dans son livre Don Quichotte, Cervantès introduit le personnage d’un captif espagnol
échappé de sa geôle algérienne. C’est un élément autobiographique. En effet, de son re-
tour en Espagne, l’illustre écrivain est capturé par des corsaires musulmans et réduit en
esclavage pendant cinq ans à Alger. Après plusieurs tentatives de fuite sans succès, Cer-
vantès retrouve sa liberté grâce { l’argent versé par un ordre religieux, qui a pour voca-
tion le rachat des captifs chrétiens. En s’appuyant sur des documents historiques et sur
des archives de cette période, Robert C. Davis fournit dans Esclaves chrétiens, maîtres
musulmans (Editions Babel, 2007), une étude exhaustive sur l’esclavage des Européens
au Maghreb. L’historien américain revient sur la traite des blancs pratiquée en Méditer-
ranée par des corsaires maghrébins, que l’on nommait alors les Barbaresques. Cette pra-
tique a duré trois siècles (du 16ème au 19ème siècle) et a réduit plus d’un million
d’Européens en esclavage dans les villes d’Alger, Tunis, Tripoli et Salé. Ces corsaires
écumaient la Méditerranée et poussaient des pointes jusqu’aux côtes britanniques, { la
recherche de nouveaux captifs. Toutefois, cet esclavagisme se distingue des autres
formes de mise en servitude par sa dimension religieuse. C’est aussi une guerre menée
contre les chrétiens. En plus des bénéfices réalisés grâce à cette traite, les corsaires
maghrébins considéraient qu’il y avait une revanche { prendre sur ceux qui ont chassé
les musulmans du paradis perdu d’Al Andalous.
Extrait. Les eunuques du sultan
William Lemprière, médecin anglais reçu à la fin du 18ème siècle par le sultan Sidi
Mohammed, roi du Maroc, décrit les eunuques en charge du harem du sultan.
“Aussitôt que le prince eut décidé que j’entrais dans le harem de ses femmes, il or-
donna qu’on me conduisit avec mon interprète. Le chef des eunuques me reçut à la
porte. Il est à observer que les eunuques chargés spécialement de la garde des femmes
sont issus d’esclaves nègres. La voix des eunuques a un accent particulier, elle ressemble
un peu à celle des jeunes gens qui sont encore dans l’adolescence. Enfin, ces êtres muti-
lés offrent tout { la fois une image dégoûtante de faiblesse et de monstruosité. L’autorité
qu’on leur donne sur un sexe qu’ils tyrannisent leur fait prendre un air d’importance, ils
sont plus fiers et plus insolents qu’on ne saurait l’imaginer.”
Extrait. Un abolitionniste marocain
Ahmed Ibn Khalid Al-Nassiri, le grand historien marocain, né à Salé et mort en 1893,
était un abolitionniste convaincu.
“Je veux parler de cette plaie sociale qu’est l’esclavage des nègres originaires du Sou-
dan, qu’on a l’habitude d’amener chaque année de leur pays, en grand nombre, comme
des troupeaux, pour les vendre à la criée comme des bêtes de somme. Sans honte, les
gens ferment les yeux sur ce crime qui se commet au grand jour depuis une longue suite
de générations, { tel point que la masse du peuple croit que l’origine légale de l’esclavage
consiste dans la noirceur du teint et la provenance du Soudan. En principe, tous les
hommes sont, par nature, de condition libre et sont exempts par conséquent de toute
cause d’asservissement ; quiconque, donc, nie cette liberté individuelle, nie ce principe
fondamental”.
Extrait Jouir sans entraves
[66]
La Moudawana d’Ibn Al Qassim, texte de référence du rite malékite, contient des dis-
positions liées à la propriété sexuelle des esclaves :
- Les “parties honteuses” de l’esclave femelle appartiennent de droit { son maître. Il
en va ainsi de son ventre (ses enfants) et de son dos (force de travail).
- L’esclave ne peut épouser que deux femmes (contre quatre pour l’homme libre).
- L’esclave ne peut se marier sans l’accord de son maître, mais ce dernier peut l’y obli-
ger.
- Une esclave ne peut être co-épouse avec une femme de condition libre.
- Le nombre de concubines que peut posséder un musulman n’est pas limité (contrai-
rement au nombre de femmes légitimes et de condition libre).
source:telquel-online.com
http://www.portaildumaroc.com/news+article.storyid+5748.htm
[67]
Islam et « esclavage » ou l’impossible « négri-
tude » des Africains musulmans
L’islamisation de l’Afrique subsaharienne s’est accompagnée
d’une entreprise massive d’asservissement des païens. Cet escla-
vage musulman et la traite « orientale » qu’il a impliquée demeu-
rent refoulés par les Africains comme par les Occidentaux.
L’Historien Jean Schmitz revient sur les raisons de ce silence et
éclaire sa portée : de l’Afrique de l’Ouest aux banlieues françaises
en passant par le Maghreb.
Par Jean Schmitz
Africultures est aujourd’hui la revue et le site Internet de référence sur les expressions
culturelles contemporaines africaines. Créée en 1997, la revue compte 67 numéros théma-
tiques qui abordent les nombreuses facettes des cultures de l’Afrique et de sa diaspora.
Espace de libre parole, de réflexion et d’échange, Africultures œuvre pour une meilleure
(re)connaissance de ces cultures et une décolonisation partagée des imaginaires. Pour
plus d’information et pour découvrir les multiples activités d’Africultures (agenda cultu-
rel, critiques, chroniques, murmures, petites annonces, sites web spécialisés : afriphoto,
afriblog, africiné...) rendez-vous sur le site : www.africultures.com. Une première version
de ce texte a été présentée au séminaire du Paris Research Center de l’Université de Flo-
ride (session d’Abdoulaye Kane) qui s’est déroulé les 11 et 12 avril 2006 { Paris. Ce texte
est tiré du n°67 de la revue Africultures dont le dossier a pour thème : "Esclavage, enjeux
d’hier { aujourd’hui". Cette revue peut être commandée en librairie ou sur le site Internet
d’Africultures."
On voudrait mettre en rapport la stratégie de visibilité d‘une minorité « noire » en France
regroupant Africains et Antillais avec la création du Conseil représentatif des associations
noires (CRAN) à la fin 2005 (Ndiaye 2005), construite à partir de la mémoire de l‘esclavage,
et le relatif silence des immigrés musulmans originaires d‘Afrique de l‘Ouest à cet endroit.
Symétriquement, on est frappé par l‘absence de recours à la rhétorique islamiste par les
mêmes jeunes « blacks » des cités durant l‘incendie des banlieues de novembre 2005. Nous
voudrions montrer que le « grand récit » mettant en continuité l‘esclavage, la colonisation,
l‘émigration et la discrimination à l‘embauche permet le retournement de la stigmatisation
liée à la couleur de la peau dans la mesure où il se situe à l‘intérieur d‘une sphère occidentale
et chrétienne (non confessionnelle), comme l‘ont fait dans les années 1930 Léopold Sédar
Senghor (Vaillant 2006) et Aimé Césaire, puis après 1945 Alioune Diop (Jules Rosette 1992)
et Frantz Fanon. À l‘inverse, nous tentons ici de montrer qu‘une telle opération, dont nous ne
pouvons développer les conditions, est difficilement possible dans la sphère musulmane, si-
non au prix de malentendus débouchant sur des violences et cela pour deux raisons princi-
pales.
[68]
L’esclave est défini comme non musulman
En Afrique de l‘Ouest, au sens large incluant le Sahara et le Sahel, « l‘esclavage » et la
« négritude » ont moins une valeur « ethnique » ou raciale que morale et religieuse, en
l‘occurrence islamique car liée à la doctrine du jihâd : l‘obligation étant faite à tout croyant de
mener la guerre sainte afin d‘asservir les païens, l‘esclave est défini comme non musulman. À
partir du moment où l‘Afrique (Côte d‘Afrique de l‘Est et Afrique subsaharienne) devint la
principale zone pourvoyeuse d‘esclaves de la traite orientale, la négritude devint synonyme de
servitude (Lewis 1993) et corrélativement la noirceur de la peau fut associée à un déni
d‘islam.
On assiste aujourd‘hui à la réactualisation des violences culturelles et sociales induites par
ces assimilations, autant au Maghreb qu‘en Occident. D‘une part, la politique
d‘externalisation et de délégation aux États du Maghreb du contrôle des migrations des Sub-
sahariens menée par les États européens, met en lumière l‘attribution du qualificatif
« d‘esclaves », ‗abid (sg. ‗abd) à ces derniers (Aouad-Badoual 2004), comme en Libye et ce
depuis plusieurs années (Bensaad 2005).
D‘autre part le même sobriquet « d‘esclave » utilisé à l‘endroit des migrants africains mu-
sulmans dans les cités et les banlieues de France n‘est pas seulement une métaphore puisqu‘il
légitime la réticence des Maghrébins à voir des mosquées dirigées par des Africains ou à prier
derrière un imam noir (Diop et Michalak 1996, Diouf 2002, Soares 2004). C‘est un des prin-
cipaux éléments permettant de comprendre la très faible représentation de l‘Islam africain
aussi bien au niveau politique du Conseil français des musulmans de France (CFCM) qu‘au
sein de l‘espace public en France (rassemblement religieux, lieux de prière, mosquées...) et
plus largement l‘impossible identification à une « umma » [1] imaginaire, à la fois gage de
moralisation mais aussi terreau de l‘islamisme radical et du jihâd d‘Al Qa‗ida (Mohammad-
Arif et Schmitz 2006).
Islamisation et mise en esclavage des païens
Ce déni d‘islam, qui procède de l‘impact du réformisme musulman et du nationalisme
arabe du XXe siècle au Maghreb, réduit à néant la longue et vénérable entreprise intellectuelle
et religieuse des savants musulmans africains qui s‘appliquèrent à déconnecter la couleur de la
peau de l‘islam. Instaurant une distance critique par rapport à « l‘ethnographie arabe » dua-
liste reposant sur le couple bîdân (Blanc) / sûdân (Noir) et assimilant ce dernier à un païen ou
idolâtre (kafir), un savant de Tombouctou pris par les Marocains avant d‘être libéré, Ahmed
Baba (1556-1627), élabora une « ethnographie religieuse » (Robinson 2004) distinguant, à
l‘intérieur des Noirs, les musulmans des païens, et corrélativement interdisant la capture
d‘esclaves parmi les premiers mais l‘autorisant parmi les seconds.
Cette distinction fut lourde de conséquences puisque près de deux siècles après, elle fut au
fondement des jihâd des XVIIIe et XIXe siècles dont les plus importants furent celui de Soko-
to (Nord du Nigeria actuel) mené par Uthman dan Fodio vers 1810 et d‘al-Hâjj Umar au Mali
au milieu du XIXe siècle (Robinson 1988, Schmitz 2006). La création de cet archipel d‘États
musulmans qui s‘égrenèrent du Sénégal à l‘Ouest jusqu‘au Nigeria et au Cameroun à l‘Est fut
un phénomène à double face. Car la lutte contre la mise en esclavage et la traite atlantique au
nom de l‘interdiction de capture d‘un musulman fut à la fois le moteur de l‘islamisation
(Diouf 1998), en créant des États qui étaient autant de zones refuges, et simultanément la légi-
timation d‘une entreprise massive d‘asservissement des païens situés plus au sud du Sahel, en
Guinée, Mali, Burkina, Cameroun.
[69]
En effet, ces guerres saintes inaugurèrent des traites et des mises au travail des esclaves au
sein de plantations internes à l‘Afrique, (Meillassoux 1986, Lovejoy 2002, 2004, Pétré-
Grenouilleau 2004) ainsi que des opérations de colonisation au nom de l‘islam, ces dernières
se poursuivant sous des formes pacifiques jusqu‘à aujourd‘hui (Schmitz 2006). Avant de
poursuivre, mesurons l‘importance de cette reconfiguration comportant deux facettes de
l‘identification entre la couleur de peau, l‘élément médian et l‘islam d‘une part, la catégorie
servile d‘autre part.
Des musulmans ouest-africains se qualifient de « Blancs »
Premièrement, le dualisme blanc-noir fut réservé à la sphère religieuse et à celle du carac-
tère de la personne, la blancheur du « cœur », siège de l‘intelligence et de la volonté étant
opposée à la noirceur de la dissimulation (Taine Cheikh 1986). Aussi les musulmans
d‘Afrique de l‘Ouest (Soninke, Peuls / FulBe / Fulani) se qualifièrent-ils de « Blancs » (du
point de vue religieux) au grand étonnement des voyageurs occidentaux du début du XIXe
siècle qui pratiquaient une observation de type « sensualiste » assurant le passage du physique
au moral. Ces derniers étaient en quête de « races » identifiées et mesurées au nom du para-
digme naturaliste de « l‘anthropologie » (physique) (Broca). Ne pouvant expliquer la présence
de Blancs parmi les Noirs, ils inventèrent des migrations en provenance de l‘Orient (Robinson
1988, Botte & Schmitz 1994).
En second lieu se répandit particulièrement au Sahara et au Sahel une ethnographie ou une
raciologie non pas dualiste mais comportant trois termes, en ajoutant au couple Blancs /
Noirs, celui de Blancs / Rouges (ou d‘autres termes de couleur) décliné en arabe ou en Ta-
masheq (berbère des Twaregs) (Lewis 1993). Les « Rouges » servaient à qualifier les nobles
au statut ambigu, comme les Haratîn du Sahara occidental (Mauritanie, Maroc), affranchis ou
descendants d‘esclaves « noirs » mais musulmans et « arabophones ». Échappe également au
dualisme l‘appellation des Noirs musulmans de Mauritanie qui ne sont pas désignés en arabe
hassaniyya par l‘antonyme de Blancs (bidân), sûdân - réservé aux ‗abd et Haratîn - mais par le
terme kwâr désignant la couleur vert foncée d‘origine tamasheq (Taine Cheikh 1986).
Enfin, le dualisme moral fut affecté à ces catégories ambiguës. En effet, les esclaves ou af-
franchis compris dans cette zone du Sahara et du Sahel sont moins stigmatisés par rapport à
leur couleur de peau que pour leur absence de vergogne ou de sens moral (Klein 2005). Cela
renvoie à des codes de l‘honneur et de la générosité transmis par la généalogie (Botte 2000),
qui sont des lieux communs des sociétés des milieux arides ou désertiques et non des sociétés
musulmanes à proprement parler, ces dernières valorisant l‘aumône et le don pour recevoir la
bénédiction. Aussi l‘islamisation de ces catégories qu‘on rencontre aussi bien au Nord qu‘au
Sud du Sahara ne suffit pas à les émanciper.
Une sous-estimation de la traite « arabe »
Cette déconnexion entre couleur de peau, islam et esclavage et le dépassement du dualisme
Blanc-Noir par une ethnographie à trois termes n‘ont duré qu‘un temps et ont été limités à
Afrique de l‘Ouest, à la fois par la raciologie occidentale et par l‘arabisation qui a remis en
pratique « l‘ethnographie arabe ».
Le dualisme Noirs / Blancs, construit aux États-Unis par des dispositifs à fabriquer de la
race (race making institutions) que sont après l‘esclavage, l‘hyper ghetto et l‘incarcération de
masse des Afro-américains (Wacquant 2005), a dominé l‘interprétation des violences qui op-
posèrent Sahariens (bîdân donc blancs) et Sahéliens (noirs, négro-mauritaniens...) au cours
[70]
des années 1990 : « événements sénégalo-mauritaniens » de 1989 jusqu‘à 1992 assimilés au
conflit du sud Soudan (Bullard 2005) et rébellion puis chasse aux Twaregs au nord du Mali
entre de 1990-1996 (Maiga 1997).
Au Proche-Orient comme au Maghreb, cette construction a été recouverte par le nationa-
lisme arabe dont l‘islamisme est un héritier et qui pratiqua une « politique du passé » à deux
volets. En effet, la mise entre parenthèses de la traite à la fois « orientale » (océan indien et
Maghreb) et interne à l‘Afrique au profit d‘une attention quasi exclusive à la traite atlantique
était la condition de la fusion des victimes, « Arabes » et Subsahariens.
La reconnaissance de la traite (principalement atlantique) et de l‘esclavage comme crime
contre l‘humanité a été reconnue par une loi française proposée par Christiane Taubira, dépu-
tée de la Guyane et promulguée le 21 mai 2001. De même, une telle reconnaissance, quoique
moins nette, a été opérée à la conférence de Durban (Afrique du Sud) contre le racisme et la
discrimination raciale... en septembre 2001. Dans les deux cas, on a assisté à une sous-
estimation de la traite orientale ou « arabe ». Le second événement nous semble le plus révé-
lateur. Précédant le 11 septembre, les conférenciers réunis à Durban ont réussi à faire passer
au premier plan des « victimes » contemporaines de l‘Occident, non plus les Africains,
l‘apartheid étant supprimé et l‘esclavage étant renvoyé au passé, mais les « Arabes » à travers
les figures des Afghans ou des Palestiniens.
Au centre de l‘opération, mentionnons l‘action menée depuis le début des années 1990 par
un groupe de pression, le Group of Eminent Person ayant à sa tête deux historiens, J. F. Ade
Ajayi et un politologue américain d‘origine kenyane, Ali Mazrui, qui arguèrent de la traite
atlantique pour demander des « réparations » en décembre 2002 au colloque de l‘African Stu-
dies Association (Howard Hassman 2004). Outre l‘exclusion de la traite orientale du réquisi-
toire, les membres du groupe s‘appuyaient sur l‘absence de caractère racial de la traite mu-
sulmane. L‘innocence de la traite arabe est un mythe occidental datant du XVIIIe siècle (Le-
wis 1993 : 50) qui se cristallisa lors de la première abolition de 1792 et de la suppression de la
traite. L‘euphémisation de l‘esclavage, qui prendra le relais, attribue également un caractère
bénin à l‘esclavage africain alors que l‘analyse historique actuelle inverse les termes : au
XIXe siècle, le sort des esclaves aux États-Unis est plus enviable que celui de ceux capturés
en Afrique mais également des prolétaires en Europe (Botte 2000).
Néanmoins, l‘esclavage musulman était différent du chattel slavery occidental - en dehors
des « plantations » sahéliennes. Ses deux formes dominantes, l‘esclavage domestique et les
armées d‘esclaves, étant l‘occasion d‘une réelle mobilité sociale (Robinson 2004). Ce déni de
l‘esclavage interne sera repris par les Africains proto nationalistes - Senghor, Nyerere, Nkru-
mah -, mais aussi les ethnologues comme Griaule (Botte 2000) qui construisirent en miroir
une civilisation africaine égalitaire et communautaire, en l‘absence d‘une historiographie con-
sistante sur les jihâd des XVIIIe et XIXe siècles qui n‘apparut que dans les années 1970.
Victimes ici, dominants là-bas
Ce déni de l‘esclavage africain sera étendu à celui des « Arabes » au nom du nationalisme
des indépendances qui récusa l‘abolitionnisme chrétien, principal argument de la colonisation.
En effet, pour les Occidentaux de la fin du XIXe siècle, le caractère bénin de l‘esclavage des
musulmans fait place à un abolitionnisme militant véhiculé en Afrique par les missionnaires à
travers deux figures dominantes.
David Livingstone, explorateur de l‘Afrique du Sud et de l‘Est et évangéliste écossais fut
le promoteur des « three Cs - Christianity, commerce et civilisation ». Son équivalent français
fut Charles Lavigerie, évêque catholique d‘Alger et fondateur de l‘ordre des Pères Blancs,
[71]
chargé de mener un combat sans merci contre l‘esclavage et le commerce des esclaves de
l‘Afrique islamique sous forme d‘une véritable croisade (1868-1892) à laquelle participa un
des fondateurs de l‘Africanisme, Maurice Delafosse.
Ainsi, en conclusion, dirions-nous qu‘aussi bien en matière d‘islam que d‘ethnonymie, le
qualificatif de couleur fait l‘objet de contournements manifestes lorsqu‘il est question des
Africains de l‘Ouest. On parle plus volontiers d‘islam africain (D. Robinson 2004) que
« d‘islam noir » comme dans la première moitié du XXe siècle (Schmitz 1998). Cet évitement
signale un ensemble complexe de représentations et de configurations réversibles et formant
cascades : les victimes ici sont les dominants là-bas en fonction d‘une série de critères égale-
ment contextuels : maîtrise de la langue arabe, signes visibles de piété musulmane...
Ces phénomènes de « stigmatisation dans la stigmatisation » rendent difficile mais indis-
pensable le « devoir d‘histoire » plus que de mémoire (Weil et Dufoix 2005) à l‘endroit de ces
deux ensembles que l‘on a tenté de croiser et qui font l‘objet d‘une attention renouvelée, sur-
tout dans le monde anglo-saxon : l‘islam (Robinson 2004) et l‘esclavage (Botte 2000, 2005,
Pétré-Grenouilleau 2004, Lovejoy 2004). Afin de rendre justice aux valeurs et à cette écono-
mie morale de l‘islam qui a permis aux migrants d‘Afrique de l‘Ouest de garder la tête droite
même dans des conditions de vie très difficiles.
De notre partenaire Africultures
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[1] L‘umma est la communauté musulmane ou la communauté mondiale des croyants. Elle
a un triple sens : communauté mondiale car dispersée de l‘Indonésie à l‘Afrique de l‘Ouest,
regroupement unitaire dépassant les divisions sectaires et enfin utopie d‘une communauté
imaginaire (Anderson) qui dépasse les divisions internes, la guerre civile (la fitna) qui est la
grande obsession de l‘islam depuis la division chiites / sunnites.
http://www.afrik.com/article10236.html
[74]
L’esclavage fait partie de l’Islam
(Slavery is part of Islam)
16 septembre 2007
L’esclavage fait partie de l’Islam. L’esclavage fait encore partie du jihad, et le jihad du-
rera aussi longtemps que l’Islam. Sheikh Saleh Al-Fawzan (imam saoudien, nov . 2003)
Mauritanie, Arabie saoudite, pays du Golfe, Soudan, Pakistan, Maroc, Inde, Iran, sans par-
ler de la Libye avec le retour des rançons barbaresques
…
De l’esclavage traditionnel ou de traine aux mariages iraniens { l’heure …
Autant de formes de servitude, physique, économique et/ou psychologique qu’a le
mérite de rappeler l’anthropologue franco-algérien Malek Chebel dans son dernier livre
sur le sujet tabou (pour les musulmans comme pour nombre d’islamologues) de
l’esclavage sur les terres d’un islam qui ne les a toujours pas remises en question pour
les non-musulmans ou les femmes.
Extraits de son entretien dans le Point :
En Islam, le sujet est tabou. L’esclavage y est tellement intériorisé que les esclavagistes
eux-mêmes refusent d’admettre qu’ils le sont. Même des islamologues occidentaux comme
Vincent Monteil,
Jacques Berque ou Louis Massignon, qui comptent parmi ceux qui ont le mieux connu
l’Islam et qui disposaient des informations pour faire taire ce scandale ont préféré se con-
centrer sur la hauteur mystique des grands théosophes plutôt que de faire la lumière sur
les réalités scandaleuses des marchands de chair humaine.
Celui qui est converti ne peut être réduit en esclavage, c’est un principe fondamental de
l’islam.
Pourtant, dès le VIIe siècle, la traite s’organise vers l’Asie, les Balkans et surtout
l’Afrique…
[75]
L’empire avait besoin de bras, et comme justement l’esclave ne pouvait être musulman,
on est parti le chercher ailleurs, en Asie, en Turquie, en Afrique. En échange du paiement
d’une taxe, le monothéiste, juif ou chrétien, était protégé par l’islam, d’où son nom de
dhimmi . Mais il y a le texte et la réalité, et il est vrai que nombre de Slaves de confession
orthodoxe ont été réduits en esclavage, notamment sous le califat turc, pour remplir les
harems et peupler l’armée.l’esclavage existe dans de nombreux pays, particulièrement en
Mauritanie, en Arabie saoudite, dans les pays du Golfe, mais aussi au Maroc et en Inde, où
vous citez les intouchables.la petite fille placée ad vitam aeternam comme bonne dans une
famille marocaine, l’enfant indien asservi sur un chantier parce que ses parents sont endet-
tés et le descendant d’esclave devenu métayer sur le domaine d’un grand propriétaire mau-
ritanien Et je ne parle pas des femmes qui, en Iran ou ailleurs, sont utilisées comme des
objets, par le biais notamment des mariages de convenance : on se marie le matin, on con-
somme et on divorce le soir, le bénéficiaire de ce tour de passe-passe étant bien sûr
l’homme. Le lien entre toutes les situations, c’est la servitude, physique, économique et psy-
chologique. Nombre des exemples que je donne relèvent de l’esclavage de traîne : l’homme
reste asservi parce qu’il n’a pas les moyens de quitter ses liens, même s’il est en théorie af-
franchi. Ce n’est pas un hasard si la Mauritanie en est { sa troisième loi d’affranchissement,
la dernière ayant été promulguée en août 2007.
“L’islam est victime de sa culture esclavagiste”
Le Point
13/09/2007 - Propos recueillis par Catherine Golliau
Malek Chebel, défenseur de l’esprit des Lumières en Islam, engage un nouveau
combat : éradiquer la culture esclavagiste, toujours vivante selon lui dans le
monde musulman. Un cri de guerre.
L'esclavage existe toujours en terre d'islam. Au pire, on le nie, au mieux, on le tait :
telle est la thèse de « L'eslavage en terre d'islam », le dernier livre de l'anthropologue
Malek Chebel, publié cette semaine chez Fayard. Cet ancien psychanalyste s'est fait une
habitude d'attaquer la société musulmane là où elle a mal, dans son rapport à la raison et
à la liberté de conscience, au plaisir et au sexe. Son dernier opus est encore plus déran-
geant : plus qu'une étude scientifique, c'est un brûlot. L'Islam qu'il décrit est celui des
négriers et des trafiquants, des enfants exploités et des femmes violées. Le fond comme
la forme de ce pamphlet peuvent déranger. L'auteur a choisi de se mettre en scène et de
livrer sans contrainte ses impressions, au risque d'altérer la rigueur de son propos.
Qu'importe ! ll ose ce que d'autres amoureux de l'Islam n'ont jamais oser faire : clamer
haut et fort son indignation face à la culture de l'esclavage en Islam.
Le Point : L'esclavage dans les pays musulmans est un fait connu : nous avons
tous en tête des visions de harem où les eunuques et les concubines sont au ser-
vice du sultan. De nombreux auteurs comme Bernard Lewis, Robert C. Davis et
Olivier Pétré-Grenouilleau, pour n'en citer que quelques-uns, ont travaillé sur ce
thème. Qu'apportez-vous de neuf sur le sujet ?
Malek Chebel : Le fait que ces auteurs, tout à fait estimables, ne soient pas musul-
mans pèse sur la lecture que l'on fait de leurs travaux en terre d'islam. Je les cite d'ail-
leurs abondamment. Mais en Islam, le sujet est tabou. L'esclavage y est tellement intério-
[76]
risé que les esclavagistes eux-mêmes refusent d'admettre qu'ils le sont. Même des isla-
mologues occidentaux comme Vincent Monteil, Jacques Berque ou Louis Massignon, qui
comptent parmi ceux qui ont le mieux connu l'Islam et qui disposaient des informations
pour faire taire ce scandale ont préféré se concentrer sur la hauteur mystique des
grands théosophes plutôt que de faire la lumière sur les réalités scandaleuses des mar-
chands de chair humaine. Moi, je suis musulman. Ma parole a un poids différent. Mon
étude est une enquête de terrain. J'ai visité tous les pays dont je présente la culture es-
clavagiste. Je suis allé sur place, à Zanzibar, en Mauritanie, au Maroc, en Egypte... J'ai ren-
contré les victimes de l'esclavage.
Mais en touchant aussi violemment à l'islam et à ses pratiques, vous ne craignez
pas d'être frappé d'une fatwa ?
Je pourrais craindre une fatwa si j'insultais l'islam. Mais justement, je le défends. L'es-
clavage est en contradiction avec les fondements de la religion musulmane. Nous pou-
vons dire que l'islam est victime de la culture esclavagiste. Il est temps de dénoncer l'hy-
pocrisie de tous ceux qui se revendiquent de l'islam le plus pur et qui dans le même
temps violent son esprit en réduisant les autres en servitude. Mon livre est un manifeste
et un cri de guerre contre ces pratiques.
Le Coran est pourtant très ambigu sur l'esclavage.
Le Coran, qui est le texte sacré de l'islam, évoque la question de l'esclavage dans
vingt-cinq versets distincts répartis sur quinze sourates. Si certains versets peuvent pa-
raître ambigus, la tonalité d'ensemble penche en faveur de l'esclave. « Délivrez vos
frères des chaînes de l'esclavage », dit le Prophète. Celui qui se convertit à l'islam ne peut
être retenu en esclavage. Une loi édictée sous le calife Omar (mort en 644) stipule par
ailleurs que le musulman ne peut asservir son coreligionnaire, ni être asservi par lui.
Imaginez, au VIIe siècle, dans une Arabie où l'esclavage se pratique couramment, ce que
cette affirmation peut avoir de révolutionnaire. Tout musulman sincère qui possède un
esclave est encouragé à l'affr anchir. Celui qui commet un acte que la morale réprouve
peut ainsi se racheter en libérant un esclave.
Tous les hommes ne sont pas pourtant égaux dans l'islam ?
C'est vrai, et le Livre précise que Dieu « a élevé les uns au-dessus des autres, en de-
grés, afin que les premiers prennent les autres à leur service, tels des serviteurs ». C'est
sur un verset comme celui-ci que se fondent aussi les musulmans wahhabites d'Arabie
saoudite et ceux du Golfe pour réduire leurs domestiques en servitude, en leur enlevant
leur passeport et en les traitant comme des esclaves.
Celui qui est converti ne peut être réduit en esclavage, c'est un principe fonda-
mental de l'islam. Pourtant, dès le VIIe siècle, la traite s'organise vers l'Asie, les
Balkans et surtout l'Afrique...
L'empire avait besoin de bras, et comme justement l'esclave ne pouvait être musul-
man, on est parti le chercher ailleurs, en Asie, en Turquie, en Afrique. En échange du
paiement d'une taxe, le monothéiste, juif ou chrétien, était protégé par l'islam, d'où son
nom de dhimmi . Mais il y a le texte et la réalité, et il est vrai que nombre de Slaves de
confession orthodoxe ont été réduits en esclavage, notamment sous le califat turc, pour
remplir les harems et peupler l'armée.
De Zanzibar à Socotra, vous énumérez tous les comptoirs de traite qu'a connus
l'Afrique. Des villes comme Le Caire ont fondé une partie de leur richesse sur le
[77]
trafic d'esclaves. Si la traite atlantique organisée par les Européens du XVIIe au
XIXe siècle est inexcusable, les musulmans n'ont pas vraiment de leçon à donner :
ils ont organisé la traite des Noirs pendant près de dix siècles en toute bonne
conscience.
C'est vrai, et j'ai même découvert un ensemble de documents qui correspondent au
Code noir en vigueur dans les Antilles françaises à l'époque de la traite : des préceptes et
des règles qui expliquent comment acheter, vendre et traiter l'esclave. Mais si les condi-
tions de vie pendant le transport sont tout aussi odieuses, le statut de l'esclave en Islam
était très différent de celui qui lui a été imposé par les Européens dans les plantations
d'Amérique.
Les témoignages montrent quand même qu'un eunuque ou un serviteur ne va-
lait pas grand-chose...
Il est difficile de résumer dix siècles d'esclavage. Je vous donnerai seulement trois
exemples. Le premier est celui des femmes enlevées pour peupler les harems. Si elles
avaient un enfant du maître, elles étaient affranchies et leur enfant était reconnu. On
connaît plusieurs cas de sultans ou de califes qui étaient fils d'esclave. Deuxième
exemple : les esclaves qui grimpent dans l'administration ou dans l'armée. Les mame-
louks ont ainsi dirigé l'Egypte du XIIIe au XVIe siècle : ils étaient à l'origine des esclaves
utilisés comme soldats, qui un jour ont pris le pouvoir. Troisième exemple : les « sultans-
esclaves » de l'Inde moghole, au XIIIe siècle. D'une manière générale, l'esclave peut se
convertir, il ne peut prétendre qu'à une demi-part d'un héritage, mais rien ne l'empêche
de devenir suffisamment riche pour racheter sa liberté, et ensuite de détenir lui-même
des esclaves !
Vous assurez que l'esclavage existe dans de nombreux pays, particulièrement
en Mauritanie, en Arabie saoudite, dans les pays du Golfe, mais aussi au Maroc et
en Inde, où vous citez les intouchables. De quel esclavage parlez-vous ? Peut-on
mettre au même niveau la petite fille placée ad vitam aeternam comme bonne
dans une famille marocaine, l'enfant indien asservi sur un chantier parce que ses
parents sont endettés et le descendant d'esclave devenu métayer sur le domaine
d'un grand propriétaire mauritanien ?
Il y a plusieurs niveaux d'esclavage, certes. Et je ne parle pas des femmes qui, en Iran
ou ailleurs, sont utilisées comme des objets, par le biais notamment des mariages de
convenance : on se marie le matin, on consomme et on divorce le soir, le bénéficiaire de
ce tour de passe-passe étant bien sûr l'homme. Le lien entre toutes les situations, c'est la
servitude, physique, économique et psychologique. Nombre des exemples que je donne
relèvent de l'esclavage de traîne : l'homme reste asservi parce qu'il n'a pas les moyens
de quitter ses liens, même s'il est en théorie affranchi. Ce n'est pas un hasard si la Mauri-
tanie en est à sa troisième loi d'affranchissement, la dernière ayant été promulguée en
août 2007. Il faut une grande volonté pour lutter contre la servitude. Depuis trop long-
temps, les musulmans sont imprégnés d'une culture de l'asservissement. Ils doivent s'en
affranchir.
« L’esclavage en terre d’islam » (Fayard, 496 pages, 24 E)
Source : http://jcdurbant.blog.lemonde.fr/2007/09/16/islam-lesclavage-existe-toujours-enterre-
dislam-slavery-is-still-part-of-islam/
[78]
L’esclavage en terre d’Islam
Il fallait du courage { Malek Chebel pour parler de l’esclavage parmi les Musul-
mans dans l’histoire et dans les temps actuels. Il l’a fait dans un livre, dont la lec-
ture est vivement conseillée et qui a comme titre : L’ESCLAVAGE EN TERRE
D’ISLAM, publié par Fayard (Paris).
Il fallait du courage pour en parler, surtout par un musulman et pour les Musulmans.
En effet, on pense couramment (et on l’enseigne partout dans les écoles, surtout en
Afrique) que les esclavagistes étaient essentiellement des Européens, qui ont pratiqué
pendant presque quatre siècles un commerce juteux entre l’Afrique (esclaves), les Amé-
riques (rhum, sucre, etc.) et l’Europe (tissus, miroiterie, etc.). C’était le commerce «trian-
gulaire» entre trois continents. Mais dans les régions colonisées par les arabes musul-
mans ? L{ aussi, l’esclavage était pratiqué, comme du reste partout dans le monde. Et
pourtant Mohammed avait bien dit de libérer «les frères des chaînes de l’esclavage». Le
successeur du Prophète avait été fidèle { l’enseignement du Maître.
Abû Bakr, mort en 634, fut remplacé par le deuxième Calife, Omar (581 – 684), qui au
contraire encouragea ce commerce et les marchands d’esclaves n’avaient plus de limites
à leurs entreprises.
Des collaborateurs
En arabe, esclave se dit ‘abd, ou ‘abid et ma’bûd pour désigner surtout les esclaves
noirs. Ces esclaves noirs venaient essentiellement de Zanzibar, où les Arabes sont arri-
vés au cours du douzième siècle, ou d’autres pays du Sahel au fur et { mesure des con-
quêtes. De là viennent les mots zandj et aswad, toujours pour désigner les esclaves noirs.
Mais combien d’esclaves sont-ils partis de l’Afrique ? La traite occidentale, selon les ex-
perts, aurait transporté en Amérique au moins 12 millions de personnes à partir du XVI
jusqu’au XIX siècle. Pour les capturer, il fallait évidemment entrer { l’intérieur des côtes
africaines. Cela était le travail des collaborateurs africains de la traite et des roitelets
locaux. A ce propos, il ne faut pas oublier, selon les experts, que pour capturer un es-
clave, il fallait en tuer cinq autres. Donc nous pouvons seulement imaginer la tragédie
que la traite des esclaves a provoquée dans toute l’Afrique subsaharienne. Malek Chebel
a voulu dans son livre nous rappeler que la traite «orientale», pratiquée essentiellement
par les arabes et les islamisés, a été aussi meurtrière que celle occidentale, sinon pire. On
parle d’environ 20 millions de personnes, capturées essentiellement en Afrique, mais
aussi en Europe de l’Est et dans le Caucase. Cette traite a initié au début de l’Islam et a
duré jusqu’{ nos jours. La doctrine des «Lumières» du XVIII siècle et la tradition chré-
tienne, redécouverte après l’ouragan de la Révolution Française, ont beaucoup contribué
à la suppression de la traite des esclaves. L’abolition de l’esclavage a été décidé en 1834
en Angleterre, en 1843 en Inde, en 1847 en Tunisie, en 1848 en France, en 1850 au Bré-
sil, en 1856 au Portugal, en 1865 aux Etats-Unis, etc. Le dernier envoi d’esclaves du Mo-
zambique vers le Brésil s’est fait en 1862. Et pour les pays islamisés ? On a publié des
lois et des décrets qui sont restés lettre morte presque partout. A titre d’exemple, un
marché d’esclaves se tenait régulièrement { Rabat au Maroc jusqu’en 1910, tandis que
l’abolition de l’esclavage sera nommée dans un décret royal en 1922. Au Pakistan,
l’abolition de l’esclavage a été décidée en 1992 et en Mauritanie en 2007 !...
[79]
De nos jours
Et actuellement ? La traite des esclaves continue… sous d’autres formes. Des millions
d’hommes et de femmes viennent dans les pays du Moyen Orient pour chercher du tra-
vail. Ils ont un salaire misérable par rapport au niveau de vie de ces pays. Ils n’ont pas
droit { se marier, { la reconstitution familiale, { l’intégration. Une fois terminé le contrat
de travail, ils sont obligés { rentrer dans leur pays d’origine: l’Inde, le Bangladesh, les
Philippines, etc. S’ils sont chrétiens, ils n’ont pas droit aux objets de culte, { avoir une
chapelle ou à se réunir pour la prière. Au Mali, au Tchad et dans d’autres pays de
l’Afrique subsaharienne, on pratique encore la vente d’enfants. Selon les Nations Unies, il
y en a au moins deux cent mille qui disparaissent chaque année dans ces pays et qui
prennent la route du Moyen Orient ou d’ailleurs. Les « esclaves » avaient et parfois ont
encore aujourd’hui toujours le même rôle dans les pays de l’Islam: le travail physique,
les jouissances sexuelles et le service domestique.
En parler ouvertement aujourd’hui dans les pays de l’Islam ? Il vaut mieux de ne pas
le faire. C’est gênant. Pour cette raison, Malek Chebel a eu du courage pour aborder la
question de l’esclavage en terre d’Islam dans le temps passé, mais aussi, dans plusieurs
pays { majorité musulmane, aujourd’hui encore.
Tonino Falaguasta Nyabenda
Les pays visités
Avant de parler de l’esclavage en terre d’Islam, Malek Chebel a parcouru un certain nombre
de pays qui se réclament de l’enseignement de Mohamed. La Turquie d’abord.
Ce pays avec la domination ottomane contrôlait la vie politique, économique et sociale d’une
grande partie des pays islamiques jusqu’au XX° siècle. Et aujourd’hui, grâce { la réforme de
Atatürk Mustafa Kemal (1881-1938), la Turquie continue { jouir d’une grande influence surtout
sur les pays { l’islam modéré, en Afrique, au Moyen Orient et en Asie Centrale.
L’Irak et l’Iran: le mariage de complaisance qui y est pratiqué est une forme moderne
d’esclavage. L’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Yémen, le sultanat d’Oman : les es-
claves des temps modernes ne viennent pas des guerres ou des razzias, mais ce sont des ou-
vriers qui font le travail le plus dur et le moins rémunéré. Toute l’Afrique du nord et les pays de
la Corne ont été une plaque tournante de l’esclavage. Et Tombouctou, la ville sainte du Niger?
On disait qu’il y avait 333 saints. Mais ces saints (les imam), moyennant des offrandes géné-
reuses, légitimaient (aujourd’hui encore) un commerce innommable.
Nous allons terminer par la Mauritanie, où l’esclavage a été déclaré délit passible d’une peine
allant jusqu’{ dix ans de prison, le 8 août 2007 !
Mais les Harratine, descendants d’esclaves noirs, sont encore entre cent mille et cent
cinquante mille, concentrés dans la vallée du fleuve Sénégal et «propriété» de cinq
grandes tribus du pays. A la face des Droits de l’Homme proclamés par les Nations Unis
en 1948 !
http://www.afriquespoir.com/ae43/index_fichiers/esclavage.htm
[80]
UN AFRICAIN CONSIDÈRE
L’ESCLAVAGE ISLAMIQUE INFLIGÉ
AUX AFRICAINS
AFRICAINS LIBÉRÉS DES MAINS D'UN NÉGRIER ARABE DU ZANZIBAR EN 1884
(Ofosu-Appiah, p.82)
http://debate.org.uk/gesu-corano/francese/t12_f.htm
I. LES PRÉTENTIONS DE L’ISLAM
Aujourd’hui il y a de nombreux Afro-Caraïbes et Afro-Americains qui se convertissent
a l’Islam. Selon les recherches, ces nouveaux Musulmans se sont convertis avant tout
parce qu’ils pensaient que l’Islam était une religion de "fraternité et d’égalité". Beaucoup
d’entre eux croyaient que l’Islam n’avait pas de problèmes raciaux et qu’il n’était pas
impliqué dans la traite des esclaves, ainsi que plusieurs pays occidentaux européens.
‘Abd-al-Aziz’ Abd-al-Zadir Kamal écrit en "L’Islam et la question raciale": "Dans
l’Islam, l’humanité constitue une seule grande famille, créée (avec)... diversité de couleur
de la peau... (pour cette raison)... en adorant Dieu, tous les hommes sont égaux, et un
Arabe n’a pas la priorité sur un non Arabe… Tous les êtres humais sont... égaux… et les
mariages sont conclus sans tenir compte de la couleur de la peau." Il affirme donc que
dans l’Islam il y a l'harmonie raciale et que tous, indépendemment de leur couleur, ont
"les mêmes droits sociaux… les obligations légales... l’opportunité de trouver du travail
et... la protection de leur personne" (pag. 64).
Mais est-ce vrai? Ces prétentions sont-elles valables { la lumière de l’histoire? Voyons
par exemple la question del’esclavage de l’Islam.
II. LES SOURCE ISLAMIQUES CONFIRMENT-ELLES CES PRÉ-
TENTIONS?
[81]
Colonialisme arabe musulmane
Région de l'esclavage arabe
Région de l'esclavage européen
Malheureusement il y a beaucoup de
personnes de couleur noire qui croient
que l’attaque acharnée des Arabes {
l’Occident s’accorde avec la cause afri-
caine. C’est une erreur mortelle. Les pre-
miers écrivains Musulmans des traditions
islamiques (qu-ont été rédigées assez tard,
c’est-à-dire entre le 9ème et le 10ème
siècle après J.C.) admettent que déjà aux
temps de Mahomet il était devenu appro-
prié de propager ses idées par des con-
quêtes militaires; donc il n’est pas surpre-
nant que selon la tradition il ait dit:
"L’action la plus digne d’attention… et la
meilleur source de gain est la guerre" (Mishkat II, pag. 340).
Quand les premiers leaders de la conquête arabe (c’est-à-dire Abu Bakr, Umar et
d’autres) envahissaient les pays, l’histoire démontre que les habitants innocents pou-
vaient être dominés ou bien "accepter la mort par l’épée" (Dictionary of Islam, pag. 24).
Le Coran même commande aux Musulmans: "…tuez ces faiseurs de dieux, où que vous
les trouviez; et capturez-les, et assiégez-les, et tenez-vous tapis pour eux dans tout guet-
apens..." (Sourate 9:5). En outre il recommande aux Musulmans d’avoir des esclaves,
hommes et femmes (Sourate 4:24-25).
Selon la tradition islamique le général Abu Ubaidah, durant le siège de Jérusalem,
donna le choix aux habitants "d’accepter l’Islam ou bien de se préparer a être tués par
l’épée" (Rau Zatu, Volume II, pag. 241).
Les compilateurs Musulmans à la fin du 9ème siècle admettent franchement que Ma-
homet fut un chef militaire. Alors que les premières descriptions de la vie de Mahomet
en disent peu sur son activité prophétique, il abonde de récits, concernant ses batailles.
Al-Waqidi (mort en 820) estime que Mahomet fut impliqué personellement dans 19 ba-
tailles sur 26 (Al Waquidi 1966:144). Ibn Athir dit que leur nombre a été de 35 (Ibn
Athir, pag. 116), alors que Ibn Hisham (mort en 833) l’évalue { 27 (Ibn Hisham, pag. 78).
Le conseil belliqueux de Mahomet à ses partisans fut celui-ci: "Faites la guerre avec
moi pour envahir la Sirie, peut-être aurez-vous les filles de Al Asfar" (Al Waqidi
1966:144). Il faut savoir que Al Asfar était un homme d’affaires africain LIBRE ayant de
très belles filles au point que "leur beauté était devenue proverbiale" (Al Waqidi
1966:144).
Par conséquent, les pauvres disciples de Mahomet ne restèrent pas pauvres pour
longtemps. Ils devinrent ultra-riches avec les butins de la guerre, et accumulèrent beau-
coup d’animaux et d’ESCLAVES, et en plus beaucoup d’or (Mishkat, Volume II, pag. 251-
253, 405-406).
Il n’est pas surprenant que Ali Ibn Abu Talib se vantât en disant: "nos fleurs sont
l’épée et le poignard. Les narcisses et les myrtes ne valent rien; notre boisson est le sang
[82]
de nos ennemis, notre calice est leur crane après les avoir combattus" (Tarikh-ul Khula-
fa, pag. 66-67).
Il n’est pas surprenant que le Coran résonne de cette pensée en disant: "Lors donc
que (en combattant) vous rencontrez ceux qui mécroient, alors, frappez aux cols. Puis,
quand vous les avez dominés..." (Sourate 47:4) et "Combattez ceux qui ne croient ni en
Dieu..., et ceux des gens du Livre (c’est { dire les Juifs et les Chrétiens)..." (Sourate 9:29).
III. L’HISTOIRE CONFIRME-T-ELLE CES PRÉTENTIONS?
Le général musulman Amr Ibn Al’As envahit l’Egypte de 639 { 642 (Williams
1974:147-160). L’Egypte ne lui suffit pas et pour cela il tenta de coloniser la Makuria, un
royaume Chrétien indépendant. Mais le roi Kalydossas découvriet le complot on 643.
Al'As tenta de nouveau de s'emparer de la Makuria en 651, mais il échoua et il fut con-
traint de signer un traité de paix (Williams 1974:142-145).
En 745 le général Omar, le nouveau gouverneur d’Egypte, intensifia la persécution
des Chrétiens, mais le roi Cyriacus de la Makuria réussit à stopper cette nouvelle attaque
(Williams 1974:142-145). En 831 le roi Zakaria, le nouveau monarque de la Makuria
s'inquiéta { cause des chasseurs musulmans d’esclaves qui envahissaient son pays
(l’actuel Soudan). Il envoya une délégation internationale au calife de Bagdad, de ma-
nière que ces violations du traité de paix fussent arrêtées, mais il ne reçut aucune aide
(Williams 1974:142-145).
Le sultan Balbar d’Egypte continua à violer le traité de 651 (voire Sourate 9:1-4). Plus
tard, en 1274, les Musulmans de l’Egypte subjuguée, commencèrent { coloniser et { dé-
truire l’Alwa, la Makuria et la Nobatia, les 3 royaumes antiques chrétiens en Afrique. Les
peuples de ces nations, autrefois indépendantes et rayonnantes, furent vendus comme
esclaves.
Alors que l’Islam et la culture arabe se répandaient en Afrique, se diffusaient égale-
ment l’esclavage et le génocide culturel. On commença { faire la guerre pour avoir des
esclaves africains. Kumbi Kumbi, la capital du Ghana, fut détruite par les envahisseurs
musulmans en 1076. Le Mali avait une "mafia" musulmane qui "encourageait" les rois
africains du Mali { embrasser l’Islam. Cette "mafia" contrôlait les importants caravaniers
et les ports commerciaux de l’Afrique. Les Musulmans réussirent { s’emparer des places
les plus importantes du gouvernement et commencèrent { changer l’histoire antique du
Mali de façon que les évènements préislamiques furent effacés. Pour des raisons de sé-
curité, le gouvernement du Ghana des Mossi, conscient du pouvoir des commerçants mu-
sulmans, institua un département gouvernemental pour contrôler l’espionnage musul-
man (Davidson,Wills et Williams).
La traite islamique des esclaves se déroulait également autour du Lac de Giad, dans
les états musulmans de Bagirmi, Wadai et Darfur (O’Fahley et Trimmingham 1962:218-
219). Au Congo les négriers Jallaba commerçaient avec les Kreish et avec les Azande, un
peuple du nord (Barth et Roome). Également fréquentée était la route qui suivait la ligne
de partage des eaux entre le Nil et le fleuve Congo, où les négriers arabes-musulmans
(par exemple Tippu Tip du Zanzibar) arrivèrent des zones orientales de l’Afrique
(Roome 1916, et Sanderson 1965).
[83]
Dans l’Afrique orientale, les promoteurs du commerce des esclaves étaient les
peuples Yao, Fipa, Sangu et Bungu, tous Musulmans (Trimmingham 1969 et Gray 1961).
Sur la rive du Lac Nyasa (appellé actuellement Lac du Malawi) fut institué en 1846 le
sultanat musulman du Jumbe avec le but précis de favoriser le commerce des esclaves
(Barth 1857 et Trimmingham 1969). En 1894 le gouvernement britanique évalua que le
30% de la population de Hausaland étaient constitués d’ex-esclaves. Il en était ainsi aus-
si dans l’Afrique occidentale française entre 1903 et 1905 (Mason 1973, Madall et Ben-
nett, et Boutillier 1968).
IV. L’ISLAM AUJOURD’HUI
A. CES PRÉTENTIONS SONT-ELLES VALABLES?
Les Africains modernes ont pratiqué trop longtemps l’amnésie sélective quant {
l’esclavage islamique. Les Africains de couleur ont mis effectivement l’emphase sur
l’impact destructif du colonialisme européen et du commerce transatlantique des es-
claves, mais ils ont étrangement ignoré la traite arabe-musulmane des esclaves en
Afrique, de durée plus longue et dont l'effet fut dévastant.
On n’entend pratiquement jamais parler des Africains qui étaient contraints
d’immigrer { cause des incursions des négriers musulmans de l’ouest, de l’est et du nord
d’Afrique après le 7ème siècle. Les esclaves africains, transportés par voie navale de
Zanzibar, Lamu et d’autres ports est-africains, n’étaient pas conduits en Occident (ainsi
que certains Musulmans veulent nous le faire croire), mais aboutissaient en Arabie, en
Inde et dans d’autres états musulmans en Asie (Hunwick 1976, et Ofosu-Appiah
1973:57-63). Des rapports non-officiels évaluent que plus de 20 millions d’Africains ont
été vendus en tant qu’esclaves par les Musulmans entre 650 et 1905 (Wills 1985:7)! Il
est intéressant de remarquer que la majorié de ces 20 millions d’esclaves n’était pas
constituée par des hommes, mais par des femmes et des enfants qui sont plus vulné-
rables (Wills 1976:7). Ceci est logique, vue que la position du sexe femminin dans le Co-
ran a toujours été inférieure à celle du sexe masculin (Sourate 2:224; 4:11,34,176).
Les théologiens musulmans, comme le fameux Ahmad Baba (1556-1527), soutenaient
que "...la raison de l’esclavage imposé aux Soudaniens est leur refus de croire… (c'est
pourquoi) il est légal de s’emparer de quiconque est capturé en tant qu’infidèle... Maho-
met, le prophète, réduisait en esclavage les personnes, parce qu’elles étaient Kuffar…
(C’est alors) légal de posséder les Etopiens…" (Baba pag. 2-10).
Hamid Mohomad (alias "Tippu Tip"), qui est mort en 1905, était un des négriers les
plus commerçants de Zanzibar. Chaque année il vendait plus de 30.000 Africains (Lewis
pag. 174-193 et Ofosu-Appiah 1973:8). Il est important de se souvenir que la traite des
esclaves { Zanzibar a continué jusqu’ en 1964! En effet, en Mauritanie la traite n’a pas
été déclarée officiellement illégale avant 1981, alors qu’au Soudan on continue jusqu’{
aujourd’hui, selon un rapport de l’ONU du 1994 (voire aussi Ofosu-Appiah 1973:57-63;
"The Times" du 25 aout 1995; Darley 1935; MacMichael 1922 et Wills 1985). Ces
exemples concernent un esclavage uniquement islamique.
B. FAUT-IL RECONNAITRE CES PRÉTENTIONS?
[84]
On survole généralement les fait cités ci-dessus, on les ignore et on les oublie dans la
littérature, pour le simple fait qu’il n’est pas "correct politiquement" d’en parler. Étant
moi-même Africain, je dis honnêtement que nous devons révaluer le rôle de
l’impérialisme européen du 19ème siècle reconnaissant qu’il a été, malgré la "mauvaise
presse" dont il jouit, une des rares force qui a arrêté l’impérialisme arabes-musulman
sur le continent africain. Les Musulmans arabes d’aujourd’hui discréditent
l’impérialisme occidental du passé sans considérer ou discuter l’argument de leur
propre histoire sordide du continent.
CONCLUSION
Ceci a été un bref résumé de l’esclavage islamique en Afrique. Les compilateurs du
Coran et les écrivains islamiques postérieurs admettent que la guerre et la traite des
esclaves furent les moyens les plus efficaces pour s’emparer des pays neufs et indépen-
dants en Afrique. Cette théologie a gravement endommagé non seulement la vie de fa-
mille africaine, mais aussi l’antique héritage chrétien en Afrique et le développement
économique jusqu’{ aujourd’hui. L’Islam a délibéremment attaqué d’abord les femmes et
puis les enfants, la partie la plus vulnérable et importante de la population africaine. Les
hommes qui n’ont pas été vendus comme esclaves ont été simplement tués. La colonisa-
tion et l’esclavage islamiques ont commencé plus de 1000 ans avant la plus récente et
brève traite européenne et transatlantique (Hughes 1922:49). Beaucoup de cultures
africaines, aussi bien païennes que chrétiennes, ont été détruites. Pourquoi?
En plus, pourquoi les Musulmans ne protestent-ils pas contre l’esclavage imposé aux
Africains dans le Soudan d’aujourd’hui et pourquoi ne l’arrêtent-ils pas? Leur silence est
très éloquent! Alors que les esclaves dans les pays occidentaux ont été libérés, il y a des
siècles, les Africains se demandent pour combien de temps encore l’esclavage durera
encore sur le continent africain.
Le Seigneur Jésus a dit: "Allez, faites de toutes les nations des disciples", y compris
l’Afrique (Matthieu 28:19-20). Il ne nous a pas demandé de faire la guerre ou de réduire
les peuples en esclavage. Au contraire, lorsque le Fils de Dieu t’aura libéré, tu seras
vraiment libre. En fait, la Bible condamne tout genre d’impérialisme, aussi bien arabe,
qu’européen, asiatique ou africain (voire Exode 23:4-5; Levitique 19:15; Deutèronome
27:17; Proverbes 10:2-4, Isaie 5:20; Matthieu 5:13-18, 38-48, 15:19; Jean 18:36-37; Ro-
mains 1:16-3:20; Hébreux 11:8-16 et Jacques 4-5). Jésus a également dit: "vous les re-
connaitrez à leurs fruits". Les Chrétiens moraves blancs de l’Allemagne se "vendaient"
délibéremment comme esclaves pour pouvoir prêcher l’évangile aux esclaves noirs des
Indes occidentaux! Les Arabes musulmans auraient-ils fait quelque chose de semblable
pour les noirs? Le bon arbre de Jésus Christ porte de bons fruits. Le mauvais arbre de
l’Islam a porté de mauvais fruits en Afrique { partir de 639 et après, et il continue à le
faire encore aujourd’hui. C'est { toi de faire la comparaison et de prendre position!
Frère Banda
*Ce traité a été réalizé par des Chrétiens évangéliques pour diffuser efficacement la
vérité de Jesus le Messie aux Musulmans.
Attention: Les citations sont prises du "Le Saint Coran", traduction et commentaire de
Muhammad Hamidullah, Nouvelle Edition 1989
[85]
L’esclavage en islam
jeudi 13 novembre 2008, par Marie
Le Coran, texte sacré de l’islam, entérine l’existence de
l’esclavage. La charia, qui s’appuie sur le Coran et les dits de Ma-
homet (hadiths), autorise la réduction en esclavage de qui-
conque n’est pas musulman (si un esclave vient { se convertir, il
n’est pas affranchi pour autant).
Après la mort de Mahomet et la soumission de la péninsule
arabique, les Arabes conquièrent les rives méridionales et orien-
tales de la Méditerranée. Multipliant les prises de guerre, ils pro-
longent dans ces régions l’esclavage à la mode antique. Ils inaugurent aussi une longue
et douloureuse traite négrière qui va saigner l’Afrique noire jusqu’{ la fin du XIXe siècle.
Les arabo-musulmans s’abstiennent de réduire en esclavage leurs coreligionnaires
mais cette règle souffre de nombreuses transgressions et l’on ne rechigne pas { asservir
des musulmans, notamment noirs, au prétexte que leur conversion est récente.
L’esclavage devient rapidement l’un des piliers de l’économie de l’empire abasside de
Bagdad. Les harems du calife et des notables de Bagdad se remplissent de femmes origi-
naires du Caucase réputées pour leur beauté. Ces belles esclaves ont continué jusqu’au
XXe siècle d’alimenter les harems orientaux en concurrence avec les beautés noires ori-
ginaires d’Éthiopie.
Pour les tâches domestiques et les travaux des ateliers et des champs, les sujets du ca-
life recourent { d’innombrables esclaves en provenance des pays slaves, de l’Europe
méditerranéenne et surtout d’Afrique noire. Ces esclaves sont maltraités et souvent mu-
tilés et castrés.
D’autres esclaves et eunuques sont employés comme soldats et chefs de guerre par
les différentes dynasties musulmanes, du Maroc aux Indes.
Dans les premiers temps de l’islam, les notables de Bagdad s’approvisionnent en es-
claves blancs auprès des tribus guerrières du Caucase mais aussi auprès des marchands
vénitiens qui leur vendent des prisonniers en provenance des pays slaves, encore
païens.
En Europe orientale et dans les Balkans, pendant la même période, les Ottomans pré-
lèvent environ trois millions d’esclaves. Mais l’expansion européenne, { partir de la fin
du XVIIIe siècle, met fin à ces razzias.
Si la traite des esclaves blancs a rapidement buté sur la résistance des Européens, il
n’en a pas été de même du trafic d’esclaves noirs en provenance du continent africain.
La traite arabe commence en 652, lorsque le général arabe Abdallah ben Sayd impose
aux Nubiens (habitants de la vallée supérieure du Nil) la livraison de 360 esclaves par
an. Les spécialistes évaluent de douze à dix-huit millions d’individus le nombre
d’Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire, du VIIe au XXe
siècle, soit { peu près autant que la traite européenne { travers l’océan Atlantique, du
XVIe siècle au XIXe siècle.
[86]
Le trafic suit d’abord les routes transsahariennes. Des caravanes vendent { Tombouc-
tou par exemple des chevaux, du sel et des produits manufacturés. Elles en repartent
l’année suivante avec de l’or, de l’ivoire, de l’ébène et... des esclaves. Au XIXe siècle se
développe aussi la traite maritime entre le port de Zanzibar (aujourd’hui en Tanzanie) et
les côtes de la mer Rouge et du Golfe persique.
Le sort de ces esclaves, razziés par les chefs noirs à la solde des marchands arabes, est
dramatique. Après l’éprouvant voyage { travers le désert, les mâles sont systématique-
ment castrés avant leur mise sur le marché, au prix d’une mortalité effrayante, ce qui fait
dire { l’anthropologue et économiste Tidiane N’Diyae : « Le douloureux chapitre de la
déportation des Africains en terre d’islam est comparable à un génocide. Cette déporta-
tion ne s’est pas seulement limitée { la privation de liberté et au travail forcé. Elle fut
aussi – et dans une large mesure - une véritable entreprise programmée de ce que l’on
pourrait qualifier d’extinction ethnique par castration ».
Le mépris des Noirs a perduré au fil des siècles. Ainsi peut-on lire sous la plume de
l’historien Ibn Khaldoun (1332-1406) : « Les seuls peuples { accepter l’esclavage sont
les Nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du
stade animal ».
« Comparé à la traite des Noirs organisée par les Européens, le trafic d’esclaves du
monde musulman a démarré plus tôt, a duré plus longtemps et, ce qui est plus impor-
tant, a touché un plus grand nombre d’esclaves », écrit en résumé l’économiste Paul Bai-
roch. Cet auteur ainsi que Tidiane N’Diaye rappellent qu’il ne reste pratiquement plus
trace des esclaves noirs en terre d’islam en raison de la généralisation de la castration,
des mauvais traitements et d’une très forte mortalité, alors que leurs descendants sont
au nombre d’environ 70 millions sur le continent américain.
Notons le parallèle avec les États arabes du Golfe Persique qui recourent massive-
ment à des travailleurs étrangers tout en empêchant ceux-ci de faire souche sur place... à
la différence des pays occidentaux.
Dès les premiers temps de l’islam, des caravaniers arabes ont puisé dans le vivier de
nombreux esclaves en vue de les revendre au Moyen-Orient. Des chefs noirs se sont mis
à leur service pour guerroyer contre leurs voisins et les fournir en prisonniers.
Il s’en est ensuivi un trafic de 5.000 à 10.000 esclaves par an en direction des pays
musulmans. En témoignage de ce trafic, le mot arabe abd qui désigne un serviteur ou un
esclave, est devenu synonyme de Noir.
Au XIXe siècle, des musulmans de confession chiite en provenance du Golfe persique
se sont établis sur une île de l’Océan indien proche du littoral africain.
Ils l’ont appelé Zanzibar (de Zenj et bahr, deux mots arabes qui signifient littoral des
Noirs) et y ont créé de fructueuses plantations de girofliers sur lesquelles travaillaient
des esclaves noirs du continent.
Les conditions de travail y étaient épouvantables : « La mortalité était très élevée, ce
qui signifie que 15 à 20% des esclaves de Zanzibar (soit entre 9.000 et 12.000 individus)
devaient être remplacés chaque année », écrit Catherine Coquery-Vidrovitch.
Très vite, Zanzibar est devenu un important marché d’exportation d’esclaves { desti-
nation du Golfe arabo-persique. Les comptes précis tenus par l’administration du sultan
ont permis d’évaluer { plus de 700.000 le nombre d’esclaves qui ont transité par l’île
entre 1830 et 1872.
[87]
Aujourd’hui encore, les habitants noirs de Zanzibar conservent un statut de quasi-
esclave.
http://kabyles.net/L-esclavage-en-islam,3969.html
3 Messages de forum
 L’esclavage en islam 14 novembre 2008 07:14, par Rainbird
l‘Occident se sent aujourd‘hui coupable de l‘esclavage que les musulmans n‘en font
même pas mention.
C‘est de plus, encore l‘Europe qui a interdit cette pratique, je crois que l‘islam ne l‘a
pas encore abrogée.
 L’esclavage en islam 14 novembre 2008 08:31, par apostislam@gmail.com
Il ne faut pas oublier que le "butin" consacré par la sourate VIII (mais aussi sourate
XLVIII ; la victoire) était constitué non seulement par des marchandises ou du bétail,
mais aussi d‘hommmes etde femmes, qui pouvaient selon le bon vouloir de ceux qui
s‘en étaient emparrés être exécutés, rendus contre rançon ou réduits en esclavage.
C‘est ainsi que le prophète de l‘islam, après la rédition de la tribu juive médinoise des
Bânu Quraydha, décida de décapiter tous les hommes et de réduire en esclavage leurs
femmes et leurs enfants.se réservant pour lui la belle Ryhâna, en lui disant : "Si tu le
veux, je te libererai et je tépouserai. Mais si tu le préfères, tu resteras au nombre de
mes captives et je te prendrai comme je les prends." (Al-Sïra, tome II chap. 4) Il ne
faut pas oublier que si le coran limite à quatre, le nombre d‘épouses légitimes, le
nombre de concubines est illimité.
[88]
L’Esclavage dans les pays musulmans
Cela peut choquer mais c’est pourtant vrai : l’esclavage n’est pas une coutume
révolue. C’est même un phénomène répandu, notamment dans les pays musul-
mans, où il revêt diverses formes et est fréquemment officialisé. Bien sûr, il ne
porte pas le vilain nom d’ "esclavage", mais se cache derrière les appellations plus
respectables de "tutelle" ou de "bonnes". Du Maroc { l’Arabie saoudite, petit tour
d’horizon des pratiques esclavagistes. Les femmes et les enfants en sont les pre-
mières victimes
C’est { Malek Chebel, anthropologue et spécialiste algérien de l’islam, que revient le
mérite d’avoir remis { l’ordre du jour, en France, un phénomène gênant, celui de l’ "es-
clavage en terre l’islam", titre d’un riche ouvrage de 500 pages publié chez Fayard en
2007 et sous-titré : "Un tabou bien gardé". Chebel n’hésite pas { désigner dans l’islam
même les racines de certaines formes d’esclavagisme. S’il s’étend longuement sur les
racines historiques du phénomène, il en décrit aussi certaines manifestations actuelles.
Mariage et prostitution, deux façons d’asservir les femmes : Afghanistan, Ma-
roc...
"Combien de femmes, aujourd’hui même, sans porter { proprement parler l’étiquette
d’ ’esclaves’, tant en Asie musulmane qu’en Afrique médiane et au Maghreb, sont-elles
maintenues dans une condition qui les oblige { monnayer les plaisirs sexuels qu’elles
fournissent au profit d’un proxénète ? Plus pervers encore est le système de mise en es-
clavage matrimonial de jeunes filles pubères - pratiquement des enfants - au nom de
coutumes tribales d’un autre âge. C’est le cas, encore aujourd’hui, en Afghanistan, où des
jeunes filles à peine nubiles sont mariées à des chefs tribaux, riches et souvent séniles,
en termes de ce qui apparaît comme une forme de ’droit de cuissage’", note Chebel.
Dans un dialogue avec le généticien français Albert Jacquard (Jamais soumis, jamais
soumise, Stock 2007), Fadela Amara évoque en termes très clair l’esclavage des jeunes
filles dont elle a été témoin au Maroc : "Je suis allée dans les villages marocains, en fin
fond du bled (...) Autour de 10 ans, les filles sont enlevées de l’école pour être mises {
disposition de familles bourgeoises et devenir des bonnes, avec tout ce que ça implique :
certaines vont être violées par le chef de famille, mises enceintes et fichues dehors par
l’épouse légitime (...)"
Les Marocaines qui tentent de se libérer en fuyant pour des pays arabes riches ris-
quent d’être déçues. Le quotidien marocain TelQuel est allé jusqu’{ afficher sur son site,
en 2007, une pétition intitulée "Pour le respect des droits de la femme marocaine ’immi-
grée’ aux pays du Golfe" afin de lutter contre le phénomène des Marocaines faites es-
claves aux Emirats arabes unis, où elles croyaient trouver argent et liberté : "Parties tra-
vailler dans les pays du Golfe comme coiffeuses ou hôtesses, des milliers de Marocaines
se retrouvent séquestrées, battues et forcées { se prostituer. Cherchant { s’évader, cer-
taines sont emprisonnées ou même assassinées ! Et le Maroc se tait, au nom de ’considé-
rations diplomatiques’."
Une situation qui n’est toutefois pas le seul fait du Maroc. Au Liban aussi, les "travail-
leuses étrangères" sont fréquemment faites esclaves par leurs employeurs.
[89]
Liban : le phénomène des "bonnes"
Le 11 octobre 2007, Le Monde publiait un article de Dominique Torres sur la situation
des "bonnes à vendre" au Liban. Des jeunes femmes naïves et démunies venues de pays
pauvres, notamment du Sri Lanka, d’Ethiopie et des Philippines, pour se faire un petit
salaire, ne se doutent pas qu’elles vont se voir confisquer leur passeport et se trouver à
la merci d’employeurs qui feront d’elles non des bonnes, mais des esclaves. "Leur passe-
port transitera directement des mains du policier des frontières { celle de l’employeur",
note l’article.
Le marché des bonnes est intéressant pour les agences qui "à la signature du contrat,
se versent entre dix et quinze fois le premier salaire de la domestique." Quant aux
"bonnes", elles sont très peu payées - quand elles ont la chance de tomber sur un em-
ployeur qui respecte le contrat. Mais face aux abus en tous genres, dont la privation du
salaire n’est pas le moindre, ces jeunes femmes n’ont d’autres moyens de se défendre
que de fuir pour l’ambassade de leurs pays, où sont cachées nombre d’entre elles.
Ces jeunes femmes sont peut-être les seules à avoir profité de la deuxième guerre du
Liban : "Durant l’été 2006, l’attaque israélienne au Liban et le désarroi des Libanais
fuyant les bombes ont été largement couverts. Les médias ont évoqué, sans s’attarder
sur le sujet, le nombre de 30 000 domestiques abandonnées dans des appartements
fermés à clé, souvent avec le chien. A leur retour, les employeurs étaient furieux. La do-
mestique était partie !" notait l’auteur, non sans humour.
Tuteur légal ou maître d’esclave ?
Le 15 novembre 2007, le quotidien libanais L’Orient Le Jour réagissait { l’article de
Dominique Torrès par un article intitulé : "Bientôt une législation pour la protection à
égalité des domestiques étrangères et des employeurs". Le quotidien libanais admet qu’
"un réel problème existe (...) L’employeur, tuteur légal de la domestique, unique respon-
sable aux yeux de la loi libanaise, est seul maître à bord." Ainsi "certains employeurs,
soucieux de rentabiliser [la caution versée { l’agence pour l’obtention de la bonne], sont
parfois poussés à des comportements esclavagistes", note pudiquement l’article, comme
d’ "enfermer leur domestique (...) par peur de la voir prendre la fuite." Il est en effet plus
intéressant de travailler au noir, avec un meilleur salaire et la liberté à la clé.
L’article note : "En instaurant le principe de la tutelle, principe qui est d’ailleurs ré-
pandu dans les pays arabes, l’Etat entend exercer un contrôle strict sur les communau-
tés de migrants." Ce principe de la tutelle s’avère dans les faits synonyme
d’asservissement.
Trafic d’enfants au Bengladesh
Après les femmes, les enfants ne sont pas en reste : le site d’Amnesty International
Belgique affichait, en décembre 2004, une enquête intitulée "Itinéraire d’un esclavage
asiatique", qui abordait presque exclusivement le sujet de l’esclavage en pays musul-
mans. Le rapport évoquait notamment le trafic d’enfants du Bengladesh, citant : "La mi-
sère et la crédulité d’une large part de la population bangladaise facilitent les trafics de
femmes et d’enfants vers l’étranger. L’Inde, le Pakistan et les riches pays arabes sont
leurs principaux destinataires (...) Les filles aboutissent souvent dans des réseaux de
prostitution forcée ou de travail domestique, parfois dans le secteur industriel (notam-
[90]
ment les usines de vêtements)." Quant aux garçons, ils se retrouvent fréquemment joc-
keys dans les courses de chameaux de la Péninsule : "Leurs cris de peur sont censés ef-
frayer les animaux et les faire courir plus vite". Pour garder ces garçons petits et lestes,
on les prive de nourriture. Et, au Bengladesh aussi, "la passivité des autorités" est dé-
noncée : "Des lois existent au Bangladesh pour punir les trafiquants d’être humains. Ra-
rement appliquées, elles n’ont aucun effet dissuasif."
Arabie saoudite et Emirats arabes unis : une opulence qui repose aussi sur le
travail des esclaves
Malek Chebel n’est pas tendre vis-à-vis de l’Arabie saoudite, où l’esclavage est peut-
être le plus généralisé, les hommes aussi en étant victimes : "Ouvriers soumis, eunuques,
domestiques, concubines : tous les degrés de la servitude sont pratiqués et entretenus
dans l’une des régions les plus opulentes de la planète (...) L’esclave est certes une
ombre inconsistante aux yeux de son maître, mais sa présence est pratiquement indis-
pensable au fonctionnement de la cité en Arabie." Chebel précise : "La ville princière de
Taîf, à une centaine de kilomètres de la ville sainte, peut se prévaloir de compter encore
aujourd’hui un grand nombre d’esclaves. Ils sont employés { l’arrosage des roseraies,
des vignes et des vergers qui font la réputation de l’endroit, ou bien au nettoyage et {
l’entretien des palais. Il en va de même { Djedda, ville portuaire, { Riyad, capitale poli-
tique du pays, et même dans les prudes Médine et la Mecque où un corps d’eunuques fut
encore signalé, photographies { l’appui, il y a moins d’une dizaine d’années."
Les Emirats arabes unis ne sont pas en reste : "De leur côté, en raison de leur ’boom’
économique, les Emirats arabes unis ont connu et connaissent un besoin vital de main-
d’œuvre qu’ils vont puiser en Asie, et n’hésitent pas, au besoin, { mettre en servitude
dans les demeures privées." On le voit : les Marocaines ne sont donc pas les seules vic-
times de ces petits Etats qui ont pourtant les moyens d’employer décemment du per-
sonnel.
Laissons le mot de la fin à Wajiha Al-Huweidar, militante des droits de la femme en
Arabie saoudite, dont les propos prononcés sur la télévision saoudienne Al-Hurra le 13
janvier 2008 ont été relayés par le MEMRI (Middle East Research Institute). Dénonçant
la situation des femmes en Arabie saoudite, qu’elle qualifie de "pire qu’{ Guantanamo",
elle estime que "la société saoudienne se base sur l’asservissement : l’asservissement
des femmes aux hommes et de la société { l’Etat." Tout un système qu’il faudrait revoir
pour mettre fin à des pratiques dégradantes pour tous : maîtres comme esclaves.
