Mémoire de Master 1
Les portraits d’Élisabeth de Valois,
infante française et reine d’Espagne
(1546-1568)
Vol. 1
Cécile MASSOT
Sous la direction de Luisa Capodieci
Enseignant-Chercheur
Art Moderne - Renaissance française
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
2010-2011
2
3
REMERCIEMENTS
Je souhaite, tout d’abord, remercier Luisa Capodieci pour le suivi qu’elle m’a
accordé malgré la distance qui nous séparait et pour la confiance qu’elle m’a donnée.
Je tiens également à remercier, particulièrement, Gaylord Brouhot qui a accepté de porter un
œil critique sur mon catalogue au cours de mon travail, ainsi qu’Alexandra Zvereva qui
m’a ouvert les portes de ses ouvrages afin d’y trouver des réponses à mes questions
et Diane Bodart pour ses conseils bibliographiques.
D’autre part, je souhaite mentionnée l’Université Autónoma de Madrid qui m’a permis de
réaliser mon Master 1, dans le cadre d’un échange universitaire.
Je tiens à nommer spécifiquement le professeur José Manuel de la Mano, professeur au
département d’Histoire de l’Art, qui m’a soutenue en m’apportant ses conseils et ses
encouragements tant pour mon année Erasmus que pour ma recherche universitaire.
Je veux également citer María José del Río, professeur au département d’Histoire
et auteur d’un essai sur Anne d’Autriche, infante d’Espagne et reine de France,
qui a porté un regard avisé sur mon travail.
Enfin, je souhaite adresser un très grand merci
à Jean-Paul, Miryam, Anne, François, Gwennoline, Yola, Antoine, Laura et Laurence
pour leur soutien, leurs conseils, leur présence et leurs relectures.
4
5
SOMMAIRE
Introduction
I/ Dans la tradition des portraits d’une infante française
A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe siècle
La « formule Clouet »
La représentation d’un enfant royal
Les émules de la « formule Clouet » dans les portraits d’Élisabeth de Valois
B. Un modèle qui s’inscrit et qui suit la mode de son époque comme de son rang social
Étude de l’expression
Étude des costumes
Coiffure et bijoux : attributs ?
C. La transformation physique visible : le portrait comme compte rendu de l’apparence,
du bien-être et même de la psychologie
Le vieillissement d’Élisabeth et le soin apporté à la ressemblance
La fonction des portraits
Portraits connus mais perdus ou matériellement inconnus
II/ Le mariage avec Philippe II en 1559 : l’apparition d’une nouvelle image tendant vers
la création d’une effigie royale et son hispanisation
A. Une hispanisation dans la représentation physique du modèle
Évolution du costume
Évolution de l’expression et de la position
Évolution de la technique et du cadrage
B. Une hispanisation dans la composition des portraits d’Élisabeth de Valois
La typologie du portrait espagnol inspirée par Titien et par Anthonis Mor
L’inscription des portraits d’Élisabeth dans les portraits féminins de la cour
de Philippe II
Les apports français dans la mode espagnole et d’une infante française
devenue reine espagnole
C. Continuation des fonctions principales tout en s’adaptant aux protocoles
monarchiques
Réadaptation des principales fonctions du portrait
Des attributs qui renvoient à son rôle de reine
Représentation de la monarchie espagnole
p. 9
p. 13
p. 13
p. 13
p. 19
p. 23
p. 27
p. 27
p. 30
p. 34
p. 38
p. 38
p. 40
p.45
p. 49
p. 50
p. 50
p. 55
p. 58
p. 62
p. 62
p. 66
p. 69
p. 71
p. 72
p. 76
p. 79
6
III/ Une identité artistique franco-espagnole qui s’inscrit dans un rapprochement
politique et historique
A. L’impact de l’Histoire dans la vie et l’image d’Élisabeth de Valois
Un mariage pour sceller la paix : la bien nommée Isabel de la Paz
La troisième épouse de Philippe II : une reine d’envergure européenne ?
B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ?
La théorie des deux corps du roi
Le devoir de beauté : établissement d’un canon par les portraits
Le devoir d’enfanter pour continuer l’Histoire : absent dans les portraits
d’Élisabeth de Valois
C. La continuité d’une typologie du portrait franco-espagnol : la représentation d’une
double identité à la suite des portraits d’Élisabeth de Valois
L’influence de l’image d’Élisabeth de Valois dans les portraits des infantes
d’Espagne et plus généralement à la cour d’Espagne
Les portraits d’Anne d’Autriche, de son arrivée en France à la mort de son
mari : la recherche d’Élisabeth de Valois inversée afin de faire d’une infante espagnole
une reine française.
Conclusion
Bibliographie
p. 85
p. 85
p. 85
p. 90
p. 93
p. 94
p. 96
p. 99
p. 102
p. 102
p. 106
p. 113
p. 117
7
« Ils croient, disait La Tour, que je ne saisis que les traits de leur visage,
mais je descends au fond d’eux-mêmes et les emporte tout entiers. »
citation extraite de l’ouvrage de Carlo Bronne,
intitulé Sur le Portrait d’une Infante1
.
« Podemos seguir cronológica y gráficamente el curso de su vida merced a los dibujos y
retratos que la acompañan al hilo de su vida, desde la niñez hasta su muerte. »
Augustin González de Amazúa parlant d’Élisabeth de Valois2
.
1
C. Bronne, Sur le portrait d’une Infante, Revue générale, 1970.
2
A. González de Amazúa, Isabel de Valois, Reina de España (1546-1568), Madrid, 1949, vol. 1, IX, pp. 330-
331. « Nous pouvons suivre chronologiquement et graphiquement le cours de sa vie grâce aux dessins et aux
portraits qui l’ont représenté au fil de sa vie, de son enfance à sa mort » (nous traduisons).
8
9
INTRODUCTION
Le point de départ de cette recherche est l’étude de portraits de la fin du XVIe
siècle.
En effet, c’est à la Renaissance que ce genre pictural, en tant qu’art indépendant, fit son
apparition. Son étude permet, alors, d’entrevoir différentes facettes de la société et de l’art de
ladite période. Nous avons choisi de concentrer notre étude sur les portraits d’une infante
française devenue reine d’Espagne afin de pouvoir comparer dans un temps restreint et avec
une certaine continuité la typologie des portraits dans deux pays voisins. L’image d’Élisabeth
de Valois sera alors le centre de notre réflexion. Précisons ici que l’intérêt de se centrer sur la
France et l’Espagne vient du fait que ce sont deux pays qui ont reçu l’héritage des nouveaux
concepts de la Renaissance italienne, c’est-à-dire qu’ils ne furent pas les acteurs principaux de
ce renouveau mais qu’ils ne purent rester indifférents à ces découvertes. En étudiant l’art de
ces deux nations, nous voyons deux manières distinctes de recueillir les mêmes apprentissages
et de les adopter de façons différentes.
Élisabeth de Valois, parfois appelée Élisabeth de France, est l’aînée des filles de
Henri II et de Catherine de Médicis. Elle vit le jour le 2 avril 1545, puis fut envoyée à la cour
des enfants située à Saint-Germain-en-Laye où elle y resta jusqu’à l’âge de neuf ans, date à
laquelle elle rejoindra la cour de ses parents à Fontainebleau. Le 22 juin 1559, alors âgée de
10
quatorze ans, elle fut mariée à Philippe II3
en gage de paix, à la suite du traité du Cateau-
Cambrésis4
. Cette union fut le grand tournant de la vie d’Élisabeth de Valois : de princesse,
elle accède au statut de reine. Nous verrons dans le contenu de ce mémoire quelles
conséquences cela a entraîné. Elle partit dès le mois de novembre 1559 pour l’Espagne où elle
résidera durant la décennie suivante5
. Durant ces années, elle mit au monde deux filles :
Isabelle Claire Eugénie en 1566 et Catherine Michèle en 1567. Elle mourut en octobre 1568
des suites d’un accouchement compliqué, n’atteignant pas sa vingt-troisième année.
Nous souhaitons porter l’attention du lecteur sur la confusion qu’il existe parfois entre
les différentes princesses françaises qui portent le nom d’Élisabeth de France6
. Nous ne
parlerons ici, évidemment, que d’Élisabeth de Valois et afin de contourner cette ambiguïté,
nous n’utiliserons pas la particule se référant au pays d’origine. D’autre part, ajoutons qu’en
Espagne, le nom de la princesse française fut modifié. Dans les études portant sur Élisabeth de
Valois, son nom est ainsi hispanisé en Isabel de Valois ou encore Isabel de Francia.
Afin d’étudier ce sujet, nous avons voulu délimiter un cadre clair à la fois d’un point
de vue historique, géographique et artistique. Tout d’abord, nous nous sommes limités, de
manière générale, à l’étude des portraits d’Élisabeth de Valois qui furent réalisés au cours de
sa vie. Cette restriction dans le temps est importante pour le sérieux des comparaisons que
nous ferons, afin de pouvoir objectivement confronter les techniques, les styles, les
compositions et les fonctions. La vie d’Élisabeth de Valois fut courte, la période étudiée est
donc assez brève. Cependant nous avons fait quelques exceptions qui sont de deux sortes.
D’une part, nous avons pris en compte les portraits réalisés peu de temps après la mort de la
3
Philippe II ne pouvant assister à son mariage, celui-ci se déroula par procuration avec Ferdinand Alvare de
Tolède, duc d’Albe.
4
Traité signé début avril 1559 par les plénipotentiaires des roi Henri II de France et Philippe II d’Espagne qui
met un terme aux guerres d’Italie qui opposent depuis plusieurs décennies l’armée français à celle espagnole.
5
Elle ne revint qu’une fois en France en 1565, lors de l’entrevue de Bayonne où elle put voir son frère
Charles IX, devenu roi de France et sa mère Catherine de Médicis.
6
Les autres Élisabeth de France sont la fille de Henri IV (1602-1644), la fille de Louis XV (1727-1759) et la
sœur de Louis XVI (1764-1794).
11
reine (et avant la fin du XVIe
siècle) car nous pensons qu’ils s’inscrivent dans une relative
continuité et dans un même style, étant réalisés par les mêmes artistes. D’autre part, pour
plusieurs portraits, nous connaissons très bien leur existence grâce aux sources écrites et aux
copies plus ou moins fidèles. Nous avons alors choisi d’inclure ces copies dans notre étude
afin de constituer une idée graphique des portraits disparus.
De la même manière, nous avons aussi voulu restreindre notre étude dans l’espace et
nous concentrer exclusivement sur les portraits d’Élisabeth de Valois réalisés par des artistes
français ou espagnols, ou tout au moins, appartenant aux cours de ces deux pays. Cette
distinction est importante car nous étudierons, par exemple, des portraits de Titien,
d’Anthonis Mor ou de Sofonisba Anguissola qui ne sont originaires ni de France, ni
d’Espagne. Cependant ce fut à la cour de Philippe II7
, entre autres, qu’ils exercèrent leur
talent, ils entrent donc de plein droit dans notre observation.
Aussi, nous nous sommes intéressés principalement aux portraits dessinés et peints
d’Élisabeth de Valois, étant donné que les portraits picturaux sont la grande majorité des
représentations du modèle conservés aujourd’hui. Il nous a, cependant, paru judicieux
d’ouvrir légèrement ce cadre, par exemple pour certaines statues d’Élisabeth, notamment
celles faites pour ses entrées dans certaines villes ou encore celle sur le tombeau de son mari.
D’autre part, nous devons admettre certains écarts à ce cadre, toutefois essentiellement
dans le cas de l’étude des copies. Dans le catalogue, que nous trouverons en annexe à ce
mémoire, nous avons admis des copies réalisées par des artistes étrangers, dans un laps de
temps plus large et utilisant des techniques différentes. Ainsi, nous avons ouvert notre étude
aux copies européennes de la fin du XVIe
siècle et du début du XVIIe
siècle.
Le sujet principal de ce mémoire est l’évolution de l’image d’Élisabeth de Valois au
cours de sa vie. Prenant en compte la biographie de la princesse française et les restrictions
7
Pour Titien et Anthonis Mor, ce fut même avant, à la cour de Charles Quint, père de Philippe II.
12
que nous venons d’établir, nous chercherons à comprendre comment ses représentations se
modifièrent (par quels moyens et avec quelles fins) et suivant quels critères. A travers des
comparaisons avec des portraits contemporains, nous nous attacherons à mettre en lumière les
continuités et les ruptures émanant des portraits d’Élisabeth de Valois en fonction des usages
artistiques du XVIe
siècle.
Dans un premier temps, nous nous consacrerons à l’étude de l’image d’Élisabeth en
tant qu’enfant de France, en voyant, d’abord, l’inscription de ses portraits dessinés dans une
formule pré-établie, ensuite, l’idée que ceux-ci respectent la mode contemporaine et le rang
qu’elle occupe et, enfin, comment ses représentations deviennent la transcription graphique
d’une biographie. Dans un second temps, nous nous attacherons à montrer l’apparition d’une
nouvelle image, en premier lieu en étudiant la transformation physique de la reine, puis
l’hispanisation de la composition de ses effigies et nous terminerons avec l’adaptation des
fonctions du portrait de la princesse au protocole monarchique. Dans un troisième temps, nous
discuterons l’idée de la création d’une identité artistique franco-espagnole dans le genre du
portrait, en nous attachant à montrer, d’abord, l’impact de l’Histoire et des relations entre les
deux pays sur l’image d’Élisabeth de Valois, ensuite, les effets sur la représentation d’une
identité royale (c’est-à-dire à la fois publique et privée) et, enfin, les retombées de
l’iconographie de l’infante française, devenue reine d’Espagne, dans quelques portraits
postérieurs.
13
I/ Dans la tradition des portraits d’une infante française
Les portraits français d’Élisabeth de Valois trouvent leurs origines et s’ancrent dans la
coutume du portrait français qui se développe tout au long du XVIe
siècle. Qu’il s’agisse de la
composition graphique (on verra la reprise de la typologie de la « formule Clouet »8
), de la
manière de représenter le modèle (costumes, expressions, attributs) ou encore de la fonction
des portraits, tout prolonge un modèle établi sous le règne de François Ier
, grand-père
d’Élisabeth. Notre questionnement sera alors le suivant : les représentations d’artistes français
de la première fille de Henri II sont-elles uniquement des images reprenant une forme
ancienne ? Forme qui serait devenue contemporaine et serait utilisée pour tous les portraits
d’enfants de Catherine de Médicis et Henri II. Ou bien, ces portraits d’Élisabeth apportent-ils
de nouveaux éléments, permettant ainsi une évolution dans le portrait français, et plus
spécifiquement dans le portrait féminin ? Nous tenterons, enfin, de définir l’existence d’une
particularité française dans la façon de portraiturer les enfants royaux.
A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe
siècle
La « formule Clouet »
Le portrait est parfois vu comme un genre français par excellence, mais l’hypothèse
selon laquelle ses débuts auraient eu lieu à Paris est peu convaincante. Il est vrai qu’un des
plus anciens portraits indépendants occidentaux de l’époque moderne9
n’est autre que celui du
roi Jean le Bon10
, peint vers 1360. Mais cela ne prouve rien étant donné le nombre d’œuvres
8
Nous utiliserons très largement cette expression, il s’agit d’une citation tirée du livre de E. Jollet, Jean et
François Clouet, Paris, 1997, p. 13.
9
Le plus ancien portrait connu à ce jour.
10
Anonyme, Jean le Bon, vers 1360 (?), huile sur bois, 61 x 41 cm, Paris, Musée du Louvre.
14
et donc de portraits perdus. Le portrait fut, d’abord, un genre dépendant de l’art religieux : au
XVe
siècle, on ne trouve que des portraits représentant des orants, des donateurs ou des
commanditaires11
. C’est en Europe du Nord que le genre connaît une importante évolution,
grâce à l’impulsion, entre autres, de Jan Van Eyck12
qui crée une nouvelle typologie. Le
modèle ne se place plus uniquement sous le regard de Dieu mais également sous celui de ces
concitoyens. L’art flamand restera le leader européen de ce domaine, mais la France montrera
aussi ses talents. On lit ainsi sous la plume d’Alexandra Zvereva : « Jean Fouquet est devenu
le peintre de la cour de Charles VIII puis de celle de Louis IX. Mais il faut attendre le [XVIe
siècle] pour que les structures socio-économiques permettent au portrait de devenir, en
France, un genre artistique à part entière »13
.
En France, le portrait prend son essor avec le règne de François Ier
. Celui-ci nomme Jean
Clouet, dit Janet14
, comme portraitiste de cour. C’est cet artiste qui établit le modèle du
portrait de cour à la française15
. Les artistes du XVIe
siècle tenteront d’imiter son style sans
pour autant atteindre son niveau de perfection. À l’exception, sans doute, de son propre fils,
François Clouet, qui égalera et dépassera son père. Le portraitiste de François Ier
va élaborer
une formule, appelée par les historiens de l’art « formule Clouet ». Elle sera maintes fois
reprise par le peintre lui-même, ou par les autres artistes français du siècle16
. Elle se compose
11
Un exemple très connu est le Diptyque de Melun peint par Jean Fouquet en 1450, dans lequel le
commanditaire se met en scène en adoration devant la Vierge. La séparation des deux volets montre le début de
l’émancipation du portrait en tant que genre autonome.
12
Jan Van Eyck (1390-1441) est célèbre pour ses portraits qui sont emprunts de naturalisme. Il présente le
modèle de trois-quarts, participant ainsi à la modification de la formule de profil, reprise de l’Antiquité.
13
A. Zvereva, Les Clouet de Catherine de Médicis : chefs d’œuvre graphiques du Musée Condé, Paris, 2002,
catalogue de l’exposition Les Clouet de Catherine de Médicis au musée Condé à Chantilly, 25 septembre 2002 –
6 janvier 2003, voir aussi : http://crdp.ac-amiens.fr/clouet/clouetaccueil.htm, site sur l’exposition, réalisé par
Jacques Champigny, pour le Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) de l’académie d’Amiens.
14
Ou Jehannet.
15
Jean Clouet n’est bien sûr pas le seul artiste à développer le modèle, c’est ce qu’ont montré des historiens
comme Louis Dimier (Histoire de la peinture du portrait en France au XVIe siècle, Paris, 1924), Étienne
Moreau-Nélaton (Les Clouet et leurs émules, Paris, 1924) ou encore récemment Alexandra Zvereva. Cependant
étant celui qui la développera le plus, on gardera l’utilisation du terme « formule Clouet ».
16
Le terme formule renvoie à la notion de série qui provient d’une tradition antique et médiévale.
15
d’éléments simples : un portrait au crayon17
qui représente le modèle en buste dans une
position de trois-quarts - les mains ne sont pas systématiquement présentes (fig.1 et 2),
l’attention est portée sur le visage du sujet, le costume n’étant qu’esquissé (fig.12). Le modèle
est représenté avec une figure sereine, une bouche fermée et le regard lointain (parfois hors du
cadre, généralement vers la gauche). Cette formule invente le prototype du portrait français du
XVIe
siècle qui va connaître une étonnante stabilité (certes bien souvent seulement apparente)
et une modeste évolution. Parler de la « formule Clouet », c’est, pour ainsi dire, définir
explicitement l’idée du portrait français du XVIe
siècle. Ces deux expressions renvoient
sensiblement à la même notion, elles ne sont pas synonymes, mais équivalentes.
Voyons à présent un des problèmes que soulève l’étude de cette formule. S’agit-il
d’esquisses afin de produire un portrait peint ou d’œuvres d’art autonomes ? Ou bien s’agit-il
uniquement d’un moyen de communiquer l’état physique et psychologique d’une personne ?
En effet, le portraitiste commence toujours par une esquisse, c’est-à-dire un portrait dessiné de
son modèle18
. Cette technique, qui nécessite peu de préparation à l’artiste, permet d’éviter aux
sujets de poser durant des heures (situation peu agréable). On crayonnait alors le portrait sur
le vif (face au modèle), puis le peintre travaillait seul dans son atelier. Le dessin doit être très
minutieux car il est ensuite le point de départ de nombreux portraits. Mais, dans le cas de la
« formule Clouet », peut-on uniquement limiter les portraits à de simples esquisses ?
Alexandra Zvereva, dans son article précédemment cité19
, déclare :
en étudiant attentivement les crayons, il apparaît [qu’ils] transcrivent un goût et un
système de représentation spécifiquement français qui les menèrent du statut de
l'esquisse préparatoire pour des portraits peints vers celui de l’œuvre d’art à part
entière, recherchée et collectionnée.
Comme le souligne Lorne Campbell, il n’est pourtant pas évident de savoir quels portraits
furent croqués en vue d’une transposition peinte et quels autres pour devenir une œuvre d’art
17
Les traits principaux sont réalisés à la pierre noire, avec souvent l’utilisation de sanguine pour les rehauts ou
pour marquer les volumes. Des crayons de couleurs sont quelques fois utilisés pour les mêmes fonctions.
18
Voir sur ce sujet l’article écrit par Alexandra Zvereva sur son site web www.portrait-renaissance.fr où à
l’onglet « Technique », nous trouvons une large explication sur la technique du portrait dessiné.
19
A. Zvereva, loc. cit.
16
dessinée20
. Ceci parce que beaucoup de tableaux et de dessins sont perdus21
. Cependant, pour
le portrait de Marguerite de Valois qui est colorié (fig.1c) ou pour celui d’Élisabeth
d’Autriche (fig.13b), nous avons les peintures qui correspondent, nous pouvons donc affirmer
leur fonction d’esquisses.
Par ailleurs, Jean Clouet apporte une contribution au portrait européen : la « temporalité
de la représentation », comme le dit Étienne Jollet22
. C’est-à-dire le fait de donner de la
contemporanéité au modèle et de le placer dans le même espace temporel que le spectateur.
Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il s’agit déjà d’une œuvre d’art mais que le statut
d’œuvre est déjà pris en compte (en vue d’une présentation telle quelle ou d’une transposition
en peinture).
Notre question était : sont-ce des œuvres d’art ou des comptes-rendus de l’état d’une
personne ? En effet, le portrait dessiné de l’époque est également un bulletin de santé et
participe à un vaste système d’échanges d’informations. Sa rapidité d’exécution, sa formule
peu coûteuse, tout comme son envoi facile, ont largement contribué à son développement. On
le voit clairement dans les lettres de Catherine de Médicis, elle écrit le 1er
juin 1552 à
Madame de Humyières :
je vous prie m’en faire sçavoir des nouvelles par la première dépesche que vous me
ferez, et aussy vous ne faulfrez de faire paindre au vif par le painctre23
que vous avez
par delà tous mes dits enfants, tant filz que filles, avec la royne d’Escosse, ainsi
qu’ils sont, sans riens oblier de leurs visaiges, mais il suffist que ce soit en créon
pour avoir plus tost fait, et me les envoiez le plus tost que nous pourrez24
.
De plus, les différents éléments de la « formule Clouet » (technique, regard, fond sobre,
cadrage serré) agissent quasiment comme un procès verbal de l’état de santé du modèle.
20
L. Campbell, Portrait de la Renaissance, Paris, 1991, p. 62.
21
« Il peut être difficile de distinguer une étude préparatoire d’un projet soumis à approbation : en ce qui
concerne les portraits dessinés subsistants, il est souvent impossible de dire s’il s’agit d’œuvres d’art finies, de
dessins préparatoires ou de copies dessinées de peintures. » L. Campbell, loc. cit. p. 62.
22
E. Jollet, op. cit. note 8, p. 39.
23
Il s’agit de Germain Le Mannier, peintre que Henri II et Catherine de Médicis ont envoyé à la Maison des
Enfants comme on le voit dans la lettre de la reine adressée à Monsieur de Humyères, datée du 17 juin 1548
(Lettres de Catherine de Médicis, I, p25., BN, fonds fr.3178, f°201).
24
Lettres de Catherine de Médicis, I, p62., BN, fonds fr.3133, f°8.
17
L’artiste, tout en respectant les règles de représentation25
, cherche à être au plus près de la
vérité. Il veut, par l’expression du visage, la position des mains et l’empreinte de l’âge,
montrer l’état physique mais aussi psychologique du modèle. Le portrait dessiné du XVIe
siècle est bien loin de n’être qu’une représentation plastique d’un individu, sa portée est plus
grande, plus profonde, on cherche à être au plus proche du visible (fonction mimétique) mais
aussi à faire passer un message sur la vie morale de la personne. La représentation devient
comme le livre biographique d’une personne à un moment donné : un instant de vie.
Dans les vingt dernières années, deux historiens ont tenté de nous éclairer sur les tenants
et les aboutissants de cette « formule Clouet », il s’agit d’Étienne Jollet26
et d’Alexandra
Zvereva27
. Ces deux auteurs ne font pas la même étude, ils ne se concentrent pas sur les
mêmes points et mettent en lumière des idées différentes.
Étienne Jollet pense la création de la « formule Clouet » comme une idée prenant ses
origines dans la peinture européenne, il met chaque concept en relation avec une provenance
précise (hollandaise, allemande, flamande ou italienne). Alexandra Zvereva va, elle, placer la
création de ce modèle à la suite du portrait français. Elle ne nie pas les croisements du portrait
européen qui pourrait avoir abouti à cette formule, mais retrace le point de départ de celui-ci
dans les portraits de Jean Fouquet et de Jean Perréal28
. Ainsi elle utilise peu le terme de
« formule Clouet », formule inexacte selon elle. Nous nous sommes placés plutôt à la suite de
l’historienne, mais nous ne devons pas oublier l’impact de la culture européenne dans l’art
français.
25
Règles « plus ou moins explicites, mais réelles, strictes et connues aussi bien des modèles, que des
commanditaires et des spectateurs, autrement dit de tous les acteurs de la création artistique », notice
d'Alexandra Zvereva sur la technique du portrait dessiné, op. cit. note 18.
26
Étienne Jollet, agrégé de l’Université, docteur de l’École des Hautes Études en sciences sociales, est maître de
conférence en histoire de l’art moderne à l’Université François-Rabelais de Tours.
27
Alexandra Zvereva vient de terminer sa thèse sur les Clouet de Catherine de Médicis, qu’elle a soutenu à
l’Université Paris Sorbonne et publié dans le cadre de l’exposition du musée Condé : Portraits dessinés de la
cour des Valois - Les Clouet de Catherine de Médicis.
28
Pour plus de précision voir A. Zvereva, Portraits dessinés à la cour de Valois. Les Clouet de Catherine de
Médicis, Paris, 2011, pp. 24-28, où elle retrace l’histoire du portrait dessiné français, insistant sur les premiers
dessins à la pointe d’argent de Jean Fouquet et de Jean Perréal.
18
D’autre part, pour définir l’art de portrait à la cour des Valois, Étienne Jollet propose le
terme « pourtraict », c’est-à-dire une « rémanence du modèle de l’effigie en France au début
du XVIe
siècle »29
. Il s’agirait alors d’une modification de cette effigie traditionnelle au profit
d’une effigie à la française, ajoutant la représentation de l’état psychologique du modèle.
Alexandra Zvereva parle d’effigie royale pour les portraits du roi, mais n’utilise pas ce mot
pour les portraits des courtisans ou des enfants. Elle parle de « portraits auliques » dont le
modèle est réutilisé, elle réserve ainsi le mot effigie au souverain. En effet, les portraits
dessinés ne sont pas des effigies, c’est-à-dire des portraits où la simple représentation du
souverain suffit à affirmer son autorité et son pouvoir30
. Mais qu’affirment-il alors ?
É. Jollet et A. Zvereva se différencient également sur ce point. Alors que le premier pose
comme visée du portrait le « désir d’identification qui apparaît comme l’exigence première »
et « le désir d’une « beauté » conçue comme « convenance » ; Alexandra Zvereva insiste, elle,
sur le fait qu’il s’agit d’un privilège que le roi (ou par son intermédiaire la reine) accorde à ses
sujets. Elle cherche à établir les critères de ce privilège, mais ils sont très variables, et
semblent plus dépendre de la relation privée que le souverain entretient avec les modèles que
d’un statut social ou de services rendus au roi31
. Les deux affirmations paraissent justes mais
pour avancer l’hypothèse de É. Jollet, il ne faut surtout pas oublier que c’est un privilège
royal.