Paru dans IMag
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=38238
[91]
L'ESCLAVAGE ET LE MONDE MUSULMAN
L’islam (entendu ici comme civilisation) partage l’insigne privilège, avec l’occident,
d’avoir été la seule civilisation { pratiquer la traite industrielle.
Entre le 7ème et le 19ème siècle, environ 17 millions d’Africains auraient été "razziés
et vendus par des négriers musulmans".
"A elles seules, les traites orientales seraient donc { l’origine d’un peu plus de 40%
des 42 millions de personnes déportées par l’ensemble des traites négrières.
Elles constitueraient ainsi le plus grand commerce négrier de l’histoire", écrit l’un des
auteurs sollicités par la revue, l’universitaire Olivier Pétré-Grenouilleau.
Le grand journal arabe Al Hayat insiste d’ailleurs sur la coupable "amnésie" du monde
musulman à ce sujet :
Comme en témoigne le drame soudanais, les Arabes ont pratiqué l’esclavage sur une
large échelle. Pour Al Hayat, il est grand temps qu’ils reconnaissent leur responsabilité.
Bakaru SAMBE, chercheur { l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon :
"Dès le 11ème siècle, ce que les historiens arabes, ont dénommé Bilâd as-sûdân, (le
pays des noirs) est entré en contact avec les Arabes par le commerce touchant surtout
l’or, les esclaves la gomme "arabique" et le sel.
C’est, peut-être, ce "commerce silencieux" qui favorisa très tôt l’islamisation de
l’Afrique Occidentale, par le Sud marocain.
Les richesses de l’Afrique noire ont aussi profité aux célèbres empires médiévaux des
Almoravides et même des Almohades .
L’islamisation de l’Afrique Noire doit du reste essentiellement { la traite des noirs par
les musulmans (voir Henri Labouret, Histoire des noirs d’Afrique, PUF, 1950, p.36)
Jacques Heers, qui se fonde en grande partie sur le travail des historiens africains
contemporains, arrive exactement aux mêmes conclusions (Les négriers en terres
d’islam, la première traite des Noirs VII-XVIème siècle, Perrin,2003.)
On apprend aussi dans son ouvrage que la castration des esclaves mâles était chose
couramment pratiquée.
La revue en ligne Hérodote, créée par des professeurs d’histoire, et travaillant { partir
de travaux de références, arrive aux mêmes conclusions.
Les esclaves blancs de Bagdad venaient au début des pays slaves encore païens.
C’étaient des prisonniers de guerre vendus par les Européens.
On évalue { un million le nombre d’habitants enlevés en Europe occidentale entre
le16ème et le 18ème siècle, au temps de François 1er, Louis XIV et Louis XV.
En Europe orientale et dans les Balkans, pendant la même période, les Ottomans pré-
levèrent environ trois millions d’esclaves.
[92]
La traite arabe a commencé en 652, dix ans après la mort de Mahomet, lorsque le gé-
néral arabe Abdallah ben Sayd a imposé aux Nubiens (les habitants de la vallée supé-
rieure du Nil) la livraison de 360 esclaves par an.
Les spécialistes évaluent de douze à dix-huit millions d’individus le nombre
d’Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire, du 7ème au 20ème
siècle:
« Comparé { la traite des Noirs organisée par les Européens, le trafic d’esclaves du
monde musulman a démarré plus tôt, a duré plus longtemps et, ce qui est plus impor-
tant, a touché un plus grand nombre d’esclaves », écrit en résumé l’économiste Paul Bai-
roch.
Quant { l’abolition de l’esclavage, faut-il le rappeler ? elle a commencé dans les pays
occidentaux :
Chronologie de l’abolition de la traite des Noirs et de l’esclavage:
1751 : Les Quakers interdisent l’esclavage au sein de leur communauté.
1792 : Le Danemark est le premier pays à abolir la traite négrière.
1793 : Abolition de l’esclavage { Saint-Domingue.
1794 : La Convention française abolit l’esclavage dans les colonies.
1802 : Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage.
1807 : Abolition de la traite négrière aux États-Unis et en Angleterre.
1815 : Les puissances européennes, dont la France, décident au congrès de Vienne
d’abolir la traite négrière.
1833 : L’Angleterre abolit l’esclavage.
1848 (27 avril) : La France abolit l’esclavage.
1865 : Les États-Unis abolissent esclavage.
1888 : Le Brésil est la dernière colonie { abolir l’esclavage.
1926 : Conférence internationale sur l’esclavage. La Société des Nations adopte une
Convention interdisant la traite et l’esclavage.
1948 : Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU.
Les derniers pays { l’abolir officiellement (ce qui ne veut pas dire qu’ils ont cessé de le
pratiquer) sont d’ailleurs...les etats musulmans : Arabie Saoudite, 1955 ; Mauritanie,
1980...
La Mauritanie cependant continue de le pratiquer. C’est ce qu’affirme Le Monde di-
plomatique, pourtant peu suspect d’islamophobie, ou encore, plus sérieux, Amnesty In-
ternational.
Certains intervenants, comme l’organisation antiesclavagiste SOS Esclaves, pensent
que le problème de l’esclavage concerne l’ensemble de la société Mauritanienne
Le Soudan, dans un contexte de guerre civile visant { l’écrasement des populations
animistes et chrétiennes du Sud (2 millions de morts { ce jour), n’est pas en reste,
comme en témoigne le rapport 2002 d’Amnesty International.
[93]
Il faut préciser que la presse soudanaise est muselée et peine à dénoncer ces méfaits.
Ainsi le 10 mai 2003, le journal Khartoum Monitor était condamné pour cette raison,
notamment, pour "insulte { l’islam".
En mars 1994, le délégué spécial des Nations-Unies pour les Droits de l’homme, Gas-
par Biro, a fait connaître l’existence au Soudan de ce qui pourrait être appelé des mar-
chés d’esclaves modernes.
Comme toute marchandise, le prix de la chair humaine au Soudan a varié en fonction
de la demande.
En 1988, une arme automatique pouvait valoir six ou sept enfants esclaves.
En 1989, une femme ou un enfant de la tribu Dinka - une peuplade pastoral du Nil de
taille exceptionnellement grande - pouvait être achetée pour 90 $.
En 1990, les raids ont augmenté, le marché inondé, et le prix est tombé à 15 $.
En février 1999, l’UNICEF a reconnu que l’esclavage existait au Soudan.
Que dire de l’Arabie Saoudite, qui pratique couramment l’esclavage domestique
(source : Amnesty International):
"Le pire des sort est réservé aux nombreuses femmes employées comme domes-
tiques. Leurs conditions de vie s’apparente { l’esclavage, elles sont privées de leur pas-
seport, ne peuvent sortir de la maison sans autorisation, ne peuvent fréquenter d’autres
personnes et sont régulièrement battues et violées. Dans la très grande majorité des cas,
ces abus ne font l’objet d’aucune poursuite et les employeurs sont encouragés par cette
impunité".
Que l’occident se soit rendu coupable de la traite des noirs et du commerce triangu-
laire est une chose que nous admettons sans difficulté. De la bouche même d’Al-
Mawdudi : "Les livres écrits par les auteurs occidentaux eux-mêmes témoignent de ces
faits."
On regrette que le même effort critique ne soit pas produit par les apologistes mu-
sulmans".
http://www.bladi.net/forum/37787-lesclavage-monde-musulman/
[94]
Esclaves chrétiens, maîtres musulmans.
L'esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800)
Cahors, Éditions Jacqueline Chambon, 2006, 335 p.
Carmen Bernand
L'une des scènes les plus populaires de Molière est celle où le fourbe Scapin extorque
cinq cents écus à Géronte en lui faisant croire que son fils Léandre a été emmené à Alger
comme esclave. « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » se lamente Géronte, qui
finit par lui remettre cet argent, le prix de la rançon. Cet épisode des « Fourberies de
Scapin », exposé sur le mode comique, révèle en fait une pratique relativement fré-
quente et, en tout cas, dramatique que Robert C. Davis présente et analyse dans ce livre
passionnant sur l'esclavage des chrétiens par les Turcs et leurs corsaires algérois, tuni-
siens et tripolitains. L'esclavage des Blancs, explique l'auteur, minimisé et tenu pour re-
lativement doux en comparaison de celui des Noirs dans les Amériques, offre pourtant
des chiffres qui montrent l'étendue d'une activité qui se maintiendra jusqu'au XIXe siècle
et ne disparaîtra qu'avec l'installation du colonialisme français.
Combien de chrétiens – car il s'agit bien
d'un prélèvement d'ennemis, d'infidèles,
par les corsaires musulmans dont beaucoup
sont des renégats – ont été soumis en escla-
vage ? L'auteur, qui a travaillé principale-
ment en Italie avec une documentation de
première main – dont une partie émane des
archives de Propaganda Fide – expose les
difficultés de chiffrer de façon exacte le
nombre des captifs ainsi que les biais inévi-
tables de la documentation, fournie essen-
tiellement par les ordres religieux qui
avaient tendance à exagérer le nombre de
ces esclaves. Toutefois, sur la base de cer-
tains recoupements, R.C. Davis arrive à la
conclusion qu'entre 1580 et 1680, la pé-
riode la plus active de cette course méditer-
ranéenne – les « Fourberies » datent de
1671 – on peut accepter une moyenne an-
nuelle de 35 000 captifs vivants répartis,
pour la grande majorité, à Alger et, en
nombre moins important, à Tunis (6 000)
et Tripoli, bien que d'autres bagnes aient
existé notamment à Dulcigno (Montene-
gro), en fait une étape dans la traversée de
la Méditerranée jusqu'à Alger. S'il est vrai qu'aucun royaume européen n'était à l'abri
des incursions corsaires, qui pouvaient remonter de Salé jusqu'au sud de l'Angleterre, ce
sont les côtes espagnoles et italiennes qui furent les plus touchées par les razzias. Les
corsaires ne se contentaient pas d'aborder des galères chrétiennes ou des bateaux de
pêche : ils mouillaient dans des criques isolées et pénétraient dans les terres, pillaient,
[95]
saccageaient au passage, et emportaient des paysans ou des religieux, soit pour rançon-
ner la famille, soit pour emmener leurs victimes dans les bagnes d'Alger ou d'ailleurs et
en faire des esclaves. Avec justesse, l'auteur explique que ces prises non seulement ter-
rorisaient les habitants du littoral et rendaient très risqués la pêche et le commerce ma-
ritime, mais que la ponction humaine régulière et la difficulté de payer des rançons éle-
vées de la part de ceux qui restaient, eurent pour conséquence la ruine d'une partie de
ces populations et la décomposition du tissu social.
La vie dans les bagnes, ainsi que les différentes fonctions des esclaves, est décrite
avec des détails puisés dans la documentation examinée par l'auteur. Le passage con-
cernant la vie dans les galères turques est saisissant, et R. Davis précise que le contraire
était aussi cruel. Cependant, on a l'impression que ces esclaves étaient soumis à l'arbi-
traire des maîtres, voire à leur sadisme. Par comparaison avec les esclaves noirs des
Amériques, que R. Davis réduit à tort aux seules plantations alors que l'esclavage urbain
était important (l'évoquer lui aurait permis une comparaison plus exacte avec Alger et
les autres ports), ceux d'Afrique du Nord n'ont absolument aucun recours, même si les
bagnes hébergent une petite chapelle. En Amérique ibérique, du moins dans les centres
urbains, l'esclave jouit d'une protection minimale de l'Église ; son travail comme journa-
lier lui permet de constituer un (maigre) pécule qui lui permettra de racheter sa liberté ;
il est également nourri par son maître. En Afrique du Nord, l'esclave n'a rien et il doit
acheter sa nourriture et payer son « logement » dans le bagne. Toutefois, il existait des
différences très grandes entre les esclaves : d'une part, ceux qui pouvaient être rachetés
à bon prix, qui savaient lire et qui jouissaient d'un régime moins sévère, d'autre part, les
laissés pour compte : paysans et pêcheurs razziés qui finissaient souvent leurs jours at-
tachés à la rame d'une galère. Pas de manumission mais une possibilité d'échapper à ce
destin en abjurant sa religion. À plusieurs reprises, R. Davis affirme que la conversion à
l'islam n'était pas recherchée par les maîtres d'esclaves ni par le pacha parce qu'elle les
privait d'une main-d'œuvre bon marché. Cependant beaucoup renièrent leur foi chré-
tienne, donnant par là aux frères rédempteurs, comme les Trinitaires, un argument pré-
cieux pour recueillir les fonds destinés à payer les rançons. Un autre argument pour
faire appel à la charité et réunir les sommes demandées par les corsaires et leurs com-
manditaires, était le danger, pour les jeunes gens enlevés, de la sodomie ou du harem
pour les jeunes filles. Les descriptions des bagnes et de leur ordonnancement consti-
tuent un passage fort de ce livre, ainsi que la question des sabirs, de la lingua franca et
de la difficile communication entre les uns et les autres. Signalons encore les observa-
tions très fines sur la vie quotidienne et les menaces constantes d'incursions corsaires :
les victimes, dit l'auteur, « prenaient la mer un matin et disparaissaient purement et
simplement » sans laisser de trace. Les plus fortunés de ces captifs réussissaient après
des années à envoyer une lettre à leur famille. D'autres, illettrés ne pouvant se payer ni
le scribe, ni l'encre ni le papier, restaient « disparus ». Quant aux corsaires, pour la plu-
part des renégats animés par la haine et le ressentiment envers leurs anciens frères
chrétiens, ils s'en prenaient aux symboles religieux, croix, images, chapelles, qu'ils sac-
cageaient.
La dernière partie retrace le retour des captifs, une fois rédimés, dans leur pays natal.
En moyenne, ils passaient cinq ou six ans en captivité. Or, le retour de l'absent n'était pas
aisé et de nombreux cas montrent que, les familles s'étant accommodées de leur ab-
sence, leur réapparition remettait en cause les héritages, les dots, les mariages et l'équi-
libre de la maisonnée. Signalons le chapitre consacré au rôle des frères rédempteurs,
trinitaires ou mercédaires, et aux rituels que ceux-ci accomplissaient afin d'effacer la
[96]
« souillure » de l'esclavage et de réintroduire le chrétien dans un tissu social où il de-
meurait l'obligé de ceux qui avaient payé sa rançon et restait, au moins symboliquement,
l'esclave des moines ou des puissants.
Un esclave reste un esclave, et le négrier n'a ni race ni couleur : Robert Davis a raison
de mettre l'accent sur ce drame méditerranéen, souvent oublié par le « politiquement
correct ». Jusqu'à quel point la tragédie de cet esclavage chrétien inspira les critiques
abolitionnistes, comme il le suggère à la fin de son ouvrage ? La réponse n'est pas claire
mais la richesse des matériaux nous incite à rechercher cette connexion et à rapprocher
toutes les formes d'exploitation du travail servile pour en saisir la redoutable logique,
quels que soient ceux qui l'ont développée.
Les Archives... cinquante ans après, [En ligne], mis en ligne le 12 février 2007. URL :
http://assr.revues.org/index3905.html. Consulté le 02 février 2009.
[97]
L'histoire oubliée des Blancs réduits en esclavage
Les Blancs ont oublié ce dont les Noirs se souviennent
Robert C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters: White Slavery in the Mediterranean,
the Barbary Coast, and Italy, 1500-1800, Palgrave Macmillan, 2003, 246 pages, 35 dollars
US.
Présenté par Thomas Jackson
Dans son exposé instructif sur l'esclavage barbaresque, Robert C. Davis remarque que
les historiens américains ont étudié tous les aspects de l'esclavage des Africains par les
Blancs mais ont largement ignoré l'esclavage des Blancs par les Nord-Africains. Christian
Slaves, Muslim Masters [Esclaves chrétiens, maîtres musulmans] est un récit soigneuse-
ment documenté et clairement écrit de ce que le Prof. Davis nomme «l'autre esclavage»,
qui s'épanouit durant approximativement la même période que le trafic trans-
atlantique, et qui dévasta des centaines de communautés côtières européennes. Dans la
pensée des Blancs d'aujourd'hui, l'esclavage ne joue pas du tout le rôle central qu'il joue
chez les Noirs, mais pas parce qu'il fut un problème de courte durée ou sans importance.
L'histoire de l'esclavage méditerranéen est, en fait, aussi sombre que les descriptions les
plus tendancieuses de l'esclavage américain. Le Prof. Davis, qui enseigne l'histoire so-
ciale italienne à l'Université d'Etat de l'Ohio, projette une lumière perçante sur ce coin
fascinant mais négligé de l'histoire.
Un commerce en gros
La côte barbaresque, qui s'étend du Maroc à la Libye moderne, fut le foyer d'une in-
dustrie florissante de rapt d'êtres humains depuis 1500 jusqu'à 1800 environ. Les
grandes capitales esclavagistes étaient Salé au Maroc, Tunis, Alger et Tripoli, et pendant
la plus grande partie de cette période les marines européennes étaient trop faibles pour
opposer plus qu'une résistance symbolique.
Le trafic trans-atlantique des Noirs était strictement commercial, mais pour les
Arabes, les souvenirs des Croisades et la fureur d'avoir été expulsés d'Espagne en 1492
semblent avoir motivé une campagne de rapt de chrétiens, ressemblant presque à un
djihad. «Ce fut peut-être cet aiguillon de la vengeance, opposé aux marchandages af-
fables de la place du marché, qui rendit les esclavagistes islamiques tellement plus
agressifs et initialement (pourrait-on dire) plus prospères dans leur travail que leurs
homologues chrétiens», écrit le Prof. Davis. Pendant les XVIe et XVIIe siècles, plus d'es-
claves furent emmenés vers le sud à travers la Méditerranée que vers l'ouest à travers
l'Atlantique. Certains furent rendus à leurs familles contre une rançon, certains furent
utilisés pour le travail forcé en Afrique du Nord, et les moins chanceux moururent à la
tâche comme esclaves sur les galères.
Ce qui est le plus frappant concernant les raids esclavagistes barbaresques est leur
ampleur et leur portée. Les pirates kidnappaient la plupart de leurs esclaves en intercep-
tant des bateaux, mais ils organisaient aussi d'énormes assauts amphibies qui dépeuplè-
rent pratiquement des parties de la côte italienne. L'Italie était la cible la plus appréciée,
[98]
en partie parce que la Sicile n'est qu'à 200 km de Tunis, mais aussi parce qu'elle n'avait
pas de gouvernement central fort qui aurait pu résister à l'invasion.
De grands raids ne rencontraient souvent aucune résistance. Quand les pirates mirent
à sac Vieste dans le sud de l'Italie en 1554, par exemple, ils enlevèrent un total stupéfiant
de 6.000 captifs. Les Algériens enlevèrent 7.000 esclaves dans la baie de Naples en 1544,
un raid qui fit tellement chuter le prix des esclaves qu'on disait pouvoir «troquer un
chrétien pour un oignon». L'Espagne aussi subit des attaques de grande ampleur. Après
un raid sur Grenade en 1556 qui rapporta 4.000 hommes, femmes et enfants, on disait
qu'il «pleuvait des chrétiens sur Alger». Pour chaque grand raid de ce genre, il a dû y en
avoir des douzaines de plus petits.
L'apparition d'une grande flotte pouvait faire fuir toute la population à l'intérieur des
terres, vidant les régions côtières. En 1566, un groupe de 6.000 Turcs et corsaires tra-
versa l'Adriatique et débarqua à Fracaville. Les autorités ne purent rien faire, et recom-
mandèrent l'évacuation complète, laissant aux Turcs le contrôle de plus de 1300 kilo-
mètres carrés de villages abandonnés jusqu'à Serracapriola.
Quand les pirates apparaissaient, les gens fuyaient souvent la côte pour aller dans la
ville la plus proche, mais le Prof. Davis explique que ce n'était pas toujours une bonne
stratégie: «Plus d'une ville de taille moyenne, bondée de réfugiés, fut incapable de sou-
tenir un assaut frontal par plusieurs centaines de corsaires, et le reis [capitaine des cor-
saires] qui aurait dû autrement chercher les esclaves par quelques douzaines à la fois le
long des plages et dans les collines, pouvait trouver un millier ou plus de captifs oppor-
tunément rassemblés en un seul endroit pour être pris.»
Les pirates revenaient encore et encore pour piller le même territoire. En plus d'un
bien plus grand nombre de petits raids, la côte calabraise subit les déprédations sui-
vantes, de plus en plus graves, en moins de dix ans: 700 personnes capturées en un seul
raid en 1636, un millier en 1639 et 4.000 en 1644. Durant les XVIe et XVIIe siècles, les
pirates installèrent des bases semi-permanentes sur les îles d'Ischia et de Procida,
presque dans l'embouchure de la baie de Naples, d'où ils faisaient leur choix de trafic
commercial.
Quand ils débarquaient sur le rivage, les corsaires musulmans ne manquaient pas de
profaner les églises. Ils dérobaient souvent les cloches, pas seulement parce que le métal
avait de la valeur mais aussi pour réduire au silence la voix distinctive du christianisme.
Dans les petits raids plus fréquents, un petit nombre de bateaux opéraient furtive-
ment, tombant sur les établissements côtiers au milieu de la nuit de manière à attraper
les gens «paisibles et encore nus dans leur lit». Cette pratique donna naissance à l'ex-
pression sicilienne moderne, pigliato dai turchi, «pris par les Turcs», ce qui veut dire être
attrapé par surprise en étant endormi ou affolé.
La prédation constante faisait un terrible nombre de victimes. Les femmes étaient plus
faciles à attraper que les hommes, et les régions côtières pouvaient rapidement perdre
toutes leurs femmes en âge d'avoir des enfants. Les pêcheurs avaient peur de sortir, ou ne
prenaient la mer qu'en convois. Finalement, les Italiens abandonnèrent une grande partie
de leurs côtes. Comme l'explique le Prof. Davis, à la fin du XVIIe siècle «la péninsule ita-
lienne avait alors été la proie des corsaires barbaresques depuis deux siècles ou plus, et
ses populations côtières s'étaient alors en grande partie retirées dans des villages fortifiés
sur des collines ou dans des villes plus grandes comme Rimini, abandonnant des kilo-
mètres de rivages autrefois peuplés aux vagabonds et aux flibustiers».
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C'est seulement vers 1700 que les Italiens purent empêcher les raids terrestres spec-
taculaires, bien que la piraterie sur les mers continua sans obstacles. Le Prof. Davis
pense que la piraterie conduisit l'Espagne et surtout l'Italie à se détourner de la mer et à
perdre leurs traditions de commerce et de navigation, avec des effets dévastateurs: «Du
moins pour l'Ibérie et l'Italie, le XVIIe siècle représenta une période sombre dont les so-
ciétés espagnole et italienne émergèrent comme de simples ombres de ce qu'elles
avaient été durant les époques dorées antérieures.»
Certains pirates arabes étaient d'habiles navigateurs de haute mer, et terrorisèrent
les chrétiens jusqu'à une distance de 1600 km. Un raid spectaculaire jusqu'en Islande en
1627 rapporta près de 400 captifs. Nous pensons que l'Angleterre était une redoutable
puissance maritime dès l'époque de Francis Drake, mais pendant tout le XVIIe siècle, les
pirates arabes opérèrent librement dans les eaux britanniques, pénétrant même dans
l'estuaire de la Tamise pour faire des prises et des raids sur les villes côtières. En seule-
ment trois ans, de 1606 à 1609, la marine britannique reconnut avoir perdu pas moins
de 466 navires marchands britanniques et écossais du fait des corsaires algériens. Au
milieu des années 1600, les Britanniques se livraient à un actif trafic trans-atlantique de
Noirs, mais beaucoup des équipages britanniques eux-mêmes devenaient la propriété
des pirates arabes.
La vie sous le fouet
Les attaques terrestres pouvaient être très fructueuses, mais elles étaient plus ris-
quées que les prises en mer. Les navires étaient par conséquent la principale source
d'esclaves blancs. A la différence de leurs victimes, les navires corsaires avaient deux
moyens de propulsion: les esclaves des galères en plus des voiles. Cela signifiait qu'ils
pouvaient avancer à la rame vers un bateau encalminé et l'attaquer quand ils le vou-
laient. Ils portaient de nombreux drapeaux différents, donc quand ils naviguaient ils
pouvaient arborer le pavillon qui avait le plus de chances de tromper une proie.
Un navire marchand de bonne taille pouvait porter environ 20 marins en assez bonne
santé pour durer quelques années dans les galères, et les passagers étaient habituelle-
ment bons pour en tirer une rançon. Les nobles et les riches marchands étaient des
prises attractives, de même que les Juifs, qui pouvaient généralement rapporter une
forte rançon de la part de leurs coreligionnaires. Les hauts dignitaires du clergé étaient
aussi précieux parce que le Vatican payait habituellement n'importe quel prix pour les
tirer des mains des infidèles.
A l'approche des pirates, les passagers enlevaient souvent leurs beaux vêtements et
tentaient de s'habiller aussi pauvrement que possible, dans l'espoir que leurs ravisseurs
les rendraient à leur famille contre une rançon modeste. Cet effort était inutile si les pi-
rates torturaient le capitaine pour avoir des informations sur les passagers. Il était aussi
courant de faire déshabiller les hommes, à la fois pour rechercher des objets de valeur
cousus dans leurs vêtements et pour voir si des Juifs circoncis ne s'étaient pas déguisés
en chrétiens.
Si les pirates étaient à court d'esclaves pour les galères, ils pouvaient mettre certains de
leurs captifs au travail immédiatement, mais les prisonniers étaient généralement mis
dans la cale pour le voyage de retour. Ils étaient entassés, pouvant à peine bouger dans la
saleté, la puanteur et la vermine, et beaucoup mouraient avant d'atteindre le port.
[100]
Dès l'arrivée en Afrique du Nord, c'était la tradition de faire défiler les chrétiens ré-
cemment capturés dans les rues, pour que les gens puissent se moquer d'eux et que les
enfants puissent les couvrir d'ordures. Au marché aux esclaves, les hommes étaient obli-
gés de sautiller pour prouver qu'ils n'étaient pas boiteux, et les acheteurs voulaient sou-
vent les faire mettre nus pour voir s'ils étaient en bonne santé. Cela permettait aussi
d'évaluer la valeur sexuelle des hommes comme des femmes; les concubines blanches
avaient une valeur élevée, et toutes les capitales esclavagistes avaient un réseau homo-
sexuel florissant. Les acheteurs qui espéraient faire un profit rapide avec une forte ran-
çon examinaient les lobes d'oreilles pour repérer des marques de piercing, ce qui était
une indication de richesse. Il était aussi habituel de regarder les dents d'un captif pour
voir s'il pourrait survivre à un dur régime d'esclave.
Le pacha ou souverain de la région recevait un certain pourcentage d'esclaves comme
une forme d'impôt sur le revenu. Ceux-ci étaient presque toujours des hommes, et deve-
naient propriété du gouvernement plutôt que propriété privée. A la différence des es-
claves privés, qui embarquaient habituellement avec leur maître, ils vivaient dans les
bagnos ou «bains», ainsi que les magasins d'esclaves du pacha étaient appelés. Il était
habituel de raser la tête et la barbe des esclaves publics comme une humiliation sup-
plémentaire, dans une période où la tête et la pilosité faciale étaient une part importante
de l'identité masculine.
La plupart de ces esclaves publics passaient le reste de leur vie comme esclaves sur
les galères, et il est difficile d'imaginer une existence plus misérable. Les hommes étaient
enchaînés trois, quatre ou cinq par aviron, leurs chevilles enchaînées ensemble aussi.
Les rameurs ne quittaient jamais leur rame, et quand on les laissait dormir, ils dor-
maient sur leur banc. Les esclaves pouvaient se pousser les uns les autres pour se soula-
ger dans une ouverture de la coque, mais ils étaient souvent trop épuisés ou découragés
pour bouger, et se souillaient là où ils étaient assis. Ils n'avaient aucune protection
contre le brûlant soleil méditerranéen, et leur maître écorchait leur dos déjà à vif avec
l'instrument d'encouragement favori du conducteur d'esclaves, un pénis de bœuf allongé
ou «nerf de bœuf». Il n'y avait presque aucun espoir d'évasion ou de secours; le travail
d'un esclave de galère était de se tuer à la tâche -- principalement dans des raids pour
capturer encore plus de malheureux comme lui -- et son maître le jetait par-dessus bord
au premier signe de maladie grave.
Quand la flotte pirate était au port, les esclaves de galères vivaient dans le bagno et
faisaient tout le travail sale, dangereux ou épuisant que le pacha leur ordonnait de faire.
C'était habituellement tailler et traîner des pierres, draguer le port, ou les ouvrages pé-
nibles. Les esclaves se trouvant dans la flotte du Sultan turc n'avaient même pas ce
choix. Ils étaient souvent en mer pendant des mois d'affilée, et restaient enchaînés à
leurs rames même au port. Leurs bateaux étaient des prisons à vie.
D'autres esclaves sur la côte barbaresque avaient des travaux plus variés. Souvent ils
faisaient du travail de propriétaire ou agricole du genre que nous associons à l'esclavage
en Amérique, mais ceux qui avaient des compétences étaient souvent loués par leurs pro-
priétaire. Certains maîtres relâchaient simplement leurs esclaves pendant la journée avec
l'ordre de revenir avec une certaine quantité d'argent le soir sous peine d'être sévèrement
battus. Les maîtres semblaient attendre un bénéfice d'environ 20% sur le prix d'achat.
Quoi qu'ils faisaient, à Tunis et à Tripoli, les esclaves portaient habituellement un anneau
de fer autour d'une cheville, et étaient chargés d'une chaîne pesant 11 ou 14 kg.
[101]
Certains maîtres mettaient leurs esclaves blancs au travail dans des fermes loin à l'in-
térieur des terres, où ils affrontaient encore un autre péril: la capture et un nouvel escla-
vage par des raids de Berbères. Ces infortunés ne verraient probablement plus jamais un
autre Européen pendant le reste de leur courte vie.
Le Prof. Davis remarque qu'il n'y avait aucun obstacle à la cruauté: «Il n'y avait pas de
force équivalente pour protéger l'esclave de la violence de son maître: pas de lois locales
contre la cruauté, pas d'opinion publique bienveillante, et rarement de pression efficace
de la part des Etats étrangers». Les esclaves n'étaient pas seulement des marchandises,
ils étaient des infidèles, et méritaient toutes les souffrances qu'un maître leur infligeait.
Le Prof. Davis note que «tous les esclaves qui vécurent dans les bagnos et qui survé-
curent pour écrire leurs expériences soulignèrent la cruauté et la violence endémiques
pratiquées ici». La punition favorite était la bastonnade, par lequel un homme était mis
sur le dos et ses chevilles attachées et suspendu par la taille pour être battu longuement
sur la plante des pieds. Un esclave pouvait recevoir jusqu'à 150 ou 200 coups, qui pou-
vaient le laisser estropié. La violence systématique transformait beaucoup d'hommes en
automates. Les esclaves chrétiens étaient souvent si abondants et si bon marché qu'il n'y
avait aucun intérêt à s'en occuper; beaucoup de propriétaires les faisaient travailler jus-
qu'à la mort et achetaient des remplaçants.
Le système d'esclavage n'était cependant pas entièrement sans humanité. Les es-
claves recevaient habituellement congé le vendredi. De même, quand les hommes du
bagno étaient au port, ils avaient une heure ou deux de temps libre chaque jour entre la
fin du travail et avant que les portes du bagno ne soient fermées pour la nuit. Durant ce
temps, les esclaves pouvaient travailler pour une paie, mais ils ne pouvaient pas garder
tout l'argent qu'ils gagnaient. Même les esclaves du bagno étaient taxés d'une somme
pour leurs logements sales et leur nourriture rance.
Les esclaves publics contribuaient aussi à un fonds pour entretenir les prêtres du ba-
gno. C'était une époque très religieuse, et même dans les plus horribles conditions, les
hommes voulaient avoir une chance de se confesser et -- plus important -- de recevoir
l'extrême-onction. Il y avait presque toujours un prêtre captif ou deux dans le bagno,
mais pour qu'il reste disponible pour ses devoirs religieux, les autres esclaves devaient
contribuer et racheter son temps au pacha. Certains esclaves de galères n'avaient donc
plus rien pour acheter de la nourriture ou des vêtements, bien que durant certaines pé-
riodes des Européens libres vivant dans les villes barbaresques contribuaient aux frais
d'entretien des prêtres des bagnos.
Pour quelques-uns, l'esclavage devenait plus que supportable. Certains métiers -- en
particulier celui de constructeur de navire -- étaient si recherchés qu'un propriétaire
pouvait récompenser son esclave avec une villa privée et des maîtresses. Même
quelques résidents du bagno réussirent à exploiter l'hypocrisie de la société islamique et
à améliorer leur condition. La loi interdisait strictement aux musulmans de faire le
commerce de l'alcool, mais était plus indulgente avec les musulmans qui le consom-
maient seulement. Des esclaves entreprenants établirent des tavernes dans les bagnos et
certains eurent la belle vie en servant les buveurs musulmans.
Une manière d'alléger le poids de l'esclavage était de «prendre le turban» et de se
convertir à l'islam. Cela exemptait un homme du service dans les galères, des ouvrages
pénibles, et de quelques autres brimades indignes d'un fils du Prophète, mais ne le fai-
sait pas sortir de la condition d'esclave. L'un des travaux des prêtres des bagnos était
d'empêcher les hommes désespérés de se convertir, mais la plupart des esclaves sem-
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blent ne pas avoir eu besoin de conseil religieux. Les chrétiens pensaient que la conver-
sion mettrait leur âme en danger, et elle signifiait aussi le déplaisant rituel de la circon-
cision adulte. Beaucoup d'esclaves semblent avoir enduré les horreurs de l'esclavage en
les considérant comme une punition pour leurs péchés et comme une épreuve pour leur
foi. Les maîtres décourageaient les conversions parce qu'elles limitaient le recours aux
mauvais traitements et abaissaient la valeur de revente d'un esclave.
Rançon et rachat
Pour les esclaves, l'évasion était impossible. Ils étaient trop loin de chez eux, étaient
souvent enchaînés, et pouvaient être immédiatement identifiés par leurs traits euro-
péens. Le seul espoir était la rançon.
Parfois, la chance venait rapidement. Si un groupe de pirates avait déjà capturé tant
d'hommes qu'il n'avait plus assez d'espace sous le pont, il pouvait faire un raid sur une
ville et ensuite revenir quelques jours plus tard pour revendre les captifs à leurs fa-
milles. C'était généralement à un prix bien plus faible que celui du rançonnement de
quelqu'un à partir de l'Afrique du Nord, mais c'était encore bien plus que des paysans
pouvaient se le permettre. Les fermiers n'avaient généralement pas d'argent liquide, et
pas de biens à part la maison et la terre. Un marchand était généralement prêt à les ac-
quérir pour un prix modique, mais cela signifiait qu'un captif revenait dans une famille
qui était complètement ruinée.
La plupart des esclaves ne rachetaient leur retour qu'après être passés par l'épreuve
du passage en pays barbaresque et de la vente à un spéculateur. Les riches captifs pou-
vaient généralement trouver une rançon suffisante, mais la plupart des esclaves ne le
pouvaient pas. Les paysans illettrés ne pouvaient pas écrire à la maison et même s'ils le
faisaient, il n'y avait pas d'argent pour une rançon.
La majorité des esclaves dépendait donc de l'œuvre charitable des Trinitaires (fondé
en Italie en 1193) et de celle des Mercedariens (fondé en Espagne en 1203). Ceux-ci
étaient des ordres religieux établis pour libérer les Croisés détenus par les musulmans,
mais ils transférèrent bientôt leur œuvre au rachat des esclaves détenus par les Barba-
resques, collectant de l'argent spécifiquement dans ce but. Souvent ils plaçaient des
boîtes à serrure devant les églises avec l'inscription «Pour la récupération des pauvres
esclaves», et le clergé appelait les riches chrétiens { laisser de l'argent dans leurs vœux
de rédemption. Les deux ordres devinrent des négociateurs habiles, et réussissaient ha-
bituellement à racheter les esclaves à des meilleurs prix que ceux obtenus par des libé-
rateurs inexpérimentés. Cependant, il n'y avait jamais assez d'argent pour libérer beau-
coup de captifs, et le Prof. Davis estime que pas plus de 3 ou 4% des esclaves étaient
rançonnés en une seule année. Cela signifie que la plupart laissèrent leurs os dans les
tombes chrétiennes sans marque en-dehors des murs des villes.
Les ordres religieux conservaient des comptes précis de leurs succès. Les Trinitaires
espagnols, par exemple, menèrent 72 expéditions de rachats dans les années 1600,
comptant en moyenne 220 libérations chacune. Il était habituel de ramener les esclaves
libérés chez eux et de les faire marcher dans les rues des villes dans de grandes célébra-
tions. Ces défilés devinrent l'un des spectacles urbains les plus caractéristiques de
l'époque, et avaient une forte orientation religieuse. Parfois les esclaves marchaient dans
leurs vieux haillons d'esclaves pour souligner les tourments qu'ils avaient subis; parfois
ils portaient des costumes blancs spéciaux pour symboliser la renaissance. D'après les
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archives de l'époque, beaucoup d'esclaves libérés ne se rétablissaient jamais complète-
ment après leurs épreuves, particulièrement s'ils avaient passé beaucoup d'années en
captivité.
Combien d'esclaves?
Le Prof. Davis remarque que des recherches énormes ont été faites pour évaluer aussi
exactement que possible le nombre de Noirs emmenés à travers l'Atlantique, mais qu'il
n'y a pas eu d'effort semblable pour connaître l'ampleur de l'esclavage en Méditerranée.
Il n'est pas facile d'obtenir un compte fiable -- les Arabes eux-mêmes ne conservaient
généralement pas d'archives -- mais au cours de dix années de recherches le Prof. Davis
a développé une méthode d'estimation.
Par exemple, les archives suggèrent que de 1580 à 1680 il y a eu une moyenne de
quelques 35.000 esclaves en pays barbaresque. Il y avait une perte régulière du fait des
morts et des rachats, donc si la population restait constante, le taux de capture de nou-
veaux esclaves par les pirates devait égaler le taux d'usure. Il y a de bonnes bases pour
estimer les taux de décès. Par exemple, on sait que sur les près de 400 Islandais capturés
en 1627, il ne restait que 70 survivants huit ans plus tard. En plus de la malnutrition, de
la surpopulation, de l'excès de travail et des punitions brutales, les esclaves subissaient
des épidémies de peste, qui éliminaient généralement 20 ou 30% des esclaves blancs.
Par un certain nombre de sources, le Prof. Davis estime donc que le taux de décès
était d'environ 20% par an. Les esclaves n'avaient pas accès aux femmes, donc le rem-
placement se faisait exclusivement par des captures. Sa conclusion: «Entre 1530 et 1780,
il y eut presque certainement un million et peut-être bien jusqu'à un million et un quart
de chrétiens européens blancs asservis par les musulmans de la côte barbaresque». Cela
dépasse considérablement le chiffre généralement accepté de 800.000 Africains trans-
portés dans les colonies d'Amérique du Nord et, plus tard, dans les Etats-Unis.
Les puissances européennes furent incapables de mettre fin à ce trafic. Le Prof. Davis
explique qu'à la fin des années 1700, elles contrôlaient mieux ce commerce, mais qu'il y
eut une reprise de l'esclavage des Blancs pendant le chaos des guerres napoléoniennes.
La navigation américaine ne fut pas exempte non plus de la prédation. C'est seule-
ment en 1815, après deux guerres contre eux, que les marins américains furent débar-
rassés des pirates barbaresques. Ces guerres furent des opérations importantes pour la
jeune république; une campagne est rappelée par les paroles «vers les rivages de Tripo-
li» dans l'hymne de la marine. Quand les Français prirent Alger en 1830, il y avait encore
120 esclaves blancs dans le bagno.
Pourquoi y a-t-il si peu d'intérêt pour l'esclavage en Méditerranée alors que l'érudi-
tion et la réflexion sur l'esclavage des Noirs ne finit jamais? Comme l'explique le Prof.
Davis, des esclaves blancs avec des maîtres non-blancs ne cadrent simplement pas avec
«le récit maître de l'impérialisme européen». Les schémas de victimisation si chers aux
intellectuels requièrent de la méchanceté blanche, pas des souffrances blanches.
Le Prof. Davis remarque aussi que l'expérience européenne de l'asservissement à
grande échelle fait apparaître le mensonge d'un autre thème gauchiste favori: que l'es-
clavage des Noirs aurait été un pas crucial dans l'établissement des concepts européens
de race et de hiérarchie raciale. Ce n'est pas le cas; pendant des siècles, les Européens
vécurent eux-mêmes dans la peur du fouet, et un grand nombre assista aux défilés de
[104]
rachat des esclaves libérés, qui étaient tous blancs. L'esclavage était un sort plus facile-
ment imaginable pour eux-mêmes que pour les lointains Africains.
Avec un peu d'efforts, il est possible d'imaginer les Européens se préoccupant de l'es-
clavage autant que les Noirs. Si les Européens nourrissaient des griefs concernant les
esclaves des galères de la même manière que les Noirs font pour les travailleurs des
champs, la politique européenne serait certainement différente. Il n'y aurait pas d'ex-
cuses rampantes pour les Croisades, peu d'immigration musulmane en Europe, les mi-
narets ne pousseraient pas dans toute l'Europe, et la Turquie ne rêverait pas de re-
joindre l'Union Européenne. Le passé ne peut pas être changé, et les regrets peuvent être
pris à l'excès, mais ceux qui oublient paient aussi un prix élevé.
http://www.solargeneral.com/mirrors/Flawless%20Logic%20Library/library.flawle
sslogic.com/slavery_fr.htm
[105]
Histoire: La traite oubliée des esclaves chrétiens raz-
ziés par les musulmans
Bien au-delà des récits, plus ou moins romancés, de traite des blanches de nos enfances, ce
serait, selon l‘historien américain Robert C. Davis dont le Figaro présente aujourd‘hui le der-
nier livre, plus d‘un million de personnes, des chrétiens donc et principalement des hommes
habitant les côtes méditerranéennes du sud de l‘Europe (notamment d‘Italie et de France ou
d‘Espagne, dont le fameux Cervantes lui-même !), qui entre 1530 et 1780 ont été vendus
comme esclaves dans les marchés des grandes villes de la ―Barbarie‖, Alger, Tripoli ou Tunis.
Razzias permanentes qui hanteront et traumatiseront pendant des siècles des villages en-
tiers, comme en témoignent encore aujourd‘hui ces inévitables tours de guet et la construction
systématique sur des promontoires rocheux, faisant dos à la mer. Mais aussi… la tête de
Maure du drapeau corse !
Les conditions, souvent dans des sortes de bagnes publics, étaient particulièrement atroces
(avoir des esclaves chrétiens étant apparemment une manière d‘affirmer la primauté de
l‘islam), avec un taux de mortalité très élevé (autour de 15 % vs 10% pour la traite noire
atlantique, mais jusqu‘à… 80% dans la traite musulmane).
Certains razziés iront même jusqu‘à se convertir à l‘Islam et mener ensuite à leur tour des
razzias contre leurs anciens compatriotes. Sans parler de ces Occidentaux qui, comme par
exemple l‘ordre de Malte, se mirent à possédaient eux aussi leurs esclaves… musulmans cette
fois !
Donc pas de ―code noir‖ ici pour limiter les pouvoirs du maître musulman sur son esclave,
même si les captifs pouvaient, à la différence de la traite africaine et moyennant rançon,
échapper à leur captivité. Avec hélas (comme aujourd‘hui en Afrique orientale ou dans les
affaires de prises d‘otages au Moyen-orient !) l‘effet pervers, quand des institutions reli-
[106]
gieuses vont s‘en mêler, de rendre l‘affaire plus rentable pour les razzieurs, et donc…
d‘accentuer lesdits raids !
Jusqu‘aux flottes de superpuissances comme l‘Angleterre ou la France qui se virent forcées
de payer des tributs aux deys (ou aux célèbres… Barberousses !) de la ―Côte barbare‖ avec le
même effet pervers d‘inciter à la prise en otage de vaisseaux entiers ! Et il faudra donc at-
tendre que le jeune état américain en ait assez de payer son million de dollars annuel et la
création d‘une flotte assez puissante – assistée des fameux Marines avec leur non moins cé-
lèbre hymne ―To the shores of Tripoli‖ * - pour finalement arrêter tout ça, d‘abord en 1805
puis finalement en 1815 !
Razzias en terres chrétiennes
Jacques de Saint-Victor
Le Figaro Littéraire
11 mai 2006
L‘historien américain Robert C. Davis, rappelle que plus d‘un million de chrétiens ont été
asservis par les Barbaresques entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
VOILÀ UN LIVRE savant qui fera date en ce lendemain de la journée commémorative de
l‘abolition de l‘esclavage. L‘étude de l‘historien américain Robert C. Davis vient apporter un
élément entièrement nouveau dans ce dossier en évoquant la traite dont les chrétiens furent
victimes par les arabo-musulmans en Méditerranée du XVIe et XVIIIe siècle. Son travail, le
premier d‘une telle ampleur, renouvelle la connaissance que l‘on peut avoir de l‘esclavage, ce
crime contre l‘humanité dont la liste des pratiques ne finit pas, hélas, de s‘allonger. On con-
naît bien aujourd‘hui, notamment grâce aux travaux d‘histoire globale d‘Olivier Pétré-
Grenouilleau, la traite des Africains par les Blancs, tout comme celle des Noirs par les
Arabes. Mais celle des chrétiens par les musulmans restait, en revanche, totalement ignorée.
Ce que Davis appelle « l‘autre esclavage » a pourtant touché un nombre considérable de
chrétiens. Contrairement à ce qu‘avait cru Fernand Braudel, qui avait minimisé le phénomène
dans ses travaux sur la Méditerranée, ce serait plus d‘un million de personnes, principalement
des hommes habitant les pourtours de la Méditerranée, qui ont été vendus comme esclaves
dans les marchés d‘Alger, de Tripoli ou de Tunis, les principales villes de ce qu‘on appelait
alors la Barbarie. On est loin du tableau anecdotique d‘une Angélique livrée aux Barbaresques
pour sa beauté. La plupart des victimes furent d‘ailleurs principalement des hommes, venus
d‘Espagne, de France et surtout d‘Italie. Avant l‘étude de Davis, ce phénomène n‘avait jamais
pu être chiffré. Professeur d‘histoire sociale italienne à l‘université de l‘Ohio, l‘auteur a con-
sacré de longues années d‘étude à ce phénomène qui a marqué pendant des siècles les popula-
tions du sud de la Méditerranée, notamment celles qui étaient les plus proches des Etats bar-
baresques et qui ont été en butte à des razzias très fréquentes (ainsi subsistent sur les côtes
méditerranéennes ces tours destinées à informer les populations d‘une razzia imminente). Le
danger était permanent. L‘auteur rappelle que les musulmans conservaient au XVIe siècle des
bases dans certaines îles de la péninsule italienne, comme Ischia, au large de Naples… De
nombreux villages, construits sur des promontoires rocheux, faisant dos à la mer, portent té-
moignage du traumatisme de ces populations locales qui pouvaient, à l‘aube, être capturées
par des bateaux surgissant en silence de la brume. Les plus durement frappés furent les ma-
rins, les marchands et les modestes pêcheurs de ce qu‘il était alors convenu d‘appeler « la mer
de la peur » !
[107]
Les conditions de vie des esclaves chrétiens ont été souvent effroyables, particulièrement
dans les bagnes publics, où il régnait un climat de violence sexuelle. Mais, à la différence de
la traite africaine, les captifs pouvaient, moyennant rançon, échapper à leur captivité. Des ins-
titutions religieuses vont d‘ailleurs se spécialiser en Europe pour racheter ces malheureux,
comme les Trinitaires ou les Mercédaires. Aussi les esclaves chrétiens n‘ont-ils pas fait
souche en terre d‘Islam. Pourtant, ils y restèrent en moyenne près d‘une dizaine d‘années,
quand ils n‘y mouraient pas tout simplement (le taux de mortalité y était élevé, autour de 15
%). Certains préférèrent se convertir à l‘Islam et mener ensuite à leur tour des razzias contre
leurs anciens compatriotes.
Mais les récits des chrétiens ont parfois été romancés, ce qui explique que pendant long-
temps on a négligé ce type d‘esclavage. On sait désormais qu‘il faut le considérer avec atten-
tion. Ainsi peut-on lire Captifs en Barbarie, ce récit poignant d‘un jeune mousse anglais,
Thomas Pellow, capturé au XVIIIe siècle en Méditerranée et vendu comme esclave au terrible
sultan Moulay Ismaïl, qui l‘utilise, avec des milliers d‘autres chrétiens, à la construction de
son palais gigantesque. Racontée par le journaliste anglais Giles Milton, cette histoire, certes
anecdotique, complète la magnifique étude de Robert C. Davis qui rappelle qu‘il n‘y eut en
Barbarie aucun pendant du célèbre « code noir » pour venir limiter les pouvoirs du maître
musulman sur son esclave.
Esclaves chrétiens Maîtres musulmans. L‘esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800) de
Robert C. Davis, Editions Jacqueline Chambon, 333p., 22 €.
Captifs en Barbarie. L‘histoire extraordinaire des esclaves européens en terre d‘Islam de
Giles Milton, Noir sur blanc, 301 p., 25 €.
Voir aussi:
Olivier Pétré-Grenouilleau : «Un esclavage qui n’a pas laissé de traces»
Propos recueillis par J. S.-V.
LeFigaro Littéraire, le 11 mai 2006,
L‘historien, qui a publié chez Gallimard une somme qui fait autorité sur les traites né-
grières, commente les découvertes de Davis sur l‘esclavage des chrétiens.
LE FIGARO LITTÉRAIRE. – L’étude de Robert C. Davis montre que l’esclavage des chré-
tiens par les musulmans en Méditerranée n’a rien d’un phénomène anecdotique.
Olivier PÉTRÉ-GRENOUIL-LEAU. – En effet, c‘est l‘un des apports de ce livre, qui
ouvre une nouvelle piste dans le champ des études sur l‘esclavage. Jusqu‘à présent, en dehors
de quelques spécialistes, on pouvait penser que la captivité des chrétiens par les barbaresques
relevait de la simple anecdote. Les récits de captivité, à commencer par celui de Cervantès,
contribuaient à cette légende car ils étaient souvent romancés. Et il était surtout très difficile
de se faire une idée de l‘ampleur du phénomène. L‘étude de Davis donne pour la première
fois une analyse chiffrée. On se rend compte qu‘il s‘agit d‘un esclavage d‘assez grande am-
pleur qui est resté longtemps ignoré. Pour le XVIe siècle, le nombre des esclaves chrétiens
razziés par les musulmans est supérieur à celui des Africains déportés aux Amériques. Il est
vrai que la traite des Noirs ne prendra vraiment son essor qu‘à la fin du XVIIe siècle, avec la
révolution sucrière dans les Antilles. Mais, selon Davis, il y aurait eu environ un million de
Blancs chrétiens réduits en esclavage par les barbaresques entre 1530 et 1780.
[108]
C’est un chiffre impressionnant.
Certes. Mais il ne faut pas se focaliser sur la question des chiffres, afin d‘établir une sorte
d‘échelle de Richter des esclavages. Ce que le travail de Davis permet d‘affirmer, c‘est que
cet esclavage des chrétiens entre le XVIe et le XVIIIe siècle renvoie à une réalité non négli-
geable. Rien de plus. S‘il est resté pour une large part ignoré, c‘est qu‘il n‘a pas laissé beau-
coup de traces. Les esclaves blancs étaient en effet principalement, à 90%, des hommes, qui
ne faisaient pas souche en terre d‘Islam, à l‘inverse des Africains aux Amériques. C‘est aussi
que le questionnement est souvent premier en histoire (on se pose des questions, puis l‘on
recherche les sources permettant éventuellement d‘y répondre) et que cet esclavage n‘a pas
beaucoup intéressé les historiens.
L’asservissement des Blancs par les musulmans n’est-il pas cependant assez différent de
celui subi par les esclaves africains aux Amériques ?
Il est différent à plusieurs titres. Tout d‘abord, cet esclavage ne répond pas à la même lo-
gique. Au départ, les barbaresques se livrent à des opérations de course et de piraterie sur les
côtes de la Méditerranée, comme c‘est l‘usage chez certains peuples marins depuis la plus
Haute Antiquité. On avait pris l‘habitude depuis l‘époque byzantine de rédiger des traités pré-
voyant l‘échange réciproque d‘esclaves. Puis, les chrétiens se mobilisant pour «racheter» leurs
proches tombés en esclavage, l‘affaire devint plus rentable pour les razzieurs. C‘est paradoxa-
lement cette perspective financière qui accentua les raids musulmans à partir du XVIe siècle.
En devenant directement et assez facilement monnayables, les esclaves devinrent des proies
plus séduisantes que les navires ou les cargaisons. Les barbaresques se mirent alors à multi-
plier leurs razzias sur les côtes de la Méditerranée, notamment en Italie du Sud. Dans le cas de
la traite transatlantique, l‘esclavage répondait à un autre but : fournir une main-d‘oeuvre bon
marché aux colonies. Les Noirs ne pouvaient être rachetés mais seulement – rarement – se
racheter eux-mêmes. Ils firent souche en Amérique, ce qui ne fut jamais le cas des chrétiens.
Il n’y a donc pas eu de traite proprement dite.
On ne devrait pas en effet parler d‘une «traite» des Blancs car les musulmans cherchaient
de l‘argent plus ou moins rapidement, ils ne se sont pas livrés à un trafic de main-d‘oeuvre.
Au bout de quelques années, les esclaves chrétiens étaient soit rachetés et ils rentraient chez
eux, ou ils disparaissaient. Le taux de mortalité était assez fort. Autour de 15%, selon Davis.
Certaines pratiques laissent penser que cet esclavage répond aussi à une volonté
d’humilier les chrétiens, la préfiguration d’une sorte de «choc de civilisation» ?
Il peut y avoir eu un arrière-plan de lutte religieuse entre l‘islam et la chrétienté. Avoir des
esclaves chrétiens était une manière d‘affirmer la primauté de l‘islam. Mais ce critère n‘était
pas prioritaire, il pouvait simplement devenir un facteur aggravant dans certains cas. Les es-
claves chrétiens ont d‘ailleurs été traités d‘une manière très différente selon les cas. Ils avaient
des fonctions très variés. C‘est là un trait distinctif entre les serfs, toujours attachés à la glèbe,
et les esclaves. Certains ont servi comme domestiques, d‘autres comme ouvriers agricoles,
beaucoup ont moisi dans des bagnes.
Quand cette pratique a-t-elle cessé ?
On évoque encore cette question en 1815 au congrès de Vienne. Mais, dès le début du
XIXe siècle, les avantages de la course et de la piraterie ont considérablement baissé et cette
pratique va disparaître. En conclusion, je reprocherai surtout au travail de Davis de n‘avoir
pas assez inscrit cette traite dans le cadre de l‘esclavage en Méditerranée. C‘est ainsi que des
Occidentaux, je pense par exemple à l‘ordre de Malte, possédaient eux aussi des esclaves mu-
[109]
sulmans. Il faudra d‘ailleurs attendre l‘invasion de Malte par Bonaparte pour qu‘ils soient
libérés…
* Vor les paroles du célèbre hymne des Marines:
From the halls of Montezuma, to the shores of Tripoli,
We fight our country‘s battles in the air, on land and sea.
First to fight for right and freedom, and to keep our honor clean;
We are proud to claim the title of United States Marine.
Our Flag‘s unfurled to every breeze from dawn to setting sun.
We have fought in every clime and place, where we could take a gun.
In the snow of far off northern lands and in sunny tropic scenes,
You will find us always on the job, the United States Marines.
Here‘s health to you and to our Corps, which we are proud to serve.
In many a strife we‘ve fought for life and never lost our nerve.
If the Army and the Navy ever look on heaven‘s scenes,
They will find the streets are guarded by United States Marines.
Voir enfin l‘ouvrage de l‘historienne britannique Linda Colley (‖captives‖):
as late as 1715 the British army was no larger than that commanded by the king of Sardi-
nia, while at the same period there were at least 20,000 British civilians enslaved in the Bar-
bary sultanates of north Africa.
Your country needs you. And your beard
William Dalrymple is fascinated by Linda Colley‘s forgotten tales of British defeats in In-
dia and north Africa in Captives
William Dalrymple
Saturday November 9, 2002
Guardian
Captives: Britain, Empire and the World 1600-1850, by Linda Colley, 438pp, Cape, £20
However embarrassed we may be by our former Raj heroes - those Havelocks and Napiers
swaggering imperiously on their plinths in Trafalgar Square or staring portentously, ossified
and khaki-clad, all the way up Whitehall - we still tend to think of them as rather manly men:
the sort of outdoor types who would not flinch from a 500-mile route march in the midsum-
mer tropical heat, and who would know what to do with a Gatling gun when faced with
hordes of marauding Others. Yet according to Linda Colley‘s brilliant, subtle and important
new book, Captives, there was a time when Indians looked on their would-be British rulers in
a very different and much less flattering manner; when they thought of the British military as
effeminate, indeed as little better than eunuchs.
Colley‘s thesis is that the unprecedented military success and world political and economic
domination achieved by the Victorian British has blinded us to the smallness and vulnerability
of Britain in the preceding two and a half centuries: after all, she points out, as late as 1715
the British army was no larger than that commanded by the king of Sardinia, while at the
same period there were at least 20,000 British civilians enslaved in the Barbary sultanates of
north Africa.
It is significant that this surprises us as much as it does: it is as if the Victorians colonised
not just one quarter of the globe, but also, more permanently, our imaginations, to the exclu-
sion of all other images of the British encounter and collision with the wider world, from the
[110]
Elizabethan period onwards. Colley shows the extent to which tales of British weakness and
defeat at the hands of sophisticated Muslim states in north Africa, the Middle East and India
have been consciously edited out of the historical record.
So, for example, we remember our various military triumphs in and around Bombay but
have performed a collective act of amnesia about another far more important colony gained at
the same time (1661) - Tangier, part of the dowry of Catherine of Braganza, with its bowling
greens, pubs and Anglican churches. It was once the pride of Britain‘s intended Mediterra-
nean empire, but was humiliatingly lost to the Moroccans in 1684, despite unprecedented in-
vestment by the crown in its defences.
Hence also our failure to remember many other British military defeats and losses such as
the catastrophic defeat of the armies of the East India Company by Tipu Sultan at Pollilur in
1780, only a few months before the equally disastrous surrender of Yorktown and the loss of
America.
Pollilur led to the slaughter of an entire army and the capture of one in five of all the Bri-
tish soldiers in India. No fewer than 7,000 British men, along with an unknown number of
women, were held captive by Tipu in his sophisticated fortress of Seringapatam. Of these
more than 300 were circumcised and given Muslim names and clothes. Even more humilia-
tingly, several British regimental drummer boys were made to wear ghagra cholis and enter-
tain the Mysore court as nautch girls.
At the end of 10 years‘ captivity, one of these prisoners, James Scurry, found that he had
forgotten how to sit in a chair or use a knife and fork; his English was ―broken and confused,
having lost all its vernacular idiom‖, his skin had darkened to the ―swarthy complexion of
Negroes‖ and he found he actively disliked wearing European clothes. This was the ultimate
colonial nightmare, and in its most unpalatable form: the captive preferring the ways of his
captors, the coloniser colonised.
The image of the British defeat at Pollilur, painted on the walls of Tipu‘s summer palace at
Seringapatam, is brilliantly interpreted by Colley as showing how Mysore‘s victors viewed
the surrounded and defeated British at the moment the British defeat became certain: ―The
white soldiers all appear in uniform jackets of red, a colour associated in India with eunuchs
and women,‖ writes Colley. Moreover the British are ―conspicuously and invariably clean
shaven. Neatly side-burned, with doe-like eyes, raised eyebrows and pretty pink lips, they
have been painted to look like girls, or at least creatures that are not fully male.‖
Colley is certainly on to something here: a few years later, another British soldier of the
time, General Charles ―Hindoo‖ Stuart, campaigned for British troops to be encouraged to
grow extensive facial hair as otherwise their masculinity would not be taken seriously by their
Indian enemies, noting that until he himself grew a beard, ―mendicants supplicated me, for
charity, by the appellation of Beeby Saheb [Great Lady], mistaking my sex from the smooth-
ness of my face.‖
Captives is at once a human tale of the forgotten and marginal individuals - ―common
seamen and private soldiers, itinerants and exiles, convicts and assorted womenfolk‖ - invol-
ved in a succession of little-known British defeats and captivities, and a wider meditation on
the character and diversity of Britain‘s incipient empire. Using the rich and revealing source
of captivity narratives as a way of unlocking some of the central truths about British weak-
ness, smallness and vulnerability, she shows how the British rise to world domination was
neither smooth nor inevitable.
She also dramatically highlights the human cost of that expansion. The lives of ordinary
British men and women were completely disrupted in the process of imperial adventures
[111]
overseas: men like John Rutherford, captured in North America, who for a while became a
Chippewa warrior; or Sarah Shade, an East India Company camp follower, who became one
of Tipu‘s captives at Seringapatam.
Colley is especially good on those who after capture fell hopelessly under the spell of India
or Islamic north Africa, and entered what in those days must have seemed like a parallel uni-
verse, responding to their travels and captivities with a profound alteration of the self, slowly
shedding their Britishness and Christianity like an unwanted skin, and adopting Islamic dress,
studying Islamic teachings and taking on the ways of the Moroccan or Mughal governing
classes they would in time come to replace. In particular, she shows how many British cap-
tives converted to Islam in India and north Africa: both the Moroccans and the Mughals were
able to field entire regiments of European renegade converts to Islam.
It is at this point perhaps that Colley‘s methodology limits her vision. By concentrating
principally on captivity narratives (a genre much studied in American universities but relati-
vely neglected in Europe) she misses the possibly more interesting point that until the mid-
19th century many Europeans chose of their own free will to convert to Islam and take on
eastern ways, without necessarily becoming captives first.
This had always been the case: as early as the mid-17th century, the English ambassador to
the Ottoman Porte, Sir Thomas Shirley, complained about the large number of ―roagues, &
the skumme of people whyche are fledde to the Turke for succour & releyffe‖. The fact was,
as Shirley pointed out in one of his dispatches, that the more time Englishmen spent in the
east, the closer they moved to adopting the manners of the Muslims: ―conuersation with infi-
delles doeth mutch corrupte,‖ he wrote. ―Many wylde youthes… in euerye 3 yeere that they
staye in Turkye they loose one article of theyre faythe.‖
Islam overcame the English as much by its sophistication and power of attraction as by its
power to seize and enslave. In 1606 even the English consul in Egypt, Benjamin Bishop, con-
verted and promptly disappeared from public records. The same was true in Mughal India:
within a few years of the East India Company establishing itself in Agra, the company‘s most
senior official in India had to break the news of ―ye damned apostacy of one of your servants,
Josua Blackwelle‖, who had ―privately conveighed himselfe to the Governor of ye citty, who,
being prepaired, with the Qazi and others attended his comeing; before whome hee most wic-
kedly and desperately renounced his Christian faith… and is irrecoverably lost‖.
Nor was it just Islam that lured the British out of their sola topees: ―Hindoo‖ Stuart (he of
the smooth cheeks) firmly believed he had become a Hindu (though it is technically impos-
sible to convert to Hinduism) and took to travelling around the country with a team of Brah-
mins who used to attend his idols and dress his food, to the astonishment of at least one mem-
sahib recently arrived from England: ―There was here an Englishman, born and educated in a
Christian land,‖ wrote Elizabeth Fenton in her journal, ―who has become the wretched and
degraded partaker of this heathen worship, a General S- who has for some years adopted the
habits and religion, if religion it be named, of these people; and he is generally believed to be
in a sane mind.‖
Despite the occasional errors and inaccuracies, especially in the Indian section (there was,
for example, no such person as the Begum Sumru Sardhana - Sardhana was the begum‘s capi-
tal, not her name), Captives is a major work: a complete reappraisal of a period, strikingly
original in both theme and form, mixing narrative and fine descriptive prose with analysis in
an entirely fresh and gripping way. It is at once clever and perceptive, making you look afresh
at themes and subjects you took completely for granted. It will undoubtedly confirm Colley‘s
reputation not only as one of the most exciting and original historians of her generation, but
also one of the most interesting writers of non-fiction around.
[112]
· William Dalrymple‘s book, White Mughals: Love and Betrayal in 18th-Century India is
published by HarperCollins
Guardian Unlimited © Guardian News and Media Limited 2006
Extrait de son entretien sur le site de Princeton :
(…)
British identity also seems to be in jeopardy in Captives (2002). What is the book about,
and what inspired you to write it?
In part this project was inspired by my reading of American history. American historians
have written about captives for a long time, typically captives held by Native Americans in
the 17th, 18th, and 19th centuries. The British have not really studied this aspect of their past.
I wanted to write about the British Empire, but not in the usual way. The standard narrative
of the empire involves Brits going abroad, taking various countries captive, invading them,
and being dominant until they are forced out. I wanted to alter that picture. Britain was a small
country with a limited army, its forces stretched very thin over the world as its empire grew
bigger and bigger. Between 1600 and 1850 tens of thousands of Britons were taken captive by
foreigners. This shouldn‘t really come as a surprise: if you intrude violently into another per-
son‘s territory, captive-taking is one of the results. I thought that by exploring what happened
to these people I could construct a rather more nuanced picture of what the empire was like,
and I could show the weakness and vulnerability of the British, not just the strength and ag-
gression. I looked at cases of captivity in the Mediterranean and North Africa, in India, in
Afghanistan, and in North America. I also wanted to revise standard imperial history in ano-
ther way. Histories of the British Empire have generally focused on elite groups–‖generals,
politicians, the major merchants and investors, and so forth. The big people. In fact, the majo-
rity of the people involved in making the empire were poor whites, and their experiences have
hardly been written about. I also showed that a surprising number of these individuals were
not involuntary captives. Some crossed over to the other side deliberately. A lot of the people
I was writing about had been driven into the army or navy against their will. Many decided
after being captured that their new circumstances were an improvement over the old. There
were Brits who joined Native American communities in North America. In North Africa quite
a few British captives converted to Islam and some married local women. There were British
soldiers in India who ended up serving Indian princes. These kinds of stories had tended to be
brushed under the carpet when the empire was still in existence–‖this wasn‘t the sort of thing
you wanted in the history books.
Unlike your previous books, Captives is global in scale. Was this a challenging book to
write?
It was a tremendous challenge. I was only able to do it because in 1998 I won a Lever-
hulme Research Professorship, which gives you five years to do your own work. I was able to
do masses of reading outside my area of specialization. I also spent a lot of time visiting the
places I was writing about. Unless you have some sense of geography, of just how huge these
expanses of land were that the Brits tried to move into, you don‘t fully understand what a
fraught business this often was. And I wasn‘t looking at empire in the late 19th century, when
many things were mechanized and you had the telegraph; I was looking at the 17th and 18th
and early 19th centuries, when for the most part you couldn‘t move faster on land than a
horse. I felt that I wouldn‘t be able to reconstruct the experiences of these people unless I had
a better sense of the geography.
Your current project also concerns a British captive.
[113]
Yes, right now I‘m working on a shorter book that follows the life of a single woman. It
started as a spin-off from Captives, although it has become more than that. Quite a few former
captives, those who made it back, went on to publish accounts of their experiences. So there is
a lot of written evidence from these people, although you have to sieve it with care. As I was
working on this very broad book, Captives, I came across a lot of personal stories that I had to
compress. I decided that when I finished, I wanted to take a single person and devote a short
book to his or her story. I chose a woman named Elizabeth Marsh who was taken captive in
the Mediterranean in 1756 by Moroccan corsairs. Later she wrote a book about her expe-
riences in captivity in Morocco. As I did research on this woman I discovered that she had
had an extraordinary life. She was conceived in Jamaica and was probably of mixed race; she
spent time in Minorca and Gibraltar, as well as North Africa; she and her husband went ban-
krupt in the 1760s (after buying land in Florida) and moved from London to India, where she
wrote a travel narrative; and she even had connections with the Pacific! People in the mid-
18th century were becoming much more conscious of what we might call proto-globalization,
the way that different parts of the world were impacting on one another and migration among
the continents was increasing. My new book follows the life of Elizabeth Marsh as a way of
exploring these global currents. All these trends are concentrated in her life, and thanks to her
writings I was able to write a deeper book about the topic. The book also comes back to ques-
tions of identity, as I guess all my books do. What happens to your sense of who you are when
you are uprooted from where you came from? And not just once, but repeatedly?
Et celui du non-spécialiste Giles Milton (‖White gold‖):
Editorial Reviews
From Publishers Weekly
For this harrowing story of white captives in 18th-century Morocco, Milton (author of the
highly praised Nathaniel‘s Nutmeg) draws primarily on the memoir of a Cornish cabin boy,
Thomas Pellow, who was taken by Islamic pirates in 1716 and sold as a slave to the legenda-
rily tyrannical Sultan Moulay Ismail. Pellow remained in Morocco for more than 20 years, his
family barely recognizing him when he at last escaped home. Placing Pellow‘s tale within
wider horizons, Milton describes how, during the 17th and 18th centuries, thousands of Euro-
pean captives were snatched from their coastal villages by Islamic slave traders intent on wa-
ging war on Christendom. Put into forced labor and appalling living conditions, they perished
in huge numbers. As a pragmatic convert to Islam, Pellow fared better, earning a wife who
bore him a daughter. Milton includes Pellow‘s years as a soldier in Moulay Ismail‘s army and
draws out his cliff-hanging escape back to England. Pellow‘s sensational tale dominates the
book, and though rendered in seductively poised prose, in the end it feels short on ideas and
argument. Milton also fails to cite other historians working in this area (a prime example
being Linda Colley). 16 pages of b&w illus. not seen by PW; 2 maps.
Copyright © Reed Business Information, a division of Reed Elsevier Inc. All rights reser-
ved.
From The Washington Post‘s Book World/washingtonpost.com
Giles Milton‘s new book is a fascinating account of a long-forgotten era when an awful
menace terrorized the coastal waters of North Africa. In the 17th and 18th centuries, countless
vessels leaving the coasts of Europe and colonial North America were seized at sea by bands
of Barbary corsairs, who confiscated their cargo and dragged their hapless crews to the shores
of Morocco, Algiers, Tunis and Tripoli to be sold into slavery.
Based primarily on narratives published by freed or escaped slaves, White Gold recounts
the story of Thomas Pellow, who at age 11 joined the crew of an English trading vessel, the
[114]
Francis, as a cabin boy and merchant‘s apprentice. Pellow‘s ship left Cornwall in 1715, car-
rying a cargo of salted pilchards to trade in Genoa. Upon setting sail for home, the Francis
was overtaken by a band of ―fanatical corsairs of Barbary‖ who, in a ―deranged fury,‖ boar-
ded the ship, overpowered its unarmed crew and seized its precious cargo of Italian wares
meant for sale in England. But the merchandise was a mere pittance compared to the real
prize of the ship: its crew.
In the early 1700s, the trade in European slaves was a booming business throughout North
Africa, even though, in size and scope, it did not compare to Europe‘s own immensely profi-
table African slave trade. According to Milton, nearly 1 million Europeans passed through the
markets of coastal towns like Salé, on the north coast of Morocco, where they were auctioned
off to the highest bidder. For better or worse, Pellow‘s crew was spared such humiliation and
instead marched directly to the imperial city of Meknes, where they were ceremonially pre-
sented as gifts to the cruel and capricious sultan of Morocco, Moulay Ismail.
Being a strong and hearty young boy, Pellow immediately caught the attention of Moulay
Ismail and was initiated into the sultan‘s personal retinue of servants. Pellow spent the next 23
years as a slave at the imperial court, where he was routinely beaten and starved, forced to
convert to Islam and ultimately placed at the head of the sultan‘s armies. Through a series of
fortunate accidents, Pellow not only managed to survive his ordeal but eventually escaped
back to England to publish his adventures for a captive audience.
Although narratives like Pellow‘s have long been dismissed as part of a genre of deliciou-
sly scandalous ―Orientalist‖ fantasies wildly popular with the British upper classes, Milton
notes that European and Arab chronicles of the time have corroborated many of the events
and experiences recounted in these fanciful books. Perhaps. But White Gold would have been
better served by a critical analysis of these sources. Far from providing any such criticism,
Milton seems to accept these fantastic narratives as gospel.
This tendency is perhaps most apparent in his description of Moulay Ismail, who comes
across in the book as comically evil. The sultan‘s whimsical brutishness (at one point, he ela-
borately tortured and executed a cat that had snatched and killed a rabbit), his supernatural
sexual appetite (he is reported to have had 10,000 concubines), and his limitless capacity for
wickedness (he took particular pleasure in greeting guests while drenched in the blood of
slaves he had personally dismembered) are reminiscent of the oriental depravities caricatured
in The Arabian Nights, popularized in Europe by Antoine Galland‘s hugely successful French
translation of 1704-1717.
Indeed, by conflating these tales with history, Milton occasionally proves himself as gul-
lible as the 18th-century audiences for whom stories like Pellow‘s were originally written. For
example, many European slaves certainly were forced to convert to Islam, either through tor-
ture or by being offered certain ―privileges‖ (like food and shelter) as rewards. But Pellow‘s
account of his own forced conversion — in which his 11-year-old self patiently endures
month after month of horrific torture, administered by the crown prince himself, with whom
Pellow remarkably engages in a quasi-theological debate (in Arabic or English, one can‘t tell
which) before finally submitting to Islam — is so absurd that the reader is stunned to find
Milton swallowing the tale whole.
That White Gold merely regurgitates Pellow‘s ―memoirs‖ is even more troubling because
Milton enthusiastically adopts the outmoded vocabulary of the era, repeatedly referring in his
book to ―Christian‖ slaves and even ―Christian‖ vessels being captured by ―Muslim‖ pirates
and sold to ―Muslim‖ masters. Even the book‘s subtitle, with its reference to ―Islam‘s One
Million White Slaves‖ — obviously meant to cash in on contemporary fixations with the Mu-
slim world — is an indication of Milton‘s deliberately perverse terminology. Why, the reader
[115]
wonders, is it not North Africa‘s slave trade, rather than Islam‘s? After all, this is the only
region in the whole of the Muslim world where such a phenomenon occurred. And Milton
never refers to Europe‘s own slave trade, which enslaved 15 million Africans, as a ―Christian‖
slave trade. Still, while such oddities should not be easily forgiven, particularly in our current
climate, they do not spoil what is ultimately a fun and fanciful story from a little-known chap-
ter in history.
Reviewed by Reza Aslan
Copyright 2005, The Washington Post Co. All Rights Reserved.
From Booklist
The horrors of the transatlantic slave trade have been extensively documented in print and
eloquently portrayed on film and television. But chattel slavery was a well-established Afri-
can as well as European institution, and its victims were not exclusively people of color. In
the seventeenth, eighteenth, and early nineteenth centuries, the Barbary states of North Africa
used Islamic pirates, or corsairs, to conduct slave raids, which fed the flourishing slave mar-
kets of Algiers, Tunis, and Tripoli. Many of the enslaved were white Europeans or North
Americans captured at sea. Among them was Thomas Pellow, an 11-year-old English child
who was seized in 1716 and served for 23 years as a personal servant to Sultan Moulay Ismail
of Morocco. Milton relates Pellow‘s compelling story as a triumph of wile, pluck, and endu-
rance; but this is also a tale of great brutality and suffering, as Milton eloquently shows that
all of the indignities one associates with European and American slavery were visited upon
those held in North Africa. A riveting account. Jay Freeman
Copyright © American Library Association. All rights reserved
Simon Winchester, The Boston Globe
―[A] fascinating narrative.‖
Review
Praise from Britain for White Gold :
―White Gold is lively, and diligently researched, a chronicle of cruelty on a grand scale. An
unfailingly entertaining piece of popular history.‖ –Sunday Telegraph
―[Giles Milton] is a popular, non-academic historian drawn to dramatic, even bizarre sub-
jects, researched in highly enterprising ways, and told in a vividly swashbuckling style. An
exciting and sensational account of a really swashbuckling historical episode, White Gold will
do very well for this summer‘s beach read.‖ –The Spectator
―White Gold delivers on its promise of exotic thrills.‖ –Rhoda Koenig, The Evening Stan-
dard
Book Description
The true story of white European slaves in eighteenth century Algiers, Tunis, and Morocco
In the summer of 1716, a Cornish cabin boy named Thomas Pellow and fifty-one of his
comrades were captured at sea by the Barbary corsairs. Their captors–Ali Hakem and his net-
work of Islamic slave traders–had declared war on the whole of Christendom. France, Spain,
England and Italy had suffered a series of devastating attacks. Thousands of Europeans had
been snatched from their homes and taken in chains to the great slave markets of Algiers, Tu-
nis and Salé in Morocco.
[116]
Pellow and his shipmates were bought by the tyrannical sultan of Morocco, Moulay Ismail,
who was constructing an imperial palace of such scale and grandeur that it would surpass eve-
ry other building in the world, a palace built entirely by Christian slave labor.
Resourceful, resilient, and quick-thinking, Pellow was selected by Moulay Ismail for spe-
cial treatment, and was one of the fortunate few who survived to tell his tale.
An extraordinary and shocking story, drawn from unpublished letters and manuscripts
written by slaves and by the padres and ambassadors sent to free them, White Gold reveals a
disturbing and long forgotten chapter of history.
About the Author
Giles Milton is the author of Samurai William (FSG, 2003), The Riddle and the Knight
(FSG, 2001), Big Chief Elizabeth (FSG, 2000) and Nathaniel‘s Nutmeg (FSG, 1999). He lives
in London.
http://jcdurbant.wordpress.com/2006/05/11/histoire-la-traite-oubliee-des-esclaves-
chretiens-razzies-par-les-musulmans/
[117]
Des esclaves anglais aux mains des Barbaresques
December 19th, 2005 ·
La terreur islamique commença dans les îles britanniques lors du « terrible été de 1625 »
quand des corsaires esclavagistes nord-africains envahirent et dévastèrent les côtes sud de
l‘Angleterre, et hissèrent même pendant un bref instant l‘étendard de bataille vert de l‘islam
sur le territoire anglais, un étendard sur lequel était inscrite la terrible promesse : « Les portes
du Paradis sont à l‘ombre des épées ».
Sur les côtes de Cornouailles, du Devon, du Dorset et d‘Irlande du Sud, les corsaires isla-
miques tuèrent et pillèrent des villages entiers pour les vendre comme esclaves dans l‘empire
islamique d‘Orient.
En 1625, les marchands d‘esclaves retournèrent ensuite à Alger – dans ce seul raid – avec
un millier d‘hommes, de femmes et d‘enfants britanniques à vendre comme esclaves. Au to-
tal, les pirates islamiques nord-africains enlevèrent et réduisirent en esclavage 1,3 million
d‘Européens blancs entre 1530 et 1780 dans une série de raids qui dépeuplèrent les villes cô-
tières, de la Sicile à la Cornouaille.
Pour que la population esclave reste stable, environ un quart devait être remplacé chaque
année, ce qui pour la période de 1580 à 1680 signifiait environ 8.500 nouveaux esclaves par
an, arrivant à un total de 850.000 esclaves. La même méthodologie suggère que 475.000 fu-
rent enlevés dans les siècles précédant et suivant. De 1500 à 1650, quand l‘esclavage transa-
tlantique était encore à ses débuts, il y eut probablement plus d‘esclaves chrétiens blancs em-
menés chez les Barbaresques que d‘esclaves africains noirs aux Amériques.
D‘après une estimation, 7.000 Anglais furent enlevés entre 1622 et 1644, beaucoup d‘entre
eux étant des équipages et des passagers de bateaux qui furent interceptés et capturés par des
marchands d‘esclaves.
L‘impact de ces attaques sur les nations européennes attaquées par les pirates meurtriers
fut dévastateur – la France, l‘Angleterre et l‘Espagne perdirent chacune des milliers de ba-
teaux, et de longues étendues des côtes espagnoles et italiennes furent presque complètement
dépeuplées et abandonnées par leurs habitants. A leur apogée, la destruction et le dépeuple-
ment de certaines régions européennes excédèrent probablement ce que les esclavagistes eu-
ropéens infligeront plus tard à l‘intérieur africain quand les esclavagistes africains vendront
leurs compagnons noirs aux esclavagistes européens. A cette époque, l‘Europe vivait dans la
peur de l‘islam.
Bien que les centaines de milliers d‘esclaves chrétiens furent principalement enlevés dans
les pays méditerranéens, les effets des raids esclavagistes musulmans furent ressentis beau-
coup plus loin et durant la plus grande partie du XVIIe siècle l‘Angleterre perdit au moins 400
marins par an du fait des marchands d‘esclaves islamiques.
Les Américains ne furent pas épargnés. Par exemple, un esclave américain raconta que 130
autres Américains avaient été réduits en esclavage par les Algériens en Méditerranée et dans
l‘Atlantique rien qu‘entre 1785 et 1793.
Mais les corsaires n‘interceptaient pas seulement les navires au milieu de l‘océan ; ils dé-
barquaient aussi sur les plages non gardées, souvent de nuit, pour s‘emparer des villageois
endormis. Cela se passa dans des parties de la Cornouaille et presque tous les habitants du
village de Baltimore, en Irlande, furent capturés en 1631, et il y eut d‘autres raids dans le De-
von. L‘une des plus riches épaves au trésor trouvées au large de l‘Angleterre – à Salcombe,
Devon – était un bateau barbaresque du XVIe siècle en route pour capturer des esclaves.
[118]
Un certain révérend Devereux Spratt rapporta avoir été capturé par des « Algérians » alors
qu‘il traversait la mer d‘Irlande de Cork vers l‘Angleterre en avril 1641, et en 1661 Samuel
Pepys écrivit sur deux hommes, le capitaine Mootham et Mr. Dawes, qui avaient aussi été
enlevés.
Les milliers de chrétiens blancs qui étaient capturés chaque année devaient travailler
comme esclaves sexuels, galériens, travailleurs et concubins des seigneurs musulmans dans ce
qui est aujourd‘hui le Maroc, la Tunisie, l‘Algérie et la Libye.
Ce furent en fait des esclaves anglais qui furent forcés de construire les palais de Meknès
pour le tyran marocain, Moulay Ismail, au début du XVIIIe siècle. Dépassant Versailles en
taille et en splendeur, ils furent construits par des esclaves chrétiens, par un souverain qui se
glorifiait de son pouvoir absolu. Par exemple, il traitait le roi d‘Angleterre de faiblard pi-
toyable, puisque celui-ci permettait à un parlement de limiter son autorité.
Le cauchemar ne cessa qu‘en 1816, quand la Royal Navy obligea par la force le port
d‘Alger à la soumission et imposa la cessation de la vente d‘esclaves chrétiens dans le
Maghreb, une action inspirée par Sir Sidney Smith et sa « Société des Chevaliers Libérateurs
des Esclaves Blancs d‘Afrique ».
Le bombardement d‘Alger pour libérer les esclaves blancs eut lieu le 27 août 1816, quand
une flotte anglo-hollandaise sous le commandement de l‘amiral Lord Exmouth bombarda les
bateaux et les défenses portuaires d‘Alger.
Bien qu‘il y eut une campagne continue de diverses marines européennes et de la marine
américaine pour supprimer la piraterie contre les Européens de la part des Etats barbaresques
nord-africains, le but spécifique de cette expédition était de libérer les esclaves chrétiens et de
stopper la pratique de l‘esclavage contre les Européens. Cette fin fut partiellement atteinte
quand le Dey d‘Alger libéra un millier d‘esclaves après le bombardement et signa un traité
contre l‘esclavage des Européens.
Pourtant, si l‘on fait des recherches sur la bataille d‘Alger en 1816 et les raisons se trou-
vant derrière l‘attaque, on découvre que la bataille elle-même semble avoir été évacuée de
l‘histoire.
Une exposition actuellement tenue à Leicester, nommée « Passé et présent : 1.000 ans
d‘islam en Angleterre » au New Walk Museum de Leicester, jusqu‘au 23 décembre et lancée
durant la récente Semaine de la Conscience Islamique, fait un grand effort pour révéler la
« vérité acceptable » concernant l‘histoire de l‘islam en Angleterre, mais bien sûr l‘exposition
ne fait aucune mention du million d‘Européens blancs qui furent réduits en esclavage par les
marchands d‘esclaves islamiques. Bien sûr, cet esclavagisme est considéré aujourd‘hui
comme un « enrichissement culturel ».
Nous suggérons que ceux qui ressentent l‘évacuation hors de l‘histoire de l‘enlèvement ra-
ciste et génocidaire d‘un million d‘Européens blancs par les marchands d‘esclaves arabiques
comme un acte de trahison envers notre peuple et envers ses souffrances envoient des mails
ou téléphonent aux gens cités plus loin et demandent pourquoi l‘histoire de l‘islam en Grande-
Bretagne n‘inclut pas le rôle des esclavagistes islamiques. Nous savons tous que la véritable
raison de l‘exposition du musée est d‘emmener les jeunes enfants voir l‘exposition et de leur
faire un lavage de cerveau pour qu‘ils pensent de l‘islam ce que le gouvernement souhaite
qu‘ils en pensent. De même que les jeunes enfants étaient endoctrinés en Russie soviétique, et
le sont encore de nos jours en Corée du Nord, pour qu‘ils considèrent comme la vérité uni-
quement ce que le gouvernement décrète qu‘elle est, ainsi c‘est la version du New Labour de
l‘endoctrinement des enfants.
[119]
Combattre l’« ignorance »
La propagande du Museum dit elle-même : « Les médias occidentaux ont utilisé toutes les
opportunités pour soumettre l‘islam et les musulmans à un examen minutieux, les décrivant
souvent d‘une manière désobligeante, ce qui a inévitablement conduit à l‘ignorance massive
sur la vraie signification de la religion. Loin d‘être une réserve de ‗fanatiques et de terro-
ristes‘, l‘islam fait partie intégrante de nombreuses communautés en Grande-Bretagne, ame-
nant souvent des relations harmonieuses entre les musulmans et les non-musulmans.
L‘exposition au New Walk Museum à Leicester amène à la lumière la longue histoire de
l‘islam dans la ville. Les organisateurs de cette exposition incluent des organismes islamiques
nationaux, comme la Société Islamique de Grande-Bretagne, le Groupe de Jeunesse Musul-
man et la Fondation Islamique ».
Elle a même le culot de déclarer : « Ces organisations fournissent des vues inestimables sur
l‘islam, combattant l‘ignorance massive – ce qui est plus que nécessaire dans le climat poli-
tique et social turbulent d‘aujourd‘hui ».
Journée nationale de mémoire
L‘intention du BNP est d‘en faire une journée nationale de mémoire pour commémorer le
génocide des Britanniques blancs asservis par les marchands d‘esclaves islamiques, et pour
que soit érigée à Trafalgar Square une statue de Sir Sidney Smith et de sa « Société des Che-
valiers Libérateurs des Esclaves Blancs d‘Afrique » qui combattit longtemps et durement pour
obtenir la libération des esclaves blancs capturés par les esclavagistes islamiques.
Pour les 1 ou 1,3 million d‘esclaves enlevés d‘Europe par les marchands d‘esclaves isla-
miques, le BNP a aussi l‘intention de demander des réparations à des pays comme le Maroc,
la Tunisie, l‘Algérie et la riche Libye. Nous estimons que le gouvernement britannique doit
recevoir plus de dix milliards de livres de dommages et intérêts pour les souffrances et le
meurtre de nos gens.
Le 27 août chaque année, à partir de 2006, le BNP décernera un prix aux personnes qui au-
ront fait le plus pour faire connaître les questions concernant l‘expansion islamique en Occi-
dent. Ce Prix sera appelé le Prix Sidney Smith.
Informations sur le musée :
Lundi-samedi de 10h à 17h.
Dimanche de 11h à 17h.
Entrée libre.
Fermé les 24, 25, 26, 31 et 1er janvier.
New Walk Museum and Art Gallery
53 New Walk, Leicester,
LE1 7EA
Tel: 0116 225 4900
Article publié sur www.nationalvanguard.org
http://fr.altermedia.info/general/8305_8305.html
[120]
Esclavage, vous avez bien dit esclavage ?
Par Paul Garcin le vendredi 12 mai 2006, 14:20 -
Dans le cadre de la commémoration le 10 mai, pour la première fois en France, de
l'abolition de l’esclavage , il est bon de rappeler que l’esclavage n’a pas toujours été
comme on voudrait nous le faire croire le seul fait de la civilisation occidentale
On nous parle beaucoup, actuellement d'esclavage, du refus de certains pays ou de
personnes qui nient leur participation dans l'esclavage. Personnes ou pays qui deman-
dent en permanence, soutenus par diverses associations ou partis politique le pardon
pour des faits de l'histoire.
Hors un fait est ignoré volontairement, les millions, d'Européens kidnappés sur le sol
europen ou des bateaux et vendus comme esclaves, et ce pendant plusiuers siècles, dont
leur malheur est la cause directe de la bataille d'Alger en 1816.
Rappel de l'histoire, volontairement occultés, pour faire plaisir a des organisations
islamique, notre histoire, celle de nos aieuls.
La terreur islamique commença dans les îles britanniques lors du « terrible été de
1625 » quand des corsaires esclavagistes nord-africains envahirent et dévastèrent les
côtes sud de l’Angleterre, et hissèrent même pendant un bref instant l’étendard de ba-
taille vert de l’islam sur le territoire anglais, un étendard sur lequel était inscrite la ter-
rible promesse : « Les portes du Paradis sont à l’ombre des épées ».
Sur les côtes de Cornouailles, du Devon, du Dorset et d’Irlande du Sud, les corsaires
islamiques tuèrent et pillèrent des villages entiers pour les vendre comme esclaves dans
l’empire islamique d’Orient.
En 1625, les marchands d’esclaves retournèrent ensuite à Alger « dans ce seul raid »
avec un millier d’hommes, de femmes et d’ enfants britanniques à vendre comme es-
claves. Au total, les pirates islamiques nord-africains enlevèrent et réduisirent en escla-
vage 1,3 million d’Européens blancs entre 1530 et 1780 dans une série de raids qui dé-
peuplèrent les villes côtières, de la Sicile à la Cornouaille.
Pour que la population esclave reste stable, environ un quart devait être remplacé
chaque année, ce qui pour la période de 1580 à 1680 signifiait environ 8.500 nouveaux
esclaves par an, arrivant à un total de 850.000 esclaves. La même méthodologie suggère
que 475.000 furent enlevés dans les siècles précédant et suivant. De 1500 à 1650, quand
l’esclavage transatlantique était encore à ses débuts, il y eut probablement plus
d’esclaves chrétiens blancs emmenés chez les Barbaresques que d’esclaves africains
noirs aux Amériques.
D’après une estimation, 7.000 Anglais furent enlevés entre 1622 et 1644, beaucoup
d’entre eux étant des équipages et des passagers de bateaux qui furent interceptés et
capturés par des marchands d’esclaves.
L’impact de ces attaques sur les nations européennes attaquées par les pirates meur-
triers fut dévastateur : la France, l’Angleterre et l’Espagne perdirent chacune des milliers
de bateaux, et de longues étendues des côtes espagnoles et italiennes furent presque
complètement dépeuplées et abandonnées par leurs habitants. Des villages entiers de
ces pays furent vidés de leurs habitants enmenés en esclavages. A leur apogée, la des-
[121]
truction et le dépeuplement de certaines régions européennes excédèrent ce que les es-
clavagistes européens infligeront plus tard à l’intérieur africain quand les esclavagistes
africains vendront leurs compagnons noirs aux esclavagistes européens. A cette époque,
l’Europe vivait dans la peur de l’islam.
Bien que les centaines de milliers d’esclaves chrétiens furent principalement enlevés
dans les pays méditerranéens, les effets des raids esclavagistes musulmans furent res-
sentis beaucoup plus loin et durant la plus grande partie du XVIIe siècle l’Angleterre
perdit au moins 400 marins par an du fait des marchands d’esclaves islamiques.
Les Américains ne furent pas épargnés. Par exemple, un esclave américain raconta
que 130 autres Américains avaient été réduits en esclavage par les Algériens en Médi-
terranée et dans l’Atlantique rien qu’entre 1785 et 1793.
Mais les corsaires n’interceptaient pas seulement les navires au milieu de l’océan ; ils
débarquaient aussi sur les plages non gardées, souvent de nuit, pour s’emparer des vil-
lageois endormis. Cela se passa dans des parties de la Cornouaille et presque tous les
habitants du village de Baltimore, en Irlande, furent capturés en 1631, et il y eut d’autres
raids dans le Devon. L’une des plus riches épaves au trésor trouvées au large de
l’Angleterre - à Salcombe, Devon - était un bateau barbaresque du XVIe siècle en route
pour capturer des esclaves. Toutes les côtes des pays bordant l'Atlantique et la Méditér-
rannée furent toucher. Le nombres exactes de personnes enlevées est surement sous
estimé.
Les milliers de chrétiens blancs qui étaient capturés chaque année devaient travailler
comme esclaves sexuels, galériens, travailleurs et concubins des seigneurs musulmans
dans ce qui est aujourd’hui le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Libye.
Ce furent en fait des esclaves européens qui furent forcés de construire les palais de
Meknès pour le tyran marocain, Moulay Ismail, au début du XVIIIe siècle. Dépassant Ver-
sailles en taille et en splendeur, ils furent construits par des esclaves chrétiens, par un
souverain qui se glorifiait de son pouvoir absolu. Par exemple, il traitait le roi
d’Angleterre de faiblard pitoyable, puisque celui-ci permettait à un parlement de limiter
son autorité.
Le cauchemar ne cessa qu’en 1816, quand la Royal Navy obligea par la force le port
d’Alger à la soumission et imposa la cessation de la vente d’esclaves chrétiens dans le
Maghreb, une action inspirée par Sir Sidney Smith et sa « Société des Chevaliers Libéra-
teurs des Esclaves Blancs d’Afrique ».
Le bombardement d’Alger pour libérer les esclaves blancs eut lieu le 27 août 1816,
quand une flotte anglo-hollandaise sous le commandement de l’amiral Lord Exmouth
bombarda les bateaux et les défenses portuaires d’Alger.
Bien qu’il y eut une campagne continue de diverses marines européennes et de la ma-
rine américaine pour supprimer la piraterie contre les Européens de la part des Etats
barbaresques nord-africains, le but spécifique de cette expédition était de libérer les
esclaves chrétiens et de stopper la pratique de l’esclavage contre les Européens. Cette fin
fut partiellement atteinte quand le Dey d’Alger libéra un millier d’esclaves après le bom-
bardement et signa un traité contre l’esclavage des Européens.
Pourtant, si l’on fait des recherches sur la bataille d’Alger en 1816 et les raisons se
trouvant derrière l’attaque, on découvre que la bataille elle-même semble avoir été éva-
cuée de l’histoire.
[122]
Cet esclavagisme est considéré aujourd’hui par les musulmans comme un « enrichis-
sement culturel ».
Pour les 1 ou 1,3 million d’esclaves enlevés d’Europe par les marchands d’esclaves
islamiques, a aussi l’intention de demander des réparations à des pays comme le Maroc,
la Tunisie, l’Algérie et la riche Libye. Nous estimons que le gouvernement britannique
doit recevoir plus de dix milliards de livres de dommages et intérêts pour les souffrances
et le meurtre de nos gens.
Le 27 août de chaque année, à partir de 2006, une journée de mémoire pour les 1 ou
1,3 million d’esclaves enlevés d’Europe par les marchands d’esclaves islamiques. Ce jour
là un prix sera decerné aux personnes qui auront fait le plus pour faire connaître les
questions concernant l’expansion islamique en Occident.Une association européenne le
BNP a l’intention de demander des réparations à des pays comme le Maroc, la Tunisie,
l’Algérie et la riche Libye.
Les enlèvements d'européens pour en faire des esclaves continuent.
http://www.mediaslibres.com/tribune/post/2006/05/12/3-esclavage-vous-avez-
bien-dit-esclavage
[123]
La fin de l’esclavage en Afrique du Nord
Un bienfait de la colonisation ?
Généalogie Algérie Maroc Tunisie – Décembre 2008 – N°100
« Pourquoi personne n’avait jamais posé la question de l’étendue du trafic d’esclaves
blancs en Méditerranée ; nous nous apercevons maintenant que c’est en grande partie
parce que connaître ou même risquer des conjectures quant à la réponse ne servait
l’intérêt de personne » (1)
Cette conclusion de l’historien américain Robert. C. Davis rejoint l’observation du pro-
fesseur Jean-Louis Miège rappelant « qu’au Maroc même, la question de la course reste
un domaine sensible de l’histoire » (2) et celle du professeur S. Bono pour lequel « nous
n’avons pas voulu, nous Européens, rappeler et connaître davantage une réalité peu glo-
rieuse qui pouvait déranger » (3) .
Pourtant, { supposer qu’il soit politiquement incorrect, le sujet n’en mérite pas moins
une étude, ne serait-ce que pour permettre aux descendants de ces esclaves européens,
dont l’auteur de ces lignes fait partie, de mieux connaître le contexte historique et les
raisons qui ont pu conduire leurs malheureux ancêtres sur l’autre rive de la Méditerra-
née jusqu’au début du XIXe siècle .
Cette traite des blancs répondait, le plus souvent, moins à un besoin de main-d’œuvre
servile, qu’{ la recherche d’une rançon substantielle et elle s’apparentait donc plus { une
forme de rapt que d’esclavage. Elle ne doit pas faire oublier la traite des noirs en pays
d’Islam et sa difficile éradication tant celle-ci était ancrée dans les mœurs (4) .
La traite des blancs (5)
La domination turco-barbaresque en Méditerranée, illustrée en 1560 par la victoire
de Soliman le Magnifique sur la flotte espagnole à Djerba, un temps éclipsée par la vic-
toire de Lépante en 1571 (6), se traduit ensuite par l’essor de l’activité corsaire des bar-
baresques et la multiplication des captifs chrétiens.
Robert. C. Davis a chiffré à un million les blancs chrétiens réduits en esclavage par les
barbaresques entre 1530 et 1780 et ces actes de piraterie, exercés par les populations
de la côte septentrionale de l’Afrique, « les rendit un objet d’horreur pour tous les
peuples chrétiens qui pendant si longtemps frémirent au récit des cruautés que les es-
claves de leur religion eurent à souffrir de la part des maures ». (7)
Une honte !
Aucune nationalité n’était épargnée et c’est ainsi qu’au cours des combats entre
l’Empire et les Ottomans, de 1562 { 1594, de nombreux Hongrois furent capturés ; par-
mi ceux-ci se trouvait un certain Mickaël Sarkosi (Sàrkösi) dont la rançon fut fixée à 800
thalers (8).
Devant ce fléau, les états européens, divisés, se contentaient de négocier des trêves et
tentaient d’obtenir la paix en versant des tributs en argent ou en nature (9), faisant dire à
[124]
Ludovico Antonio Muratori dans ses Annales d’Italie : « Ce sera toujours une honte pour
les puissances de la chrétienté aussi bien catholiques que protestantes, que de voir qu’au
lieu d’unir leurs forces pour écraser, comme elles le pourraient, ces nids de scélérats
corsaires, elles vont de temps à autre mendier par tant de sollicitations et de dons, pour
ne pas dire des tributs, leur amitié, laquelle, ensuite { l’épreuve, se trouve souvent en-
cline à la perfidie » (10) . Conscients de la faiblesse de leurs adversaires pris isolément, les
états barbaresques ne purent que tirer avantage d’une situation qui les plaçait sur un
pied d’égalité avec leur interlocuteur dans le cadre d’accords bilatéraux constamment
remis en cause (11) .
Le plus souvent des renégats
Pour eux, la course était une des formes militaires de la guerre pratiquée contre les
états chrétiens et les corsaires étaient présentés dans les régences comme des héros
pratiquant le djihad qui leur assurait, en cas de mort, le pardon de leurs péchés et de
leurs dettes en leur qualité de mudjahid (12)
. Ces corsaires étaient le plus souvent des renégats « turcs de profession, qui, de sang et
parents chrétiens se sont faits Turcs de leur libre volonté pour devenir les principaux en-
nemis du nom chrétien et qui avaient presque tout le pouvoir, la domination, le gouverne-
ment et les richesses d’Alger » (13).
Légitimée par la religion, la course permettait aux régences barbaresques de
s’imposer diplomatiquement et d’officialiser une pratique criminelle de rapts
d’individus en vue d’obtenir le paiement d’une rançon ou d’autres avantages, ce qui rend
difficile « d’assimiler ces pillards professionnels { des corsaires de la patrie, voire { des
martyrs de la foi » (14).
Funeste aventure
Parmi les razzias, l’une d’entre elles a particulièrement marqué les mémoires par son
ampleur. Dans la nuit du 2 septembre 1798, 945 personnes vivant sur l’île de Saint-
Pierre, au sud-ouest de la Sardaigne, ont été brutalement capturées par des pirates tuni-
siens (15).
J. Marcel a relaté cette funeste aventure : « Les hommes furent enchaînés, entassés les
uns sur les autres, dans la cale du bâtiment. Les mères, les filles, les enfants se pressaient,
hurlaient et se cherchaient réciproquement dans cette foule confuse... jamais un spectacle
plus lamentable n’avait paru { Tunis ; car jamais nulle prise, nulle descente n’y avait ame-
né un aussi grand nombre de victimes... c’était une ville entière que cette fois les pirates
amenaient prisonnière dans leur bagne » (16)
. Sur la liste de ces victimes dressée en avril 1799 (17) figurait mon hexaïeul (huitième
génération) Rombi Rocco dont la descendance allait servir les beys de Tunis : Giuseppe
(garde pipe), son fils Agostino (grand aqua) et le fils de ce dernier Giuseppe (cuisinier).
De la chirurgie à l’esclavage
C’est du mariage de ce cuisinier et de Marie Mastrovitch, elle-même fille d’un esclave
autrichien (garde pipe du bey) que naquit ma trisaïeule Mathilde, laquelle unit sa desti-
[125]
née avec Sauveur Lombard, petit-fils de Joseph Frédéric Lombard, capturé en Méditer-
ranée par les Tunisiens en 1806.
Personnage haut en couleur, Joseph Frédéric, né à Dôle le 13 avril 1773, avait com-
mencé { travailler dès l’âge de 12 ans dans les hôpitaux militaires. Inquiété sous la Ter-
reur, ce chirurgien { l’armée d’Angleterre puis d’Italie se retrouva esclave { Tunis avant
d’être racheté par le consul de France Devoize.
Etant parvenu { guérir le bey d’un ulcère { la jambe, il entra { son service et { celui de
ses successeurs. Mais ce franc-maçon frondeur n’avait pas que des amis et, dans un rap-
port d’octobre 1820 (18), il est présenté comme un déserteur des armées napoléoniennes,
« pervers et composé de tous les vices fondus ensemble » ayant deux femmes, l’une { Mar-
seille, l’autre { Tunis « crime anciennement puni de mort » (sic). Il lui était notamment
reproché d’avoir poussé le mauvais esprit jusqu'{ donner { ses enfants « les noms de Na-
poléon et d’autres de la famille de Bonaparte ».
Lombard, il est vrai, avait deux familles dont l’une était issue de son union illégitime
avec Justine
Alzetto, de laquelle naquit le père de Sauveur, mon tétraïeul Eugène. Curieux destin
qui a ainsi permis de réunir au palais du Bardo mes ancêtres tabarkins, sardes, autri-
chiens, maltais et jurassiens, pour la plupart esclaves (le grand père maternel de Justine
Alzetto était comagy du bey, c’est-à-dire intendant ).
Pour en finir avec ces transferts forcés de populations, la voix de Chateaubriand
s’éleva { la Chambre des Pairs le 9 avril 1816... « Ils viennent d’enlever la population d’une
île entière ; hommes, femmes, enfants, vieillards, tout a été plongé dans la plus affreuse ser-
vitude... C’est en France que fut prêchée la première croisade ; c’est en France qu’il faut
lever l’étendard de la dernière... »
Cet appel, relayé par l’Angleterre et la Société des chevaliers libérateurs des esclaves
blancs, allait être entendu (19).
Traité
La razzia du raïs tunisien Moustafa contre l’île de Saint-Antioche en octobre 1815 dé-
cida les puissances réunies au congrès de Vienne à réagir et lord Exmouth obtint
l’engagement écrit du bey Mahmoud de supprimer l’esclavage chrétien dans ses états en
mai 1816, pendant la semaine de Pâques (20). Il fallut cependant attendre la capitulation
d’Alger, le 5 juillet 1830, pour que le bey de Tunis, le 8 août 1830, et le pacha de Tripoli,
trois jours plus tard, signent avec la France un traité interdisant la course, l’esclavage
des chrétiens et la réclamation de tout tribut aux états européens (21).
Si la croisade destinée { abolir l’esclavage des blancs avait enfin atteint son objectif, il
n’en allait pas de même de celle menée par les Anglais pour mettre un terme { la traite
des noirs qui, outre son mobile philanthropique devait leur permettre de « ruiner les
colonies qui leur faisaient (22) concurrence » .
La traite des noirs
[126]
Contrairement { une thèse longtemps soutenue, la traite atlantique n’a nullement tari
à partir du XVIe siècle la traite transsaharienne : le trafic négrier s’est poursuivi jusqu’au
XIXe siècle { l’encontre des populations noires non musulmanes (23).
L’alibi de la religion (djihad) et la dévalorisation du noir assimilé { la figure de
l’esclave (24) servirent { légitimer la traite orientale dont l’ampleur est considérable.
L’historien Raymond Mauny a évalué { deux millions par siècle, du VIIIe au XIXe siècle, les
noirs déportés à travers le désert (25).
Une partie de ces esclaves était destinée { l’Afrique du Nord et on a évalué { un millier
ceux qui arrivaient chaque année en Tunisie au XIXe siècle pour assurer des tâches do-
mestiques ou militaires (26). Au Maroc, le sultan Moulay Ismaïl (1672-1727) organisa une
armée noire dans laquelle les enfants des soldats devenaient eux-mêmes des soldats-
esclaves (27).
En 1836, à Tunis, le bey tenta de créer un bataillon formé de « tous les nègres en état
de porter les armes » (28)..
Quant aux femmes noires { l’origine du métissage d’une partie de la population, elles
étaient des concubines recherchées et il semblerait que les musulmans déportaient plus
de femmes que d’hommes (29) .
C’est sous la pression de la Grande-Bretagne que les esclaves noirs furent déclarés li-
bérés en Tunisie en1846 par le bey Ahmed, lequel, pour justifier cette décision, invoqua,
par l’intermédiaire de son ministre Ben Dhiaf, une argumentation juridico-religieuse
dans une fetwa qui mettait en avant le non respect par les maîtres des normes musul-
manes régissant l’esclavage et le souci d’éviter l’intervention d’autorités étrangères. (30)
A l’instar des codes noirs tant décriés, il existait en effet un code de l’esclavage des
musulmans qui posait en premier principe que « la vente des nègres réduits { l’état
d’esclavage était permise parce qu’en général ils sont infidèles » (31).
Il a cependant fallu attendre le protectorat et un décret beylical du 28 mai 1890 pour
faire respecter la suppression de l’esclavage en Tunisie. De même, au Maroc, c’est la
France qui a fait fermer les marchés d’esclaves en 1912 et qui a obtenu l’abolition totale
avec la pacification du Sud en 1932.
Pour l’Algérie enfin, le décret du 27 avril-3 mai 1848 a été appliqué, son article 1er
précisant que « l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions
françaises ».
Ainsi, l’esclavage et la traite négrière « qui n’a pas été une invention diabolique de
l’Europe » (32) ont été efficacement prohibés par le législateur colonial au nom du dogme
républicain Liberté, égalité, fraternité. Faut-il aujourd’hui s’en repentir ? (33). •
Christian Dureuil
N.B.-Postérieurement à la rédaction de cet article, a paru aux éditions Fayard l'ouvrage
de Malek Chebel : L'esclavage en terre d'Islam, avec une importante bibliographie, pp.
419-471.
Bibliographie
1-Davis Robert C. Esclaves chrétiens, maîtres musulmans, p. 308. Ed. G. Chambon,
2006. 2-Miège J.L. Les Aspects de la course marocaine du XVIIe au XIXe s. in La Guerre de
[127]
course en Méditerranée (1515-1830), p.40. Ed. A Piazzola. Ajaccio 2000. 3-Bono Salvador.
Les Corsaires en Mé-diterranée, p.8. Paris Méditerranée 1998 4-Pétré Grenouilleau O.
Les Traites négrières, p.27. Ed. Gallimard. 2004.
5-Le terme est utilisé par le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Larousse, t. VII,
p. 861 et suiv. 1870. 6-Courtinat R. La Piraterie barbaresque en Méditerranée. XVIe-XIXe,
p.81 et suiv. Ed.J.Gandini.2003. 7-Larousse XIXe. p.861 et s. (note 5). 8-Collenberg
W.H.Rudt (de). Esclavage et rançons des chrétiens en Méditerranée (1570-1600), p.221.
Ed. Léopard d’or. 1987 9-Plantet E. Correspondance des beys de Tunis. Tome III p. LXV et
suiv. Félix Alcan éd.1899. Masson P. Histoire du commerce français dans le Levant au
XVIIIe s. p. 357. Hachette. 1911. 10-Cité par Bono S. (préc.3) p.37 11-Panzac D. La course
barbaresque revisitée XVIe-XIXe s. In La Guerre de courses en Méditerranée (préc.2) p.33
12-Idem. 13-Haedo Diego (de). Topografia e historia de Argel. Valladolid 1612 chap.XI à
XIII traduction B. Bennassar 14-Deschamps H. Pirates et flibustiers, p. 25. Que sais-je ?
n°554 15-Sebag Paul. Tunis au XVIIe s. L’Harmattan p.221 et s.
Nozières L. et C. Les « Tabarkini » de l’île de San Piétro. GAMT n°37, p. 3 16-Revue
L’Univers, p.124 et suiv. 1862 17-Archives du secrétariat général du gouvernement
tunisien. Dossier Courses et corsaires, cité par Grandchamp P. in Autour du consulat de
France à Tunis, p.123. Tunis 1943. 18-Notice sur le gouvernement de la régence de Tunis
oct.1820. SHAN cote AEB III 304 19-Plantet (note 9) p. L 20-Grandchamp P. (note 17)
p.97 21-Panzac D. (note 11) p.37 22-Mandat-Grancey. Souvenirs de la côte d’Afrique.
Paris 1900 p.79 cité par Grandchamp p.99 23-Pétré Grenouilleau O. préc. n°4 p.30 et s.
24-C. Coquery Vidrovitch, in Marc Ferro, Le Livre noir du colonialisme. XVI-XXIe s. Ha-
chette 2004 p.867 25-Deveau J.M. Esclaves noirs en Méditerranée. Cahiers de la Méditer-
ranée. vol.65, mis en ligne le 25 juillet 2005
URL :
http://cdlm.revues.org/document27.html 26-Valensi L. Esclaves chrétiens et es-
claves noirs 27-Deveau J.M. préc.n°24 28-Abîl-Diyäf Ahmad Ibn. Chronique des rois de
Tunis et du pacte fondamental vol. II, p. 107. Tunis 1994 29-Deveau J.M., préc.n°24 30-
Chater K. Islam et réformes politiques dans la Tunisie du XIXe s. The Maghreb Review
vol.13 n°1 & 2, p.77-83b. 1988 31-Daumas. Le grand désert, p.319 et suiv. Paris 1857.
Ed. Michel Levy 32-Braudel F. Grammaire des civilisations -Flammarion 1933 p.168 33-
Bruckner P. La tyrannie de la pénitence. Grasset 2006 p.179
Une rançon de quatre mille louis…
Les A.O.M. possèdent des dossiers sur l'esclavage en A.F.N. sous les cotes F.8O et
45/MIOM. Nous en avons extrait les deux documents ci-dessous, assez évocateurs…
Ces dossiers contiennent également une liste de plus de 300 esclaves européens, ori-
ginaires de France et du pourtour méditerranéen. Nous publierons peut-être ultérieu-
rement cette liste (après l'avoir déchiffrée !).
Année 1750
André Alexandre Lemaire, écuyer conseiller du Roy, Consul de France à Alger, man-
dons au sieur Jean Baptiste Germain, chancelier de ce Consulat, ayant l'administration
des deniers de la Chambre de Commerce, de payer entre nos mains trois mille cinq cent
cinquante cinq "pataque" et demy, valeur de quatre mille louis monnaye de France, que
nous avons employé par ordre de Mgr Rouillé, ministre et secrétaire d'Etat pour servir à
une partie de la rançon de M. François Ricaud, officier françois au service du Roy d'Es-
[128]
pagne, laquelle somme il passera au compte des messieurs de la Chambre du Commerce
de Marseille, qui en seront remboursés conformément aux ordres que Mgr Rouillé voudra
bien donner à ce sujet. Et ledit sieur Germain au moyen de notre présent mandat en sera
bien et valablement déchargé.
Fait à Alger le 3 juillet 1750
Lemaire
Année 1784
L’an mil sept cent quatre vingt quatre, et le huit de novembre, ont comparu(s) devant
nous, Benoist Joseph Lalan, provicaire apostolique des royaumes d’Alger et de Tunis, An-
toine Belin et Charles Maillé, tous deux français et esclaves de cette régence ; lesquels ont
déposé(s) que, lorsque l’armée navale d’Espagne est venue en juillet dernier pour bombar-
der cette place, ils ont vu(s) le cadavre d’un noyé qu’ils ont reconnu(s) { n’en pouvoir
dout(t)er, être celui de Dominique Camus fils de feu Jean et de Marie Anne Charret, baptisé
en mil sept cent cinquante trois à St Maurice de Mouriville, à une lieue de Chatel, diocèse de
Metz. Esclave depuis environ deux ans, lequel voulant se sauver à bord de quelque navire
espagnol, s’est noyé : { quoi j’ajoute avoir vu une lettre venue d’Espagne environ deux mois
après la retrait(t)e de ladite armée qui assurait qu’il ne s’était sauvé { bord de leurs vais-
seaux que deux esclaves : lesquels deux étaient espagnols, et que depuis ledit mois de juillet
qu’a disparu ledit Dominique Camus jusqu’{ ce jour, on n’a aucunement entendu parler. En
foi de quoy nous avons signé(s) à Alger les jour, mois et an que dessus.
Antoine Belin C. Maillé
B.J. Lalan, provic.apost
Source : ANOM-45 MIOM 23
http://www.genealogie-gamt.org/images2/esclavage_en_afn.pdf
[129]
L'Esclavage des blancs.
Pourquoi ce silence sur cette réalité?
Olivier Pétré-Grenouilleau, Professeur à l’université de Bretagne-Sud (Lorient)
On l’ignore totalement : au XVIe siècle, les esclaves blancs razziés par les musulmans
furent plus nombreux que les Africains déportés aux Amériques. L’historien américain
Robert C. Davis restitue les pénibles conditions de vie de ces captifs italiens ou espa-
gnols*.
On a pris aujourd’hui la mesure de la traite des esclaves noirs organisée par les né-
griers musulmans { travers le Sahara, ainsi qu’en direction du Moyen-Orient et des ré-
gions de l’océan Indien (1). On sait aussi que l’affrontement entre l’islam et la chrétienté
a alimenté en maures et en chrétiens les marchés d’esclaves des deux côtés de la Médi-
terranée médiévale.
Mais si des travaux, maintenant assez nombreux, avaient permis d’éclairer la question
de l’esclavage dans les pays chrétiens, et notamment dans la péninsule Ibérique, on ne
savait pas grand-chose de la condition réelle des esclaves chrétiens dans les États “ bar-
baresques ” d’Afrique du Nord. Une histoire souvent obscurcie par la légende.
Professeur d’histoire sociale italienne { l’université d’État de l’Ohio, Robert C. Davis
nous en livre désormais, dans un ouvrage remarquable, une approche véritablement
scientifique. Le fruit de dix ans de travail, principalement en Italie.
Car l’Italie, “ œil de la chrétienté ”, fut sans aucun doute, entre le XVIe et le XVIIIe
siècle, la région la plus touchée par les raids des Barbaresques, ou Africains du Nord. Des
villages y furent sinistrés, des activités (comme la pêche) entravées, des esprits et des
sociétés durablement secoués. La Méditerranée devenant “ la mer de la peur ”, nombre
d’Italiens auraient alors délaissé les littoraux pour s’installer plus loin, vers l’intérieur. A
propos des effets { long terme de ces razzias, l’auteur va jusqu’{ parler de “ désastre so-
cial et psychologique ” – une question qui mériterait sans doute des études plus étoffées.
Un million d’esclaves entre 1530 et 1780
Les causes de l’esclavage des chrétiens sont tour { tour mentionnées par Robert C.
Davis : la Reconquista, le désir, de la part des musulmans, de prendre une revanche sur
les croisades, l’appât du gain. Mais ce qui l’intéresse, c’est surtout la question des condi-
tions de vie de ces esclaves. Une question qui fut l’un des thèmes porteurs de
l’historiographie consacrée { l’esclavage américain, et que Robert C. Davis tente
d’appliquer, ici, { l’esclavage musulman.
Difficile d’estimer le nombre des esclaves blancs dans les pays barbaresques. On ne
dispose que de données partielles, d’époques différentes, qu’il faut recouper avec soin.
Parfois même se contenter de projections.
Contre Fernand Braudel, qui en avait minimisé l’ampleur (2), tout ce travail conduit
l’auteur { une nouvelle pesée du phénomène. Estimant { environ 15 % le taux de morta-
lité des esclaves déjà plus ou moins acclimatés à leur nouvelle condition, il évalue entre
[130]
un million et 1250000 le nombre d’esclaves blancs détenus, entre 1530 et 1780, sur un
territoire s’étendant de l’Algérie { la Libye actuelles. Au XVIe siècle, il y avait donc an-
nuellement plus d’esclaves blancs razziés que d’Africains déportés aux Amériques.
90 % au moins de ces esclaves blancs étaient des hommes. Et comme on ne leur laissa
guère l’occasion, de fait, d’avoir une descendance, la seule chose d’eux qui aurait pu leur
survivre est le produit de leur travail, du moins pour ceux qui étaient affectés à de
grandes tâches étatiques : construction de digues, de fortifications, de ports, de rues ou
encore de palais. Mais une bonne partie de ces constructions a disparu. Cette institution,
qui dura pourtant près de trois siècles, n’a donc laissé pratiquement aucune trace per-
ceptible. “ L’autre esclavage ”, écrit Robert C. Davis, est ainsi devenu “ l’invisible esclavage
”.
Au XVIe siècle, de vastes opérations militaires étaient menées par les États barba-
resques, jusqu’{ l’intérieur des terres ennemies pour se procurer des esclaves. Mais, à
partir des premières décennies du XVIIe siècle, les captifs blancs furent surtout le pro-
duit d’opérations corsaires privées. La valeur des esclaves pouvait représenter entre 20
et 100 % de celle des autres prises, navire et marchandises inclus. Aussi les Barba-
resques s’occupaient-ils directement, non seulement de capturer les esclaves, mais aussi
de les transporter et de les vendre.
L’appât du gain était renforcé par l’arrière-plan conflictuel entre chrétienté et islam.
Sinon, comment comprendre l’horreur toute particulière que les cloches des églises des
villages qu’ils razziaient inspiraient aux corsaires – dont certains étaient des chrétiens
renégats ? Des cloches qu’ils déposaient souvent, et parfois emportaient avec eux – le
bronze n’étant pas sans valeur. La violence exercée lors de ces raids avait également une
tonalité en partie symbolique qui permettait d’entretenir la crainte des populations lit-
torales.
Même chose pour les humiliations infligées dès leur capture aux nouveaux esclaves :
obligation de se dénuder, administration de coups { l’aide de cordes { nœuds, puis, {
leur arrivée à bon port, défilé des nouveaux asservis destiné à officialiser le triomphe de
leurs nouveaux maîtres. Ainsi désocialisés, les esclaves étaient plus facilement soumis.
D’abord un peu mieux traités, afin qu’ils s’acclimatent correctement, ils étaient en-
suite orientés vers des activités variées, allant du travail dans les orangeraies de Tunis
au service domestique. Néanmoins, la plupart se voyaient confier des tâches particuliè-
rement dures : galères, extraction et convoyage de pierres, construction, etc. Et aucun “
code blanc ” ({ l’imitation du fameux code noir appliqué dans les Antilles françaises),
même symbolique, ne venait limiter le pouvoir du maître sur son esclave “ infidèle ”.
Certains captifs jouissaient cependant d’un certain degré de liberté On leur deman-
dait seulement de ramener, chaque matin, une certaine somme d’argent { leur maître ;
système rappelant celui, dans les Antilles, des “ nègres { talents ” loués { des entrepre-
neurs. Le vol pouvait alors être à la fois acte de résistance et moyen de survivre au sein
du système esclavagiste.
Cervantès captif des Barbaresques
Souvent, les esclaves chrétiens travaillaient comme domestiques au service de fa-
milles musulmanes. Mais ce type d’esclavage déclina plus rapidement que celui organisé
[131]
au bénéfice des États barbaresques. Au point que, à la fin du XVIIIe siècle, la moitié
des esclaves chrétiens d’Alger vivaient dans des bagnes publics. Les conditions
d’existence y étaient extrêmement dures : il y régnait un climat de violence, notamment
sexuelle, les geôliers étant accusés d’y favoriser, contre paiement, des pratiques sodo-
mites.
Les captifs qui pouvaient faire l’objet d’une forte rançon échappaient vite { ces condi-
tions d’existence. D’autres pouvaient être rachetés au bout de quelques années. Ce qui
fut le cas de Miguel de Cervantès (1547-1616), l’auteur de Don Quichotte, esclave des
Barbaresques entre 1571 et 1580. La chose devint théoriquement plus facile avec le
temps, car des institutions religieuses spécialisées dans le rachat des captifs furent or-
ganisées de l’autre côté de la Méditerranée ; en Italie, des sommes importantes furent
mobilisées pour le paiement des esclaves chrétiens.
La durée de captivité s’étendait ainsi, dans nombre de cas, de cinq { douze ans au
maximum. Le taux de mortalité, cependant, demeurait élevé. Beaucoup d’esclaves
n’avaient donc que peu d’espoir de retourner, un jour, chez eux.
O. P.-G.
Notes
* Robert C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters. White Slavery In The Mediterranean ,
The Barbary Coast And , 1500-1800, Basingstoke , Palgrave Macmillan, 2003.
1. Cf. “ La vérité sur l’esclavage ”, spécial, L’Histoire n° 280.
2. La Méditerranée et le monde méditerranéen { l’époque de Philippe II, Paris, Armand
Colin, 9e éd., 1990
http://synpol.over-blog.net/article-2721583.html

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(Bibliothèque identitaire) l'esclavage et les arabo musulmans (clan9 islam traite négriers arabes mahomet esclaves racisme anti-blanc, coran hadith)

  • 1. [1] Esclavage et Traite des Esclaves chez les Arabo-Musulmans Compilation d’articles divers
  • 2. [2] Les Négriers en Terre d’Islam Jacques Heers. Professeur honoraire d'histoire à l'Université Paris IV-Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages, dont, notamment, Christophe Colomb, Hachette, Paris, 1981 ; Marco Polo, Fayard, Paris, 1983 ; Machiavel, Fayard, Paris, 1985 ; Gilles de Rais, Perrin, Paris, 1994 ; Jacques Coeur, Perrin, Paris, 1997 ; Les Barbaresques, Perrin, Paris, 2001 ; Les négriers en terre d'Islam, Perrin, Paris, 2001. 1 Les blancs, captifs et esclaves La guerre pourvoyeuse de captifs (VIIe-Xe siècle) Les conquêtes musulmanes, du VIIe au VIIIe siècle, si brutales et d'une telle ampleur que le monde méditerranéen n'avait jamais rien connu de tel, provoquèrent un nombre considérable de captures et, aussitôt, un très important trafic d'hommes et de femmes, conduits en troupes sur les marchés des grandes cités. L'esclavage devint alors un phénomène de masse affectant tous les rouages sociaux, hors de proportion avec ce qu'il avait été dans l'Empire byzantin. Dans les tout premiers temps de l'islam, les es- claves étaient, comme dans l'Antiquité romaine ou du temps de Byzance, essentiellement des Blancs, raflés lors des expéditions ou exposés sur les marchés par des trafiquants qui allaient les acheter en de lointains pays, très loin même des terres d'Islam. Les négriers en terres d'Islam, p. 11 2 En Orient : captifs grecs et perses La flotte du calife de Bagdad assiège Constantinople en 673. Elle trouve les murailles de la ville renforcées par d'impressionnants fortins et les redoutables vaisseaux grecs siphonophores, capables de lancer le terrible feu grégeois, prêts au combat. Cette résis- tance byzantine ruine l'enthousiasme des assaillants qui se replient et ne tentent plus de fortes attaques avant plusieurs décennies. En 716, ils mènent leurs troupes à travers l'Anatolie, passent les Détroits et pénètrent jusqu'en Thrace tandis qu'une flotte de mille vaisseaux cerne de nouveau Constantinople. Mais, attaqués par les Bulgares au nord,
  • 3. [3] décimés sur mer par le feu grégeois, les musulmans abandonnent, cette fois encore, le siège après un an de durs combats. Ces premiers élans brisés, la guerre ne fut plus dès lors que raids de cavalerie, raids sauvages, inopinés, non pour conquérir ou établir des colonies militaires, centres de garnisons pour d'autres offensives, mais simplement pour le butin et la chasse aux esclaves. Chez les chrétiens, les populations se réfugiaient dans des camps fortifiés, à Dorylée, à Smyrne, à Milet. Sur ce front mouvant et incertain, har- diment défendu par les colonies des acrites, soldats et paysans, les chefs guerriers se retranchaient, sentinelles hasardées, dans leurs palais ceints de hautes murailles. Les poèmes épiques, souvent d'origine populaire, modèles peut-être de nos chansons de geste, content les hauts faits d'armes des héros, capitaines des châteaux dressés sur les rives de l'Euphrate, mais disent aussi, en d'autres accents, les angoisses et les peines des petites gens, paysans, villageois, surpris au travail, incapables de fuir assez tôt, emmenés captifs pour servir en des terres lointaines d'Arabie ou d'Irak. Ibidem, pp. 15-16 3 Les premiers grands marchés d'esclaves (IXe-Xe siècle) Esclaves saxons, marchands juifs et chrétiens Pendant longtemps, les géographes, les voyageurs et les marchands musulmans te- naient pour «Slaves» tous les hommes qui vivaient hors de leurs Etats, de l'Espagne aux steppes de la Russie et de l'Asie centrale et, plus loin encore, sur les terres inconnues, contrées réputées rebelles de Gog et Magog. Les conquérants musulmans n'ont tenté que très rarement des raids aussi loin de leurs bases et les esclaves slaves ne pouvaient être qu'objets de traite. Ceux de Bohême étaient régulièrement conduits à Prague, centre de castration pour les hommes, puis à Ratisbonne. Ceux des pays plus au nord, avec les Saxons faits prisonniers lors des cam- pagnes de Charlemagne des années 780, furent expédiés vers les gros bourgs fortifiés de la route germanique pour finir sur le marché de Verdun. De là, on les menait à Lyon, autre grand carrefour pour ce négoce des captifs, puis à Arles et Narbonne et, enfin, vers les ports d'Espagne, du Maghreb ou, directement, de l'Orient. Ce n'était ni affaires de peu ni d'un court moment: au xe siècle encore, Liutprand, évêque de Crémone (920-972), ne cessait de dénoncer et de condamner les profits énormes, proprement scandaleux, que réalisaient les marchands de Verdun. A la même époque, les recensements des Slaves amenés sur le marché musulman de Cordoue don- nent un chiffre de plus de dix mille en l'espace de cinquante années, de 912 à 961. Ils ont très vite formé, comme les Turcs en Orient, peuple non encore islamisé, une part impor- tante des troupes et du corps des officiers au service du calife. Au temps de la décadence de ce califat de Cordoue et de l'éparpillement des pouvoirs, dans les années 1000, plusieurs d'entre eux, notamment dans le Levant ibérique, prirent la tête d'un petit royaume, alors complètement indépendant. Les marchands des pays d'islam, eux non plus, ne se risquaient pas volontiers hors du monde méditerranéen et répugnaient à se rendre en Gaule où ils ne rencontraient que des populations hostiles. On ne les y voyait pas fréquenter les marchés d'esclaves alors que les Juifs étaient, eux, communément montrés comme les maîtres de ce malheureux commerce.
  • 4. [4] Certains n'étaient que de petites gens, colporteurs errants, vendeurs de bibelots et de pacotille qui ne prenaient à leur suite qu'un ou deux captifs. D'autres, au contraire, bien en place auprès des palais des rois francs, maîtres d'entreprises implantées dans tout le pays, convoyaient vers les ports de la Méditerranée de nombreuses troupes de prison- niers, embarquées vers l'Orient. « Ils rapportent d'Occident des eunuques, des esclaves des deux sexes, du brocart, des peaux de castor, des pelisses de martre et des autres fourrures et des armes.» Nos auteurs, musulmans et chrétiens, insistent particulièrement sur le rôle des Juifs qui, dans l'Espagne musulmane, formaient souvent la majorité de la population dans les grandes villes, notamment à Grenade, appelée communément, au VIIIe siècle, la « ville des Juifs». Négociants en produits de luxe, métaux, bijoux et soieries, plus rarement prêteurs sur gages, ils se groupaient en petites sociétés de parents et d'amis, les uns établis dans une des cités proches de la frontière castillane, les autres dans les ports d'Ibérie et d'Afrique du Nord, et prenaient à leur compte certainement une bonne part des transactions entre les deux mondes. On assurait aussi que, les musulmans s'y refusant, ces trafiquants israélites veillaient à la bonne tenue des centres de castration. Cependant, des marchands gaulois et chrétiens, de Verdun surtout, allaient eux aussi régulièrement commercer à Saragosse et dans les autres cités musulmanes d'Espagne pour y présenter et y vendre des captifs. L'abbé Jean de Gorze, chargé de mission par l'empereur germanique Otton 1er auprès du calife de Cordoue, se fit accompagner par un de ces négociants chrétiens de Verdun qui connaissait bien l'Espagne. Les Mozarabes, chrétiens demeurés en Espagne sous la domination musulmane, ne demeuraient pas inactifs; ils passaient les Pyrénées, fréquentaient les marchés, à Verdun bien sûr et jusque dans les cités des rives du Rhin. Pour l'Italie, les mêmes auteurs parlent beaucoup moins des Juifs mais plus souvent des marchands chrétiens, hommes de vilaines mains, pillards et complices, meneurs de raids au-delà des Alpes ou sur l'autre rive de l' Adriatique, tous trafiquants d'esclaves, capables de faire prisonniers et de ramener hommes et femmes sans regarder à leurs origines ou à leur religion. Les hommes d'affaires vénitiens, ceux-ci mieux organisés et plus honorablement con- nus, armant des navires à leurs noms, y prenaient part. Soumise alors à Byzance, Venise bravait les empereurs de Constantinople qui avaient formellement condamné cette traite et menacé les coupables de dures sanctions. Pour mettre un terme à ces sinistres négoces ou, du moins, en limiter les profits, Léon V l'Arménien, empereur (813820), interdit à tous ses sujets, plus particulièrement aux Vénitiens, de commercer dans les ports d'Egypte et de Syrie. L'on vit pourtant d'auda- cieux trafiquants traquer des esclaves dans les Abruzzes et le Latium pour les revendre dans le Maghreb. Ibidem, pp. 16-18 4
  • 5. [5] Les Russes et les Bulgares de la Volga Le Livre sur la clairvoyance en matière commerciale, attribué à l'écrivain al-Djahiz (d. 669), faisait déjà mention d'esclaves des deux sexes importés du pays des Khazares sur les rives de la Volga, près de son embouchure. Cependant, les trafics marchands avec les villes de Russie ne prirent un bel essor que plus tard, au temps où la dynastie des Sassanides puis celle des Bouyides, toutes deux originaires de Perse, régnèrent à Bagdad. Le célèbre lettré athTha' alibi imagine une conversation entre deux courtisans du roi bouyide Adud al-Dawla (977-983) et les fait parler de jeunes esclaves turcs, de concu- bines de Boukhara et de servantes de Samarkand. Sur les lointains marchés de Kiev et de Bulghar, la capitale des Bulgares, les mar- chands musulmans étaient presque tous originaires ou de la Transoxiane ou du Kharas- san, au nord-est de l'Iran. Les trafiquants de la ville de Mechhed venaient, chaque saison, au retour de leurs ex- péditions dans le Nord et les pays des steppes, vendre à Bagdad diverses sortes de four- rures, les moutons et les bœufs, le miel, la cire et les cuirs, les cuirasses et, surtout, les esclaves. Pour se procurer ces hommes et ces femmes, de plus en plus nombreux et d'origines de plus en plus lointaines, les musulmans de Perse traitaient avec les Bulgares ou avec les Russes, intermédiaires obligés, convoyeurs de captifs. L'année 921, le calife abbasside de Bagdad, Muqtadir, envoya une ambassade au roi des Bulgares de la Volga. Le secrétaire de l'expédition, Ahmed ibn Fodlan, tenait, au jour le jour, registre des marches de la caravane et des étapes, jusque très loin dans des pays jusqu'alors inconnus; il s'attarde longuement { décrire les mœurs et les usages poli- tiques de ces peuples, si différents de ceux de son monde. « La coutume est que le roi des Khazares ait vingtcinq femmes dont chacune est la fille d'un des rois des pays voisins. Il les prend de gré ou de force. Il a aussi des esclaves con- cubines pour sa couche au nombre de soixante qui sont toutes d'une extrême beauté. Toutes ces femmes, libres ou esclaves, sont dans un château isolé dans lequel chacune a un pavillon à coupole recouvert de bois de teck. Chacune d'elles a un eunuque qui la soustrait aux regards. » Et encore : « Quand un grand personnage meurt, les gens de sa famille disent à ses filles esclaves et à ses garçons esclaves: " Qui d'entre vous mourra avec lui? " » Pour eux, c'est un honneur que de se sacrifier. Ibn Fodlan voit aussi, à leur campement au bord du fleuve, des Russes, « les plus mal- propres des créatures de Dieu », qui ancrent leurs bateaux sur les berges et construisent de grandes maisons de bois. Dans chacune de ces maisons, sont réunies de dix à vingt personnes. « Avec eux sont de belles jeunes filles esclaves destinées aux marchands. Chacun d'entre eux, sous les yeux de son compagnon, a des rapports sexuels avec une esclave. Parfois tout un groupe d'entre eux s'unissent de cette manière, les uns en face des autres. Si un marchand entre à ce moment, pour acheter à l'un d'eux une jeune fille et le trouve en train de cohabiter avec elle, l'homme ne se détache pas d'elle avant d'avoir satisfait son besoin. » Ce fut, au long des temps, un négoce tout ordinaire, quasi routinier, soumis aux cou- tumes, aux règles et aux taxes. «Quand les Russes ou les gens d'autres races arrivent
  • 6. [6] dans le pays des Bulgares avec des esclaves, le roi a le droit de choisir pour lui un esclave sur dix. » Les Russes s'aventuraient très loin et, des régions les plus éloignées du « pays des Slaves », ramenaient des captifs, hommes et femmes des deux sexes, et des fourrures précieuses, peaux de castor et de renard noir. Deux cents ans après Ibn Fodlan, Abu Hamid de Grenade, lors d'un long et pénible voyage en Europe de l'Est, trouve les Russes partout sur son chemin. Ils lui parlent des Wisu, peuple de la région du lac Ladoga où les hommes chassent le castor, et des Arw du pays des grands fleuves qui, eux, chassent 1 'hermine et le petit-gris. Au-delà des Wisu, près de la mer Arctique, «la mer des ténèbres », vit un peuple de nomades, les Yura, qui, contre des épées, livrent aux Russes des peaux de zibeline et des esclaves. Ces deux négoces, peaux de bêtes et bétail humain, allaient partout de pair. Là aussi, les Juifs assuraient certainement une part importante des échanges, en par- ticulier à l'est, pour les produits de la lointaine Asie ou des steppes et déserts des hauts plateaux. L'historien et géographe Ibn Khurdadhbeth consacre un long passage de sa description du monde à ces Juifs Radhanites et décrit, noms de nombreux fleuves, de villes et de peuples à l'appui, quatre de leurs grands itinéraires : l'un arrivant de l'ouest, par mer, vers Antioche, un autre le long de la côte méridionale de la Perse, un autre en- core par la mer Rouge et la mer d'Oman jusqu'en Inde, et le dernier, le plus important, vers l'Europe centrale et les pays du Nord. Ibidem, pp. 18-21 5 La ruée des Ottomans (XIIe-XVIe siècle) En pays d'islam, principalement en Orient, les esclaves ne fondaient pas de familles et n'avaient pas ou peu d'enfants. Le nombre relativement important d'eunuques, l'inter- diction faite, bien souvent, aux femmes de se marier, les mortalités terriblement élevées du fait des conditions de travail sur les grands domaines et dans les mines, des guerres entre souverains, peuples et factions, des maladies et des épidémies, firent que les maîtres voyaient leur cheptel humain sans cesse s'affaiblir et devaient le renouveler. Cependant, dès le IXe siècle, les conquêtes se sont essoufflées et les peuples déjà soumis et convertis n'étaient plus territoires de chasse. Pendant plusieurs siècles, les musulmans ont cessé de lancer leurs troupes loin de leurs Etats et la traite fournit alors, de très loin sans doute, le plus grand nombre de captifs. Les grandes offensives n'ont repris que quelque trois cents ans après celles des pre- miers conquérants lorsque les Turcs ottomans venus d'Asie centrale, convertis à l'islam, lancèrent de nouvelles attaques contre les chrétiens en Anatolie : sur Erzeroum dès 1048, sur Sébaste l'an suivant. En 1071, à Mantzikiert, au nord du lac de Van, ils infligent une retentissante défaite aux troupes de Byzance, font prisonnier l'empereur Romain Diogène, s'ouvrent la route de Constantinople, installent leur capitale à Brousse et un sultanat { Konya, en plein cœur du pays. Ce fut, de nouveau, le temps des chasses aux esclaves, sur mer et sur terre. Les poètes de cour, à la solde des émirs ottomans d'Anatolie, chantaient les exploits des pirates de Smyrne et d' Alania qui enlevaient les femmes et les enfants de « ces chiens de mé-
  • 7. [7] créants ». De 1327 à 1348, Umur Pacha, l'un des cinq fils de l'émir d'Aydin 21, lui-même émir de Smyrne et pirate à tous vents, sema la terreur dans tout l'Orient méditerranéen, dans les îles de Chio et de Samos, et jusque sur les côtes du Péloponnèse. Non pour con- quérir des terres, non même pour établir des guerriers et des marchands en quelques comptoirs, mais pour ramener, chaque saison, de merveilleux butins et des centaines de captifs. Ses hommes « capturèrent beaux garçons et belles filles sans nombre au cours de cette chasse et les emmenèrent. Ils mirent le feu à tous les villages ... Au retour, riches et pauvres furent remplis de joie par ses présents. Tout le pays d'Aydin fut comblé de ri- chesses et de biens et la gaieté régna partout. Filles et garçons, agneaux, moutons, oies, canards rôtis et le vin étaient débarqués en abondance. A son frère, il donna en cadeau nombre de vierges aux visages de lune, chacune sans pareille entre mille; il lui donna aussi de beaux garçons francs pour qu'il dénoue les tresses de leurs cheveux. A ces ca- deaux, il ajouta de l'or, de l'argent et des coupes innombrables ». Ce n'étaient pas simples brigandages, expéditions de forbans, de hors-la-loi, mais une guerre encouragée par les chefs religieux, aventures bien codifiées, menées selon la Loi et les règles de l'islam, en tous points une guerre sainte : la cinquième part du butin, « part de Dieu », allait aux orphelins, aux pauvres et aux voyageurs. Les armées ottomanes franchissent les Détroits vers 1350, s'établissent à Andrinople, défont les Serbes à Kossovo (1389) puis les princes et les chevaliers de la croisade de Sigismond de Hongrie à Nicopolis (1396). Pendant plus d'un siècle, elles allèrent de plus en plus loin à la chasse au butin et aux esclaves. En 1432, Bertrandon de La Broquière, conseiller du duc de Bourgogne et chargé de mission en Orient, par ailleurs tout à fait capable de s'entendre avec les Turcs au cours de son voyage en Anatolie, croise sur sa route, dans les Balkans, plus d'une troupe misérable de captifs menés par des guerriers au retour d'une razzia chez les chrétiens et prend alors conscience de la manière dont les Turcs traitent leurs prisonniers, tous voués à l'esclavage: « Je vis quinze hommes qui étaient attachés ensemble par de grosses chaînes par le cou et bien dix femmes, qui avaient été pris peu auparavant dans une course que les Turcs avaient faite dans le royaume de Bosnie et qu'ils conduisaient pour les vendre à Andrinople. Ces malheureux demandaient l'aumône aux portes de la ville; c'était une grande pitié que de voir les maux dont ils souffraient. » Ils prenaient les enfants pour les convertir de force et les initier très jeunes au métier des armes, les soumettre à un dur entraînement pour en faire ces janissaires, corps d'élite de leur armée. Partout où passaient leurs troupes ou leurs galères de combat ce n'étaient que rafles de prisonniers, butin de guerre. Et pas seulement en pays des « chiens de mécréants » : en 1517, entrant dans Le Caire, vainqueurs de l'empire mamelouk d'Egypte et de Syrie, empire musulman bien sûr, ils enlevèrent nombre de jeunes garçons imberbes et des esclaves noirs. A la même époque et jusqu'à leur retentissante défaite de Lépante (7 octobre 1571), où plus d'une centaine de leurs galères de combat furent envoyées par le fond ou prises d'assaut, les Turcs ne cessèrent de lancer chaque année vers l'Occident, Espagne et Italie surtout, de fortes escadres chargées de nombreuses pièces d'artillerie. Les sultans criaient leur détermination de prendre Rome et d'anéantir les Etats chrétiens, ceux du roi d'Espagne en premier.