Jean Clouet fonde donc les principes du portrait français du XVIe
siècle avec
« l’invention de la banalité », comme le dit Henri Zerner32
. Quelques fonctions que ce soit,
« la formule Clouet » est posée, elle ne va plus connaître de grandes modifications et surprend
29
E. Jollet, op. cit. note 8, pp. 42-43. Précisons qu’il entend l’effigie traditionnelle comme une œuvre « dont la
seule caractéristique est de permette l’identification ; dans laquelle tout singularité de l’état psychologique de la
personne, toute spécificité de la pose, toute trace d’intervention de l’artiste sont considérées comme dépourvues
de signification et tendent donc à disparaître », E. Jollet, loc. cit.
30
Voir L. Marin, Le portrait du roi, Paris, 1981, pp. 12-13. Il montre que le portrait du roi est le roi lui-même. Il
déclare même « le roi n’est vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans les images ».
31
Bien que ce soit parfois le cas.
32
H. Zerner, L’art de la Renaissance en France. Invention du classicisme, Paris, 1996, p. 197. Étienne Jollet
critique cette notion en montrant le côté péjoratif de cette formulation mais également ces points positifs dans la
justesse de ce qu’elle exprime, op. cit. note 8.
19
ainsi les historiens du XXe
siècle par son étonnante régularité. En examinant les portraits de
près, on peut pourtant y déceler de légères transformations suivant le modèle qui est dessiné.
La représentation d’un enfant royal
Le fait de représenter un enfant est rarement simple et, bien souvent, nous pouvons
percevoir l’embarras des artistes à dépeindre la physionomie et l’expression des enfants. En
France, au XVIe
siècle, nous avons pourtant un certain nombre de portraits qui se confrontent
à ce problème et relèvent le défi. Mais comment y arrivent-ils ? Comment répondent-ils à la
demande constante de portraits dessinés des enfants royaux ? Comment se servent-ils de la
« formule Clouet » pour les enfants en y ajoutant des visées particulières ?
En étudiant différentes œuvres d’art représentant la Vierge à l’enfant, on perçoit la
difficulté qu’éprouvent les artistes à rendre compte de la physionomie enfantine. C’est le cas
dans la Madone du Chancelier Rolin, de Jan Van Eyck33
, l’enfant Jésus est représenté avec un
corps de bébé mais avec une peau et une apparence de vieillard. Il a une expression
extrêmement sérieuse, des cernes sous les yeux, on discerne le poids de la vie sur son visage.
De plus, la façon dont est représentée sa peau n’a rien de conforme à la nature. En France,
Jean Fouquet lui aussi représente le Christ bébé34
, mais l’enfant ressemble plus à une poupée,
avec une peau de tissu, une carnation trop blanche et un visage rond, anonyme et quasiment
sans expression35
.
Néanmoins certains artistes, comme les Clouet et leurs suiveurs, relèvent le défi de faire
poser un enfant et de le portraiturer, reprenant à la fois son physique et son esprit enfantin tout
en respectant les codes de la bienséance et de la dignité. Bronzino, au milieu du XVIe
siècle,
33
Madone du Chancelier Rolin, tableau conservé au Musée du Louvre.
34
Diptyque de Melun, 1450, conservé à Anvers au Musée des Beaux-Arts.
35
S. Lombardi, Jean Fouquet, Florence, 1983. On peut voir dans les images de ce livre, des planches confrontant
différentes représentations de l’enfant Jésus. Fig. 71 : Pala di Fiesole, de Beato Angelico. Fig. 72 : Diptyque de
Melun, de Jean Fouquet. Fig. 73 : Polyptique de Perugia, de Pierro della Francesca.
20
réussira également à représenter un enfant en respectant son âge et sa fonction36
. Par quels
moyens arrivent-ils à ce résultat ? Dans les portraits des enfants de
Henri II et de Catherine de Médicis, l’artiste cherche toujours à représenter le modèle de deux
manières. D’une part, voir l’enfant en tant que tel, avec la légèreté de son âge, une certaine
malice ou une touche de désinvolture. D’autre part, montrer que l’enfant sait se tenir comme
son rang l’exige, qu’il est déjà assagi et responsable. C’est ainsi qu’est portraituré François
(frère aîné d’Élisabeth, futur François II, roi de France et d’Écosse) en 1547 (fig. 1d). Le
jeune garçon regarde le spectateur. On perçoit dans son visage une pointe d’espièglerie qui
traduit parfaitement les caractéristiques de son âge. Mais sa position et sa stature montrent
qu’il tient son rang, qu’il est déjà apte à supporter ses futures responsabilités. Les deux
portraits d’Élisabeth enfant que nous avons (fig. 1 et 2) s’éloignent quelque peu de cette
manière de dessiner. L’âge du modèle n’est représenté que par ses traits physiques (un visage
rond et une coiffure réservée aux enfants pour le premier portrait). L’expression n’a plus de
malice, elle est tranquille, voire impassible. Nous pouvons également relever ces points dans
le portrait de Marguerite de Valois (fig. 1c), bien que les traits de son visage semblent un peu
plus légers. Il faut rappeler que Germain Le Mannier (auteur des portraits de deux princesses)
n’arrive à la Maison des Enfants de Saint Germain en Laye qu’en 154737
. Ce n’est donc pas
lui qui a réalisé le portrait du futur roi. On peut alors reconnaître la formule du peintre dans
les portraits des princesses, sa touche personnelle pour montrer la grandeur des enfants royaux
dès leur plus jeune âge, contrecarrant leur immaturité par une pose très cadrée et figée.
36
C’est le cas par exemple avec le portrait de Bia de Médicis, peint en 1542, conservé aux Offices. Ce portrait
étatique représente la jeune enfant en montrant à la fois son côté enfantin et sa prestance par sa position et les
attributs qui lui sont donnés. Pour une étude de ce tableau, voir M. Brock, Bronzino, Paris, 2002, pp. 77-81.
37
On le sait grâce à une lettre de Henri II du 10 janvier 1547 : « Mons. De Humyères, voullant recognaistre
envers le présent porteur nommé Germain le Mannier, painctre, les services qu’il m’a faicts ou faicts de son
mestier, je luy ay accordé le pouvoir en la maison de mes enffants » BN. ms. fr. 3008 f°187. Germain Le
Mannier est actif entre 1537 et 1560 dans l’entourage royal. Il fut envoyé en 1547 à la Maison des Enfants de
Saint Germain en Laye afin de réaliser régulièrement des portraits de princes et princesses. Pour plus de
renseignements voir : É. Moreau-Nélaton, Les Manniers, Peintres officiels de la Cour des Valois au XVIe siècle,
Paris, 1901.
21
De nombreux portraits reprennent cette formule courante, utilisée par Germain Le
Mannier. Catherine de Médicis demande toujours plus de dessins de ses enfants. Elle insiste
sur le fait qu’ils soient le plus proche possible du naturel : appuyant sur le fait de peindre les
portraits « au vif »38
. Comment l’artiste peut-il, alors, rendre compte de l’état physique et
moral de l’enfant, tout en respectant une formule classique et figée, dont il ne peut
s’éloigner ? Apparaît là une incohérence entre les requêtes de Catherine de Médicis et la
réalité de dessins envoyés par le peintre. Si l’on regarde tous les portraits d’enfants que l’on a
dans notre catalogue, le modèle en tant que série apparaît très clairement. L’artiste va alors
chercher à modifier la physionomie, la coiffure ou encore les quelques bijoux qu’on peut voir,
pour individualiser le portrait, pour sortir de cette formule très classique. On note très
clairement des différences (qui sont pourtant assez réduites) entre le portrait d’Élisabeth de
Valois (fig. 1) et celui de sa sœur Marguerite (fig.1c), qui sont toutes deux représentées au
même âge. Des différences apparaissent aussi entre le portrait d’Élisabeth datant de 1559 (fig.
2) et celui de Marie Stuart39
(fig. 13a) réalisé par Jean Decourt40
. Les deux jeunes filles ont le
même âge et sont portraiturées la même année. Dans ces deux représentations, la formule est
quasi identique, mais elle est adaptée et individualisée par de minimes traits personnels.
Catherine de Médicis ne se satisfait pas de cette particularisation et, afin de connaître
davantage ses enfants, demande dès 1548 une petite évolution de la formule : « Je vous prye,
Monsieur d’Humière, de me faire paindre tous mes enffans, mais que ce soit d’un autre cousté
que le painctre n’a acoustumé de les paindre et portraire »41
. C’est ainsi qu’on peut voir des
portraits où le modèle est tourné vers la droite, comme d’ailleurs celui de Marie Stuart que
38
Lettres de Catherine de Médicis, I, p62, BN fonds fr. 3133, f°8.
39
Marie Stuart, reine d’Écosse, avait été envoyé à la cour de France pour faire son éducation, elle partagea ainsi
son enfance avec Élisabeth, et même plus car elles dormaient dans la même chambre.
40
Jean Decourt (1530-1584) est un peintre français appartenant à l’école des Clouet. Il sera nommé en 1562
peintre ordinaire de la reine Marie Stuart et remplacera François Clouet en tant que portraitiste de cour en 1574.
41
Lettres de Catherine de Médicis, I, p.24, BN, fonds fr., 3210, f°18.
22
l’on vient de mentionner. Mais au fond, le véritable problème de Catherine de Médicis42
, tout
comme celui des peintres à qui elle commande les portraits de ses enfants, c’est qu’elle veut
avant tout le respect de la « formule Clouet » dans ces images43
. Mais les dessins « malgré
toute leur ressemblance [aux enfants], ne permettaient aucun jugement sur la santé des
enfants, voire, au contraire, devaient surtout empêcher de supposer toute maladie »44
.
Les artistes réutilisent la « formule Clouet » tout en l’adaptant au portrait enfantin. Avec
ce que nous venons de voir, nous pourrions inverser cette logique et dire que le portrait
enfantin s’adapte à la « formule Clouet ». C’est, sans doute, grâce à cette adaptation que les
artistes arrivent à représenter les enfants avec beaucoup plus de naturel que les peintres
précédents.
Une des caractéristiques de cette formule, de cette représentation d’un enfant royal à la
française, est la mise en évidence de la dignité princière des modèles. Dans tous les portraits
que l’on a, cette volonté est évidente. L’artiste cherche à être au plus près de la vérité, mais en
respectant la « formule Clouet » et en montrant la charge de leur futur héritage. Ceci est
valable pour les représentations de tous les enfants ou jeunes personnes que les peintres
français représentent. Ainsi on le voit dans les portraits de Marie Stuart, mais aussi dans ceux,
plus tardifs, d’Élisabeth d’Autriche45
, qui certes n’est déjà plus une jeune enfant (fig. 13b).
Cette volonté de représenter l’enfant déjà responsable n’est pas uniquement française, on la
retrouve dans d’autres portraits européens. C’est le cas pour le portrait de Bia de Medicis de
Bronzino déjà cité plus haut, ou pour celui de Edward Tudor46
, peint par Holbein47
.
42
Ce problème est déjà posé par Léon Battista Alberti en 1435 dans son traité De la peinture, où il « définit la
double exigence qui fera le tourment de toutes les théories du genre : la conciliation de la ressemblance et de la
beauté » (Revue de l'Art, 1999, vol. 123, n° 1, pp. 76-77).
43
Catherine de Médicis souhaite obtenir un portrait correspond aux dires, bien plus tardifs, de Diderot : « Il faut
qu’un portrait soit ressemblant pour moi et bien peint pour la postérité ». On voit clairement ici s’exprimer la
dualité du problème de la reine.
44
A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106.
45
Élisabeth d’Autriche, reine de France grâce à son mariage avec Charles IX, est représentée dès 1571 suivant la
même formule. On remarquera les grandes ressemblances entre les portraits de cette reine et ceux d’Élisabeth.
46
Portrait de Edward Tudor par Hans Holbein le Jeune, 1539, 56,8 x 44 cm, Andex W. Mellon Collection. Ce
tableau peint représente le jeune Edward Tudor en costume. Richement vêtu, dans une pose impassible, il est
23
À partir de Jean Clouet, les artistes adaptent donc leurs manières de représenter les
enfants à la formule du maître. Ainsi, en restant dans un cadre très précisément défini, ils
réussissent à saisir les traits enfantins et à être au plus près du réel. Les nombreux portraits
respectent la formule classique, mais sont quelque peu modifiés pour montrer comment
l’enfant évolue, grandit. N’oublions pas que si un dessin est un procès verbal de l’état de
l’enfant, c’est aussi une base pour de futurs portraits. Le fait de respecter un modèle établi
permet de rendre plus facile les modifications parfois nécessaires pour l’élaboration des
portraits peints : un dessin peut servir d’origine à une grande production, on garde les
principaux traits et les artistes jouent sur les nuances, les costumes, la coiffure, le
vieillissement. Grâce à cette formule qui permet de respecter la visée dynastique et de
légitimation, l’artiste peut apporter ses éléments personnels pour montrer le caractère enfantin
du modèle.
Les émules de la « formule Clouet » dans les portraits d’Élisabeth de Valois
Nous l’avons vu, l’idée originale de Jean Clouet est très rapidement reprise et devint la
marque de fabrique des portraits français XVIe
siècle. Cependant, bien que l’on retrouve une
composition proche, une inspiration comparable, les valeurs et les qualités des dessins ne sont
pas homogènes. En nous intéressant simplement aux portraits d’Élisabeth de Valois, nous
tenterons de comprendre les points suivants : Pourquoi existe-il autant de copies ? Pourquoi la
restitution de la technique et de la préciosité du dessin est-elle exécutée avec aussi peu
d’attention ? Quelle sont les visées de ces copies, qui ne peuvent en aucun cas prétendre au
statut d’œuvre aulique ?
clair que le peintre cherche ici à montrer toute la grandeur et la prestance que le jeune prince a déjà, et qu’il sera
ainsi un roi parfait.
47
Hans Holbein le Jeune (1497-1543) est un peintre humaniste d’origine allemande. Il est très connu pour ses
portraits, tel Les Ambassadeurs de 1533, œuvre conservée à la National Gallery de Londres.
24
Prenons l’exemple des deux portraits d’Élisabeth précédant son départ en Espagne et
dont l’identification est certaine (fig. 2 et 3). Pour chacune de ces représentations, nous
connaissons trois copies (fig 2a, 2b, 2c et 3a, 3b, et 3c), mais il est facile de supposer qu’il a
dû en exister beaucoup d’autres qui ne sont pas parvenues jusqu’à nous. Dès le premier coup
d’œil, la différence d’exécution est visible, à l’exception peut-être du second dessin,
représentant la princesse en 1559, conservé à Saint-Pétersbourg (fig. 2a)48
. Ces portraits ne
peuvent être l’œuvre de Clouet ou de très proches collaborateurs. Qui sont alors les auteurs de
ces portraits de « second rang » ? Pour la plupart, il s’agit d’anonymes49
. Tous ces portraits
reprennent la « formule Clouet », on les rattache à un groupe que certains historiens nomment
« école des Clouet » ou « atelier des Clouet », alors que souvent ils n’ont pas été élèves du
maître. Les auteurs de ces portraits sont, donc, des artistes qui n’ont pas marqué l’Histoire et
restent cachés derrière l’appartenance à cet atelier50
.
L’importance de la copie au XVIe
siècle est une notion assez difficile à comprendre pour
un amateur d’art du XXIe
. Selon Étienne Jollet, « le XVIe
siècle entretient un rapport à
l’œuvre originale à nos yeux très surprenant : celle-ci ne l’emporte pas nécessairement, en
termes de prestige ou de mérite, sur la copie ou même sur l’adaptation qui peut en être faite.
On peut rapprocher ce phénomène de la valorisation contemporaine de la traduction »51
. C’est
une première raison pour expliquer le grand nombre de copies, et surtout pour comprendre
pourquoi leur technique est aussi faible. Bien souvent, ce n’est pas la qualité de l’image qu’on
recherche mais l’image en elle-même, c’est-à-dire la représentation du modèle, ici
d’Élisabeth. Alexandra Zvereva propose une explication, elle déclare : « l’extraordinaire
maladresse de certaines répliques semble surtout s’expliquer par le peu de patience des nobles
48
Voir notre catalogue (Vol. 2), pp. 13-14, pour un court développement sur les différences de style entre les
deux portraits et une brève explication sur les différents points de vue des historiens.
49
Ce n’est qu’à une époque plus tardive que les artistes commenceront à signer leurs œuvres, pour cette période
nous devons nous contenter de recouper les dessins avec des traces écrites (contrats, paiements, lettres…).
50
« Si le nom « Clouet » a pu prendre une acceptation générique, c’est bien parce que les autres artistes ne sont
guère connus », E. Jollet, op. cit. note 8, p. 9.
51
E. Jollet, loc. cit. p. 37.
25
désireux de posséder un recueil de crayons »52
. En effet, l’engouement pour les collections de
portraits dessinés sous le règne de Henri II est très important. Évidemment, dans ces
collections, la famille royale se doit d’être représentée en première place, les souverains,
comme leurs enfants. Ceci pourrait être le point de départ d’un certain nombre de portraits
d’Élisabeth. C’est donc son statut de princesse qui explique en grande partie les nombreuses
copies. Celles-ci sont réalisées pour les sujets du roi. On sait que l’image du roi est diffusée
dans tout le royaume53
et avec elle toute celle de la famille royale. La représentation du
souverain prend, bien sûr, beaucoup plus de place, mais celle de la reine et de ses enfants
n’est pas à négliger. C’est peut-être la raison de la réalisation des portraits des figures 2b, 2c,
3a ou encore 3b. En tout état de fait, il est clair que la réalisation d’une gravure, comme celle
de Agostino Carracci (fig. 3c), a comme but la diffusion de l’effigie de la princesse dans tout
le royaume (et même au-delà, puisque réalisée par un italien).
Cependant, pourquoi certaines copies gardent-elles la même grande qualité que
l’original et d’autres non ? Il s’agit, sans aucun doute, d’une différence de visée. On vient de
le voir, les copies exécutées pour la diffusion de l’image de la princesse dans le royaume ne
sont pas nécessairement d’une grande valeur plastique, ce n’est pas ce qui importe54
. Mais
deux autres types de copies doivent garder la même grandeur que l’original : les copies
demandées par les souverains à leurs propres fins et celles tirées pour être envoyées aux cours
étrangères. Parfois le roi ne pouvait attendre la fin de l’élaboration d’un portrait, « l’artiste
décidait [alors] de créer une réplique très élaborée et propre, destinée à rejoindre les
collections royales, ou bien abandonnait l’original à son maître, en se contentant d’une reprise
sommaire ou en réalisant un double quasi parfait pour ne rien perdre de son travail »55
. C’est
52
A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 68.
53
D’ailleurs selon Louis Marin, « le roi n’est vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans les images », op. cit.
note 30, pp. 12-13.
54
En Italie, François de Gonzague demande à un artiste un portrait précisant « je ne fais pas exclusivement
appelle à ses mains, une copie me suffirait pourvu qu’elle fût bonne », citation É. Jollet, op. cit. note 8, p. 38.
55
A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 82.
26
peut-être ce qui s’est passé pour le portrait d’Élisabeth de Valois et sa copie datant de 1549
(fig. 1 et 1a) ainsi que pour le portrait et la copie de 1559 (fig. 2 et 2a). Provoquant ainsi des
débats entre historiens de l’art qui cherchaient à savoir quel portrait est l’original56
. Enfin, la
seconde visée, l’envoi aux cours étrangères, est peut-être celle qui correspond à l’aquarelle sur
vélin (fig. 1b) qui reprend le premier portrait d’Élisabeth que nous connaissons. Il est possible
que ce soit une représentation de la princesse faite dans le but d’être envoyée à la cour
d’Angleterre, en vue d’une proposition de mariage avec Edward IV ou simplement comme
cadeau57
. Ceci expliquerait alors la grande préciosité de cette miniature, tant dans le dessin et
les nuances que dans la technique et les matériaux utilisés. Cette hypothèse est appuyée par la
présence de cette œuvre dans les collections royales de la reine Élisabeth II.
Tous les portraits d’Élisabeth de Valois connus à ce jour, et dont l’identification est
assurée, sont donc issus de la « formule Clouet ». La reprise de ce modèle se fait de
différentes manières et avec différentes visées. Mais le schéma global est toujours le même,
montrant ainsi l’aspect générique de la production des Clouet et de leur « école ». Les
représentations françaises de cette princesse se situent assurément dans la continuité de cette
typologie du portrait français du XVIe
siècle. Cette constance s’inscrit dans un cadre spatio-
temporel très précis : l’archétype français n’est pas étendu à toute l’Europe et il atteint son
paroxysme dans la deuxième moitié du XVIe
siècle.
56
Pour les deux premiers portraits (fig. 1 et 1a), la copie n’est pas aussi admirable que l’original, Louise Roblot-
Delondre va même jusqu’à affirmer qu’il s’agit d’une « médiocre copie » (Portraits d’Infantes XVIe siècle, Paris
et Bruxelles, 1913). Pour les portraits de 1559 (fig. 2 et 2a), alors que Étienne Moreau-Nélaton pense que le
dessin de Chantilly est l’original (Le Portrait à la cour des Valois. Les crayons français du XVIe siècle au musée
Condé de Chantilly, Paris, 1908), Louis Dimier pense, quant à lui, que le portrait conservé à Saint Petersbourg a
été exécuté avant (op. cit. note 15).
57
« En avril 1551, Lansac, l’envoyé extraordinaire du roi de France, fit présent à Henri VIII des livres et des
portraits de toute la famille royale de France (Jean Schyfve à l’Empereur, Londres, 9 avril 1551 ; pub. Calendar
of letters, despatches and State papers, relating to the negotiations beetween Egland and Spain, éd. R. Tyler,
vol. X, Londres, 1914, p265) », citation de la note 523, du livre A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106.
27
B. Un modèle qui s’inscrit et qui suit la mode de son époque comme de son rang social
Nous venons de voir comment les représentations d’Élisabeth avant son départ en
Espagne sont issues d’une formule élaborée bien avant sa naissance. Examinons à présent,
comment ces portraits inscrivent la princesse dans un contexte spatio-temporel contemporain
par sa physionomie, ses vêtements ou encore son apparat (coiffure et bijoux).
Étude de l’expression
Concentrons-nous sur le visage, point central du portrait. La fonction principale du
portrait est d’être mimétique. Nous avons vu que dans la « formule Clouet », l’état
psychologique était une chose très importante, un élément sur lequel se base la représentation.
Pourtant, ce qui pourrait nous être utile pour comprendre l’aspect moral du modèle, la figure
répond également à une formule qui se répète sans grande modification. Étudions alors,
l’expression comme moyen de montrer la prestance de l’enfant, mais aussi la manière dont
l’artiste respecte ce modèle tout en l’individualisant afin d’exprimer la santé de l’enfant.
Essayons enfin de distinguer les traits du caractère de la fille aînée de Henri II que nous
présentent ses portraits.
La première chose que l’on remarque, dans les portraits d’Élisabeth, c’est la gravité que
son visage exprime. Nous en avons déjà parlé à propos des difficultés à représenter les
enfants, et nous avons vu ceci comme une manière générale de contrecarrer l’immaturité et la
légèreté des enfants58
. Précisons qu’une expression calme et sérieuse était apparemment chose
peu habituelle chez Élisabeth. Peu d’enfants ont naturellement cet aspect, mais, d’après les
58
Voir I/ A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe
siècle, deuxième point sur La
représentation d’un enfant royal, pp. 16-20.
28
sources anciennes59
, il semblerait que la quiétude et une attitude posée soient des traits
totalement absents du tempérament d’Élisabeth. Les Lettres de Catherine de Médicis nous la
décrivent pleine de vie, voire assez turbulente et ayant un comportement très enfantin à son
arrivée à la cour d’Espagne60
. On peut donc imaginer qu’elle était ainsi avant de traverser les
Pyrénées. Cette expression grave et réfléchie n’est pas uniquement présente dans les portraits
d’Élisabeth, on la retrouve, de façon plus au moins fréquente, chez ses frères et sœurs
(François II, Marguerite de Valois ou encore Claude de France (fig. 13a)). Ce trait de
l’expression est clairement un code graphique de la charge qui incombe à ces enfants. Même
si ce ne sont que des portraits adressés à leurs parents, ils sont la base de l’élaboration de leur
image. De ce fait, les modèles se doivent de montrer leur bonne éducation, leur sérieux, et
leur capacité à remplir parfaitement le rôle qui les attend. Les petites filles doivent avoir l’air
intelligent, être belles, mais quelque peu soumises. Catherine de Médicis est très exigeante
quant à l’éducation de ses filles, à leur maintien et surtout à leur apparence61
. Chez les petits
garçons, le peintre va chercher à montrer leur esprit vif et serein, leur force et leur puissance.
Tout ce qui pourra faire d’eux plus tard un bon roi. C’est exactement ce que montre le texte
explicatif du portrait de François II (fig. 1d) de l’exposition Les Clouet de Catherine de
Médicis – Portraits dessinés de la cour des Valois : « Ce crayon définit les contours de toutes
ses représentations futures (…). Clouet confère à l’enfant le sérieux et la prestance d’un
adulte, le montrant déjà prêt à assumer la fonction royale qui allait être la sienne »62
.
59
Se reporter aux Lettres de Catherine de Médicis datant de 1560 à 1565 et qui s’adressent à sa fille, aux dames
de celle-ci ou encore aux ambassadeurs français à la cour espagnole ; ainsi qu’aux Mémoires contenant les Vies
des Dames illustres de France de son temps de Brantôme, Leyde, 1665.
60
Lettre de Catherine de Médicis à Élisabeth en novembre 1560. « Catherine de Médicis lui adress[e] de vives
critiques (…), la mettant en garde de "trop avoyr ancore de l’anfant" », citation de S. Édouard, Le Corps d’une
reine, Rennes, 2009, p. 73.
61
S. Édouard, loc. cit. Voir le livre de Sylvène Édouard où elle consacre un chapitre sur « Le maintien » (pp. 17-
42) et un autre sur « La liturgie du corps royal » (pp. 43-76).
62
Exposition Les Clouet de Catherine de Médicis – Portraits dessinés de la cour des Valois au Musée Condé,
Château de Chantilly, 23 mars – 27 juin 2011, Commissaires : Alexandra Zvereva et Nicole Garnier.
29
Afin de montrer la bonne santé des enfants, Germain Le Mannier, principal portraitiste
des fils et filles du roi, leur fait respecter la pose classique63
mais aussi joue sur la coloration
des chairs. Les lèvres sont, par exemple, relevées de rouge (fig.1) tout comme les paupières
ou les joues (fig. 13). Les yeux sont aussi un grand indicateur de l’état de santé du modèle, à
la fois par leur forme (on peut voir si l’enfant est fatigué ou s’il a les yeux qui pétillent de
santé), mais aussi pas leur couleur qui permet de rendre plus vif le regard. Dans un des
portraits de 1559 (fig.13), par l’expression de son regard et la forme des yeux, Élisabeth
semble fatiguée. Le fait que le modèle regarde de face ou de trois quarts, peut aussi être une
indication. De face, on perce plus facilement la couche de la bienséance pour voir plus
profond. Quand un modèle regarde directement le spectateur, c’est une indication claire pour
montrer sa forme physique et morale. Pourtant, dans le portrait précédemment cité, Élisabeth
regarde vers la face, alors qu’elle ne paraît pas en grande forme. Peut-être s’agit-il d’un dessin
exécuté à la suite d’une maladie, elle montre ainsi son meilleur état de santé (tout en restant
fidèle à sa condition actuelle : faible mais meilleure qu’avant).
Le profil d’Élisabeth s’inscrit bien dans une formule et répond aux critères généraux de
la représentation des enfants. Mais qu’est-ce qui fait sa particularité, que retrouve-t-on au fil
de ses images ? Dans toutes celles-ci, les artistes attachent un intérêt particulier à montrer
l'apparence aimable et bienveillante d’Élisabeth. Ils la représentent par une expression suave,
un regard doux qui n’attaque pas celui vers qui il est dirigé, et un léger sourire qui montre une
attention (fig. 3). Cet air simple et bon sera sa marque de distinction tout au long de ses
représentations. Les Espagnols seront d’ailleurs très sensibles à cette apparence, on conserve
de nombreuses lettres qui le mentionnent. Il faut dire qu’Élisabeth de Valois succède à la tête
de la couronne espagnole à Marie Tudor (deuxième épouse de Philippe II). Celle-ci a une
63
Catherine de Médicis est très attachée à cette « formule Clouet », « seule capable à son avis de rendre
parfaitement la figure, sans idéalisation inappropriée, ni mise en scène inutile », A. Zvereva, op. cit. note 28,
p. 107.