  • 8. [8] Ils échouèrent et cet acharnement à poursuivre leurs attaques si loin de leurs bases du Bosphore et d'Asie n'eut pour eux d'autres profits que de ramener régulièrement des troupes d 'hommes et de femmes, de jeunes gens surtout, pris lors des sièges de villes pourtant puissamment fortifiées ou razziés au long des côtes. De telle sorte que cette guerre des sultans ottomans de Constantinople, de Sélim 1er et de Soliman le Magni- fique, s'est le plus souvent ramenée à de misérables et cruelles rafles d'hommes. Dans un des gros bourgs de la Riviera génoise, en 1531, un homme sur cinq se trouvait alors es- clave chez les Turcs. Dans Alger, où l'on ne comptait pas moins de six ou sept bagnes pour les chrétiens prisonniers, plusieurs centaines de captifs, peut-être un millier, étaient entassés dans des conditions épouvantables, dans le plus grand bagne, situé en plein cœur du tissu urbain, sur le souk principal qui courait d'une porte à l'autre. C'était un vaste édifice de soixante-dix pieds de long et quarante de large, ordonné autour d'une cour et d'une ci- terne. Au temps d'Hassan Pacha, dans les années 1540, deux mille hommes logeaient dans un bagne plus petit et, un peu plus tard, encore quatre cents dans celui dit « de la Bâ- tarde ». A Tunis, demeurée longtemps indépendante sous un roi maure, la conquête de la ville par les Turcs, en 1574, fit que l'on bâtit en toute hâte huit ou neuf bagnes qui suffi- rent à peine à y entasser les prises de guerre; les hommes s'y pressaient jusqu'à dix ou quinze dans des chambres minuscules, voûtées et sombres. Toute conquête s'accompagnait inévitablement, sur des territoires de plus en plus étendus, d'une chasse aux esclaves, bien souvent but principal de l'expédition. « Les Turcs, voisins des chrétiens, envahissent souvent les terres de ces derniers, non telle- ment par haine de la croix et de la foi, non pour s'emparer de l'or et de l'argent, mais pour faire la chasse aux hommes et les emmener en servitude. Lorsqu'ils envahissent à l'improviste des fermes, ils emportent non seulement les adultes mais encore les bébés non encore sevrés qu'ils trouvent abandonnés par leurs parents en fuite; ils les empor- tent dans des sacs, et les nourrissent avec grand soin. » Aux raids des Ottomans en Occident et en Afrique, répondaient, à la même époque, ceux des sultans musulmans du Deccan qui, pour la cour et les armées comme pour le service domestique, lançaient en Inde razzia sur razzia contre les Infidèles. Pendant son séjour à Delhi, Ibn Battuta assiste au retour d'une chasse: « Il était arrivé des captives indiennes non musulmanes. Le vizir m'en avait donné dix. J'en donnai une à celui qui me les avait amenées mais il ne l'accepta pas; mes compagnons en prirent trois jeunes et, quant aux autres, je ne sais ce qu'elles sont devenues. » Il lui fit aussi présent de plusieurs villages, dont les revenus s'élevaient à cinq mille dinars par an. Ces expéditions n'étaient pas des aventures menées seulement par quelques hommes mais bel et bien de vastes opérations qui mobilisaient de grands moyens que seuls les chefs de guerre, les sultans et les vizirs pouvaient réunir: les non- musulmans se retranchaient dans d'épaisses forêts de bambous « qui les protégeaient comme un rempart et d'où l'on ne pouvait les déloger qu'avec des troupes puissantes et des hommes qui peuvent entrer dans ces forêts et couper ces bambous avec des outils particuliers ». Ibidem, pp. 21-24 6
  • 9. [9] Les raids des musulmans: l'Egypte, le Maghreb et les oasis « Les janissaires et autres soldats turcs, en garnison au pays d'Egypte, s'associent en certain temps de l'année plusieurs ensemble et, prenant des guides et provisions de vivres, s'en vont au désert de Libye, à la chasse de ces nègres. On leur baille au Caire, lorsqu'ils sont mis en vente, une pièce de toile qui leur couvre les parties honteuses. » Au sud de la Nubie et à l'ouest de l'Ethiopie, le trafic des esclaves du Darfur, absolu- ment crucial pour l'économie des sultans musulmans, résultait soit des ventes par les trafiquants installés sur place, Arabes pour la plupart, qui ne pratiquaient que d'assez pauvres razzias sur les villages des environs, soit des raids directement placés sous l' autorité du sultan du Caire. Ces chasses aux hommes se pliaient à des règles parfaitement définies, impliquant des accords constants entre le pouvoir, les notables et les marchands. Celui qui prenait la tête d'une razzia, d'un ghazwa, devait d'abord solliciter la salatiya, autorisation du sul- tan. Celui-ci définissait très exactement le territoire de chasse et prenait, en quelque sorte, les chasseurs et les négociants sous sa protection. Il prêtait une escorte armée et interdisait à d'autres d'aller courir aux Noirs dans les mêmes pays. Le chef de raid avait tous pouvoirs, disposait de la même autorité que le sultan dans ses villes et ses Etats et, effectivement, on le disait bien sultan al-ghazwa, « sultan » maître du raid. Il réunissait ses fidèles, plus ou moins nombreux selon sa renommée, en fait selon le succès de ses entreprises les années précédentes, et négociait avec des groupes de marchands qui fournissaient les vivres nécessaires à de longs jours de route contre l'engagement de recevoir, en échange, un certain nombre de captifs. Chaque année le sultan autorisait plusieurs dizaines de razzias, jusqu'à soixante par- fois; les hommes partaient avant les pluies, de juin à août, et suivaient toujours, sans s'en éloigner, une route fixée à l'avance, tant pour l'aller que pour le retour. Les contrats souscrits par les négociants stipulaient que ceux qui accompagnaient le raid très loin dans le Sud et se chargeaient de convoyer les captifs jusque sur les marchés des villes en recevraient deux fois plus que ceux qui attendaient simplement le retour de la razzia dans le Nord. Ces raids ne tournaient pas forcément aux affrontements guerriers. On traitait avec des rabatteurs ou avec des chefs de tribus eux-mêmes chasseurs d'hommes dans le voi- sinage. Les Noirs surpris n'étaient certainement pas en mesure de résister les armes à la main et l'on savait qu'une bonne expédition pouvait ramener de cinq à six cents es- claves. Le plus souvent les chasseurs opéraient, en toute quiétude, dans la région même du Darfur, plus particulièrement au sud et au sud-ouest. D'autres se risquaient beaucoup plus loin et l'on parle d 'hommes qui demeurèrent six mois en route avant de renoncer, ayant atteint un fleuve qu'ils n'osèrent franchir. Ibidem, pp. 65-66 7 Portugais, Américains et Juifs Parler de la traite des chrétiens et taire les musulmanes, ou les réduire à trop peu, était déjà travestir la vérité. Fallait-il, de plus, pour cette traite atlantique, ne citer que les armateurs de France ou accessoirement d'Angleterre et ne rien dire des autres, no-
  • 10. [10] tamment des Portugais qui furent, et de très loin, les plus actifs sur place, solidement implantés, agents d'un commerce pionnier et maintenu en pleine activité bien plus long- temps ? Arrivés les premiers sur les côtes d'Afrique et sur les rives des fleuves, ils furent bien les seuls, avec les Américains, à s'établir à demeure dans les postes de traite à l'intérieur du continent, là où les Noirs étaient livrés sur le marché bien plus nombreux qu'ailleurs. Ces hommes n'étaient pas seulement capitaines de navires jetant l'ancre pour de courtes escales, le temps d'embarquer les esclaves que d'autres Noirs leur vendaient, mais des résidents, chefs d'entreprises florissantes, négriers au sol, propriétaires de fac- toreries, d'entrepôts et même de troupes de rabatteurs. ------ Peut-on imaginer que les Américains se soient contentés de recevoir des navires d'Europe chargés de Noirs captifs? Ils furent, au contraire, parmi les plus actifs des armateurs et capitaines négriers. Leurs bâtiments de Maryland, de Georgie et de Caroline allaient régulièrement en Afrique, plus particulièrement sur la côte de Guinée qu'ils appelaient tout ordinairement la «Côte des esclaves». Ils avaient conclu des accords avec les rois de ce littoral et avec ceux du Togo qui en- voyaient leurs guerriers razzier à l'intérieur du continent et livraient leurs prisonniers à Anecho (actuellement à la frontière du Togo et du Dahomey), à Porto Novo et à Ouidah, sites portuaires fortifiés. Au temps le plus fort de la traite, au début du XVIIIe siècle, l'on comptait plus de cent vingt vaisseaux négriers, pour le plus grand nombre propriété de négociants et arma- teurs juifs de Charleston en Caroline du Sud et de Newport dans la baie de Chesapeake en Virginie (Moses Levy, Isaac Levy, Abraham AlI, Aaron Lopez, San Levey), ou de Portugais, juifs aus- si, établis en Amérique (David Gomez, Felix de Sou- za), qui, eux, avaient des parents au Brésil. A Charleston, une vingtaine d'établissements, nullement clandestins, distillaient un mauvais al- cool, principal produit proposé en Afrique pour la traite des Noirs esclaves. Certains négriers américains, et non des moindres, se sont, à la manière des Portugais et par- fois de concert avec, eux, solidement établis en Afrique, sur la côte et même à l'intérieur, gérant alors en toute franche propriété d'importants postes de traite, entrepôts et embarcadères pour les loin- tains voyages. Ce que n'ont fait ni les Anglais ni les Français. Ibidem, pp. 255, 258 http://www.denistouret.net/textes/Heers_Jacqu es.html
  • 11. [11] L'esclavage musulman A l’heure où les tentatives de culpabilisation de l’Occident se font déli- rantes, Louis Chagnon ouvre le dossier de l’esclavage musulman. L’histoire de l’esclavage est { l’actualité, utilisée comme outil pour soutenir des re- vendications communautaristes, elle est falsifiée pour introduire la seule critique de l’Occident. Ne pouvant pas reprendre toute l’histoire de l’esclavage, je rappellerai rapi- dement quelques données élémentaires. L’esclavage se perd dans la nuit des temps et les noirs n’en ont pas été les seules vic- times, comme les Occidentaux n’ont pas été les seuls esclavagistes. Le mot «esclave» vient du mot «Slave», les Slaves païens ont en effet fourni les contingents les plus nom- breux d’esclaves pendant le haut Moyen-âge, vendus par les Vénitiens aux arabo- musulmans. Si esclavage et colonisation se sont rejoints aux XVIIe et XVIIIe dans le commerce triangulaire pratiqué par des commerçants, et non par des colons, l’esclavage n’est pas inhérent { la colonisation occidentale, il existait des millénaires avant et exista après. Bien au contraire, la colonisation entraîna la disparition de l’esclavage dans les colonies. Avant même la colonisation de l’Afrique, les Européens avaient agi pour faire supprimer l’esclavage en Tunisie: «Après les trois mois de règne de son frère Othman, le fils de Mohammed bey, Mahmoud bey (1914-1824), se vit contraint par les puissances européennes { supprimer l’esclavage, malgré la perturbation économique que devait entraîner cette brusque mesure (1819).» . Lorsque les Français sont arrivés en Afrique du Nord et en Afrique noire au XIXe siècle, ils ont trouvé des esclaves. L’esclavage était pratiqué par les Arabes et les noirs depuis des siècles. Les ethnies noires se réduisaient en esclavage entre elles et ce sont des chefs noirs qui par des razzias alimentaient les négriers occidentaux aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce qu’on oublie trop souvent de rappe- ler. On estime que fin XVIIIe et au début du XIXe en Afrique noire, un quart des hommes avaient un statut d'esclave ou de travailleur forcé. C'étaient des prisonniers de guerre ou des prisonniers pour dettes. La guerre et les dettes étaient les sources traditionnelles où s’approvisionnaient les marchands d’esclaves. Mais, si les Occidentaux supprimèrent l’esclavage, ils laissèrent le travail forcé. Les Arabes réduisirent en esclavage pendant des siècles, non seulement des noirs, mais aussi des chrétiens par des razzias sur les côtes occidentales et la piraterie barba- resque: «Plus que des marchandises pillées, les Barbaresques tiraient profit des captifs. Le Chrétien cessait d’être un infidèle qu’on arrachait { son pays pour devenir un objet de négoce, dont on essayait de se débarrasser le plus vite et le plus cher possible.» . L’église catholique les racheta pendant des siècles. C’est cette piraterie qui fut un le motif essen- tiel de la colonisation de l’Algérie. Pour illustrer ces propos, je vous propose de lire un texte écrit par le général E. Dau- mas et A. de Chancel, publié en 1856 . Rappelons qu’{ cette époque, la France n’est pré- sente en Afrique que sur le littoral algérien et qu’{ cette date elle avait aboli l’esclavage depuis huit ans, en 1848. Le Sahara n’est pas encore bien exploré et il n’existait { cette date aucune colonie française en Afrique noire. Le général Daumas dont le but était de recueillir des informations sur les peuples du sud saharien, s’était introduit dans une caravane qui partait de Metlily, en Algérie, pour se diriger vers un royaume musulman du sud saharien, du nom d’Haoussa, ayant pour chef le sultan Bellou le Victorieux et
  • 12. [12] pour capitale Kachena , leurs habitants appelés { l’époque Foullanes étaient arabes. Ces caravanes trans-sahariennes furent les pourvoyeuses d’esclaves pour le bassin méditer- ranéen et les Arabes du nord pendant des siècles. Les Foullanes avaient soumis tous les royaumes noirs échelonnés sur les fleuves Niger et Sénégal. Aujourd’hui, ce royaume se situerait sur la frontière entre le Niger et le Nigeria. Dans un passage de son livre, il rela- tait les informations sur les conditions et les préceptes réglementant l’esclavage chez les musulmans. C’est ce passage que j’offre { votre lecture. Il se place dans l’esprit des gens qu’il accompagne et qu’il rencontre, il utilise le pronom «nous» pour représenter en fait les algériens de la caravane ou les habitants de la région. Je n’ai pas actualisé l’orthographe et l’ai laissée telle que le général Daumas l’utilisa: «Au centre de la place était posé par terre un énorme tambour qu’un vigoureux Nègre battait { tour de bras avec un bâton tamponné. (…) C’est le tambour du sultan; jamais il n’est battu que pour convoquer l’armée. (…) « Voici la volonté du serki : « Au nom du sultan Bellou le Victorieux, que la bénédiction de Dieu soit sur lui, vous tous, gens du Moutanin, êtes appelés à vous trouver ici demain au jour levant, en armes et montés, avec des provisions suffisantes pour aller, les uns dans le Zenfa , les autres dans le Zendeur , à la chasse des Koholanes idolâtres, ennemis du glorieux sultan notre maître. –Que Dieu les maudisse !» «Tout ce qu’ordonne le sultan est bon, répondirent les soldats; qu’il soit fait selon la volonté de notre seigneur et maître!» Le lendemain, en effet, les Mekhazenia , exacts au rendez-vous, se partagèrent en deux goums , dont l’un prit { l’Est et l’autre au sud-ouest, avec mission de tomber sur les points sans défense, d’en enlever les habitants, et de saisir tous les paysans occupés { la culture de leurs champs; en même temps, des ordres étaient donnés pour traquer à l’intérieur les Koholanes idolâtres. (…) En attendant le retour des goums qu’Omar avait envoyés { la chasse aux nègres, nous nous rendions tous les jours au marché des esclaves, Barka, où nous achetâmes aux prix suivants: Un nègre avec sa barbe ……………………………………….10 ou 15,000 Oudâas On ne les estime point comme marchandise, parce qu’on a peu de chance pour les empêcher de s’échapper. Une négresse faite, même prix pour les mêmes raisons …………..………………………….10 ou 15,000 Un Nègre adolescent………………..……………………………30,000 Une jeune Négresse, le prix varie selon qu’elle est plus ou moins belle…….50 à 60,000 Un négrillon…………………………………………….…………...45,000 Une négrillonne………………………………..…………………..35 { 40,000 Le vendeur donne { l’acheteur les plus grandes facilités pour examiner les esclaves, et l’on a trois jours pour constater les cas rédhibitoires. On peut rendre avant ce temps ex- piré:
  • 13. [13] Celui qui se coupe avec ses chevilles en marchant; Celui dont le cordon ombilical est trop exubérant; Celui qui a les yeux ou les dents en mauvais état; Celui qui se salit comme un enfant en dormant; La négresse qui a le même défaut ou qui ronfle; Celle ou celui qui a les cheveux courts ou entortillés (la plique). Il en est d’ailleurs que nous n’achetons jamais, ceux, par exemple qui sont attaqués d’une maladie singulière que l’on appelle seghemmou. – (…). On n’achète pas non plus ceux qui, étant âgés, ne sont pas circoncis; Ni ceux qui viennent d’un pays situé au sud de Noufi: ils n’ont jamais mangé de sel, et ils résistent difficilement au changement obligé de régime; Ni ceux d’une espèce particulière qui viennent du sud de Kanou: ils sont anthropo- phages. On les reconnaît { leurs dents qu’ils aiguisent et qui sont pointues comme celles des chiens. Nous craindrions pour nos enfants.- ils mangent d’ailleurs, sans répugnance les animaux morts de mort naturelle (djifa, charognes). –On dit qu’ils nous traitent de païens, parce que nous ne voulons que les animaux saignés par la loi ; car disent-ils, vous mangez ce que vous tuez, et vous refusez de manger ce que Dieu a tué. Nous n’achetons pas non plus ceux appelés Kabine el Aakoul. Ils passent pour avoir la puissance d’absorber la santé d’un homme en le regardant, et de le faire mourir de con- somption. On les reconnaît à leurs cheveux tressés en deux longues nattes de chaque côté de la tête. L’achat des Foullanes, des Négresses enceintes et des Nègres juifs est sévèrement prohibé par ordre du sultan. L’achat des Foullanes, parce qu’ils se vantent d’être blancs; des Négresses enceintes, parce que l’enfant qui naîtra d’elles sera propriété du sultan, s’il est idolâtre, et libre s’il est musulman; des Nègres juifs, parce que tous sont bijou- tiers, tailleurs, artisans utiles ou courtiers indispensables pour les transactions commer- ciales; car sous la peau noire ou sous la peau blanche dans le Soudan , dans le Sahara, dans les villes du littoral, partout les juifs ont les mêmes instincts et le double génie des langues et du commerce. Pour éviter la fraude, une caravane ne sort point à Haoussa sans que les esclaves qu’elle emmène aient été attentivement examinés; et il en est de même encore { Taous- sa, à Damergou et à Aguedeuz, chez les Touareug, où Bellou a des oukils chargés des mêmes soins. Le marchand qui contreviendrait { ces ordres s’exposerait { voir toutes ses marchandises confisquées. En un mot, les esclaves proviennent des ghazias [razzias] faites sur les Etats nègres voisins avec lesquels Haoussa est en guerre, et dans les montagnes du pays, où se sont retirés les Koholanes qui n’ont pas voulu reconnaître la religion musulmane; des enlè- vements de ceux qui, observant la religion nouvelle, paraissent regretter l’ancienne, et sont hostiles au pouvoir ou commettent quelques fautes. (…)
  • 14. [14] De l’esclavage chez les musulmans. La loi permet la vente des esclaves, parce qu’en général ils sont infidèles. «Dieu a dit: «Faites la guerre à ceux qui ne croient point en Dieu ni au jour du juge- ment.» Le Koran, chap. IX, verset 29. «Dites aux prisonniers qui sont entre vos mains; «Si Dieu voit la droiture dans vos cœurs, il vous pardonnera, car il est clément et miséricordieux.» Le Koran, chap.VIII, ver- set 70, Les docteurs ont toutefois diversement interprété cette parole du Koran. Les uns veu- lent que le maître d’un infidèle ne l’oblige point { embrasser l’islamisme et le laisse agir selon sa propre impulsion. D’autres au contraire ont dit: Il importe qu’un maître enseigne à son esclave les prin- cipes de la religion et les devoirs dictés par Dieu aux hommes; il doit l’obliger au jeûne et à la prière, et tendre par tous les moyens à le rendre incapable de nuire aux musulmans, dût-il, pour atteindre ce but, employer la rigueur. D’autres enfin, entre ces deux opinions, en ont mis une troisième: «Tant qu’un esclave infidèle est jeune, disent-ils, son maître est tenu de chercher à le convertir; plus tard, il peut le laisser libre de faire à son propre gré.» Il résulte de ces avis divers qu’un musulman doit agir avec son esclave selon que sa conscience a parlé; mais il est meilleur qu’il essaye d’en faire un serviteur de Dieu. Sur quoi tous les docteurs sont d’accord, c’est que l’esclave musulman, mâle ou fe- melle, soit traité avec ménagement et même avec bonté. «Vêtissez vos esclaves de votre habillement et nourrissez-les de vos aliments,» a dit le Prophète. Et nous lisons dans les hadites [hadiths] (conversations de Sidna-Mohammed), que l’on doit fournir consciencieusement { l’entretien et { la nourriture de l’esclave, de même qu’il ne faut pas lui imposer une tâche au-dessus de ses forces. Sidi Khelil a écrit: «Si vous ne pouvez pas entretenir vos esclaves, vendez-les.» Le chef du pays est chargé de veiller à cette règle, et de faire procéder à la vente des esclaves si leur maître ne pourvoit pas { leurs besoins de première nécessité ou s’il les fait travailler plus qu’il ne le devrait. Malek, interrogé sur cette question, savoir: si l’on peut forcer un esclave { moudre pendant la nuit a répondu: «S’il travaille le jour, qu’il se repose pendant la nuit, { moins que l’occupation prescrite soit de peu d’importance et d’absolue nécessité.» Ainsi un serviteur ne peut travailler la nuit entière auprès de son maître; on admet seulement qu’il lui donne des vêtements nécessaires pour le couvrir, de l’eau pour boire, qu’il lui rende enfin de ces services qui, se réitérant peu souvent, permettent le repos; et s’il est reconnu qu’un esclave ait souffert de la faim ou de l’excès de travail, il est vendu même malgré son maître. Abou Messaoul a laissé ces paroles : «J’ai frappé mon esclave et j’ai entendu une voix crier aussitôt: « Dieu est plus puis- sant vis-à-vis de toi que tu ne l’es vis-à-vis de ton serviteur! «Je me suis retourné, j’ai re-
  • 15. [15] connu le Prophète et je me suis écrié: «Mon esclave est dès à présent affranchi pour l’amour de Dieu.» Et Mohammed m’a répondu: «Si tu n’avais pas agi ainsi, le feu t’aurait dévoré.» Selon Ibn Omar, un homme vint un jour auprès du Prophète en lui disant: «Combien de fois n’ai-je pas pardonné à mon esclave!». Mais Mohammed ne lui répondit point. Et deux fois encore cet homme répéta la même plainte sans obtenir un mot de blâme ou de conseil. [ la quatrième fois enfin, l’envoyé de Dieu s’écria: «Pardonne { ton esclave soixante-dix fois par jour, si tu veux mériter la bonté divine.» En souvenir de ces enseignements, les docteurs musulmans se sont appliqués à régir par des lois équitables tout ce qui concerne les esclaves et à leur assurer une constante protection. La méchanceté, l’avarice, la débauche et la pauvreté même de leurs maîtres ne peu- vent rien contre eux. Les formes de vente et d’achat sont définies. Un bien-être au moins suffisant leur est assuré. Leurs mariages et leurs divorces sont réglementés. Les modes d’affranchissement nombreux, les promesses d’affranchissement sacrées, et l’affranchi, se fond dans la population franche sans que son origine soit jamais pour lui un sujet d’humiliation. La négresse, que son maître a fait mère, prend le titre d’oum el-ouled (la mère de l’enfant) et jouit de tous les égards dus aux femmes légitimes. Son fils n’est point bâtard, mais l’égal de ses demi-frères; il hérite comme eux, comme eux appartient à la tente: aussi ne voit-on pas de mulâtres esclaves. On raconte qu’un jour un musulman ayant dit devant Abou Bekr et Abdallah Ibn Omar: «Je compare { des mulets les enfants d’une négresse et d’un homme de race: leur mère est une jument et leur père un âne; n’ayez point confiance en eux. -Nous sommes certains, car nous l’avons vu, lui répondirent ses auditeurs, que ces gens-là sont au combat aussi courageux sur leurs chevaux que les enfants de race pure. Ne dites donc jamais: un tel est un fils d’une Négresse, et celui-l{ d’une femme de race; le champ de bataille, voilà ce qui doit les faire juger.» Enfin, chez tous les hommes craignant Dieu, les esclaves font à certains égards partie de la famille; et l’on en voit souvent qui refusent d’être affranchis, comme le fit celui de notre seigneur Mohammed. C’était un jeune Nègre qui avait été donné à Khedija, la femme du Prophète, et dont elle avait fait présent { son mari. Il se nommait Zeïd Ibn Haret. Son père, l’argent { la main, vint un jour pour le racheter. «Si ton fils veut te suivre, j’y consens, dit Mohammed, emmène-le.» Mais l’enfant, consulté, répondit: «Mon père, l’esclavage avec le Prophète vaut mieux que la liberté avec vous.». Cette réponse émut l’envoyé de Dieu, qui, ne vou- lant pas rester en générosité au-dessous d’un esclave, l’affranchit et le maria. Votre religion, à vous chrétiens, vous défend d’avoir des esclaves, je l’ai entendu dire { Alger, et, en effet, je ne vous en vois pas. [ Kachena, on m’avait assuré cependant que les rois nègres du sud du Niger et des bords de la grande mer, { l’Ouest, vous en vendaient de pleins vaisseaux. On ajoutait, il est vrai, que le commerce avait à peu près cessé de-
  • 16. [16] puis quelques années, et que le sort des Nègres enlevés dans les guerres en était devenu beaucoup plus rigoureux. Lorsqu’ils pouvaient vendre leurs prisonniers, les rois les en- graissaient, en prenaient soin et les faisaient peu travailler; { présent, n’en sachant que faire, ils les égorgent par milliers pour ne pas les nourrir, ou les parquent près de leurs cases, enchaînés, sans vêtements, sans un grain de maïs, en attendant leur jour. S’ils les font travailler, c’est { coups de bâton, car les malheureux sont trop faibles, ne vivant que de racines, d’herbes ou de feuilles d’arbres, pour faire un bon service. Il en sera sans doute ainsi jusqu’{ ce que tout le pays se soit fait musulman. Que Dieu allonge assez mon existence pour que j’en sois témoin! Il vous répugne d’avoir des esclaves? Mais que nos serviteurs soient notre propriété et que les vôtres soient libres, entre eux le nom seul est changé. Qu’un domestique chré- tien ait le droit de changer de maître si bon lui semble, il n’en sera pas moins pour toute sa vie domestique, et par conséquent, esclave, moins le nom. Quand nos Nègres sont vieux, nous les affranchissons; ils sont encore de nous, de notre tente; quand l’âge a pris vos serviteurs, qu’en faites-vous? Je n’en vois pas un seul { barbe blanche. Chez vous, la femme du mariage a mépris pour la femme servante à qui son maître a donné un enfant. Pour vivre, il faut qu’elle ne dise jamais non. Chez nous, elle est oum el- ouled; elle a son logement; son fils est honoré; tous les deux sont de la famille. «Vous êtes trop orgueilleux, et vous n’êtes pas assez dignes.» Pour tous les vrais musulmans, Bou Houira a posé cette sentence: «Ne dites jamais: mon esclave, car nous sommes tous les esclaves de Dieu, dites: mon serviteur ou ma servante.» (fin de citation). Cette longue citation éclaire les principes qui régissent et justifient l’esclavage chez les musulmans. Ceux-ci sont toujours actuels puisqu’ils proviennent du Coran et des Ha- diths, c’est-à-dire que l’esclavage résulte de la volonté de Dieu: «Que ceux qui ont été favorisés ne reversent pas ce qui leur a été accordé à leurs esclaves, au point que ceux-ci deviennent leurs égaux. –Nieront-ils les bienfaits de Dieu?» sourate XVI, verset 71 ; «Ne forcez pas vos femmes esclaves à se prostituer pour vous procurer les biens de la vie de ce monde, alors qu’elles voudraient rester honnêtes. Mais si quelqu’un les y contrai- gnait… Quand elles ont été contraintes, Dieu est celui qui pardonne, il est miséricor- dieux.» sourate XXIV, verset 33. L’islam est donc une idéologie politico-religieuse esclavagiste. D’ailleurs les relations sexuelles entre le maître et ses femmes esclaves sont les seules relations sexuelles hors mariage acceptées par le Coran: «[ l’exception des hommes chastes qui n’ont de rap- ports qu’avec leurs épouses et avec leurs captives de guerre; -ils ne sont donc pas blâ- mables, tandis que ceux qui en convoitent d’autres sont transgresseurs», sourate LXX, verset 29-31. Grâce aux pressions internationales, les pays arabo-musulmans à connaître encore l’esclavage durent l’abandonner, ainsi l’Arabie Saoudite, très en avance sur les droits de l’homme, comme chacun sait, abolit l’esclavage en 1962! Qui pense { le lui reprocher? Puisqu’il est demandé { la France de se repentir, il serait normal que ce soit réci- proque et élargi à tous les acteurs esclavagistes. Je propose donc que la France demande { l’Algérie de se repentir pour tous les Chrétiens que ses barbaresques ont réduits en esclavage. Que Fahd Bin Abdulaziz Al Saoud, roi d’Arabie Saoudite se repente officielle- ment parce que son royaume n’a aboli l’esclavage qu’en 1962.
  • 17. [17] Mais il y a pire et le silence sur cette situation est assourdissant! Aujourd'hui, 12.3 millions de personnes sont victimes du travail forcé dans les pays en voie de dévelop- pement. C'est l'estimation faite par le Bureau International du Travail (B.I.T.) dans un rapport publié au mois de mai 2005. Il y a encore pire: après la décolonisation, l’esclavage revint dans certains pays africains. La République Islamique de Mauritanie s’illustre dans cette catégorie. Sous les pressions internationales, ce pays a aboli l’esclavage en….1981! Mais les décrets d’application ne furent jamais promulgués! Au- jourd’hui, l’esclavage existe donc toujours dans ce pays! Quel intellectuel ou homme po- litique français ose demander des comptes { M. Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, prési- dent de la République Islamique de Mauritanie? Personne! Est-ce que Madame Taubira demande { ce qu’il soit traduit devant une cours de justice internationale pour «crime contre l’humanité»? Pas du tout! Sa loi en ne condamnant que le seul esclavage pratiqué par les Occidentaux alors qu’il n’existe plus depuis plus de 150 ans, légitime implicite- ment l’esclavage arabo-musulman qui existe toujours en Afrique, la loi Taubira de 2001 est, par conséquent, une loi anti-humanitariste et parfaitement scandaleuse. Tout ceci démontre que les campagnes de falsifications historiques sur l’esclavage, lancées par certains communautaristes n’ont pas pour objectif la lutte contre l’esclavagisme, mais d’asseoir leurs revendications communautaires, brisant un peu plus la citoyenneté française. L’objectif reste en définitive toujours le même: salir la civilisa- tion occidentale pour mieux la soumettre. Louis Chagnon pour Libertyvox. Notes: 1 Charles-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, de la conquête arabe { 1830, Paris, Payot, 1978, t. II p. 301. 2 Charles-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, de la conquête arabe { 1830, Paris, Payot, 1978, t. II p. 279. 3 Le général E. Daumas et A. de Chancel, Le grand désert du Sahara au pays des Nègres, Paris, Michel Lévy, libraires-éditeurs, 1856. 4 Aujourd’hui orthographiée Katsina. 5 De Kachena. 6 Mohammed Omar, calife responsable de la région vis-vis du sultan. 7 Aujourd’hui, la région située entre Gusau et Kano au Nigeria. 8 Aujourd’hui, la région de Zinder au Niger. 9 Membres des tribus Makhzen traditionnellement chargés de la police et de prélever les impôts. 10 Un goum est une troupe de cavaliers. 11 Ethnie noire animiste. 12 Il faut prendre cette expression comme une simple figure de style afin d’introduire le tarif des différents types d’esclaves. 13 Coquillages du Niger servant de monnaie. 14 Maladie tropicale.
  • 18. [18] 15 La viande hallal. 16 A cette époque on appelait Soudan tout le sud du Sahara. 17 Hadith. 18 Les citations du Coran sont tirées de la traduction de Denise Masson publiée dans la Pléiade. http://www.libertyvox.com/article.php?id=149
  • 19. [19] Esclaves en terre d'islam Frédéric Valloire, le 21-03-2008 Ils furent deux fois plus nombreux que les esclaves des traites atlantiques. Ils venaient surtout d’Europe et d’Afrique. L’émancipation de l’esclavage aura pris un siècle et demi. Elle n’est pas achevée. Etonnant retour des choses : l’esclavage, la traite négrière ne concernaient jusqu’alors que l’Occident et ses repentances. On avait négligé, sciemment ou pas, l’esclavage en terre d’Islam. C’est aujourd’hui un phénomène de librairie. Non pour disculper les activi- tés européennes, mais pour explorer un champ historique sous-estimé. Il y a quinze ans, le grand islamologue Bernard Lewis notait « qu’en terre d’islam, l’esclavage reste un sujet à la fois obscur et hypersensible ».Des pionniers l’avaient défriché : Jacques Heers, dans les Négriers en terres d’islam,Olivier Pétré- Grenouilleau avec Traites négrières,qui envi- sageait pour la première fois le phénomène dans sa globalité, Robert C.Davies, avec Es- claves chrétiens,Maîtres musulmans, qui étudiait le trafic d’esclaves blancs en Méditerra- née : 1,25 millions d’Européens de l’Ouest asservis du Maroc à la Libye de 1530 à 1780 ! La nouveauté vient désormais des auteurs et de l’articulation entre religion et esclavage. Les auteurs ? Ils sont marocains comme Mohamed Ennaji, professeur { l’université Mohamed-V de Rabat, d’origine sénégalaise comme Tidiane N’Diaye,anthropologue et cadre { l’Insee, ou né { Skikda comme Malek Chebel anthropologue franco-algérien. L’articulation entre religion et esclavage ? C’est ce qu’examinent Guillaume Hervieux et Malek Chebel. Cette articulation constitue un fait nouveau. Avant le christianisme et l’islam, la séparation entre le maître et l’esclave se fonde sur un critère juridique : le premier est libre, le second (quelle que soit son origine) est privé de liberté, d’identité, de famille, de cité et appartient à un individu ou à une collectivité.Personne ne songe à supprimer l’esclavage, y compris les esclaves révoltés tel le fameux Spartacus.Mais que se passe-t-il si celui qui est réduit en esclavage est de la même religion que son maître ? La Bible ne le condamne pas ; le judaïsme antique ne l’abolit pas { l’exception de cer- taines sectes, celle des thérapeutes, celle des esséniens, considérées comme des com- munautés exotiques, en marge de la société normale. Cependant, la Bible formule une distinction théorique entre l’esclave hébreu, qui ne peut être vendu { un peuple étran- ger,qui ne peut demeurer plus de six années esclave (sauf s’il le demande et dans ce cas on lui perce l’oreille) et que l’on ne peut ni séparer des siens ni brutaliser, et l’esclave non juif, provenant des peuples qui entourent Israël, esclave à vie, soumis à la loi mo- saïque (il ne peut être tué ou estropié) et qui bénéficie du repos du septième jour. Deux originalités dans le monde antique : l’esclave fugitif n’est pas livré { son maître, mais habite chez celui qui le recueille ; l’argent public, même destiné { la construction d’une synagogue, peut être utilisé pour racheter des captifs juifs. Des rachats qui s’intensifient aux Xe et XIe siècles { la suite de la piraterie mauresque en Méditerranée orientale. Au point de devenir un devoir religieux majeur au XIIe siècle. C’est que, paral- lèlement { l’esclavage qui existe { cette époque dans les pays européens chrétiens, mal- gré le Nouveau Testament où Paul abolit implicitement la séparation entre hommes libres et esclaves, une nouvelle forme d’esclavage { grande échelle est apparue, celle que pratiquent les pays convertis par les cavaliers de l’islam. L’univers dans lequel le texte coranique est élaboré entre le VIIe et le Xe siècle est un monde où l’esclavage paraît un état normal,héritier direct des civilisations antiques :
  • 20. [20] Mahomet luimême a des esclaves.Que le Coran pérennise cet usage traditionnel ne peut surprendre. Comme cela existait dans la tradition stoïcienne, puis chrétienne, il associe métaphoriquement l’esclavage { la situation de l’homme vis-à-vis de son Créateur ou à sa dépendance physique et morale aux plaisirs. Mais le Coran définit également dans 29 versets un statut juridique et social de l’esclave. Comme il s’inscrit dans l’ordre du monde tel que l’a voulu Dieu, cette distinction entre les êtres humains ne peut être ni condamnée, ni critiquée. Un musulman libre ne peut être réduit en esclavage, aurait édicté le deuxième calife, Omar, sous son califat (634-644). Cela encourage très vite les musulmans à s’approvisionner en esclaves : la traite des esclaves noirs connaît son premier grand dé- veloppement avec la conquête arabe de la Méditerranée. Dès le VIIe siècle, on signale une révolte des Zanjs, des esclaves noirs capturés sur les côtes de l’Afrique de l’Est qui travaillent dans de vastes domaines du sud de l’Irak. Au XVIe siècle, les corsaires barba- resques enlèvent plus de chrétiens en un seul raid sur les côtes de Sicile, des Baléares ou de Valence qu’il n’y avait d’Africains déportés chaque année dans la traite transatlan- tique, relative- ment peu importante il est vrai. Et jusqu’au XIXe siècle, l’esclavage reste l’une des bases essentielles du pouvoir de l’Empire ottoman : les esclaves du sultan for- ment l’armature de l’administration et de l’armée. Si un esclave se trouve être musulman, il l’est soit parce qu’il s’est converti { l’islam, soit parce qu’il est né esclave. Avantage : l’esclave musulman est supérieur { l’esclave non musulman. Il peut en effet être associé à la prière collective et même la diriger, se marier à des musulmans de condition libre ou servile. De plus, il est interdit de le vendre à des non-musulmans. Dans tous les cas, le Coran recommande au maître de bien le trai- ter et de pourvoir à son entretien. L’esclave ne possède aucun bien, sauf un pécule et son maître exerce une tutelle sur toutes ses activités. Sur le plan pénal, l’esclave est traité comme un individu de rang in- férieur dont le témoignage n’a aucune valeur face { celui d’un homme libre. Et un mu- sulman ne peut être condamné { mort s’il a tué un esclave. Autrement dit, le prix du sang n’est pas le même. Enfin, un enfant issu d’une esclave, concubine légale d’un musulman, naît libre. En théorie, ces dispositions sont relativement favorables { l’esclave, surtout si ce dernier est musulman. Mais jamais le Coran n’émet une condamnation de l’esclavage. Au contraire, des hadiths, le fikh (le droit musulman) et la charia (la loi de dieu) complè- tent et affinent ces dispositions. Les conditions de vie de l’esclave sont des plus contrastées. Selon sa couleur, sa beau- té, son âge, sa condition sociale, ses capacités, sa religion, l’époque, le pays et le lieu où il sert, son sort varie du tout au tout. Récupéré aux marges de l’Empire, il est vendu aux enchères. C’est entre les mains et sous le fouet des chasseurs et des marchands d’esclaves que ces pauvres gens souffraient le plus. Les femmes (les Circassiennes sont très appréciées pour leur beauté) et les enfants servent comme domestiques ou concu- bines dans les cours de Cordoue, de Constantinople ou de Bagdad. Les hommes devien- nent soldats, artisans, galériens, fonctionnaires, chambellans ou sont parqués dans des bagnes abominables si leurs ravisseurs pensent qu’ils en obtiendront une rançon. Seule civilisation à avoir systématiquement prélevé des enfants pour en faire des mercenaires, les janissaires, l’Empire turc confie des armées et des provinces { des esclaves militaires, les mamelouks, qui restent néanmoins une exception. La traite islamique aura duré treize siècles
  • 21. [21] Entre le VIIe siècle et les années 1920, plus de 21 millions de personnes auraient été victimes de la traite d’esclaves en pays d’islam. Les Turcs prélevèrent environ 4 millions d’esclaves en Europe, tandis que la seule Afrique noire se vit ponctionnée de près de 17 millions d’habitants, soit beaucoup plus que l’ensemble des traites atlantiques (11 mil- lions). Si la traite commença au VIIe siècle dans sa partie orientale, elle connut son apo- gée au XIXe siècle, avec pour l’Afrique noire continentale des estimations comprises entre 4,5 et 6,2 millions de personnes. Cette importance prise par l’Afrique noire résulte en partie de la conquête par la Russie de la Crimée et du Caucase, qui ferme au monde musulman de vastes régions où depuis des siècles il se procurait des captifs. S’ajoutent { cela l’amélioration des moyens de transport, la désertification du Sahara qui poussent les nomades à intervenir dans les affaires des paysans noirs, la demande des Indes et l’essor du coton en Égypte. Ce qui est remarquable, malgré les différences régionales, c’est la régularité des prélèvements. En outre, alors qu’au Brésil, aux États- Unis ou dans les Antilles, vivent des descendants d’esclaves, dans les pays musulmans, ces descendants sont rares, en particulier pour ceux dont les ancêtres avaient la peau noire, remarque Tidiane N’Diaye. Castrés, eunuques, ils ne pouvaient procréer.Un géno- cide, donc. Mais, et c’est ce que montre Mohamed Ennaji, l’esclavage n’est pas que l’héritier d’un monde antérieur. Il imprègne toute la mentalité de l’État musulman, la conception d’un pouvoir présenté comme une image de la relation entre le maître et l’esclave. « L’histoire du monde arabe, écrit-il, est prisonnière du discours religieux et de ses représentations. » Est-ce la raison fondamentale qui expliquerait la lenteur de l’émancipation ? Amorcée en 1846 avec la Tunisie, elle s’achève en 1981 lorsque la Mauritanie promulgue l’abolition officielle de l’esclavage : un siècle et demi plus tard ! Et Malek Chebel affirme que trois millions d’esclaves vivraient encore en terre islamique… À lire L'Esclavage en terre d'islam, de Malek Chebel, Fayard, 506 pages, 24 Euros. http://www.valeursactuelles.com/public/valeurs- actuelles/html/fr/articles.php?article_id=2127
  • 22. [22] L’esclavage en terre d’Islam : un musulman libéral secoue le tabou Louis-Bernard Robitaille jeudi 22 novembre 2007. C’était en 2004 : l’universitaire Olivier Pétré- Grenouilleau, dans un gros livre savant, expliquait que l’esclavage n’avait pas été une exclusivité oc- cidentale. Et qu’on retrouvait des « traites négrières » comparables ou même plus importantes dans l’histoire de l’Afrique ou du monde arabe. Quelques jours après la sortie du livre, le dis- cret universitaire avait reçu des menaces de mort - prises au sérieux par la police - et préféré ne plus paraître en public. C’est donc sur un terrain miné que l’essayiste franco-algérien Malek Chebel s’aventure ces jours-ci avec un ouvrage sur « l’esclavage en terre d’Islam ». « Un dossier délicat, admet-il avec un fatalisme tranquille lorsque je le rencontre dans le quartier de la Bastille. C’est pourquoi j’attends un peu avant de donner des confé- rences à Paris. Mais à la différence de Pétré-Grenouilleau ou d’autres, c’est de l’intérieur que je critique les dérives de l’islam, les extrémismes et les sectarismes. » Auteur prolifique depuis 25 ans, Malek Chebel se veut à la fois un musulman irrépro- chable, fin connaisseur du Coran, et un libéral sans concession, partisan de la laïcité et hostile au porte du voile. Un adversaire résolu de « l’Islam politique » et de ses préten- tions à « régenter la société ». Avec cette nuance : « Contrairement { d’autres, j’ai le souci d’être audible et donc d’éviter les provocations inutiles : je prends donc soin de n’insulter personne. » Dans l’affaire des caricatures de Mahomet, il a surtout essayé de « calmer le jeu ». Mais cette fois, c’est le sujet lui-même qui est tabou. Et Malek Chebel, après avoir pendant trois ans fouillé dans les textes et enquêté dans une quinzaine de pays, dresse un constat sévère. L’esclavage dans le monde musulman, trois fois plus étalé dans le temps qu’en Occi- dent, a aussi touché deux fois plus d’individus, même si les formes de la servitude étaient parfois plus « humaines ». « Cet esclavage a touché plus de 20 millions de personnes sur 10 siècles, explique Chebel. Il a duré officiellement jusque dans les premières décennies du XXe siècle, une soixantaine d’années après son abolition en Occident. Jamais aucun responsable reli- gieux musulman ne s’est prononcé pour son abolition. « Un esclavage discret et { peine atténué se perpétue aujourd’hui, en Arabie Saoudite, par exemple. Au Niger ou au Mali, vous pouvez acheter - à lunité - un enfant de 10 ans dont vous ferez ce que vous voudrez.
  • 23. [23] Alors que les autorités religieuses en Occident ont fini par basculer dans le camp des abolitionnistes au XIXe siècle et aujourd’hui encore battent leur coulpe pour les crimes passés, je n’entends aucun prédicateur d’Al-Jazira condamner ces pratiques. » Au hasard de ses déambulations et recherches, l’auteur découvre des choses éton- nantes : une loi sur l’affranchissement des esclaves en Mauritanie datant de 2003 ! Des zones de non-droit absolu en Arabie Saoudite et dans certains pays du Golfe. Trois codes de l’esclavage en pays musulmans datant du XIXe siècle. Mais aussi, dans l’histoire de la Turquie et de l’Égypte, d’étonnantes pratiques permettant { des esclaves affranchis d’occuper de hautes fonctions dans l’État (en Turquie), ou de former une nouvelle caste privilégiée, tels les Mamelouks en Égypte). « Ce qui me révolte au-del{ de tout, dit Malek Chebel, c’est que, plus ou moins explici- tement, on invoque l’islam pour justifier l’asservissement, l’inégalité foncière entre hu- mains, les rapports de maître { serviteur. Ce que j’appelle la politique du baisemain. Or, sur les seuls 25 versets du Coran qui évoquent le sujet, presque tous penchent du côté de l’affranchissement. Strictement rien dans les textes ne justifie le système escla- vagiste. Mais c’est ainsi : sous diverses formes, une coterie religieuse vénale, aux ordres des dictatures, conserve une emprise totale sur l’islam et son interprétation. Il y a 30 ou 40 ans encore, l’Islam des Lumières auquel je me réfère était en plein progrès, en Égypte notamment, et la démocratie était en vue. Aujourd’hui, on est en pleine régression : si l’on faisait aujourd’hui des élections libres dans le monde arabo-musulman, les islamistes l’emporteraient presque partout. Cela dit, je ne crois pas que ce soit irréversible : l’Égypte pourrait redevenir une terre des Lu- mières. Et il y a des frissonnements démocratiques au Maghreb ou ailleurs. » Pour certains esprits critiques, Malek Chebel, auteur médiatique et parfois un peu trop habile, est moins contestataire qu’il ne le prétend. Reste que le seul fait de soulever une question aussi taboue et de dénoncer la collusion entre le haut clergé musulman et les régimes dictatoriaux demande un certain courage. La France est aujourd’hui de loin le premier pays islamique d’Europe, avec cinq mil- lions de musulmans. Avec des organisations intégristes extrêmement puissantes et structurées. « Si jamais on lançait une fatwa contre moi, je m’empresserais d’aller { la télé et de leur dire : vous m’avez condamné { mort, mais vous n’êtes que des voyous, des criminels passibles du tribunal de La Haye. Vous n’êtes pas des musulmans mais des assassins, vous pouvez m’envoyer 10 commandos de tueurs si vous voulez, mais je ne me cacherai pas ! » Et Malek Chebel ajoute : « Ces gens ont peut-être des tueurs à leur service, mais moi je crois qu’en utilisant les armes de la communication, on peut les faire reculer. » L’esclavage en terre d’Islam, 498 pages, Ed. Fayard Malek Chebel a écrit une vingtaine d’ouvrages, dont Le Dictionnaire amoureux de l’Islam et Manifeste pour un Islam des Lumières en 2004.
  • 24. [24] ISLAM ET ESCLAVAGE mercredi 7 mai 2008 à 08:00 :: L'affranchissement est recommandé au croyant dont il favorise l'accès au Paradis. Le pro- phète Mohammed n'avait-il pas donné l'exemple en la matière ? «Le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative personnelle du maître. Cette ambiguïté est constitutive de l'approche coranique : encourager ceux qui font le bien, mais ne pas alourdir la peine de ceux qui ne font rien», écrit Malek Chebel. «Plusieurs versets entérinent au demeurant l'infériorité de l'esclave par rapport à son maître». JEUNE Afrique DU 18 AU 24 NOVEMBRE 2007 N°2445 DOMINIQUE MATAILLET TABOU, Au terme d'une longue enquête qui l'a mené de Nouakchott Brunei, Malek CHE- BEL dresse un constat accablant : l'esclavage a été et reste un fait musulman Le mot le plus courant, en arabe, pour désigner l'esclave est 'abd, duquel dérivent des termes comme 'ubudiyya (« esclavage »).D'autres vocables sont encore utilisés, tels que raqîq (« mis en servitude »), jâriya (« esclave femme »), ghulîm (« esclave homme »).Et ce n'est pas tout. Au Proche-Orient, zandj (probablement de Zanzibar) et aswad désignent l'esclave noir, alors que mamlûk (littéralement « possédé ») s'applique à une catégorie particulière, la caste militaire servile. Ce n'est donc pas le vocabulaire qui manque en terre d'Islam pour parler de l'esclavage. Cette richesse sémantique tranche toutefois avec le mutisme qui entoure le phénomène. Un mutisme d'autant plus choquant, aux yeux de Malek CHEBEL, que l'esclavage a pris des di- mensions considérables tout au long de l'histoire de cette région du monde et qu'il reste à bien des égards très présent dans le quotidien de centaines de millions de gens. C'est pour briser ce silence assourdissant que l'anthropologue algérien, bien connu des lec- teurs de Jeune Afrique pour ses nombreux ouvrages autour de l'islam, s'est livré à une longue enquête. Fruit d'innombrables lectures, son pavé de 500 pages est aussi et surtout le compte rendu d'un voyage de plusieurs mois qui l'a conduit des rives de l'Atlantique au fin fond du Sud-Est asiatique en passant par les pays du Golfe, l'Asie mineure, l'Afrique saharienne. Le constat final est accablant : « À Brunei, au Yémen, dans les pays du Sahel, chez les Touaregs, en Libye, dans le Sahel tunisien, en Égypte, en Arabie, en Mésopotamie, au Soudan ou à Djibouti, il n'est pas un lieu gagné par l'islam où ne se soit jamais pratiqué le commerce d'esclaves Encore convient-il d'établir des distinctions entre pays et de relever les caractéristiques propres des différentes contrées concernées. La Libye et l'Algérie, par exemple, débouchés naturel des routes commerciales transsahariennes, ont surtout servi de voies de transit. Des pays tels q l'Égypte ou l'Arabie saoudite actuelles étaient, eux, de gros consommateurs, osera- t-on dire. Idem pour la Turquie. Les Européens ont fantasmé sur les odalisques des harems d'Istanbul, sujet de prédilection pour les peintres orientalistes, et se sont extasiés sur les ex-
  • 25. [25] ploits militaires des janissaires de l'Empire ottoman. Faut il rappeler que les premières comme les seconds étaient des captifs? En Afrique, on le sait, c'est à la lisière du monde noir que l‘esclavage prit les plus grandes proportions. Au Maroc où la composante négroïde de la population saute aux yeux du voyageur les traces sont manifestes. Que sont les musiciens gnaouas sinon les descendants des Noirs importés » de la zone soudanienne au temps où le Maroc était une grande puissance régionale? Et puis, il y a le cas de la Mauritanie, où, malgré les dé- mentis, l'esclavage reste une réalité manifeste. La preuve en est que le Parlement a voté à plusieurs re- prises des textes l'interdisant. Malek Chebel rappelle un indice qui ne trompe pas: de nombreuses associa- tions d'affranchis tentent de se constituer en force poli- tique. « En attendant, commente l'auteur, chaque foyer de Beidane ("Blancs") entretient des harratine noirs, fils d'anciens esclaves auxquels il donne le nom de "serviteurs", un peu comme on faisait naguère à la Barbade, où l'on gratifiait pudiquement du nom d'apprentis" les esclaves fraîchement libérés de leurs chaînes. » Ainsi donc, une bonne part de la main-d'oeuvre servile utilisée dans le monde arabe venait d'Afrique subsaharienne - en Tunisie, le même mot, abîd, désigne indistinctement l'esclave et le Noir... - et tout particulièrement du Sahel, de l'Éthiopie ainsi que de la côte orientale du continent. Mais les Balkans et les steppes de l'Asie centrale furent également d'importants bassins pourvoyeurs. Combien furent-ils? Dans le cas de la traite occidentale, les éléments de chiffrage existent: les négriers tenaient des journaux de bord dans lesquels était reporté le détail de leur com- merce honteux. Rien de tel avec la traite orientale. Confrontant les diverses sources, Malek Chebel estime à plus de 20 millions le « volume total de l'esclavage en terres arabes et mu- sulmanes ». Ce nombre englobe aussi bien les captifs de guerre slaves, les concubines et les domestiques circassiennes, que les domestiques noirs achetés à des négriers ou razziés dans les villages du Sahel, les marins chrétiens capturés par les corsaires barbaresques en Méditer- ranée. Les négriers arabes auraient donc fait « mieux » que leurs homologues européens. Les uns ont, il est vrai, sévi pendant quatorze siècles, contre moins de quatre pour les autres. Faut-il chercher dans le Coran la cause du mal? Le Livre, certes, accepte que la condition de sujétion des esclaves par rapport aux maîtres soit maintenue en l'état. Car l'islam est né dans une région du monde où l'esclavage était quasiment un mode de production. Mais il tente d'en limiter les abus;'tout comme il apporte un progrès incontestable à la situation des femmes (notamment en limitant à quatre le nombre des épouses autorisé). Par ailleurs, l'affranchissement est recommandé au croyant dont il favorise l'accès au Para- dis. Le prophète Mohammed n'avait-il pas donné l'exemple en la matière? Vivement encouragé en théorie, l'affranchissement n'a, hélas, guère été suivi en pratique. De siècle en siècle, l'esclavage est devenu un fait musulman, s'inscrivant profondément dans les habitudes. Pourtant, c'est un sujet dont on ne parle pas. En dehors de l'Égyptien Mohamed Abdou, du Syrien Rachid Ridha, de l'Iranien Mirza Ah Mohamed, fondateur, au XIXe siècle, du bâbisme, qui a fermement condamné cette pratique, la plupart des réformateurs sont restés étonnamment discrets sur la question.
  • 26. [26] Et que dire des islamologues ! Louis MASSIGNON, Vincent MONTEIL ou Jacques BERQUE disposaient des informations qui leur auraient permis, en plein XXe siècle, de tirer la sonnette d'alarme. Peut-être ont-ils préféré, écrit Malek CHEBEL, « la hauteur mystique des grands penseurs, des philosophes et des théosophes de l'islam aux réalités scabreuses des marchands de chair humaine ». Ils savaient, mais leur empathie pour l'islam les inclinait à trouver à cette religion et aux hommes qui s'en réclament des excuses qui ne sont en rien justi- fiées. Quand bien même la réalité de l'esclavage arabe est reconnue, c'est souvent pour en atté- nuer la rudesse : il n'aurait pas abouti à la dépersonnalisation de l'esclave, comme cela a été le cas avec le commerce triangulaire Afrique-Amérique-Europe, affirme-t-on. Comme s'il pou- vait y avoir une graduation dans l'infamie... Mais le pire est peut-être dans l'impact que l'esclavage a eu sur les mœurs politiques du monde arabe. Dans un livre tout récent*, l'universitaire marocain Mohammed ENNAJI ex- plique en quoi il a fondé le rapport au pouvoir et donc l'absolutisme qui est encore souvent la règle dans cette partie du monde. Une fois le livre de Malek CHEBEL - dont, curieusement, les médias ont peu parlé - fer- mé, on ne voit plus la civilisation islamique de la même façon. Comme l'auteur lui-même, qui, pour, cette étude a dû « parcourir au moins 120000 kilomètres » pour en arriver à cette terrible conclusion: « L'islam dit l'inverse de ce que les musulmans pratiquent, et c'est une énigme en soi. La duplicité humaine qui consiste à transformer un message d'émancipation en goulag humain fait partie intégrante de ce paradoxe. » ∎  Le Sujet et le Mamelouk. Esclavage, pouvoir et religion dans le monde arabe, éd. Mille et une nuits, 368 pages, 16 euros. Malek Chebel : « j'ai voulu briser le silence» Propos recueillis par Dominique MATAIL- LET JEUNE AFRIQUE : Pourquoi ce livre, et pourquoi maintenant? MALEK CHEBEL : C'est une question qui me tenait à cœur depuis longtemps. Pour écrire mes livres, je constitue des dossiers richement documentés. La prise de conscience, tardive, hélas, du phénomène de l'esclavage dans le monde islamique m'a laissé penser que l'opinion était assez bien préparée. Compte tenu de la surface que j'ai acquise dans le domaine des études sur l'islam, je me suis dit: c'est un discours qui peut passer maintenant. Est-ce que ce discours passe effectivement? Il semble qu'il crée beaucoup de gêne.
  • 27. [27] S'il dérange, c'est que je touche quelque chose de fondamental et de vrai. C'est qu'il y a en- core des esclaves. Tant mieux donc si mon livre gêne, car j'ai voulu briser l'opacité qui en- toure cette question de l'esclavage. Avez-vous eu vent de réactions hostiles? Il y a eu un mouvement dans les chancelleries arabes, qui a été vite éteint. Ils ont compris que, médiatiquement parlant, cela aurait été très mauvais pour eux d'enclencher une offensive. Les médias vous suivent-ils ? Je constate une gêne, une retenue de leur part, ici, en France. Les journalistes sont circons- pects. Ils ne savent pas comment prendre l'information. Au Maghreb, mis à part un papier, en août, donc avant la sortie du livre, dans Le Quotidien d'Oran, c'est motus et bouche cousue. Même au Maroc, d'habitude plus ouvert, aucun écho dans les médias non plus. En clair, il y a un blocage maghrébin. Dans quels pays l'esclavage a-t-il gardé le plus de réalité ? L'esclavage est encore sensible en Mauritanie. Mais l'État fait des efforts assez importants pour se débarrasser de cet héritage scandaleux. Le phénomène des petites bonnes au Maroc est aussi à prendre en considération. Un secrétariat d'État a d'ailleurs été créé pour recenser les jeunes filles et leur donner un statut. Il y a évidemment tout un esclavage invisible dans les monarchies et les sultanats du Golfe. À quoi s'ajoute, dans les mêmes pays, un nouvel escla- vage économique. Dans l'Afrique moyenne, au Mali, au Tchad et ailleurs, subsistent de mul- tiples formes d'esclavage, liées cette fois à la pauvreté. On ,m,',a parlé de vente d'enfants ici ou là. Il faut mentionner également les intouchables en Inde. Vous décrivez la société touarègue comme l'une des pires sociétés esclavagistes... Les rapports esclavagistes ont été à peu près maintenus. Il y a, bien sûr, eu une atténuation avec l'apparition des États-nations dans les ` cinq pays africains où vivent les Touaregs. 'L'existence d'une police nationale, d'une justice relativement distincte des ethnies et des oli- garchies est un progrès incontestable. Mais, sous cape, les aristocrates touaregs sont toujours des aristocrates et les esclaves, les harratine, sont toujours leurs serviteurs. Pourquoi les mentalités évoluent-elles si lentement? Parce que tout le monde, à commencer par les élites religieuses, se tait. Quand on pose la question, on dit qu'il y a bien d'autres problèmes tels que la pauvreté, les maladies. Moi, je dis: sur le plan moral, ce n'est pas acceptable en 2007 qu'il y ait encore des esclaves.
  • 28. [28] Comment expliquer ce silence dans le monde arabo-musulman? Pour beaucoup de gens, l'esclavage, ça n'existe pas. Même quand tu dis à un esclavagiste: « Tu as des esclaves. » Il te répond: « Mais non, ce sont mes enfants adoptifs. Je les aime comme mes fils. » On dit aussi que l'esclavage dans le monde arabe n'a rien à voir avec l'esclavage occiden- tal... C'est vrai que la traite négrière occidentale était strictement économique, puisqu'elle con- sistait à transporter des Africains dans les plantations en Amérique, alors que l'esclavage oriental était plus diversifié. Les captifs étaient utilisés dans l'agriculture, mais aussi comme soldats ou pour servir dans les palais. Si la traite occidentale a duré moins de quatre siècles, la traite orientale s'est étalée sur qua- torze siècles, puisque j'en situe les débuts avec la naissance de l'islam. Le fait que le phéno- mène soit dilué dans le temps et qu'il n'y ait pas eu de bateau négrier donne le sentiment que c'est différent. Le volume total de l'esclavage dans le monde arabo-islamique atteint pourtant, selon les estimations les plus sérieuses, les 20 millions, soit plus que le nombre d'Africains déportés dans les Amériques. Alors, pour moi, aujourd'hui, c'est pareil. http://blog.francetv.fr/Faawru/index.php/2008/05/07/71997-islam-et-esclavage
  • 29. [29] Esclaves noirs en Méditerranée Jean-Michel Deveau Plan I - Qui sont ces esclaves ? II - Zones de capture et itinéraires de traite III - Fluctuations du système et incertitude des nombres Conclusion 1 Dans le cadre d’une rencontre consacrée { l’étude de l’esclavage en Méditerranée, il était difficile de laisser sous silence une des pages les plus méconnues, mais peut aussi l’une des plus importantes qui a affecté les relations entre les rives de cette mer et l’Afrique sahélienne. On reste sur les retranchements d’un tabou pour une histoire qui débute avec la conquête arabe et ne s’achève officiellement que dans un tardif XIXe siècle. 2 Il n’est pas question dans ce bref article d’innover sur la base de nouvelles re- cherches en archives, mais simplement de dresser un bilan historiographique. L’impulsion donnée depuis une dizaine d’année par l’UNESCO aux recherches sur l’esclavage s’est heurtée { une fin de non recevoir pour ce qui concernait ce sujet. Aussi n’en trouve-t-on que des bribes éparses dans une somme de publications dont cette communication tente de reprendre l’essentiel. 3 La présence d’esclaves noirs est attestée dès la plus haute antiquité sur les rives de la Méditerranée, et lorsque s’achève l’époque moderne ils sont encore légions sur l’ensemble des rivages du monde musulman. Or cette constante de l’histoire méditerra- néenne n’a laissé que des traces aussi ténues qu’éparses dans les sources, d’où la diffi- culté de cerner avec précision son ampleur et les mécanismes de son fonctionnement. 4 Paradoxalement les sources médiévales sont beaucoup plus abondantes, surtout grâce aux chroniques des empires du Mali, édifiés sur le bassin du Niger à partir de la pénétration musulmane au sud du Sahara. Le Tarikh el-Fettach et le Tarikh el-Soudan, en particulier, renseignent abondamment sur les captures, sur les ventes et sur la traite transsaharienne à partir de Djenné ou de Tombouctou1. Cependant l’historiographie semble encore balbutier dans une enfance très ignorante de l’arabe et du turc, car, semble-t-il, de nombreux manuscrits dorment encore dans les archives des pays qui ont relevé de la mouvance de l’ancien empire turc. 5 Il semble également qu’un certain tabou relatif { ce sujet n’encourage pas particu- lièrement les recherches. Cependant quelques auteurs commencent { s’y aventurer certes avec prudence, mais aussi avec une liberté d’esprit qui ne peut qu’encourager les nouvelles générations d’historiens2. En revanche si les sources occidentales ont été beaucoup plus sollicitées, les chercheurs ont plutôt centré leur problématique générale de l’esclavage dans le monde méditerranéen, ne travaillant que par incidence sur la spé- cificité sub-saharienne. 6 Pendant longtemps on a évacué le problème en considérant qu’{ partir du XVIe siècle, la traite atlantique avait tari le flux médiéval transsaharien. Cette thèse, pré- sentée comme un axiome, arrangeait l’école historique de tendance tiers-mondiste qui la répétait { longueur d’ouvrages sans se poser plus de problème sur cette vision des
  • 30. [30] choses érigée en dogme. Il est donc intéressant de s’interroger sur la réalité de la pré- sence de ces Noirs qui s’inscrit en continu sur les rivages méditerranéens depuis la fin du XVe siècle, alors que les caravelles d’Henri le navigateur débarquèrent leurs pre- mières victimes sur les marchés du Portugal, jusqu’au XIXe siècle marqué par l’abolition de la traite en 1815. 7 Là encore, sans preuve scientifique, on a longtemps admis que cette abolition avait réactivé les courants caravaniers de la traite transsaharienne. Mais c’est entrer dans une nouvelle problématique qui dépasse les limites chronologiques de cette étude centrée sur la période moderne. I - Qui sont ces esclaves ? 8 L’image d’Epinal traditionnelle a popularisé l’esclave domestique jusqu’{ faire de l’odalisque un archétype de la peinture orientaliste des XVIIIe et XIXe siècles. Elle donne au tableau la tache sombre qui rehausse le chatoiement lumineux où se prélassent des Blanches aux lignes opulentes. Deux siècles plus tôt c’étaient des hommes qui jouaient ce rôle. Les traits franchement négroïdes du visage surmontaient la livrée princière de leur maître qu’ils servaient { table ou aidaient dans une scène diplomatique ou militaire. 9 Ces visions un peu réductrices par la seule représentation domestique n’en figu- raient pas moins une réalité largement répandue. En Méditerranée musulmane, l’esclave est d’abord un domestique, sans que l’on puisse actuellement avancer aucune statistique sur son importance relative. Domesticité semble-t-il nombreuse dans les familles riches puisqu’il est de coutume d’offrir une esclave noire en cadeau de noces { Fès au XVe siècle. 10 Selon Haëdo deux siècles plus tard, à Alger : « les principales dames qui sortent, mènent avec elles autant de négresses (elles en ont plusieurs qui valent de 25 à 30 écus chacune) que de blanches chrétiennes dont elles ont aussi beaucoup(…). Il y en a qui ont une escorte de quatre, de six et même de dix es- claves3 ». 11 Selon la tradition, toutes ces esclaves auraient été traitées avec la plus grande bon- té, étant parfois même considérées comme membres de la famille, sortes de parents pauvres accablés par le destin. Dans les villes, on leur enseignait l’arabe, et en général on essayait de convertir les Noires { l’Islam. Conversions superficielles, impossibles { cata- loguer dans le cadre d’une acculturation réussie. 12 A la première occasion le vernis islamique craquait, laissant place à un retour aux coutumes sub-sahariennes, comme on pouvait le constater, par exemple { l’occasion des mariages. En effet, avec le consentement de leur maître ces femmes pouvaient épouser un esclave. 13 Plus au sud, dans le désert presque toutes les tribus nomades ont à leur service de nombreuses femmes noires, toujours aussi bien traitées, dit-on. Certaines, après une période de bons et loyaux services, retrouvaient la liberté au sein de la tribu avec les mêmes droits que les autres membres. 14 Ce discours, repris dans la seule analyse herméneutique des textes sacrés, deman- derait une étude de cas vécus, encore impossible à faire faute de sources en langue arabe, si toutefois elles existent, car, pour l’instant, aucune n’a encore été mise { jour. En revanche, les études de cas relatées par Claude Meillassous pour l’époque contempo-
  • 31. [31] raine, sur la base d’enquêtes orales laissent entrevoir une réalité beaucoup plus sordide dans le monde des Touareg. Alors peut-on extrapoler dans le temps et dans l’espace ?4 15 Beaucoup de Noires furent enfermées comme concubines dans les maisonnées. Elles avaient auprès des Arabes une réputation de beauté et de performances physiques qui les faisaient rechercher quel qu’en fût le prix. Leur nombre reste tout aussi mysté- rieux que le secret des harems, mais on peut l’estimer suffisamment important puis- qu’elles ont réussi { métisser une bonne partie de la population sur un espace qui joint la zone des oasis à la latitude de Warghla aux centres de redistribution comme Sidjil- massa ou Fés. 16 Au chapitre de la domesticité, les eunuques noirs ont troublé l’imaginaire occiden- tal, mais l’approche statistique reste aussi impressionniste que la précédente. Les Noirs n’ont pas été les seuls mais ils semblent de loin les plus nombreux. En revanche, la réali- té sociologique a pris un relief, certes poétique, mais probablement très voisine du vécu avec la traduction des Mille et une Nuits par Galland { l’aube du XVIIIe siècle5. 17 Sans égard pour la misère de ces malheureux, on distinguait ceux qui avaient subi l’ablation des seuls testicules et ceux dont on avait coupé la totalité des organes sexuels. L’opération était pratiquée après la traversée du Sahara, très souvent en Egypte où les moines coptes s’en étaient fait une spécialité. Seuls ceux de la deuxième catégorie étaient commis à la garde des harems, car les autres conservaient une capacité d’érection, qui selon la rumeur publique, les rendait encore plus désirables. La fidélité des uns et des autres valait toutes les gardes prétoriennes. Sachant que le reste de la société les rejetait sans appel, ils ne trouvaient de compensation affective que dans la reconnaissance de leur maître. Un véritable transfert au sens freudien s’opérait qui n’a pas encore été étudié par les psychanalystes. 18 Quoi qu’il en soit, l’eunuque était symbole de richesse puisqu’il valait plus du double de l’esclave ordinaire. A partir du IXe siècle leur nombre se multiplie dans les pa- lais princiers. Le calife Al-Muqtadir (908-932) en aurait possédé 11000 dont 7000 Noirs, rapport numérique qui se passe de commentaire sur l’écrasante majorité des Africains. La cour ottomane allait les chercher en Egypte. Certains ont rempli de très hautes fonc- tions, et, à partir de 1582, les Noirs supplantent définitivement les eunuques blancs dans la fonction publique. En Arabie, on en trouvait beaucoup employés sur les lieux saints où certains ont réalisé d’énormes fortunes. 19 Pour être complet il faudrait ajouter ceux qui assuraient un simple service domes- tique, ou ceux qui avaient des fonctions dans l’économie, ou dans l’armée comme nous allons le voir. 20 Les gardes noires apparaissent dès le début de la conquête islamique en Tunisie et en Egypte. 21 Dans ce dernier pays, elle comptera jusqu’{ 40 000 hommes { la fin du IXe siècle et autant au début du XII°, et finira par jouer un rôle si important qu’on l’estimera dange- reuse. A plusieurs reprises le pouvoir encouragea la foule à les massacrer. En 1169, lors d’une dernière tentative de soulèvement, 5O OOO Noirs furent mis hors de combat, mais l’alerte avait été si chaude que la garde fut définitivement supprimée, ce qui n’empêcha pas de continuer à enrôler des Africains dans les autres corps de troupe. 22 Au Maroc, ce corps d’élite dura beaucoup plus longtemps. Mulay Isma’il (1672- 1727) organisa même non plus un corps de garde, mais une véritable armée noire. A partir de 1672, les expéditions se multiplient vers le sud pour razzier les Noirs ou en
  • 32. [32] acheter sur les grands marchés du Soudan, à Djenné ou à Tombouctou. Très vite cette armée devient si nombreuse que le sultan bâtit une ville pour la loger. Les soldats sont encouragés à se marier et leurs enfants deviennent à leur tour soldats-esclaves. A 16 ans ils achèvent leur formation et épousent une jeune négresse afin que leurs enfants les remplacent un jour. Le système fonctionna si bien qu’un siècle plus tard ce corps était devenu la première force de l’Etat et décidait du maintien ou de la chute du souverain et de ses collaborateurs. Sadi Muammad, menacé d’une nouvelle révolte dissout définiti- vement le corps et en dispersa les hommes sur l’ensemble du royaume. 23 Le système productif méditerranéen ne semble pas avoir retenu une foule d’esclaves comme cela fut le cas dans la Caraïbe ou aux Etats-Unis par exemple. Seul l’orient mésopotamien semble avoir utilisé le travail servile sur une échelle comparable { celle de l’Amérique. Les itinéraires de cette traite passaient par le Sahara et par les berges méditerranéennes autant que par celles de la mer Rouge. 24 Les travaux d’Alexandre Popovic sur les grandes révoltes des VIIe et IXe siècles en révèlent l’ampleur, mais rien de comparable n’a encore été entrepris pour l’époque mo- derne en Méditerranée. On connaît cependant l’importance des plantations de canne { sucre du Maroc dont l’essentiel de la main-d’œuvre provenait du sud du Sahara. L{ en- core de sérieuses révoltes dans les années 1576-1598 ont dû ébranler le système, mais on en ignore à peu près tout, aussi bien des conditions que du déroulement. 25 Hors de ce cas, semble-t-il marginal du Maroc, le travail des esclaves noirs relève beaucoup plus du saupoudrage artisanal que de la concentration industrielle. Ce qui n’exclut pas un total important d’hommes ou de femmes mis au service d’un superflu. Il vaudrait donc mieux parler d’une société d’esclavage que d’une société esclavagiste. II - Zones de capture et itinéraires de traite 26 Depuis que les musulmans ont investi la traite transsaharienne, deux grandes zones d’approvisionnement divisent la région du Sahel. 27 - A l’est, sur une bande qui englobe l’actuel Soudan et les marges de l’Erythrée et de l’Ethiopie, la tradition des razzias remontaient à une époque très ancienne. Les Pha- raons souvent en guerre contre ces turbulents voisins leur imposaient déjà des tributs en esclaves. Le traité de 651 av. JC les obligeait { en livrer 360 par an et précisait qu’ils devaient tous être de magnifiques spécimens humains, en excellente forme, ni impu- bères, ni trop vieux. A l’extrême est, la corne de l’Afrique alimentait un fort courant en direction de l’Arabie et du Golfe Persique, comme nous l’avons vus pour une période ultérieure au moment des révoltes de Basra. 28 - La seconde zone { l’ouest s’étend sur la vallée du Niger et pousse des extensions en direction de la Sénégambie et du golfe de Guinée. Sur cette immense région à échelle continentale, une continuité opiniâtre de rafles travers l’histoire du VIIe siècle jusqu’{ un tardif XIXe dont on n’est pas certain qu’il ne se prolonge pas en plein XX°! 29 Restons sur la ligne de partage ethnique entre nomades et sédentaires, entre agri- culteurs et éleveurs, entre Blancs et Noirs et l’ensemble des conflits et des stratégies s’éclaire dans de savants équilibres où il s’agit d’exploiter l’autre jusqu’au point de rup- ture qui risquerait de le faire disparaître. Franchir cette limite c’est tarir la source de richesse, aussi, alternent guerres et longues périodes de collaborations favorables à tous les métissages physiques et culturels. Les Tarikh en relatent les débuts, mais la plupart
  • 33. [33] échappent au scriptural et ne peut être relaté que dans une tradition orale en voie de disparition. 30 Quoi qu’il en soit, demeure l’insoluble problème statistique, clef de l’évolution dé- mographique de toute la région, et partant des possibilités de ponction. L’archéologie devrait fournir de solides bases { partir de l’extension de la désertification due très sou- vent aux variations climatiques facilement repérables, mais lorsque ce n’est pas le cas, il s’agit de l’exode de populations qui n’en peuvent mais devant la tragédie des rafles. La limite extrême est atteinte lorsque l’insécurité ne laisse plus la possibilité d’une produc- tion agricole. 31 C’est ce que révèle le très beau travail conduit au Sénégal le long de la vallée du fleuve par les chercheurs de l’IFAN. Mais tout reste { faire pour la vallée et le delta inté- rieur du Niger. Il faut croire que les prédateurs ont ratissé avec l’efficacité maximale puisque certains sont allés jusqu’au nord de l’actuel Ghana ou le long d’une ligne qui sert aujourd’hui de frontière avec la Côte d’Ivoire. L{, subsiste la route dite des mosquées, le long de laquelle les Musulmans venus du nord, convertissaient en même temps qu’ils rassemblaient leurs caravanes d’esclaves destinées { Djénnée et { Tombouctou. Que l’on réalise bien la distance de près de mille kilomètres avant d’atteindre cette dernière qui n’était que le prélude { la traversée du Sahara. 32 La halte s’imposait plus ou moins longue sur ces marchés nigériens, point de rup- ture des caravanes. Les esclaves y étaient vendus { d’autres marchands routiers du dé- sert. Il fallait constituer de nouveaux convois, ce qui pouvait prendre plusieurs mois. 33 Ces énormes marchés avaient gonflé la population des cités devenues également des centres majeurs de la culture musulmane. Autour des mosquées, de puissantes uni- versités débattaient de la légitimité de l’esclavage. Hamed Baba enseignait à Tombouc- tou que la servitude de l’incroyant ne posait aucun problème de conscience. Tout l’argumentaire reposait sur les cas limites du captif de guerre converti au moment de sa défaite et autres hypothèses formalistes où la science coranique s’épuisait en débats aussi vains que ceux des scolastiques formalistes de nos universités médiévales. De tout cela subsiste le sentiment d’une mauvaise conscience comparable { celle que connaîtra l’Europe au XVIIIe siècle. L’Islam au reste n’apportant pas plus de solution humaniste que la Chrétienté. 34 Retenons de tout cela que le trafic négrier pour susciter de tels débats n’avait rien d’anecdotique, mais condamnait chaque année des milliers de victimes { franchir le dé- sert. 35 La traversée suivait trois itinéraires principaux :  1 - celui de l’ouest joignait le Niger et la Tripolitaine en passant par Tahert, Zawi- la, le Fezzan et le Kanen. De Tripoli une partie des esclaves repartait à Alexandrie et au Caire d’où ils étaient redistribués dans l’orient arabe et { l’est de la Méditer- ranée. El Bekri en 1068 décrit ce flux traversant des marchés très actifs du Caire, { l’ombre de la grande mosquée où les esclaves s’échangeaient contre des étoffes rouges, tandis qu’autour s’éployaient jardins irrigués et palmeraies surgies en plein désert.  2 - par Warghla Tadmekket on rejoignait Tunis ou Bougie. Axe qui semble avoir été moins fréquenté que le précédent dont le succès était dû { l’importance de Tripoli comme plaque tournante.
  • 34. [34]  3 - { l’est, le Maroc communiquait avec le Soudan par Ouadane. Les caravanes traversaient Sidjilmassa avant de gagner Fès. A partir de 1591, cette route connut un trafic intense avec la conquête de l’empire Songhay par les troupes maro- caines qui occupèrent le pays jusqu’{ la fin du XVIIIe siècle. S’il s’agissait dans un premier temps de contrôler le commerce du sel saharien, l’échange d’esclaves se révéla très vite le meilleur moyen de paiement, ce qui explique l’abondance de soldats africains dans l’armée marocaine. 36 Quel que fut l’itinéraire, les esclaves connurent l’un des pires martyr au cours de ces traversées. Dans un mémoire daté de 1697, Petis de la Croix suit une caravane entre Tripoli et Tombouctou. Traditionnellement en octobre, 400 à 4000 personnes selon les années partent accompagnées de 3 à 4000 chameaux. Elles arrivent au Fezzan deux mois plus tard, et il leur en faudra encore deux pour gagner le Bornou où elles séjourne- ront six autres mois avant de rentrer à Tripoli au printemps suivant. 37 On retrouve les délais de la traite atlantique. La Croix note qu’au cours de ce retour « il meurt beaucoup d’esclaves de misère et de manque d’eau ». Dans ces conditions il ne faut pas s’étonner des énormes plus-values ; l’esclave acheté 8 piastres au Bornou est revendu entre 40 et 60 piastres6. Petis ajoute que, tous les ans, d’autres caravanes plus modestes, de 15 à 20 hommes partaient aussi de Tripoli. 38 Toujours au XVIIe siècle, chaque année, de Tunis partaient deux caravanes qui re- venaient vendre les esclaves sur le marché de Souk al Barka construit à cet effet entre 1610 et 1637. Il est certain que l’investissement était encore rentable en dépit de la con- currence de la traite atlantique. III - Fluctuations du système et incertitude des nombres 39 Vaste problème que ce détournement du commerce transsaharien par la traite atlantique. Sans s’appuyer sur d’autres sources que le bon sens, les historiens affirment que la seconde a ruiné le premier, sans quoi l’Afrique n’aurait pas pu supporter une telle ponction. Peut-être, au regard de certains indices faut-il nuancer ce propos. 40 Personne ne nie qu’au XVe siècle l’arrivée des Portugais sur les côtes occidentales de l’Afrique brise en partie ces anciens réseaux. Le commerce des esclaves se détourne massivement vers l’Atlantique sur les côtes de Sénégambie et sur celles du golfe de Gui- née. Le choc fut assez rude pour que la guerre dite des Marabouts ensanglante le nord de la Sénégambie entre 1637 et 1677. 41 Sous couvert de ramener les populations à une stricte orthodoxie religieuse Nassir al Din déclencha un vaste mouvement anti-français. Il voulait en réalité les chasser de Saint-Louis d’où ils drainaient un fort courant esclavagiste destiné aux Antilles. Le mot d’ordre était clair : ne plus livrer un seul esclave. Ce fut un échec. Dans ses troupes les Peuls, fervents islamistes, s’étaient engagés en masse. Après la défaite ils se retirèrent au Fouta-Djallon où ils fondèrent un solide royaume, véritable plaque tournante de la traite. Ce revirement s’explique aisément si l’on admet qu’ils maîtrisaient désormais les razzias sur l’ensemble de la zone nigérienne dont ils divisaient les victimes entre les marchés de Tombouctou et ceux du Galam destinés à Saint-Louis.
  • 35. [35] 42 Par la suite il ne fut plus jamais question de conflit avec les Musulmans, le partage assurait de nouveau le ravitaillement des caravanes transsahariennes. On peut même supposer que les Européens qui déportaient en gros trois hommes pour une femme, abandonnaient ces dernières aux Musulmans qui travaillaient dans la proportion in- verse. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle demande réflexion. 43 Comme c’est toujours le cas dans cette histoire, on bute sur les données statis- tiques qui nous donneraient la clef du problème. L’incertitude la plus forte est du côté musulman. On dispose d’indices sans plus. Ainsi Ibn Battuta dit avoir rejoint, en 1353, une caravane traînant 600 femmes de Takada au Maroc. Le Polonais Radziwill qui sé- journe au Caire en 1582/83 voyait régulièrement des marchés présentant 2000 esclaves { des prix très bas. L’historien Raymond Mauny qui étudié le problème sa vie durant, arrive à une estimation de 20 000 Noirs déportés chaque année à travers le désert, soit deux millions par siècle du VIIIe au XIX°. 44 Après une analyse fine Ralph Austen propose la fourchette de 1000 à 6000 par an entre 600 et 1700, soit un total fluctuant de un à six millions, à quoi il ajoutait 1 290 000 autre de 1700 à 1890. Herbert Klein remontait ce bilan de 5000 à 10 000 par an. Fran- çois Renault, pour le XVIIIe siècle estime à150 000 les arrivées à Tripoli et 650 000 celles de l’Egypte. 45 On entre dans une précision plus fiable pour Tripoli car fondée sur les correspon- dances consulaires. Autre indice, Tripoli réexportait une partie de ces Noirs à Constanti- nople, en Grèce et dans les îles de l’Egée en nolisant des navires chrétiens dont les ar- chives subsistent. Elles dénoncent clairement la continuation du trafic par les Français après l’abolition prononcée par la Convention en 1794. Le score n’était pas mince puisque chaque navire embarquait en moyenne 200 à 250 esclaves. Au fil des ans le tra- jet s’était déporté de Tombouctou vers le Fezzan dont le cheik, depuis 1626, payait un tribut annuel de 4000 mitkals payables moitié en poudre d’or et moitié en esclaves (en- viron 70 esclaves). 46 Quoi qu’il en soit tous les indices convergent pour attester la continuation d’une traite que les Européens n’ont jamais tarie, tout au plus l’ont-ils ralentie. Conclusion 47 Notre propos focalisé sur les esclaves n’a pas tenu compte du commerce conjoint de l’or et le l’ivoire africain, toujours actif. La Méditerranée se trouve ainsi au centre d’un double courant, celui bien connu qui alimente les flux de Chrétienté en Islam et celui plus mystérieux d’Afrique Noire en pays arabes et turcs. 48 Elle n’a donc pas perdu son rôle de centre dans une économie intercontinentale foulant aux pieds le plus élémentaire humanisme et plaçant à égalité deux mondes reli- gieux théoriquement assoiffés de la grandeur de l’homme, mais qui n’ont rien { s’envier sur le chapitre de l’esclavage. Notes 1 - Le texte arabe et la traduction de ces deux ouvrages publiés pour la première fois en 1913-1914 ont été réédités en 1981 par la Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, Paris. 2 - Ennaji (M), Soldats, domestiques et concubines. L’esclavage au Maroc au XIX° siècle, Casablanca, EDDIF, 1997
  • 36. [36] 3 - Diego de Haëdo, Topographie et histoire générale d’Alger, Editions Bouchène, 1998, p. 145 4 - Meillassoux (C), L’esclavage en Afrique précoloniale, Paris, Maspéro, 1975. 5 - Parue en 12 volumes de 1704 à 1712. 6 - Lange (D), « Un document de la fin du XVIIe siècle sur la traite transsaharienne », RHFOM, 1979, n° 242-243, p 211-219. Bibliographie Abréviations : A.E.S.C = Annales, Economie, Société. C.T = Cahiers de la Tunisie. J. A. H = Journal of African History. R. H = Revue Historique. R. T =Revue Tunisienne. R.T.S.S = Revue tunisienne de Sciences sociales. Histoire chronologique du royaume de Tripoli, B.N. Paris, Ms fs n°12 219, ff 10et 108 et n°12 220 ff 56 et 261 (écrit par un chirurgien français esclave à Tripoli de 1668 à1676) ABIR (G), "Slavery in nineteenth Century Egypt", J.A.H., vol 8 n°3, 1967. ARANDA (E), Relation de la captivité et liberté du Sieur Emmanuel d'Aranda, Paris, 1657, nou- velle édition sous le titre : Les captifs d'Alger, Paris, J.P. Rocher, 1997. ARVIEUX (Chevalier d'), Mémoires, édités par le père J.B. Labat, Paris,1737, vol.V. AUBIN, La Perse d'aujourd'hui, Paris, 1908. AYALON (D), L'esclavage du Mamelouk, Jerusalem, 1951. BACHROUCH, "Rachat et libération des esclaves chrétiens à Tunis au XIIe siècle", R.T.S.S., 1975, n°40 3,p 121-162. BAER (G), "Slavery in nineteenth century Egypt", J.A.H., 1967, N°3, p 417-441. BELHAMISSI (M.), Les captifs algériens et l'Europe chrétienne (1518-1830), Alger, Entreprise Nationale du Livre, S D. BENNASSAR (B. et L.), Les Chrétiens d'Allah. L'histoire extraordinaire des renégats XVIe XVIIe siècles, Paris, 1989. BENNASSAR (B.), L'homme espagnol, attitudes et mentalités du XVIe au XIXe siècle, Paris, Ha- chette. BENNASSAR (B), Valladolid et ses campagnes au XVIe siècle, Paris, 1967. BENNET (N.R.), "Christian and negro slavery in eighteenth century North Africa", J.A.H., vol I, 1980, p 64-82. BONO (S), « Esclaves musulmans en Méditerranée », Actes du Colloque d’Aix-en-Provence 1987. BONO (S) : Schiavi musulmani nell’Italia moderna, Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1999.
  • 37. [37] BOYER (P), « Alger en 1645 d'après les notes du R. P. Hérault », Revue de l'Occident Méditer- ranéen et Musulman, n°17, 1974, p 19-41. BRAHIMI (D), Voyageurs français au XVIIIe siècle en Barbarie, Thèse, Lille, 1976. BRESC (H sous la direction de,), Figures d'esclaves au Moyen-Age et dans le monde moderne, Paris, L'Harmattan, 1996. BUXTON (T.F.), De la traite des esclaves en Afrique, Paris, 1840. CARRIERE (Ch.), Les Négociants marseillais, Marseille, 1973, 2 vol. CASTEL (J. du), Relation des voyages de Monsieur de Brèves, Paris 1628. CHASTELET des BOYS, L'Odysée ou Diversité d'Aventures, rencontres et voyages en Europe, Asie, Afrique par le Sieur Ch. des B; La Fèche, 1665. Repris par Ch. Monchicourt in Revue Afri- caine, 1866-1870. COLLENBERG (W.H. Rudt), Esclavage et rançons des chrétiens en Méditerranée, Paris. CONTRERAS (Capitan Alonso), Mémoires, Paris, Viviane Hamy, 1990. COPPIN (Père J.), Le bouclier de l'Europe ou la guerre sainte, Lyon, 1686. DAN (Père F.), Histoire de la Barbarie et de ses corsaires, Paris, 1649. DUBOIS (C), "La traite des esclaves dans la littérature coloniale : exotisme humanitaire ou sordide réalité?", in Littérature et temps colonial, sous la direction de Henry (J.R.) et Martini (L.), Paris, EDISUD, 1999. EDRISI, Description de l'Afrique et de l'Espagne, Traduit par Dozy et Golje, Leyden,1866. ENCYCLOPEDIE de l'ISLAM. Article ABD, Paris, Maisonneuve, 1960. ENNAJI (M), Soldats, domestiques et concubines, Casablanca, Ed. EDDIF, 1997. ESCALIER (E.) et PETIT (M), Le libérateur des esclaves, Jean de Matha, Raphele les Arles, 1960. FAYE (J. de la), MACKAR(D), ARCISAS(A. d’) et LE ROY(H), Relation en forme de journal du voyage pour la rédemption des captifs aux royaumes de Maroc et d’Alger pendant les années 1723, 1724 et 1725, Paris, Bouchène, 2000. FISHER(Allen G.B.) et FISHER (Humphrey J.), Slavery and Muslim Society in Africa, Londres, C. Hurst & C°, 1970. FONTENAY (M.), "La place de la course dans l'économie portuaire : l'exemple de Malte et des ports barbaresques", A.E.S.C., 1968, p. 1321-1347. FONTENAY (M) : "Le Maghreb barbaresque et l'esclavage méditerranéen aux XVIe et XVIIe siècles, Actes du v) Congrès d'Histoire et de Civilisation du Maghreb, Les Cahiers de Tunisie, T XLV (1991) N° spécial 157-158, Tunis,1993. FONTENAY (M) : "L'esclavage en Méditerranée occidentale au XVIIe siècle", Association des Historiens modernistes des Universités, N°14, Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 1989. FRANK (L), Mémoire sur le commerce des nègres au Caire, Strasbourg, 1802. GALLAND, Histoire de l'esclavage d'un marchand de la ville de Cassis à Tunis, Paris, La Biblio- thèque,1993. GARRARD (T.M.), "Myth and metrology : the early tras-saharan gold trade, J.A.H..1982,N°23, p443-461. GODEFROY, COMELIN et Philémon de la MOTTE, Etat des royaumes de Barbarie, Tripoli, Tunis et Alger, Rouen,1731. GORDON (M.), L' esclavage dans le monde arabe, Paris, R. Laffont, 1987.
  • 38. [38] GRANDCHAMP (P), "Une mission délicate en Barbarie au XVIIe siècle .J. B. Salvago, drogman vénitien à Alger et Tunis", Revue Tunisienne, 1937, p 299-322 et 472-501. GRANDCHAMP (P) : "Autour du consulat de France à Tunis", Revue Tunisienne, 1943, p122- 126. HAEDO (Frey Diego de), "Topographia e Historia general de Argel", Traduit par Monnereau et Berbruger, Revue Africaine, XL, 1896. HAEDO (Frey Diego de) : Topographie et histoire générale d’Alger, Paris, Bouchène, 1998. HAEDO (Frey Diego de) : Histoire des rois d’Alger, Paris, Bouchène, 1998. JAUSSEN (A), Coutumes des Arabes en pays de Moab, Paris, 1908. LA MOTTE, Voyage pour la rédemption des captifs, Paris, 1721. LA MOTTE, Etat des royaumes de Tripoli, Alger, Tunis, Rouen, 1703. LARQUIE (Cl), "Les esclaves à Madrid à l'époque de la décadence (1650-1700)", R . H, Sept. 1970, p 41-74. LAUGIER de TASSY, Histoire du Royaume d'Alger, Amsterdam, 1725. LESPES, Alger, Paris, 1930 LE TOURNEAU (R), Fes avant le Protectorat, Casablanca, 1943. LEWIS (B), Race et esclavage au Proche Orient, Paris, Gallimard, 1990. MASCARENHAS (J), Esclave à Alger, Paris, Chandeigne, 1993. MASON (M), "Captive and client labour and the economy of the Bida emirate", J.A.H., 1973, N°3, p.453-471. METHIEX (J), "Trafics et prix d'hommes en Méditerranée aux XVII°et XVIIe siècles", AESC., 1954, p 157-164. MORSY (M), "Moulay Ismail et l'armée de métier", Revue d'Histoire contemporaine, avril-juin 1967. N'DAMBA KABONGO, Les esclaves à Séville au début du VIIe siècle, Université de Toulouse le Mirail, 1977 (édition microfiche). ORSINI-AVILA (F), Les esclaves de Lucena (1539-1700), Paris, Publications de la Sor- bonne,1997. PELLISSIER (E), La Régence de Tunis au XIXe siècle, Paris, 1845. PENZ, Les captifs français au Maroc au XVIIe siècle, Rabat, 1944. PETIET (C), L'Ordre de Malte face aux Turcs. Politique et stratégie en Méditerranée au XVIe siècle, Paris, Herault, 1996. PIGNON (J), "Une expédition marseillaise sur les côtes barbaresques (1616). L'armement Vinche guerre", in Mélanges J. Despois, Paris, 1973. PIGNON (J) : "Gènes et Tabarca au XVII°siècle", C. T., 3°-4° trim., 1979, p1-41. PIGNON (J) : "L'esclavage en Tunisie de 1590 à 1620, R. T., 1930, p18-37. PUCKLER-MUSKAU, Chronique, lettres, journal de voyage, Paris, 1837, 3vol. RENAULT (F), La traite des Noirs au Proche-Orient médiéval (VII°-XIXe siècles), Paris, Geuth- ner, 1989. RENAULT (F) : "La traite des esclaves noirs en Libye au XVIIIe siècle", J.A.H.,1982, N° 23,p.163- 181.
  • 39. [39] SADOK (B), La Régence de Tunis au XVIIe siècle, ses relations commerciales avec les ports de l'Europe méditerranéenne, Marseille, Livourne, Zaghouan, 1987. SAVAGE (E.),"Berbers and Blacks : Ibadi slave traffic in eighth century North Africa, J.H., 1992, N°33,p351-368. SEBAG (P), Tunis au XVIIe siècle, Paris, L'Harmattan,1989. SHEFIQ (A), L'esclavage au point de vue musulman, Le Caire, 1891. STELLA(A), Histoires d’esclaves dans la péninsule ibérique, Paris, EHESS, 2000. THEVENOT (J), Voyages, in Voyages en Europe, Asie et Afrique publiés par, Petis, Amesterdam, 1727, vol 5. TURBET DELOF (G), L'Afrique barbaresque dans la littérature française aux XVIe et XVIIe siècles, Genève,1973. VALENSI (L), "Esclaves chrétiens et esclaves noirs à Tunis au XVIIe siècle, A.E.S.C., nov- déc 1967, p 1267-1288. VENTURE de PARADIS, Tunis et Alger au XVII°siècle, Paris, Sindbad, 1983. VERLINDEN (Ch), L'esclavage dans l'Europe médiévale, Bruges-Gand, 1955-1977, 2 vol. VISSIERE (J.L.), "Les Pères trinitaires et la rédemption des captifs", Colloque d'Aix-en- Provence,1987. ZEYS, Esclavage et guerre sainte, Paris, 1900. Pour citer cet article Référence électronique Jean-Michel Deveau, « Esclaves noirs en Méditerranée », Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne, 2002, [En ligne], mis en ligne le 15 octobre 2004. URL : http://cdlm.revues.org/document27.html. Consulté le 02 fé- vrier 2009. Auteur Jean-Michel Deveau C.M.M.C - Université de Nice-Sophia-Antipolis Paru dans Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne , 2002
  • 40. [40] L'esclavage des Noirs en terre d'islam « Il est en islam un clivage choquant que nul n'ose dénoncer, de peur sans doute de soulever le couvercle qui couvre le puits : celui de la couleur de peau des esclaves. Certes, l'islam rappelle aussi clairement que possible à ses adeptes qu'il n'est fait au- cune différence entre un Arabe et un Barbare (A'jami), si ce n'est le degré de foi de chacun. Mais la réalité est plus complexe. Sur le plan des représentations, on doit constater que le regard négatif porté sur le Noir s'est cristallisé depuis l'Antiquité, ce que la tradition arabe, puis la doxa musulmane n'ont fait qu'entériner. [...] Si nombre de musulmans ne voient là qu'une vétille qui ne mérite pas qu'on s'y attarde et la prenne au sérieux, beaucoup d'autres, noirs de peau ceux-là, en souffrent terrible- ment et commencent à le dire. Ce tabou se dissimule dans les replis d'une fausse certi- tude selon laquelle, en islam, il n'y aurait ni esclavagisme, ni ostracisme, ni même ra- cisme, hypothèse naïve, à l'évidence, qu'un auteur comme Bernard Lewis dans "Race et couleur en islam" déconstruit avec son habituelle dextérité [...] » Malek Chebel Partie 1 - L'esclavage des Noirs en terre d'islam Partie 2 - Le racisme antinoir ordinaire Partie 3 - A l'assaut de l'Afrique Partie 4 - La traite des Blancs en Europe Partie 5 - L'esclavage sexuel Partie 6 - Esclaves militaires, chasses aux nègres et razzias Partie 7 - Conclusion Avant propos Pour prévenir les éventuelles récupérations de cet article à des fins diverses, il con- vient d'expliquer que ce qui a motivé son écriture. Cet article est né de la volonté de ré- futer les mensonges affirmés de manière péremptoire sur la question de l'esclavage des Noirs en terre musulmane pendant plusieurs siècles. Beaucoup de prosélytes musul- mans se permettent en effet de réécrire l'Histoire de la traite et de l'esclavage des Noirs en pays d'islam en retranchant cyniquement la vérité historique afin de mieux la rem- placer par des mythes. À les entendre, les esclaves noirs étaient bien traités et pas le moindre racisme n'est venu obscurcir ce magnifique tableau. Ça en devient même pathé- tique de voir le surgissement de ce négationnisme et de voir la masse d'arguties réquisi- tionnées pour en constituer le socle. Cet article démontrera par conséquent qu'il n'y a pas de quoi fanfaronner vis-à-vis de ce que les Africains déportés ont dû subir en Afrique du nord ou au Moyen-Orient. Et surtout que le racisme, la bêtise et le racisme ordinaires étaient leur lot quotidien bien avant que les Européens ne s'y mettent. Ceux qui défen- daient jusqu'ici cette théorie de l'esclavage « jovial et humain » en terre d'islam sans sa- voir de quoi il retournait, tout comme ceux qui se contentaient de répéter bêtement des inepties inventées de toutes pièces par des théologiens qui confondent leur ego avec la vérité historique, vont vraiment tomber de haut. Mais alors de très très haut.
  • 41. [41] Introduction Depuis toujours, on nous a affirmés avec une certaine assurance péremptoire que la traite et l'esclave institués dans les pays arabes étaient différents de ce qui s'était passé aux Amériques. Pour preuve, on démontrait cette différence fondamentale avec un ar- gument imparable : les Arabes réduisaient en esclavage tout le monde, sans distinction de couleur alors que les Européens s'étaient racialement spécialisés sur les Africains. Mais est-ce que cela signifie pour autant que la race n'a joué aucun rôle tout au long de l'histoire dans les pays musulmans dans lesquels une forte population servile existait ? À l'origine, les Arabes sont uniquement les habitants de la péninsule arabique. C'est grâce à la révélation du Coran qu'ils partent à la conquête, d'abord du Proche-Orient, puis de l'Afrique, de l'Europe et du monde. Lors de ces conquêtes militaires, ils rencon- trent d'autres peuples qu'ils soumettent et auxquels ils imposent, très souvent, leur langue. Ces peuples - parfois sémites, parfois pas du tout - sont automatiquement quali- fiés à leur tour d'« Arabes » par les Européens à partir du moment où ils parlent la langue des conquérants de la péninsule arabique. D'où la confusion constante entre « Arabes » et « musulmans ». Une exposition sur l'ancienne Nubie à Paris ? Et c'est L'Ins- titut du monde arabe qui l'organise. Or la Nubie légendaire n'a rien à voir avec le monde arabe, ni de près ni de loin. Mais la confusion s'opère du seul fait que les Nubiens con- temporains parlent aujourd'hui l'arabe et sont en majorité musulmans. C'est un peu comme si on disait que la civilisation inca était espagnole sous prétexte que les descen- dants de ces Incas sont devenus chrétiens et parlent de nos jours l'espagnol pour une bonne partie d'entre eux. Les Mésopotamiens (d'Irak) de l'époque de Nabuchodonosor II, par exemple, étaient des Sémites, mais pas des Arabes. À cette époque, les tribus sé- mites du Moyen-Orient étaient des tribus cousines, parlant une langue voisine, ayant des us et coutumes très proches mais on ne les qualifiait pas encore d'arabes. On ne parlera des peuples sémites d'Irak, de Syrie, du Liban etc. comme étant des « Arabes » que lors- que l'expansion des tribus bédouines d'Arabie, portant le fer au nom de l'islam, les ara- biseront en imposant leur langue et leur religion. Des peuples non-sémites, comme les Kurdes, les Perses (ces deux peuples sont cou- sins et parlent des langues indo-européennes) et les Berbères d'Afrique du nord s'isla- miseront et adopteront la langue arabe, ce qui fera, qu'à leur tour, on les assimilera aux originaires de la péninsule arabique bien qu'ils ne soient pas sémites sur un plan an- thropologique. Les Turcs ottomans s'islamiseront eux aussi sans pour autant être assi- milés à des « Arabes ». Comme préciser à l'instant, les Arabes, dans le cadre qui nous intéresse ici, sont intimement liés à l'islam puisque c'est en son nom qu'ils partent à la conquête du monde. Lorsque le mot « islam » ne prend pas la capitale, il s'agit explicite- ment de la religion en tant que telle. Lorsqu'il prend la majuscule, le terme « Islam » dé- signe l'ensemble des populations musulmanes ainsi que la civilisation et les sociétés islamiques. Les Africains rencontreront donc tous ces peuples durant l'Histoire mais nous nous concentrerons sur la période située entre le 7ème et le 20ème siècle en prê- tant une attention toute particulière sur le traitement réservé aux Africains et aux métis d'Africains dans un contexte d'asservissement. L'esclavage dans les textes Que disent les textes au sujet de l'esclavage ? En fait, l'esclavage est une pratique mil- lénaire qui existait sur tous les continents. La Bible et le Talmud acceptent l'esclavage,
  • 42. [42] tout comme le Coran. Talmud, Bible et Coran réclament que les esclaves soient bien trai- tés - on imagine, certes, mal lire le contraire. Cependant, aucun d'entre eux ne le con- damne fermement, ni ne l'interdit. Dans le Talmud, pour inciter les juifs à bien traiter leurs esclaves, il leur est rappelé la période où ils furent eux-mêmes « esclaves en Égypte ». Dans le nouveau Testament, les traducteurs ont parfois remplacé le terme « esclave » par le mot « serviteur » pour des raisons « morales ». On lit dans Éphésiens (VI, 6) : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et tremblement, dans la simplicité de votre cœur, comme { Christ ». Puis plus bas, le mot « serviteur » disparait soudainement : « sachant que chacun, soit es- clave, soit libre, recevra du Seigneur, selon ce qu'il aura fait » (Éphésiens, VI, 8). On remarque que dans le premier cas, c'est une injonction à servir le maître sans re- chigner : les traducteurs ont donc volontairement employé le mot « serviteur » afin de ne pas contredire le message biblique qui prétend libérer l'Homme. Or le terme grec qui est traduit ici est doulos. Dans le deuxième cas, afin de démontrer l'ouverture du chris- tianisme, les traducteurs ont, cette fois, laissé le mot « esclave » car, dans ce contexte, la phrase évoque un aspect positif du Livre qui ne distingue pas les êtres selon leurs condi- tions. Pourtant, ici aussi c'est le terme grec doulos qui a été employé pour désigner des esclaves. En somme, le terme doulos a été employé dans les deux cas mais selon l'image qu'ils voulaient donner, les traducteurs ont transposé le terme doulos, soit en serviteur, soit en esclave. Dans l'Arabie préislamique, l'asservissement est, comme dans beaucoup d'endroits du monde, au cœur des sociétés pastorales des bédouins du désert. Le prophète de l'islam se chargera d'« adoucir » l'esclavage en lui donnant un cadre plus « humain ». Il appelle les musulmans à traiter leurs esclaves avec bonté, à bien les nourrir, à partager la nourriture avec eux, à ne pas être démesurément sévères dans les punitions infligées en cas de faute et à les affranchir dans certaines conditions. Tous ces versets existent dans le Coran. Cependant, rien n'est exigé. Ce ne sont pas des sommations mais des re- commandations : il n'est, à aucun moment, question d'ériger l'esclavage en interdit abso- lu. Pourtant, on trouvera des théologiens pour jouer sur les mots et faire passer ce mes- sage, en faveur du bon traitement des esclaves, pour un message abolitionniste exigeant l'abrogation de l'esclavage. Or remettre en cause le traitement d'un homme exploité n'est pas la même chose que de dénoncer sa condition servile à telle enseigne qu'un par- tisan de l'esclavage peut, pour des raisons morales, refuser que des abus soient perpé- trés contre des gens en servitude sans pour autant considérer cette servitude comme une aberration morale. Visiblement, certains n'arrivent pas à appréhender cette com- plexité sémantique et en profitent pour semer la confusion là où elle n'a pas lieu d'être. Extraits du Coran : « Ceux qui parmi vos esclaves demandent [leur affranchissement] par écrit, donnez-le- leur si vous avez une bonne opinion d'eux et faites leur des largesses avec les biens dont Allah vous a comblé ; [La voie droite], c'est de libérer ceux qui sont captifs »[i] L'affranchissement est ici conditionné (par la phrase « si vous avez une bonne opinion d'eux ») à un jugement fondé sur le mérite. On retrouvera cette condition dans un autre verset du Coran cité par M. Chebel : « Quant à ceux de vos captifs qui désirent s'affranchir, rédigez en leur faveur un accord qui stipule leur liberté, pour autant qu'ils l'aient méritée » (XXIV, 33). Là aussi, la condition de l'affranchissement est claire : on incite à libérer les esclaves tant que ceux-ci le méritent mais ce n'est pas une injonction. Un autre passage est encore plus en contradiction ave le mythe de l'abolitionnisme contenu dans le Co-
  • 43. [43] ran : « Dieu a favorisé les uns par rapport aux autres en matière de richesse et de biens. Ceux qui ont été favorisés vont-ils jusqu'à partager leurs biens avec leurs esclaves de sorte qu'ils deviennent leurs égaux ? Douteraient-ils des bienfaits de Dieu ? » (XVI, 73). Ce pas- sage du Coran dit que si Dieu a choisi de faire des inégaux en richesse ce n'est pas pour que les riches aillent ensuite, d'eux-mêmes, partager leurs biens avec les pauvres ou leurs esclaves. Le faire, c'est tout simplement douter de celui qui établit cette hiérarchie de classe. Donc, douter de dieu. Alors certains s'offusqueront : si l'esclavage est si inhumain, pourquoi ne pas avoir exprimé explicitement son interdiction en faisant de ses partisans des ennemis de l'islam, tout simplement ? Le Coran est rempli d'interdits d'ordre sexuel et alimentaire, pourquoi pas un interdit sur cette question bien précise si elle était si importante ? En fait, pour se distinguer de la traite et de l'esclavage occidental, certains théologiens mu- sulmans ont réécrit l'Histoire en leur faveur afin de faire dire à des versets du Coran ce qu'ils n'ont jamais voulu dire. Là où il n'était question que d'invitation à un affranchis- sement très souvent conditionné, ils ont traduit cela par un rejet total de l'esclavage. Et dans cette opposition comparative, perpétuelle et concurrentielle avec la traite et l'es- clavage des Noirs par l'Occident, on a cherché à établir un « pire » et un « moins pire », tout en faisant de ce « moins pire » un modèle comparé au « pire ». Sauf que ce qui fonde la nature d'une bonne conduite, ce n'est pas son opposition au « pire » mais bien ce qui la constitue intrinsèquement, en tant que telle. On ne peut par conséquent affirmer sentencieusement que le « Coran prône l'abolition de l'esclavage » que s'il le prône concrètement, effectivement et non pas parce que sa position est « moins pire » que celle des autres Livres. Ainsi, l'affirmation selon laquelle le Coran prône l'abolition de l'esclavage est fausse. Tout simplement fausse. On peut jouer sur les mots, détourner les débats, faire des pirouettes rhétoriques, tout cela n'y changera rien. Les mots ont un sens bien précis. Autre point à préciser : les esclaves dont il est question dans le Coran ne sont pas que des Noirs mais sont constitués de Noirs, de Perses, comme de membres d'autres tribus arabes. Pourtant, là aussi, on a tendance à croire que, dès qu'il est question d'esclaves, il s'agit forcément d'Africains et d'eux seuls. Les premiers esclaves des Arabes sont d'autres Arabes. « L'abolition, affirme Malek Chebel, n'est pas un système étatique, structuré comme tel, non plus qu'un puissant leitmotiv du Coran. Le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative personnelle du maître. Cette ambiguïté est constructive de l'approche coranique : encourager ceux qui font le bien, mais ne pas alourdir la peine de ceux qui ne font rien. Plusieurs versets entérinent au demeurant l'infériorité de l'esclave par rapport à son maître. [...] Il faut rappeler que l'islam des débuts était infiniment plus humaniste, et sans doute aussi plus spirituel, que celui des siècles ultérieurs. L'esclavage y était considéré comme une calamité naturelle dont il fallait prémunir sa famille et la grande famille des croyants - hormis toutefois la servitude de l'ennemi, celle du captif, celle que l'on acquiert par suite d'un achat, d'une guerre, d'une razzia ou d'un troc. Mais la jurisprudence est floue, nuan- cée, alambiquée. En réalité, deux doctrines tranchées s'affrontent en islam : la première est celle des féodaux qui distordent le sens des versets coraniques pour les rendre plus favo- rables à leur commerce ; la seconde est celle des abolitionnistes qui prennent prétexte de la loi coranique pour affranchir à bon prix leurs esclaves ou parfois affranchir les esclaves des
  • 44. [44] autres. Car certains ne touchent pas aux leurs, qu'ils appellent tantôt "enfants", tantôt "fils" ou "filles " et qu'ils regardent comme de véritables enfants adoptifs [...] Si l'islam interdit vraiment l'esclavage, pourquoi le Prophète aurait-il "détaxé" la pro- priété de l'esclave ? C'est ce que nous apprend un théologien comme El-Bokhari (Traditions islamiques, t. I, p. 477), qui dit tenir le propos d'Abû Horaira (VIIème siècle), l'une des sources les plus fiables de la Tradition. Après l'avoir entendu du Prophète en personne, ce- lui-ci aurait dit que "Le Musulman ne doit pas la dîme, ni pour son cheval, ni pour son es- clave". Aussi, les grands seigneurs n'hésitaient-ils pas à garnir leurs palais d'esclaves, au même titre que de tapis somptueux ou de marbres les plus chers »[ii] Le droit musulman (la charia) réglementait les peines infligées aux esclaves reconnus de délits ou de crimes. Pour un esclave reconnu du délit de fornication, le tarif était de 50 coups de fouet alors que pour un Arabe libre il était de 100 coups. Le faux témoignage d'un esclave se voyait puni de 40 coups de fouet alors que celui d'un homme libre l'était de 80. Magnanimité vis-à-vis des esclaves ? Absolument pas. Pour le droit musulman, l'esclave est une sorte d'être irresponsable de ses actes. Il est en dehors de la raison hu- maine et on lui concède une faiblesse d'esprit telle qu'on ne lui reconnait qu'une semi- responsabilité. Le mépris vis-à-vis des esclaves est tel que, comme le note L. Franck au sujet de l'esclavage en Tunisie en 1810, « tant qu'une négresse est esclave, elle peut aller dans les rues à visage découvert ; mais dès qu'elle est devenue libre, la décence exige qu'elle se couvre d'un voile, comme les femmes mauresques »[iii]. Tout cela pour dire que l'escla- vage en tant quel tel ne posait aucun problème sur le plan de sa réalité sociale ni à la population ni aux théologiens de l'islam. Ils ont codifié tout un tas de règles dont le but n'a jamais été d'abolir l'esclavage mais bien de le cadrer afin que cet état, ainsi que le commerce qui en découle, perdure au bénéfice de toute la société et en particulier aux Jellab, un des noms donnés chez les Arabes aux marchands d'esclaves. Au Caire, au 19ème siècle, les imams couvrent ouvertement le trafic d'esclaves par des fatwas et ils ferment les yeux sur l'ignoble trafic tant qu'ils y trouvent un intérêt. Il se créa effectivement un office spécialement dédié à la question du trafic d'esclaves, constituant une preuve de la reconnaissance morale et religieuse de ce trafic. Il se nom- mait Service des esclaves auprès de la corporation des esclavagistes (meslahat ar-raqîq bi- wakalat al jallaba). Sa mission était « de surveiller les transactions et les rentrées massives d'argent [et] fut dirigé successivement par Hajj ‘Ali (1826), Ismai'il ben Radi (de 1833 { 1834), Hajj ‘Abd al-Karim ‘Ali (1826) et de nouveau par Isma'il (sic) ben Radi de 1843 { 1852 »[iv] Malek Chebel précise encore : « de fait, les anciens théologiens décrètent que tel ou tel métier manuel est vil - ainsi ventouseur, sacrificateur, phlébotomiste, tisserand, marchand de linceuls, coiffeur, tanneur, cordonnier, etc. - mais se refusent à inclure parmi eux le commerce d'esclaves. L'explication que l'on peut en donner tient au fait que les souverains eux-mêmes sont esclavagistes. Par conséquent, ils font appel aux services de marchands d'esclaves qui leur fournissent le quota qui les intéresse. Ni l'autorité publique, ni l'instance religieuse n'ont rien trouvé à y redire, les maîtres du pays eux-mêmes se livrent à ce trafic »[v] Les trois religions sont donc d'accord sur ce point : l'esclavage est partie intégrante des sociétés contemporaines à la naissance de l'islam, du judaïsme et du christianisme. Murray Gordon, professeur de science politique à la City University et auteur du livre L'esclavage dans le monde arabe, voit donc le prophète de l'islam plus comme un « ré- formiste » qu'un « révolutionnaire ». Il s'étonne d'ailleurs de voir certains penseurs mu-
  • 45. [45] sulmans utiliser cet alibi pour « soutenir que son véritable objectif était l'élimination gra- duelle de l'esclavage »[vi]. Car, en effet, face à lui, Mohammed avait une société dans la- quelle l'esclavage était la norme et, de peur de s'aliéner un maximum d'esclavagistes, il lui était impossible de condamner fermement cette pratique et d'en interdire l'usage alors qu'il était déjà marginalisé par les tribus païennes d'Arabie qu'il désirait ramener à sa foi. Mais bien évidemment, en l'adoucissant, il le légitimait en lui donnant un cadre légal. Ironie de l'histoire : c'est ce désir d'humaniser le statut de l'esclave qui va ensuite servir de prétexte aux musulmans pro-esclavagistes pour justifier le fait qu'ils possèdent des esclaves puisque, selon eux, le Coran ne remettait pas en cause ce droit. « En autorisant l'esclavage, le Coran ne posait pas les fondations d'une nouvelle institu- tion arabe ; simplement, il donnait sa bénédiction à ce qui constituait un mode de vie très ancien dans cette partie du monde. L'existence de l'esclavage impliquait que, au cours des années, un ensemble de règles normatives s'était instauré entre maîtres et esclaves qui fai- sait partie du tissu social de la société musulmane. En décrétant la validité de l'esclavage, le Coran accepte une discrimination entre les êtres humains, en accord avec l'ordre des choses divin. Dans cet ordre d'idées, l'esclave devait se résigner à servir son maître. Cepen- dant, le Coran voulut tempérer les rigueurs de cette institution en cherchant un équilibre entre les droits et les obligations du maître et de l'esclave. Si l'esclave avait l'obligation de servir son maître, il jouissait aussi de droits reconnus. Son propriétaire ne pouvait pas les ignorer et était légalement responsable de leur respect. Sur le plan spirituel, l'esclave pos- sédait la même valeur que l'homme libre en ce sens qu'il pouvait espérer les mêmes récom- penses éternelles pour son âme dans l'au-delà. Aux yeux de Dieu, il était l'égal de son maître. Sur un plan plus terrestre, le Coran se souciait autant des besoins sociaux et hu- mains de l'esclave que de ses droits légaux. On trouve ici reflétées les vues du droit isla- mique qui considéraient l'esclave à la fois comme une chose, c'est-à-dire un bien meuble, et comme une personne. [...] Dans la classification des propriétés, le statut de bien mobilier de l'esclave était renforcé qu'il était mis dans la même catégorie des animaux, au sort des- quels le sien ressemblait fort »[vii] Plus les conquérants musulmans s'emparaient de nouvelles terres et plus l'esclavage devint, aux termes de la loi islamique, difficile puisqu'il était interdit d'asservir des per- sonnes musulmanes nées libres au sein de la société, sauf si elles étaient nées de parents esclaves ou si elles avaient été faites prisonnières au cours du jihad. C'est Omar, le deu- xième calife de l'islam, qui prononça cette fatwa interdisant aux musulmans d'asservir d'autres musulmans. Le jihad fournit ainsi la plus grande source des esclaves durant les premiers siècles d'expansion de l'islam. Mais une fois les frontières stabilisées, les popu- lations d'esclaves ne pouvaient, { elles seules, satisfaire le besoin d'une main d'œuvre servile toujours plus nécessaire. Ce sera donc l'achat et les razzias au-delà des frontières des terres musulmanes qui vont prendre le dessus. En Espagne, depuis le 10ème siècle, des esclaves « slaves » sont des milliers à être asservis par les Omeyyades - ces derniers prolongeaient le califat des Omeyyades de Syrie qui fut déposé par les Abbassides d'Irak au milieu du 8ème siècle. Le « Slave » asservi par les Omeyyades est, comme à l'accoutumée dans les pays mu- sulmans, eunuque, « concubine », domestique de maison ou de cour, soldat, chanteuse, danseuse, secrétaire particulier, travailleur manuel, gardien de lieux, etc. Les Arabes nomment « slaves » (saqâliba) tous les peuples « blancs » d'Europe. De ce fait, lorsque l'on entend parler de « slaves » en réalité ça peut tout aussi bien concerner des Slaves réels que des Ibériques, des Germains, des Grecs, des Caucasiens, des Italiens, des Français etc. Dans cette appellation, aux premiers siècles de l'islam, on y trouvait
  • 46. [46] même les Turcs qu'ils asservissaient par dizaines de milliers en les achetant ou en les razziant en Asie Centrale. Les païens turcs étaient présentés comme de bons esclaves- soldats qui faisaient d'excellents archers. Des Africains viendront aussi combler ce lot de malheureux en constituant peu ou prou les mêmes catégories de servitude. Au cœur de l'expansion de l'islam il y a donc le jihad - la guerre sainte. Le jihad est un alibi parfait puisque celui-ci permet de partir en guerre au nom de l'expansion de la foi islamique et de soumettre des populations à l'esclavage. Car, dans ces conditions bien précises, les victimes infidèles de ce jihad sont esclavagisables aux yeux de la charia : « Le jihad» est une pratique typiquement islamique à laquelle on ne peut recourir en toute légalité que dans le but de consolider ou étendre la loi islamique. Toutes les autres formes de guerre (harb) dressant des musulmans contre d'autres musulmans étaient inter- dites parce que considérées comme brutales, impies et motivées par des intérêts terrestres. Pour les propagandistes, le jihad représentait une autorisation bien pratique de faire la guerre aux infidèles. [...] Des milliers de prisonniers étaient ramenés en territoire musul- man et réduits en esclavage par les armées victorieuses de l'islam, qui déferlaient sur l'Asie, l'Afrique du nord et le sud de l'Espagne [...]On dispose d'assez d'éléments pour affirmer que la capture d'esclaves resta un puissant motif de guerre même au cours des grandes cam- pagnes d'expansion militaire et religieuse»[viii] Au départ, l'esclavage des vaincus n'est supposé être qu'une conséquence du jihad. Mais très vite, le jihad ne deviendra qu'un prétexte pour rapporter des milliers d'es- claves. Il suffira de l'évoquer pour légitimer la capture d'hommes, de femmes et surtout d'enfants dans les territoires des infidèles et il va ainsi servir de prétexte systématique pour razzier des esclaves partout. La présence de cette multitude d'esclaves ne pouvait échapper à la codification. Et le premier code que l'on trouva sur la question des rap- ports maîtres/esclaves était présent dans la Moudawwana d'Ibn al-Qasim qui a été re- censée par l'imam tunisien Abû Saïd Sahnoun - né à Kairouan (Tunisie) en 777. Ibn al- Qasim était un éminent juriste égyptien qui rencontra l'imam Malik ben Anas à Médine. Malik fut le fondateur du malékisme, l'une des premières écoles de l'islam sunnite légifé- rant sur le droit musulman. Née au 7ème siècle, cette école prédomine aujourd'hui en Afrique du nord et demeure influente en Afrique de l'ouest : un musulman sur cinq s'en réclame. Des érudits comme Ibn Khaldun ou Ibn Battûta se reconnaissaient d'elle. Le malékisme a codifié les rapports entre maîtres et esclaves avec un souci certain. Cette Moudawwana est découpée en plusieurs « livres » dont les principaux articles sont : Livre du négoce en terre ennemie, Livre de la vente à option, Livre de tromperies, Livres de la « propriété sexuelle » (sic) etc. Le Livre de la guerre sainte traite de tout ce qui touche les captifs : « Article 8 bis : le dhimmi ne peut pas donner asile à un esclave de musulman en fuite » Article 8 ter : « selon le baqt, le Nubien qui appréhende un esclave appartenant à un mu- sulman, perdu ou en fuite, devra le rendre sans jamais soulever de protestation ou de diffi- culté en la matière » Article 9 : « l'esclave, marchand d'un ennemi, se convertit en terre d'islam : les mar- chandises lui restent et ne sont pas soumises au partagent (quint, cinquième du butin) » Article 11 : « L'esclave d'un ennemi s'islamise en terre ennemie puis est acheté par un musulman : il reste esclave »
  • 47. [47] Le Livre de la vente à option : Article 21 : « On échange un esclave contre un autre avec option durant laquelle il meurt. Question analogue pour une bête de somme, mais dont on a déjà versé le prix. L'op- tion passe aux héritiers de qui en est titulaire » Article 27 : « La revente à bénéfice d'une esclave déflorée avec qui ont a coïté. Cas où elle était vierge. Cela peut en diminuer le prix » Le Livre de la propriété sexuelle : Article 58 : « Les "parties honteuses" de l'esclave femelle appartiennent de droit à son maître. Il en va ainsi de son ventre (ses enfants) » Article 59 : « L'esclave ne peut se marier sans l'accord de son maître, mais ce dernier peut l'y obliger » Article 60 : « L'esclave ne peut épouser que deux femmes (contre quatre pour l'homme libre) Article 61 : « L'esclave n'a pas le droit de prendre d'«esclaves-concubines » (al-tassarri) Article 66 : « L'enfant de l'esclave revient à son maître, sauf si ce dernier ne le reconnaît pas. »[ix] Ces quelques articles (en tout il y en a 68) démontrent parfaitement un désir, non pas de faire de l'affranchissement une règle, comme le conseille le Coran, mais bien de l'ins- crire dans des règles, elles-mêmes adaptées à la loi islamique. En définissant ce qui était autorisé et ce qui était interdit, en validant et en invalidant telle opération de vente ou d'achat, c'est bel et bien un entérinement de l'esclavage qui est signé et non une rupture ou une culture de l'affranchissement. Le sunnisme, courant principal de l'islam, compte 4 écoles : le hanafisme, le malékisme, le chafiisme et le hanbalisme - qui donnera le wah- habisme saoudien après une reprise en main musclée d'al-Wahab au 18ème siècle qui exigeait un retour à l'islam des origines. Le Hanafisme réglementera lui aussi les droits des esclaves en traitant, sur plusieurs chapitres, tous les cas d'affranchissement, de fuites d'esclaves, des droits du maître sur son esclave etc. Tout est pensé et réglementé avec un souci du détail relevant de la précision suisse. Malek Chebel cite un troisième code qui, dès le premier article, laisse pantois : « La loi permet la vente de nègres réduits à l'état d'esclavage, parce qu'en général ils sont infidèles. Toutefois, elle s'oppose à la vente de ceux de ces individus qui proviennent des peuples mu- sulmans ou des populations amies de ces derniers ». La source n'est pas précisée car l'ori- gine est incertaine. On sait juste que ce code provient d'Afrique, de peuples sans doute à la lisière entre monde maghrébin et monde négro-africain. Malek Chebel évoque une possible origine haoussa mais on a du mal à imaginer que des Noirs promulguent un code dans lequel ils désigneraient les « nègres » comme pouvant être asservis à cause de leur kufr (incroyance). Quoique, ça ne m'étonnerait pas plus que ça vu le niveau d'aliéna- tion et le complexe d'infériorité que certains Africains musulmans faisaient par rapport aux musulmans blancs devant lesquels ils se courbaient comme s'ils faisaient face à des êtres supérieurs en tout point. Le dévouement de certains est assez consternant : En 1953, l'ambassadeur de France en Arabie Saoudite qui dénonça, grâce à la lecture d'une lettre à l'Assemblée nationale, les réseaux de traite d'esclaves institués par les Saoudiens
  • 48. [48] de Djedda et de la Mecque. Ces négriers modernes ne pouvant plus razzier des Africains, tentaient de les attirer par la ruse en envoyant...des émissaires Saoudiens d'origine afri- caine afin de tenter de duper les « nègres naïfs » à qui ils promettaient de payer le voyage du pèlerinage à la Mecque. Arrivés sur place, on confisquait le passeport des Burkinabais, Maliens et autres Soudanais roulés par leurs semblables avant de les distri- buer aux richissimes Arabes qui les avaient commandés. © Kahm Piankhy Source : www.Piankhy.com Notes [i] Coran (XXIV, 33) et (XC, 13). Cité par Malek Chebel « L'esclavage en terre d'Islam », p. 18 [ii] M. Chebel, op. cit., pp. 18, 20 et p. 43 [iii] Cité par M. Chebel p. 66 [iv] M. Chebel p. 167 [v] M. Chebel, op. cit., p. 34 [vi] Murray Gordon « L'esclavage dans le monde arabe », p. 25 [vii] Murray Gordon op. cit, p. 40-41 [viii] Murray Gordon, op. cit., p. 30-31-32 [ix] Cité par Malek Chebel, op. cit., p. 339 à 346 http://www.lepost.fr/article/2008/11/19/1331121_l-esclavage-des-noirs-en-terre-d- islam.html
  • 49. [49] Diaspora africaine, esclavage et Islam À propos de Slavery on the Frontiers of Islam, Lovejoy Paul E. (dir.) Matthieu Fintz p. 203-213 Référence(s) : Slavery on the Frontiers of Islam, Princeton, Markus Wiener Publishers, Lovejoy P. (ed.), 2004 Plan Esclavage en terre d’Islam et musulmans en terre d’esclavage Les frontières de l’Islam Les zones frontières de l’esclavage dans le Bilâd al-Sûdân Esclaves noirs et frontières de la pratique religieuse islamique au Maghreb Esclaves musulmans aux Amériques 1 C’est tout l’intérêt de Slavery on the Frontiers of Islam, ouvrage dirigé par Paul E. Lo- vejoy, que de revenir sur la formation des frontières entre Dâr al-Islâm et Dâr al-Harb, entre musulmans et non musulmans, entre hommes libres et esclaves et sur la place d’entre-deux du Bilâd al-Sûdân (le « Pays des Noirs ») dans cet écheveau de frontières. Ce faisant, les différents contributeurs confrontent aussi la logique scolastique de l’esclavage, telle que déployée dans les traités juridiques ou religieux, aux pratiques d’asservissement qui mettent en jeu les déterminations religieuses aussi bien que les configurations variées de différenciation sociale et politique. L’ouvrage est le fruit du travail accompli au sein du Nigerian Hinterland Project, programme de recherche héber- gé par la York University (Toronto, Canada), et mené en relation avec l’UNESCO et des universités ouest africaines. L’objectif de ce programme est de documenter la constitu- tion de la diaspora africaine issue de l’arrière-pays nigérian au temps de l’esclavage, de 1650 à 1900. 2 Dans cet ouvrage, Paul E. Lovejoy défend une « approche afro-centrique » dont le contenu n’est discuté que dans le dernier chapitre, même si le lecteur la devine dès les premières pages. Celle-ci consiste à « regarder vers l’extérieur depuis l’Afrique » (« to look outward from Africa ») (p. 234) et vise à contrebalancer la vision euro-centrique qui mettait davantage en valeur la subordination des esclaves à leur régime d’asservissement, au détriment d’une prise en compte des dynamiques, conflictuelles ou non, de production des identités au sein des populations asservies et des arrangements possibles entre diaspora et « homeland »1. Cette perspective, qui appréhende les rela- tions entre Islam et esclavage depuis les pratiques et points de vue de ceux qui ont cons- titué la diaspora africaine, explique en grande partie la volonté des auteurs de soumettre l’esclavage des mondes sub-saharien et atlantique au même questionnement en rappor- tant le regroupement de ces ensembles géographiques, culturels et politiques aux flux des populations asservies plutôt qu’aux idéologies de l’esclavage en Europe et dans le
  • 50. [50] monde musulman. L’organisation de l’ouvrage suit ainsi les itinéraires d’esclavage de- puis l’Afrique sub-saharienne, qui a retenu en son sein une partie importante des es- claves, jusqu’aux deux points d’arrivée de la diaspora africaine en Afrique du Nord et Méditerranée et aux Amériques. 3 La teneur des contributions réunies dans ce livre permet, par ailleurs, d’entrevoir rétrospectivement le chemin parcouru par les recherches menées sur l’esclavage et l’influence que les postcolonial, subaltern, et diaspora studies ont eu sur les questionne- ments pratiqués. Le champ d’étude se déploie désormais jusque sur les terrains de l’histoire orale2, permettant d’obtenir de précieux éléments biographiques sur les cons- tructions identitaires { l’œuvre chez les esclaves eux-mêmes et leurs descendants. L’utilisation de la masse documentaire que constituent les manuscrits arabes d’Afrique de l’Ouest restés longtemps inexplorés est toujours une ressource importante des re- cherches publiées dans ce livre. De cette utilisation, il apparaît clairement que l’idée pré- valente depuis les colonisations et jouant sur le couple absence d’écriture/ absence d’histoire du continent africain ne fut qu’un mythe arrangeant bien la « mission civilisa- trice » des puissances européennes. Grâce à ces manuscrits, il est désormais possible de documenter l’histoire de l’Afrique indépendante. Et le livre de Paul E. Lovejoy le fait en adoptant de nouveaux questionnements et de nouvelles méthodologies. L’ouvrage pro- pose en effet une stratégie de recherche qui s’éloigne des canons de l’histoire des idées islamiques relatives { l’esclavage pour se rapprocher d’une histoire des pratiques d’agency, c’est-à-dire des modalités historiques, donc flexibles et créatives, de percep- tion de soi parmi les membres de la diaspora africaine. 4 Avant de revenir sur la présentation des études de cas de l’ouvrage dans lesquelles ces questionnements et méthodologies sont déployés, il est peut être utile de donner quelques caractéristiques de l’esclavage en terre d’Islam, tel qu’il a pu être codifié et exercé aux frontières méridionales de Dâr al-Islâm. Esclavage en terre d’Islam et musulmans en terre d’esclavage 5 « L’imam [i.e. le leader musulman dirigeant le jihâd] devrait prendre en considéra- tion le sort des prisonniers adultes mâles, et prendre celle d’entre les options suivantes qu’il considère la plus salutaire : les mettre à mort, les libérer sans pénalité, demander une rançon pour eux, demander la taxe de capitation (jizya), ou les mettre en escla- vage ». Ainsi statue Khalîl ibn Ishâq al-Jundî, auteur d’une compilation juridique Mâlikî égyptienne du 14e siècle faisant autorité, sur les règles du jihâd3. La mise en esclavage de prisonniers n’est ainsi qu’une des cinq options. En même temps, le jihâd est la seule voie légitime possible autorisant l’asservissement selon les préceptes islamiques. Car, comme le rappelle encore l’érudit de Tombouctou Ahmad Bâbâ { la fin du 16e siècle : « La cause de l’esclavage est la non croyance. Tout esclave possédé doit avoir été capturé, ou un de ses ancêtres doit avoir été capturé »4. La mise en esclavage n’est donc possible, d’après la jurisprudence islamique (fiqh), qu’au-delà de Dâr al-Islâm. 6 Cependant, comme la parution même du traité d’Ahmad Bâbâ l’atteste, entre Dâr al- Islâm et Dâr al-Harb, « la porte du doute est restée ouverte pour ceux qui cherchaient un prétexte pour la possession »5d’esclaves. Le traité d’Ahmad Bâbâ constitue en effet une réponse { une requête des habitants de l’oasis saharien de Tuwât concernant les catégo- ries de personnes légitimement réductibles { l’esclavage et s’étonnant de
  • 51. [51] l’asservissement de populations du Bilâd al-Sûdân ayant embrassé l’Islam de longue date. La parution du traité indique ainsi qu’en dépit du critère religieux restrictif sur l’approvisionnement en esclaves, celui-ci était souvent ignoré au profit d’autres facteurs comme l’ethnicité, l’ascendance ou la couleur de peau utilisée pour discriminer qui était libre et qui pouvait être asservi6. La « porte du doute » demeurait d’autant plus entrou- verte que les frontières de Dâr al-Islâm au Bilâd al-Sûdân étaient elles-mêmes fluc- tuantes selon les conjonctures historiques. 7 Il y a donc eu des musulmans asservis par d’autres musulmans en violation de la ju- risprudence. La question de la mise en esclavage de musulmans noirs et, par là, la recon- naissance, implicite ou explicite, de critères ethniques ou raciaux { l’esclavage n’a cessé d’être posée sous l’effet des vagues d’islamisation dans le Bilâd al-Sûdân. Malgré leurs essais cartographiques de définition des terres d’Islam et des zones où la mise en escla- vage pouvait s’exercer, les érudits n’ont souvent pas tranché radicalement la question, laissant une large place aux controverses7dont l’issue accréditait parfois l’idée que le critère décisif pouvait, dans certains contextes, reposer sur la couleur de la peau8. 8 Le contexte du jihâd qui domine le Soudan occidental et central au 19e siècle9est éga- lement marqué par l’asservissement de musulmans par d’autres musulmans. Ces es- claves pouvaient être des réformistes musulmans capturés au cours du jihâd sans être rachetés ou libérés ou des individus perçus comme musulmans « syncrétiques », cor- rompus ou ennemis du jihâd. Hors de ce contexte, il pouvait encore s’agir de commer- çants musulmans attaqués et capturés le long des routes trans-sahariennes par des groupes pratiquant le banditisme et l’esclavagisme. 9 Le commerce trans-saharien fut non seulement un producteur d’esclaves, mais aus- si un producteur d’esclaves musulmans. Comme le remarque John O. Hunwick dans la contribution que nous présenterons plus loin, des motifs économiques permettent aussi de rendre compte de l’écart entre la jurisprudence et les pratiques effectives d’asservissement. Sur les marchés d’esclaves de la Méditerranée, les esclaves noirs étaient en effet vendus en tant que musulmans, les marchands d’esclaves opérant la transformation du païen en musulman au cours du trajet trans-saharien. Circoncision, apprentissage des rudiments de la prière en arabe, ou encore imposition d’un nom arabe étaient supposés offrir un argument commercial et un gage de probité de la marchandise { une clientèle réservée sur l’incursion de non musulmans dans le foyer et l’intimité fa- miliale10. Devenus musulmans, les esclaves ont dès lors multiplié les façons d’être mu- sulman. Les frontières de l’Islam 10 Le chapitre introductif de Paul Lovejoy permet de donner toute sa dimension à la notion de frontières telle qu’elle est appliquée { l’examen des relations multiples entre esclavage et Islam. Les frontières de l’Islam sont représentées par l’assemblage de plu- sieurs couches. Trois modalités de la frontière structurent en fait l’ensemble des contri- butions. Il s’agit d’abord des frontières géographiques de l’Islam dont les contours sont dessinés dans les stratégies d’expansion des États soudaniens aux dépens des popula- tions voisines. Ces frontières sont les sources de constitution de la diaspora africaine qui est ensuite dirigée vers les ports du commerce transatlantique ou à travers le Sahara vers les villes de la Méditerranée, ou encore abandonnée aux marchés d’esclaves des
  • 52. [52] États et royaumes soudaniens. À la lisière des émirats musulmans qui se constituent au début du 19e siècle, ces frontières mobiles de l’esclavage sont aussi le lieu de discrimina- tion entre Dâr al-Islâm et Dâr al-Harb. La référence géographique des frontières de l’Islam en Afrique soudanienne est ainsi redoublée par la frontière symbolique entre mu- sulmans et non musulmans. En effet, l’esclavage a interrogé la définition même de ce qu’est un musulman. L’intégration croissante de populations noires du Bilâd al-Sûdân au monde musulman a d’abord conduit au questionnement des critères de l’« esclavage juste » mis { l’épreuve par les pratiques d’asservissement de populations noires musul- manes. Les érudits soudanais, interrogés par les souverains musulmans de ces zones frontalières, ont tenté de répondre à cette question. À un second niveau, par leurs pra- tiques religieuses déployées dans leur société d’accueil (musulmanes ou non), les es- claves musulmans d’Afrique soudanienne ont aussi réinventé ce qu’être musulman veut dire et, par là, ont redéfini les frontières de la pratique religieuse islamique. Les fron- tières de l’Islam sont enfin entendues dans cet ouvrage comme les lieux atteints par la diaspora africaine musulmane, tant en Afrique du Nord et au Moyen-Orient que dans les Amériques, démontrant ainsi la contribution du mouvement des Africains asservis à la formation du monde musulman moderne. Les zones frontières de l’esclavage dans le Bilâd al-Sûdân 11 Les six chapitres suivants rendent compte de l’organisation du commerce d’esclaves et de la différenciation sociale du monde des esclaves sur les lieux-frontières de constitution de la diaspora africaine aux frontières soudaniennes du monde de l’Islam au 18e et, surtout, au 19e siècles. Les sites explorés dans les contributions correspondent à l’espace de développement du califat de Sokoto11à partir du début du 19e siècle et au Soudan central dans le contexte du jihâd inauguré par Usman dan Fodio en 1804-9 et poursuivi par ses successeurs tout au long du siècle. 12 La contribution de George Michael La Rue est particulièrement éclairante sur la constitution d’une zone frontière d’asservissement au Bagirmi (royaume occidental du Tchad contemporain) et son insertion dans le réseau des routes commerciales et de pè- lerinage traversant les émirats du Soudan central et le Sahara pour atteindre les villes méditerranéennes de Tripoli et de Benghazi, les ports de la mer Rouge en Égypte ou en- core les villes d’Assiout et de Minia le long de la vallée du Nil. Il montre comment le tracé de ces routes et l’utilisation du Bagirmi comme réservoir d’esclaves dépendaient des politiques des gouvernements situés le long et à la fin de ces routes. Le rôle de la poli- tique d’occupation « ottomane égyptienne »12 du Soudan nilotique dans les années 1820 dans le transfert d’esclaves du Bagirmi { la vallée du Nil est par exemple évoqué. Dans ce contexte, l’occupation du Soudan nilotique, cumulée aux pressions britanniques sur l’Empire ottoman pour abolir l’esclavage, est un des éléments déclencheurs de l’émergence de la Zarîba. Le recrutement des esclaves, engageant également le com- merce d’ivoire, n’est alors plus directement mené par des États mais par des slave rai- ders privés du Nord Soudan qui fuyaient la sécheresse de 1834-1837, les taxations du régime « turc » et la réforme agraire ayant abouti à la constitution de vastes domaines privés reposant sur le travail des esclaves13. La sécheresse de cette décennie le long de la vallée du Nil impose également un sérieux coup de frein { la demande d’esclaves par l’agriculture égyptienne. Ces perturbations politiques et écologiques de la voie commer-
  • 53. [53] ciale Bagirmi – Darfour – Assiout conduisent à son délaissement par les caravanes au profit d’une nouvelle route reliant le Bagirmi { Wadai (Tchad central contemporain) puis { Benghazi, le commerce d’esclaves sur la route d’Assiout ne reprenant qu’après la décennie 1840 et perdurant au-del{ de l’abolition décidée par l’Empire ottoman en 1857 en raison de la forte demande de main-d’œuvre induite par le boom cotonnier égyptien. 13 Une place importante dans ces six chapitres est accordée { l’étude du groupe des « esclaves royaux » formant une part grandissante de l’élite militaire et administrative des émirs au fur et à mesure de la routinisation du jihâd. La contribution de Sean Stilwell est particulièrement stimulante à deux points de vue. Il étend la notion de mamlûk au- delà de ses contextes habituels de formation et de transformation au Moyen-Orient pour la faire fonctionner dans le contexte du califat de Sokoto. Il montre comment ce groupe, fortement différencié, d’esclaves royaux est devenu un creuset pour la constitution et l’acquisition de savoirs de gouvernement, à la fois militaires et administratifs14. Mais le développement de ce type d’esclavage concomitant de la prise de pouvoir par les émirs de Sokoto n’est pas tant rapporté par lui { la forte inspiration islamique de ces mouve- ments politiques qu’au processus de centralisation du pouvoir { l’intérieur du califat. Affrontant l’hostilité de l’aristocratie hausa et le risque de factionnalisme, les leaders du jihâd ont trouvé dans le recrutement d’esclaves royaux le moyen de se maintenir en dis- posant d’une garde rapprochée tendant { devenir un intermédiaire obligé dans tout un ensemble de transactions (collecte d’impôts, gestion de la terre, protocole) : « Les es- claves étaient utilisés parce qu’il y avait un impératif politique à agir ainsi » (p. 103). Cette étude stimulante permet ainsi de répondre en partie à la question souvent explo- rée du rôle de l’Islam dans l’accroissement du commerce d’esclaves en Afrique sub- saharienne au 19e siècle, en rapportant cette concomitance aux dynamiques politiques de l’exercice du pouvoir dans ces régions plutôt qu’{ des principes religieux islamiques qui seraient foncièrement esclavagistes. L’Islam ne fut qu’une, quoique importante, variable de la mise en esclavage et de l’accroissement de l’esclavage dans cette région au cours du 19e siècle. 14 La différenciation du monde des esclaves fait encore l’objet de la contribution de John Edward Philips sur les Ribât, campements fortifiés et zones frontières par excel- lence, dont la présence est attestée avant le 19e siècle, mais qui sont développés au cours de l’installation du califat de Sokoto. L’auteur montre que dans ses fonctions multiples de défense des routes commerciales et des frontières du califat, de centres de produc- tion d’artisanat, de moyen de sédentariser les pasteurs fulani, de mêler l’Islam fulani et hausa { l’intérieur d’une conception jihadiste et, enfin, d’entrepôt d’esclaves, les Ribât pourraient bien avoir signifié la naissance d’une culture islamique hybride au sein de laquelle les esclaves auraient joué un rôle important. Le Ribât est en fait essentiel au dé- veloppement d’une classe d’esclaves fonctionnaires, les mamlûk du califat, qui vont ac- quérir une place importante dans la structure politique mais aussi dans le recrutement d’esclaves et leur gestion. Ces esclaves royaux pouvaient détenir eux-mêmes des es- claves et le système des plantations royales, grandes utilisatrices d’esclaves, pouvait éga- lement être entre leurs mains. 15 Seule la contribution de Ibrahim Hamza quitte les sphères de l’élite des esclaves pour revenir sur la situation des esclaves non royaux du califat, désignés par le terme de Gwarawa insistant sur le fait qu’ils parlent une langue différente du Hausa et qu’ils sont considérés comme d’origine non musulmane. Ils forment sans doute la plus grande par- tie de la population d’esclaves de l’émirat de Kano qui, lors de son incorporation au cali- fat de Sokoto en 1806, représente la moitié de la population totale de l’émirat. L’auteur
  • 54. [54] montre comment ce commerce s’est déroulé dans le cadre du développement de l’agriculture { grande échelle sur les plantations destinées { alimenter le palace de l’émir. Esclaves noirs et frontières de la pratique religieuse islamique au Maghreb 16 Deux contributions concourent { documenter les processus d’imposition d’identités et de redéfinition des frontières de la pratique religieuse islamique induits par la présence d’esclaves musulmans noirs au Maghreb. Elles traitent du culte Bori en Tunisie aux 18e et 19e siècles. [ l’instar du Zâr en Éthiopie, au Soudan, en Égypte ou dans la péninsule arabique, le Bori est un culte de possession développé au Maghreb par les esclaves importés du Bilâd al-Sûdân (principalement des esclaves hausa). D’après la con- tribution de John O. Hunwick, on peut penser que les lieux d’exercice du culte Bori ont pu servir de zones de contact entre des pratiques stigmatisées comme païennes et des pratiques musulmanes. Il montre en effet que les esclaves sub-sahariens ont trouvé dans les sociétés maghrébines une structure d’opportunités caractérisée par un nombre po- tentiellement infini de jinn et au sein de laquelle des systèmes de croyance sub- sahariens ont pu s’intégrer et permettre { leurs porteurs de faire face au traumatisme psychologique de l’asservissement. « Des croyances et des pratiques prenant leur source en Afrique sub-saharienne ont été accommodées { l’intérieur d’une structure islamique généreuse et sont devenues une influence importante dans la vie religieuse des Nord Africains » (p. 167). 17 Dans sa contribution, Ismael Musah Montana souligne également que la prégnance du soufisme dans la vie religieuse tunisienne aux 18e et 19e siècles et le pluralisme reli- gieux (les cultes de saints en particulier) ont certainement concouru à faire entrer le culte Bori dans l’espace religieux légitime tunisien. Mais, par l’examen des écrits de l’érudit Ahmad ibn al-Qâdî al-Timbuktâwî, il insiste sur le fait que la frontière entre pra- tiques religieuses légitimes et illégitimes fut âprement discutée et controversée au tour- nant du 19e siècle, conjoncture marquée à la fois par le jihâd en Afrique de l’Ouest et le mouvement wahhâbî en Arabie, ce dernier s’érigeant contre les innovations (bid‘a) de l’Islam populaire comme les cultes de saints ou le soufisme. Fils d’un qâdî de Tombouc- tou, éduqué dans la ville sainte de Jenne avant de revenir à Tombouctou, al-Timbuktâwî écrit en 1808-9 deux opuscules dans lequel il dénonce la pratique du culte Bori telle qu’il a pu l’observer en Tunisie { son retour de pèlerinage. L’attaque d’al-Timbuktâwî cible non seulement les adeptes du culte qu’il accuse d’hérésie (shirk) et d’incroyance (kufr) mais plus encore les praticiens du culte pour lesquels il réclame l’interdiction de prati- quer, la persécution et le maintien en esclavage comme juste punition à leur déviance religieuse. Les femmes prêtresses du culte Bori sont particulièrement frappées par le courroux de l’érudit qui les représente comme des sources de dévoiement et de lesbia- nisme (musâhaqa). Selon l’auteur, les vues dogmatiques et puritaines d’al-Timbuktâwî reconnaissent explicitement une relation entre identité ethnique et légalité de l’esclavage. Pour preuve, son utilisation de la catégorie des Sûdân Tûnis, terme qui dis- crimine { l’intérieur de la communauté des wusfân (domestiques) la portion des es- claves nés dans leurs patries d’origine et arrivés récemment en Tunisie et qui, selon al- Timbuktâwî, sont les principaux propagateurs du culte. La condamnation du culte Bori
  • 55. [55] s’intègre ainsi au projet plus vaste de définition des critères de l’esclavage, voire de sé- grégation sociale (il promeut par exemple une législation interdisant le mariage entre wusfân et femmes musulmanes). Esclaves musulmans aux Amériques 18 Les trois derniers chapitres, tous cosignés par Paul E. Lovejoy, sont des tentatives exemplaires pour retracer les pratiques d’agency déployées par les esclaves africains musulmans dans les Amériques, figurant ainsi une nouvelle frontière de l’Islam. Ces con- tributions s’inscrivent dans la discussion sur l’importance des processus de créolisation, de résistance et/ou d’ajustements (accommodation) des rapports de la diaspora afri- caine { ses sociétés d’accueil. Pour les auteurs, la diaspora d’africains musulmans asser- vis met en question les processus de créolisation qui décrivent un background africain totalement reforgé dans la culture américaine. Ils partent de l’hypothèse inverse, d’une continuité entre ce que les esclaves musulmans africains pouvaient espérer aux Amé- riques compte tenu de leurs caractéristiques sociales et de la fréquentation antérieure de l’esclavage dans leurs sociétés musulmanes d’origine en Afrique de l’Ouest. 19 Le profil sociographique des africains musulmans asservis et déportés aux Amé- riques en fait une population, certes différenciée, mais qui regroupe un certain nombre de caractéristiques communes. D’abord, ils sont relativement peu nombreux. Or, malgré cette faiblesse numérique, il apparaît que le nombre de manumission est relativement plus important pour les esclaves musulmans que pour les autres15. Ensuite, il s’agit d’une population essentiellement mâle, jeune et urbaine16. Enfin, ces esclaves africains musulmans proviennent souvent de familles de commerçants ou des élites aristocra- tiques et militaires des États musulmans d’Afrique de l’Ouest qui possèdent elles-mêmes des esclaves. De ce fait, ils possèdent une éducation religieuse, un savoir pratique et une connaissance des textes arabes définissant les conditions de la mise en esclavage légi- time. Ces esclaves musulmans avaient dès lors des « raisons légitimes de rechercher leur liberté au titre que, en tant que nés libres, ils n’auraient légalement pas dû avoir été as- servis » (p. 240). Cette continuité entre Afrique et Amérique permet de résoudre l’apparent paradoxe de la faiblesse numérique des esclaves africains musulmans et le nombre relativement plus important de manumission qu’ils sont parvenus à obtenir avant même la mise en place de l’abolition. 20 L’étude de Yacine Daddi Addoun et Paul E. Lovejoy sur un manuscrit arabe écrit autour de 182317 par Muhammad Kabâ Saghanughu, esclave dans une plantation des environs de Kingston et leader de la communauté musulmane locale, permet de mieux saisir ce processus. Originaire d’une famille de clercs mandingues reliée { un courant quiétiste de la Tarîqa Qâdiriyya18, il arrive en Jamaïque comme esclave en 1777. En 1812, dans le contexte d’une dispute entre esclaves et propriétaires, il trouve assistance auprès d’une mission chrétienne morave, suite { quoi il se convertit au christianisme. Pour les auteurs, la trajectoire de Kabâ illustre le comportement des esclaves musul- mans en Jamaïque qui « ont utilisé le langage parlé pour transmettre un message d’adaptation (accommodation) et d’adhésion { la chrétienté tout en utilisant l’arabe écrit et des symboles particuliers, tels que les noms, pour clamer leur autonomie religieuse et leur supériorité spirituelle en tant que musulmans » (p. 207). Kabâ s’institue alors comme un véritable intermédiaire entre les esclaves et les propriétaires : il fréquente les
  • 56. [56] premiers dans les champs et les seconds { l’église, préférant, en raison de ces apparte- nances multiples, ne pas participer aux révoltes d’esclaves de 1831-32. 21 Dans cette optique, les comportements de résistance, ou de compromis avec les maîtres, ou encore les stratégies de retour en Afrique au moment de l’abolition s’expliqueraient par la modulation des systèmes d’attentes acquis en Afrique de l’Ouest et expérimentés aux Amériques. Les auteurs distinguent deux types de réactions des esclaves musulmans africains. La première, davantage expérimentée par les esclaves en provenance de terres du jihâd comme le Hausaland, comportait un fort engagement ré- sistant allant jusqu’{ la fomentation de révoltes (Bahia, 1835). La seconde, davantage exploitée par des esclaves provenant des traditions musulmanes plus quiétistes du pays Mandingue, consistait { rechercher, sur le modèle établi en Afrique de l’Ouest, des rela- tions de compromis avec les maîtres évoluant sur le registre patron/ client. Selon Paul E. Lovejoy (dernier chapitre), l’opposition des deux stratégies n’est pas inéluctable et il n’est pas sûr que les stratégies d’ajustements n’aient pas aussi servi la recherche d’autonomie, d’émancipation et de retour en Afrique. Ce faisant, certains esclaves mu- sulmans ont pu se faire les porte-parole de leur communauté auprès de leurs maîtres afin de lui assurer un meilleur sort (comme l’assignation { des travaux qualifiés) tout en maintenant une identité musulmane que permettait d’entretenir l’utilisation de l’arabe, incompris des maîtres. C’est { la description de types d’ethos que tend le projet de Paul E. Lovejoy. Notes 1 Cette interprétation « révisionniste » de l’histoire de l’esclavage est davantage ex- plicitée dans Lovejoy P. E., 1997, « The African diaspora : revisionist interpretations of ethnicity, culture and religion under slavery », Studies in the World History of Slavery, Abolition and Emancipation, 2(1). L’ouvrage présenté ici élargit la problématique au commerce trans-saharien. 2 Stilwell S., Hamza I., Lovejoy P. E., Dako S., 2001, « The oral history of royal slavery in the Sokoto Caliphate : an interview with Sallama Dako », History in Africa, 28, p. 273- 91. 3 Cité dans Hunwick J. O., Troutt Powell E., 2002, The African Diaspora in the Mediter- ranean Lands of Islam, Princeton, Markus Wiener publishers, p. 23. 4 Barbour B., Jacobs M., 1985, « The Mi‘raj : a legal treatise on slavery by Ahmad Ba- ba » dans Willis J. R. (dir.), Slaves and Slavery in Muslim Africa. 1- Islam and the ideology of enslavement, Londres, Franck Cass, p. 136. 5 Willis J. R., 1985, « The ideology of enslavement in Islam » dans Willis J. R. (dir.), op. cit., p. 6. 6 Sikainga A. A., 2000, « Comrades in arms or captives in bondage : sudanese slaves in the turco-egyptian army, 1821-1865 » dans Toru M., Philips J. E. (dirs), Slaves elites in the Middle East and Africa. A comparative study, Londres/New York, Kegan Paul Interna- tional, p. 199-200. 7 Hunwick J. O., 1999, « Islamic law and polemics over slavery in North and West Africa, 16th-19th century », dans Marmon S. (dir.), Slavery in the Islamic Middle East, Princeton, Markus Wiener Publishers, p. 43-68 ; Hunwick J. O., 2000, « Ahmad Bâbâ on
  • 57. [57] Slavery », Sudanic Africa, 11, p. 131-139 ; Hunwick J. O., Troutt Powell E., 2002, The Afri- can Diaspora in the Mediterranean Lands of Islam, op. cit., p. 35-50. 8 Cela est d’autant plus vrai au fur et { mesure que l’on s’élève dans les hiérarchies entre esclaves. Nasser Rabbat souligne en effet que lors de son institutionnalisation le mot mamlûk ne fut jamais utilisé pour désigner les esclaves noirs, même lorsque ceux-ci servaient exclusivement comme guerriers, comme ils le firent durant la période fatimide en Égypte. Ainsi, le mot mamlûk en vint à avoir des connotations géographiques et eth- niques : « il signifiait des jeunes hommes blancs, principalement des turcs ou turqui- sés », en l’occurrence des Circassiens, des Turcs ou des Mongols, Rabbat N., « The Chan- ging Concept of Mamlûk in the Mamluk Sultanate in Egypt and Syria » dans Toru M., Phi- lips J. E. (dirs), Slaves Elites in the Middle East and Africa. A comparative study, op. cit., p. 82. 9 Sur le contexte intellectuel de l’Islam au Soudan occidental { cette période, Willis J. R., 1967, « Jihad fi Sabil Allah – Its doctrinal basis in Islam and some aspects of its evolu- tion in nineteenth-century West Africa », Journal of African History, 8(3), p. 395-415. 10 Une des caractéristiques de l’esclavage dans l’Empire ottoman, par rapport { l’esclavage transatlantique, réside en effet dans l’utilisation massive d’esclaves { des fins domestiques. Cette caractéristique a été mobilisée par les avocats de l’esclavage pour contrer les campagnes abolitionnistes britanniques dans la première moitié du 19e siècle en défendant l’idée d’un esclavage doux se déployant dans l’ambiance feutrée des ha- rems royaux et passant sous silence { la fois l’esclavage agricole, la différenciation so- ciale entre formes d’esclavage domestique et la différenciation raciale calculée sur la couleur de peau (pour les concubines notamment). Voir à ce sujet, Baer G., 1967, « Slave- ry in Nineteenth Century Egypt », Journal of African History, 8(3), p. 417-41 ; Toledano E. R., 1998, Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East, Seattle/ London, University of Washington Press ; Troutt Powell E. M., 2003, A Different Shade of Colonialism. Egypt, Great Britain and the mastery of Sudan, Berkeley – Los Angeles – Londres, University of California Press. 11 Les frontières atteintes par le califat de Sokoto durant cette période s’étendent depuis la zone sahélienne du Burkina Faso actuel { l’Ouest, pour englober le Nord Nige- ria jusqu’au Nord Cameroun actuel { l’Est. 12 Nous reprenons ici l’appellation utilisée par l’auteur et par ses références { Tole- dano E. R., 1998, Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East, Seattle/ London, Uni- versity of Washington Press ; Toledano E. R., 2003, State and Society in mid-nineteenth- century Egypt, Cambridge, Cambridge University Press ; Troutt Powell E. M., 2003, A Dif- ferent Shade of Colonialism. Egypt, Great Britain and the mastery of Sudan, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press. Ces différents travaux parlent de l’émergence d’une élite ottomane-égyptienne au moment de l’arrivée au pouvoir de Mu- hammad Ali. En porte-à-faux avec les récits de l’histoire nationaliste officielle en Égypte, ces études situent Muhammad Ali comme un simple gouverneur ottoman, plutôt que comme un leader nationaliste égyptien visant { libérer l’Égypte du joug ottoman. On peut rappeler aussi que, dans l’histoire du Soudan nilotique, la période d’occupation par les armées de Muhammad Ali est nommée la Turkiyya, indiquant que le point de vue afro-centrique légitimerait la nature « ottomane-égyptienne » du gouvernement de Mu- hammad Ali. 13 Sur ce point, Spaulding J., 1982, « Slavery, land tenure and social class in the Nor- thern Turkish Sudan », International Journal of African historical Studies, 15(1), p. 1-20.