30
expression beaucoup plus fermée et plus sèche64
. Précisons qu’elle est aussi beaucoup plus
âgée que la princesse française, ce qui évidemment transforme la physionomie. L’apparence
bienveillante de la princesse française peut nous aider pour les identifications. Par exemple,
dans le portait daté des environs de 1565-1566 et attribué à un artiste de l’école française
(fig. 14), la jeune femme apparaît plus mûre et avec une ossature plus développée. Son
attitude évoque une personnalité plus froide et quelque peu austère. Par le faciès, l’âge que
semble avoir le modèle et l’état psychologique représenté, le portrait ne semble pas être celui
de la fille aînée de Henri II et Catherine de Médicis. La physionomie est incontestablement
différente. On peut suivre le même raisonnement pour le portrait conservé à la Bibliothèque
Nationale de France (fig. 2c). Dans ce portrait, le modèle apparaît avec une expression triste
et mélancolique qui ne correspond pas à la représentation habituelle d’Élisabeth65
. C’est une
des raisons pour laquelle l’acceptation de son identification nous paraît douteuse. C’est
également le cas pour les portraits classés dans la deuxième partie du catalogue
(fig. 13, 15 et 16).
Les représentations du visage de la fille aînée de Henri II reprennent donc la « formule
Clouet » en exprimant le caractère de la jeune fille de manière quasi constante. La seule
évolution qui apparaît certaine est celle de la morphologie. Cette transformation est
inévitable66
et c’est cela qui intéresse les Clouet. Ce changement constant est précieux pour
les historiens car il peut permettre d’identifier et de dater les différents « pourtraicts ».
Étude des costumes
Dans la « formule Clouet », nous l’avons vu, l’importance est donnée aux traits du
visage et non au costume. Le portrait daté de 1557 (fig. 13), nous montre clairement ce
64
Pour voir un portrait de Marie Tudor et pouvoir le comparer avec ceux d’Élisabeth de Valois, voir notre
catalogue (Vol. 2) à la page 73 (fig. 19).
65
Voir l’étude de ce portrait par L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56.
66
Voir I/ C. La transformation physique visible : le portrait comme compte rendu de l’apparence, du bien-être et
de la psychologie, p. 34.
31
désintérêt pour le costume. Pour autant, il est très intéressant de faire une étude de celui-ci,
justement parce qu’il est considéré comme secondaire par le peintre et le spectateur
contemporain. Cet artifice est simplement esquissé, son but n’est absolument pas d’attirer
l’attention, bien au contraire. Il semble donc que le rendu soit fidèle dans sa simplicité comme
dans ses détails plus élaborés. Mais pourquoi les vêtements ne sont-ils que très rarement
dessinés avec précision ? Qu’apportent ces seules ébauches de costume ? Quels
renseignements nous donnent-t-elles sur la personne représentée, et précisément, ici, sur la
princesse Élisabeth de Valois ?
Nous avons déjà dit que la raison évidente de la non-attention des artistes aux costumes
est le souhait de porter toute la concentration du spectateur sur le visage67
. Mais à ceci nous
pouvons ajouter une autre cause : les portraits originaux qui suivent la « formule Clouet »
peuvent être la base d’une série de portraits (peints ou non). Ils sont donc élaborés en prenant
en compte cette possible fonction. C’est-à-dire que le plus important, c’est la physionomie du
modèle, les traits de son visage qui ne bougeront pas, ou plutôt qui pourront être sensiblement
vieillis mais qui garderont leur caractère original afin que l’identification soit toujours
possible68
. Le costume, lui, diffère suivant la façon dont le commanditaire souhaite que la
personne soit représentée. Nous n’avons pas de dessin correspondant au portrait d’Élisabeth
de Valois peint par Clouet. Peut-être est-il perdu. Mais il est possible que Clouet ait utilisé un
portrait dessiné de la princesse, par exemple celui de 1559 (fig. 2). Il aurait quelque peu
modifié les traits pour qu’elle paraisse plus mûre, plus femme et aurait complètement
transformé le costume, pour l’adapter à un nouveau statut (de future reine ou peut-être déjà
celui de reine d’Espagne).
67
C’est d’ailleurs ce que demande le commanditaire, que ce soit pour un portrait de cour où le plus important est
l’identification ou que ce soit pour un portrait « bulletin de santé » où on souhaite avant tout voir, dans le visage,
comment se porte le modèle.
68
C’est principalement le cas pour les portraits royaux, telle l’effigie de François I ou de Henri II qui sont figées.
32
Cependant les ébauches des vêtements ne sont pas sans nous donner de précieuses
indications sur le modèle, principalement sur son statut et sur son âge. Les portraits
d’Élisabeth, par exemple, montrent une évolution très claire. Dans le premier portrait
d’Élisabeth que nous avons (fig. 1), elle porte un vêtement tout à fait connu, il s’agit de « la
robe portée par tous les enfants jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans »69
. On retrouve cette robe
dans le portrait de Marguerite de Valois (fig. 1c). Bien que le vêtement représenté dans ce
dessin soit plus élaboré, plus richement décoré et soit, de plus, coloré. De même, la fille aînée
de Catherine de Médicis porte un couvre-chef ressemblant à un béret, coiffe courante à cette
époque pour les enfants. François en porte un également dans son portrait de 1547 (fig. 1d).
Ce sont des signes distinctifs de l’âge. C’est pourquoi, dès les portraits suivants, le costume,
comme la coiffure, évoluent. Dans le second portrait (fig. 2), Élisabeth porte déjà une toilette
de femme adolescente, en effet le vestiaire enfantin (au-delà des cinq ans) est conçu comme
une version réduite de celui des adultes. Son décolleté carré, « avec une ligne en arceau, peut-
être due au baleinage du corsage »70
, est couvert par un tissu opaque. Habituellement ce tissu
est plus léger et se nomme gorgerette, comme on le voit par exemple dans les copies (fig. 2b
et 2c) ou encore dans l’autre portrait de 1559 (fig. 3). « Cette guimpe (…) qui, depuis Henri II
couvre le grand décolleté carré de la robe, »71
est prolongée par un col qui entoure le cou, tout
en laissant une petite ouverture au centre. Le col se termine par une petite fraise. Ce vêtement
a la même structure, la même confection que celui porté par Marie Stuart72
dans le portrait
dessiné par Jean Decourt (fig. 3a), bien qu’elle porte le col complètement fermé.
L’ébauche du costume nous donne donc des informations quant à l’évolution sociale
d’Élisabeth. On sait grâce à ces vêtements quand elle passe du statut d’enfant à fillette, de
69
A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106. Page à laquelle on trouve la note suivant « Henri II permit [à François,
frère aîné d’Élisabeth de quitter cette robe pour] porter des chausses peu avant ses quatre ans révolus, en
décembre 1547, ayant appris qu’il « ne veult plus aller en femme […] » (Henri II à Jean d’Humières, 21
décembre 1547 ; BnF Ms, fr. 3008, fol 198) », note 521.
70
F. Boucher, L’art du costume, en Occident, de l’Antiquité à nos jours, Paris, 1965, p. 233.
71
Ibid. p. 231.
72
Rappelons que la reine d’Écosse passe son enfance à la cour française aux côtés d’Élisabeth de Valois.
33
celui de fillette à jeune femme. Le portrait peint d’Élisabeth (fig. 3) nous montre une nouvelle
évolution du costume. La robe ne reprend plus les lignes de celles qu’Élisabeth porte dans les
portraits dessinés. Le décolleté est complètement couvert, il n’est même plus suggéré. Le
buste est recouvert d’un corps piqué (ancêtre du corset) qui est beaucoup plus richement
décoré que précédemment. De plus, alors qu’avant tous les tissus semblaient de la même
teinte, dans cette peinture des nuances et de forts contrastes apparaissent. Le costume
qu’Élisabeth porte ici offre une véritable transition entre les robes qu’elle porte enfant et les
robes de la cour espagnole, qu’elle portera plus tard. La ligne du vêtement et les couleurs se
situent entre le costume que Marie Stuart porte dans son portrait conservé au Cabinet des
Estampes (fig. 3a) et celui d’Anne d’Autriche (quatrième épouse de Philippe II et donc
successeuse d’Élisabeth de Valois) peint en 1580 par Alonso Sánchez Coello (fig. 4g) qui
correspond parfaitement au style impérial.
Les vêtements, malgré leur manque de précision, montrent donc qu’Élisabeth de Valois
suit parfaitement la mode contemporaine de la cour. Par les renseignements qu’ils nous
donnent, ils nous permettent également de suivre la croissance de la princesse et ses
changements de statut social. Le contexte spatio-temporel est retranscrit, on peut y voir des
évolutions dues à son rang de princesse (princesse enfant, puis princesse adolescente, qui
devient alors une monnaie d’échange pour un mariage royal utile à la France73
). La principale
transformation se produit dans le dernier portrait français de la princesse en tant que tel (il y
en aura après mais on ajoutera à ses titres celui de reine). Sa date étant peu précise,
l’habillement peut peut-être nous aider. On a noté l’influence espagnole, ceci pourrait
suggérer qu’elle est déjà promise ou mariée à un espagnol74
.
73
Sur ce sujet lire le livre de S. Édouard, op. cit. note 60.
74
Pour avoir des détails sur la datation de ce portrait, se référer à la fiche de notre catalogue (Vol. 2) qui lui est
consacré, figure 3, p 16.
34
Coiffure et bijoux : attributs ?
La fille de Catherine de Médicis est toujours représentée coiffée et généralement avec
des bijoux, ce qui est de coutume à l’époque. Ses joyaux et sa coiffure se modifient au fil des
portraits. Que nous apprennent-ils sur Élisabeth ou sur la mode de l’époque ? Étudions le rôle
joué par ses différents apparats dans les portraits d’Élisabeth.
Précisons, tout d’abord, que les cheveux d’Élisabeth semblent ne pas être toujours
représentés suivant la réalité. D’après les sources écrites, elle aurait eu les cheveux foncés. On
peut citer par exemple Brantôme, « ses cheveux et ses yeux étaient noirs. Ils assombrissaient
son teint (…) »75
. Pourtant dans les premiers portraits, elle est dessinée avec des cheveux
blonds ou en tout cas clairs et crépus (fig. 1). Il est possible qu’ils aient changé de couleur
plus tard ou que l’artiste ait cherché à idéaliser la princesse et lui ait ainsi dépeint des cheveux
blonds pour correspondre à la mode de l’époque. La texture de ses cheveux évolue au cours
des représentations pour devenir lisse.
Alors qu’à 5-6 ans (fig. 1), ses cheveux sont coiffés en boule, à partir de 1559, la
coiffure se complexifie76
. Rapprochons ces portraits (post 1558) avec celui de Marguerite de
Valois (fig. 1c), très similaire dans la coiffure. C’est donc, sans doute, une modification de la
mode, et non l’âge du modèle, qui dicte cette évolution77
. Élisabeth porte quasiment toujours
une coiffe : soit un béret (fig. 1), soit un escoffion (souvent escoffion à résille, bordé de perles
et orné de joyaux). Ces couvre-chefs montrent l’évolution de la princesse au niveau de sa
maturité et la place de plus en plus importante qu’elle occupe. Enfant, elle est représentée
avec un béret, qui n’a rien de très majestueux et sert simplement à couvrir ses cheveux.
Adolescente, elle devient une princesse et se doit de tenir son rang, on la représente alors
parfaitement coiffée (les cheveux attachés) et avec de riches ornements. Plus elle grandit, plus
75
P. Brantôme, op. cit. note 59.
76
Les cheveux sont tirés en arrière ou l’escoffion les retient. Au centre de sa tête, une raie a fait son apparition,
d’où partent deux mèches qui s’enroulent sur elles-mêmes jusqu’aux oreilles.
77
Modification qui durera dans le temps car on retrouve cette coiffure dans le portrait d’Élisabeth d’Autriche
datant de 1571 (fig. 3f).
35
les coiffures sont somptueuses, jusqu’à atteindre un point culminant, avec le dernier portrait
français avant qu’elle ne quitte son pays (fig. 3), où l’escoffion est constitué de pierres
précieuses, de perles et de joyaux.
Les portraits d’Élisabeth de Valois correspondant à la « formule Clouet » qui sont
dessinés (on exclue ainsi le portrait peint par François Clouet), ne sont pas des portraits
d’État, cela ne veut pas pour autant dire qu’ils n’ont pas de rôle politique. Bien que la
princesse doive être représentée digne de son rang, avec toute sa noblesse et sa dignité, on
trouve assez peu d’objets référentiels, d’attributs, comme on le verra plus tard dans ses
portraits royaux. Cependant de petites distinctions sont bien présentes et se modifient au fur à
mesure de l’évolution de la représentation de la princesse.
Dès son plus jeune âge, Élisabeth porte des bijoux, dans sa portraiture à 5-6 ans (fig. 1) ,
on perçoit des boucles d’oreilles pendantes et une bague à la main droite. Ces deux éléments
montrent son rang dans la société, pour avoir les moyens d’avoir de tels bijoux et être
autorisée à les porter à son âge, il faut être issu de la très haute aristocratie. Les pendants
permettent de mettre en valeur le visage d’Élisabeth, étant proches de la couleur de ses yeux,
ils les font ressortir sans exercer une trop forte attraction sur le regard du spectateur. Cet effet
est encore plus visible dans la copie du dessin réalisée sur papier beige clair, papier appelé
« carta bigia »78
(fig. 1a). Il est probable que ces boucles d’oreilles aient été choisies avec soin
pour donner un éclat au visage79
. Cet ornement, qui nous semblerait plus présent chez les
femmes que chez les fillettes, est pourtant visible uniquement dans les portraits d’Élisabeth
enfant. Qu’il s’agisse des portraits français ou espagnols, au-delà de sa treizième année, ses
oreilles sont systématiquement représentées sans bijoux. Remarquons tout de même que la
perle, dont est constitué chacun des pendants, n’est pas sans ressemblance avec les perles qui
78
A. Zvereva, op. cit. note 13.
79
Suivant le même procédé utilisé plus tard par Johannes Vermeer pour sa célèbre Jeune fille à la perle.
36
ornent la croix qu’elle porte dans plusieurs de ses portraits (fig. 3 et 5). Cette croix pose
d’ailleurs beaucoup de questions. Il en existe de semblables à la fois dans les trésors de la
couronne française et de la couronne espagnole. Cependant, nous nous attarderons sur ce fait
plus tard dans notre étude80
.
Dans le premier portrait daté de 1559 (fig. 2), tout comme dans ses copies, on retrouve
donc pour orner le visage d’Élisabeth les mêmes boucles d’oreilles, mais celles-ci
disparaissent dès le portrait suivant (fig. 3). Elles sont d’ailleurs déjà absentes en 1557 si l’on
considère le portrait conservé au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de
France comme étant celui de la princesse. La physionomie du visage est cependant plus
proche des portraits de Claude de France, petite sœur d’Élisabeth. Surtout dans un portrait
(fig. 13b) où cette dernière porte exactement la même coiffure et est représentée, elle aussi,
sans artifice (ni boucles d’oreilles, ni collier, ni couvre-chef très élaboré).
La bague, portée au niveau de l’index de sa main droite, apparaît comme un élément
dessiné parce que présent dans la réalité, sans pour autant avoir une signification précise dans
ce portrait. Il est d’ailleurs peu probable que Germain Le Mannier ait volontairement orné la
main de la princesse d’un bijou, alors qu’il ne prête que très peu d’attention dans son dessin à
l’élaboration des mains. Seuls quelques portraits de la « formule Clouet » ont un cadrage
suffisamment large qui nous permet de voir les mains. C’est le cas des portraits de Marguerite
(fig. 1c) et d’Élisabeth d’Autriche en 1571 (fig. 3f). Cette dernière porte une bague
exactement au même endroit (index droit) et une autre à l’auriculaire gauche. Remarquons en
passant que plus de vingt ans après le portrait d’Élisabeth enfant, la position des mains est
reprise trait pour trait, tout comme dans le portrait de Marguerite qui se situe à une date
médiane entre les deux autres.
80
Voir II/ C. Continuation des fonctions principales tout en s’adaptant au protocole monarchique, troisième point
intitulé : Représentation de la monarchie espagnole, pp. 76-79.
37
Le collier qu’on distingue dans le premier portrait de la fille aînée de Catherine de
Médicis semble plutôt être un artifice de la robe mettant ainsi en valeur la stature et la pose
d’Élisabeth. Sur la copie en miniature sur vélin, ce collier est constitué de joyaux, qui
apportent ainsi une grande richesse au costume. Le bijou devient alors un cottoire, c'est-à-dire
un collier de perles et de boutons d’or percés. On remarquera cependant que les boucles
d’oreille ont disparu et que les mains sont invisibles. L’artiste a peut-être alors pris le parti de
représenter cette partie du costume sous forme de bijoux pour palier au manque d’ornement.
Les trois éléments que l’on vient de voir (pendants, bague et collier) ne sont pas
attribués uniquement à Élisabeth, on les retrouve dans le portrait de Marguerite de Valois (fig.
1c). Ils ont simplement changé de forme mais ils se situent exactement au même endroit sur le
corps et donc sur le portrait.
Qu’il s’agisse de la coiffure ou des bijoux, nous ne pouvons pas leur octroyer la fonction
d’attributs, leur pouvoir significatif est trop faible. Cependant, ils sont à prendre en
considération et permettent de replacer Élisabeth dans un cadre spatio-temporel. Ces joyaux
appartiennent au trésor de la couronne française, on sait en reconnaître certains et on peut les
rapprocher de bijoux qui existent encore. Enfin, qu’il s’agisse d’ornementations pour le
portrait ou de mode vestimentaire, le fait qu’on retrouve les mêmes artifices dans différents
portraits de personnes diverses montre clairement que les portraits d’Élisabeth s’inscrivent
dans la lignée des portraits féminins de la cour d’Henri II.
38
C. La transformation physique visible : le portrait comme compte rendu de l’apparence,
du bien-être et de la psychologie
Une des missions principales du portrait, et ce de tous temps, est de représenter de façon
mimétique le modèle. Le grand nombre de dessins que nous gardons du XVIe
siècle nous
permet d’observer la croissance, le développement des personnes représentées tout au cours
de leur vie. Élisabeth de Valois n’échappe pas à ce mouvement et nous pouvons suivre ses
transformations physiques au fil du temps. Mais le portrait ne s’arrête pas là, nous l’avons vu,
dans la France du XVIe
siècle, l’aspect psychologique est très présent. Le dessin devient donc
aussi un livre ouvert dans lequel on lit la joie ou la tristesse, l’ardeur ou la fatigue, l’allégresse
ou la souffrance… Ainsi en lisant dans ce livre, essayons de suivre le développement
d’Élisabeth et de comprendre comment les portraits rendent compte de celui-ci. Cherchons
également à savoir quelles furent les visées de ce si grand nombre de portraits (avec tous ceux
que nous connaissons par les textes, mais pas toujours physiquement).
Le vieillissement d’Élisabeth de Valois et le soin apporté à la ressemblance
Bien qu’il ne nous reste que peu de portraits d’Élisabeth, « podemos seguir cronológica
y gráficamente el curso de su vida merced a los dibujos y retratos que la acompañan al hilo de
su vida, desde la niñez hasta su muerte »81
comme le dit si bien Augustin Gonzalez de
Amazúa, dans son étude biographique consacrée à Isabel de Valois (c’est ainsi qu’on l’appelle
en Espagne). Sa croissance et son évolution sont visibles au fur et à mesure des portraits, les
années passent, Élisabeth grandit et les dessins le montrent. Ceci est évident car, nous l’avons
déjà dit, l’aspect mimétique est le point central de n’importe quel portrait. Mais comment les
artistes jouent-ils entre le respect de la formule et de sa pose inchangée alors que les traits
81
« Nous pouvons suivre chronologiquement et graphiquement le cours de sa vie grâce aux dessins et aux
portraits qui l’ont représenté au fil de sa vie, de son enfance à sa mort » (nous traduisons). A. González de
Amazúa, op. cit. note 2, vol. 1, IX, pp. 330-331.
39
vieillissent, le costume se modifie, bref l’identité évolue ? Nous avons vu que ce sont
principalement sur les traits de caractère (qui sont visibles dans l’expression, le regard…) que
les artistes ont une marge de manœuvre pour l’identification. Ceci est un point fondamental
car la pose de la « formule Clouet » est également un élément strictement lié à l’identité et à
l’identification du personnage. Nous tâcherons alors de comprendre comment on peut faire
évoluer une identité sans la modifier.
La figure ronde d’Élisabeth (fig. 1) qui, au fur et à mesure du temps, s’affine, mûrit
jusqu’à devenir celle d’une jeune femme élégante à son mariage, suit clairement une
évolution. Transformation qu’il est possible de voir grâce aux portraits, bien qu’il nous en
manque probablement. Dans les portraits dont l’identification est assurée, le soin apporté à la
ressemblance est incontestable. C’est ce qui pose question pour les autres attributions. Dans
son étude consacrée au corps d’Élisabeth de Valois, Sylvène Édouard82
parle de sources
contemporaines qui mentionneraient une prise de poids après le mariage d’Élisabeth.
Pourtant, comme le remarque l’historienne, cette prise de poids n’est absolument pas visible
sur les portraits espagnols de la reine. Dans ceux-ci, la physionomie de la reine se situe dans
une suite logique des portraits de son enfance. Pourtant, si l’on s’attarde sur les portraits
français peints vers 1565-1569, et dont l’identification est incertaine (fig. 14 et 15), on
remarque cette prise de poids, le visage est redevenu rond, estompant ainsi les traits
personnels caractéristiques de la princesse. Serait-ce pour cela qu’on ne la reconnaît pas ?
Parce que les portraits étatiques de la couronne espagnole embellissent Élisabeth,
l’identification des portraits français83
(qui sont plus ressemblants) est remise en question.
C’est une possibilité, mais elle est loin d’être certifiée.
82
S. Édouard, op. cit. note 60.
83
Alexandra Zvereva parle pour les portraits français de la « formule Clouet » de portrait de cour plutôt que de
portrait d’État. On peut peut-être utiliser la même distinction pour différencier les portraits espagnols et les
portraits français d’Élisabeth de Valois après son couronnement en Reine d’Espagne. Les portraits espagnols
seraient alors des portraits d’État qui ont pour fonction de promouvoir la couronne espagnole, la famille de
Habsbourg et évidemment le roi, Philippe II (nous verrons tout cela dans notre seconde partie). Tandis que les
40
L’identification permise par la « formule Clouet » est une identité qui joue plus sur le
terrain de la reconnaissance de l’appartenance à un groupe social que sur la reconnaissance
individuelle d’un sujet. Nous entendons, par là, que le simple fait d’être représenté suivant les
caractéristiques de cette formule suffit à montrer son appartenance à la cour du roi84
. Ajoutons
à ceci, qu’en leur qualité d’enfants, seuls les princes et les princesses ont droit à cet avantage.
Ce qui veut dire qu’au XVIe
siècle, un simple portrait dessiné d’un enfant est
systématiquement entendu par son spectateur comme la représentation codifiée d’un enfant du
couple royal. Cette base posée, il est bien plus facile de comprendre la marge de liberté qu’ont
les artistes pour l’évolution de la représentation. A vrai dire, le terme liberté est incorrect, car,
certes, si c’est le peintre qui tient le crayon et qui décide de tracer un trait ici ou là, il se doit
de respecter les exigences de ses commanditaires85
. La marge des artistes ne se situe, en fait,
que dans leur manière de portraiturer au mieux le modèle, c’est-à-dire d’être au plus près de
sa morphologie, de sa physionomie, de son expression. Ceci permet de reconnaître le talent de
l’artiste, et d’ailleurs c’est ceci qui intéresse tout particulièrement les Clouet : montrer la
modification de la physionomie en étant au plus près d’éléments concrets tout en jouant avec
leur formule, même si celle-ci semble pourtant au premier abord si constante et
inchangeable86
.
La fonction des portraits
Commençons par rappeler les principales fonctions du portrait : mimétique, présence,
bulletin de santé, ambassadeur, légitimation, propagande… Dans sa Théorie du portrait, de la
portraits français seraient à ranger dans la catégorie des portraits de cour, c’est-à-dire des portraits respectant les
normes de la société courtisane française. A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 62.
84
J. Adhémar, Les Clouet et la cour des rois français, de François 1er
à Henri VI, Paris, 1970.
85
Selon A. Zvereva, Catherine de Médicis, par exemple, refuse d’employer un étranger pour portraiturer ses
enfants, car un étranger ne pourrait respecter parfaitement la « formule Clouet » (A. Zvereva, op. cit. note 28,
p. 107). Ceci montre à quel point, l’artiste se doit de respecter cette formule, et justement de ne prendre que peu
de libertés, voire aucune.
86
É. Jollet, op. cit. note 8, dans l’introduction de son ouvrage.
41
Renaissance aux Lumières87
, Édouard Pommier nous fait part de ce qu’il appelle les
« pouvoirs du portrait », ceux-ci rejoignent plus au moins les fonctions ou les enrichissent :
« l’identification », « la connaissance », « l’illusion », « l’exemplarité » ou encore
« l’évocation ». Les portraits français d’Élisabeth répondent à plusieurs de ces fonctions,
prenons-les les unes après les autres.
La fonction première du portrait, depuis l’Antiquité, est l’exigence de la vérité. « Les
commanditaires [jugent] le portrait (…) selon la ressemblance avec le modèle »88
, c’est
d’ailleurs ce que cherche à montrer Édouard Pommier en démontrant que la réception du
portrait est indiscutablement liée à la conception ancienne de la peinture comme imitation de
la nature89
. Le portrait représente une personne, il doit nous la rappeler et donc reprendre
méthodiquement tous ses traits personnels. Dans son livre Le portrait du roi, Louis Marin
insiste sur « la ressemblance effective ou supposée du portrait de César et de César »90
qui
permet le rapport visible entre l’image et le portraituré. Nous venons de voir, dans le chapitre
précédent, que nombre des portraits d’Élisabeth remplissent parfaitement cette mission. Les
portraits qui ne la remplissent pas totalement sont, de ce fait, ceux dont l’identification est
incertaine (et il s’agit évidemment de la principale cause de cette incertitude).
Le portrait permet également de rendre présente une personne absente. C’est ce que
prône Alberti dans son traité De la peinture, où il insiste largement sur la valeur mémoriale du
portait. Cette valeur est très présente dans les portraits d’Élisabeth de Valois et de tous ses
frères et sœurs. Ils sont envoyés à la cour royale pour être reproduits « à l’huile ou en
miniature [et] orn[er] les palais royaux »91
. Les princes et princesses françaises sont
rapidement envoyés à la Maison des Enfants, comme le montre les lettres de Catherine de
Médicis. Dans une lettre à Monsieur de Humyères, elle écrit le 27 mars 1548, à propos de sa
87
É. Pommier, Théorie du portrait. De la Renaissance aux Lumières, Paris, 1998.
88
A. Zvereva, op. cit. note 13.
89
Pendant longtemps, on garda en mémoire la célèbre tradition antique de Zeuxis et des femmes de Crotone.
90
L. Marin, op. cit. note 30, p. 17.
91
A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106.
42
fille Claude (née le 12 novembre 1547, à Fontainebleau) « je pense que, de ceste heure, ma
fille sera arrivée là, je vous prie me faire savoir comment elle se portera là, et le plus souvent
que vous pourrez de leurs nouvelles » 92
. Les nombreux portraits que Catherine de Médicis
demande, et que Monsieur de Humyères lui envoie, ont comme fonction de maintenir le lien
affectif93
. Par leur portrait, les enfants sont présents à la cour de Fontainebleau, avec leurs
parents. Les enfants grandissant rapidement et, pour que leurs portraits au château royal leur
ressemblent, ils doivent être refaits régulièrement.
Ce renouvellement et la demande perpétuelle de la reine d’avoir toujours de nouveaux
portraits de ses enfants correspondent également à une autre fonction. Le « pourtraict »
dessiné de l’époque est également un bulletin de santé. On connaît l’importance de la
correspondance épistolaire. Les innombrables lettres de Catherine de Médicis et les portraits
participent à ce vaste système d’échanges d’informations. Ainsi comme le dit Étienne
Moreau-Nélaton, la représentation des enfants royaux devient « plus un procès verbal fidèle
[de leur santé] qu’une œuvre plaisante »94
. On ne cherche pas en premier lieu à faire un beau
portrait95
mais à rendre parfaitement compte de l’aspect physique et moral de l’enfant (lettre
de Henri II à Monsieur d’Humyères : « A ce que jai veu par leurs pourtraictures mes enfans
sont en très-bon estat, dieu mercy »96
). Dans son étude consacrée au corps d’Élisabeth de
Valois, Sylvène Édouard97
reprend cette idée : le dessin est un « médium de connaissance
efficace, il ne doit pas se contenter de montrer, il doit aussi produire un discours capable
d’éloquence en révélant par la beauté du corps, la beauté de l’âme ». La question du l’aspect
92
Lettres de Catherine de Médicis, I, p22, BN, fonds fr.3120, f°16.
93
A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106. Alexandra Zvereva écrit à propos du goût de Catherine de Médicis pour
les portraits : « seul un portrait pouvait lui permettre […] de contempler à volonté les chers visages de ses fils et
de ses filles, se consolant ainsi de leur nécessaire absence ».
94
É. Moreau-Nélaton, op. cit. note 56.
95
Pourtant nous l’avons vu dans un chapitre précédent (p. 9), c’est bien le problème de Catherine de Médicis, qui
veut à la fois un beau portrait de ses enfants (et si elle n’est pas satisfaite en redemande un au plus vite, voir sa
lettre daté du 19 août 1549 adressée à Mr. d’Humyères), un portrait ressemblant et un portrait qui rend
fidèlement compte de leur état de santé.
96
BN. ms. fr. 3120 f°72.
97
S. Édouard, op. cit. note 60.
43
psychologique dans le portrait au dessin est attestée par les lettres de Catherine de Médicis.
Elle écrit le 19 août 1549 à Monsieur d’Humyères « deux autres visaiges de mesz ditz deux
filz que vous menvoirez pour les représenter lun devant lautre, afin doster loppinion que jen
ay »98
. Les portraits dessinés d’Élisabeth (et principalement ceux envoyés aux époux royaux)
sont donc une véritable chronique de son évolution, de sa croissance, de son état de santé.
Cependant, comme nous l’avons déjà vu plus haut, nous pouvons émettre quelques objections
quant à la fidélité de ce procès-verbal. Alexandra Zvereva et Nicole Garnier, dans l’exposition
actuelle du musée Condé consacrée aux portraits dessinés de la cour des Valois, écrivent, dans
la légende d’un portrait de François II99
, « pourtant, même si le dessin devait permettre à
Catherine de Médicis de juger de l’état de son fils, Le Mannier était contraint de reprendre les
contours de l’image officielle conçue par Clouet »100
(fig. 1d).
C’est toujours dans un but de correspondance que se situe la visée suivante, il s’agit du
portrait comme ambassadeur. Les représentations des enfants royaux jouent aussi un rôle dans
les tractations diplomatiques telles que les mariages. On peint ou dessine, l’image du prince
ou de la princesse, puis on l’envoie avec une proposition d’union à une cour étrangère101
.
L’image envoyée favorise ainsi le choix des familles et des époux. Nous savons que plusieurs
portraits d’Élisabeth de Valois furent réalisés avec ce but précis, mais nous ne les connaissons
pas. Sylvène Édouard102
, par exemple, nous parle du « portrait ambassadeur » que Henri II fit
exécuté en 1558, par un vénitien nommé Marcantonio Sidonio, mais ce portrait a disparu.
Certains historiens de l’art, tel Martin Hume103
, se demandent si le portrait d’Élisabeth de
Valois peint par François Clouet (fig. 3), n’aurait pas également ce statut d’ambassadeur. Ceci
98
Lettres de Catherine de Médicis, I, p31, BN, fonds fr.3133, f°8.
99
Portrait de François II, Germain Le Mannier, 1552, dessin à la pierre noire, 33,5 x 22,5 cm, Chantilly, musée
Condé (Inv. MN 37).
100
Op. cit. note 62.
101
Lorne Campbell rapporte l’annecte suivante : « en 1551, un portrait d’Édouard VI d’Angleterre avait été
placé, comme celui d’un futur époux éventuel, dans la chambre d’Élisabeth de Valois, alors âgée de cinq ans, et
que la princesse avait dit à sa mère Catherine de Médicis : « J’ai souhaité le bonjour à monseigneur le roi
d’Angleterre » ; c’était ce qu’on lui avait appris à faire ». L. Campbell, op. cit. note 20, p. 220.
102
S. Édouard, op. cit. note 60.
103
M. Hume, Las Reinas de la España antigua, Madrid, n.d.
44
expliquerait pourquoi ce portrait est peint, et non juste dessiné comme les autres, et pourquoi
cette tâche est confiée au maître Clouet. Il aurait alors était peint vers fin 1558 - début 1559 et
aurait été envoyé à la même période en Espagne. Élisabeth fut d’abord promise à Don Carlos
(fils de Philippe II), il est possible qu’il y ait alors eu deux portraits envoyés. Le second serait
celui de Clouet. Élisabeth est richement vêtue et paraît être plus âgée que dans le portrait
dessiné de la même année (fig. 2), serait-ce parce qu’il s’adresse à un possible futur époux
beaucoup plus âgé qu’elle ?
Les portraits du XVIe
siècle ont aussi une fonction de légitimation, c’est-à-dire de
montrer la ressemblance du modèle avec ses ancêtres. Édouard Pommier parle du portrait
comme un instrument pour l’édification et la justification d’une dynastie, en s’appuyant, bien
sûr, sur les grandes galeries de portraits familiales104
. Cette visée légitimatrice semble assez
peu présente dans les portraits enfants d’Élisabeth, cependant Louise Roblot-Delondre note
des traits physiques comme étant des indices de la race française de la souche des Valois
(« son masque court et rond, son front encadré de cheveux légers et frisés, ses yeux aux
regards un peu placides, son nez fort du bout et légèrement relevé, aux fortes narines, ses
lèvres minces et la jolie coquille des oreilles »105
). Il existe des ressemblances incontestables,
mais ce n’est pour autant que nous pouvons conclure à une fonction de légitimation.
Enfin, les fonctions de propagande ou de traces pour la postérité semblent également ne
pas trouver leur place dans les portraits d’Élisabeth enfant (il en sera autrement pour ses
portraits en tant que reine d’Espagne).
104
A. Zvereva voit dans la collection de Catherine de Médicis une forme nouvelle de galerie de portraits, elle
s’étend bien au-delà que de la simple galerie familiale (d’où elle tire son origine, avec la collection de portraits
faîte pas Louise de Savoie, mère de François 1er
, et transmise par celui-ci à la femme d’Henri II), mais garde son
esprit et ses composants.
105
L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56, pp. 115-121.
45
Portraits connus mais perdus ou matériellement inconnus
Pour concevoir entièrement l’évolution et la croissance d’Élisabeth de Valois, il nous
manque bien des portraits. On connaît de nombreuses lettres de Catherine de Médicis
quémandant des dessins de ses enfants. Nous n’avons pas la preuve que ses souhaits furent
exaucés, mais des réponses nous le laissent penser (« jay receu les painctures de mes enffans
que vous mavez faict faire »106
). Il est peu probable qu’il n’y ait eu que cinq portraits
d’Élisabeth durant les treize premières années de sa vie. Les demandes de la reine
correspondent aux années 1548, 1549, 1550, 1552, Élisabeth n’arrive à la cour du roi de
France qu’en 1554, il est donc possible qu’il ait existé des portraits également pour les années
1551 et 1553, voire 1554. Sylvène Édouard107
pense qu’il y aurait eu au moins un portrait par
an, pendant les années qu’Élisabeth passe à la Maison des Enfants de Saint Germain en Laye.
Le papier sur lequel sont dessinés les portraits est un support fragile. S’il n’a pas été conservé
en lieu sûr, cette matière s’abîme facilement et peut aller jusqu’à se décomposer en peu de
temps. Il est donc possible que des dessins aient à jamais disparu. De plus, sans description
iconographique des portraits qui semblent avoir existé, il est très difficile de les retrouver et
de proposer une bonne identification.
De la même façon, il est étrange, même si c’est possible, qu’il n’existe qu’un portrait
peint d’Élisabeth de Valois. Augustin Gonzalez de Amazúa108
note la possible existence de
trois autres peintures. La première apparaît dans l’inventaire de Doña Juana, il s’agirait d’une
miniature sur bois, représentant Élisabeth de Valois enfant. Pour la datation, l’historien
espagnol propose une fourchette allant de 1550 à 1555. Mais on ne connaît rien de la
composition de l’œuvre ni comment le modèle est représenté. Il est possible qu’il s’agisse
d’une autre copie du portrait d’Élisabeth daté de 1552 (fig. 1) à l’image de la miniature sur
vélin, dont les dimensions sont semblables. La date correspondrait également.
106
Lettres de Catherine de Médicis, I, p25, BN, fonds fr.3178, f°201
107
S. Édouard, op. cit. note 60.
108
A. Gonzalez de Amazúa, op. cit. note 2, vol. III, p. 502.
46
La seconde peinture serait l’œuvre de Corneille de Lyon, ce qui ne paraît pas
improbable au vu de l’importance de ce peintre à l’époque, et serait une peinture à la fresque
faite « en una sala de dicha ciudad »109
. Il s’agirait d’un portrait de famille regroupant la reine
Catherine de Médicis et ses filles. Augustin Gonzalez de Amazúa cite Brantôme et date cette
fresque de 1555-1557, mais rien ne l’atteste. La reine pourrait alors être représentée, suivant
la date de la représentation avec Élisabeth (1546), Claude (1547), Marguerite (1553), et peut-
être Victoire et Jeanne (1556), deux jumelles qui n’atteignirent pas l’âge d’un an. Nous
n’avons pas plus d’indications. On ne sait pas qui est exactement présent ou quelle forme
prend cette composition, aucun détail ne nous permet d’imaginer cette œuvre.
La dernière peinture ayant disparu reprend un peu la même iconographie que la
précédente, il s’agit également d’un portrait de famille, mais cette fois-ci sur toile. Catherine
de Médicis est représentée avec quatre de ses enfants (trois fils et une fille). Elle tient dans sa
main le portrait de Henri II, son mari, tandis que la fillette tient le portrait de Don Carlos.
Cette toile, qui fut sans doute envoyée par la France à la cour espagnole (on trouve sa trace
dans l’inventaire espagnol de 1610), pose question quant à l’identification de la jeune enfant.
Il pourrait s’agir d’Élisabeth comme de sa sœur Marguerite. Pour toutes les deux, il y a eu des
tractations diplomatiques afin de les marier avec le prince d’Espagne. Afin de ne plus douter
de l’identification, il faut connaître la date exacte de réalisation, car c’est au début de l’année
1559 que Élisabeth, d’abord promise à Don Carlos, fut promise puis mariée au roi d’Espagne,
Philippe II. Mais Augustin Gonzalez de Amazúa ne note que la date de 1559 sans autre
précision et de plus avec un point d’interrogation. On ne peut donc savoir à ce jour s’il agit de
l’une ou de l’autre des filles de Catherine de Médicis.
109
« Dans une salle de la ville dite » (nous traduisons), Augustin Gonzalez de Amazúa parlant déjà Lyon dans la
phrase.
47
Les dessins du XVIe
siècle peuvent donc être vus comme une chronique, comme la
biographie d’une personne. Malheureusement, il nous manque un certain nombre de portraits,
et nous ne connaissons pas leur iconographie, ce qui nous empêche de suivre année après
année le développement d’Élisabeth de Valois. Mais nous pouvons tout de même voir son
évolution physique réelle et celle plus abstraite de la manière dont elle est représentée.
Les portraits de la fille aînée de Catherine de Médicis et de Henri II reprennent tous la
formule de base du portrait au XVIe
siècle, la « formule Clouet ». On a vu que cette
iconographie connaît une très grande régularité, parfois rompue par de petites modifications.
Une évolution dans la typologie du portrait dessiné est tout de même présente, mais celle-ci se
déroule sur tous les portraits et non seulement sur ceux d’Élisabeth de Valois. Nous voulons
dire par-là que si certains éléments nouveaux apparaissent dans les portraits de cette
princesse, c’est qu’ils s’inscrivent dans une mode contemporaine, ils ne sont pas le propre des
représentations de la future reine espagnole. Ce n’est pas les portraits d’Élisabeth qui
modifient le modèle, mais le goût et la formule qui se transforment tout doucement et font
ainsi évoluer la représentation de la princesse française. Dans la première partie de ses
portraits (avant son mariage), Élisabeth a donc plutôt un rôle passif, elle suit la mode sans y
apporter une touche très personnelle. Voyons, à présent, si elle garde cette position lorsqu’elle
quitte la France et devient reine d’Espagne, où la mode et le modèle de représentation ne sont
pas les mêmes.
48
49
II/ Le mariage avec Philippe II en 1559 : l’apparition d’une nouvelle image tendant vers
la création d’une effigie royale et son hispanisation
Un des faits les plus notables de la vie d’Élisabeth de Valois, comme le dit Maria José
Rodriguez Salgado dans son article110
, fut son mariage avec le roi d’Espagne, Philippe II. Ce
mariage se décida en peu de temps. Il y avait eu des tractations pour marier la princesse
française avec des enfants issus des familles italiennes ou anglaises (particulièrement avec
Édouard IV). Mais, finalement, ce furent les échanges avec la couronne espagnole qui
aboutirent. Élisabeth avait d’abord été promise au prince Don Carlos, fils de Philippe II qui
avait le même âge qu’elle. Mais, en 1558, la mort de Marie Tudor (deuxième femme de
Philippe II) provoqua un bouleversement des évènements et Élisabeth fut mariée, en 1559, au
roi, scellant ainsi la paix entre la France et le royaume hispanique.
Ce mariage est un fait marquant dans l’évolution de la représentation d’Élisabeth de
Valois111
. Premièrement son statut change, elle n’est plus seulement une princesse, mais
devient une reine, avec tout le protocole que cela entraîne. Deuxièmement, elle ne doit plus
seulement respecter l’étiquette française, mais également celle espagnole. Elle doit combiner
deux exigences sans délaisser l’une ou l’autre. En effet, bien qu’Élisabeth parte vivre en
Espagne, elle n’en reste pas moins une princesse française et garde ce titre tout au long de sa
vie. Il est donc de son devoir d’honorer la bienséance française.
Nous allons étudier cette double étiquette et voir comment Elizabeth de Valois devient
Isabel de la Paz112
. Comment ses représentations mêlent-elles le protocole de sa famille de
110
M.-J. Rodriguez Salgado, « "Una perfecta princessa". Casa y vida de la reina Isabel de Valois (1559-1568) »,
première partie, dans Cuadernos de Historia moderna, Anejo II, 2003, p. 39.
111
Notons qu’à la même date des changements ont lieu dans le modèle du portrait féminin français. En effet, le
roi Henri II meurt lors de la célébration du mariage d’Élisabeth et de Philippe II, Catherine de Médicis devient
alors veuve et reine mère. Elle s’imposera un deuil en noir (avant elle, la couleur du deuil est le blanc) et
demandera de nouveaux portraits changeant ainsi à la fois son image et par répercussion l’image de la femme
française.
112
C’est ainsi qu’on la nomme en Espagne, Isabel étant une traduction du prénom Élisabeth et la préposition
qualificative « de la Paz » pour montrer que, grâce à elle, la paix entre la France et l’Espagne est entérinée.
50
sang à celui de sa famille d’adoption ? Comment les portraits évoluent-ils vers une nouvelle
image ? Enfin, comment l’effigie française s’hispanise pour devenir un symbole de l’alliance
entre les deux pays ? Nous tenterons de comprendre cette fusion de deux écoles en étudiant
comment est représenté le corps d’Élisabeth de Valois à partir de 1559. Puis, nous nous
concentrerons sur la conception globale des portraits et leur théorie et, enfin, sur l’évolution
des motivations et des missions de ces représentations.
A. Une hispanisation dans la représentation physique du modèle
L’apport de la mode espagnole dans la représentation du corps de la princesse française
apparaît à plusieurs niveaux. Tout d’abord, on remarquera une transformation dans ses
vêtements, composés d’éléments d’inspiration française et d’autres hispanisants. Des
modifications seront également visibles dans la manière d’être de la reine, c’est-à-dire dans la
façon dont elle est positionnée, coiffée ou encore dans l’expression de son visage. Enfin, nous
nous intéresserons au cadrage et à la technique des œuvres qui présentent une toute autre
vision du corps de la princesse devenue reine.
Évolution du costume
Au XVIe
siècle, l’habit est un signe de reconnaissance sociale. Érasme pensait,
d’ailleurs, que le vêtement était « le corps du corps », il l’écrit ainsi dans le Traité de Civilité
puérile113
. De plus, « les tableaux définissent la majesté du corps royal autant par sa prestance
113
S. Édouard, op. cit. note 60, p. 102.
51
que par ses parures »114
. L’étude du costume dans les portraits est donc un élément très
important pour comprendre le message de l’œuvre.
Le premier portrait que nous ayons d’Élisabeth, en tant que reine d’Espagne et peint par
un espagnol, est celui attribué à Alonso Sánchez Coello (fig. 4). Dans cette représentation, la
reine est habillée d’une robe à la française. Elle vient tout juste d’arriver en Espagne et a
encore des vêtements ramenés de France. On voit, dans ce costume, de nombreuses
similitudes avec ceux que la princesse porte avant son départ. On retrouve le col haut monté,
la gorgerette carré avec une ligne en arceau, les manches serrées mais légèrement bouffantes
aux épaules ou encore la forme en V du buste. Par ailleurs, cette couleur ne correspond
absolument pas à la mode espagnole. On peut la rapprocher de la teinte de la seconde robe de
Catherine de Médicis dans le seul portrait en pied qu’on lui connaît (fig. 18). François
Boucher, dans son étude du costume au XVIe
siècle, écrit : « le caractère dominant du
costume espagnol, c’est sa sobriété, son austère élégance. Si riches qu’ils soient, les tissus
restent dans les coloris sombres »115
. La première représentation d’Élisabeth de Valois en
Espagne, en tant que reine, la montre ainsi , non comme une héritière de la mode espagnole,
mais y apportant de nouveaux éléments venus de France.
Cet apport du goût français est visible également dans le portrait maintes fois copié et
dont l’original semble être de la main d’Anthonis Mor (fig 5, 5a, 5b et 5c). Cette couleur
rouge carmin si profonde (et extrêmement vive dans les copies en pied) n’est en aucun cas
espagnole, il faut donc, une fois encore, la rapprocher d’une mode française116
. Mais la ligne
de la robe semble, elle, très espagnole. Cette coupe particulière est une robe de grand apparat,
114
S. Édouard, loc. cit.
115
F. Boucher, op. cit. note 70, p. 226.
116
Maria Kusche s’appuie sur la couleur de ce tissu pour proposer une attribution et surtout une datation de ce
tableau. Pour elle, il est évident que cette robe, par sa couleur, ne peut venir que de France, bien qu’elle soit déjà
adaptée à la mode espagnole. Cependant la reine est en plein période de croissance quand elle arrive en Espagne,
ses vêtements qui viennent de France vont donc vite devenir trop petits. Sur cette hypothèse, Maria Kusche
propose une datation très proche de l’arrivée de la reine dans la péninsule ibérique. M. Kusche, Retratos y
retratadores Alonso Sánchez Coello y sus competidores Sofonisba Anguissola, Jorge de la Rúa y Rolán Mays,
Madrid, 2003.
52
qui correspond parfaitement au costume espagnol. François Boucher continue sa description
des habits de la péninsule ibérique en disant « le corps [de la robe] impose au buste une forme
quasi géométrique et allonge la taille en comprimant la poitrine jusqu’à l’effacement »117
. La
robe d’Élisabeth correspond à cette description, on ne voit plus les formes de la poitrine. Cette
étude est reprise par Carmen Bernis118
, spécialiste du costume espagnol, qui déclare que le
style hispanique « tend à cacher les formes et enfermer le corps féminin dans une gaine »119
.
François Boucher ajoute : « la silhouette figure ainsi un cône de la tête au sol »120
. Si l’on
regarde les copies de ce portrait où Élisabeth de Valois est représentée en pied (fig. 5b et 5c),
cette forme apparaît clairement. La robe portée par la reine dans ce portrait se nomme
« saya » (= vêtement entier où le buste et la jupe forme un tout, à partir de la moitié du XVIe
siècle, elle est faite de deux parties du même tissu121
). Remarquons l’originalité des larges
manches qui sont comme tailladées. Des tailles, telles des coups de ciseaux, que l’on voit
également sur la jupe ou le buste de la robe. Ces coupures semblent typiquement hispaniques.
Dans l’exposition consacrée aux portraits dessinés des Clouet au musée Condé122
, on note à
plusieurs reprises des références à ce genre de robe : « Les Français furent surpris et intrigués
par [les robes des Espagnoles] aux manches tailladées » ou encore dans le commentaire d’un
portrait de Léonore de Sapata : « vêtue à l’espagnole, robe à manches tailladées et fausses
manches fendues »123
. Quant à Carmen Bernis, elle fait référence dans son ouvrage
Indumentaria española en tiempo de Carlos V à ce type de manche déclarant : « [las mangas]
se repiten en retratos del reinado de Felipe II »124
. Par contre, par son ouverture, le col
117
F. Boucher, op. cit. note 70, p. 227.
118
C. Bernis, « La moda en la España de Felipe II a través del retrato de corte », dans Alonso Sánchez Coello y el
Retrato en la corte de Felipe II, juin-juilliet 1990, Madrid.
119
(nous traduisons).
120
F. Boucher, op. cit. note 70, p. 227.
121
C. Bernis, op. cit. note 118.
122
Op. cit. note 62.
123
Texte explicatif du portrait de Léonore de Sapata, Jean Clouet, 1531, dessin à la pierre noire et sanguine, 31,1
x 21,7 cm, Chantilly, musée Condé (Inv. MN 172).
124
« [Les manches] se répètent dans des portraits du règne de Philippe II » (nous traduisons), C. Bernis,
Indumentaria española en tiempo de Carlos V., Madrid, 1962.
53
correspond encore à une tradition française, mais il monte très haut, tels les cols espagnols.
On peut conclure que ce vêtement est espagnol, mais avec des notes françaises assez
présentes.
Le portrait d’Élisabeth de Valois conservé et exposé au Prado (fig. 6) est la
représentation la plus hispanique de la reine. Le costume qu’elle porte est typiquement
espagnol et, cette fois-ci, tant dans la forme que dans les couleurs utilisées. On retrouve les
« fausses manches fendues » au-dessus des manches du « jubón »125
(dont le motif du tissu est
dans le même esprit que celui des portraits précédents). Le fait que les manches soient
pendantes et aillent presque jusqu’à toucher le sol est aussi un élément de « tradition purement
espagnole »126
. La forme conique du vêtement, et donc du corps, suit également cette mode.
Ensuite, le col est complètement fermé et monte très haut « couvrant totalement la nuque »127
,
ce qui correspond, une fois de plus, au goût espagnol. Cependant, justement dans ce col, on
peut remarquer une petite touche française : les boucles de fil d’or qui forment un liseré doré
cousu sur les petites pointes blanches. C’est un détail qu’Élisabeth de Valois apporte de
France et introduit dans la mode espagnole. On retrouve globalement ce même type de robe
dans le portrait de Diane d'Andoins dite "Corisande", comtesse de Guiche, et sa fille (fig. 6d),
le costume porté par l’enfant reprend la même coupe, mais les couleurs diffèrent. C’est
également le même vêtement que l’on voit dans le portrait d’Anne d’Autriche, reine
d’Espagne à la suite de la princesse française (fig. 5f). Le costume est semblable au niveau
des couleurs et de la coupe, ce modèle est donc toujours suivi une dizaine d’années plus tard.
Les deux portraits datant respectivement de 1561 et 1570 (fig. 7 et 8) présentent des
éléments déjà cités. La peinture de Juan Pantoja de la Cruz, selon Sofonisba Anguissola,
montre la reine avec un vêtement austère en velours noir, qui suit typiquement la mode
125
C. Bernis, op. cit. note 118, « justaucorps » (nous traduisons).
126
F. Boucher, op. cit. note 70.
127
F. Boucher, loc. cit.
54
espagnole de l'époque. Le portrait de Alonso Sánchez Coello reprend, lui, les notions déjà
évoquées dans le portrait daté de 1560.
Pour terminer cette étude du costume dans les représentations d’Élisabeth de Valois
datant d’après son mariage avec Philippe II, il nous faut analyser celui porté par la reine dans
la miniature du Livre d’Heures de Catherine de Médicis (fig. 9). On ne voit pas très bien la
forme de celui-ci, mais il apparaît clairement que le col suit la mode espagnole. Le tissu est lui
clairement français, même si on peut douter de sa véritable existence, le fond bleu avec des
lys dorés est forcément une référence à l’emblème de la couronne française. Cette
représentation exprime donc explicitement le message suivant : Élisabeth de Valois est une
princesse française (motif du tissu et présence dans ce Livre d’Heures) devenu reine
d’Espagne (forme de son costume, par ce qu’il est possible de distinguer et le fait qu’elle soit
représentée couronnée derrière Philippe II).
En étudiant les portraits d’Élisabeth de Valois, nous comprenons comment la reine
conjugue petit à petit les modes française et espagnole. Il s’agit sans doute, la plupart du
temps, d’une représentation fidèle de l’habit de la reine. Mais c’est aussi une volonté de
l’artiste (ou du commanditaire) de montrer les deux maisons de la reine espagnole, volonté
qui apparaît clairement dans le Livre d’Heures de Catherine de Médicis ou dans la sculpture
présente sur le tombeau de Philippe II (fig. 11) où Élisabeth est couverte d’une cape portant
des drapeaux ou des emblèmes (entre autres les lys d’or sur fond bleu). Louise Roblot-
Delondre déclare qu’à son arrivée à la cour d’Espagne, Élisabeth de Valois « impose des
robes amples et les grandes doubles manches formant le manteau de cour. Avec elle, les
vêtements sombres sont remplacés par des satins clairs brodés et surchargés de perles et de
pierres précieuses ; c’est un éblouissement »128
. Ce bouleversement est peut-être un peu
128
L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56.
55
exagéré mais ceci montre le réel impact qu’Élisabeth de Valois a eu sur le costume espagnol à
son arrivée.
Évolution de l’expression et de la position
L’expression et la position peuvent paraître des détails. Mais c’est justement par l’étude
de ceux-ci qu’on voit comment, petit à petit, les représentations de la reine s’hispanisent. En
effet, rien ne se passe brusquement et tout n’est que subtilités. Il convient alors de mettre au
jour les changements que nous montrent les portraits et comment le code des premières
représentations françaises d’Élisabeth évolue pour arriver à des portraits clairement espagnols.
Comment distinguer si, dans un portrait, la reine est représentée plus comme une princesse
française ou plus comme une souveraine espagnole ? Et enfin, qu’apporte Élisabeth ou que
reprend-elle à la représentation des reines de la famille de Habsbourg dans l’expression ou
dans la position ?
Nous avons vu quelle expression était utilisée par les peintres français dans la
représentation d’Élisabeth de Valois enfant129
. Voyons, à présent, celle couramment utilisée
par les peintres de cour en Espagne. D’après Maria Kusche130
, dans le portrait courtisan
espagnol, « la expressión del rostro es neutral, valedera para cualquier circuntancia, siempre
desligada del presente »131
. C’est-à-dire qu’on retrouve la même expression qu’en France, une
neutralité, une impassibilité qui permet au modèle de ne pas montrer ses faiblesses, et ainsi de
ne pas donner la possibilité aux spectateurs de faire des critiques sur une personne par son
portrait. Il s’agit d’ailleurs d’un précepte qui est véhiculé dans toutes les cours d’Europe. On
129
Expression qui correspond parfaitement à la « formule Clouet » et qui est reprise par tous les artistes pour
tous les modèles, enfant ou adulte.
130
Maria Kusche est une des spécialistes des portraits à la cour espagnol au XVIe
siècle. Elle a principalement
étudié les portraitistes de la cour de Philippe II, et surtout Sofonisba Anguissola. Les conclusions qu’elles tirent
de ses recherches sont controversées, plusieurs historiens se trouvent en désaccord avec elle quant à des dates ou
des suppositions sur la fonction de la représentation de tel objet dans un portrait.
131
« L’expression du visage est neutre, valable en toutes circonstances, toujours détacher du présent » (nous
traduisons). M. Kusche, op. cit. note 116, p27.