  • 58. [58] 14 Dans une publication antérieure, Sean Stilwell suggère, en référence à Pierre Bourdieu, de penser l’acquisition d’esclaves royaux comme une accumulation de « capi- tal culturel », Stilwell S., 2000, « The power of knowledge and the knowledge of power: kinship, community and royal slavery in pre-colonial Kano, 1807-1903 » dans Toru M., Philips J. E. (dirs), Slave Elites in the Middle East and Africa, Londres/ New York, Kegan Paul International, p. 117-56. 15 Cette faiblesse numérique des esclaves musulmans fait dire à Paul Lovejoy que « L’« abolition » européenne a été possible parce que les gouvernements musulmans étaient opposés à la vente de quelque esclave que ce soit aux chrétiens, comme un moyen de protéger { la fois ceux d’entre les musulmans qui pourraient être mis en es- clavage { tort et les esclaves qui auraient pu se convertir { l’Islam ultérieurement » (p. 238). 16 Cette dernière caractéristique étant développée plus récemment dans Lovejoy P. E., 2005, « The urban background of enslaved Muslims in the Americas », Slavery and Abolition, 26(3), p. 349-76. 17 Le manuscrit porte le titre de Kitâb al-Salât (Le livre des prières). 18 Confrérie soufie d’Afrique de l’Ouest fondée par Abd al-Qâdir al-Jîlânî (mort en 1166). Pour citer cet article Référence électronique Matthieu Fintz, « Diaspora africaine, esclavage et Islam », Égypte/Monde arabe, Troi- sième série, 3 | 2006, [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL : http://ema.revues.org/index1725.html. Consulté le 02 février 2009.
  • 59. [59] La vérité sur l'esclavage en Islam Dans une enquête mondiale, l'anthropologue musulman révèle les pratiques d'asservissement dans le monde islamique et leur inquiétante persistance par malek chebel - Un combat actuel La Mauritanie a voté le 8 août 2007 une nouvelle loi antiesclavagiste plus répressive. En mai dernier, à Marrakech, s'est également tenu le premier colloque international sur l'esclavage dans les pays arabo-musulmans, sous l'égide de l'Unesco. Et un peu partout dans le monde arabe, dans le Golfe, en Iran, en Afrique, des écrivains s'engagent, des as- sociations, composées d'anciens esclaves ou de leurs descendants, apparaissent et mili- tent, malgré l'hostilité des Etats. Un véritable mouvement se dessine, dont l'Occident ne mesure pas encore l'ampleur, mais qu'il faut soutenir, sans quoi le pire est toujours à venir. Ces enfants de Bamako qui courent vers les étrangers pour se livrer eux-mêmes en servitude ne nous le disent-ils pas ? La traite atlantique avec son système triangulaire, concentrée entre le XVIe et le XIXe siècle, nous est désormais bien connue. Malgré l'existence de travaux universitaires de qualité, on connaît encore malheureusement trop peu la traite orientale ou musulmane, qui s'étend, elle, sur près de quinze siècles et qui a asservi des millions de Noirs (15 mil- lions ? peut-être plus ?), mais aussi des Européens captifs de guerre, des Slaves, à l'instar des janissaires dans l'armée ottomane, ou des Circassiennes, ces femmes originaires du Caucase qui remplirent les harems du calife et des notables de Bagdad. Parce que je suis un intellectuel musulman, un anthropologue qui défend depuis tou- jours le droit des personnes et qui combat les tabous de l'islam, je me sens missionné pour dénoncer ce drame de l'esclavage qui a contaminé tous les pays où l'islam a pros- péré. A Brunei, au Yémen, dans les pays du Sahel, chez les Touaregs, en Libye, dans le Sud tunisien, en Egypte, en Arabie, en Mésopotamie, à Oman et Zanzibar, au Soudan ou à Djibouti, il n'est en effet pas un lieu gagné par l'islam où ne se soit jamais pratiqué le commerce d'esclaves. Le phénomène demeure encore vivace. Les marchés de chair humaine à ciel ouvert n'existent certes plus, mais que sont d'autre que des «esclaves modernes» les domes- tiques non rémunérés, réquisitionnés nuit et jour, fondus dans le décor des palais et des maisons bourgeoises marocaines, les ouvriers auxquels on retire leur passeport dans les pays pétroliers du Golfe, les jeunes enfants exploités en Afrique, en Inde ou en Indonésie, les femmes qu'on livre à des inconnus contre quelques billets ou lors de «mariages de jouissance», et les concubines qui subissent un asservissement sexuel dans les familles ? Sans oublier la polygamie, qui est selon moi une forme soft d'esclavage. Comment expli- quer ces pratiques, si ce n'est par la survivance d'une mentalité esclavagiste au sein même de l'Islam ? - Le Coran et les esclaves On me dira peut-être que j'aggrave les attaques continuelles contre l'Islam ou l'on uti- lisera mes positions pour tenter de déculpabiliser l'Occident de son passé colonialiste. Tant pis, je cours le risque de ces récupérations idéologiques. Je parle avec ma cons- cience et avec l'objectivité du scientifique. Je n'en demeure pas moins scandalisé par les
  • 60. [60] discours de la droite, ceux de 2005 sur les «effets positifs de la colonisation» comme ce- lui prononcé cet été à Dakar par le président Sarkozy, qui réitère le refus du «repentir de l'homme blanc». Or il y a bel et bien eu crime. J'ajoute qu'il est tout autant nécessaire que l'Islam fasse lui aussi son travail de remise en question. Les pays musulmans ont leur propre responsabilité pour un esclavage qu'ils ont eux-mêmes fait prospérer. Héritage de l'Antiquité, l'esclavage, lors de l'avènement de l'islam, au vif siècle, était une pratique largement répandue. La situation des hommes asservis dans le Hedjaz et dans la péninsule Arabique était alors déplorable. Le Coran, qui évoque la question dans vingt-cinq versets, a voulu y mettre fin en promulguant une politique d'affranchissement suivie par le calife Abû Bakr (mort en 634), qui consacra sa fortune personnelle au rachat et à la libération des esclaves. Mais dès Omar, le deuxième calife, elle fut contrecarrée. Dans un hadith classé «authentique», le Prophète dit que «Dieu n'a rien créé qu'il aime mieux que l'émancipation des esclaves, et rien qu'il haïsse plus que la répudiation». A celui qui Lui demandait ce qu'il devait faire pour mériter le Ciel, Mohammed aurait répondu : «Délivrez vos frères des chaînes de l'esclavage.» En adoptant la nouvelle religion, l'esclave païen acquiert aussi la liberté. Tout musul- man sincère qui possède un esclave est donc invité à l'affranchir. Mais l'Islam n'a prati- qué qu'une politique timorée, sans réelles contraintes pour les grands propriétaires ter- riens et les marchands d'esclaves, les gellab en arabe (le même mot utilisé pour désigner les marchands de bestiaux !), qui ont continué à faire fructifier leur abject commerce. C'est là qu'est la faille constitutive de l'islam qui fait de l'esclavage l'une de ses patho- logies : le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative person- nelle du maître. L'idée d'affranchir un esclave en vue de gagner la bénédiction du Ciel a ainsi été reléguée au second plan. J'ai même découvert que juristes et théologiens avaient édicté un «Code noir» arabe, composé d'articles réglementant toutes les ques- tions concernant l'esclave, depuis sa vente jusqu'à sa place dans la guerre sainte, en pas- sant par son échange pour vice caché. J'en ai trouvé trois versions. Au paragraphe 58 du Livre de la propriété sexuelle, extrait de la «Moudawwana» d'Ibn al-Qâsim, telle que rapportée par Sahnoun (776-854), il est par exemple écrit : «Les parties honteuses» de l'esclave femelle appartiennent de droit à son maître. Il en va ainsi de son ventre (ses en- fants) et de son dos (sa force de travail).» Le grand penseur Ibn Khaldoun (1332-1406) lui-même, dans sa «Muqaddima», explique les diverses manières de choisir son «domes- tique». Il a fallu attendre le XVIIIe siècle vertueux et surtout l'émergence, au XIXe siècle, d'une morale universelle, impulsée par les Constitutions occidentales, pour que s'amor- cent lentement des politiques d'abolition dans le bassin méditerranéen. Certains souve- rains réformateurs, comme Ahmed Bey, à Tunis, virent là l'occasion de rattraper la marche du progrès, mais trop souvent ces politiques furent hypocrites et peu suivies. - Pour un sursaut Aujourd'hui encore le constat demeure affligeant. Je regrette que de nombreux mu- sulmans, arabes ou non, ne semblent éprouver de plaisir, hélas, qu'en accomplissant l'inverse de ce que recommande si clairement le Prophète, et s'emploient sans vergogne à répudier leurs femmes et à mettre en servitude leurs domestiques. Au Koweït comme au Qatar, en Arabie Saoudite ou à Dubaï, l'employeur a de puis longtemps remplacé le négrier. «Esclaves économiques», Philippins, Indiens, Malais, Bangladais se sont substi- tués aux anciens captifs d'Afrique, Habachis et Zandj. Au Maroc se pose aujourd'hui la
  • 61. [61] question des domestiques, ces «petites bonnes» non rémunérées, corvéables à merci, qu'on réquisitionne jour et nuit, et que les autorités elles- mêmes évaluent à plus de 1 million. Que dire aussi des eunuques à La Mecque ! Oui, en 2007, des eunuques gardent toujours les lieux saints de l'islam ! Soyons clairs, je n'attaque ni un pays en particulier, ni l'islam en tant que religion. Mais son dévoiement, qui n'en finit pas de faire des ravages. Il faut que l'Islam retrouve sa vraie nature et rejoigne enfin les grandes civilisations libératrices. Anthropologue et spécialiste de l'islam, Malek Chebel est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, dont le «Dictionnaire amoureux de l'islam» (Plon, 2004). En 2007, il a publié «l'Islam expliqué par Malek Chebel» (Perrin) et «Treize Contes du Coran et de l'islam» (Flammarion). Il publie aujourd'hui chez Fayard «l'Esclavage en terre d'Islam. Un tabou bien gardé». Marie Lemonnier Le Nouvel Observateur http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2236/articles/a354186.html
  • 62. [62] Maroc : Islam, esclavage et servitude Posté par achkoune le 19/2/2008 21:33:41 Dans―L‘esclavage en terre d‘Islam‖ (Editions Fayard, 2007), Malek Chebel revient sur un paradoxe : celui d‘une religion prônant l‘égalité entre les hommes, mais tolérant l‘asservissement sur ses terres. À lire. Selon un cliché bien ancré, l’esclavage est une affaire de blancs et de noirs, entre Occi- dentaux esclavagistes et Africains mis en servitude. L’esclavage se décline, selon cette perception, comme l’œuvre exclusive d’un occident négrier, se souciant plus de la pro- ductivité de ses usines et la fertilité de ses champs, que de la condition des millions d’êtres humains, réduits au statut d’outils de production. Dans l’imaginaire collectif musulman, la figure de Bilal, esclave affranchi devenu pre- mier muezzin de l’islam, domine la perception de l’esclavage musulman, et lui donne une image qui ne correspond pas { une réalité plus complexe. C’est { cette illusion que s’attaque Malek Chebel dans L’esclavage en terre d’Islam, en essayant de démontrer que “l’esclavage est en réalité la pratique la mieux partagée de la planète”. L’anthropologue algérien tente d’analyser cette pratique en compulsant des documents historiques, qui constituent de véritables codes noirs musulmans, mais aussi en partant sur les traces de cette pratique dans “un voyage aux pays des esclaves”. Un paradoxe musulman Révélé dans une terre où l’esclavage était considéré comme naturel, l’islam n’a pas aboli cette pratique, mais a essayé d’inciter ses fidèles { affranchir les esclaves, notam- ment les musulmans parmi eux. L’islam avait des allures de révolution sociale dans son aspect égalitariste, en soumettant tous les hommes à un seul maître, Dieu. Des esclaves en quête d’affranchissement ont été parmi les premiers convertis { l’islam et allaient former par la suite le noyau de la première armée musulmane. Toutefois, et comme le remarque Malek Chebel, le Coran n’était pas contraignant en matière d’abolition. Dans une démarche d’affranchissement progressif basée sur l’initiative individuelle, l’islam ne voulait pas susciter l’animosité des aristocrates arabes qui tiraient confort et profit de ce qu’on peut appeler la traite des hommes. La préférence allait ainsi aux méthodes douces, { l’instar du calife Abou Bakr, qui voulait donner l’exemple aux fortunés de Qoraïch en consacrant une partie de sa fortune personnelle { l’affranchissement des esclaves… Toutefois, l’extension progressive de l’empire musulman, le besoin impérieux d’une main d’œuvre pour travailler dans les nouvelles terres annexées et l’abondance des pri- sonniers tombés en captivité après les conquêtes musulmanes, ont relégué les recom- mandations religieuses au second plan. “De dynastie en dynastie et de siècle en siècle, l’esclavage est devenu un fait musulman. Nulle part on ne trouve contre lui d’opposition ou de réprobation. Le nombre d’esclaves et la condition servile étaient profondément enracinés dans la société féodale et passaient pour un fait naturel”, résume Malek Che- bel. Progressivement l’idée d’affranchir un esclave en vue de gagner la bénédiction divine disparaissait, laissant la place au sentiment de puissance et de supériorité que procure la situation de maître. La production théologique allait suivre cette évolution, en fournis-
  • 63. [63] sant des codes pour réglementer l’esclavage, quand il est devenu impossible de l’abolir. Dans la dernière partie de son livre, Malek Chebel présente trois textes, qu’il qualifie de “codes arabes de l’esclavage”, { l’instar du “code noir” du roi Louis XIV, qui réglait la vie des esclaves dans les colonies françaises. Dans ces textes, on prodigue des conseils sur l’achat des esclaves et leurs prix, comment éviter les tromperies sur “la marchandise”, on y précise les droits dont disposent les maîtres sur les esclaves, y compris les droits sexuels. Il a fallu attendre le 19ème siècle et l’influence d’une morale occidentale de naissance et universelle de portée, pour qu’apparaissent lentement des demandes et des politiques d’abolition dans les pays musulmans. La galerie des esclaves L’histoire de L’esclavage en terre d’islam révèle des pratiques différentes et des sta- tuts d’esclaves aussi variés que les tâches auxquelles ils ont été assignés. Des figures et des destins différents déterminés par le sexe, la couleur de la peau ou le sexe de ces es- claves. Dans cette histoire on peut trouver ainsi le ‘mamlouk’, esclave soldat qui peut at- teindre le sommet du pouvoir grâce à ses talents militaires et à la puissance de sa corpo- ration. Baybars, le sultan d’Egypte, incarne ce “rêve musulman”, où on commence es- clave et on finit grand vainqueur des Croisés et des Mongols. On y croise aussi ‘l’eunuque’, esclave asexué dont la mutilation est le prix { payer pour s’introduire dans le sanctuaire du harem. Un espace où on trouve également l’esclave ‘concubine’, objet de fantasmes des peintres et voyageurs occidentaux, dont le charme et l’utérus sont les principaux atouts pour accéder au statut de sultane et mère de sultans. Mais il y a aussi la figure moins glamour des esclaves noirs des marais irakiens, qui ont déclenché au 9ème siècle la première révolution sociale de l’histoire de l’islam, faisant ainsi trembler Bagdad et les califes abbassides pendant 14 ans. Une révolution qui ressemble, comme deux chaînes de fer, à celle de Spartacus face au tout-puissant empire romain, mais qui demeure mal connue, en attendant un Stanley Kubrick pour la faire découvrir. Mais “le meilleur” esclave, si l’on croit Malek Chebel, demeure “celui qui est, { la base, un arabe sachant manier la langue du Coran, qui se convertit avec ferveur à la foi islamique et qui, de surcroît, montre de réelles dispositions { partager les valeurs du maître”. Pour les autres esclaves, qui n’étaient pas arabes ou musulmans, il fallait démontrer des qualités exceptionnelles, ou naître sous une bonne étoile, pour connaître un destin différent de leurs semblables. Voyage au pays des asservis Plusieurs siècles d’esclavage et des millions de personnes mises en servitude ont lais- sé des traces dans l’histoire et la culture des peuples musulmans. Elles sont encore vi- sibles, d’autant que l’abolition de cette “pratique” dans certains pays musulmans est en- core récente (exemple de la Mauritanie qui, même après avoir aboli l’esclavage en 1981, a dû faire voter une nouvelle loi en 2003 pour réprimer la traite des personnes). La langue, les hiérarchies sociales, la musique et la littérature dans ces pays comportent des réminiscences ou des séquelles encore vivaces de la servitude. Pour les besoins de son livre, Malek Chebel a voyagé dans plusieurs pays musulmans. Objectif : effectuer une sorte de “carottage” comme les géologues qui forent le sous-sol en quête de minerais ou
  • 64. [64] de nappes de pétrole : “Une extraction de données historiques et sociologiques ayant vocation { parler”. Du Maroc { l’Inde et de Bagdad { Tombouctou, quand l’esclavage ne disparaît pas complètement, ou quand il ne prend pas d’autres formes (plus modernes mais non moins dégradantes), il est encore présent sous forme de monuments ou de lieux de mé- moire. Au Maroc, la musique gnaouie a la même portée historique que le blues aux Etats- Unis : une musique créée par des esclaves et leurs descendants. Les racines de cette mu- sique sont à retrouver dans les chants et les rythmes des pays africains dont ces esclaves étaient originaires. Selon les historiens, le mot même de”gnaoui” dérive de “guinéen”, une région où les négriers arabes étaient très actifs. “Grande puissance esclavagiste”, selon l’expression de Malek Chebel, le Maroc contrôlait les voies caravanières venant d’Afrique subsaharienne et remontant vers le nord. Le racisme qui touche les noirs dans des pays musulmans comme la Mauritanie est une séquelle béante d’une longue histoire de l’esclavage dans ces pays. Une histoire dont le principal enseignement semble être : tous les musulmans sont égaux, mais certains moins que les autres. 3 questions à Malek Chebel. “L’esclavage parti, la servitude est restée” Quelles ont été les conséquences de la révélation islamique sur l’esclavage ? L’Arabie ancienne était une société esclavagiste avec des strates sociale serviles. L’islam a été une révolution sociale contre la domination de l’aristocratie qoraïshite en s’adressant aux pauvres et aux miséreux. Les premières générations de l’islam ont saisi l’intérêt d’affranchir les esclaves, qui allaient fournir le noyau d’une armée musulmane. Toutefois, cet affranchissement a été relatif et soumis à des conditions bien déterminées. Comment expliquer que l’esclavage s’est tout de même répandu en terre d’islam ? L’islam s’est imposé en grande partie par le biais des conquêtes. L’armée musulmane s’est retrouvée avec des milliers de captifs (hommes, femmes et enfants) auxquels il a fallu trouver un statut. Ce fut celui d’esclave. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé devant un paradoxe entre ce que dit l’islam et la pratique historique de l’esclavage en terre d’islam, entre la théorie et la réalité effective de la chose. L’esclavage a-t-il complètement disparu des pays musulmans ? En principe oui, sous l’effet des lois qui ont aboli cette pratique à partir du 19ème siècle. Il ne faut pas oublier que la Tunisie a aboli l’esclavage en 1840. Toutefois, j’insiste sur la distinction entre esclavage et mise en servitude. L’esclavage a disparu en tant que marché, mais la mise en servitude persiste encore dans ces pays sous différentes formes : la condition des domestiques, l’exploitation des ouvriers étrangers, le racisme { l’égard des descendants d’esclaves… Parution. Maîtres musulmans, esclaves chrétiens
  • 65. [65] Dans son livre Don Quichotte, Cervantès introduit le personnage d’un captif espagnol échappé de sa geôle algérienne. C’est un élément autobiographique. En effet, de son re- tour en Espagne, l’illustre écrivain est capturé par des corsaires musulmans et réduit en esclavage pendant cinq ans à Alger. Après plusieurs tentatives de fuite sans succès, Cer- vantès retrouve sa liberté grâce { l’argent versé par un ordre religieux, qui a pour voca- tion le rachat des captifs chrétiens. En s’appuyant sur des documents historiques et sur des archives de cette période, Robert C. Davis fournit dans Esclaves chrétiens, maîtres musulmans (Editions Babel, 2007), une étude exhaustive sur l’esclavage des Européens au Maghreb. L’historien américain revient sur la traite des blancs pratiquée en Méditer- ranée par des corsaires maghrébins, que l’on nommait alors les Barbaresques. Cette pra- tique a duré trois siècles (du 16ème au 19ème siècle) et a réduit plus d’un million d’Européens en esclavage dans les villes d’Alger, Tunis, Tripoli et Salé. Ces corsaires écumaient la Méditerranée et poussaient des pointes jusqu’aux côtes britanniques, { la recherche de nouveaux captifs. Toutefois, cet esclavagisme se distingue des autres formes de mise en servitude par sa dimension religieuse. C’est aussi une guerre menée contre les chrétiens. En plus des bénéfices réalisés grâce à cette traite, les corsaires maghrébins considéraient qu’il y avait une revanche { prendre sur ceux qui ont chassé les musulmans du paradis perdu d’Al Andalous. Extrait. Les eunuques du sultan William Lemprière, médecin anglais reçu à la fin du 18ème siècle par le sultan Sidi Mohammed, roi du Maroc, décrit les eunuques en charge du harem du sultan. “Aussitôt que le prince eut décidé que j’entrais dans le harem de ses femmes, il or- donna qu’on me conduisit avec mon interprète. Le chef des eunuques me reçut à la porte. Il est à observer que les eunuques chargés spécialement de la garde des femmes sont issus d’esclaves nègres. La voix des eunuques a un accent particulier, elle ressemble un peu à celle des jeunes gens qui sont encore dans l’adolescence. Enfin, ces êtres muti- lés offrent tout { la fois une image dégoûtante de faiblesse et de monstruosité. L’autorité qu’on leur donne sur un sexe qu’ils tyrannisent leur fait prendre un air d’importance, ils sont plus fiers et plus insolents qu’on ne saurait l’imaginer.” Extrait. Un abolitionniste marocain Ahmed Ibn Khalid Al-Nassiri, le grand historien marocain, né à Salé et mort en 1893, était un abolitionniste convaincu. “Je veux parler de cette plaie sociale qu’est l’esclavage des nègres originaires du Sou- dan, qu’on a l’habitude d’amener chaque année de leur pays, en grand nombre, comme des troupeaux, pour les vendre à la criée comme des bêtes de somme. Sans honte, les gens ferment les yeux sur ce crime qui se commet au grand jour depuis une longue suite de générations, { tel point que la masse du peuple croit que l’origine légale de l’esclavage consiste dans la noirceur du teint et la provenance du Soudan. En principe, tous les hommes sont, par nature, de condition libre et sont exempts par conséquent de toute cause d’asservissement ; quiconque, donc, nie cette liberté individuelle, nie ce principe fondamental”. Extrait Jouir sans entraves
  • 66. [66] La Moudawana d’Ibn Al Qassim, texte de référence du rite malékite, contient des dis- positions liées à la propriété sexuelle des esclaves : - Les “parties honteuses” de l’esclave femelle appartiennent de droit { son maître. Il en va ainsi de son ventre (ses enfants) et de son dos (force de travail). - L’esclave ne peut épouser que deux femmes (contre quatre pour l’homme libre). - L’esclave ne peut se marier sans l’accord de son maître, mais ce dernier peut l’y obli- ger. - Une esclave ne peut être co-épouse avec une femme de condition libre. - Le nombre de concubines que peut posséder un musulman n’est pas limité (contrai- rement au nombre de femmes légitimes et de condition libre). source:telquel-online.com http://www.portaildumaroc.com/news+article.storyid+5748.htm
  • 67. [67] Islam et « esclavage » ou l’impossible « négri- tude » des Africains musulmans L’islamisation de l’Afrique subsaharienne s’est accompagnée d’une entreprise massive d’asservissement des païens. Cet escla- vage musulman et la traite « orientale » qu’il a impliquée demeu- rent refoulés par les Africains comme par les Occidentaux. L’Historien Jean Schmitz revient sur les raisons de ce silence et éclaire sa portée : de l’Afrique de l’Ouest aux banlieues françaises en passant par le Maghreb. Par Jean Schmitz Africultures est aujourd’hui la revue et le site Internet de référence sur les expressions culturelles contemporaines africaines. Créée en 1997, la revue compte 67 numéros théma- tiques qui abordent les nombreuses facettes des cultures de l’Afrique et de sa diaspora. Espace de libre parole, de réflexion et d’échange, Africultures œuvre pour une meilleure (re)connaissance de ces cultures et une décolonisation partagée des imaginaires. Pour plus d’information et pour découvrir les multiples activités d’Africultures (agenda cultu- rel, critiques, chroniques, murmures, petites annonces, sites web spécialisés : afriphoto, afriblog, africiné...) rendez-vous sur le site : www.africultures.com. Une première version de ce texte a été présentée au séminaire du Paris Research Center de l’Université de Flo- ride (session d’Abdoulaye Kane) qui s’est déroulé les 11 et 12 avril 2006 { Paris. Ce texte est tiré du n°67 de la revue Africultures dont le dossier a pour thème : "Esclavage, enjeux d’hier { aujourd’hui". Cette revue peut être commandée en librairie ou sur le site Internet d’Africultures." On voudrait mettre en rapport la stratégie de visibilité d‘une minorité « noire » en France regroupant Africains et Antillais avec la création du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) à la fin 2005 (Ndiaye 2005), construite à partir de la mémoire de l‘esclavage, et le relatif silence des immigrés musulmans originaires d‘Afrique de l‘Ouest à cet endroit. Symétriquement, on est frappé par l‘absence de recours à la rhétorique islamiste par les mêmes jeunes « blacks » des cités durant l‘incendie des banlieues de novembre 2005. Nous voudrions montrer que le « grand récit » mettant en continuité l‘esclavage, la colonisation, l‘émigration et la discrimination à l‘embauche permet le retournement de la stigmatisation liée à la couleur de la peau dans la mesure où il se situe à l‘intérieur d‘une sphère occidentale et chrétienne (non confessionnelle), comme l‘ont fait dans les années 1930 Léopold Sédar Senghor (Vaillant 2006) et Aimé Césaire, puis après 1945 Alioune Diop (Jules Rosette 1992) et Frantz Fanon. À l‘inverse, nous tentons ici de montrer qu‘une telle opération, dont nous ne pouvons développer les conditions, est difficilement possible dans la sphère musulmane, si- non au prix de malentendus débouchant sur des violences et cela pour deux raisons princi- pales.
  • 68. [68] L’esclave est défini comme non musulman En Afrique de l‘Ouest, au sens large incluant le Sahara et le Sahel, « l‘esclavage » et la « négritude » ont moins une valeur « ethnique » ou raciale que morale et religieuse, en l‘occurrence islamique car liée à la doctrine du jihâd : l‘obligation étant faite à tout croyant de mener la guerre sainte afin d‘asservir les païens, l‘esclave est défini comme non musulman. À partir du moment où l‘Afrique (Côte d‘Afrique de l‘Est et Afrique subsaharienne) devint la principale zone pourvoyeuse d‘esclaves de la traite orientale, la négritude devint synonyme de servitude (Lewis 1993) et corrélativement la noirceur de la peau fut associée à un déni d‘islam. On assiste aujourd‘hui à la réactualisation des violences culturelles et sociales induites par ces assimilations, autant au Maghreb qu‘en Occident. D‘une part, la politique d‘externalisation et de délégation aux États du Maghreb du contrôle des migrations des Sub- sahariens menée par les États européens, met en lumière l‘attribution du qualificatif « d‘esclaves », ‗abid (sg. ‗abd) à ces derniers (Aouad-Badoual 2004), comme en Libye et ce depuis plusieurs années (Bensaad 2005). D‘autre part le même sobriquet « d‘esclave » utilisé à l‘endroit des migrants africains mu- sulmans dans les cités et les banlieues de France n‘est pas seulement une métaphore puisqu‘il légitime la réticence des Maghrébins à voir des mosquées dirigées par des Africains ou à prier derrière un imam noir (Diop et Michalak 1996, Diouf 2002, Soares 2004). C‘est un des prin- cipaux éléments permettant de comprendre la très faible représentation de l‘Islam africain aussi bien au niveau politique du Conseil français des musulmans de France (CFCM) qu‘au sein de l‘espace public en France (rassemblement religieux, lieux de prière, mosquées...) et plus largement l‘impossible identification à une « umma » [1] imaginaire, à la fois gage de moralisation mais aussi terreau de l‘islamisme radical et du jihâd d‘Al Qa‗ida (Mohammad- Arif et Schmitz 2006). Islamisation et mise en esclavage des païens Ce déni d‘islam, qui procède de l‘impact du réformisme musulman et du nationalisme arabe du XXe siècle au Maghreb, réduit à néant la longue et vénérable entreprise intellectuelle et religieuse des savants musulmans africains qui s‘appliquèrent à déconnecter la couleur de la peau de l‘islam. Instaurant une distance critique par rapport à « l‘ethnographie arabe » dua- liste reposant sur le couple bîdân (Blanc) / sûdân (Noir) et assimilant ce dernier à un païen ou idolâtre (kafir), un savant de Tombouctou pris par les Marocains avant d‘être libéré, Ahmed Baba (1556-1627), élabora une « ethnographie religieuse » (Robinson 2004) distinguant, à l‘intérieur des Noirs, les musulmans des païens, et corrélativement interdisant la capture d‘esclaves parmi les premiers mais l‘autorisant parmi les seconds. Cette distinction fut lourde de conséquences puisque près de deux siècles après, elle fut au fondement des jihâd des XVIIIe et XIXe siècles dont les plus importants furent celui de Soko- to (Nord du Nigeria actuel) mené par Uthman dan Fodio vers 1810 et d‘al-Hâjj Umar au Mali au milieu du XIXe siècle (Robinson 1988, Schmitz 2006). La création de cet archipel d‘États musulmans qui s‘égrenèrent du Sénégal à l‘Ouest jusqu‘au Nigeria et au Cameroun à l‘Est fut un phénomène à double face. Car la lutte contre la mise en esclavage et la traite atlantique au nom de l‘interdiction de capture d‘un musulman fut à la fois le moteur de l‘islamisation (Diouf 1998), en créant des États qui étaient autant de zones refuges, et simultanément la légi- timation d‘une entreprise massive d‘asservissement des païens situés plus au sud du Sahel, en Guinée, Mali, Burkina, Cameroun.
  • 69. [69] En effet, ces guerres saintes inaugurèrent des traites et des mises au travail des esclaves au sein de plantations internes à l‘Afrique, (Meillassoux 1986, Lovejoy 2002, 2004, Pétré- Grenouilleau 2004) ainsi que des opérations de colonisation au nom de l‘islam, ces dernières se poursuivant sous des formes pacifiques jusqu‘à aujourd‘hui (Schmitz 2006). Avant de poursuivre, mesurons l‘importance de cette reconfiguration comportant deux facettes de l‘identification entre la couleur de peau, l‘élément médian et l‘islam d‘une part, la catégorie servile d‘autre part. Des musulmans ouest-africains se qualifient de « Blancs » Premièrement, le dualisme blanc-noir fut réservé à la sphère religieuse et à celle du carac- tère de la personne, la blancheur du « cœur », siège de l‘intelligence et de la volonté étant opposée à la noirceur de la dissimulation (Taine Cheikh 1986). Aussi les musulmans d‘Afrique de l‘Ouest (Soninke, Peuls / FulBe / Fulani) se qualifièrent-ils de « Blancs » (du point de vue religieux) au grand étonnement des voyageurs occidentaux du début du XIXe siècle qui pratiquaient une observation de type « sensualiste » assurant le passage du physique au moral. Ces derniers étaient en quête de « races » identifiées et mesurées au nom du para- digme naturaliste de « l‘anthropologie » (physique) (Broca). Ne pouvant expliquer la présence de Blancs parmi les Noirs, ils inventèrent des migrations en provenance de l‘Orient (Robinson 1988, Botte & Schmitz 1994). En second lieu se répandit particulièrement au Sahara et au Sahel une ethnographie ou une raciologie non pas dualiste mais comportant trois termes, en ajoutant au couple Blancs / Noirs, celui de Blancs / Rouges (ou d‘autres termes de couleur) décliné en arabe ou en Ta- masheq (berbère des Twaregs) (Lewis 1993). Les « Rouges » servaient à qualifier les nobles au statut ambigu, comme les Haratîn du Sahara occidental (Mauritanie, Maroc), affranchis ou descendants d‘esclaves « noirs » mais musulmans et « arabophones ». Échappe également au dualisme l‘appellation des Noirs musulmans de Mauritanie qui ne sont pas désignés en arabe hassaniyya par l‘antonyme de Blancs (bidân), sûdân - réservé aux ‗abd et Haratîn - mais par le terme kwâr désignant la couleur vert foncée d‘origine tamasheq (Taine Cheikh 1986). Enfin, le dualisme moral fut affecté à ces catégories ambiguës. En effet, les esclaves ou af- franchis compris dans cette zone du Sahara et du Sahel sont moins stigmatisés par rapport à leur couleur de peau que pour leur absence de vergogne ou de sens moral (Klein 2005). Cela renvoie à des codes de l‘honneur et de la générosité transmis par la généalogie (Botte 2000), qui sont des lieux communs des sociétés des milieux arides ou désertiques et non des sociétés musulmanes à proprement parler, ces dernières valorisant l‘aumône et le don pour recevoir la bénédiction. Aussi l‘islamisation de ces catégories qu‘on rencontre aussi bien au Nord qu‘au Sud du Sahara ne suffit pas à les émanciper. Une sous-estimation de la traite « arabe » Cette déconnexion entre couleur de peau, islam et esclavage et le dépassement du dualisme Blanc-Noir par une ethnographie à trois termes n‘ont duré qu‘un temps et ont été limités à Afrique de l‘Ouest, à la fois par la raciologie occidentale et par l‘arabisation qui a remis en pratique « l‘ethnographie arabe ». Le dualisme Noirs / Blancs, construit aux États-Unis par des dispositifs à fabriquer de la race (race making institutions) que sont après l‘esclavage, l‘hyper ghetto et l‘incarcération de masse des Afro-américains (Wacquant 2005), a dominé l‘interprétation des violences qui op- posèrent Sahariens (bîdân donc blancs) et Sahéliens (noirs, négro-mauritaniens...) au cours
  • 70. [70] des années 1990 : « événements sénégalo-mauritaniens » de 1989 jusqu‘à 1992 assimilés au conflit du sud Soudan (Bullard 2005) et rébellion puis chasse aux Twaregs au nord du Mali entre de 1990-1996 (Maiga 1997). Au Proche-Orient comme au Maghreb, cette construction a été recouverte par le nationa- lisme arabe dont l‘islamisme est un héritier et qui pratiqua une « politique du passé » à deux volets. En effet, la mise entre parenthèses de la traite à la fois « orientale » (océan indien et Maghreb) et interne à l‘Afrique au profit d‘une attention quasi exclusive à la traite atlantique était la condition de la fusion des victimes, « Arabes » et Subsahariens. La reconnaissance de la traite (principalement atlantique) et de l‘esclavage comme crime contre l‘humanité a été reconnue par une loi française proposée par Christiane Taubira, dépu- tée de la Guyane et promulguée le 21 mai 2001. De même, une telle reconnaissance, quoique moins nette, a été opérée à la conférence de Durban (Afrique du Sud) contre le racisme et la discrimination raciale... en septembre 2001. Dans les deux cas, on a assisté à une sous- estimation de la traite orientale ou « arabe ». Le second événement nous semble le plus révé- lateur. Précédant le 11 septembre, les conférenciers réunis à Durban ont réussi à faire passer au premier plan des « victimes » contemporaines de l‘Occident, non plus les Africains, l‘apartheid étant supprimé et l‘esclavage étant renvoyé au passé, mais les « Arabes » à travers les figures des Afghans ou des Palestiniens. Au centre de l‘opération, mentionnons l‘action menée depuis le début des années 1990 par un groupe de pression, le Group of Eminent Person ayant à sa tête deux historiens, J. F. Ade Ajayi et un politologue américain d‘origine kenyane, Ali Mazrui, qui arguèrent de la traite atlantique pour demander des « réparations » en décembre 2002 au colloque de l‘African Stu- dies Association (Howard Hassman 2004). Outre l‘exclusion de la traite orientale du réquisi- toire, les membres du groupe s‘appuyaient sur l‘absence de caractère racial de la traite mu- sulmane. L‘innocence de la traite arabe est un mythe occidental datant du XVIIIe siècle (Le- wis 1993 : 50) qui se cristallisa lors de la première abolition de 1792 et de la suppression de la traite. L‘euphémisation de l‘esclavage, qui prendra le relais, attribue également un caractère bénin à l‘esclavage africain alors que l‘analyse historique actuelle inverse les termes : au XIXe siècle, le sort des esclaves aux États-Unis est plus enviable que celui de ceux capturés en Afrique mais également des prolétaires en Europe (Botte 2000). Néanmoins, l‘esclavage musulman était différent du chattel slavery occidental - en dehors des « plantations » sahéliennes. Ses deux formes dominantes, l‘esclavage domestique et les armées d‘esclaves, étant l‘occasion d‘une réelle mobilité sociale (Robinson 2004). Ce déni de l‘esclavage interne sera repris par les Africains proto nationalistes - Senghor, Nyerere, Nkru- mah -, mais aussi les ethnologues comme Griaule (Botte 2000) qui construisirent en miroir une civilisation africaine égalitaire et communautaire, en l‘absence d‘une historiographie con- sistante sur les jihâd des XVIIIe et XIXe siècles qui n‘apparut que dans les années 1970. Victimes ici, dominants là-bas Ce déni de l‘esclavage africain sera étendu à celui des « Arabes » au nom du nationalisme des indépendances qui récusa l‘abolitionnisme chrétien, principal argument de la colonisation. En effet, pour les Occidentaux de la fin du XIXe siècle, le caractère bénin de l‘esclavage des musulmans fait place à un abolitionnisme militant véhiculé en Afrique par les missionnaires à travers deux figures dominantes. David Livingstone, explorateur de l‘Afrique du Sud et de l‘Est et évangéliste écossais fut le promoteur des « three Cs - Christianity, commerce et civilisation ». Son équivalent français fut Charles Lavigerie, évêque catholique d‘Alger et fondateur de l‘ordre des Pères Blancs,
  • 71. [71] chargé de mener un combat sans merci contre l‘esclavage et le commerce des esclaves de l‘Afrique islamique sous forme d‘une véritable croisade (1868-1892) à laquelle participa un des fondateurs de l‘Africanisme, Maurice Delafosse. Ainsi, en conclusion, dirions-nous qu‘aussi bien en matière d‘islam que d‘ethnonymie, le qualificatif de couleur fait l‘objet de contournements manifestes lorsqu‘il est question des Africains de l‘Ouest. On parle plus volontiers d‘islam africain (D. Robinson 2004) que « d‘islam noir » comme dans la première moitié du XXe siècle (Schmitz 1998). Cet évitement signale un ensemble complexe de représentations et de configurations réversibles et formant cascades : les victimes ici sont les dominants là-bas en fonction d‘une série de critères égale- ment contextuels : maîtrise de la langue arabe, signes visibles de piété musulmane... Ces phénomènes de « stigmatisation dans la stigmatisation » rendent difficile mais indis- pensable le « devoir d‘histoire » plus que de mémoire (Weil et Dufoix 2005) à l‘endroit de ces deux ensembles que l‘on a tenté de croiser et qui font l‘objet d‘une attention renouvelée, sur- tout dans le monde anglo-saxon : l‘islam (Robinson 2004) et l‘esclavage (Botte 2000, 2005, Pétré-Grenouilleau 2004, Lovejoy 2004). Afin de rendre justice aux valeurs et à cette écono- mie morale de l‘islam qui a permis aux migrants d‘Afrique de l‘Ouest de garder la tête droite même dans des conditions de vie très difficiles. De notre partenaire Africultures BIBLIOGRAPHIE Aouad-Badoual, Rita, 2004, « Esclavage » et situation des « noirs » au Maroc dans la première moitié du XXe siècle », in L ; Marfaing & S. Wippel, eds, Les relations transsaha- riennes à l‘époque contemporaine », Paris, Karthala : 337-359. Bensaad, Ali, 2005, « Les migrations transsahariennes. Une mondialisation par la marge », Maghreb-Machreq, 185 : 13-36. Botte, Roger, 2000a « L‘esclavage africain après l‘abolition de 1848. Servitude et droit du sol », Annales, HSS, 5 : 1009-1037. Id., 2000b, « De l‘esclavage et du daltonisme dans les sciences sociales. Avant-propos », Introduction au numéro spécial « L‘ombre portée de l‘esclavage. Avatars contemporains de l‘oppression sociale », Journal des Africanistes, 70 (1-2) : 7-42. Id., 2005, « Les habits neufs de l‘esclavage : métamorphose de l‘oppression au travail », Introduction au numéro spécial « Esclavage moderne ou modernité de l‘esclavage », Cahiers d‘Études africaines, XLV (3-4), 179-180 : 651-666. Botte Roger et Schmitz, Jean, 1994, « Paradoxes identitaires », Introduction au numéro spécial « L‘archipel peul », Cahiers d‘Études africaines, XXXIV-1-3, 133-135 : 7-22. Bullard, Alice, 2005, « From Colonization to Globalization. The Vicissitudes of Slavery in Maurita- nia », Cahiers d‘Études africaines, XLV (3-4) : 751-769. Diop M. et Michalak, L., 1990, « Refuge and « prison » : islam, ehtnicity and the adapta- tion of space in « workers housing » in France », in B. D. Metclaf, ed., Making Muslim Space in North Americ and Europe, Berkeley, University of California Press : 74-91. Diouf, Sylviane, 1998, Servants of Allah. African Muslims Enslaved in the Americas, New York, New York University Press.
  • 72. [72] Id., 2002, « Invisible Muslims : the Sahelian in France », in Yazbeck Haddad, Y. & Smith J. I., eds, Muslim Minorities in the West. Visible and Invisible. Lanham, MA, Altamira Press : 145-159. Howard- Hassmann, Rhoda E., 2004, « Reparations to Africa and the Group of Eminent Persons », Cahiers d‘Études africaines, XLIV (1-2), 173-174 : 81-97. Jules-Rosette, Bennetta, 1992, Black Paris. The African Writer‘s Landscape, Urbana and Chicago, University of Illinois Press. Klein, Martin, A., 2005, « The Concept of Honour and the Persistence of Servitude in the Western Sudan », Cahiers d‘Études africaines, XLV (3-4) 179-180 : 831-851. Lewis, Bernard, 1993, Race et esclavage au Proche-Orient (1ère ed. 1990, trad. Rose Saint-James), Paris, Gallimard (« Bibliothèque des Histoires »). Lovejoy, Paul, 2002, « Islam, Slavery, and Political Transformation in West Africa : Constraints of the Trans-Atlantic Slave Trade » in O. Pétré-Grenouilleau ed., Traites et esclavages : vieilles questions, nouvelles perspectives ? Revue Française d‘Histoire d‘Outre-Mer, 336-337 : 247-282. Lovejoy, Paul, ed., 2004, « Slavery, the Bilâd al-Sûdân and the Frontiers of the African Diasporas », in P. Lovejoy ed., Slavery on the Frontiers of Islam, Princeton, Marcus Wiener Publishers : 1-29. McDougall, Ann, 2005, « Living the Legacy of Slavery. Between Discourse and Reality », cahiers d‘Études africaines, XLV (3-4) 179-180 : 957-986. Meillassoux, Claude, 1986, Anthropologie de l‘esclavage. Le ventre de fer et d‘argent, Pa- ris PUF (réed 1998). Mohammad-Arif, A. et Schmitz, J (eds), 2006, Figures d‘Islam après le 11 septembre. Disciples et martyrs, réfugiés et migrants, Paris, Karthala. Ndiaye, Pap, 2005, « Pour une histoire des populations noires en France : préalables théo- riques », Le Mouvement social Pétré-Grenouilleau, Olivier, 2002, « Traites et esclavages : vieilles questions, nouvelles perspectives ? numéro spécial de Revue Française d‘Histoire d‘Outre-Mer, T. 89, N° 336-337. Id., 2004, Les traites négrières. Essai d‘histoire globale. Paris, Editions Gallimard (« Biblio- thèque des histoires »). Robinson, David, 1988, La guerre sainte d‘al-Hajj Umar. Le Soudan occidental au milieu du XIXe siècle, Paris, Karthala (1ère éd. 1984, trad. H. Tourneux). Id., 2004, Muslim Societies in African History, Cambridge, Cambrige University Press (« New Approach to African History »), 2004. Schmitz, Jean, 1998, ―Introduction‖, in Shaykh Muusa Kamara, Florilège au jardin de l‘histoire des Noirs, Paris, Éditions du CNRS : 9-91. Id., 2006, « Hétérotopies maraboutiques au Sénégal : jihad, hijra et migrations internatio- nales » in Mohammad-Arif, A. et Schmitz, J (éds), Figures d‘Islam après le 11 septembre. Disciples et martyrs, réfugiés et migrants, Paris, Karthala : 169-200. Soares, Benjamin, 2004, « An African Muslim Saint and his Followers in France », Jour- nal of Ethnic and Migration Studies, 30, 5 : 913-927.
  • 73. [73] Id. 2005, Islam and the Prayer Economy. History and Authority in a Malian Town, Ann Arbor, University of Michigan Press. Taine-Cheikh, Catherine, 1989, « La Mauritanie en noir et blanc. Petite promenade lin- guistique en Hassaniyya », Revue du Monde musulman et de la Méditerranée, LIV : 90-106. Timera, Mahamet, 1996, Les Soninké en France. D‘une histoire à l‘autre, Paris, Karthala. Vaillant, Janet, G., 2006, Vie de Léopold Sédar Senghor. Noir Français et Africain (Ière ed 1990, Trad. R Meunier), Paris, Karthala-Sephis (« Histoire des Suds »). Wacquant Loïc, 2005a, « De l‘esclavage à l‘incarcération de masse. Notes pour penser la question noire aux USA », in P. Weil & S. Dufoix, eds, L‘esclavage, la colonisation et après, Paris PUF : 247-273. Id., 2005b, « Les deux visages du ghetto », La Recherche « Figures du ghetto », 160 : 4- 21. Weil, Patrick et Dufoix, Stéphane, eds, 2005, L‘esclavage, la colonisation et après..., Pa- ris, PUF. [1] L‘umma est la communauté musulmane ou la communauté mondiale des croyants. Elle a un triple sens : communauté mondiale car dispersée de l‘Indonésie à l‘Afrique de l‘Ouest, regroupement unitaire dépassant les divisions sectaires et enfin utopie d‘une communauté imaginaire (Anderson) qui dépasse les divisions internes, la guerre civile (la fitna) qui est la grande obsession de l‘islam depuis la division chiites / sunnites. http://www.afrik.com/article10236.html
  • 74. [74] L’esclavage fait partie de l’Islam (Slavery is part of Islam) 16 septembre 2007 L’esclavage fait partie de l’Islam. L’esclavage fait encore partie du jihad, et le jihad du- rera aussi longtemps que l’Islam. Sheikh Saleh Al-Fawzan (imam saoudien, nov . 2003) Mauritanie, Arabie saoudite, pays du Golfe, Soudan, Pakistan, Maroc, Inde, Iran, sans par- ler de la Libye avec le retour des rançons barbaresques … De l’esclavage traditionnel ou de traine aux mariages iraniens { l’heure … Autant de formes de servitude, physique, économique et/ou psychologique qu’a le mérite de rappeler l’anthropologue franco-algérien Malek Chebel dans son dernier livre sur le sujet tabou (pour les musulmans comme pour nombre d’islamologues) de l’esclavage sur les terres d’un islam qui ne les a toujours pas remises en question pour les non-musulmans ou les femmes. Extraits de son entretien dans le Point : En Islam, le sujet est tabou. L’esclavage y est tellement intériorisé que les esclavagistes eux-mêmes refusent d’admettre qu’ils le sont. Même des islamologues occidentaux comme Vincent Monteil, Jacques Berque ou Louis Massignon, qui comptent parmi ceux qui ont le mieux connu l’Islam et qui disposaient des informations pour faire taire ce scandale ont préféré se con- centrer sur la hauteur mystique des grands théosophes plutôt que de faire la lumière sur les réalités scandaleuses des marchands de chair humaine. Celui qui est converti ne peut être réduit en esclavage, c’est un principe fondamental de l’islam. Pourtant, dès le VIIe siècle, la traite s’organise vers l’Asie, les Balkans et surtout l’Afrique…
  • 75. [75] L’empire avait besoin de bras, et comme justement l’esclave ne pouvait être musulman, on est parti le chercher ailleurs, en Asie, en Turquie, en Afrique. En échange du paiement d’une taxe, le monothéiste, juif ou chrétien, était protégé par l’islam, d’où son nom de dhimmi . Mais il y a le texte et la réalité, et il est vrai que nombre de Slaves de confession orthodoxe ont été réduits en esclavage, notamment sous le califat turc, pour remplir les harems et peupler l’armée.l’esclavage existe dans de nombreux pays, particulièrement en Mauritanie, en Arabie saoudite, dans les pays du Golfe, mais aussi au Maroc et en Inde, où vous citez les intouchables.la petite fille placée ad vitam aeternam comme bonne dans une famille marocaine, l’enfant indien asservi sur un chantier parce que ses parents sont endet- tés et le descendant d’esclave devenu métayer sur le domaine d’un grand propriétaire mau- ritanien Et je ne parle pas des femmes qui, en Iran ou ailleurs, sont utilisées comme des objets, par le biais notamment des mariages de convenance : on se marie le matin, on con- somme et on divorce le soir, le bénéficiaire de ce tour de passe-passe étant bien sûr l’homme. Le lien entre toutes les situations, c’est la servitude, physique, économique et psy- chologique. Nombre des exemples que je donne relèvent de l’esclavage de traîne : l’homme reste asservi parce qu’il n’a pas les moyens de quitter ses liens, même s’il est en théorie af- franchi. Ce n’est pas un hasard si la Mauritanie en est { sa troisième loi d’affranchissement, la dernière ayant été promulguée en août 2007. “L’islam est victime de sa culture esclavagiste” Le Point 13/09/2007 - Propos recueillis par Catherine Golliau Malek Chebel, défenseur de l’esprit des Lumières en Islam, engage un nouveau combat : éradiquer la culture esclavagiste, toujours vivante selon lui dans le monde musulman. Un cri de guerre. L'esclavage existe toujours en terre d'islam. Au pire, on le nie, au mieux, on le tait : telle est la thèse de « L'eslavage en terre d'islam », le dernier livre de l'anthropologue Malek Chebel, publié cette semaine chez Fayard. Cet ancien psychanalyste s'est fait une habitude d'attaquer la société musulmane là où elle a mal, dans son rapport à la raison et à la liberté de conscience, au plaisir et au sexe. Son dernier opus est encore plus déran- geant : plus qu'une étude scientifique, c'est un brûlot. L'Islam qu'il décrit est celui des négriers et des trafiquants, des enfants exploités et des femmes violées. Le fond comme la forme de ce pamphlet peuvent déranger. L'auteur a choisi de se mettre en scène et de livrer sans contrainte ses impressions, au risque d'altérer la rigueur de son propos. Qu'importe ! ll ose ce que d'autres amoureux de l'Islam n'ont jamais oser faire : clamer haut et fort son indignation face à la culture de l'esclavage en Islam. Le Point : L'esclavage dans les pays musulmans est un fait connu : nous avons tous en tête des visions de harem où les eunuques et les concubines sont au ser- vice du sultan. De nombreux auteurs comme Bernard Lewis, Robert C. Davis et Olivier Pétré-Grenouilleau, pour n'en citer que quelques-uns, ont travaillé sur ce thème. Qu'apportez-vous de neuf sur le sujet ? Malek Chebel : Le fait que ces auteurs, tout à fait estimables, ne soient pas musul- mans pèse sur la lecture que l'on fait de leurs travaux en terre d'islam. Je les cite d'ail- leurs abondamment. Mais en Islam, le sujet est tabou. L'esclavage y est tellement intério-
  • 76. [76] risé que les esclavagistes eux-mêmes refusent d'admettre qu'ils le sont. Même des isla- mologues occidentaux comme Vincent Monteil, Jacques Berque ou Louis Massignon, qui comptent parmi ceux qui ont le mieux connu l'Islam et qui disposaient des informations pour faire taire ce scandale ont préféré se concentrer sur la hauteur mystique des grands théosophes plutôt que de faire la lumière sur les réalités scandaleuses des mar- chands de chair humaine. Moi, je suis musulman. Ma parole a un poids différent. Mon étude est une enquête de terrain. J'ai visité tous les pays dont je présente la culture es- clavagiste. Je suis allé sur place, à Zanzibar, en Mauritanie, au Maroc, en Egypte... J'ai ren- contré les victimes de l'esclavage. Mais en touchant aussi violemment à l'islam et à ses pratiques, vous ne craignez pas d'être frappé d'une fatwa ? Je pourrais craindre une fatwa si j'insultais l'islam. Mais justement, je le défends. L'es- clavage est en contradiction avec les fondements de la religion musulmane. Nous pou- vons dire que l'islam est victime de la culture esclavagiste. Il est temps de dénoncer l'hy- pocrisie de tous ceux qui se revendiquent de l'islam le plus pur et qui dans le même temps violent son esprit en réduisant les autres en servitude. Mon livre est un manifeste et un cri de guerre contre ces pratiques. Le Coran est pourtant très ambigu sur l'esclavage. Le Coran, qui est le texte sacré de l'islam, évoque la question de l'esclavage dans vingt-cinq versets distincts répartis sur quinze sourates. Si certains versets peuvent pa- raître ambigus, la tonalité d'ensemble penche en faveur de l'esclave. « Délivrez vos frères des chaînes de l'esclavage », dit le Prophète. Celui qui se convertit à l'islam ne peut être retenu en esclavage. Une loi édictée sous le calife Omar (mort en 644) stipule par ailleurs que le musulman ne peut asservir son coreligionnaire, ni être asservi par lui. Imaginez, au VIIe siècle, dans une Arabie où l'esclavage se pratique couramment, ce que cette affirmation peut avoir de révolutionnaire. Tout musulman sincère qui possède un esclave est encouragé à l'affr anchir. Celui qui commet un acte que la morale réprouve peut ainsi se racheter en libérant un esclave. Tous les hommes ne sont pas pourtant égaux dans l'islam ? C'est vrai, et le Livre précise que Dieu « a élevé les uns au-dessus des autres, en de- grés, afin que les premiers prennent les autres à leur service, tels des serviteurs ». C'est sur un verset comme celui-ci que se fondent aussi les musulmans wahhabites d'Arabie saoudite et ceux du Golfe pour réduire leurs domestiques en servitude, en leur enlevant leur passeport et en les traitant comme des esclaves. Celui qui est converti ne peut être réduit en esclavage, c'est un principe fonda- mental de l'islam. Pourtant, dès le VIIe siècle, la traite s'organise vers l'Asie, les Balkans et surtout l'Afrique... L'empire avait besoin de bras, et comme justement l'esclave ne pouvait être musul- man, on est parti le chercher ailleurs, en Asie, en Turquie, en Afrique. En échange du paiement d'une taxe, le monothéiste, juif ou chrétien, était protégé par l'islam, d'où son nom de dhimmi . Mais il y a le texte et la réalité, et il est vrai que nombre de Slaves de confession orthodoxe ont été réduits en esclavage, notamment sous le califat turc, pour remplir les harems et peupler l'armée. De Zanzibar à Socotra, vous énumérez tous les comptoirs de traite qu'a connus l'Afrique. Des villes comme Le Caire ont fondé une partie de leur richesse sur le
  • 77. [77] trafic d'esclaves. Si la traite atlantique organisée par les Européens du XVIIe au XIXe siècle est inexcusable, les musulmans n'ont pas vraiment de leçon à donner : ils ont organisé la traite des Noirs pendant près de dix siècles en toute bonne conscience. C'est vrai, et j'ai même découvert un ensemble de documents qui correspondent au Code noir en vigueur dans les Antilles françaises à l'époque de la traite : des préceptes et des règles qui expliquent comment acheter, vendre et traiter l'esclave. Mais si les condi- tions de vie pendant le transport sont tout aussi odieuses, le statut de l'esclave en Islam était très différent de celui qui lui a été imposé par les Européens dans les plantations d'Amérique. Les témoignages montrent quand même qu'un eunuque ou un serviteur ne va- lait pas grand-chose... Il est difficile de résumer dix siècles d'esclavage. Je vous donnerai seulement trois exemples. Le premier est celui des femmes enlevées pour peupler les harems. Si elles avaient un enfant du maître, elles étaient affranchies et leur enfant était reconnu. On connaît plusieurs cas de sultans ou de califes qui étaient fils d'esclave. Deuxième exemple : les esclaves qui grimpent dans l'administration ou dans l'armée. Les mame- louks ont ainsi dirigé l'Egypte du XIIIe au XVIe siècle : ils étaient à l'origine des esclaves utilisés comme soldats, qui un jour ont pris le pouvoir. Troisième exemple : les « sultans- esclaves » de l'Inde moghole, au XIIIe siècle. D'une manière générale, l'esclave peut se convertir, il ne peut prétendre qu'à une demi-part d'un héritage, mais rien ne l'empêche de devenir suffisamment riche pour racheter sa liberté, et ensuite de détenir lui-même des esclaves ! Vous assurez que l'esclavage existe dans de nombreux pays, particulièrement en Mauritanie, en Arabie saoudite, dans les pays du Golfe, mais aussi au Maroc et en Inde, où vous citez les intouchables. De quel esclavage parlez-vous ? Peut-on mettre au même niveau la petite fille placée ad vitam aeternam comme bonne dans une famille marocaine, l'enfant indien asservi sur un chantier parce que ses parents sont endettés et le descendant d'esclave devenu métayer sur le domaine d'un grand propriétaire mauritanien ? Il y a plusieurs niveaux d'esclavage, certes. Et je ne parle pas des femmes qui, en Iran ou ailleurs, sont utilisées comme des objets, par le biais notamment des mariages de convenance : on se marie le matin, on consomme et on divorce le soir, le bénéficiaire de ce tour de passe-passe étant bien sûr l'homme. Le lien entre toutes les situations, c'est la servitude, physique, économique et psychologique. Nombre des exemples que je donne relèvent de l'esclavage de traîne : l'homme reste asservi parce qu'il n'a pas les moyens de quitter ses liens, même s'il est en théorie affranchi. Ce n'est pas un hasard si la Mauri- tanie en est à sa troisième loi d'affranchissement, la dernière ayant été promulguée en août 2007. Il faut une grande volonté pour lutter contre la servitude. Depuis trop long- temps, les musulmans sont imprégnés d'une culture de l'asservissement. Ils doivent s'en affranchir. « L’esclavage en terre d’islam » (Fayard, 496 pages, 24 E) Source : http://jcdurbant.blog.lemonde.fr/2007/09/16/islam-lesclavage-existe-toujours-enterre- dislam-slavery-is-still-part-of-islam/
  • 78. [78] L’esclavage en terre d’Islam Il fallait du courage { Malek Chebel pour parler de l’esclavage parmi les Musul- mans dans l’histoire et dans les temps actuels. Il l’a fait dans un livre, dont la lec- ture est vivement conseillée et qui a comme titre : L’ESCLAVAGE EN TERRE D’ISLAM, publié par Fayard (Paris). Il fallait du courage pour en parler, surtout par un musulman et pour les Musulmans. En effet, on pense couramment (et on l’enseigne partout dans les écoles, surtout en Afrique) que les esclavagistes étaient essentiellement des Européens, qui ont pratiqué pendant presque quatre siècles un commerce juteux entre l’Afrique (esclaves), les Amé- riques (rhum, sucre, etc.) et l’Europe (tissus, miroiterie, etc.). C’était le commerce «trian- gulaire» entre trois continents. Mais dans les régions colonisées par les arabes musul- mans ? L{ aussi, l’esclavage était pratiqué, comme du reste partout dans le monde. Et pourtant Mohammed avait bien dit de libérer «les frères des chaînes de l’esclavage». Le successeur du Prophète avait été fidèle { l’enseignement du Maître. Abû Bakr, mort en 634, fut remplacé par le deuxième Calife, Omar (581 – 684), qui au contraire encouragea ce commerce et les marchands d’esclaves n’avaient plus de limites à leurs entreprises. Des collaborateurs En arabe, esclave se dit ‘abd, ou ‘abid et ma’bûd pour désigner surtout les esclaves noirs. Ces esclaves noirs venaient essentiellement de Zanzibar, où les Arabes sont arri- vés au cours du douzième siècle, ou d’autres pays du Sahel au fur et { mesure des con- quêtes. De là viennent les mots zandj et aswad, toujours pour désigner les esclaves noirs. Mais combien d’esclaves sont-ils partis de l’Afrique ? La traite occidentale, selon les ex- perts, aurait transporté en Amérique au moins 12 millions de personnes à partir du XVI jusqu’au XIX siècle. Pour les capturer, il fallait évidemment entrer { l’intérieur des côtes africaines. Cela était le travail des collaborateurs africains de la traite et des roitelets locaux. A ce propos, il ne faut pas oublier, selon les experts, que pour capturer un es- clave, il fallait en tuer cinq autres. Donc nous pouvons seulement imaginer la tragédie que la traite des esclaves a provoquée dans toute l’Afrique subsaharienne. Malek Chebel a voulu dans son livre nous rappeler que la traite «orientale», pratiquée essentiellement par les arabes et les islamisés, a été aussi meurtrière que celle occidentale, sinon pire. On parle d’environ 20 millions de personnes, capturées essentiellement en Afrique, mais aussi en Europe de l’Est et dans le Caucase. Cette traite a initié au début de l’Islam et a duré jusqu’{ nos jours. La doctrine des «Lumières» du XVIII siècle et la tradition chré- tienne, redécouverte après l’ouragan de la Révolution Française, ont beaucoup contribué à la suppression de la traite des esclaves. L’abolition de l’esclavage a été décidé en 1834 en Angleterre, en 1843 en Inde, en 1847 en Tunisie, en 1848 en France, en 1850 au Bré- sil, en 1856 au Portugal, en 1865 aux Etats-Unis, etc. Le dernier envoi d’esclaves du Mo- zambique vers le Brésil s’est fait en 1862. Et pour les pays islamisés ? On a publié des lois et des décrets qui sont restés lettre morte presque partout. A titre d’exemple, un marché d’esclaves se tenait régulièrement { Rabat au Maroc jusqu’en 1910, tandis que l’abolition de l’esclavage sera nommée dans un décret royal en 1922. Au Pakistan, l’abolition de l’esclavage a été décidée en 1992 et en Mauritanie en 2007 !...
  • 79. [79] De nos jours Et actuellement ? La traite des esclaves continue… sous d’autres formes. Des millions d’hommes et de femmes viennent dans les pays du Moyen Orient pour chercher du tra- vail. Ils ont un salaire misérable par rapport au niveau de vie de ces pays. Ils n’ont pas droit { se marier, { la reconstitution familiale, { l’intégration. Une fois terminé le contrat de travail, ils sont obligés { rentrer dans leur pays d’origine: l’Inde, le Bangladesh, les Philippines, etc. S’ils sont chrétiens, ils n’ont pas droit aux objets de culte, { avoir une chapelle ou à se réunir pour la prière. Au Mali, au Tchad et dans d’autres pays de l’Afrique subsaharienne, on pratique encore la vente d’enfants. Selon les Nations Unies, il y en a au moins deux cent mille qui disparaissent chaque année dans ces pays et qui prennent la route du Moyen Orient ou d’ailleurs. Les « esclaves » avaient et parfois ont encore aujourd’hui toujours le même rôle dans les pays de l’Islam: le travail physique, les jouissances sexuelles et le service domestique. En parler ouvertement aujourd’hui dans les pays de l’Islam ? Il vaut mieux de ne pas le faire. C’est gênant. Pour cette raison, Malek Chebel a eu du courage pour aborder la question de l’esclavage en terre d’Islam dans le temps passé, mais aussi, dans plusieurs pays { majorité musulmane, aujourd’hui encore. Tonino Falaguasta Nyabenda Les pays visités Avant de parler de l’esclavage en terre d’Islam, Malek Chebel a parcouru un certain nombre de pays qui se réclament de l’enseignement de Mohamed. La Turquie d’abord. Ce pays avec la domination ottomane contrôlait la vie politique, économique et sociale d’une grande partie des pays islamiques jusqu’au XX° siècle. Et aujourd’hui, grâce { la réforme de Atatürk Mustafa Kemal (1881-1938), la Turquie continue { jouir d’une grande influence surtout sur les pays { l’islam modéré, en Afrique, au Moyen Orient et en Asie Centrale. L’Irak et l’Iran: le mariage de complaisance qui y est pratiqué est une forme moderne d’esclavage. L’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Yémen, le sultanat d’Oman : les es- claves des temps modernes ne viennent pas des guerres ou des razzias, mais ce sont des ou- vriers qui font le travail le plus dur et le moins rémunéré. Toute l’Afrique du nord et les pays de la Corne ont été une plaque tournante de l’esclavage. Et Tombouctou, la ville sainte du Niger? On disait qu’il y avait 333 saints. Mais ces saints (les imam), moyennant des offrandes géné- reuses, légitimaient (aujourd’hui encore) un commerce innommable. Nous allons terminer par la Mauritanie, où l’esclavage a été déclaré délit passible d’une peine allant jusqu’{ dix ans de prison, le 8 août 2007 ! Mais les Harratine, descendants d’esclaves noirs, sont encore entre cent mille et cent cinquante mille, concentrés dans la vallée du fleuve Sénégal et «propriété» de cinq grandes tribus du pays. A la face des Droits de l’Homme proclamés par les Nations Unis en 1948 ! http://www.afriquespoir.com/ae43/index_fichiers/esclavage.htm
  • 80. [80] UN AFRICAIN CONSIDÈRE L’ESCLAVAGE ISLAMIQUE INFLIGÉ AUX AFRICAINS AFRICAINS LIBÉRÉS DES MAINS D'UN NÉGRIER ARABE DU ZANZIBAR EN 1884 (Ofosu-Appiah, p.82) http://debate.org.uk/gesu-corano/francese/t12_f.htm I. LES PRÉTENTIONS DE L’ISLAM Aujourd’hui il y a de nombreux Afro-Caraïbes et Afro-Americains qui se convertissent a l’Islam. Selon les recherches, ces nouveaux Musulmans se sont convertis avant tout parce qu’ils pensaient que l’Islam était une religion de "fraternité et d’égalité". Beaucoup d’entre eux croyaient que l’Islam n’avait pas de problèmes raciaux et qu’il n’était pas impliqué dans la traite des esclaves, ainsi que plusieurs pays occidentaux européens. ‘Abd-al-Aziz’ Abd-al-Zadir Kamal écrit en "L’Islam et la question raciale": "Dans l’Islam, l’humanité constitue une seule grande famille, créée (avec)... diversité de couleur de la peau... (pour cette raison)... en adorant Dieu, tous les hommes sont égaux, et un Arabe n’a pas la priorité sur un non Arabe… Tous les êtres humais sont... égaux… et les mariages sont conclus sans tenir compte de la couleur de la peau." Il affirme donc que dans l’Islam il y a l'harmonie raciale et que tous, indépendemment de leur couleur, ont "les mêmes droits sociaux… les obligations légales... l’opportunité de trouver du travail et... la protection de leur personne" (pag. 64). Mais est-ce vrai? Ces prétentions sont-elles valables { la lumière de l’histoire? Voyons par exemple la question del’esclavage de l’Islam. II. LES SOURCE ISLAMIQUES CONFIRMENT-ELLES CES PRÉ- TENTIONS?