56
le voit bien dans les différents portraits de reines ou princesses étrangères de notre catalogue
(fig. 17 à 23). Suivant la même idée, Juan Miguel Serrera déclare « l’image que les portraits
renvoient doit refléter le calme et l’impassibilité qui caractérisent les membres de la famille
royale, ils ne se font portraiturer que quand ils considèrent que leurs traits sont adéquats avec
l’image qu’ils veulent renvoyer »132
. En Espagne, il est donc inenvisageable de se montrer
infirme133
. Il s’agit toujours de portraits étatiques qui doivent montrer la force du royaume, en
aucun cas une quelconque faiblesse. Par exemple, les lettres de l’ambassadeur de France en
Espagne, Mr. Fourquevaux et des dames de Élisabeth de Valois, adressées à Catherine de
Médicis134
, disent qu’il faut attendre que la reine soit moins fatiguée, ou qu’elle soit remise de
telle maladie, afin que le peintre achève son portrait135
. Ceci n’empêche pas que
l’individualisation du portrait soit très importante. Francisco Pacheco136
écrit « le portrait [doit
être] très ressemblant à l’original, c’est son but principal et cela doit satisfaire le modèle »137
.
Dans les portraits d’Élisabeth, on retrouve alors la grâce de son visage, cet air simple et bon
dont on a déjà parlé dans les représentations françaises et que les Espagnols apprécient tant
(fig. 6). Dans son étude sur le portrait des infantes, Louise Roblot-Delondre s’attache à étudier
l’expression d’Élisabeth. Elle déclare que, dès les premiers portraits de 1559, « la jeune
souveraine affirmait son pouvoir par sa bonté »138
. Maria Kusche, elle, parle d’une « enfant
132
(nous traduisons). J.M. Serrera, « Alonso Sánchez Coello y la mecanica del retrato de corte », dans op. cit.
note 118.
133
Voir par exemple le portrait de Don Carlo peint à la fin des années 1550 par Alonso Sánchez Coello (fig. 27)
où le vêtement et la pose du modèle permettent de cacher les malformations physiques avec lesquelles le prince
est né.
134
La reine de France demande sans cesse des portraits de sa fille pour savoir comment elle se porte et maintenir,
par sa représentation, un lien affectif avec Élisabeth de Valois.
135
Ceci montre un tout autre point de vue sur le portrait que celui de Catherine de Médicis. Rappelons que la
reine française souhaitait avoir des portraits de ces enfants en partie pour savoir comment ils se portaient, un
portrait comme un bulletin de santé. Le portrait de 1561 (fig. 6) fut, par exemple, réalisé « dès que les marques
de la varicelle furent effacées », M. Kusche, op. cit. note 116.
136
Francisco Pacheco est un peintre espagnol du siècle d’or, il fut le maître de Diego Vélasquez. Il marqua
l’histoire de la théorie de l’art espagnol par la publication d’un traité intitulé Arte de la pintura, su antigüedad y
su grandeza.
137
F. Pacheco, L'art de la peinture, Paris, 2010.
138
L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56.
57
moche et capricieuse139
[qui] a le plaisir d’un être de luxe, une malicieuse allégresse qui
transparaît dans ses yeux bridés »140
. Bref, la représentation de l’expression est plutôt un
élément que la reine apporte de France. Plus celle-ci semble correspondre à un état d’esprit
particulier (c’est-à-dire qui n’est pas neutre), plus elle montre l’origine de la princesse.
Cependant chacun des portraitistes la représente avec quelques différences, selon sa propre
manière de faire141
. Il s’agissait alors, pour Élisabeth, comme pour ses portraitistes, de
« mêl[er] la douceur française » à la gravité espagnole142
.
La position est un élément capital dans les portraits espagnols. Grâce à son étude, nous
allons voir comment Élisabeth se rapproche de plus en plus, au fil du temps, d’une position
typiquement habsbourgeoise. Nous n’avons pas de portrait qui montre Élisabeth en pied avant
qu’elle ne devienne reine d’Espagne, pour autant nous pouvons voir une évolution dans les
portraits espagnols. Sylvène Édouard parle d’une hispanisation de la reine par un
« apprentissage de nouvelles manières »143
, celle-ci est-elle visible dans des attitudes
caractéristiques ? Bien sûr, elle garde le maintien qu’on lui a inculqué à la cour de France et
que toutes princesses ou reine doivent avoir, mais dans son premier portrait espagnol (fig. 4),
elle semble ne pas être à l’aise. Ses bras ne sont pas clairement posés, comme le sont pourtant
la plupart du temps les mains des modèles appartenant à la famille habsbourgeoise (fig. 19,
21, 23, 24 ou 26)144
. C’est également le cas dans la gravure qui représente, maladroitement,
Élisabeth (fig. 16) où son bras droit est posé sur un fauteuil, mais sa main n’a pas
139
Éléments propres au jugement de Maria Kusche et qui ne reflètent pas les propos des contemporains du
d’Élisabeth de Valois, même si on ne la décrit pas comme une reine d’une grande beauté, mais loin d’eux l’idée
de dire que la reine est laide. Luis Cabrera de Cordoba, historiographe de Philippe II, la décrit par exemple
comme étant « petite de corps, bien formée, la taille délicate, le visage rond, le cheveu noir et les yeux joyeux et
bons ».
140
(nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116.
141
Maria Kusche écrit que Sofonisba Anguissola montre « le visage de la reine avec beauté, allégresse et
sympathie », Alonso Sánchez Coello avec « une certaine tendresse », alors que Juan de la Rua montre un visage
« plus neutre ». Nous traduisons les propos que l’auteur tient dans son ouvrage. M. Kusche, op. cit. note 116.
142
S. Édouard, op. cit. note 60.
143
S. Édouard, loc. cit.
144
Nous voulons montrer par là que même si sa main gauche est clairement occupée à tenir le mouchoir, elle ne
sait pas vraiment que faire de sa main droite qui, tout en étant légèrement posée sur le bord de la fenêtre, semble
tombée.
58
d’occupation et ne sait que faire. Dès le deuxième portrait espagnol (fig. 5)145
, et ceci se voir
encore plus dans les deux suivants (fig. 6 et 7), les mains de la reine sont clairement occupées.
Elle tient un mouchoir, un gant, un portrait… quelque chose qui occupe chacune de ses mains.
De plus, remarquons qu’au fil du temps la posture de la reine se fige. L’asymétrie des bras,
classique dans les portraits de représentation, est réalisée pour obtenir une sensation de
mouvement. Mais, si elle est claire dans les deux tableaux de 1560, la mobilité se raidit
ensuite. La pose reste simple mais s’affermit. Peut-être est-ce une conséquence de la maturité
de la reine ou un moyen de montrer qu’elle s’assagit et d’exposer, par sa prestance, son rôle
de souveraine. En s’appuyant sur une colonne ou sur un fauteuil, elle montre qu’elle s’appuie
sur la famille de son mari ou sur le trône de celui-ci (et donc le sien). Élisabeth prend, petit à
petit, la pose classique des femmes de la cour d’Espagne ou plutôt de la famille des
Habsbourg. Pose qui, mais on y reviendra plus tard, fut sans doute imposée par des peintres
eux-mêmes, tels Titien ou Anthonis Mor. On retrouve cette posture générale, les mains
occupées et la pose très figée, dans le portrait réalisé à la fin des années 1560 (fig. 15).
Les portraits d’Élisabeth doivent, avec son expression et avec sa posture, trouver un
juste milieu entre ce que Sylvène Édouard appelle « l’étiquette française », basée sur la
proximité du modèle et « l’étiquette espagnole » fondée sur une mise à distance du sujet146
.
Évolution de la technique et du cadrage
Les portraits d’Élisabeth de Valois connaissent leur plus grand bouleversement au
niveau de la conception de l’image. Ils passent du statut de représentation courtisane à celui
de portrait étatique. Ce changement se situe principalement dans la façon de montrer la
princesse, tant dans la technique que dans le cadrage.
145
Bien que dans ce portrait, suivant les copies, la main gauche censée être posée sur le buffet semble parfois en
l’air.
146
Sylvène Édouard parle de « publicité de la proximité » et de « publicité de la distance » pour définir les deux
étiquettes, op. cit. note 60.
59
Le portrait de cour espagnol a une conception complètement différente du portrait de
cour français. On a vu comment Étienne Jollet ou Alexandra Zvereva147
percevaient ce genre,
l’un en parlant d’« effigie à la française », l’autre de « portrait aulique » adapté aux
courtisans. Le portrait de cour espagnol est systématiquement un portrait étatique, il est
exclusivement envisagé ainsi. L’importance du message que porte le portrait est donc
indéniable et doit être clairement compréhensible. Les représentations espagnoles rejoignent
donc plus le concept d’effigie traditionnelle tel que le conçoit Étienne Jollet148
. On cherche
l’identification et surtout la représentation sociale de la personne.
Nous avons vu que la technique du portrait dessiné était typiquement française, on ne
trouve, en Espagne, aucune représentation d’Élisabeth de Valois sous la forme d’un dessin
comme œuvre finie. S’il existe des portraits dessinés, il s’agit uniquement de crayons servant
pour l’ébauche d’un portrait peint. Nous connaissons d’ailleurs très peu de dessins de la reine
réalisés alors qu’elle était en Espagne. Il en existe un (fig. 8a) parvenu jusqu’à nous par le
Recueil d’Arras149
. Albert Châtelet a étudié ce dessin150
, avec un autre qui représente Philippe
II qu’on peut considérer comme son pendant au vu des nombreux points communs. Le portrait
dessiné de la reine d’Espagne est très proche d’une peinture exécutée par Alonso Sánchez
Coello en 1570, le dessin est portant daté d’une décennie avant. Dans son étude, A. Châtelet
propose l’hypothèse suivante : Jacques Boucq, auteur du dessin, l’aurait copié dans l’atelier
d’Anthonis Mor151
. Ces deux artistes étant contemporains, cette hypothèse est probable. Par
ailleurs, Anthonis Mor fut le maître d’Alonso Sánchez Coello, il a pu lui aussi avoir « accès à
des études préparatoires [du peintre néerlandais], [des] notes prises sur le vif à partir
147
Voir I/ A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe siècle, premier point intitulé : La
« formule Clouet », pp. 10-15.
148
Rappelons que pour Étienne Jollet, l’effigie traditionnelle est une représentation « dont la seule caractéristique
est de permette l’identification ; dans laquelle tout singularité de l’état psychologique de la personne, toute
spécificité de la pose, toute trace d’intervention de l’artiste sont considérées comme dépourvues de signification
et tendent donc à disparaître », É. Jollet, op. cit. note 8.
149
Recueil de portraits, réalisé (vers 1520 ? – 1573) par Jacques le Boucq, artiste proche de Charles Quint.
150
A. Châtelet, Visages d'antan : le Recueil d'Arras, Lathuile, 2007.
151
Albert Châtelet voit Anthonis Mor comme le premier auteur de ce portrait, les autres ne seraient que des
copies, A. Châtelet, loc. cit.
60
desquelles [le peintre réalisait ses] tableaux »152
, et a très bien pu tirer une peinture de ces
dessins. Cependant, même s’il existe des portraits dessinés, ils n’ont d’autre visée que celle de
rester dans l’atelier de l’artiste pour pouvoir réaliser des œuvres peintes153
. Les portraits
officiels, les portraits étatiques de la reine, les portraits que l’on montre, que l’on envoie dans
les cours étrangères sont systématiquement réalisés en peinture et sur des supports durables
(tels la toile ou le panneau de bois).
Par ailleurs, alors qu’en France on se concentre uniquement sur le visage, en Espagne, le
cadrage va s’ouvrir considérablement. On le voit dès le premier portrait espagnol d’Élisabeth
(fig. 4), celle-ci est représentée en pied. Pourtant, on ne distingue pas la totalité de sa robe, le
cadrage est trop serré. On peut alors y voir une similitude avec le portrait de pied de Catherine
de Médicis154
cadré de la même façon. Il est possible de voir dans le portrait d’Élisabeth une
approche du portrait d’État du XVIe
siècle suivant le goût français, mais avec des touches de
style espagnol. Elle garde la position de sa mère155
et le même cadrage limité qui permet le
rapprochement du modèle avec son spectateur. Mais la posture est beaucoup plus figée (le
regard de face crispe le modèle) et des éléments nouveaux sont apportés pour montrer son
appartenance à la couronne espagnole156
. Au fur et à mesure, le cadrage des images
d’Élisabeth se modifie. La reine est ensuite représentée de trois-quarts (fig. 6 et 8), qui n’est
qu’une autre proposition du portrait étatique espagnol. Pour Maria Kusche, le portrait de
représentation espagnol « siempre es de cuerpo entero o tres cuartos, el personaje se mentiene
en la misma postura de contraposto visible o escondido »157
. Ce concept est assez pratique
152
A. Châtelet, loc. cit.
153
Si ce dessin est parvenu jusqu’à nous dans un cadre différent, c’est qu’il fut recopié et envoyé subrepticement
à l’étranger. Ce n’est en aucun cas un portrait officiel de la reine.
154
On remarquera d’ailleurs d’autres similitudes comme les nuances des couleurs (principalement le saumon) ou
dans la pose du modèle.
155
Précisons qu’il n’est pas certain que le portrait de Catherine de Médicis soit antérieur à celui d’Élisabeth.
Mais quoiqu’il en soit, il reprend la typologie du portrait féminin de pied à la française.
156
Nous verrons plus explicitement cela dans la partir II/ C. Composition des fonctions principales tout en
s’adaptant aux coutumes hispaniques, pp. 67-79.
157
« montre toujours le corps entier ou aux trois-quarts, le personnage se tient dans la même posture de
contrapuesto visible ou caché » (nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116.
61
pour Élisabeth de Valois, car il permet de trouver un juste milieu entre le classique portrait
étatique espagnol et le portrait aulique français, entre la distanciation hispanique et la
proximité française. Mais, dès 1561 et le portrait de Sofonisba Anguissola, la reine utilise
pleinement les principes du portrait de représentation espagnol, sans y adjoindre un goût
français. Par exemple, d’après Carlo Bronne, les duègnes158
disaient « une reine espagnole n’a
pas de pied » 159
. Cette plaisanterie est visible dans tous les portraits d’Élisabeth, ou plutôt
invisible d’ailleurs, car dans tous les portraits debout de la reine, on ne voit pas ses pieds.
La « formule Clouet » n’est pas totalement abandonnée, on peut voir certains de ces
éléments réutilisés dans les portraits d’Élisabeth de Valois. C’est le cas pour les portraits
réalisés après sa mort (fig. 8 et 10). On retrouve le cadrage de la formule, son fond totalement
neutre, la posture du modèle, seule la technique est différente. Pourquoi y a-t-il un tel
revirement de situation ? L’hypothèse la plus probable est celle subtilement avancée par
Maria Kusche160
. Le retour à une image d’Élisabeth de Valois telle qu’elle était représentée en
France n’est possible que parce que la souveraine est morte. Il est possible d’utiliser cette
formule qui montre le modèle si proche du spectateur, car la reine n’est plus de notre monde,
elle ne représente plus, dans le présent, le royaume espagnol. Elle n’est plus une personne
mais est devenue un personnage. La distanciation, que les sujets doivent à une reine
espagnole, est remplacée par une proximité afin de renforcer l’identification à la morale et au
message que la reine véhiculait161
.
Par cette étude du cadrage et de la technique, on voit, encore, comment l’image
d’Élisabeth de Valois est sans cesse contaminée par des éléments français et espagnols. Ce
n’est rarement qu’un seul type de représentation qui est utilisé. Le passage du portrait de cour
158
Les duègnes sont des femmes âgées chargées de surveiller une jeune fille de la noblesse espagnole.
159
C. Bronne, op. cit. note 1.
160
M. Kusche, op. cit. note 116.
161
Un message de paix pour le reine Élisabeth de Valois, rappelons qu’en Espagne elle est appelée Isabel de la
Paz.
62
au portrait étatique est certain, mais l’évolution ne s’arrête pas là. Une fois la reine décédée,
ses images tentent de s’approcher au maximum de l’identité d’Élisabeth de Valois et
s’inspirent alors très fortement des deux formules. On voit ainsi la création d’un nouveau
modèle, telle une effigie franco-espagnole162
.
B. Une hispanisation dans la composition des portraits d’Élisabeth de Valois
Les représentations d’Élisabeth de Valois, nous venons de le voir, montrent la
répercussion de son changement de statut par la manière dont elle est physiquement
représentée. Mais cette hispanisation va plus loin. En arrivant à la cour espagnole, la princesse
française doit aussi composer avec la manière hispanique d’être représentée. C’est-à-dire que
son image, l’image d’Élisabeth de Valois qui sera véhiculée en tant que reine d’Espagne, doit
correspondre à un type de représentation codifiée. Mais quel est ce modèle, comment fait-il
son apparition, sur quelles bases est-il fondé ? On peut également se demander comment les
portraits d’Élisabeth s’inscrivent dans cette formule. Est-ce une inscription sans faille, une
adoption complète du modèle ou plutôt une fusion entre le type du portrait de cour espagnol et
celui français ? L’arrivée d’Élisabeth de Valois en Espagne a-t-elle un impact sur la manière
de représenter les reines et/ou les femmes dans la seconde moitié du XVIe
siècle espagnol ?
La typologie du portrait espagnol inspirée par Titien et par Anthonis Mor
Le portrait de cour espagnol connaît un très grand bouleversement et développement au
début du XVIe
siècle, c’est à cette période que les bases sont jetées et le modèle formé.
L’élaboration de cette typologie a quelque chose de surprenant : ce ne sont que des artistes
162
On développera de manière plus importante ce concept par la suite, voir II/ C. Continuation des fonctions
principales tout en s’adaptant au protocole monarchique, troisième point intitulé : Représentation de la
monarchie espagnole, pp. 76-79.
63
étrangers qui vont composer le portrait de la cour d’Espagne. Mais, sur quoi alors ce canon
fut-il élaboré ? Comment, pourquoi et par qui cette référence est créée ? Quelles sont ses
caractéristiques ? Comment ce modèle va connaître une singularité nationale alors que son
origine n’est qu’étrangère ?
La plupart des auteurs qui cherchent à retracer l’histoire du portrait de représentation en
Espagne remontent au Moyen-Âge. S. Édouard pense qu’il « aurait tiré ses origines dans le
portrait chevaleresque, voire héroïque »163
, Maria Kusche, à la suite de Max Dvorak (1907),
souligne également la continuité avec les portraits médiévaux164
. Mais, cela ne fait aucun
doute, c’est sous Charles Quint que le portrait de représentation connaît son plus grand essor
et devient réellement un portrait d’État. Un des premiers portraits, si ce n’est le premier, qui
marque l’élaboration de la nouvelle formule est celui de Charles Quint réalisé par Titien ou
par Jakob Seisenegger en 1530. La paternité de ce tableau pose encore aujourd’hui de
nombreuses questions, est-ce Titien qui a copié du Seisenegger ou l’inverse165
? Quoiqu’il en
soit, c’est avec ce tableau et à cette date que sont posées les bases du portrait de cour
espagnol. Jonathan Brown montre d’ailleurs comment le portrait espagnol se situe entre le
portrait italien et le portrait germanique. Il voit le portrait italien comme portant sur le
symbolique et le portrait allemand allant plus vers une description. Pour lui, une des
problématiques du portrait espagnol (s’appuyant sur les deux autres) est « comment est-il
possible de faire un portrait d’apparat sans apparat ? » 166
. Les fondements du portrait de
Charles Quint sont : le cadrage qui permet de représenter le modèle de pied (par ailleurs, il
163
S. Édouard, op. cit. note 60.
164
M. Kusche, op. cit. note 116.
165
Nous ne nous attarderons pas sur cette question qui nous éloignerait de notre sujet. Pour avoir plus de
renseignement sur ce débat voir l’article de A. Cloulas, « Charles Quint et le Titien. Les premiers portraits
d’apparat », dans L’information d’Histoire de l’Art IX, n°5, Paris, 1964.
166
(nous traduisons) J. Brown, « La monarquía española y el retrato de aparato de 1500 a 1800 », dans El retrato
en el museo del Prado, Madrid, 1994.
64
semble peu probable que ce soit l’artiste italien qui ai inventé ceci167
), l’asymétrie des mains,
la codification du portrait d’apparat, mais Titien influence également l’école espagnole dans
le pathos, le volume et le coloris. A partir de ce portrait, et bien plus encore après 1548, date
du portrait de Charles Quint en armure peint par Titien, le peintre italien sera le peintre en
titre de la cour espagnole, il imposera son style, ses compositions. Titien est déjà un peintre
portraitiste largement reconnu lorsqu’il rencontre pour la première fois l’Empereur, Charles
Quint lui donne alors toute sa confiance et souhaitera, par la suite, n’être représenté que par
lui. Ceci fonde le portrait d’État espagnol de la première moitié du XVIe
siècle : étant donné
que seul Titien peut peindre le roi et que l’image du roi est le modèle par excellence, le style
et de la composition de l’artiste italien vont être largement diffusés.
Ces codifications évoluent un peu à la cour de Philippe II. Le canon reste basé sur les
caractéristiques de l’artiste italien, « il n’existe pas un portrait en armure de l’école espagnole
qui ne se base pas sur [le portrait de Charles Quint par Titien (1548)] »168
. Mais l’arrivée
d’Anthonis Mor à la cour modifie quelque peu ce type. Précisons, quand même, que le peintre
portugais ne reste pas indifférent aux apports de l’artiste italien, Leticia Ruiz Gómez parle du
« papel decisivo que Tiziano tuvo sobre la producción de Antonio Moro »169
. Cet artiste
portugais apporte, tout de même, de nouveaux éléments : un sentiment beaucoup plus
cérémoniel et une mise à distance des modèles, qui amplifient encore la notion d’apparat dans
le portrait. C’est ce que montre aussi Élise Bermejo qui, dans la notice du portrait d’Élisabeth
de Valois d’Anthonis Mor (fig. 5)170
, déclare admirer :
esta magnifica pintura que creemos […] salida de los pinceles del gran maestro holandés
quien, mas aún que Tiziano, influye en la fecunda escuela de retratistas espanoles. Las
167
« le seul portrait en pied peint en Italie antérieur à celui de Charles Quint est celui d’un inconnu exécuté en
1526 par Moretto […] tandis que ce type est répandu dans le Nord de l’Europe depuis le début du XVIe
siècle »,
A. Cloulas, op. cit. note 165.
168
M. Kusche, op. cit. note 116.
169
« rôle decisif qu’a eu Titien sur la production d’Anthonis Mor » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, « Retratos
de corte en la monarquía española (1530-1660) », dans El retrato español de Goya a Picasso, pp. 96-123, Madrid,
2004, p. 96.
170 E. Bermejo, « Notice du portrait d’Élisabeth de Valois peint par Anthonis Mor vers 1560 et conservé au
Musée du Prado », dans Alonso Sánchez Coello y el retrato en la corte de Felipe II, Madrid, 1990, pp. 131-132.
65
caracteristicas que se aprecian en la tecnica y modelado del rostro, el tratamiento de las telas y
de los cabellos y, sobre todo, la intensidad de comunicacion con el espectador de la mirada
del modelo son, absolutamente, tipicos de la manera de hacer de Antonio Moro171
.
Le type des portraits de la cour de Philippe II est donc une réélaboration par Anthonis
Mor du modèle de Titien172
. Le standard du portraitiste portugais correspond en fait au
« schéma canonique des portraits des Habsbourg »173
: un espace peu profond, un fond obscur,
une lumière dramatique, une présentation du modèle avec une idéalisation des traits et des
gestes quasi inexpressifs. Leticia Ruiz Gómez ajoute « todos [los retratos de Antonio Moro]
son representaciones de tres cuartos, de volúmenes muy marcados situados en un impactante
primer plano potenciado por el fondo neutro y provistos de una dignidad tranquila y sin la
retórica de los retratos flamencos de la generación anterior. »174
Le modèle des portraits d’Anthonis Mor « serviría de referente no sólo a otras casa
reinantes, sino, más importante aún, a futuras generaciones de pintores hispanos »175
.
D’abord, le principal portraitiste de cour espagnol à cette époque-là n’est autre qu’un élève
d’Anthonis Mor : Alonso Sánchez Coello. Celui-ci continuera la façon de faire de son maître
(principalement sur les grandes lignes de la composition), mais, au fur et à mesure, s’en
éloigne pour créer son propre style. Il diminue la distanciation entre le modèle et le spectateur,
cherchant davantage à montrer les sentiments. Pour Maria Kusche, il se rapproche plus du
171
« cette peinture magnifique que nous considérons comme sortie des pinceaux du grand maître hollandais,
celui qui, encore plus que Titien, a eu une influence sur l'école des portraitistes espagnols. Les caractéristiques de
la technique et du modelé du visage, le traitement des tissus et des cheveux et, surtout, l'intensité de
communication entre le regard du modèle et sont, absolument, typiques de la manière de faire d'Anthonis Mor »
(nous traduisons), E. Bermejo, loc. cit.
172
Notons que Titien reste toujours très présent à la cour de Philippe II, mais il ne connaît plus la même
exclusivité que durant le règne de Charles Quint et n’est plus le portraitiste de cour attitré. « Felipe II prefirió
diferenciar la producción de ambos artistas, dejando al holandés la realización de los retratos y a Tiziano la
responsabilidad de la pintura de historia » (« Philippe II préféra différencier la production des deux artistes, en
laissant au Hollandais la réalisation des portraits et à Titien la responsabilité de la peinture d'histoire » (nous
traduisons)), E. Bermejo, loc. cit. p. 98.
173
(nous traduisons), J. Brown, op. cit. note 166.
174
« Tous [les portraits d'Anthonis Mor] sont des représentations de trois quarts, avec des volumes très marqués,
situés dans un premier plan frappant renforcé par le fond neutre et pourvus d'une dignité tranquille et sans la
rhétorique des portraits flamands de la génération antérieure » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, op. cit.
note 169, p. 95.
175
« Servira de référant non seulement aux autres maisons régnantes, mais, plus important encore, aux
générations futures de peintres espagnols » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, loc. cit. p. 81.
66
style de Titien en adoptant « l’importance du coloris, la manière d’unir le corps et le
fond […]. Il applique les valeurs esthétiques de Titien afin d’alléger et d’embellir la réalité
sans pour autant tromper la vérité »176
. Ensuite, Jonathan Brown déclare que Sofonisba
Anguissola « modifie un peu le prototype [classique espagnol] apportant des éléments
symboliques »177
, qui vient sans doute de son Italie d’origine. Enfin, l’auteur espagnol montre
comment Juan Pantoja de la Cruz suit le chemin de ses prédécesseurs.
La singularité nationale du portrait de cour espagnol est en fait d’avoir réussi à trouver
un juste milieu entre le modèle italien, le modèle germanique et le modèle flamand. Cette
formule se base donc à la fois sur une distanciation du modèle, qui tout en restant bien
présente tend à diminuer au fil des années, sur un cadrage assez éloigné, sur un jeu de lumière
qui permet de concentrer l’attention du spectateur et sur une symbolique claire mais avec peu
d’apparat. Ceci est l’origine du portrait de représentation hispanique, mais chaque artiste va le
modifier pour l’adapter à sa technique et sa manière de peindre, et ceci dès le propre règne de
Philippe II.
L’inscription des portraits d’Élisabeth dans les portraits féminins de la cour
de Philippe II
Maintenant que nous avons en tête le modèle du portrait de cour espagnol, voyons
comment les images d’Élisabeth de Valois s’inscrivent dans cette tradition. Quels sont les
éléments que l’on retrouve ? Pour le voir, comparons les portraits de la reine avec des
représentations de ses prédécesseurs, des sœurs du roi ou de femmes importantes à la cour.
Lorsque Élisabeth arrive à la cour d’Espagne, le genre du portrait féminin est
complètement soumis à la formule habsbourgeoise. Un des exemples les plus marquants est le
portrait de l’Impératrice Marie d’Autriche (sœur de Philippe II), réalisé par Anthonis Mor en
176
(nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116.
177
(nous traduisons), J. Brown, op. cit. note 166.
67
1551178
(fig. 6b). Cette peinture respecte parfaitement le type de composition habsbourgeois :
le modèle est debout (le cadrage la montre de pied), le fond est sombre, l’expression est
neutre, les attributs expriment clairement leur message et la distanciation est évidente
(renforcée par la table qui se situe devant le modèle et cache une partie de sa robe). Un autre
portrait caractéristique est celui de Jeanne du Portugal, peint par Alonso Sánchez Coello vers
1557 (fig. 20) qui reprend le portrait réalisé par Anthonis Mor en 1549179
. Ce dernier portrait
résume, pour Leticia Ruiz Gómez, « todos los mecanismos del retrato de corte [:] la asunción
de la majestad en la sola presencia de la princesa, una mujer de rostro intenso y altivo, con
una mirada inquisitorial que parece esperar, como si de una audiencia se tratara, los
requerimientos del visitante »180
. Maria Kusche utilise ce portrait pour le mettre en
comparaison avec celui d’Élisabeth de Valois qu’Alonso Sánchez Coello peignit en 1560. Elle
s’attache à montrer les différences. Cependant, si l’on compare ces deux tableaux (de Marie
d’Autriche et de Jeanne du Portugal) avec celui de la reine espagnole peint par Sofonisba
Anguissola en 1561 dont on a perdu l’original (fig. 7 et 7a), on voit comment l’image
d’Élisabeth suit la tradition de sa famille par alliance. Le modèle est placé à côté d’une chaise
tout comme Jeanne du Portugal. Le fond est sombre, les seules couleurs sont apportées par les
éléments qui ont valeur d’attribut, comme dans le portrait de Marie d’Autriche. On remarque
aussi la distanciation du modèle, on la voit de pied avec le fond très proche (la version copiée
par Rubens nous présente un balcon, mais il s’agit sans doute d’une invention du peintre
flamand181
).
Le portrait le plus hispanique de la reine Élisabeth est celui peint par Sofonisba
Anguissola en 1561 et actuellement conservé au Musée du Prado. Nous avons déjà vu
178
Voir notre catalogue (Vol. 2), p. 32, (fig. 6b).
179
Œuvre conservée au Musée National du Prado.
180
« tous les mécanismes du portrait de cour [:] l’idée de la majesté dans la seule présence de la princesse, une
femme de visage intense et hautain, avec un regard inquisitorial qui semble attendre, comme s’il s’agissait d’une
audience, les requêtes du visiteur » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, op. cit. note 169, p. 100.
181
Hypothèse avancée par M. Kusche, op. cit. note 116.
68
comment par son habit, la reine est totalement espagnole, l’étude de la composition ne fait que
confirmer ce fait. Le rapprochement de ce tableau avec celui représentant Marie d’Autriche
est évident. Maria Kusche crée également un parallèle avec le portrait de Titien représentant
l’Impératrice Isabelle du Portugal (impératrice d’Allemagne et reine d’Espagne, mère de
Philippe II). Dans les deux cas, le modèle se tient debout, de trois quarts, portant une robe qui
rend la majesté de la reine. Pour autant, le portrait de la femme de Charles Quint paraît plus
gaie, ce qui est une différence de goût. A la cour de Philippe II, l’austérité est une des
principales valeurs. On ne trouvera donc, sous son règne, que très peu de portraits ayant des
couleurs chatoyantes (à l’exception des vêtements que porte parfois Élisabeth). Le portrait
d’Élisabeth de Valois de 1561 respecte ainsi parfaitement à la fois le goût mais surtout
l’ordonnance qui est de mise à la cour de son mari.
Le portrait d’Isabelle du Portugal serait plus à rapprocher des premiers portraits
espagnols d’Élisabeth (fig. 4, 5, 5a, 5b et 5c). Dans le premier, la composition est
globalement la même, les reines se tiennent debout, avec un vêtement qui leur recouvre
complètement le corps (d’ailleurs les deux robes sont coupées par le cadrage), une fenêtre est
présente sur la gauche, ouvrant ainsi le champ d’horizon. Alonso Sánchez Coello reprend
ainsi des éléments proposés par Titien, les adapte à sa manière en mettant en valeur l’image
d’Élisabeth de Valois. C’est le même procédé qu’utilise Anthonis Mor, et dans sa suite Juan
de la Rúa et Pierre Novelliers, dans les portraits de la reine avec sa robe rouge carmin (fig. 5,
5a, 5b, et 5c). Ils contrebalancent la couleur vive de l’habit avec un fond extrêmement sombre
et neutre, respectant ainsi le canon du portrait habsbourgeois.
Leticia Ruiz Gómez déclare que Sofonisba Anguissola « inserta la imagen de Isabel en
la tradición del retrato femenino español »182
. Nous pouvons élargir ce propos dans deux
directions. D’une part, comme le dit si bien Louise Roblot-Delondre, Élisabeth de Valois
182
Sofonisba Anguissola « insert l’image d’Élisabeth dans la tradition du portrait féminin espagnol » (nous
traduisons), M. Kusche, loc. cit. p. 101.
69
apporte à la cour un « nouvel aspect des reines d’Espagne qui révèlera la souplesse des
peintres officiels de cette cour ». C’est donc l’image d’Élisabeth de Valois dans son ensemble
(réalisée par un peintre ou un autre) qui s’insère dans cette tradition. D’autre part, il ne s’agit
pas exclusivement du goût espagnol mais plus largement de la mode habsbourgeoise, elle
s’inscrit donc dans un modèle de représentation qui a une envergure européenne, qui se
diffuse à l’échelle européenne (et non juste dans la péninsule ibérique). Mais nous avons vu
qu’Élisabeth de Valois, tout en entrant dans un moule étranger, reste fidèle à un certain goût,
une certaine étiquette française, quels sont alors les apports français dans la composition ses
portraits ?
Les apports français dans la mode espagnole et la représentation d’une infante
française devenue reine espagnole
Lorsque Élisabeth de Valois quitte la France, elle quitte également le deuil183
. Les tons
sombres, les formes fermées de ses robes ne sont plus obligatoires, elle emmène alors, avec
elle, toute une série de robes aux couleurs vives et à la coupe fastueuse. Nous l’avons vu, à la
cour de Philippe II, ce genre de costume est peu développé et contraste quelque peu avec la
mode. Cependant Élisabeth ne va pas totalement abandonner son goût pour les couleurs et le
style à la française dans le choix de ses vêtements. Examinons, à présent, comment cet apport
français est également visible dans la composition de son image.
L’austérité est le grand principe de vie à la cour espagnole et dans la famille des
Habsbourg en général, ce principe est absent de la cour française. Attention, nous ne voulons
pas dire par là qu’en France ce n’est que profusion, luxe et effusion de richesse. François
Boucher le montre bien, en France, comme dans le reste de l’Europe au XVIe
siècle, on voit
se mettre en place des réglementations qui imposent la diminution de fioritures et
183
Le roi Henri II fut mortellement blessé durant les festivités du mariage d’Élisabeth et de Philippe II. La
bienséance entraîne un changement dans les costumes qui deviennent inévitablement des vêtements de deuil.
70
d’ornementations dans les costumes184
. Mais quand Élisabeth de Valois arrive en Espagne,
elle ne maîtrise pas parfaitement les règles de vie rigides et sévères qui sont celles de sa
nouvelle cour. Ajoutons à ce fait qu’elle est encore une enfant, pleine de vie, de malice et de
joie. Ceci se ressent parfaitement dans l’image véhiculée par la nouvelle reine.
À l’image officielle espagnole, Élisabeth de Valois apporte l’étiquette à la française.
Elle respecte la gravité, le sérieux imposé par sa maison d’adoption, tout comme la mise à
distance du modèle, mais essaie de contourner ces éléments en ajoutant des touches
hexagonales. Elle cherche à montrer dans son image toute sa douceur, à faire voir les traits de
sa personnalité. Dans le portrait de 1561 (fig. 6), par exemple, on ressent la délicatesse et la
bonté de la reine. Elle paraît également beaucoup plus proche du spectateur que dans le
portrait de Marie d’Autriche par Anthonis Mor (fig. 6b). Par son attitude, sa pose (qui
pourtant n’est pas si différente que celle des autres femmes portraiturées à cette époque),
Élisabeth de Valois s’avance vers le spectateur. Elle n’est plus un modèle figé, mais crée une
réelle conversation entre elle et le regardeur. Elle a quelque chose de plus vivant, de plus
naturel. Élisabeth arrive à faire d’une pose stricte et quelque peu factice, dans laquelle elle ne
fut pas tout de suite à l’aise (fig. 4), une pose mobile, vivante et quasi naturelle. Qu’est-ce qui
provoque cette transformation ? Sylvène Édouard pense que c’est la douceur française qui
permet ce subtil changement. Pour elle, alors qu’à « la cour de Philippe II on se doit d’être
grave », Élisabeth arrive à mêler cette gravité à la douceur française. Il s’agit donc plus de la
position et de ce que renvoie la reine plutôt que de ce qui est placé autour d’elle dans ses
représentations. C’est ce qu’avait également remarqué Louise Roblot-Delondre au début du
XXe
siècle. Elle déclare, dans son ouvrage, que l’arrivée de la princesse française change
« l’image officielle espagnole [qui] accueille avec Élisabeth un type plus vivant, une
physionomie plus volontaire, un visage avec lequel on discerne sans effort les jeux de la
184
F. Boucher, op. cit. note 70, p. 227.
71
passion et le désir de plaire »185
. Avec l’arrivée d’Élisabeth en Espagne, l’image officielle
n’est plus uniquement la représentation physique des souverains, mais aussi un véritable
portrait moral. Avant le portrait royal fonctionnait uniquement comme une effigie, elle
représentait le modèle, son pouvoir et ses vertus, mais c’était une chose établie qui ne pouvait
changer et où les sentiments n’avaient pas leur place. La princesse française apporte, avec
elle, le côté psychologique du portrait. Elle dépasse l’austérité et la distanciation pour montrer
plus de sa personne, de son caractère. Pour conclure, reprenons la citation de Leticia Ruiz
Gómez : « [Sofonisba Anguissola] inserta la imagen de Isabel en la tradición del retrato
femenino español, aunque en representaciones menos austeras, cargadas por la sofisticación y
el gusto por el lujo de la reina francesa »186
. Cela montre comment Élisabeth de Valois tente
de jongler entre les goûts espagnol et français, sans pour autant en préférer un à l’autre.
Les apports, que nous venons de voir, de la princesse française dans l’image officielle
espagnole resteront quelques temps en vigueur. Nous les retrouvons principalement dans
plusieurs portraits postérieurs187
.
C. Continuation des fonctions principales tout en s’adaptant aux protocoles
monarchiques
Nous avons vu comment l’image d’Élisabeth de Valois se transforme au fil du temps.
Comment en arrivant en Espagne elle s’adapte à cette nouvelle maison, à ces nouveaux codes,
bref à la manière hispanique. Les représentations de la princesse française sont modulées par
185
L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56.
186
L. Ruiz Gómez, op. cit. note 169, p. 101. « [Sofonisba Anguissola] insère l'image d’Élisabeth dans la tradition
du portrait féminin espagnol, bien qu’avec des représentations moins austères, chargées de la sophistication et du
goût au luxe de la reine française » (nous traduisons).
187
Voir III/ C. La continuité d’une typologie du portrait franco-espagnol: la représentation d’une double identité
à la suite des portraits d’Élisabeth de Valois, pp. 97-106.
72
le goût espagnol sans pour autant oublier la mode française. Nous avons vu, également, dans
notre première partie les visées de ces images. Confrontons les fonctions des premiers
portraits d’Élisabeth de Valois, ceux où elle n’est encore qu’une princesse, à celles des
représentations étatiques d’une souveraine, quelles sont les transformations visibles ?
Retrouve-t-on des objectifs identiques ? Cherchons également à voir comment le changement
de statut de la fille de Catherine de Médicis et d’Henri II est rendu.
Réadaptation des principales fonctions du portrait
Dans son livre intitulé Portraits de la Renaissance, Lorne Campbell consacre un
chapitre aux rôles et aux fonctions du portrait à cette époque188
. Inspirons-nous des différents
rôles qu’elle attribue aux portraits pour comprendre les continuités ou les évolutions que l’on
peut voir dans les portraits d’Élisabeth de Valois.
Tout d’abord, Lorne Campbell cite Gabriele Paleotti qui déclare que les portraits
permettent de « se réconforter des chagrins de l’absence »189
, c’est ce que L. Campbell appelle
le « rôle commémoratif »190
. On retrouve ici une des fonctions principales des dessins de la
princesse française. On se rappelle que Catherine de Médicis faisait portraiturer ses enfants
afin d’avoir une présence auprès d’elle (ses enfants étant très rapidement envoyés à Saint
Germain en Laye). Les demandes incessantes de la reine de France ne s’estompent pas dans le
temps. Bien entendu, Élisabeth n’est encore qu’une enfant quand elle est envoyée à la cour
d’Espagne, mais au long de la décennie qu’elle passe dans la péninsule, sa mère ne cessera de
demander ses portraits. Dès l’arrivée d’Élisabeth en Espagne, on commence à la portraiturer.
D’après Maria Kusche, on commande très rapidement à Alonso Sánchez Coello un portrait de
la reine afin de l’envoyer à la reine mère française191
. L’auteure rapproche cette commande du
188
L. Campbell, op. cit. note 20.
189
L. Campbell, loc. cit. p. 193.
190
L. Campbell, loc. cit.
191
M. Kusche, op. cit. note 116, pp. 125-126.
73
premier portrait en pied de la reine (fig. 4). La correspondance entre Catherine de Médicis et
celle qu’elle appelle sa « fille la royne catolyque » est très abondante. La mère demande
toujours des nouvelles de sa fille (que ce soit directement à elle, à ses dames ou encore à
l’ambassadeur français en Espagne) et des images d’elle. Élisabeth de Valois se plie aux
requêtes de sa mère et lui fait régulièrement envoyer des portraits : dans une lettre à Catherine
de Médicis, datée de la mi-avril 1562, la reine espagnole déclare : « ma pentuire n’est encore
achevée, et sependant Saint-Sulpice vous porte ma peinture »192
. Selon Maria Kusche, des
portraits d’Élisabeth de Valois furent envoyés à sa mère en 1560, 1561 et 1565, ces dates sont
tirées de sources écrites (lettres, carnets de commande…), mais l’hypothèse selon laquelle il y
en ait eu d’autres de mandatés est convaincante. Dans cette constante volonté de recevoir des
portraits de ses enfants, et ici de sa fille, Catherine de Médicis prolonge aussi la fonction de
bulletin de santé193
. Cependant, on l’a vu, l’image officielle espagnole idéalise le corps et la
beauté, cette fonction est donc très limitée dans les portraits d’Élisabeth qui sont tous des
portraits d’État. Il n’y a quasiment pas de portraits privés et ce ne sont surtout pas ceux qui
sont envoyés à une cour étrangère.
Les portraits d’Élisabeth de Valois par son nouveau rôle de souveraine d’Espagne
présentent de nouvelles visées. Comme nous venons de le dire, il s’agit désormais de portraits
d’État, ce n’est pas une princesse parmi d’autres (même si le statut de princesse est déjà
considérable) mais une reine, la reine de tout un peuple. Lorne Campbell déclare : « beaucoup
de modèles redoutaient que le fait de se faire peindre ne fût interpréter comme un trait
d’ostentation ou de suffisance »194
, ceci est vrai pour tout le monde à l’exception des
souverains eux-mêmes. C’est justement parce que le portrait est considéré comme
ostentatoire, comme représentation du pouvoir, que les rois se font représenter. Au début des
portraits de la Renaissance, seuls les rois avaient le droit à ce privilège, c’était une manière de
192
Cartas de San Petersburgo…, ms. cit. fol 95.
193
J.M. Serrera, op. cit. note 132.
194
L. Campbell, op. cit. note 29, p. 194.
74
déclarer leur pouvoir et leur force. Les portraits des rois et des reines, et donc les portraits
d’Élisabeth de Valois, ont un rôle de « propagande royale », « il était dans l’intérêt des princes
de favoriser la diffusion de leurs portraits »195
. L’image de la reine, sans cesse renouvelée
mais surtout énormément copiée, est largement diffusée dans tout le royaume d’Espagne. On
cherche ainsi à asseoir son pouvoir. Elle ne peut se déplacer sur tout le territoire (large
territoire qui va de la péninsule ibérique jusqu’aux Flandres), son image la remplace et la
précède. Revenons ici à l’étude de Louis Marin sur l’énoncé des logiciens de Port-Royal : « le
portrait de César, c’est César »196
, c’est-à-dire que le portrait du roi est « le corps sacramentel
du monarque »197
. Le portrait du roi (ou de la reine), c’est l’incarnation du pouvoir terrestre et
du pouvoir divin de celui-ci. Louis Marin explique que c’est le simple fait de représenter le roi
qui lui donne toute sa puissance, on en revient à une phrase déjà citée de cet auteur : « le roi
n’est vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans des images »198
. Les portraits d’Élisabeth
de Valois ont assurément la fonction capitale de faire d’elle une reine, la souveraine de tout un
peuple et d’un État. C’est grâce à ses images que son statut royal est confirmé et entériné.
Selon Peter Bruke, il s’agit de l’expression du désir d’accréditer son prestige199
.
Nous avons vu précédemment comment la bonté et la douceur d’Élisabeth de Valois
sont représentées dans ces portraits suivant un goût à la française. Rappelons également
comment la reine essaye d’outrepasser la distanciation hispanique pour se rapprocher de son
spectateur, de ses sujets. Les portraits d’Élisabeth de Valois ont donc également pour fonction
de transmettre l’état d’esprit de la reine, de diffuser son image physique mais aussi morale.
Ses représentations ont donc également un « rôle moralisateur »200
. Elles doivent montrer
comment Élisabeth se comporte, son respect les règles de conduite en usage dans la société, sa
195
L. Campbell, loc. cit. p. 197.
196
L. Marin, op. cit. note 30, pp. 7-22.
197
L. Marin, loc. cit.
198
L. Marin, loc. cit.
199
P. Bruke, « La sociología del retrato renacentista », dans El retrato en el museo del Prado, Madrid, 1994,
pp. 99-115.
200
L. Campbell, op. cit. note 20, p. 195.
75
piété, ses valeurs morales. C’est-à-dire que les images de la reine doivent véhiculer une
certaine moralité, elles jouent le rôle de modèle pour une perfection à atteindre par les
spectateurs des portraits et les sujets de la reine. Les souverains se doivent d’être des
exemples à imiter et leurs représentations sont tenues d’exposer cette exemplarité. On rejoint
ici la thèse de Paleotti du « double corps du roi » expliquée par Édouard Pommier dans sa
Théorie du portrait : il y a la personne privée (qui n’est pas forcément un modèle de vertu) et
la personne publique (qui doit être respectée et obéie)201
. « C’est le corps public, incarnant le
pouvoir tenu de Dieu, que représente le portrait »202
, montrant ainsi toutes les vertus du
personnage officiel qu’est la reine.
Enfin, dans la suite du rôle de portrait d’État, on retrouve la fonction de portrait
ambassadeur que l’on avait déjà abordé pour les portraits d’Élisabeth enfant. Cependant, cette
visée a évolué. Les représentations de la princesse avaient surtout pour but de diffuser son
image afin de lui trouver un mari princier dans les cours étrangères. Désormais ce n’est plus le
cas, on cherche à diffuser l’image de la souveraine espagnole afin d’affirmer son pouvoir dans
toute l’Europe. En 1561, par exemple, nous avons la trace de lettres qui montrent que
Sofonisba Anguissola exécuta un portrait d’Élisabeth de Valois afin de l’envoyer au Pape Pie
V. Antonio Palomino raconte cette histoire dans El museo pictórico y escala óptica203
. À ce
jour, nous ne savons pas ce qui est arrivé à ce portrait, Louise Roblot-Delondre pense qu’il se
trouve dans la Colection Borghese de Rome, alors que Maria Kusche pense qu’il est perdu et
que l’œuvre de Juan Pantoja de la Cruz conservée au Musée du Prado en serait une copie
(fig. 7).
201
Sur ce sujet, voir notre III/ B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ?,
pp. 88-96.
202
É. Pommier, op. cit. note 87.
203
Voir notre catalogue (Vol. 2) pour lire l’histoire de ce cadre, pp. 68-69.
76
Des attributs qui renvoient à son rôle de reine
Le protocole monarchique transforme, nous venons de le voir, les charges attribuées aux
portraits d’Élisabeth de Valois. Cette évolution est visible dans la composition des images. On
voit apparaître un certain nombre d’éléments qui portent un poids significatif. Il est évident
qu’aucun détail des portraits de la reine n’est à prendre comme une chose insignifiante. La
présence de chaque objet est réfléchie, détient une signification, un code, bref est la
représentation d’une idée, d’un concept qui entoure la souveraine. Élément par élément,
tentons de comprendre pourquoi Élisabeth de Valois est portraiturée avec eux, quel sens
apportent-ils au tableau et comment sont-ils arrivés à avoir cette signification ?
Dès le premier portrait espagnol d’Élisabeth de Valois (fig. 4), on distingue en arrière -
plan une colonne de jaspe. Cette idée est reprise dans le portrait de Sofonisba Anguissola en
1561 (fig. 6). On la retrouve également dans des portraits de Philippe II, par exemple dans
celui peint par Titien en 1554 (fig. 24) ou celui peint par Juan Pantoja de la Cruz (fig. 26).
Sylvène Édouard et Maria Kusche interprètent la présence de cette colonne comme la
représentation de la dignité royale. La colonne est un élément architectural qui permet de
soutenir un édifice. Lorsque celle-ci est figurée aux côtés d’un souverain, elle renvoie
explicitement au pouvoir de celui-ci, à sa force et à sa nécessaire présence pour soutenir
l’État. Le message est une association d’idées entre la fonction de la colonne pour un édifice
et celle du roi (ou d’une reine) pour son royaume. D’après Lorne Campbell, la colonne sert à
magnifier le souverain204
. Pour elle, dans le portrait de Philippe II en armure, Titien « tire un
effet superbe d’une unique base de colonne et Mor développera cette idée avec
enthousiasme »205
. La colonne est ainsi très présente dans les nombreux portraits de la famille
des Habsbourgs et devient quasiment un symbole familial, on la retrouve dans les portraits de
Marie d’Autriche (fig. 6b), dans ceux de Jeanne d’Autriche (fig. 6c). Ajoutons, que la colonne
204
L. Campbell ajoute qu’il faut donc faire attention aux dimensions de la colonne pour « magnifier le modèle
sans le diminuer », L. Campbell, op. cit. note 20, p. 120.
205
L. Campbell, loc. cit.
77
de jaspe (comme on voit dans la figure 4) est un élément qui fut très présent dans les décors
des entrées d’Élisabeth dans les villes espagnoles. Des arcs furent, par exemple, édifiés à
Madrid, lesquels sont soutenus par six colonnes de jaspe.
Un autre élément fondamental des portraits de cette époque est le rideau. Juan Miguel
Serrera voit le rideau comme un symbole de la séparation entre l’espace royal et le reste,
permettant de mettre l’accent sur la majesté des figures206
. Lorne Campbell l’associe à un
encadrement :
ces encadrements simulés d’étoffes évoqu[ent] non seulement les baldaquins à rideaux sous
lesquels siégeaient les princes lors des cérémonies, et la Vierge, sans sa dignité de « reine des
Cieux », mais aussi les sortes de pavillons sous lesquels les souverains semblent avoir prié en
public, et le rideau de scène des tableaux vivants qui faisaient partie des cortèges207
.
Dans les portraits en pied d’Élisabeth de Valois où elle porte une robe rouge
(fig. 5b et 5c), la courtine verte semble avoir été remontée pour permettre au spectateur de
découvrir la reine. Cette mise en scène renforce la majesté du modèle et la présente
solennellement. Le rideau est utilisé de la même fonction dans la gravure dont l’identification
est incertaine (fig. 16). Dans le portrait peint pour la galerie du Pardo (fig. 7), le rideau
présenté derrière semble avoir une autre fonction. Il est plus présenté comme une tapisserie, il
permet alors de montrer toute la richesse de la souveraine, avec son tissu de brocart (que l’on
retrouve dans le fauteuil). Il joue aussi un rôle dans la composition, sa présence éclaire un
côté du tableau (qui a un fond très sombre), le peintre peut ainsi représenter l’ombre
d’Élisabeth et créer un effet de profondeur.
Deux autres attributs, souvent associés puisque tous deux placés dans les mains, sont le
gant et le mouchoir. Ces deux éléments étaient très utiles aux portraitistes, ils sont une
manière d’occuper les mains du modèle. Le mouchoir ne semble d’ailleurs pas avoir d’autre
but que celui de donner une contenance à la personne. Au début du XVIe
siècle, le gant était
206
J.M. Serrera, op. cit. note 132.
207
L. Campbell, op. cit. note 20, p. 109.
78
perçu comme le signe d’un certain statut social208
et également comme la représentation du
pouvoir (une main gantée est une main forte). Cependant Maria José Del Rio209
insiste sur le
fait qu’il s’agit plus d’une mode courante, surtout en Espagne où le cuir est un matériau très
travaillé et reconnu. Elle ajoute que c’est un cadeau très apprécié à la cour espagnole, sa
présence est donc coutumière.
Un autre élément que l’on voit apparaître aux côtés d’Élisabeth de Valois dans ses
portraits est le fauteuil. Sa signification est très simple, il représente le trône royal. « Le
fauteuil avec haut dossier et accoudoirs était réservé aux plus hauts dignitaires de l’État, c’est-
à-dire exclusivement à la famille royale »210
. Comme le fait Jeanne du Portugal dans son
portrait de 1560 peint par Anthonis Mor (fig. 4b), la reine espagnole laisse, dans le portrait de
Sofonisba Anguissola de 1561 (fig. 7), reposer sa main sur une chaise richement tapissée. Ce
simple geste a un caractère très fort, un sens explicite. Par cette pose, la reine d’Espagne
montre qu’elle est très proche le pouvoir, elle s’appuie dessus, mais pour autant elle ne s’y
accroche pas. Dans la copie de Rubens (fig. 7a), Élisabeth se tient encore plus près du
fauteuil, le lien est d’autant plus fort. Le message est clairement différent de celui exprimé par
le portrait d’Isabelle du Portugal peint par Titien. Représentée assise (fig. 4a), elle marque
ainsi l’importance de son pouvoir. Dans les portraits d’Isabelle Claire Eugénie de 1599 (fig.
6e) et de Catherine Michelle (fig. 10a) par S. Anguissola, les filles d’Élisabeth de Valois sont
représentées assez éloignées du fauteuil, tout en posant une main dessus. Une manière de
montrer qu’elles sont héritières du trône sur lequel siège leur père ou leur demi-frère (selon la
date), mais que ce n’est pas elles qui ont le pouvoir royal.
208
Le gant fait pour protéger la main en diminue aussi ses capacités, seules les personnes qui n’étaient pas
amenées à travailler avec leur main avaient donc le loisir d’en porter. De plus, le gant en cuir a un coût.
209
Professeur d’Histoire Moderne à l’Université Autónoma de Madrid et spécialiste de la monarchie espagnole
du XVIe
siècle au XVIIIe
.
210
B. Gaehtgens, « Les portraits d’Anne d’Autriche. L’image royale au service de la politique », dans Anne
d’Autriche, infante d’Espagne et reine de France, Paris, 2009.
79
Dans plusieurs de ses portraits, Élisabeth de Valois est représentée avec une table (ou un
buffet) à ses côtés. Maria Kusche interprète cet attribut comme un symbole de pouvoir et de
décision211
. Leticia Ruiz Gómez ajoute que la main posée sur le buffet est « un gesto que se
había convertido en símbolo de la autoritas regia »212
. Cependant on peut douter du réel
pouvoir de décision, Sylvène Édouard dans son ouvrage insiste sur « le peu de poids de la
reine d’Espagne dans les négociations »213
et les diverses lettres de Catherine de Médicis à sa
fille, ou aux gens de la cour espagnole, le montrent. Est-ce donc simplement une image que la
reine se doit de renvoyer à ses sujets et peut-être aussi aux cours étrangères ? Il semble que ce
ne soit pas l’exacte vérité, mais cet attribut permet en tout cas de magnifier la fonction de la
souveraine, une manière d’asseoir son pouvoir et de le souligner, même si, dans les faits, elle
ne le détient pas réellement.
Les divers éléments que nous venons de voir remplissent donc clairement un rôle
d’attribut et ont tous pour effet d’expliciter les fonctions de la reine. Ils permettent de
consolider son autorité, de légitimer sa souveraineté, enfin d’affirmer sa nouvelle place. Mais
nous n’avons pas étudié tous les attributs qu’Élisabeth aborde, d’autres portent un message
qui va encore plus loin.