  • 81. [81] Colonialisme arabe musulmane Région de l'esclavage arabe Région de l'esclavage européen Malheureusement il y a beaucoup de personnes de couleur noire qui croient que l’attaque acharnée des Arabes { l’Occident s’accorde avec la cause afri- caine. C’est une erreur mortelle. Les pre- miers écrivains Musulmans des traditions islamiques (qu-ont été rédigées assez tard, c’est-à-dire entre le 9ème et le 10ème siècle après J.C.) admettent que déjà aux temps de Mahomet il était devenu appro- prié de propager ses idées par des con- quêtes militaires; donc il n’est pas surpre- nant que selon la tradition il ait dit: "L’action la plus digne d’attention… et la meilleur source de gain est la guerre" (Mishkat II, pag. 340). Quand les premiers leaders de la conquête arabe (c’est-à-dire Abu Bakr, Umar et d’autres) envahissaient les pays, l’histoire démontre que les habitants innocents pou- vaient être dominés ou bien "accepter la mort par l’épée" (Dictionary of Islam, pag. 24). Le Coran même commande aux Musulmans: "…tuez ces faiseurs de dieux, où que vous les trouviez; et capturez-les, et assiégez-les, et tenez-vous tapis pour eux dans tout guet- apens..." (Sourate 9:5). En outre il recommande aux Musulmans d’avoir des esclaves, hommes et femmes (Sourate 4:24-25). Selon la tradition islamique le général Abu Ubaidah, durant le siège de Jérusalem, donna le choix aux habitants "d’accepter l’Islam ou bien de se préparer a être tués par l’épée" (Rau Zatu, Volume II, pag. 241). Les compilateurs Musulmans à la fin du 9ème siècle admettent franchement que Ma- homet fut un chef militaire. Alors que les premières descriptions de la vie de Mahomet en disent peu sur son activité prophétique, il abonde de récits, concernant ses batailles. Al-Waqidi (mort en 820) estime que Mahomet fut impliqué personellement dans 19 ba- tailles sur 26 (Al Waquidi 1966:144). Ibn Athir dit que leur nombre a été de 35 (Ibn Athir, pag. 116), alors que Ibn Hisham (mort en 833) l’évalue { 27 (Ibn Hisham, pag. 78). Le conseil belliqueux de Mahomet à ses partisans fut celui-ci: "Faites la guerre avec moi pour envahir la Sirie, peut-être aurez-vous les filles de Al Asfar" (Al Waqidi 1966:144). Il faut savoir que Al Asfar était un homme d’affaires africain LIBRE ayant de très belles filles au point que "leur beauté était devenue proverbiale" (Al Waqidi 1966:144). Par conséquent, les pauvres disciples de Mahomet ne restèrent pas pauvres pour longtemps. Ils devinrent ultra-riches avec les butins de la guerre, et accumulèrent beau- coup d’animaux et d’ESCLAVES, et en plus beaucoup d’or (Mishkat, Volume II, pag. 251- 253, 405-406). Il n’est pas surprenant que Ali Ibn Abu Talib se vantât en disant: "nos fleurs sont l’épée et le poignard. Les narcisses et les myrtes ne valent rien; notre boisson est le sang
  • 82. [82] de nos ennemis, notre calice est leur crane après les avoir combattus" (Tarikh-ul Khula- fa, pag. 66-67). Il n’est pas surprenant que le Coran résonne de cette pensée en disant: "Lors donc que (en combattant) vous rencontrez ceux qui mécroient, alors, frappez aux cols. Puis, quand vous les avez dominés..." (Sourate 47:4) et "Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu..., et ceux des gens du Livre (c’est { dire les Juifs et les Chrétiens)..." (Sourate 9:29). III. L’HISTOIRE CONFIRME-T-ELLE CES PRÉTENTIONS? Le général musulman Amr Ibn Al’As envahit l’Egypte de 639 { 642 (Williams 1974:147-160). L’Egypte ne lui suffit pas et pour cela il tenta de coloniser la Makuria, un royaume Chrétien indépendant. Mais le roi Kalydossas découvriet le complot on 643. Al'As tenta de nouveau de s'emparer de la Makuria en 651, mais il échoua et il fut con- traint de signer un traité de paix (Williams 1974:142-145). En 745 le général Omar, le nouveau gouverneur d’Egypte, intensifia la persécution des Chrétiens, mais le roi Cyriacus de la Makuria réussit à stopper cette nouvelle attaque (Williams 1974:142-145). En 831 le roi Zakaria, le nouveau monarque de la Makuria s'inquiéta { cause des chasseurs musulmans d’esclaves qui envahissaient son pays (l’actuel Soudan). Il envoya une délégation internationale au calife de Bagdad, de ma- nière que ces violations du traité de paix fussent arrêtées, mais il ne reçut aucune aide (Williams 1974:142-145). Le sultan Balbar d’Egypte continua à violer le traité de 651 (voire Sourate 9:1-4). Plus tard, en 1274, les Musulmans de l’Egypte subjuguée, commencèrent { coloniser et { dé- truire l’Alwa, la Makuria et la Nobatia, les 3 royaumes antiques chrétiens en Afrique. Les peuples de ces nations, autrefois indépendantes et rayonnantes, furent vendus comme esclaves. Alors que l’Islam et la culture arabe se répandaient en Afrique, se diffusaient égale- ment l’esclavage et le génocide culturel. On commença { faire la guerre pour avoir des esclaves africains. Kumbi Kumbi, la capital du Ghana, fut détruite par les envahisseurs musulmans en 1076. Le Mali avait une "mafia" musulmane qui "encourageait" les rois africains du Mali { embrasser l’Islam. Cette "mafia" contrôlait les importants caravaniers et les ports commerciaux de l’Afrique. Les Musulmans réussirent { s’emparer des places les plus importantes du gouvernement et commencèrent { changer l’histoire antique du Mali de façon que les évènements préislamiques furent effacés. Pour des raisons de sé- curité, le gouvernement du Ghana des Mossi, conscient du pouvoir des commerçants mu- sulmans, institua un département gouvernemental pour contrôler l’espionnage musul- man (Davidson,Wills et Williams). La traite islamique des esclaves se déroulait également autour du Lac de Giad, dans les états musulmans de Bagirmi, Wadai et Darfur (O’Fahley et Trimmingham 1962:218- 219). Au Congo les négriers Jallaba commerçaient avec les Kreish et avec les Azande, un peuple du nord (Barth et Roome). Également fréquentée était la route qui suivait la ligne de partage des eaux entre le Nil et le fleuve Congo, où les négriers arabes-musulmans (par exemple Tippu Tip du Zanzibar) arrivèrent des zones orientales de l’Afrique (Roome 1916, et Sanderson 1965).
  • 83. [83] Dans l’Afrique orientale, les promoteurs du commerce des esclaves étaient les peuples Yao, Fipa, Sangu et Bungu, tous Musulmans (Trimmingham 1969 et Gray 1961). Sur la rive du Lac Nyasa (appellé actuellement Lac du Malawi) fut institué en 1846 le sultanat musulman du Jumbe avec le but précis de favoriser le commerce des esclaves (Barth 1857 et Trimmingham 1969). En 1894 le gouvernement britanique évalua que le 30% de la population de Hausaland étaient constitués d’ex-esclaves. Il en était ainsi aus- si dans l’Afrique occidentale française entre 1903 et 1905 (Mason 1973, Madall et Ben- nett, et Boutillier 1968). IV. L’ISLAM AUJOURD’HUI A. CES PRÉTENTIONS SONT-ELLES VALABLES? Les Africains modernes ont pratiqué trop longtemps l’amnésie sélective quant { l’esclavage islamique. Les Africains de couleur ont mis effectivement l’emphase sur l’impact destructif du colonialisme européen et du commerce transatlantique des es- claves, mais ils ont étrangement ignoré la traite arabe-musulmane des esclaves en Afrique, de durée plus longue et dont l'effet fut dévastant. On n’entend pratiquement jamais parler des Africains qui étaient contraints d’immigrer { cause des incursions des négriers musulmans de l’ouest, de l’est et du nord d’Afrique après le 7ème siècle. Les esclaves africains, transportés par voie navale de Zanzibar, Lamu et d’autres ports est-africains, n’étaient pas conduits en Occident (ainsi que certains Musulmans veulent nous le faire croire), mais aboutissaient en Arabie, en Inde et dans d’autres états musulmans en Asie (Hunwick 1976, et Ofosu-Appiah 1973:57-63). Des rapports non-officiels évaluent que plus de 20 millions d’Africains ont été vendus en tant qu’esclaves par les Musulmans entre 650 et 1905 (Wills 1985:7)! Il est intéressant de remarquer que la majorié de ces 20 millions d’esclaves n’était pas constituée par des hommes, mais par des femmes et des enfants qui sont plus vulné- rables (Wills 1976:7). Ceci est logique, vue que la position du sexe femminin dans le Co- ran a toujours été inférieure à celle du sexe masculin (Sourate 2:224; 4:11,34,176). Les théologiens musulmans, comme le fameux Ahmad Baba (1556-1527), soutenaient que "...la raison de l’esclavage imposé aux Soudaniens est leur refus de croire… (c'est pourquoi) il est légal de s’emparer de quiconque est capturé en tant qu’infidèle... Maho- met, le prophète, réduisait en esclavage les personnes, parce qu’elles étaient Kuffar… (C’est alors) légal de posséder les Etopiens…" (Baba pag. 2-10). Hamid Mohomad (alias "Tippu Tip"), qui est mort en 1905, était un des négriers les plus commerçants de Zanzibar. Chaque année il vendait plus de 30.000 Africains (Lewis pag. 174-193 et Ofosu-Appiah 1973:8). Il est important de se souvenir que la traite des esclaves { Zanzibar a continué jusqu’ en 1964! En effet, en Mauritanie la traite n’a pas été déclarée officiellement illégale avant 1981, alors qu’au Soudan on continue jusqu’{ aujourd’hui, selon un rapport de l’ONU du 1994 (voire aussi Ofosu-Appiah 1973:57-63; "The Times" du 25 aout 1995; Darley 1935; MacMichael 1922 et Wills 1985). Ces exemples concernent un esclavage uniquement islamique. B. FAUT-IL RECONNAITRE CES PRÉTENTIONS?
  • 84. [84] On survole généralement les fait cités ci-dessus, on les ignore et on les oublie dans la littérature, pour le simple fait qu’il n’est pas "correct politiquement" d’en parler. Étant moi-même Africain, je dis honnêtement que nous devons révaluer le rôle de l’impérialisme européen du 19ème siècle reconnaissant qu’il a été, malgré la "mauvaise presse" dont il jouit, une des rares force qui a arrêté l’impérialisme arabes-musulman sur le continent africain. Les Musulmans arabes d’aujourd’hui discréditent l’impérialisme occidental du passé sans considérer ou discuter l’argument de leur propre histoire sordide du continent. CONCLUSION Ceci a été un bref résumé de l’esclavage islamique en Afrique. Les compilateurs du Coran et les écrivains islamiques postérieurs admettent que la guerre et la traite des esclaves furent les moyens les plus efficaces pour s’emparer des pays neufs et indépen- dants en Afrique. Cette théologie a gravement endommagé non seulement la vie de fa- mille africaine, mais aussi l’antique héritage chrétien en Afrique et le développement économique jusqu’{ aujourd’hui. L’Islam a délibéremment attaqué d’abord les femmes et puis les enfants, la partie la plus vulnérable et importante de la population africaine. Les hommes qui n’ont pas été vendus comme esclaves ont été simplement tués. La colonisa- tion et l’esclavage islamiques ont commencé plus de 1000 ans avant la plus récente et brève traite européenne et transatlantique (Hughes 1922:49). Beaucoup de cultures africaines, aussi bien païennes que chrétiennes, ont été détruites. Pourquoi? En plus, pourquoi les Musulmans ne protestent-ils pas contre l’esclavage imposé aux Africains dans le Soudan d’aujourd’hui et pourquoi ne l’arrêtent-ils pas? Leur silence est très éloquent! Alors que les esclaves dans les pays occidentaux ont été libérés, il y a des siècles, les Africains se demandent pour combien de temps encore l’esclavage durera encore sur le continent africain. Le Seigneur Jésus a dit: "Allez, faites de toutes les nations des disciples", y compris l’Afrique (Matthieu 28:19-20). Il ne nous a pas demandé de faire la guerre ou de réduire les peuples en esclavage. Au contraire, lorsque le Fils de Dieu t’aura libéré, tu seras vraiment libre. En fait, la Bible condamne tout genre d’impérialisme, aussi bien arabe, qu’européen, asiatique ou africain (voire Exode 23:4-5; Levitique 19:15; Deutèronome 27:17; Proverbes 10:2-4, Isaie 5:20; Matthieu 5:13-18, 38-48, 15:19; Jean 18:36-37; Ro- mains 1:16-3:20; Hébreux 11:8-16 et Jacques 4-5). Jésus a également dit: "vous les re- connaitrez à leurs fruits". Les Chrétiens moraves blancs de l’Allemagne se "vendaient" délibéremment comme esclaves pour pouvoir prêcher l’évangile aux esclaves noirs des Indes occidentaux! Les Arabes musulmans auraient-ils fait quelque chose de semblable pour les noirs? Le bon arbre de Jésus Christ porte de bons fruits. Le mauvais arbre de l’Islam a porté de mauvais fruits en Afrique { partir de 639 et après, et il continue à le faire encore aujourd’hui. C'est { toi de faire la comparaison et de prendre position! Frère Banda *Ce traité a été réalizé par des Chrétiens évangéliques pour diffuser efficacement la vérité de Jesus le Messie aux Musulmans. Attention: Les citations sont prises du "Le Saint Coran", traduction et commentaire de Muhammad Hamidullah, Nouvelle Edition 1989
  • 85. [85] L’esclavage en islam jeudi 13 novembre 2008, par Marie Le Coran, texte sacré de l’islam, entérine l’existence de l’esclavage. La charia, qui s’appuie sur le Coran et les dits de Ma- homet (hadiths), autorise la réduction en esclavage de qui- conque n’est pas musulman (si un esclave vient { se convertir, il n’est pas affranchi pour autant). Après la mort de Mahomet et la soumission de la péninsule arabique, les Arabes conquièrent les rives méridionales et orien- tales de la Méditerranée. Multipliant les prises de guerre, ils pro- longent dans ces régions l’esclavage à la mode antique. Ils inaugurent aussi une longue et douloureuse traite négrière qui va saigner l’Afrique noire jusqu’{ la fin du XIXe siècle. Les arabo-musulmans s’abstiennent de réduire en esclavage leurs coreligionnaires mais cette règle souffre de nombreuses transgressions et l’on ne rechigne pas { asservir des musulmans, notamment noirs, au prétexte que leur conversion est récente. L’esclavage devient rapidement l’un des piliers de l’économie de l’empire abasside de Bagdad. Les harems du calife et des notables de Bagdad se remplissent de femmes origi- naires du Caucase réputées pour leur beauté. Ces belles esclaves ont continué jusqu’au XXe siècle d’alimenter les harems orientaux en concurrence avec les beautés noires ori- ginaires d’Éthiopie. Pour les tâches domestiques et les travaux des ateliers et des champs, les sujets du ca- life recourent { d’innombrables esclaves en provenance des pays slaves, de l’Europe méditerranéenne et surtout d’Afrique noire. Ces esclaves sont maltraités et souvent mu- tilés et castrés. D’autres esclaves et eunuques sont employés comme soldats et chefs de guerre par les différentes dynasties musulmanes, du Maroc aux Indes. Dans les premiers temps de l’islam, les notables de Bagdad s’approvisionnent en es- claves blancs auprès des tribus guerrières du Caucase mais aussi auprès des marchands vénitiens qui leur vendent des prisonniers en provenance des pays slaves, encore païens. En Europe orientale et dans les Balkans, pendant la même période, les Ottomans pré- lèvent environ trois millions d’esclaves. Mais l’expansion européenne, { partir de la fin du XVIIIe siècle, met fin à ces razzias. Si la traite des esclaves blancs a rapidement buté sur la résistance des Européens, il n’en a pas été de même du trafic d’esclaves noirs en provenance du continent africain. La traite arabe commence en 652, lorsque le général arabe Abdallah ben Sayd impose aux Nubiens (habitants de la vallée supérieure du Nil) la livraison de 360 esclaves par an. Les spécialistes évaluent de douze à dix-huit millions d’individus le nombre d’Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire, du VIIe au XXe siècle, soit { peu près autant que la traite européenne { travers l’océan Atlantique, du XVIe siècle au XIXe siècle.
  • 86. [86] Le trafic suit d’abord les routes transsahariennes. Des caravanes vendent { Tombouc- tou par exemple des chevaux, du sel et des produits manufacturés. Elles en repartent l’année suivante avec de l’or, de l’ivoire, de l’ébène et... des esclaves. Au XIXe siècle se développe aussi la traite maritime entre le port de Zanzibar (aujourd’hui en Tanzanie) et les côtes de la mer Rouge et du Golfe persique. Le sort de ces esclaves, razziés par les chefs noirs à la solde des marchands arabes, est dramatique. Après l’éprouvant voyage { travers le désert, les mâles sont systématique- ment castrés avant leur mise sur le marché, au prix d’une mortalité effrayante, ce qui fait dire { l’anthropologue et économiste Tidiane N’Diyae : « Le douloureux chapitre de la déportation des Africains en terre d’islam est comparable à un génocide. Cette déporta- tion ne s’est pas seulement limitée { la privation de liberté et au travail forcé. Elle fut aussi – et dans une large mesure - une véritable entreprise programmée de ce que l’on pourrait qualifier d’extinction ethnique par castration ». Le mépris des Noirs a perduré au fil des siècles. Ainsi peut-on lire sous la plume de l’historien Ibn Khaldoun (1332-1406) : « Les seuls peuples { accepter l’esclavage sont les Nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal ». « Comparé à la traite des Noirs organisée par les Européens, le trafic d’esclaves du monde musulman a démarré plus tôt, a duré plus longtemps et, ce qui est plus impor- tant, a touché un plus grand nombre d’esclaves », écrit en résumé l’économiste Paul Bai- roch. Cet auteur ainsi que Tidiane N’Diaye rappellent qu’il ne reste pratiquement plus trace des esclaves noirs en terre d’islam en raison de la généralisation de la castration, des mauvais traitements et d’une très forte mortalité, alors que leurs descendants sont au nombre d’environ 70 millions sur le continent américain. Notons le parallèle avec les États arabes du Golfe Persique qui recourent massive- ment à des travailleurs étrangers tout en empêchant ceux-ci de faire souche sur place... à la différence des pays occidentaux. Dès les premiers temps de l’islam, des caravaniers arabes ont puisé dans le vivier de nombreux esclaves en vue de les revendre au Moyen-Orient. Des chefs noirs se sont mis à leur service pour guerroyer contre leurs voisins et les fournir en prisonniers. Il s’en est ensuivi un trafic de 5.000 à 10.000 esclaves par an en direction des pays musulmans. En témoignage de ce trafic, le mot arabe abd qui désigne un serviteur ou un esclave, est devenu synonyme de Noir. Au XIXe siècle, des musulmans de confession chiite en provenance du Golfe persique se sont établis sur une île de l’Océan indien proche du littoral africain. Ils l’ont appelé Zanzibar (de Zenj et bahr, deux mots arabes qui signifient littoral des Noirs) et y ont créé de fructueuses plantations de girofliers sur lesquelles travaillaient des esclaves noirs du continent. Les conditions de travail y étaient épouvantables : « La mortalité était très élevée, ce qui signifie que 15 à 20% des esclaves de Zanzibar (soit entre 9.000 et 12.000 individus) devaient être remplacés chaque année », écrit Catherine Coquery-Vidrovitch. Très vite, Zanzibar est devenu un important marché d’exportation d’esclaves { desti- nation du Golfe arabo-persique. Les comptes précis tenus par l’administration du sultan ont permis d’évaluer { plus de 700.000 le nombre d’esclaves qui ont transité par l’île entre 1830 et 1872.
  • 87. [87] Aujourd’hui encore, les habitants noirs de Zanzibar conservent un statut de quasi- esclave. http://kabyles.net/L-esclavage-en-islam,3969.html 3 Messages de forum  L’esclavage en islam 14 novembre 2008 07:14, par Rainbird l‘Occident se sent aujourd‘hui coupable de l‘esclavage que les musulmans n‘en font même pas mention. C‘est de plus, encore l‘Europe qui a interdit cette pratique, je crois que l‘islam ne l‘a pas encore abrogée.  L’esclavage en islam 14 novembre 2008 08:31, par apostislam@gmail.com Il ne faut pas oublier que le "butin" consacré par la sourate VIII (mais aussi sourate XLVIII ; la victoire) était constitué non seulement par des marchandises ou du bétail, mais aussi d‘hommmes etde femmes, qui pouvaient selon le bon vouloir de ceux qui s‘en étaient emparrés être exécutés, rendus contre rançon ou réduits en esclavage. C‘est ainsi que le prophète de l‘islam, après la rédition de la tribu juive médinoise des Bânu Quraydha, décida de décapiter tous les hommes et de réduire en esclavage leurs femmes et leurs enfants.se réservant pour lui la belle Ryhâna, en lui disant : "Si tu le veux, je te libererai et je tépouserai. Mais si tu le préfères, tu resteras au nombre de mes captives et je te prendrai comme je les prends." (Al-Sïra, tome II chap. 4) Il ne faut pas oublier que si le coran limite à quatre, le nombre d‘épouses légitimes, le nombre de concubines est illimité.
  • 88. [88] L’Esclavage dans les pays musulmans Cela peut choquer mais c’est pourtant vrai : l’esclavage n’est pas une coutume révolue. C’est même un phénomène répandu, notamment dans les pays musul- mans, où il revêt diverses formes et est fréquemment officialisé. Bien sûr, il ne porte pas le vilain nom d’ "esclavage", mais se cache derrière les appellations plus respectables de "tutelle" ou de "bonnes". Du Maroc { l’Arabie saoudite, petit tour d’horizon des pratiques esclavagistes. Les femmes et les enfants en sont les pre- mières victimes C’est { Malek Chebel, anthropologue et spécialiste algérien de l’islam, que revient le mérite d’avoir remis { l’ordre du jour, en France, un phénomène gênant, celui de l’ "es- clavage en terre l’islam", titre d’un riche ouvrage de 500 pages publié chez Fayard en 2007 et sous-titré : "Un tabou bien gardé". Chebel n’hésite pas { désigner dans l’islam même les racines de certaines formes d’esclavagisme. S’il s’étend longuement sur les racines historiques du phénomène, il en décrit aussi certaines manifestations actuelles. Mariage et prostitution, deux façons d’asservir les femmes : Afghanistan, Ma- roc... "Combien de femmes, aujourd’hui même, sans porter { proprement parler l’étiquette d’ ’esclaves’, tant en Asie musulmane qu’en Afrique médiane et au Maghreb, sont-elles maintenues dans une condition qui les oblige { monnayer les plaisirs sexuels qu’elles fournissent au profit d’un proxénète ? Plus pervers encore est le système de mise en es- clavage matrimonial de jeunes filles pubères - pratiquement des enfants - au nom de coutumes tribales d’un autre âge. C’est le cas, encore aujourd’hui, en Afghanistan, où des jeunes filles à peine nubiles sont mariées à des chefs tribaux, riches et souvent séniles, en termes de ce qui apparaît comme une forme de ’droit de cuissage’", note Chebel. Dans un dialogue avec le généticien français Albert Jacquard (Jamais soumis, jamais soumise, Stock 2007), Fadela Amara évoque en termes très clair l’esclavage des jeunes filles dont elle a été témoin au Maroc : "Je suis allée dans les villages marocains, en fin fond du bled (...) Autour de 10 ans, les filles sont enlevées de l’école pour être mises { disposition de familles bourgeoises et devenir des bonnes, avec tout ce que ça implique : certaines vont être violées par le chef de famille, mises enceintes et fichues dehors par l’épouse légitime (...)" Les Marocaines qui tentent de se libérer en fuyant pour des pays arabes riches ris- quent d’être déçues. Le quotidien marocain TelQuel est allé jusqu’{ afficher sur son site, en 2007, une pétition intitulée "Pour le respect des droits de la femme marocaine ’immi- grée’ aux pays du Golfe" afin de lutter contre le phénomène des Marocaines faites es- claves aux Emirats arabes unis, où elles croyaient trouver argent et liberté : "Parties tra- vailler dans les pays du Golfe comme coiffeuses ou hôtesses, des milliers de Marocaines se retrouvent séquestrées, battues et forcées { se prostituer. Cherchant { s’évader, cer- taines sont emprisonnées ou même assassinées ! Et le Maroc se tait, au nom de ’considé- rations diplomatiques’." Une situation qui n’est toutefois pas le seul fait du Maroc. Au Liban aussi, les "travail- leuses étrangères" sont fréquemment faites esclaves par leurs employeurs.
  • 89. [89] Liban : le phénomène des "bonnes" Le 11 octobre 2007, Le Monde publiait un article de Dominique Torres sur la situation des "bonnes à vendre" au Liban. Des jeunes femmes naïves et démunies venues de pays pauvres, notamment du Sri Lanka, d’Ethiopie et des Philippines, pour se faire un petit salaire, ne se doutent pas qu’elles vont se voir confisquer leur passeport et se trouver à la merci d’employeurs qui feront d’elles non des bonnes, mais des esclaves. "Leur passe- port transitera directement des mains du policier des frontières { celle de l’employeur", note l’article. Le marché des bonnes est intéressant pour les agences qui "à la signature du contrat, se versent entre dix et quinze fois le premier salaire de la domestique." Quant aux "bonnes", elles sont très peu payées - quand elles ont la chance de tomber sur un em- ployeur qui respecte le contrat. Mais face aux abus en tous genres, dont la privation du salaire n’est pas le moindre, ces jeunes femmes n’ont d’autres moyens de se défendre que de fuir pour l’ambassade de leurs pays, où sont cachées nombre d’entre elles. Ces jeunes femmes sont peut-être les seules à avoir profité de la deuxième guerre du Liban : "Durant l’été 2006, l’attaque israélienne au Liban et le désarroi des Libanais fuyant les bombes ont été largement couverts. Les médias ont évoqué, sans s’attarder sur le sujet, le nombre de 30 000 domestiques abandonnées dans des appartements fermés à clé, souvent avec le chien. A leur retour, les employeurs étaient furieux. La do- mestique était partie !" notait l’auteur, non sans humour. Tuteur légal ou maître d’esclave ? Le 15 novembre 2007, le quotidien libanais L’Orient Le Jour réagissait { l’article de Dominique Torrès par un article intitulé : "Bientôt une législation pour la protection à égalité des domestiques étrangères et des employeurs". Le quotidien libanais admet qu’ "un réel problème existe (...) L’employeur, tuteur légal de la domestique, unique respon- sable aux yeux de la loi libanaise, est seul maître à bord." Ainsi "certains employeurs, soucieux de rentabiliser [la caution versée { l’agence pour l’obtention de la bonne], sont parfois poussés à des comportements esclavagistes", note pudiquement l’article, comme d’ "enfermer leur domestique (...) par peur de la voir prendre la fuite." Il est en effet plus intéressant de travailler au noir, avec un meilleur salaire et la liberté à la clé. L’article note : "En instaurant le principe de la tutelle, principe qui est d’ailleurs ré- pandu dans les pays arabes, l’Etat entend exercer un contrôle strict sur les communau- tés de migrants." Ce principe de la tutelle s’avère dans les faits synonyme d’asservissement. Trafic d’enfants au Bengladesh Après les femmes, les enfants ne sont pas en reste : le site d’Amnesty International Belgique affichait, en décembre 2004, une enquête intitulée "Itinéraire d’un esclavage asiatique", qui abordait presque exclusivement le sujet de l’esclavage en pays musul- mans. Le rapport évoquait notamment le trafic d’enfants du Bengladesh, citant : "La mi- sère et la crédulité d’une large part de la population bangladaise facilitent les trafics de femmes et d’enfants vers l’étranger. L’Inde, le Pakistan et les riches pays arabes sont leurs principaux destinataires (...) Les filles aboutissent souvent dans des réseaux de prostitution forcée ou de travail domestique, parfois dans le secteur industriel (notam-
  • 90. [90] ment les usines de vêtements)." Quant aux garçons, ils se retrouvent fréquemment joc- keys dans les courses de chameaux de la Péninsule : "Leurs cris de peur sont censés ef- frayer les animaux et les faire courir plus vite". Pour garder ces garçons petits et lestes, on les prive de nourriture. Et, au Bengladesh aussi, "la passivité des autorités" est dé- noncée : "Des lois existent au Bangladesh pour punir les trafiquants d’être humains. Ra- rement appliquées, elles n’ont aucun effet dissuasif." Arabie saoudite et Emirats arabes unis : une opulence qui repose aussi sur le travail des esclaves Malek Chebel n’est pas tendre vis-à-vis de l’Arabie saoudite, où l’esclavage est peut- être le plus généralisé, les hommes aussi en étant victimes : "Ouvriers soumis, eunuques, domestiques, concubines : tous les degrés de la servitude sont pratiqués et entretenus dans l’une des régions les plus opulentes de la planète (...) L’esclave est certes une ombre inconsistante aux yeux de son maître, mais sa présence est pratiquement indis- pensable au fonctionnement de la cité en Arabie." Chebel précise : "La ville princière de Taîf, à une centaine de kilomètres de la ville sainte, peut se prévaloir de compter encore aujourd’hui un grand nombre d’esclaves. Ils sont employés { l’arrosage des roseraies, des vignes et des vergers qui font la réputation de l’endroit, ou bien au nettoyage et { l’entretien des palais. Il en va de même { Djedda, ville portuaire, { Riyad, capitale poli- tique du pays, et même dans les prudes Médine et la Mecque où un corps d’eunuques fut encore signalé, photographies { l’appui, il y a moins d’une dizaine d’années." Les Emirats arabes unis ne sont pas en reste : "De leur côté, en raison de leur ’boom’ économique, les Emirats arabes unis ont connu et connaissent un besoin vital de main- d’œuvre qu’ils vont puiser en Asie, et n’hésitent pas, au besoin, { mettre en servitude dans les demeures privées." On le voit : les Marocaines ne sont donc pas les seules vic- times de ces petits Etats qui ont pourtant les moyens d’employer décemment du per- sonnel. Laissons le mot de la fin à Wajiha Al-Huweidar, militante des droits de la femme en Arabie saoudite, dont les propos prononcés sur la télévision saoudienne Al-Hurra le 13 janvier 2008 ont été relayés par le MEMRI (Middle East Research Institute). Dénonçant la situation des femmes en Arabie saoudite, qu’elle qualifie de "pire qu’{ Guantanamo", elle estime que "la société saoudienne se base sur l’asservissement : l’asservissement des femmes aux hommes et de la société { l’Etat." Tout un système qu’il faudrait revoir pour mettre fin à des pratiques dégradantes pour tous : maîtres comme esclaves. Paru dans IMag http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=38238
  • 91. [91] L'ESCLAVAGE ET LE MONDE MUSULMAN L’islam (entendu ici comme civilisation) partage l’insigne privilège, avec l’occident, d’avoir été la seule civilisation { pratiquer la traite industrielle. Entre le 7ème et le 19ème siècle, environ 17 millions d’Africains auraient été "razziés et vendus par des négriers musulmans". "A elles seules, les traites orientales seraient donc { l’origine d’un peu plus de 40% des 42 millions de personnes déportées par l’ensemble des traites négrières. Elles constitueraient ainsi le plus grand commerce négrier de l’histoire", écrit l’un des auteurs sollicités par la revue, l’universitaire Olivier Pétré-Grenouilleau. Le grand journal arabe Al Hayat insiste d’ailleurs sur la coupable "amnésie" du monde musulman à ce sujet : Comme en témoigne le drame soudanais, les Arabes ont pratiqué l’esclavage sur une large échelle. Pour Al Hayat, il est grand temps qu’ils reconnaissent leur responsabilité. Bakaru SAMBE, chercheur { l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon : "Dès le 11ème siècle, ce que les historiens arabes, ont dénommé Bilâd as-sûdân, (le pays des noirs) est entré en contact avec les Arabes par le commerce touchant surtout l’or, les esclaves la gomme "arabique" et le sel. C’est, peut-être, ce "commerce silencieux" qui favorisa très tôt l’islamisation de l’Afrique Occidentale, par le Sud marocain. Les richesses de l’Afrique noire ont aussi profité aux célèbres empires médiévaux des Almoravides et même des Almohades . L’islamisation de l’Afrique Noire doit du reste essentiellement { la traite des noirs par les musulmans (voir Henri Labouret, Histoire des noirs d’Afrique, PUF, 1950, p.36) Jacques Heers, qui se fonde en grande partie sur le travail des historiens africains contemporains, arrive exactement aux mêmes conclusions (Les négriers en terres d’islam, la première traite des Noirs VII-XVIème siècle, Perrin,2003.) On apprend aussi dans son ouvrage que la castration des esclaves mâles était chose couramment pratiquée. La revue en ligne Hérodote, créée par des professeurs d’histoire, et travaillant { partir de travaux de références, arrive aux mêmes conclusions. Les esclaves blancs de Bagdad venaient au début des pays slaves encore païens. C’étaient des prisonniers de guerre vendus par les Européens. On évalue { un million le nombre d’habitants enlevés en Europe occidentale entre le16ème et le 18ème siècle, au temps de François 1er, Louis XIV et Louis XV. En Europe orientale et dans les Balkans, pendant la même période, les Ottomans pré- levèrent environ trois millions d’esclaves.
  • 92. [92] La traite arabe a commencé en 652, dix ans après la mort de Mahomet, lorsque le gé- néral arabe Abdallah ben Sayd a imposé aux Nubiens (les habitants de la vallée supé- rieure du Nil) la livraison de 360 esclaves par an. Les spécialistes évaluent de douze à dix-huit millions d’individus le nombre d’Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire, du 7ème au 20ème siècle: « Comparé { la traite des Noirs organisée par les Européens, le trafic d’esclaves du monde musulman a démarré plus tôt, a duré plus longtemps et, ce qui est plus impor- tant, a touché un plus grand nombre d’esclaves », écrit en résumé l’économiste Paul Bai- roch. Quant { l’abolition de l’esclavage, faut-il le rappeler ? elle a commencé dans les pays occidentaux : Chronologie de l’abolition de la traite des Noirs et de l’esclavage: 1751 : Les Quakers interdisent l’esclavage au sein de leur communauté. 1792 : Le Danemark est le premier pays à abolir la traite négrière. 1793 : Abolition de l’esclavage { Saint-Domingue. 1794 : La Convention française abolit l’esclavage dans les colonies. 1802 : Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage. 1807 : Abolition de la traite négrière aux États-Unis et en Angleterre. 1815 : Les puissances européennes, dont la France, décident au congrès de Vienne d’abolir la traite négrière. 1833 : L’Angleterre abolit l’esclavage. 1848 (27 avril) : La France abolit l’esclavage. 1865 : Les États-Unis abolissent esclavage. 1888 : Le Brésil est la dernière colonie { abolir l’esclavage. 1926 : Conférence internationale sur l’esclavage. La Société des Nations adopte une Convention interdisant la traite et l’esclavage. 1948 : Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU. Les derniers pays { l’abolir officiellement (ce qui ne veut pas dire qu’ils ont cessé de le pratiquer) sont d’ailleurs...les etats musulmans : Arabie Saoudite, 1955 ; Mauritanie, 1980... La Mauritanie cependant continue de le pratiquer. C’est ce qu’affirme Le Monde di- plomatique, pourtant peu suspect d’islamophobie, ou encore, plus sérieux, Amnesty In- ternational. Certains intervenants, comme l’organisation antiesclavagiste SOS Esclaves, pensent que le problème de l’esclavage concerne l’ensemble de la société Mauritanienne Le Soudan, dans un contexte de guerre civile visant { l’écrasement des populations animistes et chrétiennes du Sud (2 millions de morts { ce jour), n’est pas en reste, comme en témoigne le rapport 2002 d’Amnesty International.
  • 93. [93] Il faut préciser que la presse soudanaise est muselée et peine à dénoncer ces méfaits. Ainsi le 10 mai 2003, le journal Khartoum Monitor était condamné pour cette raison, notamment, pour "insulte { l’islam". En mars 1994, le délégué spécial des Nations-Unies pour les Droits de l’homme, Gas- par Biro, a fait connaître l’existence au Soudan de ce qui pourrait être appelé des mar- chés d’esclaves modernes. Comme toute marchandise, le prix de la chair humaine au Soudan a varié en fonction de la demande. En 1988, une arme automatique pouvait valoir six ou sept enfants esclaves. En 1989, une femme ou un enfant de la tribu Dinka - une peuplade pastoral du Nil de taille exceptionnellement grande - pouvait être achetée pour 90 $. En 1990, les raids ont augmenté, le marché inondé, et le prix est tombé à 15 $. En février 1999, l’UNICEF a reconnu que l’esclavage existait au Soudan. Que dire de l’Arabie Saoudite, qui pratique couramment l’esclavage domestique (source : Amnesty International): "Le pire des sort est réservé aux nombreuses femmes employées comme domes- tiques. Leurs conditions de vie s’apparente { l’esclavage, elles sont privées de leur pas- seport, ne peuvent sortir de la maison sans autorisation, ne peuvent fréquenter d’autres personnes et sont régulièrement battues et violées. Dans la très grande majorité des cas, ces abus ne font l’objet d’aucune poursuite et les employeurs sont encouragés par cette impunité". Que l’occident se soit rendu coupable de la traite des noirs et du commerce triangu- laire est une chose que nous admettons sans difficulté. De la bouche même d’Al- Mawdudi : "Les livres écrits par les auteurs occidentaux eux-mêmes témoignent de ces faits." On regrette que le même effort critique ne soit pas produit par les apologistes mu- sulmans". http://www.bladi.net/forum/37787-lesclavage-monde-musulman/
  • 94. [94] Esclaves chrétiens, maîtres musulmans. L'esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800) Cahors, Éditions Jacqueline Chambon, 2006, 335 p. Carmen Bernand L'une des scènes les plus populaires de Molière est celle où le fourbe Scapin extorque cinq cents écus à Géronte en lui faisant croire que son fils Léandre a été emmené à Alger comme esclave. « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » se lamente Géronte, qui finit par lui remettre cet argent, le prix de la rançon. Cet épisode des « Fourberies de Scapin », exposé sur le mode comique, révèle en fait une pratique relativement fré- quente et, en tout cas, dramatique que Robert C. Davis présente et analyse dans ce livre passionnant sur l'esclavage des chrétiens par les Turcs et leurs corsaires algérois, tuni- siens et tripolitains. L'esclavage des Blancs, explique l'auteur, minimisé et tenu pour re- lativement doux en comparaison de celui des Noirs dans les Amériques, offre pourtant des chiffres qui montrent l'étendue d'une activité qui se maintiendra jusqu'au XIXe siècle et ne disparaîtra qu'avec l'installation du colonialisme français. Combien de chrétiens – car il s'agit bien d'un prélèvement d'ennemis, d'infidèles, par les corsaires musulmans dont beaucoup sont des renégats – ont été soumis en escla- vage ? L'auteur, qui a travaillé principale- ment en Italie avec une documentation de première main – dont une partie émane des archives de Propaganda Fide – expose les difficultés de chiffrer de façon exacte le nombre des captifs ainsi que les biais inévi- tables de la documentation, fournie essen- tiellement par les ordres religieux qui avaient tendance à exagérer le nombre de ces esclaves. Toutefois, sur la base de cer- tains recoupements, R.C. Davis arrive à la conclusion qu'entre 1580 et 1680, la pé- riode la plus active de cette course méditer- ranéenne – les « Fourberies » datent de 1671 – on peut accepter une moyenne an- nuelle de 35 000 captifs vivants répartis, pour la grande majorité, à Alger et, en nombre moins important, à Tunis (6 000) et Tripoli, bien que d'autres bagnes aient existé notamment à Dulcigno (Montene- gro), en fait une étape dans la traversée de la Méditerranée jusqu'à Alger. S'il est vrai qu'aucun royaume européen n'était à l'abri des incursions corsaires, qui pouvaient remonter de Salé jusqu'au sud de l'Angleterre, ce sont les côtes espagnoles et italiennes qui furent les plus touchées par les razzias. Les corsaires ne se contentaient pas d'aborder des galères chrétiennes ou des bateaux de pêche : ils mouillaient dans des criques isolées et pénétraient dans les terres, pillaient,
  • 95. [95] saccageaient au passage, et emportaient des paysans ou des religieux, soit pour rançon- ner la famille, soit pour emmener leurs victimes dans les bagnes d'Alger ou d'ailleurs et en faire des esclaves. Avec justesse, l'auteur explique que ces prises non seulement ter- rorisaient les habitants du littoral et rendaient très risqués la pêche et le commerce ma- ritime, mais que la ponction humaine régulière et la difficulté de payer des rançons éle- vées de la part de ceux qui restaient, eurent pour conséquence la ruine d'une partie de ces populations et la décomposition du tissu social. La vie dans les bagnes, ainsi que les différentes fonctions des esclaves, est décrite avec des détails puisés dans la documentation examinée par l'auteur. Le passage con- cernant la vie dans les galères turques est saisissant, et R. Davis précise que le contraire était aussi cruel. Cependant, on a l'impression que ces esclaves étaient soumis à l'arbi- traire des maîtres, voire à leur sadisme. Par comparaison avec les esclaves noirs des Amériques, que R. Davis réduit à tort aux seules plantations alors que l'esclavage urbain était important (l'évoquer lui aurait permis une comparaison plus exacte avec Alger et les autres ports), ceux d'Afrique du Nord n'ont absolument aucun recours, même si les bagnes hébergent une petite chapelle. En Amérique ibérique, du moins dans les centres urbains, l'esclave jouit d'une protection minimale de l'Église ; son travail comme journa- lier lui permet de constituer un (maigre) pécule qui lui permettra de racheter sa liberté ; il est également nourri par son maître. En Afrique du Nord, l'esclave n'a rien et il doit acheter sa nourriture et payer son « logement » dans le bagne. Toutefois, il existait des différences très grandes entre les esclaves : d'une part, ceux qui pouvaient être rachetés à bon prix, qui savaient lire et qui jouissaient d'un régime moins sévère, d'autre part, les laissés pour compte : paysans et pêcheurs razziés qui finissaient souvent leurs jours at- tachés à la rame d'une galère. Pas de manumission mais une possibilité d'échapper à ce destin en abjurant sa religion. À plusieurs reprises, R. Davis affirme que la conversion à l'islam n'était pas recherchée par les maîtres d'esclaves ni par le pacha parce qu'elle les privait d'une main-d'œuvre bon marché. Cependant beaucoup renièrent leur foi chré- tienne, donnant par là aux frères rédempteurs, comme les Trinitaires, un argument pré- cieux pour recueillir les fonds destinés à payer les rançons. Un autre argument pour faire appel à la charité et réunir les sommes demandées par les corsaires et leurs com- manditaires, était le danger, pour les jeunes gens enlevés, de la sodomie ou du harem pour les jeunes filles. Les descriptions des bagnes et de leur ordonnancement consti- tuent un passage fort de ce livre, ainsi que la question des sabirs, de la lingua franca et de la difficile communication entre les uns et les autres. Signalons encore les observa- tions très fines sur la vie quotidienne et les menaces constantes d'incursions corsaires : les victimes, dit l'auteur, « prenaient la mer un matin et disparaissaient purement et simplement » sans laisser de trace. Les plus fortunés de ces captifs réussissaient après des années à envoyer une lettre à leur famille. D'autres, illettrés ne pouvant se payer ni le scribe, ni l'encre ni le papier, restaient « disparus ». Quant aux corsaires, pour la plu- part des renégats animés par la haine et le ressentiment envers leurs anciens frères chrétiens, ils s'en prenaient aux symboles religieux, croix, images, chapelles, qu'ils sac- cageaient. La dernière partie retrace le retour des captifs, une fois rédimés, dans leur pays natal. En moyenne, ils passaient cinq ou six ans en captivité. Or, le retour de l'absent n'était pas aisé et de nombreux cas montrent que, les familles s'étant accommodées de leur ab- sence, leur réapparition remettait en cause les héritages, les dots, les mariages et l'équi- libre de la maisonnée. Signalons le chapitre consacré au rôle des frères rédempteurs, trinitaires ou mercédaires, et aux rituels que ceux-ci accomplissaient afin d'effacer la
  • 96. [96] « souillure » de l'esclavage et de réintroduire le chrétien dans un tissu social où il de- meurait l'obligé de ceux qui avaient payé sa rançon et restait, au moins symboliquement, l'esclave des moines ou des puissants. Un esclave reste un esclave, et le négrier n'a ni race ni couleur : Robert Davis a raison de mettre l'accent sur ce drame méditerranéen, souvent oublié par le « politiquement correct ». Jusqu'à quel point la tragédie de cet esclavage chrétien inspira les critiques abolitionnistes, comme il le suggère à la fin de son ouvrage ? La réponse n'est pas claire mais la richesse des matériaux nous incite à rechercher cette connexion et à rapprocher toutes les formes d'exploitation du travail servile pour en saisir la redoutable logique, quels que soient ceux qui l'ont développée. Les Archives... cinquante ans après, [En ligne], mis en ligne le 12 février 2007. URL : http://assr.revues.org/index3905.html. Consulté le 02 février 2009.
  • 97. [97] L'histoire oubliée des Blancs réduits en esclavage Les Blancs ont oublié ce dont les Noirs se souviennent Robert C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters: White Slavery in the Mediterranean, the Barbary Coast, and Italy, 1500-1800, Palgrave Macmillan, 2003, 246 pages, 35 dollars US. Présenté par Thomas Jackson Dans son exposé instructif sur l'esclavage barbaresque, Robert C. Davis remarque que les historiens américains ont étudié tous les aspects de l'esclavage des Africains par les Blancs mais ont largement ignoré l'esclavage des Blancs par les Nord-Africains. Christian Slaves, Muslim Masters [Esclaves chrétiens, maîtres musulmans] est un récit soigneuse- ment documenté et clairement écrit de ce que le Prof. Davis nomme «l'autre esclavage», qui s'épanouit durant approximativement la même période que le trafic trans- atlantique, et qui dévasta des centaines de communautés côtières européennes. Dans la pensée des Blancs d'aujourd'hui, l'esclavage ne joue pas du tout le rôle central qu'il joue chez les Noirs, mais pas parce qu'il fut un problème de courte durée ou sans importance. L'histoire de l'esclavage méditerranéen est, en fait, aussi sombre que les descriptions les plus tendancieuses de l'esclavage américain. Le Prof. Davis, qui enseigne l'histoire so- ciale italienne à l'Université d'Etat de l'Ohio, projette une lumière perçante sur ce coin fascinant mais négligé de l'histoire. Un commerce en gros La côte barbaresque, qui s'étend du Maroc à la Libye moderne, fut le foyer d'une in- dustrie florissante de rapt d'êtres humains depuis 1500 jusqu'à 1800 environ. Les grandes capitales esclavagistes étaient Salé au Maroc, Tunis, Alger et Tripoli, et pendant la plus grande partie de cette période les marines européennes étaient trop faibles pour opposer plus qu'une résistance symbolique. Le trafic trans-atlantique des Noirs était strictement commercial, mais pour les Arabes, les souvenirs des Croisades et la fureur d'avoir été expulsés d'Espagne en 1492 semblent avoir motivé une campagne de rapt de chrétiens, ressemblant presque à un djihad. «Ce fut peut-être cet aiguillon de la vengeance, opposé aux marchandages af- fables de la place du marché, qui rendit les esclavagistes islamiques tellement plus agressifs et initialement (pourrait-on dire) plus prospères dans leur travail que leurs homologues chrétiens», écrit le Prof. Davis. Pendant les XVIe et XVIIe siècles, plus d'es- claves furent emmenés vers le sud à travers la Méditerranée que vers l'ouest à travers l'Atlantique. Certains furent rendus à leurs familles contre une rançon, certains furent utilisés pour le travail forcé en Afrique du Nord, et les moins chanceux moururent à la tâche comme esclaves sur les galères. Ce qui est le plus frappant concernant les raids esclavagistes barbaresques est leur ampleur et leur portée. Les pirates kidnappaient la plupart de leurs esclaves en intercep- tant des bateaux, mais ils organisaient aussi d'énormes assauts amphibies qui dépeuplè- rent pratiquement des parties de la côte italienne. L'Italie était la cible la plus appréciée,
  • 98. [98] en partie parce que la Sicile n'est qu'à 200 km de Tunis, mais aussi parce qu'elle n'avait pas de gouvernement central fort qui aurait pu résister à l'invasion. De grands raids ne rencontraient souvent aucune résistance. Quand les pirates mirent à sac Vieste dans le sud de l'Italie en 1554, par exemple, ils enlevèrent un total stupéfiant de 6.000 captifs. Les Algériens enlevèrent 7.000 esclaves dans la baie de Naples en 1544, un raid qui fit tellement chuter le prix des esclaves qu'on disait pouvoir «troquer un chrétien pour un oignon». L'Espagne aussi subit des attaques de grande ampleur. Après un raid sur Grenade en 1556 qui rapporta 4.000 hommes, femmes et enfants, on disait qu'il «pleuvait des chrétiens sur Alger». Pour chaque grand raid de ce genre, il a dû y en avoir des douzaines de plus petits. L'apparition d'une grande flotte pouvait faire fuir toute la population à l'intérieur des terres, vidant les régions côtières. En 1566, un groupe de 6.000 Turcs et corsaires tra- versa l'Adriatique et débarqua à Fracaville. Les autorités ne purent rien faire, et recom- mandèrent l'évacuation complète, laissant aux Turcs le contrôle de plus de 1300 kilo- mètres carrés de villages abandonnés jusqu'à Serracapriola. Quand les pirates apparaissaient, les gens fuyaient souvent la côte pour aller dans la ville la plus proche, mais le Prof. Davis explique que ce n'était pas toujours une bonne stratégie: «Plus d'une ville de taille moyenne, bondée de réfugiés, fut incapable de sou- tenir un assaut frontal par plusieurs centaines de corsaires, et le reis [capitaine des cor- saires] qui aurait dû autrement chercher les esclaves par quelques douzaines à la fois le long des plages et dans les collines, pouvait trouver un millier ou plus de captifs oppor- tunément rassemblés en un seul endroit pour être pris.» Les pirates revenaient encore et encore pour piller le même territoire. En plus d'un bien plus grand nombre de petits raids, la côte calabraise subit les déprédations sui- vantes, de plus en plus graves, en moins de dix ans: 700 personnes capturées en un seul raid en 1636, un millier en 1639 et 4.000 en 1644. Durant les XVIe et XVIIe siècles, les pirates installèrent des bases semi-permanentes sur les îles d'Ischia et de Procida, presque dans l'embouchure de la baie de Naples, d'où ils faisaient leur choix de trafic commercial. Quand ils débarquaient sur le rivage, les corsaires musulmans ne manquaient pas de profaner les églises. Ils dérobaient souvent les cloches, pas seulement parce que le métal avait de la valeur mais aussi pour réduire au silence la voix distinctive du christianisme. Dans les petits raids plus fréquents, un petit nombre de bateaux opéraient furtive- ment, tombant sur les établissements côtiers au milieu de la nuit de manière à attraper les gens «paisibles et encore nus dans leur lit». Cette pratique donna naissance à l'ex- pression sicilienne moderne, pigliato dai turchi, «pris par les Turcs», ce qui veut dire être attrapé par surprise en étant endormi ou affolé. La prédation constante faisait un terrible nombre de victimes. Les femmes étaient plus faciles à attraper que les hommes, et les régions côtières pouvaient rapidement perdre toutes leurs femmes en âge d'avoir des enfants. Les pêcheurs avaient peur de sortir, ou ne prenaient la mer qu'en convois. Finalement, les Italiens abandonnèrent une grande partie de leurs côtes. Comme l'explique le Prof. Davis, à la fin du XVIIe siècle «la péninsule ita- lienne avait alors été la proie des corsaires barbaresques depuis deux siècles ou plus, et ses populations côtières s'étaient alors en grande partie retirées dans des villages fortifiés sur des collines ou dans des villes plus grandes comme Rimini, abandonnant des kilo- mètres de rivages autrefois peuplés aux vagabonds et aux flibustiers».
  • 99. [99] C'est seulement vers 1700 que les Italiens purent empêcher les raids terrestres spec- taculaires, bien que la piraterie sur les mers continua sans obstacles. Le Prof. Davis pense que la piraterie conduisit l'Espagne et surtout l'Italie à se détourner de la mer et à perdre leurs traditions de commerce et de navigation, avec des effets dévastateurs: «Du moins pour l'Ibérie et l'Italie, le XVIIe siècle représenta une période sombre dont les so- ciétés espagnole et italienne émergèrent comme de simples ombres de ce qu'elles avaient été durant les époques dorées antérieures.» Certains pirates arabes étaient d'habiles navigateurs de haute mer, et terrorisèrent les chrétiens jusqu'à une distance de 1600 km. Un raid spectaculaire jusqu'en Islande en 1627 rapporta près de 400 captifs. Nous pensons que l'Angleterre était une redoutable puissance maritime dès l'époque de Francis Drake, mais pendant tout le XVIIe siècle, les pirates arabes opérèrent librement dans les eaux britanniques, pénétrant même dans l'estuaire de la Tamise pour faire des prises et des raids sur les villes côtières. En seule- ment trois ans, de 1606 à 1609, la marine britannique reconnut avoir perdu pas moins de 466 navires marchands britanniques et écossais du fait des corsaires algériens. Au milieu des années 1600, les Britanniques se livraient à un actif trafic trans-atlantique de Noirs, mais beaucoup des équipages britanniques eux-mêmes devenaient la propriété des pirates arabes. La vie sous le fouet Les attaques terrestres pouvaient être très fructueuses, mais elles étaient plus ris- quées que les prises en mer. Les navires étaient par conséquent la principale source d'esclaves blancs. A la différence de leurs victimes, les navires corsaires avaient deux moyens de propulsion: les esclaves des galères en plus des voiles. Cela signifiait qu'ils pouvaient avancer à la rame vers un bateau encalminé et l'attaquer quand ils le vou- laient. Ils portaient de nombreux drapeaux différents, donc quand ils naviguaient ils pouvaient arborer le pavillon qui avait le plus de chances de tromper une proie. Un navire marchand de bonne taille pouvait porter environ 20 marins en assez bonne santé pour durer quelques années dans les galères, et les passagers étaient habituelle- ment bons pour en tirer une rançon. Les nobles et les riches marchands étaient des prises attractives, de même que les Juifs, qui pouvaient généralement rapporter une forte rançon de la part de leurs coreligionnaires. Les hauts dignitaires du clergé étaient aussi précieux parce que le Vatican payait habituellement n'importe quel prix pour les tirer des mains des infidèles. A l'approche des pirates, les passagers enlevaient souvent leurs beaux vêtements et tentaient de s'habiller aussi pauvrement que possible, dans l'espoir que leurs ravisseurs les rendraient à leur famille contre une rançon modeste. Cet effort était inutile si les pi- rates torturaient le capitaine pour avoir des informations sur les passagers. Il était aussi courant de faire déshabiller les hommes, à la fois pour rechercher des objets de valeur cousus dans leurs vêtements et pour voir si des Juifs circoncis ne s'étaient pas déguisés en chrétiens. Si les pirates étaient à court d'esclaves pour les galères, ils pouvaient mettre certains de leurs captifs au travail immédiatement, mais les prisonniers étaient généralement mis dans la cale pour le voyage de retour. Ils étaient entassés, pouvant à peine bouger dans la saleté, la puanteur et la vermine, et beaucoup mouraient avant d'atteindre le port.
  • 100. [100] Dès l'arrivée en Afrique du Nord, c'était la tradition de faire défiler les chrétiens ré- cemment capturés dans les rues, pour que les gens puissent se moquer d'eux et que les enfants puissent les couvrir d'ordures. Au marché aux esclaves, les hommes étaient obli- gés de sautiller pour prouver qu'ils n'étaient pas boiteux, et les acheteurs voulaient sou- vent les faire mettre nus pour voir s'ils étaient en bonne santé. Cela permettait aussi d'évaluer la valeur sexuelle des hommes comme des femmes; les concubines blanches avaient une valeur élevée, et toutes les capitales esclavagistes avaient un réseau homo- sexuel florissant. Les acheteurs qui espéraient faire un profit rapide avec une forte ran- çon examinaient les lobes d'oreilles pour repérer des marques de piercing, ce qui était une indication de richesse. Il était aussi habituel de regarder les dents d'un captif pour voir s'il pourrait survivre à un dur régime d'esclave. Le pacha ou souverain de la région recevait un certain pourcentage d'esclaves comme une forme d'impôt sur le revenu. Ceux-ci étaient presque toujours des hommes, et deve- naient propriété du gouvernement plutôt que propriété privée. A la différence des es- claves privés, qui embarquaient habituellement avec leur maître, ils vivaient dans les bagnos ou «bains», ainsi que les magasins d'esclaves du pacha étaient appelés. Il était habituel de raser la tête et la barbe des esclaves publics comme une humiliation sup- plémentaire, dans une période où la tête et la pilosité faciale étaient une part importante de l'identité masculine. La plupart de ces esclaves publics passaient le reste de leur vie comme esclaves sur les galères, et il est difficile d'imaginer une existence plus misérable. Les hommes étaient enchaînés trois, quatre ou cinq par aviron, leurs chevilles enchaînées ensemble aussi. Les rameurs ne quittaient jamais leur rame, et quand on les laissait dormir, ils dor- maient sur leur banc. Les esclaves pouvaient se pousser les uns les autres pour se soula- ger dans une ouverture de la coque, mais ils étaient souvent trop épuisés ou découragés pour bouger, et se souillaient là où ils étaient assis. Ils n'avaient aucune protection contre le brûlant soleil méditerranéen, et leur maître écorchait leur dos déjà à vif avec l'instrument d'encouragement favori du conducteur d'esclaves, un pénis de bœuf allongé ou «nerf de bœuf». Il n'y avait presque aucun espoir d'évasion ou de secours; le travail d'un esclave de galère était de se tuer à la tâche -- principalement dans des raids pour capturer encore plus de malheureux comme lui -- et son maître le jetait par-dessus bord au premier signe de maladie grave. Quand la flotte pirate était au port, les esclaves de galères vivaient dans le bagno et faisaient tout le travail sale, dangereux ou épuisant que le pacha leur ordonnait de faire. C'était habituellement tailler et traîner des pierres, draguer le port, ou les ouvrages pé- nibles. Les esclaves se trouvant dans la flotte du Sultan turc n'avaient même pas ce choix. Ils étaient souvent en mer pendant des mois d'affilée, et restaient enchaînés à leurs rames même au port. Leurs bateaux étaient des prisons à vie. D'autres esclaves sur la côte barbaresque avaient des travaux plus variés. Souvent ils faisaient du travail de propriétaire ou agricole du genre que nous associons à l'esclavage en Amérique, mais ceux qui avaient des compétences étaient souvent loués par leurs pro- priétaire. Certains maîtres relâchaient simplement leurs esclaves pendant la journée avec l'ordre de revenir avec une certaine quantité d'argent le soir sous peine d'être sévèrement battus. Les maîtres semblaient attendre un bénéfice d'environ 20% sur le prix d'achat. Quoi qu'ils faisaient, à Tunis et à Tripoli, les esclaves portaient habituellement un anneau de fer autour d'une cheville, et étaient chargés d'une chaîne pesant 11 ou 14 kg.
  • 101. [101] Certains maîtres mettaient leurs esclaves blancs au travail dans des fermes loin à l'in- térieur des terres, où ils affrontaient encore un autre péril: la capture et un nouvel escla- vage par des raids de Berbères. Ces infortunés ne verraient probablement plus jamais un autre Européen pendant le reste de leur courte vie. Le Prof. Davis remarque qu'il n'y avait aucun obstacle à la cruauté: «Il n'y avait pas de force équivalente pour protéger l'esclave de la violence de son maître: pas de lois locales contre la cruauté, pas d'opinion publique bienveillante, et rarement de pression efficace de la part des Etats étrangers». Les esclaves n'étaient pas seulement des marchandises, ils étaient des infidèles, et méritaient toutes les souffrances qu'un maître leur infligeait. Le Prof. Davis note que «tous les esclaves qui vécurent dans les bagnos et qui survé- curent pour écrire leurs expériences soulignèrent la cruauté et la violence endémiques pratiquées ici». La punition favorite était la bastonnade, par lequel un homme était mis sur le dos et ses chevilles attachées et suspendu par la taille pour être battu longuement sur la plante des pieds. Un esclave pouvait recevoir jusqu'à 150 ou 200 coups, qui pou- vaient le laisser estropié. La violence systématique transformait beaucoup d'hommes en automates. Les esclaves chrétiens étaient souvent si abondants et si bon marché qu'il n'y avait aucun intérêt à s'en occuper; beaucoup de propriétaires les faisaient travailler jus- qu'à la mort et achetaient des remplaçants. Le système d'esclavage n'était cependant pas entièrement sans humanité. Les es- claves recevaient habituellement congé le vendredi. De même, quand les hommes du bagno étaient au port, ils avaient une heure ou deux de temps libre chaque jour entre la fin du travail et avant que les portes du bagno ne soient fermées pour la nuit. Durant ce temps, les esclaves pouvaient travailler pour une paie, mais ils ne pouvaient pas garder tout l'argent qu'ils gagnaient. Même les esclaves du bagno étaient taxés d'une somme pour leurs logements sales et leur nourriture rance. Les esclaves publics contribuaient aussi à un fonds pour entretenir les prêtres du ba- gno. C'était une époque très religieuse, et même dans les plus horribles conditions, les hommes voulaient avoir une chance de se confesser et -- plus important -- de recevoir l'extrême-onction. Il y avait presque toujours un prêtre captif ou deux dans le bagno, mais pour qu'il reste disponible pour ses devoirs religieux, les autres esclaves devaient contribuer et racheter son temps au pacha. Certains esclaves de galères n'avaient donc plus rien pour acheter de la nourriture ou des vêtements, bien que durant certaines pé- riodes des Européens libres vivant dans les villes barbaresques contribuaient aux frais d'entretien des prêtres des bagnos. Pour quelques-uns, l'esclavage devenait plus que supportable. Certains métiers -- en particulier celui de constructeur de navire -- étaient si recherchés qu'un propriétaire pouvait récompenser son esclave avec une villa privée et des maîtresses. Même quelques résidents du bagno réussirent à exploiter l'hypocrisie de la société islamique et à améliorer leur condition. La loi interdisait strictement aux musulmans de faire le commerce de l'alcool, mais était plus indulgente avec les musulmans qui le consom- maient seulement. Des esclaves entreprenants établirent des tavernes dans les bagnos et certains eurent la belle vie en servant les buveurs musulmans. Une manière d'alléger le poids de l'esclavage était de «prendre le turban» et de se convertir à l'islam. Cela exemptait un homme du service dans les galères, des ouvrages pénibles, et de quelques autres brimades indignes d'un fils du Prophète, mais ne le fai- sait pas sortir de la condition d'esclave. L'un des travaux des prêtres des bagnos était d'empêcher les hommes désespérés de se convertir, mais la plupart des esclaves sem-
  • 102. [102] blent ne pas avoir eu besoin de conseil religieux. Les chrétiens pensaient que la conver- sion mettrait leur âme en danger, et elle signifiait aussi le déplaisant rituel de la circon- cision adulte. Beaucoup d'esclaves semblent avoir enduré les horreurs de l'esclavage en les considérant comme une punition pour leurs péchés et comme une épreuve pour leur foi. Les maîtres décourageaient les conversions parce qu'elles limitaient le recours aux mauvais traitements et abaissaient la valeur de revente d'un esclave. Rançon et rachat Pour les esclaves, l'évasion était impossible. Ils étaient trop loin de chez eux, étaient souvent enchaînés, et pouvaient être immédiatement identifiés par leurs traits euro- péens. Le seul espoir était la rançon. Parfois, la chance venait rapidement. Si un groupe de pirates avait déjà capturé tant d'hommes qu'il n'avait plus assez d'espace sous le pont, il pouvait faire un raid sur une ville et ensuite revenir quelques jours plus tard pour revendre les captifs à leurs fa- milles. C'était généralement à un prix bien plus faible que celui du rançonnement de quelqu'un à partir de l'Afrique du Nord, mais c'était encore bien plus que des paysans pouvaient se le permettre. Les fermiers n'avaient généralement pas d'argent liquide, et pas de biens à part la maison et la terre. Un marchand était généralement prêt à les ac- quérir pour un prix modique, mais cela signifiait qu'un captif revenait dans une famille qui était complètement ruinée. La plupart des esclaves ne rachetaient leur retour qu'après être passés par l'épreuve du passage en pays barbaresque et de la vente à un spéculateur. Les riches captifs pou- vaient généralement trouver une rançon suffisante, mais la plupart des esclaves ne le pouvaient pas. Les paysans illettrés ne pouvaient pas écrire à la maison et même s'ils le faisaient, il n'y avait pas d'argent pour une rançon. La majorité des esclaves dépendait donc de l'œuvre charitable des Trinitaires (fondé en Italie en 1193) et de celle des Mercedariens (fondé en Espagne en 1203). Ceux-ci étaient des ordres religieux établis pour libérer les Croisés détenus par les musulmans, mais ils transférèrent bientôt leur œuvre au rachat des esclaves détenus par les Barba- resques, collectant de l'argent spécifiquement dans ce but. Souvent ils plaçaient des boîtes à serrure devant les églises avec l'inscription «Pour la récupération des pauvres esclaves», et le clergé appelait les riches chrétiens { laisser de l'argent dans leurs vœux de rédemption. Les deux ordres devinrent des négociateurs habiles, et réussissaient ha- bituellement à racheter les esclaves à des meilleurs prix que ceux obtenus par des libé- rateurs inexpérimentés. Cependant, il n'y avait jamais assez d'argent pour libérer beau- coup de captifs, et le Prof. Davis estime que pas plus de 3 ou 4% des esclaves étaient rançonnés en une seule année. Cela signifie que la plupart laissèrent leurs os dans les tombes chrétiennes sans marque en-dehors des murs des villes. Les ordres religieux conservaient des comptes précis de leurs succès. Les Trinitaires espagnols, par exemple, menèrent 72 expéditions de rachats dans les années 1600, comptant en moyenne 220 libérations chacune. Il était habituel de ramener les esclaves libérés chez eux et de les faire marcher dans les rues des villes dans de grandes célébra- tions. Ces défilés devinrent l'un des spectacles urbains les plus caractéristiques de l'époque, et avaient une forte orientation religieuse. Parfois les esclaves marchaient dans leurs vieux haillons d'esclaves pour souligner les tourments qu'ils avaient subis; parfois ils portaient des costumes blancs spéciaux pour symboliser la renaissance. D'après les
  • 103. [103] archives de l'époque, beaucoup d'esclaves libérés ne se rétablissaient jamais complète- ment après leurs épreuves, particulièrement s'ils avaient passé beaucoup d'années en captivité. Combien d'esclaves? Le Prof. Davis remarque que des recherches énormes ont été faites pour évaluer aussi exactement que possible le nombre de Noirs emmenés à travers l'Atlantique, mais qu'il n'y a pas eu d'effort semblable pour connaître l'ampleur de l'esclavage en Méditerranée. Il n'est pas facile d'obtenir un compte fiable -- les Arabes eux-mêmes ne conservaient généralement pas d'archives -- mais au cours de dix années de recherches le Prof. Davis a développé une méthode d'estimation. Par exemple, les archives suggèrent que de 1580 à 1680 il y a eu une moyenne de quelques 35.000 esclaves en pays barbaresque. Il y avait une perte régulière du fait des morts et des rachats, donc si la population restait constante, le taux de capture de nou- veaux esclaves par les pirates devait égaler le taux d'usure. Il y a de bonnes bases pour estimer les taux de décès. Par exemple, on sait que sur les près de 400 Islandais capturés en 1627, il ne restait que 70 survivants huit ans plus tard. En plus de la malnutrition, de la surpopulation, de l'excès de travail et des punitions brutales, les esclaves subissaient des épidémies de peste, qui éliminaient généralement 20 ou 30% des esclaves blancs. Par un certain nombre de sources, le Prof. Davis estime donc que le taux de décès était d'environ 20% par an. Les esclaves n'avaient pas accès aux femmes, donc le rem- placement se faisait exclusivement par des captures. Sa conclusion: «Entre 1530 et 1780, il y eut presque certainement un million et peut-être bien jusqu'à un million et un quart de chrétiens européens blancs asservis par les musulmans de la côte barbaresque». Cela dépasse considérablement le chiffre généralement accepté de 800.000 Africains trans- portés dans les colonies d'Amérique du Nord et, plus tard, dans les Etats-Unis. Les puissances européennes furent incapables de mettre fin à ce trafic. Le Prof. Davis explique qu'à la fin des années 1700, elles contrôlaient mieux ce commerce, mais qu'il y eut une reprise de l'esclavage des Blancs pendant le chaos des guerres napoléoniennes. La navigation américaine ne fut pas exempte non plus de la prédation. C'est seule- ment en 1815, après deux guerres contre eux, que les marins américains furent débar- rassés des pirates barbaresques. Ces guerres furent des opérations importantes pour la jeune république; une campagne est rappelée par les paroles «vers les rivages de Tripo- li» dans l'hymne de la marine. Quand les Français prirent Alger en 1830, il y avait encore 120 esclaves blancs dans le bagno. Pourquoi y a-t-il si peu d'intérêt pour l'esclavage en Méditerranée alors que l'érudi- tion et la réflexion sur l'esclavage des Noirs ne finit jamais? Comme l'explique le Prof. Davis, des esclaves blancs avec des maîtres non-blancs ne cadrent simplement pas avec «le récit maître de l'impérialisme européen». Les schémas de victimisation si chers aux intellectuels requièrent de la méchanceté blanche, pas des souffrances blanches. Le Prof. Davis remarque aussi que l'expérience européenne de l'asservissement à grande échelle fait apparaître le mensonge d'un autre thème gauchiste favori: que l'es- clavage des Noirs aurait été un pas crucial dans l'établissement des concepts européens de race et de hiérarchie raciale. Ce n'est pas le cas; pendant des siècles, les Européens vécurent eux-mêmes dans la peur du fouet, et un grand nombre assista aux défilés de
  • 104. [104] rachat des esclaves libérés, qui étaient tous blancs. L'esclavage était un sort plus facile- ment imaginable pour eux-mêmes que pour les lointains Africains. Avec un peu d'efforts, il est possible d'imaginer les Européens se préoccupant de l'es- clavage autant que les Noirs. Si les Européens nourrissaient des griefs concernant les esclaves des galères de la même manière que les Noirs font pour les travailleurs des champs, la politique européenne serait certainement différente. Il n'y aurait pas d'ex- cuses rampantes pour les Croisades, peu d'immigration musulmane en Europe, les mi- narets ne pousseraient pas dans toute l'Europe, et la Turquie ne rêverait pas de re- joindre l'Union Européenne. Le passé ne peut pas être changé, et les regrets peuvent être pris à l'excès, mais ceux qui oublient paient aussi un prix élevé. http://www.solargeneral.com/mirrors/Flawless%20Logic%20Library/library.flawle sslogic.com/slavery_fr.htm
  • 105. [105] Histoire: La traite oubliée des esclaves chrétiens raz- ziés par les musulmans Bien au-delà des récits, plus ou moins romancés, de traite des blanches de nos enfances, ce serait, selon l‘historien américain Robert C. Davis dont le Figaro présente aujourd‘hui le der- nier livre, plus d‘un million de personnes, des chrétiens donc et principalement des hommes habitant les côtes méditerranéennes du sud de l‘Europe (notamment d‘Italie et de France ou d‘Espagne, dont le fameux Cervantes lui-même !), qui entre 1530 et 1780 ont été vendus comme esclaves dans les marchés des grandes villes de la ―Barbarie‖, Alger, Tripoli ou Tunis. Razzias permanentes qui hanteront et traumatiseront pendant des siècles des villages en- tiers, comme en témoignent encore aujourd‘hui ces inévitables tours de guet et la construction systématique sur des promontoires rocheux, faisant dos à la mer. Mais aussi… la tête de Maure du drapeau corse ! Les conditions, souvent dans des sortes de bagnes publics, étaient particulièrement atroces (avoir des esclaves chrétiens étant apparemment une manière d‘affirmer la primauté de l‘islam), avec un taux de mortalité très élevé (autour de 15 % vs 10% pour la traite noire atlantique, mais jusqu‘à… 80% dans la traite musulmane). Certains razziés iront même jusqu‘à se convertir à l‘Islam et mener ensuite à leur tour des razzias contre leurs anciens compatriotes. Sans parler de ces Occidentaux qui, comme par exemple l‘ordre de Malte, se mirent à possédaient eux aussi leurs esclaves… musulmans cette fois ! Donc pas de ―code noir‖ ici pour limiter les pouvoirs du maître musulman sur son esclave, même si les captifs pouvaient, à la différence de la traite africaine et moyennant rançon, échapper à leur captivité. Avec hélas (comme aujourd‘hui en Afrique orientale ou dans les affaires de prises d‘otages au Moyen-orient !) l‘effet pervers, quand des institutions reli-
  • 106. [106] gieuses vont s‘en mêler, de rendre l‘affaire plus rentable pour les razzieurs, et donc… d‘accentuer lesdits raids ! Jusqu‘aux flottes de superpuissances comme l‘Angleterre ou la France qui se virent forcées de payer des tributs aux deys (ou aux célèbres… Barberousses !) de la ―Côte barbare‖ avec le même effet pervers d‘inciter à la prise en otage de vaisseaux entiers ! Et il faudra donc at- tendre que le jeune état américain en ait assez de payer son million de dollars annuel et la création d‘une flotte assez puissante – assistée des fameux Marines avec leur non moins cé- lèbre hymne ―To the shores of Tripoli‖ * - pour finalement arrêter tout ça, d‘abord en 1805 puis finalement en 1815 ! Razzias en terres chrétiennes Jacques de Saint-Victor Le Figaro Littéraire 11 mai 2006 L‘historien américain Robert C. Davis, rappelle que plus d‘un million de chrétiens ont été asservis par les Barbaresques entre le XVIe et le XVIIIe siècle. VOILÀ UN LIVRE savant qui fera date en ce lendemain de la journée commémorative de l‘abolition de l‘esclavage. L‘étude de l‘historien américain Robert C. Davis vient apporter un élément entièrement nouveau dans ce dossier en évoquant la traite dont les chrétiens furent victimes par les arabo-musulmans en Méditerranée du XVIe et XVIIIe siècle. Son travail, le premier d‘une telle ampleur, renouvelle la connaissance que l‘on peut avoir de l‘esclavage, ce crime contre l‘humanité dont la liste des pratiques ne finit pas, hélas, de s‘allonger. On con- naît bien aujourd‘hui, notamment grâce aux travaux d‘histoire globale d‘Olivier Pétré- Grenouilleau, la traite des Africains par les Blancs, tout comme celle des Noirs par les Arabes. Mais celle des chrétiens par les musulmans restait, en revanche, totalement ignorée. Ce que Davis appelle « l‘autre esclavage » a pourtant touché un nombre considérable de chrétiens. Contrairement à ce qu‘avait cru Fernand Braudel, qui avait minimisé le phénomène dans ses travaux sur la Méditerranée, ce serait plus d‘un million de personnes, principalement des hommes habitant les pourtours de la Méditerranée, qui ont été vendus comme esclaves dans les marchés d‘Alger, de Tripoli ou de Tunis, les principales villes de ce qu‘on appelait alors la Barbarie. On est loin du tableau anecdotique d‘une Angélique livrée aux Barbaresques pour sa beauté. La plupart des victimes furent d‘ailleurs principalement des hommes, venus d‘Espagne, de France et surtout d‘Italie. Avant l‘étude de Davis, ce phénomène n‘avait jamais pu être chiffré. Professeur d‘histoire sociale italienne à l‘université de l‘Ohio, l‘auteur a con- sacré de longues années d‘étude à ce phénomène qui a marqué pendant des siècles les popula- tions du sud de la Méditerranée, notamment celles qui étaient les plus proches des Etats bar- baresques et qui ont été en butte à des razzias très fréquentes (ainsi subsistent sur les côtes méditerranéennes ces tours destinées à informer les populations d‘une razzia imminente). Le danger était permanent. L‘auteur rappelle que les musulmans conservaient au XVIe siècle des bases dans certaines îles de la péninsule italienne, comme Ischia, au large de Naples… De nombreux villages, construits sur des promontoires rocheux, faisant dos à la mer, portent té- moignage du traumatisme de ces populations locales qui pouvaient, à l‘aube, être capturées par des bateaux surgissant en silence de la brume. Les plus durement frappés furent les ma- rins, les marchands et les modestes pêcheurs de ce qu‘il était alors convenu d‘appeler « la mer de la peur » !