Représentation de la monarchie espagnole
Au-delà de représenter une reine, les portraits d’Élisabeth de Valois insistent sur son
appartenance à la couronne hispanique. En se mariant avec Philippe II, la princesse de France
entre dans la famille espagnole et devient un sujet de la grandeur de celle-ci. C’est-à-dire que
l’image d’Élisabeth doit renvoyer à son statut de souveraine bien sûr, mais surtout de reine
espagnole. Quels sont les éléments alors utilisés par les peintres pour exprimer ce fait ?
211
La table renvoyant au bureau et donc à l’espace où se prennent et se signent les grandes décisions. M.
Kusche, op. cit. note 116, pp. 39-42.
212
« un geste qui est devenu un symbole de l’autorité de la reine » (nous traduisons), L. Ruiz Gómez, El retrato
del Renacimiento (dir. Miguel FALOMIR FAUS), Madrid, 2008, p. 344.
213
S. Édouard, op. cit. note 60, p. 170.
80
Comment arrive-t-on à montrer la filiation entre Élisabeth et la famille des Habsbourg, le lien
unique entre la reine et le roi ?
À partir de 1559, Élisabeth de Valois occupe un trône dont elle n’est pas l’héritière, elle
n’y a accès que grâce à une alliance, Philippe II est alors l’intermédiaire indispensable à son
statut de reine. Le portrait peint par Sofonisba Anguissola en 1561 (fig. 6) montre clairement
ce lien : Élisabeth tient dans ses mains une miniature de son mari, Philippe II. Le sens de cette
miniature est évidente : c’est une présentation de la reine d’Espagne qui insiste sur l’analogie
entre elle et le roi, héritier du trône. La base Joconde propose un contexte qui expliquerait la
présence de cette miniature dans ce tableau particulièrement214
. Sofonisba Anguissola aurait
portraituré Élisabeth lors de "l'Entrevue de Bayonne" avec sa mère et son frère, roi de France.
Ce tableau illustrerait alors le rôle de la reine comme ambassadrice de son époux, le roi
d'Espagne. Maria Kusche est d’accord avec cette hypothèse215
et ajoute que ce portrait était un
présent à la reine mère, Catherine de Médicis. Cependant, on peut se demander pourquoi, s’il
s’agissait d’un cadeau à la couronne française, ce portrait est aujourd’hui conservé au Musée
du Prado où la notice précise qu’il vient de la collection royale espagnole. Juan Miguel
Serrera écrit, dans son article sur Alonso Sánchez Coello et la mécanique du portrait de
cour216
, que la présence d’une miniature dans un portrait peut fonctionner comme un portrait
de famille ou un portrait d’État. On peut voir les deux ici, par la présence du roi, la
représentation de la reine devient une image de la monarchie espagnole. C’est aussi une
manière de signifier à la couronne française qu’Élisabeth fait de la famille des Habsbourg217
.
La présence de miniatures dans les portraits est une chose assez courante au XVIe siècle.
214
Ce tableau n’étant pas conservé en France, il n’y a pas de notice qui lui est associée dans la base Joconde.
Cependant il y est fait référence dans l’historique du portrait de Corisande, comtesse de Guiche, et sa fille.
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde.
215
M. Kusche, op. cit. note 116, pp. 214-217. « La miniatura es la que demuestra que Isabel iba a Bayona
sustituyendo al Rey », nous traduisons : la miniature est la preuve que Élisabeth alla à Bayonne comme substitut
du roi.
216
J.M. Serrera, op. cit. note 132.
217
Surtout si l’hypothèse de Maria Kusche est correcte et que ce tableau fut offert à Catherine de Médicis.
81
Mais comme le dit Leticia Ruiz Gómez « fue en la corte de Felipe II cuando proloferó esa
tipología especialmente empleada en retratos femeninos, y más concretamente en los del
entorno más cerca del monarca : su hermana Juana ; su tercera esposa, Isabel de Valois, y su
hija Isabel Clara Eugenia »218
. Même si c’est un objet petit par rapport à la grandeur du cadre,
il a une très grande signification.
Le second objet qui déclare l’appartenance d’Élisabeth de Valois à la cour espagnole et
à sa famille de son mari est une pierre précieuse : la Pérégrina. Pour comprendre le message
de cette pierre, il faut connaître son histoire. La pierre Pérégrina est une pierre précieuse
découverte au XVIe
siècle dans le golfe du Panama. Elle fut ramenée à Philippe II, qui l’offrit
à sa deuxième femme Marie Tudor219
. Cette pierre220
fut rapidement surnommée « la perle de
Philippe II » car celui-ci l’a offerte à ses trois dernières épouses. Élisabeth la porte en
pendentif (fig. 4 et 16), mais on la retrouve aussi sur la croix qui orne son décolleté dans de
nombreux portraits (fig. 3, 5, 8). La pierre Pérégrina fut associée à un diamant appelé « el
Estanque » telle qu’on le voit dans le portrait de Marie Tudor. Cette combinaison de pierres
précieuses fut nommée en Espagne « joyel rico de las Austrias »221
et est un des joyaux de la
couronne espagnole. Philippe II offrit ce bijou en cadeau à Élisabeth de Valois pour leur
mariage222
. La croix que porte Élisabeth dans plusieurs tableaux semble également combiner
ces deux pierres précieuses, serait-ce une affirmation de l’appartenance de la princesse à la
couronne espagnole ? Il faudrait alors voir le premier portrait peint d’Élisabeth comme une
production française, possiblement de François Clouet, mais peinte juste après le mariage de
218
« C’est à la cour de Philippe II que proliféra cette typologie, spécialement employée pour les portraits
féminins, et plus concrètement dans ceux de l'entourage proche du monarque : sa soeur Jeanne; sa troisième
épouse, Élisabeth de Valois, et sa fille Isabelle Clara Eugénie » (nous traduisons), L. Ruiz Gómez, loc. cit. note
169, p. 402.
219
La pierre précieuse apparaît d’ailleurs pour la première fois dans un tableau dans le portrait de Marie Tudor,
réalisé par Anthonis Mor en 1554 (fig. 19). Ce portrait étant peint juste après le mariage de la reine d’Angleterre
avec le roi d’Espagne, c’est une manière de montrer son attachement à la couronne espagnole.
220
Pierre avec une forme de poire parfaite et une coloration naturelle blanche lumineuse.
221
À ce propos, voir le récit de Augustín de la Herrán de las Pozas, dans son étude sur les portraits d’Isabel de
Borbón por Velázquez, Bilbao, 1948, pp. 19-21.
222
On retrouve ce « joyel rico de las Austrias » dans le portrait de Anne d’Autriche, quatrième épouse de
Philippe II, peint en 1580 par Alonso Sánchez.
82
la fille aînée de Henri II avec le roi Philippe II et avant son départ pour la péninsule ibérique.
Cette croix apparaît en tous cas dans les descriptifs des bijoux de la couronne espagnole. Le
simple fait de représenter la reine portant un joyau de la couronne royale, et surtout une pierre
qui montre la grandeur et la richesse223
du royaume de son mari, exprime sa pleine
appartenance à la monarchie hispanique.
Des éléments sont ainsi distillés dans les représentations afin de montrer, de manière
claire mais discrète, l’appartenance nouvelle de la princesse française à la famille
Habsbourgeoise. Par des accessoires, la reine et ses peintres arrivent à montrer l’attachement
de celle-ci à la couronne espagnole (ornements dont le sens, avec nos yeux du XXIe
siècle, ne
nous apparaissent pas toujours évidents).
Pour conclure reprenons une formule de Jean Alazard224
en l’adaptant à notre propos : si
on compare les portraits espagnols d’Élisabeth de Valois, on est d’abord frappé par la ligne
très souple de l’évolution. On y saisit les tâtonnements du début et les difficultés dans le désir
de garder l’étiquette française tout en s’accordant avec l’image officielle espagnole et
habsbourgeoise. Puis, on suit pas à pas tous les essais, jusqu’au grand portrait d’État qui
correspond à la nouvelle effigie espagnole proposée par la troisième épouse de Philippe II225
.
L’image de la souveraine s’intègre dans la typologie du portrait de cour espagnol, mais garde
la douceur française dans l’expression et la pose, ainsi que la proximité avec le spectateur.
Élisabeth de Valois se crée ainsi une nouvelle identité, respectant les deux convenances. Elle
223
La grandeur car la Pérégrina vient d’un pays lointain et nous sommes au moment de la course dans conquête
du monde, et la richesse car Philippe II acheta la pierre qui deviendra « el Estanque » pour 80 000 écus d’or et la
fit tailler à Madrid, ce diamant est reconnu comme faisant partie des cinq plus précieux du monde.
224
J. Alazard, Le portrait florentin de Botticelli à Bronzino, Paris, 1924.
225
« Si on compare les portraits florentins à ceux de Venise, de Lombardie, de Rome ou des Flandres, on est
d’abord frappé, chez les premiers, de la ligne très souple de l’évolution. On y saisit les tâtonnements du début, et
les difficultés que les artistes éprouvent à individualiser les figures ; puis on suit pas à pas tous les essais
jusqu’au grand portrait d’apparat », J. Alazard, loc. cit. p. 257.
83
s’appuie sur le protocole de la couronne espagnole, mais le fait sien en y ajoutant des touches
de bienséance à la française. Ses représentations montrent une véritable reine espagnole, mais
grâce à de petits détails, elle n’abandonne pas l’éducation et l’étiquette de son pays d’origine.
84
85
III/ Une identité artistique franco-espagnole qui s’inscrit dans un rapprochement
politique et historique
Nous avons vu comment, d’un point de vue esthétique, l’image officielle d’Élisabeth de
Valois s’inscrit réellement dans un contexte artistique franco-hispanique. Une inscription qui
se fait à la fois concrètement (composition, nuances, style, tracé) mais également dans la
théorie du portrait (message transmis, fonctions). Regardons à présent les relations entre le
royaume des Valois et l’empire habsbourgeois. Ont-elles eu un impact sur la représentation de
la reine. On a compris (et on développera ce point ici) que la princesse française fut une
monnaie d’échange, mais quel fut son véritable rôle ? Étudions les portraits de la princesse,
puis souveraine, en ayant en tête le contexte historique ainsi nous verrons s’il y a ou non des
effets esthétiques qui sont la conséquence de circonstances historiques. Il s’agit d’essayer de
voir si des faits d’ordre national, international ou privé226
ont eu une portée sur le schéma
canonique d’Élisabeth de Valois. Nous tenterons, enfin, de voir si la conception de l’image
officielle de la reine a réellement créé une identité artistique et surtout de discerner
l’empreinte de la princesse française dans les portraits franco-espagnols postérieurs.
A. L’impact de l’Histoire dans la vie et l’image d’Élisabeth de Valois
Un mariage pour sceller la paix : la bien nommée Isabel de la Paz
Le XVIe
siècle est jalonné par des conflits, des traités de paix, des guerres et des
tentatives de rapprochement entre la France et l’Espagne. François 1er
et Charles Quint
deviennent, tous deux, rois en 1515, date qui peut être considérée comme marquant le début
226
Nous parlons ici, d’un côté, de l’histoire publique, de l’Histoire et, de l’autre, de l’histoire privée, de la
biographie de la reine et de son entourage.
86
du siècle. L’animosité entre les deux nations n’est pas nouvelle mais, avec ces deux grands
souverains, elle va prendre une ampleur nouvelle. Le premier motif de rivalité est celui « de la
elección imperial »227
, les deux princes sont candidats mais, en 1520, le Pape Léon X préfère
Charles Quint qui accède au titre d’empereur. Les principaux conflits concernent ensuite
l’Italie du Nord (François 1er
réclame Naples et Milan), la Navarre et le duché de Bourgogne
que Charles Quint veut récupérer. Après la bataille de Pavie, en 1525, François 1er
devient le
prisonnier de l’empereur, « conducido […] a Madrid firmó el Tratado de este nombre »228
. Le
Traité de Madrid est rapidement écarté car dès 1527, François 1er
engage une guerre pour
récupérer les États d’Italie du Nord. La paix est à nouveau signée en 1529 à Cambray (« la
Paix des Dames »229
), mais une fois encore elle n’est que de courte durée. Comme gage de
paix, François 1er
offre sa fille Louise230
au roi d’Espagne et épouse, en 1530, la propre sœur
de Charles Quint, Éléonore d’Autriche. Mais ceci ne change rien, les conflits ne s’arrêtent
pas pour autant. En 1547, François 1er
meurt, Henri II devient le roi de France et les relations
avec l’Espagne se poursuivent avec autant d’hostilités. En 1556, l’empereur espagnol abdique
en faveur de son fils Philippe II. Dès 1557, la bataille de Saint-Quentin éclate et se conclut par
la victoire écrasante des Espagnols. Une nouvelle paix est signée en 1559, Philippe II rend
Saint-Quentin et d’autres villes à la France231
, Henri II cède ses droits sur des territoires
italiens (Piémont, Savoie et Bresse). Comme le dit l’historien Manuel Trigo Cahacón : « La
paz de Cateau Cambresis puso fin a un largo período de guerras que había durado todo el
227
« de l’élection impériale » (nous traduisons), M. Trigo Chacón, La España imperial – Testamentos de los
reyes de la dinastía austriaca española, Madrid, 2009, p. 110.
228
« conduit à Madrid, il signa le Traité du même nom » (nous traduisons), M. Trigo Chacón, loc. cit. p. 111. Il
s’agit ici du Traité de Madrid signé en 1525 par François 1er
et Charles Quint. Le roi français renonçait à ses
droits sur l’Italie, les Pays-Bas et la Bourgogne, mais il déclara ensuite qu’il avait signé ce traité sous la
contrainte et refusa de laisser la Bourgogne.
229
Ce traité est appelé « Paix des Dames » car il a été négocié par Marguerite d'Autriche, tante de Charles Quint,
et Louise de Savoie, mère du roi de France.
230
Louise de France est la première fille de François Ier et de Claude de France. Sa main fut offerte à Charles
Quint, apportant en dot les droits de la France sur le royaume de Naples, mais sa mort prématurée empêcha cette
union.
231
La mort de Marie Tudor, reine d’Angleterre, fait perdre à Philippe II son alliance avec ce pays et l’appui de sa
puissance maritime. Le royaume d’Espagne est ainsi quelque peu fragilisé.
87
reinado de Carlos V y primeros años de Felipe II, y que se terminó con el triunfo español »232
.
Afin de sceller la paix, Henri II donne, la même année, sa sœur, Marguerite de France, en
mariage à Emmanuel-Philibert, duc de Savoie (province espagnole) et conclut l’union de sa
fille, Élisabeth de Valois, avec Philippe II. Ce mariage fut sans doute celui qui eu le plus
d’impact pour la paix.
Dès son arrivée en Espagne, Élisabeth de Valois est baptisée Isabel de la Paz233
, mais sa
vocation à devenir la garante d’une alliance pacifique est bien antérieure. Reprenons les
termes de Sylvène Édouard : « avant tout projet matrimonial, la petite princesse avait servi de
caution à la paix signée le 7 juin 1546 avec Henri VIII en devenant la filleule du roi
d’Angleterre »234
. Un certain nombre de tractations eut lieu ensuite pour choisir le mari de la
princesse afin d’assurer une paix durable, des privilèges ou des avantages territoriaux.
Il est étonnant que cette destinée, si importante dans le statut d’une princesse,
n’apparaisse pas dans ses représentations de manière explicite. Nous avons déjà vu que le
simple fait de représenter une enfant suivant le code schématique de la « formule Clouet »
montre la condition du modèle. C’est peut-être alors par sa simple représentation et par la
fonction de celle-ci que la vocation de la princesse apparaît.
Mais qu’en est-il pour les portraits d’Élisabeth de Valois en tant que reine d’Espagne,
reine assurant la paix avec l’ennemi de longue date ? Sur les portraits que nous possédons
aujourd’hui, aucun historien ne s’avance sur le chemin du portrait allégorique. Sylvène
Édouard, qui étudie justement le rôle de la reine dans cette paix, ne s’appuie pas sur les
232
« La paix de Cateau-Cambrésis mit fin à une longue période de guerre qui avait duré tout le règne de Charles
Quint et les premières années de celui de Philippe II, et qui se termina avec le triomphe espagnol. » (nous
traduisons). M. Trigo Chacón, op. cit. note 227, p. 180.
233
Isabel est la traduction du prénom Élisabeth et la particule « de la Paz » permet d’appuyer sur la fonction de la
reine ou plutôt sur le bénéfice qu’a engendré son mariage avec le roi d’Espagne.
234
S. Édouard, op. cit. note 60, p. 114.
88
portraits connus, mais sur des récits décrivant les entrées d’Élisabeth dans différentes villes,
par exemple ceux d’Alvar Gómez de Castro pour Tolède235
.
L’historienne française déclare qu’à Alcalá de Henares, la reine « fit son entrée
organisée par l’Université sur le thème de la Paix »236
. La ville avait conçu tout un programme
autour de ce motif : inscriptions, sculptures portant sur la quiétude entre la France et
l’Espagne et, par extension, dans le monde. Une des statues représentait « la reine assise,
recevant la paix agenouillée, portant couronne de lys et rameau d’olivier »237
. Il s’agit d’un
portrait mimétique associé à une allégorie afin de signifier le rôle de la reine. Le message de
la statue apparaît clairement bien qu’il ne soit signifié que grâce à deux attributs (la couronne
de lys et le rameau d’olivier) : Élisabeth de Valois est la garante de la paix avec la France.
Mais on montre aussi la passivité de la reine dans cette paix, elle ne fait que la recevoir et elle
est, de plus, assise (position physiquement inactive). On peut également interpréter cette
sculpture de la manière suivante : la ville et le peuple d’Alcalá de Henares confie la paix avec
la France à leur nouvelle reine. Elle en est la garante, elle doit l’incarner et il est de son devoir
de la faire durer.
Dans le programme iconographique pour l’entrée de la reine (et du roi) à Madrid, on
remarque la forte volonté de montrer l’union de deux pays, de deux dynasties, de deux
peuples. Les représentations allégoriques ou emblématiques de la France et de l’Espagne sont
ainsi au centre du projet. Un portrait des nouveaux époux est également présenté : une
représentation mimétique et explicite de l'alliance. Le rapprochement pacifique entre les deux
pays (incarné par la reine) est exposé sur un arc entièrement consacré à la dualité guerre/paix.
Dans ce programme, c’est le roi qui incarne le côté belliqueux, il montre sa force, sa virilité,
235
Alvar Gómez de Castro fut celui qui conçu le programme de l’entrée d’Élisabeth de Valois à Tolède, pour
voir les retranscriptions de ses écrits : A. Redondo, « Fiesta, realeza y ciudad : las relaciones de las fiestas
toledanas de 1559-1560 vinculadas al casamiento de Felipe II con Isabel de Valois », dans La fiesta. Actas del II
Seminario de Relaciones de Sucesos, La Corogne, 1998, pp. 303-314.
236
S. Édouard, op. cit. note 60,p. 135.
237
S. Édouard, loc. cit. p. 136.
89
son pouvoir de conquérant. La paix est ainsi laissée à « la douceur d’une figure féminine et
bonne »238
, c’est-à-dire à la reine. Cette séparation des tâches correspond parfaitement à
l’image que souhaite renvoyer le couple royal.
Par ailleurs, la personnification de la douceur et de la bonté par Élisabeth de Valois ne
nous est pas inconnue. En effet, nous avons déjà vu comment ces deux qualités sont visibles
dans les portraits de la reine que nous pouvons encore voir et surtout qu’elles appartiennent à
l’identité de son image. Ce sont deux traits de caractère que nous retrouvons dans ses
différents portraits dessinés, peints ou écrits. On peut alors se demander si nous devons
analyser ces traits comme faisant partie de l’essence de son caractère ou comme un code pour
représenter l’incarnation de la Paix. Nous savons, par les lettres de Catherine de Médicis et
des proches d’Élisabeth, que cette dernière n’était pas particulièrement d’un tempérament
calme et posé239
. La deuxième hypothèse paraît donc plus convaincante. L’image de la
troisième épouse de Philippe II se serait alors mêlée avec une allégorie de la Paix. Nous
revenons là à notre point de départ, si aucun historien de l’art n’aborde clairement cette
notion, c’est parce que la frontière entre la réalité et l’extrapolation est fine. Il est évident
qu’on ne peut parler d’allégorie de la Paix en voyant les portraits d’Élisabeth de Valois. Mais
nous pouvons voir dans ses portraits peints le même processus que dans la sculpture de
l’entrée à Alcalá de Henares, la reine est sans cesse rapprochée de cette allégorie. On utilise
les mêmes codes pour l’une et pour l’autre.
La destinée de la fille de Henri II et Catherine de Médicis est explicite dans les portraits
où des allégories sont utilisées, mais est plus implicite dans les portraits peints que nous
connaissons. Cependant nous ne pouvons faire abstraction de la distance qu’il existe entre
l’image officielle d’Élisabeth de Valois et son attitude que les lettres de caractère privé nous
décrivent. Il apparaît donc tout à fait envisageable que cette image officielle, bien que
238
S. Édouard, loc. cit. p. 138.
239
Voir I/ B. Un modèle qui s’inscrit et qui suit la mode de son époque comme de son rang social, le premier
point sur l’étude de l’expression, pp. 24-27.
90
mimétique, fut créée en respectant la bienséance des deux maisons de la reine240
mais aussi en
reprenant des qualités liées à l’allégorie de la Paix afin d’associer, dans le présent et pour la
postérité, la souveraine à cette personnification.
La troisième épouse de Philippe II : une reine d’envergure européenne ?
Nous avons vu que l’Espagne et la France sont, avec l’Angleterre, les puissances les
plus importantes du vieux continent à la fin du XVIe
siècle. Nous pourrions alors supposer
qu’appartenant à deux des maisons les plus fortes, Élisabeth de Valois joue un rôle capital et a
une place particulière sur l’échiquier européen. Cependant les différents éléments nous avons
déjà vu dans ses portraits sont plutôt contradictoires avec cette idée. En nous appuyant sur
l’Histoire et sur l’image de la reine, mettons en lumière son poids et son rôle dans la politique
européenne.
Les portraits d’Élisabeth de Valois s’insèrent dans la typologie du portrait européen et
du portrait habsbourgeois. Ils suivent la tradition du moment, mais peut-on dire par là qu’ils
montrent la stature européenne de la nouvelle reine espagnole ? C’est sans doute aller trop
loin car, certes, par la reprise de ce canon, Élisabeth s’inscrit dans ce cadre géopolitique, mais
cette réinterprétation ne montre pas son pouvoir et l’étendue de celui-ci. Si on compare les
portraits de la troisième épouse de Philippe II à celui de Marie Tudor241
(fig. 19), on voit tout
de suite une différence. Marie Tudor est reine d’Angleterre par héritage et reine d’Espagne
par alliance, c’est donc typiquement une reine d’envergure européenne au niveau politique.
La posture et l’image qu’elle donne à voir au spectateur, dans le portrait de notre catalogue,
sont complètement différentes de celles d’Élisabeth. Bien que la reine d’Angleterre soit
assise, elle se tient très droite, comme si elle était prête à se lever et à aller gouverner. Les
épaules de Marie Tudor sont plutôt carrées montrant sa force, alors que celle d’Élisabeth
240
Comme nous l’avons vu dans le chapitre II/ Le mariage avec Philippe II en 1559 : l’apparition d’une
nouvelle image tendant vers la création d’une effigie royale et son hispanisation, pp. 45-79.
241
Marie Tudor étant la deuxième épouse de Philippe II.
91
apparaissent souvent abaissées (fig. 6, 7 et 8). Nous avons vu que, souvent, la fille de Henri II
ne sait que faire de ses mains (fig. 5) ; dans son portrait, la reine d’Angleterre empoigne un
gant et tient une rose (symbole de la nation anglaise), elle montre ainsi que c’est elle qui
détient le pouvoir242
, qu’elle est la maîtresse de l’Angleterre. Un point sur lequel il est
important d’appuyer est la démonstration de l’activité de la reine. Pour qu’une reine ait une
envergure européenne, il faut d’abord qu’elle ait un réel pouvoir sur son royaume et qu’elle
montre sa force. Un portrait sert aussi à asseoir une autorité et donc à provoquer une certaine
crainte, ne serait-ce que minime. Ceci est très clair dans le portrait de Marie Tudor, grâce à
son attitude, à son expression et à ses attributs. Le spectateur comprend très vite qu’il s’agit
d’une femme de pouvoir et qu’elle est capable de mener des combats d’importance. Les
portraits d’Élisabeth de Valois ne renvoient pas du tout cette sensation. Elle est complètement
passive, en attente (fig. 8), elle n’a pas les rênes du royaume et ne peut rien faire. Sylvène
Édouard rend compte dans son ouvrage243
de l’incapacité de la princesse française à jouer un
rôle diplomatique dans les relations étrangères de l’Espagne244
. Ses portraits le montrent très
bien, c’est une femme passive qui se cache derrière le pouvoir de son mari (fig. 7). Nous
pouvons interpréter cela aussi avec le focus de la notion étudiée précédemment : il est
possible que la nouvelle reine d’Espagne soit représentée de manière passive car elle est la
garante de la paix. Elle ne doit, ainsi, pas montrer sa force ou son pouvoir pour être crainte
mais, au contraire, montrer une douceur et inspirer confiance pour arriver à ses fins : la
continuité de cette paix très prisée.
Par contre, l’importante diffusion de l’image d’Élisabeth de Valois à l’époque
contemporaine fait d’elle une reine européenne : on connaît une grand nombre de copies qui
furent et sont encore présentes un peu partout en Europe. Nous avons vu que la copie était une
242
On peut peut-être voir ici une référence aux conflits religieux qui ont lieu à cette période en Angleterre et qui
oppose Marie Tudor à sa demi-sœur illégitime Élisabeth Tudor (future Élisabeth 1ère
).
243
S. Édouard, op. cit. note 60, pp. 162-172. Catherine de Médicis le déplore d’ailleurs dans ses lettres.
244
A l’exception des relations avec la France.
92
chose très courante au XVIe
siècle, cependant plus le statut du modèle est important, plus il y
a de copies de son image et plus la personne est internationalement reconnue, plus la
dispersion de ces copies est grande. Actuellement, la plupart des portraits d’Élisabeth de
Valois sont conservés en France et en Espagne, mais on en trouve également en Autriche, en
Italie ou encore en Angleterre. Nous ne connaissons pas toujours la provenance des ces
œuvres, mais il est évident que dès le XVIe
l’image de la reine a été largement diffusée. Nous
avons des traces d’envois de portraits en Angleterre, au pape (et donc en Italie), en France
bien sûr, mais il paraît également évident que des portraits furent envoyés à la cour
autrichienne, berceau de la maison des Habsbourg et à la cour portugaise. Leticia Ruiz Gómez
souligne l’importance de ces envois : « La repetición del retrato de la nueva esposa de Felipe
II resultaba especialmente oportuna tanto que servía para subrayar la nueva relación hispano-
francesa en el marco europeo, tras un largo período de desavenencias y conflictos
armados »245
. Nous revenons encore ici à cette paix. Une fois de plus, l’image d’Élisabeth de
Valois est véhiculée comme garante d’une paix européenne246
, ses portraits étant ainsi
largement diffusés afin de propager la bonne nouvelle.
Élisabeth de Valois n’apparaît donc pas dans son image officielle comme la gouvernante
d’un empire, c’est son mari qui gouverne, elle n’est que son subalterne et ne détient pas
physiquement le pouvoir régalien. Nous pouvons dire que ce n’est pas une reine d’envergure
européenne car elle n’a pas une position active dans la politique extérieure espagnole. Elle ne
prend part ni aux alliances, ni aux affaires publiques, à l’exception peut-être des relations avec
la France. Mais, même là, sa mère lui reproche ne de pas assez servir les intérêts de sa maison
d’origine et de ne pas avoir de pouvoir sur les décisions de son mari247
. Tout ceci est
245
« La répétition du portrait de la nouvelle épouse de Philippe II était particulièrement propice car elle servait à
souligner la nouvelle relation hispano-française dans le cadre européen, après une longue période de désaccord et
de conflits armés » (nous traduisons), L. Ruiz Gómez, op. cit. note 210, p. 344.
246
La France et l’Espagne étant au centre de tous les conflits européens de cette époque grâce à un complexe jeu
d’alliance.
247
Lettre de Catherine de Médicis.