  • 107. [107] Les conditions de vie des esclaves chrétiens ont été souvent effroyables, particulièrement dans les bagnes publics, où il régnait un climat de violence sexuelle. Mais, à la différence de la traite africaine, les captifs pouvaient, moyennant rançon, échapper à leur captivité. Des ins- titutions religieuses vont d‘ailleurs se spécialiser en Europe pour racheter ces malheureux, comme les Trinitaires ou les Mercédaires. Aussi les esclaves chrétiens n‘ont-ils pas fait souche en terre d‘Islam. Pourtant, ils y restèrent en moyenne près d‘une dizaine d‘années, quand ils n‘y mouraient pas tout simplement (le taux de mortalité y était élevé, autour de 15 %). Certains préférèrent se convertir à l‘Islam et mener ensuite à leur tour des razzias contre leurs anciens compatriotes. Mais les récits des chrétiens ont parfois été romancés, ce qui explique que pendant long- temps on a négligé ce type d‘esclavage. On sait désormais qu‘il faut le considérer avec atten- tion. Ainsi peut-on lire Captifs en Barbarie, ce récit poignant d‘un jeune mousse anglais, Thomas Pellow, capturé au XVIIIe siècle en Méditerranée et vendu comme esclave au terrible sultan Moulay Ismaïl, qui l‘utilise, avec des milliers d‘autres chrétiens, à la construction de son palais gigantesque. Racontée par le journaliste anglais Giles Milton, cette histoire, certes anecdotique, complète la magnifique étude de Robert C. Davis qui rappelle qu‘il n‘y eut en Barbarie aucun pendant du célèbre « code noir » pour venir limiter les pouvoirs du maître musulman sur son esclave. Esclaves chrétiens Maîtres musulmans. L‘esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800) de Robert C. Davis, Editions Jacqueline Chambon, 333p., 22 €. Captifs en Barbarie. L‘histoire extraordinaire des esclaves européens en terre d‘Islam de Giles Milton, Noir sur blanc, 301 p., 25 €. Voir aussi: Olivier Pétré-Grenouilleau : «Un esclavage qui n’a pas laissé de traces» Propos recueillis par J. S.-V. LeFigaro Littéraire, le 11 mai 2006, L‘historien, qui a publié chez Gallimard une somme qui fait autorité sur les traites né- grières, commente les découvertes de Davis sur l‘esclavage des chrétiens. LE FIGARO LITTÉRAIRE. – L’étude de Robert C. Davis montre que l’esclavage des chré- tiens par les musulmans en Méditerranée n’a rien d’un phénomène anecdotique. Olivier PÉTRÉ-GRENOUIL-LEAU. – En effet, c‘est l‘un des apports de ce livre, qui ouvre une nouvelle piste dans le champ des études sur l‘esclavage. Jusqu‘à présent, en dehors de quelques spécialistes, on pouvait penser que la captivité des chrétiens par les barbaresques relevait de la simple anecdote. Les récits de captivité, à commencer par celui de Cervantès, contribuaient à cette légende car ils étaient souvent romancés. Et il était surtout très difficile de se faire une idée de l‘ampleur du phénomène. L‘étude de Davis donne pour la première fois une analyse chiffrée. On se rend compte qu‘il s‘agit d‘un esclavage d‘assez grande am- pleur qui est resté longtemps ignoré. Pour le XVIe siècle, le nombre des esclaves chrétiens razziés par les musulmans est supérieur à celui des Africains déportés aux Amériques. Il est vrai que la traite des Noirs ne prendra vraiment son essor qu‘à la fin du XVIIe siècle, avec la révolution sucrière dans les Antilles. Mais, selon Davis, il y aurait eu environ un million de Blancs chrétiens réduits en esclavage par les barbaresques entre 1530 et 1780.
  • 108. [108] C’est un chiffre impressionnant. Certes. Mais il ne faut pas se focaliser sur la question des chiffres, afin d‘établir une sorte d‘échelle de Richter des esclavages. Ce que le travail de Davis permet d‘affirmer, c‘est que cet esclavage des chrétiens entre le XVIe et le XVIIIe siècle renvoie à une réalité non négli- geable. Rien de plus. S‘il est resté pour une large part ignoré, c‘est qu‘il n‘a pas laissé beau- coup de traces. Les esclaves blancs étaient en effet principalement, à 90%, des hommes, qui ne faisaient pas souche en terre d‘Islam, à l‘inverse des Africains aux Amériques. C‘est aussi que le questionnement est souvent premier en histoire (on se pose des questions, puis l‘on recherche les sources permettant éventuellement d‘y répondre) et que cet esclavage n‘a pas beaucoup intéressé les historiens. L’asservissement des Blancs par les musulmans n’est-il pas cependant assez différent de celui subi par les esclaves africains aux Amériques ? Il est différent à plusieurs titres. Tout d‘abord, cet esclavage ne répond pas à la même lo- gique. Au départ, les barbaresques se livrent à des opérations de course et de piraterie sur les côtes de la Méditerranée, comme c‘est l‘usage chez certains peuples marins depuis la plus Haute Antiquité. On avait pris l‘habitude depuis l‘époque byzantine de rédiger des traités pré- voyant l‘échange réciproque d‘esclaves. Puis, les chrétiens se mobilisant pour «racheter» leurs proches tombés en esclavage, l‘affaire devint plus rentable pour les razzieurs. C‘est paradoxa- lement cette perspective financière qui accentua les raids musulmans à partir du XVIe siècle. En devenant directement et assez facilement monnayables, les esclaves devinrent des proies plus séduisantes que les navires ou les cargaisons. Les barbaresques se mirent alors à multi- plier leurs razzias sur les côtes de la Méditerranée, notamment en Italie du Sud. Dans le cas de la traite transatlantique, l‘esclavage répondait à un autre but : fournir une main-d‘oeuvre bon marché aux colonies. Les Noirs ne pouvaient être rachetés mais seulement – rarement – se racheter eux-mêmes. Ils firent souche en Amérique, ce qui ne fut jamais le cas des chrétiens. Il n’y a donc pas eu de traite proprement dite. On ne devrait pas en effet parler d‘une «traite» des Blancs car les musulmans cherchaient de l‘argent plus ou moins rapidement, ils ne se sont pas livrés à un trafic de main-d‘oeuvre. Au bout de quelques années, les esclaves chrétiens étaient soit rachetés et ils rentraient chez eux, ou ils disparaissaient. Le taux de mortalité était assez fort. Autour de 15%, selon Davis. Certaines pratiques laissent penser que cet esclavage répond aussi à une volonté d’humilier les chrétiens, la préfiguration d’une sorte de «choc de civilisation» ? Il peut y avoir eu un arrière-plan de lutte religieuse entre l‘islam et la chrétienté. Avoir des esclaves chrétiens était une manière d‘affirmer la primauté de l‘islam. Mais ce critère n‘était pas prioritaire, il pouvait simplement devenir un facteur aggravant dans certains cas. Les es- claves chrétiens ont d‘ailleurs été traités d‘une manière très différente selon les cas. Ils avaient des fonctions très variés. C‘est là un trait distinctif entre les serfs, toujours attachés à la glèbe, et les esclaves. Certains ont servi comme domestiques, d‘autres comme ouvriers agricoles, beaucoup ont moisi dans des bagnes. Quand cette pratique a-t-elle cessé ? On évoque encore cette question en 1815 au congrès de Vienne. Mais, dès le début du XIXe siècle, les avantages de la course et de la piraterie ont considérablement baissé et cette pratique va disparaître. En conclusion, je reprocherai surtout au travail de Davis de n‘avoir pas assez inscrit cette traite dans le cadre de l‘esclavage en Méditerranée. C‘est ainsi que des Occidentaux, je pense par exemple à l‘ordre de Malte, possédaient eux aussi des esclaves mu-
  • 109. [109] sulmans. Il faudra d‘ailleurs attendre l‘invasion de Malte par Bonaparte pour qu‘ils soient libérés… * Vor les paroles du célèbre hymne des Marines: From the halls of Montezuma, to the shores of Tripoli, We fight our country‘s battles in the air, on land and sea. First to fight for right and freedom, and to keep our honor clean; We are proud to claim the title of United States Marine. Our Flag‘s unfurled to every breeze from dawn to setting sun. We have fought in every clime and place, where we could take a gun. In the snow of far off northern lands and in sunny tropic scenes, You will find us always on the job, the United States Marines. Here‘s health to you and to our Corps, which we are proud to serve. In many a strife we‘ve fought for life and never lost our nerve. If the Army and the Navy ever look on heaven‘s scenes, They will find the streets are guarded by United States Marines. Voir enfin l‘ouvrage de l‘historienne britannique Linda Colley (‖captives‖): as late as 1715 the British army was no larger than that commanded by the king of Sardi- nia, while at the same period there were at least 20,000 British civilians enslaved in the Bar- bary sultanates of north Africa. Your country needs you. And your beard William Dalrymple is fascinated by Linda Colley‘s forgotten tales of British defeats in In- dia and north Africa in Captives William Dalrymple Saturday November 9, 2002 Guardian Captives: Britain, Empire and the World 1600-1850, by Linda Colley, 438pp, Cape, £20 However embarrassed we may be by our former Raj heroes - those Havelocks and Napiers swaggering imperiously on their plinths in Trafalgar Square or staring portentously, ossified and khaki-clad, all the way up Whitehall - we still tend to think of them as rather manly men: the sort of outdoor types who would not flinch from a 500-mile route march in the midsum- mer tropical heat, and who would know what to do with a Gatling gun when faced with hordes of marauding Others. Yet according to Linda Colley‘s brilliant, subtle and important new book, Captives, there was a time when Indians looked on their would-be British rulers in a very different and much less flattering manner; when they thought of the British military as effeminate, indeed as little better than eunuchs. Colley‘s thesis is that the unprecedented military success and world political and economic domination achieved by the Victorian British has blinded us to the smallness and vulnerability of Britain in the preceding two and a half centuries: after all, she points out, as late as 1715 the British army was no larger than that commanded by the king of Sardinia, while at the same period there were at least 20,000 British civilians enslaved in the Barbary sultanates of north Africa. It is significant that this surprises us as much as it does: it is as if the Victorians colonised not just one quarter of the globe, but also, more permanently, our imaginations, to the exclu- sion of all other images of the British encounter and collision with the wider world, from the
  • 110. [110] Elizabethan period onwards. Colley shows the extent to which tales of British weakness and defeat at the hands of sophisticated Muslim states in north Africa, the Middle East and India have been consciously edited out of the historical record. So, for example, we remember our various military triumphs in and around Bombay but have performed a collective act of amnesia about another far more important colony gained at the same time (1661) - Tangier, part of the dowry of Catherine of Braganza, with its bowling greens, pubs and Anglican churches. It was once the pride of Britain‘s intended Mediterra- nean empire, but was humiliatingly lost to the Moroccans in 1684, despite unprecedented in- vestment by the crown in its defences. Hence also our failure to remember many other British military defeats and losses such as the catastrophic defeat of the armies of the East India Company by Tipu Sultan at Pollilur in 1780, only a few months before the equally disastrous surrender of Yorktown and the loss of America. Pollilur led to the slaughter of an entire army and the capture of one in five of all the Bri- tish soldiers in India. No fewer than 7,000 British men, along with an unknown number of women, were held captive by Tipu in his sophisticated fortress of Seringapatam. Of these more than 300 were circumcised and given Muslim names and clothes. Even more humilia- tingly, several British regimental drummer boys were made to wear ghagra cholis and enter- tain the Mysore court as nautch girls. At the end of 10 years‘ captivity, one of these prisoners, James Scurry, found that he had forgotten how to sit in a chair or use a knife and fork; his English was ―broken and confused, having lost all its vernacular idiom‖, his skin had darkened to the ―swarthy complexion of Negroes‖ and he found he actively disliked wearing European clothes. This was the ultimate colonial nightmare, and in its most unpalatable form: the captive preferring the ways of his captors, the coloniser colonised. The image of the British defeat at Pollilur, painted on the walls of Tipu‘s summer palace at Seringapatam, is brilliantly interpreted by Colley as showing how Mysore‘s victors viewed the surrounded and defeated British at the moment the British defeat became certain: ―The white soldiers all appear in uniform jackets of red, a colour associated in India with eunuchs and women,‖ writes Colley. Moreover the British are ―conspicuously and invariably clean shaven. Neatly side-burned, with doe-like eyes, raised eyebrows and pretty pink lips, they have been painted to look like girls, or at least creatures that are not fully male.‖ Colley is certainly on to something here: a few years later, another British soldier of the time, General Charles ―Hindoo‖ Stuart, campaigned for British troops to be encouraged to grow extensive facial hair as otherwise their masculinity would not be taken seriously by their Indian enemies, noting that until he himself grew a beard, ―mendicants supplicated me, for charity, by the appellation of Beeby Saheb [Great Lady], mistaking my sex from the smooth- ness of my face.‖ Captives is at once a human tale of the forgotten and marginal individuals - ―common seamen and private soldiers, itinerants and exiles, convicts and assorted womenfolk‖ - invol- ved in a succession of little-known British defeats and captivities, and a wider meditation on the character and diversity of Britain‘s incipient empire. Using the rich and revealing source of captivity narratives as a way of unlocking some of the central truths about British weak- ness, smallness and vulnerability, she shows how the British rise to world domination was neither smooth nor inevitable. She also dramatically highlights the human cost of that expansion. The lives of ordinary British men and women were completely disrupted in the process of imperial adventures
  • 111. [111] overseas: men like John Rutherford, captured in North America, who for a while became a Chippewa warrior; or Sarah Shade, an East India Company camp follower, who became one of Tipu‘s captives at Seringapatam. Colley is especially good on those who after capture fell hopelessly under the spell of India or Islamic north Africa, and entered what in those days must have seemed like a parallel uni- verse, responding to their travels and captivities with a profound alteration of the self, slowly shedding their Britishness and Christianity like an unwanted skin, and adopting Islamic dress, studying Islamic teachings and taking on the ways of the Moroccan or Mughal governing classes they would in time come to replace. In particular, she shows how many British cap- tives converted to Islam in India and north Africa: both the Moroccans and the Mughals were able to field entire regiments of European renegade converts to Islam. It is at this point perhaps that Colley‘s methodology limits her vision. By concentrating principally on captivity narratives (a genre much studied in American universities but relati- vely neglected in Europe) she misses the possibly more interesting point that until the mid- 19th century many Europeans chose of their own free will to convert to Islam and take on eastern ways, without necessarily becoming captives first. This had always been the case: as early as the mid-17th century, the English ambassador to the Ottoman Porte, Sir Thomas Shirley, complained about the large number of ―roagues, & the skumme of people whyche are fledde to the Turke for succour & releyffe‖. The fact was, as Shirley pointed out in one of his dispatches, that the more time Englishmen spent in the east, the closer they moved to adopting the manners of the Muslims: ―conuersation with infi- delles doeth mutch corrupte,‖ he wrote. ―Many wylde youthes… in euerye 3 yeere that they staye in Turkye they loose one article of theyre faythe.‖ Islam overcame the English as much by its sophistication and power of attraction as by its power to seize and enslave. In 1606 even the English consul in Egypt, Benjamin Bishop, con- verted and promptly disappeared from public records. The same was true in Mughal India: within a few years of the East India Company establishing itself in Agra, the company‘s most senior official in India had to break the news of ―ye damned apostacy of one of your servants, Josua Blackwelle‖, who had ―privately conveighed himselfe to the Governor of ye citty, who, being prepaired, with the Qazi and others attended his comeing; before whome hee most wic- kedly and desperately renounced his Christian faith… and is irrecoverably lost‖. Nor was it just Islam that lured the British out of their sola topees: ―Hindoo‖ Stuart (he of the smooth cheeks) firmly believed he had become a Hindu (though it is technically impos- sible to convert to Hinduism) and took to travelling around the country with a team of Brah- mins who used to attend his idols and dress his food, to the astonishment of at least one mem- sahib recently arrived from England: ―There was here an Englishman, born and educated in a Christian land,‖ wrote Elizabeth Fenton in her journal, ―who has become the wretched and degraded partaker of this heathen worship, a General S- who has for some years adopted the habits and religion, if religion it be named, of these people; and he is generally believed to be in a sane mind.‖ Despite the occasional errors and inaccuracies, especially in the Indian section (there was, for example, no such person as the Begum Sumru Sardhana - Sardhana was the begum‘s capi- tal, not her name), Captives is a major work: a complete reappraisal of a period, strikingly original in both theme and form, mixing narrative and fine descriptive prose with analysis in an entirely fresh and gripping way. It is at once clever and perceptive, making you look afresh at themes and subjects you took completely for granted. It will undoubtedly confirm Colley‘s reputation not only as one of the most exciting and original historians of her generation, but also one of the most interesting writers of non-fiction around.
  • 112. [112] · William Dalrymple‘s book, White Mughals: Love and Betrayal in 18th-Century India is published by HarperCollins Guardian Unlimited © Guardian News and Media Limited 2006 Extrait de son entretien sur le site de Princeton : (…) British identity also seems to be in jeopardy in Captives (2002). What is the book about, and what inspired you to write it? In part this project was inspired by my reading of American history. American historians have written about captives for a long time, typically captives held by Native Americans in the 17th, 18th, and 19th centuries. The British have not really studied this aspect of their past. I wanted to write about the British Empire, but not in the usual way. The standard narrative of the empire involves Brits going abroad, taking various countries captive, invading them, and being dominant until they are forced out. I wanted to alter that picture. Britain was a small country with a limited army, its forces stretched very thin over the world as its empire grew bigger and bigger. Between 1600 and 1850 tens of thousands of Britons were taken captive by foreigners. This shouldn‘t really come as a surprise: if you intrude violently into another per- son‘s territory, captive-taking is one of the results. I thought that by exploring what happened to these people I could construct a rather more nuanced picture of what the empire was like, and I could show the weakness and vulnerability of the British, not just the strength and ag- gression. I looked at cases of captivity in the Mediterranean and North Africa, in India, in Afghanistan, and in North America. I also wanted to revise standard imperial history in ano- ther way. Histories of the British Empire have generally focused on elite groups–‖generals, politicians, the major merchants and investors, and so forth. The big people. In fact, the majo- rity of the people involved in making the empire were poor whites, and their experiences have hardly been written about. I also showed that a surprising number of these individuals were not involuntary captives. Some crossed over to the other side deliberately. A lot of the people I was writing about had been driven into the army or navy against their will. Many decided after being captured that their new circumstances were an improvement over the old. There were Brits who joined Native American communities in North America. In North Africa quite a few British captives converted to Islam and some married local women. There were British soldiers in India who ended up serving Indian princes. These kinds of stories had tended to be brushed under the carpet when the empire was still in existence–‖this wasn‘t the sort of thing you wanted in the history books. Unlike your previous books, Captives is global in scale. Was this a challenging book to write? It was a tremendous challenge. I was only able to do it because in 1998 I won a Lever- hulme Research Professorship, which gives you five years to do your own work. I was able to do masses of reading outside my area of specialization. I also spent a lot of time visiting the places I was writing about. Unless you have some sense of geography, of just how huge these expanses of land were that the Brits tried to move into, you don‘t fully understand what a fraught business this often was. And I wasn‘t looking at empire in the late 19th century, when many things were mechanized and you had the telegraph; I was looking at the 17th and 18th and early 19th centuries, when for the most part you couldn‘t move faster on land than a horse. I felt that I wouldn‘t be able to reconstruct the experiences of these people unless I had a better sense of the geography. Your current project also concerns a British captive.
  • 113. [113] Yes, right now I‘m working on a shorter book that follows the life of a single woman. It started as a spin-off from Captives, although it has become more than that. Quite a few former captives, those who made it back, went on to publish accounts of their experiences. So there is a lot of written evidence from these people, although you have to sieve it with care. As I was working on this very broad book, Captives, I came across a lot of personal stories that I had to compress. I decided that when I finished, I wanted to take a single person and devote a short book to his or her story. I chose a woman named Elizabeth Marsh who was taken captive in the Mediterranean in 1756 by Moroccan corsairs. Later she wrote a book about her expe- riences in captivity in Morocco. As I did research on this woman I discovered that she had had an extraordinary life. She was conceived in Jamaica and was probably of mixed race; she spent time in Minorca and Gibraltar, as well as North Africa; she and her husband went ban- krupt in the 1760s (after buying land in Florida) and moved from London to India, where she wrote a travel narrative; and she even had connections with the Pacific! People in the mid- 18th century were becoming much more conscious of what we might call proto-globalization, the way that different parts of the world were impacting on one another and migration among the continents was increasing. My new book follows the life of Elizabeth Marsh as a way of exploring these global currents. All these trends are concentrated in her life, and thanks to her writings I was able to write a deeper book about the topic. The book also comes back to ques- tions of identity, as I guess all my books do. What happens to your sense of who you are when you are uprooted from where you came from? And not just once, but repeatedly? Et celui du non-spécialiste Giles Milton (‖White gold‖): Editorial Reviews From Publishers Weekly For this harrowing story of white captives in 18th-century Morocco, Milton (author of the highly praised Nathaniel‘s Nutmeg) draws primarily on the memoir of a Cornish cabin boy, Thomas Pellow, who was taken by Islamic pirates in 1716 and sold as a slave to the legenda- rily tyrannical Sultan Moulay Ismail. Pellow remained in Morocco for more than 20 years, his family barely recognizing him when he at last escaped home. Placing Pellow‘s tale within wider horizons, Milton describes how, during the 17th and 18th centuries, thousands of Euro- pean captives were snatched from their coastal villages by Islamic slave traders intent on wa- ging war on Christendom. Put into forced labor and appalling living conditions, they perished in huge numbers. As a pragmatic convert to Islam, Pellow fared better, earning a wife who bore him a daughter. Milton includes Pellow‘s years as a soldier in Moulay Ismail‘s army and draws out his cliff-hanging escape back to England. Pellow‘s sensational tale dominates the book, and though rendered in seductively poised prose, in the end it feels short on ideas and argument. Milton also fails to cite other historians working in this area (a prime example being Linda Colley). 16 pages of b&w illus. not seen by PW; 2 maps. Copyright © Reed Business Information, a division of Reed Elsevier Inc. All rights reser- ved. From The Washington Post‘s Book World/washingtonpost.com Giles Milton‘s new book is a fascinating account of a long-forgotten era when an awful menace terrorized the coastal waters of North Africa. In the 17th and 18th centuries, countless vessels leaving the coasts of Europe and colonial North America were seized at sea by bands of Barbary corsairs, who confiscated their cargo and dragged their hapless crews to the shores of Morocco, Algiers, Tunis and Tripoli to be sold into slavery. Based primarily on narratives published by freed or escaped slaves, White Gold recounts the story of Thomas Pellow, who at age 11 joined the crew of an English trading vessel, the
  • 114. [114] Francis, as a cabin boy and merchant‘s apprentice. Pellow‘s ship left Cornwall in 1715, car- rying a cargo of salted pilchards to trade in Genoa. Upon setting sail for home, the Francis was overtaken by a band of ―fanatical corsairs of Barbary‖ who, in a ―deranged fury,‖ boar- ded the ship, overpowered its unarmed crew and seized its precious cargo of Italian wares meant for sale in England. But the merchandise was a mere pittance compared to the real prize of the ship: its crew. In the early 1700s, the trade in European slaves was a booming business throughout North Africa, even though, in size and scope, it did not compare to Europe‘s own immensely profi- table African slave trade. According to Milton, nearly 1 million Europeans passed through the markets of coastal towns like Salé, on the north coast of Morocco, where they were auctioned off to the highest bidder. For better or worse, Pellow‘s crew was spared such humiliation and instead marched directly to the imperial city of Meknes, where they were ceremonially pre- sented as gifts to the cruel and capricious sultan of Morocco, Moulay Ismail. Being a strong and hearty young boy, Pellow immediately caught the attention of Moulay Ismail and was initiated into the sultan‘s personal retinue of servants. Pellow spent the next 23 years as a slave at the imperial court, where he was routinely beaten and starved, forced to convert to Islam and ultimately placed at the head of the sultan‘s armies. Through a series of fortunate accidents, Pellow not only managed to survive his ordeal but eventually escaped back to England to publish his adventures for a captive audience. Although narratives like Pellow‘s have long been dismissed as part of a genre of deliciou- sly scandalous ―Orientalist‖ fantasies wildly popular with the British upper classes, Milton notes that European and Arab chronicles of the time have corroborated many of the events and experiences recounted in these fanciful books. Perhaps. But White Gold would have been better served by a critical analysis of these sources. Far from providing any such criticism, Milton seems to accept these fantastic narratives as gospel. This tendency is perhaps most apparent in his description of Moulay Ismail, who comes across in the book as comically evil. The sultan‘s whimsical brutishness (at one point, he ela- borately tortured and executed a cat that had snatched and killed a rabbit), his supernatural sexual appetite (he is reported to have had 10,000 concubines), and his limitless capacity for wickedness (he took particular pleasure in greeting guests while drenched in the blood of slaves he had personally dismembered) are reminiscent of the oriental depravities caricatured in The Arabian Nights, popularized in Europe by Antoine Galland‘s hugely successful French translation of 1704-1717. Indeed, by conflating these tales with history, Milton occasionally proves himself as gul- lible as the 18th-century audiences for whom stories like Pellow‘s were originally written. For example, many European slaves certainly were forced to convert to Islam, either through tor- ture or by being offered certain ―privileges‖ (like food and shelter) as rewards. But Pellow‘s account of his own forced conversion — in which his 11-year-old self patiently endures month after month of horrific torture, administered by the crown prince himself, with whom Pellow remarkably engages in a quasi-theological debate (in Arabic or English, one can‘t tell which) before finally submitting to Islam — is so absurd that the reader is stunned to find Milton swallowing the tale whole. That White Gold merely regurgitates Pellow‘s ―memoirs‖ is even more troubling because Milton enthusiastically adopts the outmoded vocabulary of the era, repeatedly referring in his book to ―Christian‖ slaves and even ―Christian‖ vessels being captured by ―Muslim‖ pirates and sold to ―Muslim‖ masters. Even the book‘s subtitle, with its reference to ―Islam‘s One Million White Slaves‖ — obviously meant to cash in on contemporary fixations with the Mu- slim world — is an indication of Milton‘s deliberately perverse terminology. Why, the reader
  • 115. [115] wonders, is it not North Africa‘s slave trade, rather than Islam‘s? After all, this is the only region in the whole of the Muslim world where such a phenomenon occurred. And Milton never refers to Europe‘s own slave trade, which enslaved 15 million Africans, as a ―Christian‖ slave trade. Still, while such oddities should not be easily forgiven, particularly in our current climate, they do not spoil what is ultimately a fun and fanciful story from a little-known chap- ter in history. Reviewed by Reza Aslan Copyright 2005, The Washington Post Co. All Rights Reserved. From Booklist The horrors of the transatlantic slave trade have been extensively documented in print and eloquently portrayed on film and television. But chattel slavery was a well-established Afri- can as well as European institution, and its victims were not exclusively people of color. In the seventeenth, eighteenth, and early nineteenth centuries, the Barbary states of North Africa used Islamic pirates, or corsairs, to conduct slave raids, which fed the flourishing slave mar- kets of Algiers, Tunis, and Tripoli. Many of the enslaved were white Europeans or North Americans captured at sea. Among them was Thomas Pellow, an 11-year-old English child who was seized in 1716 and served for 23 years as a personal servant to Sultan Moulay Ismail of Morocco. Milton relates Pellow‘s compelling story as a triumph of wile, pluck, and endu- rance; but this is also a tale of great brutality and suffering, as Milton eloquently shows that all of the indignities one associates with European and American slavery were visited upon those held in North Africa. A riveting account. Jay Freeman Copyright © American Library Association. All rights reserved Simon Winchester, The Boston Globe ―[A] fascinating narrative.‖ Review Praise from Britain for White Gold : ―White Gold is lively, and diligently researched, a chronicle of cruelty on a grand scale. An unfailingly entertaining piece of popular history.‖ –Sunday Telegraph ―[Giles Milton] is a popular, non-academic historian drawn to dramatic, even bizarre sub- jects, researched in highly enterprising ways, and told in a vividly swashbuckling style. An exciting and sensational account of a really swashbuckling historical episode, White Gold will do very well for this summer‘s beach read.‖ –The Spectator ―White Gold delivers on its promise of exotic thrills.‖ –Rhoda Koenig, The Evening Stan- dard Book Description The true story of white European slaves in eighteenth century Algiers, Tunis, and Morocco In the summer of 1716, a Cornish cabin boy named Thomas Pellow and fifty-one of his comrades were captured at sea by the Barbary corsairs. Their captors–Ali Hakem and his net- work of Islamic slave traders–had declared war on the whole of Christendom. France, Spain, England and Italy had suffered a series of devastating attacks. Thousands of Europeans had been snatched from their homes and taken in chains to the great slave markets of Algiers, Tu- nis and Salé in Morocco.
  • 116. [116] Pellow and his shipmates were bought by the tyrannical sultan of Morocco, Moulay Ismail, who was constructing an imperial palace of such scale and grandeur that it would surpass eve- ry other building in the world, a palace built entirely by Christian slave labor. Resourceful, resilient, and quick-thinking, Pellow was selected by Moulay Ismail for spe- cial treatment, and was one of the fortunate few who survived to tell his tale. An extraordinary and shocking story, drawn from unpublished letters and manuscripts written by slaves and by the padres and ambassadors sent to free them, White Gold reveals a disturbing and long forgotten chapter of history. About the Author Giles Milton is the author of Samurai William (FSG, 2003), The Riddle and the Knight (FSG, 2001), Big Chief Elizabeth (FSG, 2000) and Nathaniel‘s Nutmeg (FSG, 1999). He lives in London. http://jcdurbant.wordpress.com/2006/05/11/histoire-la-traite-oubliee-des-esclaves- chretiens-razzies-par-les-musulmans/
  • 117. [117] Des esclaves anglais aux mains des Barbaresques December 19th, 2005 · La terreur islamique commença dans les îles britanniques lors du « terrible été de 1625 » quand des corsaires esclavagistes nord-africains envahirent et dévastèrent les côtes sud de l‘Angleterre, et hissèrent même pendant un bref instant l‘étendard de bataille vert de l‘islam sur le territoire anglais, un étendard sur lequel était inscrite la terrible promesse : « Les portes du Paradis sont à l‘ombre des épées ». Sur les côtes de Cornouailles, du Devon, du Dorset et d‘Irlande du Sud, les corsaires isla- miques tuèrent et pillèrent des villages entiers pour les vendre comme esclaves dans l‘empire islamique d‘Orient. En 1625, les marchands d‘esclaves retournèrent ensuite à Alger – dans ce seul raid – avec un millier d‘hommes, de femmes et d‘enfants britanniques à vendre comme esclaves. Au to- tal, les pirates islamiques nord-africains enlevèrent et réduisirent en esclavage 1,3 million d‘Européens blancs entre 1530 et 1780 dans une série de raids qui dépeuplèrent les villes cô- tières, de la Sicile à la Cornouaille. Pour que la population esclave reste stable, environ un quart devait être remplacé chaque année, ce qui pour la période de 1580 à 1680 signifiait environ 8.500 nouveaux esclaves par an, arrivant à un total de 850.000 esclaves. La même méthodologie suggère que 475.000 fu- rent enlevés dans les siècles précédant et suivant. De 1500 à 1650, quand l‘esclavage transa- tlantique était encore à ses débuts, il y eut probablement plus d‘esclaves chrétiens blancs em- menés chez les Barbaresques que d‘esclaves africains noirs aux Amériques. D‘après une estimation, 7.000 Anglais furent enlevés entre 1622 et 1644, beaucoup d‘entre eux étant des équipages et des passagers de bateaux qui furent interceptés et capturés par des marchands d‘esclaves. L‘impact de ces attaques sur les nations européennes attaquées par les pirates meurtriers fut dévastateur – la France, l‘Angleterre et l‘Espagne perdirent chacune des milliers de ba- teaux, et de longues étendues des côtes espagnoles et italiennes furent presque complètement dépeuplées et abandonnées par leurs habitants. A leur apogée, la destruction et le dépeuple- ment de certaines régions européennes excédèrent probablement ce que les esclavagistes eu- ropéens infligeront plus tard à l‘intérieur africain quand les esclavagistes africains vendront leurs compagnons noirs aux esclavagistes européens. A cette époque, l‘Europe vivait dans la peur de l‘islam. Bien que les centaines de milliers d‘esclaves chrétiens furent principalement enlevés dans les pays méditerranéens, les effets des raids esclavagistes musulmans furent ressentis beau- coup plus loin et durant la plus grande partie du XVIIe siècle l‘Angleterre perdit au moins 400 marins par an du fait des marchands d‘esclaves islamiques. Les Américains ne furent pas épargnés. Par exemple, un esclave américain raconta que 130 autres Américains avaient été réduits en esclavage par les Algériens en Méditerranée et dans l‘Atlantique rien qu‘entre 1785 et 1793. Mais les corsaires n‘interceptaient pas seulement les navires au milieu de l‘océan ; ils dé- barquaient aussi sur les plages non gardées, souvent de nuit, pour s‘emparer des villageois endormis. Cela se passa dans des parties de la Cornouaille et presque tous les habitants du village de Baltimore, en Irlande, furent capturés en 1631, et il y eut d‘autres raids dans le De- von. L‘une des plus riches épaves au trésor trouvées au large de l‘Angleterre – à Salcombe, Devon – était un bateau barbaresque du XVIe siècle en route pour capturer des esclaves.
  • 118. [118] Un certain révérend Devereux Spratt rapporta avoir été capturé par des « Algérians » alors qu‘il traversait la mer d‘Irlande de Cork vers l‘Angleterre en avril 1641, et en 1661 Samuel Pepys écrivit sur deux hommes, le capitaine Mootham et Mr. Dawes, qui avaient aussi été enlevés. Les milliers de chrétiens blancs qui étaient capturés chaque année devaient travailler comme esclaves sexuels, galériens, travailleurs et concubins des seigneurs musulmans dans ce qui est aujourd‘hui le Maroc, la Tunisie, l‘Algérie et la Libye. Ce furent en fait des esclaves anglais qui furent forcés de construire les palais de Meknès pour le tyran marocain, Moulay Ismail, au début du XVIIIe siècle. Dépassant Versailles en taille et en splendeur, ils furent construits par des esclaves chrétiens, par un souverain qui se glorifiait de son pouvoir absolu. Par exemple, il traitait le roi d‘Angleterre de faiblard pi- toyable, puisque celui-ci permettait à un parlement de limiter son autorité. Le cauchemar ne cessa qu‘en 1816, quand la Royal Navy obligea par la force le port d‘Alger à la soumission et imposa la cessation de la vente d‘esclaves chrétiens dans le Maghreb, une action inspirée par Sir Sidney Smith et sa « Société des Chevaliers Libérateurs des Esclaves Blancs d‘Afrique ». Le bombardement d‘Alger pour libérer les esclaves blancs eut lieu le 27 août 1816, quand une flotte anglo-hollandaise sous le commandement de l‘amiral Lord Exmouth bombarda les bateaux et les défenses portuaires d‘Alger. Bien qu‘il y eut une campagne continue de diverses marines européennes et de la marine américaine pour supprimer la piraterie contre les Européens de la part des Etats barbaresques nord-africains, le but spécifique de cette expédition était de libérer les esclaves chrétiens et de stopper la pratique de l‘esclavage contre les Européens. Cette fin fut partiellement atteinte quand le Dey d‘Alger libéra un millier d‘esclaves après le bombardement et signa un traité contre l‘esclavage des Européens. Pourtant, si l‘on fait des recherches sur la bataille d‘Alger en 1816 et les raisons se trou- vant derrière l‘attaque, on découvre que la bataille elle-même semble avoir été évacuée de l‘histoire. Une exposition actuellement tenue à Leicester, nommée « Passé et présent : 1.000 ans d‘islam en Angleterre » au New Walk Museum de Leicester, jusqu‘au 23 décembre et lancée durant la récente Semaine de la Conscience Islamique, fait un grand effort pour révéler la « vérité acceptable » concernant l‘histoire de l‘islam en Angleterre, mais bien sûr l‘exposition ne fait aucune mention du million d‘Européens blancs qui furent réduits en esclavage par les marchands d‘esclaves islamiques. Bien sûr, cet esclavagisme est considéré aujourd‘hui comme un « enrichissement culturel ». Nous suggérons que ceux qui ressentent l‘évacuation hors de l‘histoire de l‘enlèvement ra- ciste et génocidaire d‘un million d‘Européens blancs par les marchands d‘esclaves arabiques comme un acte de trahison envers notre peuple et envers ses souffrances envoient des mails ou téléphonent aux gens cités plus loin et demandent pourquoi l‘histoire de l‘islam en Grande- Bretagne n‘inclut pas le rôle des esclavagistes islamiques. Nous savons tous que la véritable raison de l‘exposition du musée est d‘emmener les jeunes enfants voir l‘exposition et de leur faire un lavage de cerveau pour qu‘ils pensent de l‘islam ce que le gouvernement souhaite qu‘ils en pensent. De même que les jeunes enfants étaient endoctrinés en Russie soviétique, et le sont encore de nos jours en Corée du Nord, pour qu‘ils considèrent comme la vérité uni- quement ce que le gouvernement décrète qu‘elle est, ainsi c‘est la version du New Labour de l‘endoctrinement des enfants.
  • 119. [119] Combattre l’« ignorance » La propagande du Museum dit elle-même : « Les médias occidentaux ont utilisé toutes les opportunités pour soumettre l‘islam et les musulmans à un examen minutieux, les décrivant souvent d‘une manière désobligeante, ce qui a inévitablement conduit à l‘ignorance massive sur la vraie signification de la religion. Loin d‘être une réserve de ‗fanatiques et de terro- ristes‘, l‘islam fait partie intégrante de nombreuses communautés en Grande-Bretagne, ame- nant souvent des relations harmonieuses entre les musulmans et les non-musulmans. L‘exposition au New Walk Museum à Leicester amène à la lumière la longue histoire de l‘islam dans la ville. Les organisateurs de cette exposition incluent des organismes islamiques nationaux, comme la Société Islamique de Grande-Bretagne, le Groupe de Jeunesse Musul- man et la Fondation Islamique ». Elle a même le culot de déclarer : « Ces organisations fournissent des vues inestimables sur l‘islam, combattant l‘ignorance massive – ce qui est plus que nécessaire dans le climat poli- tique et social turbulent d‘aujourd‘hui ». Journée nationale de mémoire L‘intention du BNP est d‘en faire une journée nationale de mémoire pour commémorer le génocide des Britanniques blancs asservis par les marchands d‘esclaves islamiques, et pour que soit érigée à Trafalgar Square une statue de Sir Sidney Smith et de sa « Société des Che- valiers Libérateurs des Esclaves Blancs d‘Afrique » qui combattit longtemps et durement pour obtenir la libération des esclaves blancs capturés par les esclavagistes islamiques. Pour les 1 ou 1,3 million d‘esclaves enlevés d‘Europe par les marchands d‘esclaves isla- miques, le BNP a aussi l‘intention de demander des réparations à des pays comme le Maroc, la Tunisie, l‘Algérie et la riche Libye. Nous estimons que le gouvernement britannique doit recevoir plus de dix milliards de livres de dommages et intérêts pour les souffrances et le meurtre de nos gens. Le 27 août chaque année, à partir de 2006, le BNP décernera un prix aux personnes qui au- ront fait le plus pour faire connaître les questions concernant l‘expansion islamique en Occi- dent. Ce Prix sera appelé le Prix Sidney Smith. Informations sur le musée : Lundi-samedi de 10h à 17h. Dimanche de 11h à 17h. Entrée libre. Fermé les 24, 25, 26, 31 et 1er janvier. New Walk Museum and Art Gallery 53 New Walk, Leicester, LE1 7EA Tel: 0116 225 4900 Article publié sur www.nationalvanguard.org http://fr.altermedia.info/general/8305_8305.html
  • 120. [120] Esclavage, vous avez bien dit esclavage ? Par Paul Garcin le vendredi 12 mai 2006, 14:20 - Dans le cadre de la commémoration le 10 mai, pour la première fois en France, de l'abolition de l’esclavage , il est bon de rappeler que l’esclavage n’a pas toujours été comme on voudrait nous le faire croire le seul fait de la civilisation occidentale On nous parle beaucoup, actuellement d'esclavage, du refus de certains pays ou de personnes qui nient leur participation dans l'esclavage. Personnes ou pays qui deman- dent en permanence, soutenus par diverses associations ou partis politique le pardon pour des faits de l'histoire. Hors un fait est ignoré volontairement, les millions, d'Européens kidnappés sur le sol europen ou des bateaux et vendus comme esclaves, et ce pendant plusiuers siècles, dont leur malheur est la cause directe de la bataille d'Alger en 1816. Rappel de l'histoire, volontairement occultés, pour faire plaisir a des organisations islamique, notre histoire, celle de nos aieuls. La terreur islamique commença dans les îles britanniques lors du « terrible été de 1625 » quand des corsaires esclavagistes nord-africains envahirent et dévastèrent les côtes sud de l’Angleterre, et hissèrent même pendant un bref instant l’étendard de ba- taille vert de l’islam sur le territoire anglais, un étendard sur lequel était inscrite la ter- rible promesse : « Les portes du Paradis sont à l’ombre des épées ». Sur les côtes de Cornouailles, du Devon, du Dorset et d’Irlande du Sud, les corsaires islamiques tuèrent et pillèrent des villages entiers pour les vendre comme esclaves dans l’empire islamique d’Orient. En 1625, les marchands d’esclaves retournèrent ensuite à Alger « dans ce seul raid » avec un millier d’hommes, de femmes et d’ enfants britanniques à vendre comme es- claves. Au total, les pirates islamiques nord-africains enlevèrent et réduisirent en escla- vage 1,3 million d’Européens blancs entre 1530 et 1780 dans une série de raids qui dé- peuplèrent les villes côtières, de la Sicile à la Cornouaille. Pour que la population esclave reste stable, environ un quart devait être remplacé chaque année, ce qui pour la période de 1580 à 1680 signifiait environ 8.500 nouveaux esclaves par an, arrivant à un total de 850.000 esclaves. La même méthodologie suggère que 475.000 furent enlevés dans les siècles précédant et suivant. De 1500 à 1650, quand l’esclavage transatlantique était encore à ses débuts, il y eut probablement plus d’esclaves chrétiens blancs emmenés chez les Barbaresques que d’esclaves africains noirs aux Amériques. D’après une estimation, 7.000 Anglais furent enlevés entre 1622 et 1644, beaucoup d’entre eux étant des équipages et des passagers de bateaux qui furent interceptés et capturés par des marchands d’esclaves. L’impact de ces attaques sur les nations européennes attaquées par les pirates meur- triers fut dévastateur : la France, l’Angleterre et l’Espagne perdirent chacune des milliers de bateaux, et de longues étendues des côtes espagnoles et italiennes furent presque complètement dépeuplées et abandonnées par leurs habitants. Des villages entiers de ces pays furent vidés de leurs habitants enmenés en esclavages. A leur apogée, la des-
  • 121. [121] truction et le dépeuplement de certaines régions européennes excédèrent ce que les es- clavagistes européens infligeront plus tard à l’intérieur africain quand les esclavagistes africains vendront leurs compagnons noirs aux esclavagistes européens. A cette époque, l’Europe vivait dans la peur de l’islam. Bien que les centaines de milliers d’esclaves chrétiens furent principalement enlevés dans les pays méditerranéens, les effets des raids esclavagistes musulmans furent res- sentis beaucoup plus loin et durant la plus grande partie du XVIIe siècle l’Angleterre perdit au moins 400 marins par an du fait des marchands d’esclaves islamiques. Les Américains ne furent pas épargnés. Par exemple, un esclave américain raconta que 130 autres Américains avaient été réduits en esclavage par les Algériens en Médi- terranée et dans l’Atlantique rien qu’entre 1785 et 1793. Mais les corsaires n’interceptaient pas seulement les navires au milieu de l’océan ; ils débarquaient aussi sur les plages non gardées, souvent de nuit, pour s’emparer des vil- lageois endormis. Cela se passa dans des parties de la Cornouaille et presque tous les habitants du village de Baltimore, en Irlande, furent capturés en 1631, et il y eut d’autres raids dans le Devon. L’une des plus riches épaves au trésor trouvées au large de l’Angleterre - à Salcombe, Devon - était un bateau barbaresque du XVIe siècle en route pour capturer des esclaves. Toutes les côtes des pays bordant l'Atlantique et la Méditér- rannée furent toucher. Le nombres exactes de personnes enlevées est surement sous estimé. Les milliers de chrétiens blancs qui étaient capturés chaque année devaient travailler comme esclaves sexuels, galériens, travailleurs et concubins des seigneurs musulmans dans ce qui est aujourd’hui le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Libye. Ce furent en fait des esclaves européens qui furent forcés de construire les palais de Meknès pour le tyran marocain, Moulay Ismail, au début du XVIIIe siècle. Dépassant Ver- sailles en taille et en splendeur, ils furent construits par des esclaves chrétiens, par un souverain qui se glorifiait de son pouvoir absolu. Par exemple, il traitait le roi d’Angleterre de faiblard pitoyable, puisque celui-ci permettait à un parlement de limiter son autorité. Le cauchemar ne cessa qu’en 1816, quand la Royal Navy obligea par la force le port d’Alger à la soumission et imposa la cessation de la vente d’esclaves chrétiens dans le Maghreb, une action inspirée par Sir Sidney Smith et sa « Société des Chevaliers Libéra- teurs des Esclaves Blancs d’Afrique ». Le bombardement d’Alger pour libérer les esclaves blancs eut lieu le 27 août 1816, quand une flotte anglo-hollandaise sous le commandement de l’amiral Lord Exmouth bombarda les bateaux et les défenses portuaires d’Alger. Bien qu’il y eut une campagne continue de diverses marines européennes et de la ma- rine américaine pour supprimer la piraterie contre les Européens de la part des Etats barbaresques nord-africains, le but spécifique de cette expédition était de libérer les esclaves chrétiens et de stopper la pratique de l’esclavage contre les Européens. Cette fin fut partiellement atteinte quand le Dey d’Alger libéra un millier d’esclaves après le bom- bardement et signa un traité contre l’esclavage des Européens. Pourtant, si l’on fait des recherches sur la bataille d’Alger en 1816 et les raisons se trouvant derrière l’attaque, on découvre que la bataille elle-même semble avoir été éva- cuée de l’histoire.
  • 122. [122] Cet esclavagisme est considéré aujourd’hui par les musulmans comme un « enrichis- sement culturel ». Pour les 1 ou 1,3 million d’esclaves enlevés d’Europe par les marchands d’esclaves islamiques, a aussi l’intention de demander des réparations à des pays comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la riche Libye. Nous estimons que le gouvernement britannique doit recevoir plus de dix milliards de livres de dommages et intérêts pour les souffrances et le meurtre de nos gens. Le 27 août de chaque année, à partir de 2006, une journée de mémoire pour les 1 ou 1,3 million d’esclaves enlevés d’Europe par les marchands d’esclaves islamiques. Ce jour là un prix sera decerné aux personnes qui auront fait le plus pour faire connaître les questions concernant l’expansion islamique en Occident.Une association européenne le BNP a l’intention de demander des réparations à des pays comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la riche Libye. Les enlèvements d'européens pour en faire des esclaves continuent. http://www.mediaslibres.com/tribune/post/2006/05/12/3-esclavage-vous-avez- bien-dit-esclavage
  • 123. [123] La fin de l’esclavage en Afrique du Nord Un bienfait de la colonisation ? Généalogie Algérie Maroc Tunisie – Décembre 2008 – N°100 « Pourquoi personne n’avait jamais posé la question de l’étendue du trafic d’esclaves blancs en Méditerranée ; nous nous apercevons maintenant que c’est en grande partie parce que connaître ou même risquer des conjectures quant à la réponse ne servait l’intérêt de personne » (1) Cette conclusion de l’historien américain Robert. C. Davis rejoint l’observation du pro- fesseur Jean-Louis Miège rappelant « qu’au Maroc même, la question de la course reste un domaine sensible de l’histoire » (2) et celle du professeur S. Bono pour lequel « nous n’avons pas voulu, nous Européens, rappeler et connaître davantage une réalité peu glo- rieuse qui pouvait déranger » (3) . Pourtant, { supposer qu’il soit politiquement incorrect, le sujet n’en mérite pas moins une étude, ne serait-ce que pour permettre aux descendants de ces esclaves européens, dont l’auteur de ces lignes fait partie, de mieux connaître le contexte historique et les raisons qui ont pu conduire leurs malheureux ancêtres sur l’autre rive de la Méditerra- née jusqu’au début du XIXe siècle . Cette traite des blancs répondait, le plus souvent, moins à un besoin de main-d’œuvre servile, qu’{ la recherche d’une rançon substantielle et elle s’apparentait donc plus { une forme de rapt que d’esclavage. Elle ne doit pas faire oublier la traite des noirs en pays d’Islam et sa difficile éradication tant celle-ci était ancrée dans les mœurs (4) . La traite des blancs (5) La domination turco-barbaresque en Méditerranée, illustrée en 1560 par la victoire de Soliman le Magnifique sur la flotte espagnole à Djerba, un temps éclipsée par la vic- toire de Lépante en 1571 (6), se traduit ensuite par l’essor de l’activité corsaire des bar- baresques et la multiplication des captifs chrétiens. Robert. C. Davis a chiffré à un million les blancs chrétiens réduits en esclavage par les barbaresques entre 1530 et 1780 et ces actes de piraterie, exercés par les populations de la côte septentrionale de l’Afrique, « les rendit un objet d’horreur pour tous les peuples chrétiens qui pendant si longtemps frémirent au récit des cruautés que les es- claves de leur religion eurent à souffrir de la part des maures ». (7) Une honte ! Aucune nationalité n’était épargnée et c’est ainsi qu’au cours des combats entre l’Empire et les Ottomans, de 1562 { 1594, de nombreux Hongrois furent capturés ; par- mi ceux-ci se trouvait un certain Mickaël Sarkosi (Sàrkösi) dont la rançon fut fixée à 800 thalers (8). Devant ce fléau, les états européens, divisés, se contentaient de négocier des trêves et tentaient d’obtenir la paix en versant des tributs en argent ou en nature (9), faisant dire à
  • 124. [124] Ludovico Antonio Muratori dans ses Annales d’Italie : « Ce sera toujours une honte pour les puissances de la chrétienté aussi bien catholiques que protestantes, que de voir qu’au lieu d’unir leurs forces pour écraser, comme elles le pourraient, ces nids de scélérats corsaires, elles vont de temps à autre mendier par tant de sollicitations et de dons, pour ne pas dire des tributs, leur amitié, laquelle, ensuite { l’épreuve, se trouve souvent en- cline à la perfidie » (10) . Conscients de la faiblesse de leurs adversaires pris isolément, les états barbaresques ne purent que tirer avantage d’une situation qui les plaçait sur un pied d’égalité avec leur interlocuteur dans le cadre d’accords bilatéraux constamment remis en cause (11) . Le plus souvent des renégats Pour eux, la course était une des formes militaires de la guerre pratiquée contre les états chrétiens et les corsaires étaient présentés dans les régences comme des héros pratiquant le djihad qui leur assurait, en cas de mort, le pardon de leurs péchés et de leurs dettes en leur qualité de mudjahid (12) . Ces corsaires étaient le plus souvent des renégats « turcs de profession, qui, de sang et parents chrétiens se sont faits Turcs de leur libre volonté pour devenir les principaux en- nemis du nom chrétien et qui avaient presque tout le pouvoir, la domination, le gouverne- ment et les richesses d’Alger » (13). Légitimée par la religion, la course permettait aux régences barbaresques de s’imposer diplomatiquement et d’officialiser une pratique criminelle de rapts d’individus en vue d’obtenir le paiement d’une rançon ou d’autres avantages, ce qui rend difficile « d’assimiler ces pillards professionnels { des corsaires de la patrie, voire { des martyrs de la foi » (14). Funeste aventure Parmi les razzias, l’une d’entre elles a particulièrement marqué les mémoires par son ampleur. Dans la nuit du 2 septembre 1798, 945 personnes vivant sur l’île de Saint- Pierre, au sud-ouest de la Sardaigne, ont été brutalement capturées par des pirates tuni- siens (15). J. Marcel a relaté cette funeste aventure : « Les hommes furent enchaînés, entassés les uns sur les autres, dans la cale du bâtiment. Les mères, les filles, les enfants se pressaient, hurlaient et se cherchaient réciproquement dans cette foule confuse... jamais un spectacle plus lamentable n’avait paru { Tunis ; car jamais nulle prise, nulle descente n’y avait ame- né un aussi grand nombre de victimes... c’était une ville entière que cette fois les pirates amenaient prisonnière dans leur bagne » (16) . Sur la liste de ces victimes dressée en avril 1799 (17) figurait mon hexaïeul (huitième génération) Rombi Rocco dont la descendance allait servir les beys de Tunis : Giuseppe (garde pipe), son fils Agostino (grand aqua) et le fils de ce dernier Giuseppe (cuisinier). De la chirurgie à l’esclavage C’est du mariage de ce cuisinier et de Marie Mastrovitch, elle-même fille d’un esclave autrichien (garde pipe du bey) que naquit ma trisaïeule Mathilde, laquelle unit sa desti-
  • 125. [125] née avec Sauveur Lombard, petit-fils de Joseph Frédéric Lombard, capturé en Méditer- ranée par les Tunisiens en 1806. Personnage haut en couleur, Joseph Frédéric, né à Dôle le 13 avril 1773, avait com- mencé { travailler dès l’âge de 12 ans dans les hôpitaux militaires. Inquiété sous la Ter- reur, ce chirurgien { l’armée d’Angleterre puis d’Italie se retrouva esclave { Tunis avant d’être racheté par le consul de France Devoize. Etant parvenu { guérir le bey d’un ulcère { la jambe, il entra { son service et { celui de ses successeurs. Mais ce franc-maçon frondeur n’avait pas que des amis et, dans un rap- port d’octobre 1820 (18), il est présenté comme un déserteur des armées napoléoniennes, « pervers et composé de tous les vices fondus ensemble » ayant deux femmes, l’une { Mar- seille, l’autre { Tunis « crime anciennement puni de mort » (sic). Il lui était notamment reproché d’avoir poussé le mauvais esprit jusqu'{ donner { ses enfants « les noms de Na- poléon et d’autres de la famille de Bonaparte ». Lombard, il est vrai, avait deux familles dont l’une était issue de son union illégitime avec Justine Alzetto, de laquelle naquit le père de Sauveur, mon tétraïeul Eugène. Curieux destin qui a ainsi permis de réunir au palais du Bardo mes ancêtres tabarkins, sardes, autri- chiens, maltais et jurassiens, pour la plupart esclaves (le grand père maternel de Justine Alzetto était comagy du bey, c’est-à-dire intendant ). Pour en finir avec ces transferts forcés de populations, la voix de Chateaubriand s’éleva { la Chambre des Pairs le 9 avril 1816... « Ils viennent d’enlever la population d’une île entière ; hommes, femmes, enfants, vieillards, tout a été plongé dans la plus affreuse ser- vitude... C’est en France que fut prêchée la première croisade ; c’est en France qu’il faut lever l’étendard de la dernière... » Cet appel, relayé par l’Angleterre et la Société des chevaliers libérateurs des esclaves blancs, allait être entendu (19). Traité La razzia du raïs tunisien Moustafa contre l’île de Saint-Antioche en octobre 1815 dé- cida les puissances réunies au congrès de Vienne à réagir et lord Exmouth obtint l’engagement écrit du bey Mahmoud de supprimer l’esclavage chrétien dans ses états en mai 1816, pendant la semaine de Pâques (20). Il fallut cependant attendre la capitulation d’Alger, le 5 juillet 1830, pour que le bey de Tunis, le 8 août 1830, et le pacha de Tripoli, trois jours plus tard, signent avec la France un traité interdisant la course, l’esclavage des chrétiens et la réclamation de tout tribut aux états européens (21). Si la croisade destinée { abolir l’esclavage des blancs avait enfin atteint son objectif, il n’en allait pas de même de celle menée par les Anglais pour mettre un terme { la traite des noirs qui, outre son mobile philanthropique devait leur permettre de « ruiner les colonies qui leur faisaient (22) concurrence » . La traite des noirs
  • 126. [126] Contrairement { une thèse longtemps soutenue, la traite atlantique n’a nullement tari à partir du XVIe siècle la traite transsaharienne : le trafic négrier s’est poursuivi jusqu’au XIXe siècle { l’encontre des populations noires non musulmanes (23). L’alibi de la religion (djihad) et la dévalorisation du noir assimilé { la figure de l’esclave (24) servirent { légitimer la traite orientale dont l’ampleur est considérable. L’historien Raymond Mauny a évalué { deux millions par siècle, du VIIIe au XIXe siècle, les noirs déportés à travers le désert (25). Une partie de ces esclaves était destinée { l’Afrique du Nord et on a évalué { un millier ceux qui arrivaient chaque année en Tunisie au XIXe siècle pour assurer des tâches do- mestiques ou militaires (26). Au Maroc, le sultan Moulay Ismaïl (1672-1727) organisa une armée noire dans laquelle les enfants des soldats devenaient eux-mêmes des soldats- esclaves (27). En 1836, à Tunis, le bey tenta de créer un bataillon formé de « tous les nègres en état de porter les armes » (28).. Quant aux femmes noires { l’origine du métissage d’une partie de la population, elles étaient des concubines recherchées et il semblerait que les musulmans déportaient plus de femmes que d’hommes (29) . C’est sous la pression de la Grande-Bretagne que les esclaves noirs furent déclarés li- bérés en Tunisie en1846 par le bey Ahmed, lequel, pour justifier cette décision, invoqua, par l’intermédiaire de son ministre Ben Dhiaf, une argumentation juridico-religieuse dans une fetwa qui mettait en avant le non respect par les maîtres des normes musul- manes régissant l’esclavage et le souci d’éviter l’intervention d’autorités étrangères. (30) A l’instar des codes noirs tant décriés, il existait en effet un code de l’esclavage des musulmans qui posait en premier principe que « la vente des nègres réduits { l’état d’esclavage était permise parce qu’en général ils sont infidèles » (31). Il a cependant fallu attendre le protectorat et un décret beylical du 28 mai 1890 pour faire respecter la suppression de l’esclavage en Tunisie. De même, au Maroc, c’est la France qui a fait fermer les marchés d’esclaves en 1912 et qui a obtenu l’abolition totale avec la pacification du Sud en 1932. Pour l’Algérie enfin, le décret du 27 avril-3 mai 1848 a été appliqué, son article 1er précisant que « l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises ». Ainsi, l’esclavage et la traite négrière « qui n’a pas été une invention diabolique de l’Europe » (32) ont été efficacement prohibés par le législateur colonial au nom du dogme républicain Liberté, égalité, fraternité. Faut-il aujourd’hui s’en repentir ? (33). • Christian Dureuil N.B.-Postérieurement à la rédaction de cet article, a paru aux éditions Fayard l'ouvrage de Malek Chebel : L'esclavage en terre d'Islam, avec une importante bibliographie, pp. 419-471. Bibliographie 1-Davis Robert C. Esclaves chrétiens, maîtres musulmans, p. 308. Ed. G. Chambon, 2006. 2-Miège J.L. Les Aspects de la course marocaine du XVIIe au XIXe s. in La Guerre de
  • 127. [127] course en Méditerranée (1515-1830), p.40. Ed. A Piazzola. Ajaccio 2000. 3-Bono Salvador. Les Corsaires en Mé-diterranée, p.8. Paris Méditerranée 1998 4-Pétré Grenouilleau O. Les Traites négrières, p.27. Ed. Gallimard. 2004. 5-Le terme est utilisé par le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Larousse, t. VII, p. 861 et suiv. 1870. 6-Courtinat R. La Piraterie barbaresque en Méditerranée. XVIe-XIXe, p.81 et suiv. Ed.J.Gandini.2003. 7-Larousse XIXe. p.861 et s. (note 5). 8-Collenberg W.H.Rudt (de). Esclavage et rançons des chrétiens en Méditerranée (1570-1600), p.221. Ed. Léopard d’or. 1987 9-Plantet E. Correspondance des beys de Tunis. Tome III p. LXV et suiv. Félix Alcan éd.1899. Masson P. Histoire du commerce français dans le Levant au XVIIIe s. p. 357. Hachette. 1911. 10-Cité par Bono S. (préc.3) p.37 11-Panzac D. La course barbaresque revisitée XVIe-XIXe s. In La Guerre de courses en Méditerranée (préc.2) p.33 12-Idem. 13-Haedo Diego (de). Topografia e historia de Argel. Valladolid 1612 chap.XI à XIII traduction B. Bennassar 14-Deschamps H. Pirates et flibustiers, p. 25. Que sais-je ? n°554 15-Sebag Paul. Tunis au XVIIe s. L’Harmattan p.221 et s. Nozières L. et C. Les « Tabarkini » de l’île de San Piétro. GAMT n°37, p. 3 16-Revue L’Univers, p.124 et suiv. 1862 17-Archives du secrétariat général du gouvernement tunisien. Dossier Courses et corsaires, cité par Grandchamp P. in Autour du consulat de France à Tunis, p.123. Tunis 1943. 18-Notice sur le gouvernement de la régence de Tunis oct.1820. SHAN cote AEB III 304 19-Plantet (note 9) p. L 20-Grandchamp P. (note 17) p.97 21-Panzac D. (note 11) p.37 22-Mandat-Grancey. Souvenirs de la côte d’Afrique. Paris 1900 p.79 cité par Grandchamp p.99 23-Pétré Grenouilleau O. préc. n°4 p.30 et s. 24-C. Coquery Vidrovitch, in Marc Ferro, Le Livre noir du colonialisme. XVI-XXIe s. Ha- chette 2004 p.867 25-Deveau J.M. Esclaves noirs en Méditerranée. Cahiers de la Méditer- ranée. vol.65, mis en ligne le 25 juillet 2005 URL : http://cdlm.revues.org/document27.html 26-Valensi L. Esclaves chrétiens et es- claves noirs 27-Deveau J.M. préc.n°24 28-Abîl-Diyäf Ahmad Ibn. Chronique des rois de Tunis et du pacte fondamental vol. II, p. 107. Tunis 1994 29-Deveau J.M., préc.n°24 30- Chater K. Islam et réformes politiques dans la Tunisie du XIXe s. The Maghreb Review vol.13 n°1 & 2, p.77-83b. 1988 31-Daumas. Le grand désert, p.319 et suiv. Paris 1857. Ed. Michel Levy 32-Braudel F. Grammaire des civilisations -Flammarion 1933 p.168 33- Bruckner P. La tyrannie de la pénitence. Grasset 2006 p.179 Une rançon de quatre mille louis… Les A.O.M. possèdent des dossiers sur l'esclavage en A.F.N. sous les cotes F.8O et 45/MIOM. Nous en avons extrait les deux documents ci-dessous, assez évocateurs… Ces dossiers contiennent également une liste de plus de 300 esclaves européens, ori- ginaires de France et du pourtour méditerranéen. Nous publierons peut-être ultérieu- rement cette liste (après l'avoir déchiffrée !). Année 1750 André Alexandre Lemaire, écuyer conseiller du Roy, Consul de France à Alger, man- dons au sieur Jean Baptiste Germain, chancelier de ce Consulat, ayant l'administration des deniers de la Chambre de Commerce, de payer entre nos mains trois mille cinq cent cinquante cinq "pataque" et demy, valeur de quatre mille louis monnaye de France, que nous avons employé par ordre de Mgr Rouillé, ministre et secrétaire d'Etat pour servir à une partie de la rançon de M. François Ricaud, officier françois au service du Roy d'Es-
  • 128. [128] pagne, laquelle somme il passera au compte des messieurs de la Chambre du Commerce de Marseille, qui en seront remboursés conformément aux ordres que Mgr Rouillé voudra bien donner à ce sujet. Et ledit sieur Germain au moyen de notre présent mandat en sera bien et valablement déchargé. Fait à Alger le 3 juillet 1750 Lemaire Année 1784 L’an mil sept cent quatre vingt quatre, et le huit de novembre, ont comparu(s) devant nous, Benoist Joseph Lalan, provicaire apostolique des royaumes d’Alger et de Tunis, An- toine Belin et Charles Maillé, tous deux français et esclaves de cette régence ; lesquels ont déposé(s) que, lorsque l’armée navale d’Espagne est venue en juillet dernier pour bombar- der cette place, ils ont vu(s) le cadavre d’un noyé qu’ils ont reconnu(s) { n’en pouvoir dout(t)er, être celui de Dominique Camus fils de feu Jean et de Marie Anne Charret, baptisé en mil sept cent cinquante trois à St Maurice de Mouriville, à une lieue de Chatel, diocèse de Metz. Esclave depuis environ deux ans, lequel voulant se sauver à bord de quelque navire espagnol, s’est noyé : { quoi j’ajoute avoir vu une lettre venue d’Espagne environ deux mois après la retrait(t)e de ladite armée qui assurait qu’il ne s’était sauvé { bord de leurs vais- seaux que deux esclaves : lesquels deux étaient espagnols, et que depuis ledit mois de juillet qu’a disparu ledit Dominique Camus jusqu’{ ce jour, on n’a aucunement entendu parler. En foi de quoy nous avons signé(s) à Alger les jour, mois et an que dessus. Antoine Belin C. Maillé B.J. Lalan, provic.apost Source : ANOM-45 MIOM 23 http://www.genealogie-gamt.org/images2/esclavage_en_afn.pdf
  • 129. [129] L'Esclavage des blancs. Pourquoi ce silence sur cette réalité? Olivier Pétré-Grenouilleau, Professeur à l’université de Bretagne-Sud (Lorient) On l’ignore totalement : au XVIe siècle, les esclaves blancs razziés par les musulmans furent plus nombreux que les Africains déportés aux Amériques. L’historien américain Robert C. Davis restitue les pénibles conditions de vie de ces captifs italiens ou espa- gnols*. On a pris aujourd’hui la mesure de la traite des esclaves noirs organisée par les né- griers musulmans { travers le Sahara, ainsi qu’en direction du Moyen-Orient et des ré- gions de l’océan Indien (1). On sait aussi que l’affrontement entre l’islam et la chrétienté a alimenté en maures et en chrétiens les marchés d’esclaves des deux côtés de la Médi- terranée médiévale. Mais si des travaux, maintenant assez nombreux, avaient permis d’éclairer la question de l’esclavage dans les pays chrétiens, et notamment dans la péninsule Ibérique, on ne savait pas grand-chose de la condition réelle des esclaves chrétiens dans les États “ bar- baresques ” d’Afrique du Nord. Une histoire souvent obscurcie par la légende. Professeur d’histoire sociale italienne { l’université d’État de l’Ohio, Robert C. Davis nous en livre désormais, dans un ouvrage remarquable, une approche véritablement scientifique. Le fruit de dix ans de travail, principalement en Italie. Car l’Italie, “ œil de la chrétienté ”, fut sans aucun doute, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, la région la plus touchée par les raids des Barbaresques, ou Africains du Nord. Des villages y furent sinistrés, des activités (comme la pêche) entravées, des esprits et des sociétés durablement secoués. La Méditerranée devenant “ la mer de la peur ”, nombre d’Italiens auraient alors délaissé les littoraux pour s’installer plus loin, vers l’intérieur. A propos des effets { long terme de ces razzias, l’auteur va jusqu’{ parler de “ désastre so- cial et psychologique ” – une question qui mériterait sans doute des études plus étoffées. Un million d’esclaves entre 1530 et 1780 Les causes de l’esclavage des chrétiens sont tour { tour mentionnées par Robert C. Davis : la Reconquista, le désir, de la part des musulmans, de prendre une revanche sur les croisades, l’appât du gain. Mais ce qui l’intéresse, c’est surtout la question des condi- tions de vie de ces esclaves. Une question qui fut l’un des thèmes porteurs de l’historiographie consacrée { l’esclavage américain, et que Robert C. Davis tente d’appliquer, ici, { l’esclavage musulman. Difficile d’estimer le nombre des esclaves blancs dans les pays barbaresques. On ne dispose que de données partielles, d’époques différentes, qu’il faut recouper avec soin. Parfois même se contenter de projections. Contre Fernand Braudel, qui en avait minimisé l’ampleur (2), tout ce travail conduit l’auteur { une nouvelle pesée du phénomène. Estimant { environ 15 % le taux de morta- lité des esclaves déjà plus ou moins acclimatés à leur nouvelle condition, il évalue entre
  • 130. [130] un million et 1250000 le nombre d’esclaves blancs détenus, entre 1530 et 1780, sur un territoire s’étendant de l’Algérie { la Libye actuelles. Au XVIe siècle, il y avait donc an- nuellement plus d’esclaves blancs razziés que d’Africains déportés aux Amériques. 90 % au moins de ces esclaves blancs étaient des hommes. Et comme on ne leur laissa guère l’occasion, de fait, d’avoir une descendance, la seule chose d’eux qui aurait pu leur survivre est le produit de leur travail, du moins pour ceux qui étaient affectés à de grandes tâches étatiques : construction de digues, de fortifications, de ports, de rues ou encore de palais. Mais une bonne partie de ces constructions a disparu. Cette institution, qui dura pourtant près de trois siècles, n’a donc laissé pratiquement aucune trace per- ceptible. “ L’autre esclavage ”, écrit Robert C. Davis, est ainsi devenu “ l’invisible esclavage ”. Au XVIe siècle, de vastes opérations militaires étaient menées par les États barba- resques, jusqu’{ l’intérieur des terres ennemies pour se procurer des esclaves. Mais, à partir des premières décennies du XVIIe siècle, les captifs blancs furent surtout le pro- duit d’opérations corsaires privées. La valeur des esclaves pouvait représenter entre 20 et 100 % de celle des autres prises, navire et marchandises inclus. Aussi les Barba- resques s’occupaient-ils directement, non seulement de capturer les esclaves, mais aussi de les transporter et de les vendre. L’appât du gain était renforcé par l’arrière-plan conflictuel entre chrétienté et islam. Sinon, comment comprendre l’horreur toute particulière que les cloches des églises des villages qu’ils razziaient inspiraient aux corsaires – dont certains étaient des chrétiens renégats ? Des cloches qu’ils déposaient souvent, et parfois emportaient avec eux – le bronze n’étant pas sans valeur. La violence exercée lors de ces raids avait également une tonalité en partie symbolique qui permettait d’entretenir la crainte des populations lit- torales. Même chose pour les humiliations infligées dès leur capture aux nouveaux esclaves : obligation de se dénuder, administration de coups { l’aide de cordes { nœuds, puis, { leur arrivée à bon port, défilé des nouveaux asservis destiné à officialiser le triomphe de leurs nouveaux maîtres. Ainsi désocialisés, les esclaves étaient plus facilement soumis. D’abord un peu mieux traités, afin qu’ils s’acclimatent correctement, ils étaient en- suite orientés vers des activités variées, allant du travail dans les orangeraies de Tunis au service domestique. Néanmoins, la plupart se voyaient confier des tâches particuliè- rement dures : galères, extraction et convoyage de pierres, construction, etc. Et aucun “ code blanc ” ({ l’imitation du fameux code noir appliqué dans les Antilles françaises), même symbolique, ne venait limiter le pouvoir du maître sur son esclave “ infidèle ”. Certains captifs jouissaient cependant d’un certain degré de liberté On leur deman- dait seulement de ramener, chaque matin, une certaine somme d’argent { leur maître ; système rappelant celui, dans les Antilles, des “ nègres { talents ” loués { des entrepre- neurs. Le vol pouvait alors être à la fois acte de résistance et moyen de survivre au sein du système esclavagiste. Cervantès captif des Barbaresques Souvent, les esclaves chrétiens travaillaient comme domestiques au service de fa- milles musulmanes. Mais ce type d’esclavage déclina plus rapidement que celui organisé
  • 131. [131] au bénéfice des États barbaresques. Au point que, à la fin du XVIIIe siècle, la moitié des esclaves chrétiens d’Alger vivaient dans des bagnes publics. Les conditions d’existence y étaient extrêmement dures : il y régnait un climat de violence, notamment sexuelle, les geôliers étant accusés d’y favoriser, contre paiement, des pratiques sodo- mites. Les captifs qui pouvaient faire l’objet d’une forte rançon échappaient vite { ces condi- tions d’existence. D’autres pouvaient être rachetés au bout de quelques années. Ce qui fut le cas de Miguel de Cervantès (1547-1616), l’auteur de Don Quichotte, esclave des Barbaresques entre 1571 et 1580. La chose devint théoriquement plus facile avec le temps, car des institutions religieuses spécialisées dans le rachat des captifs furent or- ganisées de l’autre côté de la Méditerranée ; en Italie, des sommes importantes furent mobilisées pour le paiement des esclaves chrétiens. La durée de captivité s’étendait ainsi, dans nombre de cas, de cinq { douze ans au maximum. Le taux de mortalité, cependant, demeurait élevé. Beaucoup d’esclaves n’avaient donc que peu d’espoir de retourner, un jour, chez eux. O. P.-G. Notes * Robert C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters. White Slavery In The Mediterranean , The Barbary Coast And , 1500-1800, Basingstoke , Palgrave Macmillan, 2003. 1. Cf. “ La vérité sur l’esclavage ”, spécial, L’Histoire n° 280. 2. La Méditerranée et le monde méditerranéen { l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 9e éd., 1990 http://synpol.over-blog.net/article-2721583.html