93
clairement montré par ses portraits qui la représentent passive et soumise à son mari
(principalement dans le portrait de l’entrevue de Bayonne où la reine tient un portrait du
souverain). Le seul sujet à partir duquel Élisabeth de Valois peut concevoir une image
autonome ayant une ampleur européenne est la garantie de la paix : elle devient la
personnification de l’alliance entre la France et l’Espagne et ainsi l’emblème de la paix
européenne retrouvée. Mais cet impact sur l’Europe est limité, car si la reine incarne la paix,
elle n’a pas de poids dans les décisions de son mari. Il prend seul les décisions et gère sa
politique extérieure sans tenir compte de l’avis de la reine.
La vie d’Élisabeth de Valois ne peut se détacher de l’Histoire de France et, dans la
deuxième partie de sa vie, de l’Histoire espagnole. Ce rapprochement se lit de manière
évidente dans l’élaboration du modèle et de la composition de ses portraits. Mais son rôle
dans l’Histoire est peu actif et son image officielle rend aussi compte de cela. Elle est
représentée comme incarnant la Paix mais sans avoir l’autorité de l’assurer. Même dans les
portraits allégoriques (dont nous avons que des traces écrites), ses portraits la montrent dans la
position d’une personne qui subit, qui n’a aucune emprise royale. C’est le souverain qui
décide, il a reçu son pouvoir par héritage, il est donc plus légitime que la reine qui n’a accès
au trône que grâce à son mariage avec le roi.
B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ?
En suivant le constat que Ernst Kantorowicz fait sur la perception du corps du roi au
Moyen-Âge248
et l’étude de Louis Marin qui part de cette démarche pour interroger le portrait
248
E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, Paris, 1989 (1ère
édition anglaise en 1957).
94
du roi249
, nous tenterons de voir comment sont représentés les deux corps de la reine. Qu’est-
ce qui est de l’ordre du public et qui est alors exposé dans les portraits et qu’est-ce qui ne l’est
pas et qui est conservé pour le privé ?
La théorie des deux corps du roi
Ernst Kantorowicz250
écrit en 1957 un ouvrage qui fait date dans le monde scientifique :
Les deux corps du roi. Il s’agit d’une étude sur la symbolique du pouvoir à l’époque
médiévale dont la thèse principale (qui a donné son nom au livre et qui sera maintes fois
reprise et étudiée) est la suivante : « le roi posséderait deux corps, l'un naturel, mortel, soumis
aux infirmités, aux tares de l'enfance et de la vieillesse ; l'autre surnaturel, immortel,
entièrement dépourvu de faiblesses, ne se trompant jamais et incarnant le royaume tout
entier »251
. Comprenons de ceci qu’il y a une division entre, d’un côté, le corps privé, le même
que n’importe quel homme sur terre et, de l’autre, le corps public , qui est donné par la
fonction même du monarque. Loïc Blondiaux, auteur d’un article sur cette œuvre, souligne
que, selon l’auteur lui-même, cette pensée ne s’applique qu’à l’Angleterre des XVIe
et XVIIe
siècles. Cependant, comme l’ont déjà fait Louis Marin, Jean-Marie Apostolidès252
ou encore
Ralph Giesey253
, nous pensons qu’il est possible de reprendre cette idée générale et de
l’appliquer à différentes monarchies européennes, principalement celles de l’Époque Moderne
et celles où la croyance en Dieu est encore très importante.
L’image officielle du roi à la cour d’Espagne (et dans le cas qui nous intéresse à la cour
de Philippe II) présente uniquement le corps public du roi. On a vu qu’à la différence de
l’image française où on cherche à être au plus près du modèle (avec, tout de même, une
formule type dont on ne peut pas beaucoup s’éloigner), les portraits de la famille royale
249
L. Marin, op. cit. note 30.
250
Historien allemand du XXe
siècle, ami de Erwin Panofsky.
251
L. Blondiaux, « Kantorowicz Ernst, Les deux corps du Roi » dans Politix, vol. 2, n°6, printemps 1989, p. 84.
252
J.-M. Apostolidès, Le roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, Minuit, 1981.
253
R. Giesey, Le roi ne meurt jamais, Paris, Flammarion, 1992
95
espagnole présentent une idéalisation du corps du modèle254
. Ce dernier est sans cesse en
représentation, il ne doit pas montrer ses faiblesses physiques ou morales. Il est la
personnification de l’État et doit rendre explicite toute la solidité et la puissance de celui-ci.
Ainsi, le corps privé appartient à l’intimité du roi et ne doit pas apparaître dans ses portraits,
qui sont tous l’exhibition d’une image publique. Mais qu’en est-il alors pour la reine ?
Nous avons vu que son rôle politique, à la cour d’Espagne de la fin du XVIe
siècle, est
moindre. Peut-on, alors, tout de même parler de deux corps pour la reine, un privé et un autre
public ? Cette idée paraît peu contestable. Le corps de la reine est aussi l’incarnation d’une
conception publique, nous venons de le voir surtout avec Élisabeth de Valois. Son corps
incarne la paix jouant avec un processus de personnification et en même temps de réification :
la reine personnifie la Paix, mais elle est réduite à n’être qu’un corps, elle n’est qu’un produit
que l’on s’échange. Par ailleurs, la notion du corps privé de la reine est une chose assez
complexe à définir. En effet, le terme « privé » a deux définitions : d’une part, c’est ce qui ne
dépend pas de l’État et, d’autre part, ce qui appartient à l’intimité. Mais chez la reine, son
intimité même fait partie de l’État, puisque tout ce qui est lié à la grossesse et à l’enfantement
appartient au domaine public. Pourtant ceci n’apparaît pas dans ses portraits, nous le verrons
dans un chapitre suivant255
.
Alors, quand on regarde les portraits d’Élisabeth de Valois, voit-on ces deux corps ou tel
le roi, seul son corps public est-il seul présenté ? Il ne nous parait pas incongru de rapprocher
cette distinction entre corps privé et corps public de la différenciation entre la proximité et la
distanciation dont on a déjà beaucoup parlé. Expliquons notre point de vue : lorsqu’on parle
de proximité entre le spectateur et le modèle d’un portrait, on dit souvent que le premier peut
avoir l’impression d’être dans l’intimité du deuxième. Cette impression est souvent rendue par
254
Pensons par exemple au portrait de Don Carlo où celui-ci est largement idéalisé, ne montrant pas son
handicap physique. C’est un portrait mimétique, mais on utilise des artifices pour cacher subtilement les
disgrâces du modèle (fig. 27).
255
III/ B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ? et notre point sur le devoir
d’enfanter d’Élisabeth de Valois qui est absent dans ses portraits, p. 93-95.
96
le simple fait de représenter le sujet comme une personne et non comme un personnage,
lorsqu’on laisse voir le corps privé du modèle derrière son corps public. Dans les portraits
d’Élisabeth de Valois, son corps privé est bien plus présent dans les portraits où elle n’a pas
d’attribut (principalement les portraits enfants, fig. 1, 2, 12 et 13) et ceux où le cadrage est
rapproché (l’attention est alors portée sur l’expression du visage et des yeux, miroir de la
pensée et de l’intimité de la personne).
Toutefois, les trois portraits que nous avons d’Élisabeth après sa mort (fig. 8, 9 et 10),
bien qu’ils aient un cadrage rapproché ne renvoient pas le spectateur au corps privé de la
reine. Nous avons vu, dans la thèse de Ernst Kantorowicz, que le corps privé est perçu comme
le corps physique, le corps mortel. Une fois la souveraine décédée, le corps physique
d’Élisabeth n’est plus présent, il ne reste plus que le corps immortel de la reine. Lorsqu’ils
étudient l’œuvre de E. Kantorowicz, de nombreux historiens cite la célèbre phrase : « le roi
est mort, vive le roi ! »256
. Cette phrase peut très bien être appliquée à l’étude des portraits
post mortem de la reine espagnole. Nous voulons dire par là que la reine est une défunte par
son corps physique mais son corps public existe encore. Élisabeth de Valois n’est plus mais
son corps politique est « immortel (…) et incarn[e] le royaume tout entier » 257
pour l’éternité.
Même si dans la matière, son corps est devenu poussière, elle reste une reine espagnole
honorée et respectée par son peuple. La théorie de E. Kantorowicz des deux corps de roi,
revue par un certain nombre d’historiens, est donc tout à fait applicable à l’étude des portraits
d’une reine et particulièrement ici à l’image d’Élisabeth de Valois.
Le devoir de beauté : établissement d’un canon par les portraits
Mais la séparation habituelle de ces deux corps n’est pas si simple que cela. Le corps
représenté de la reine a le devoir de respecter un certain canon de beauté. Pourquoi ? Parce
256
Phrase traditionnelle que l’on déclame lors de la nomination d’un nouveau monarque. Elle fut dite pour la
première fois lors de la désignation de Charles VII après la mort de son père Charles VI en 1422.
257
L. Blondiaux, op. cit. note 251, p.84.
97
qu’il est l’agent du corps immatériel de la souveraine. Nous voulons dire par là, qu’au XVIe
siècle, l’enveloppe corporelle (en général, mais plus particulièrement dans les portraits) est la
représentation de l’essence de la personne. Le corps physique est donc au service du corps
public, il est conditionné par celui-ci. Sur ce point, Sylvène Édouard élabore la pensée
suivante :
Si le portrait est un medium de connaissance efficace, il ne doit pas se contenter de
montrer, il doit aussi produire un discours capable d’éloquence en révélant, par la beauté du
corps, la beauté de l’âme. L’ornementation du corps, avec le luxe des vêtements et des
parures, contribue à cette magnificence de la reine mais tout en prenant le risque de la mettre
en danger dans le cadre des discours moraux condamnant les mises trop élaborées258
.
Ou encore : « [le] simulacre du corps est d’autant plus important qu’il doit être porteur
de sens, celui de la majesté, rejoignant ainsi l’idée que l’apparence du beau corps, du corps
majestueux, renvoie à la beauté et à la grandeur de l’âme qui l’habite, cette même évidence de
beauté intérieure déjà évoquée dans le banquet de Platon »259
. Les conclusions de
l’historienne nous paraissent tout à fait applicables à la condition et aux portraits d’Élisabeth
de Valois, et ce dès son plus jeune âge. Si les dessins d’Élisabeth la présentent avec des bijoux
(fig. 1 et 2), c’est aussi pour la sublimer260
et ainsi refléter, par une certaine beauté physique,
la pureté de son âme et la bonté de son coeur. Il en est de même pour les portraits royaux où
les ornements n’apparaissent pas comme des attributs (attributs dans le sens de symboles
attachés à la représentation d’une idée concrète) et ne sont présents que pour magnifier le
corps de la reine (ceinture, couvre-chef, bijoux).
Cependant la beauté n’est qu’affaire de goût, quels sont alors les critères pour dépeindre
une belle reine ? Différents historiens ou philosophes de l’esthétique ont tenté de les
décrypter, mais il ne semble pas possible de dégager des généralités à l’échelle européenne.
L’exemple d’Élisabeth est probant : suivant certains écrivains du XVIe
siècle, cette reine était
258
S. Édouard, op. cit. note 60, p. 76.
259
S. Édouard, loc. cit.
260
Nous avions d’abord élaboré l’hypothèse qu’il s’agisse d’une simple représentation mimétique du modèle
dans sa condition et sa manière d’être au quotidien.
98
très belle. Citons uniquement Brantôme : ses cheveux « assombrissaient son teint et le
rendaient si attirant que les seigneurs de la cour ne l’osaient regarder de peur d’en être épris ».
À l’inverse, des ambassadeurs étrangers (non français) à la cour d’Espagne décrivaient
Élisabeth comme une enfant pleine de vie mais avec un visage aux traits quelque peu
masculins (visage carré et marqué). Ce débat se poursuit toujours à l’heure actuelle, alors que
Maria Kusche parle d’une enfant moche et capricieuse261
, Louise Roblot-Delondre va, elle,
plus parler de charme et d’élégance262
à propos d’Élisabeth.
Rappelons, enfin, que suivant la tradition des portraits des Habsbourg, les
représentations d’Élisabeth de Valois sont des images idéalisées pour correspondre à un type
particulier de canon. Si on jette un œil aux différents portraits de notre catalogue qui
représentent des modèles appartenant à la famille autrichienne, on remarque une ligne et une
morphologie semblables. Ces femmes ne sont pas très grandes, mais leur robe amplifie l’idée
de verticalité. Elles sont d’une morphologie moyenne qui est enfermée dans un carcan
d’armatures et de lourds tissus. Pendant des décennies, on retrouve cette même silhouette
rigide qui tend à cacher les formes263
. Le gainage du corps féminin provoque en grande partie
cette unification de la morphologie. C’est aussi pour ça qu’on ne voit pas une grande
transformation physique dans le corps d’Élisabeth de Valois. Entre les premiers et les derniers
portraits de cour, la reine semble avoir conservé le même corps alors qu’elle a, tout de même,
mené deux grossesses à terme et fait un certain nombre de fausses couches. Nous avons déjà
vu que Sylvène Édouard264
parle de sources contemporaines qui mentionneraient une prise de
poids après le mariage d’Élisabeth et que celle-ci n’apparaît pas dans les portraits espagnols
de la reine. On peut expliquer ce fait par l’hypothèse précédente : la reine est idéalisée, dans
ses portraits, pour correspondre au canon de la beauté espagnole (ou habsbourgeoise). Cette
261
M. Kusche, op. cit. note 116.
262
L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56.
263
C. Bernis, op. cit. note 118.
264
S. Édouard, op. cit. note 60.
99
idéalisation se fait en grande partie grâce au costume porté à la cour de Philippe II265
qui forge
les courbes du corps féminin. L’élaboration de cet archétype de la beauté et des formes
féminines est intensifiée par la pose quasi constante que l’on retrouve dans les portraits
habsbourgeois. Le corps est ainsi présenté toujours de la même façon, insistant sur la
verticalité et centrant l’attention sur le tronc immobile du modèle, enfin jouant sur l’apparente
mobilité des bras. Nous pouvons également voir la ligne du costume typique comme un
élément permettant de cacher le corps privé pour montrer uniquement le corps politique,
reprenant alors la pensée d’Érasme qui voit le vêtement comme étant le corps du corps. Les
robes gainées sont le corps public du corps intime.
Ainsi le corps public d’Élisabeth de Valois ne peut être considérablement distingué de
son corps privé, surtout si l’on considère le premier comme étant immatériel et le second
comme étant le corps palpable. La beauté appartient alors sans aucun doute au « corps
naturel »266
. Mais, dans les portraits de la reine d’Espagne267
, la beauté est rendue au moyen
d’artifices (qui par leur définition n’appartiennent pas au naturel) et c’est en partie elle qui fait
de ce corps charnel, un corps platonique.
Le devoir d’enfanter pour continuer l’Histoire : absent dans les portraits
d’Élisabeth de Valois
L’autre point sur lequel la frontière entre le corps intime et le corps politique peut être
difficile à saisir dans les portraits féminins est celui de la représentation du « corps qui doit
enfanter »268
. Nous avons déjà abordé rapidement ce point, développons-le ici en essayant de
comprendre comment cette fonction élémentaire de la reine est habituellement représentée et
pourquoi elle est si peu présente dans les portraits d’Élisabeth de Valois.
265
Cette ligne du costume n’est pas propre à la souveraineté de Philippe II, elle était déjà présente sous son père,
Charles Quint, mais elle se continuera jusqu’à la fin du règne du fils.
266
L. Blondiaux, op. cit. note 251, p. 84.
267
Suivant la typologie du portrait de cour espagnol de la seconde moitié du XVIe
siècle.
268
Cette citation reprend le titre d’un chapitre du livre de S. Édouard, op. cit. note 60, p. 211.
100
Les oeuvres fondant l’iconographie de la représentation d’une mère et de son enfant sont
évidemment les représentations de la Vierge à l’Enfant. Dans ces images, l’enfant est déjà
présent comme un attribut : c’est parce qu’elle a donné naissance à Jésus que Marie est
devenue la Vierge et la mère de tous les chrétiens. L’image du Christ enfant à côté d’elle est
donc un rappel évident de sa condition de mère qui, à son tour, renvoie à l’essence même de
la Vierge. C’est un moyen de revendiquer sa place et de légitimer son rôle. Cette idée est
généralement reprise pour les portraits des reines ou des femmes dont leur pouvoir dépend de
leur enfant (moyen d’expliquer et d’entériner leur lien avec leur mari et ce qu’il représente).
Lorsqu’une princesse se marie, son rôle principal est d’assurer la continuité de la
dynastie de son époux (et de l’alliance entre sa famille d’origine et sa famille par alliance, s’il
s’agit d’une princesse étrangère). Il est donc de son devoir de faire des enfants, comme le
souligne Sylvène Édouard269
. On sait, par exemple, les débats qu’a occasionnés la difficulté
de Catherine de Médicis à tomber enceinte. Elle fut même jusqu’à être menacée de
répudiation. Cette question est également capitale dans la vie d’Élisabeth de Valois. Lorsque
celle-ci arrive à la cour d’Espagne, elle n’est pas encore réglée ce qui exclut toute possibilité
d’enfanter. Il fut, à la cour d’Espagne, énormément question de cette non-puberté, c’est
également un sujet des lettres de Catherine de Médicis qui avait demandé qu’on la prévienne
dès que sa fille aurait ses règles.
Cela peut alors paraître troublant qu’elle ne soit pas représentée avec ses filles, une fois
celles-ci nées (1566 et 1567). Nous connaissons de nombreux portraits de mères avec leur(s)
enfant(s) : le portrait d’Éléonore de Tolède avec son fils peint par Bronzino270
, les portraits
représentant Catherine de Médicis et ses enfants (portraits disparus à ce jour271
) ou encore le
269
« Le premier devoir de la reine ét[ait] d’enfanter », loc. cit. p. 226.
270
Portrait d’Éléonore de Tolède avec son fils Giovanni de Médicis, Bronzino, 1545, huile sur bois, 115 x 96
cm, Florence, Galerie des Offices.
271
Voir notre catalogue (Vol. 2), p. 69.
101
portrait de Diane d'Andoins, comtesse de Guiche, et sa fille (fig. 6d). Plusieurs suppositions
peuvent nous permettre de comprendre cette absence.
Tout d’abord, nous avons très peu de portraits, voire aucun, correspondant à la typologie
du portrait habsbourgeois représentant une mère et son enfant. Il semble donc que cette
formule ne se soit pas encore installée à la cour espagnole, cela reste une identité étrangère.
La seconde hypothèse est que, lorsque Élisabeth met au monde ses deux filles, la
succession du trône de Philippe II est encore assurée grâce à don Carlo272
(fils aîné du roi
d’Espagne et de Marie Manuelle du Portugal273
). Élisabeth de Valois ne peut revendiquer une
quelconque mainmise sur la succession du trône espagnol. Il est possible que si elle avait eu
un fils, il en aurait été autrement. Suivant cette idée, on peut, d’ailleurs, voir une évolution
dans les représentations des infantes, Isabelle Claire Eugénie et Catherine Michelle, après la
mort de leur frère aîné.
Enfin, n’oublions pas que nous n’avons pas de portraits originaux d’Élisabeth de Valois
entre 1561 et 1570. Nous ne pouvons donc écarter l’hypothèse qu’il ait existé des
représentations de la mère et de ses filles mais qu’elles aient aujourd’hui disparu et nous
soient inconnues274
. Il est également possible qu’Élisabeth fut énormément marquée par ces
grossesses et les innombrables maladies qu’ont provoqué ses fausses couches. Ainsi, suivant
l’étiquette espagnole, on attendait qu’elle retrouve une certaine forme pour pouvoir la
représenter. Forme qu’elle n’a jamais retrouvée, décédant juste un an après avoir mis au
monde sa deuxième fille.
Nous avons vu les deux corps du roi définis par Ernst Kantorowicz et avons tenté
d’appliquer cette théorie à la reine et à ses portraits. Il nous est apparu, cependant, qu’il était
272
Nous employons le terme « encore » car don Carlo mourra la même année qu’Élisabeth de Valois.
273
Marie Manuelle du Portugal (1527-1545) est la cousine paternelle et maternelle de Philippe II et sa première
épouse.
274
Cependant, nous n’avons absolument aucune trace, à ce jour, qui nous guiderait sur cette voie.
102
plus difficile de marquer une frontière aussi nette dans l’étude du corps de la reine, car
l’intimité de celle-ci est bien souvent rendue publique à la cour et dans les cours étrangères.
Dans l’image d’Élisabeth de Valois, il n’apparaît, en fait, que peu d’éléments privés, ils sont
soit dissimulés derrière l’apparat du corps politique, soit totalement absents.
C. La continuité d’une typologie du portrait franco-espagnol : la représentation d’une
double identité à la suite des portraits d’Élisabeth de Valois
Dans nos première et deuxième grandes parties, nous avons vu comment les portraits
d’Élisabeth de Valois s’inscrivaient dans une formule déjà élaborée bien avant sa naissance
(pour les portraits français) et avant son couronnement (pour les portraits espagnols). Mais
nous avons aussi remarqué que loin de reprendre pleinement le modèle pré-établi, l’image
officielle de la nouvelle reine d’Espagne apporte de nouvelles suggestions. Élisabeth de
Valois ajoute quelques touches personnelles à ces représentations si canonisées. Attachons-
nous à présent à voir comment l’iconographie de cette reine laisse des traces dans les portraits
féminins postérieurs et quelles sont-elles.
L’influence de l’image d’Élisabeth de Valois dans les portraits des infantes
d’Espagne et plus généralement à la cour d’Espagne
Il n’existe pas de portraits connus d’Élisabeth de Valois avec ses filles, Isabelle Claire
Eugénie et Catherine Michelle, nous venons de le voir, mais pour autant, il est tout à fait
possible de faire des liens entre les représentations individuelles de la reine et celles des
princesses. Par exemple, dans son étude nommée Sur le portrait d’une Infante, Carlo Bronne
ne peut s’empêcher de parler des portraits d’Élisabeth de Valois pour étudier ceux d’ Isabelle
103
Clara Eugénie. Mais quels éléments ont marqué la cour et ses artistes pour être repris dans les
portraits postérieurs ?
Un argument principal de la continuité des portraits de la mère dans ceux de ses filles est
le fait qu’elles furent représentées par les mêmes artistes. On retrouve donc la technique, les
compositions et le style. Mais le lien est plus profond. Prenons le dernier portrait d’Élisabeth
de Valois peint par Sofonisba Anguissola (fig. 10) et comparons-le avec le portrait de
Catherine Michelle par la même artiste (fig. 10a). Le visage est positionné de la façon
similaire et a une expression neutre équivalente, on retrouve dans les yeux de la princesse la
bonté et la douceur des yeux de sa mère. On perçoit également un autre élément déjà présent
dans les portrait d’Élisabeth : la volonté de proximité avec le spectateur. Catherine Michelle
se place par exemple plutôt à l’avant du buffet. Cette position permet un effet de style : elle
permet d’ouvrir l’espace derrière le modèle, réduisant ainsi la distance avec le spectateur275
.
Enfin, dernier lien explicite avec la reine, la princesse porte des bijoux ayant appartenu à sa
mère : le collier de perles et la ceinture de joyaux. Par contre, l’aspect global de la peinture est
beaucoup plus sombre et plus austère, s’insérant, plus encore, dans le goût espagnol. Maria
Kusche remarque que « el colorido del traje se ha hecho aún más discreto, al mismo tiempo
más refinado, igualmente se repiten esos minúsculos puntos rojos casi imperceptibles – ya
observados en el retrato de la madre – que avivan el negro y el oro »276
. On retrouve ici ce que
les historiens voyaient dans les portraits d’Élisabeth de Valois : celle-ci apporte à la cour
espagnole le goût pour le luxe et pour un plus grand raffinement. Les vêtements de sa fille
restent marqués par cet apport. De plus, la princesse française a apporté de la couleur dans ses
275
Dans les portraits des Habsbourg, la mise à distance est souvent rendue grâce à un objet qui vient marquer la
profondeur devant le modèle. De cette façon, l’espace entre le spectateur et le personnage est concrétisé.
276
« Le coloris du costume est encore plus discret, en même temps plus raffiné, se répètent également ces points
minuscules rouges presque imperceptibles - déjà observés dans le portrait de la mère – qui ravivent le noir et
l'or » (nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116, p. 249.
104
robes277
. Dans ce portrait de Catherine Michelle, ce ne sont que quelques touches, mais
parfois le costume entier est coloré. Alonso Sánchez Coello a peint plusieurs portraits de deux
filles de Philippe II ensemble, c’est le cas dans le portrait de 1568, conservé à Madrid278
.
Alors que, dans la plupart des autres portraits, les deux infantes ont une tenue parfaitement
espagnole (qui reprend par ailleurs la tenue de leur mère dans ses portraits peints par
S. Anguissola), dans cette toile, Isabelle Clara Eugénie a une robe très colorée. Cette couleur
ne peut que nous rappeler celle portée par sa mère dans son premier portrait espagnol (fig. 4).
La partie de la robe en dessous de la ceinture nous renvoie, elle, à la robe carmin que porte
Élisabeth dans le portrait en pied de Juan de la Rúa (fig. 5b).
D’autre part, les différents portraits des deux princesses les montrent généralement dans
un cadre plutôt familier. Elles n’ont pas un comportement enfantin et, comme Élisabeth dans
ses premiers portraits, elles respectent parfaitement la bienséance par leur attitude et leur
expression. Cependant cette manière de représenter les enfants est assez nouvelle en Espagne.
Souvenons-nous du portrait de Don Carlo où il est représenté dans un cadre strictement
public279
(fig. 27), Juan d’Autriche280
est représenté suivant les mêmes codes dans ses
portraits, dans un contexte extrêmement formel281
. Nous pouvons donc interpréter le caractère
privé des portraits de deux infantes comme une marque de la proximité de la cour française
transmise à la cour espagnole par Élisabeth de Valois.
Enfin, Lorne Campbell en étudiant un autre portrait des deux sœurs (fig. 21) déclarent
que celles-ci « imitent un peu gauchement la pose que prenait souvent leur défunte mère
277
Regardons les différents portraits de Jeanne du Portugal (la plupart réalisée par Anthonis Mor), ses robes sont
exclusivement noires, avec parfois quelques touches d’or (fig. 6c et 20). Marie Tudor, épouse de Philippe II
avant Élisabeth de Valois, conserve cette formule. Dans le portrait de 1554 (fig. 19), elle est vêtue de noir, bien
que la deuxième robe soit d’un tissu blanc et noir typiquement espagnole. Il n’y a pas de couleur à proprement
parler dans son costume.
278
Infantes Isabelle Clara Eugénie et Catherine Michelle, A. Sánchez Coello, 1568, Madrid, Dépôt Royal.
279
Ce portrait est déjà un portrait d’État, avec un message clair : la scène que l’on aperçoit par la fenêtre, la
posture du modèle et son manteau montre la force et la légitimation du pouvoir du prince.
280
Fils naturel de Charles Quint et de Barbara Blomberg de Ratisbonne (1547-1578).
281
Juan d’Autriche, A. Sánchez Coello, 1559, États-Unis (lieu inconnu), avant au musée de Saint Louis
(Missouri).
105
Élisabeth de Valois »282
. Il est vrai qu’on retrouve la même posture avec un manque d’aisance
et une pose un peu figée. Les bras sont également presque dans la même position. Cependant,
il paraît exagérer d’attribuer cette tenue de corps à Élisabeth, car, nous l’avons vu, elle
reprend globalement la position typique des portraits féminins habsbourgeois.
Bref, nous retrouvons dans les portraits de ses filles, les apports de la reine franco-
espagnole. L’austérité est un peu plus présente que dans les portraits de leur mère, mais on
retrouve la simplicité et la bonté de celle-ci. Le rapport avec le spectateur est aussi moins
distant que dans la retenue de ses contemporaines espagnoles ou habsbourgeoises, c’est-à-dire
plus dans la confidence de la princesse française.
Mais l’impact de l’image d’Élisabeth de Valois ne marque pas exclusivement celle de
ses filles. Les apports de la princesse française dans l’image officielle espagnole resteront
quelques temps en vigueur. Élisabeth de Valois a contribué à modifier un peu le goût et
l’étiquette de la cour.
Lorsqu’on étudie les portraits d’Anne d’Autriche, quatrième épouse de Philippe II, on y
reconnaît un goût de la française. Tout d’abord, cette nouvelle reine est très souvent
représentée en blanc : après les tenues colorées d’Élisabeth, la reine pouvait se faire
représenter comme bon lui semblait. Par contre, les notes colorées, qu’on peut voir dans les
portraits des infantes, n’apparaissent pas dans ceux d’Anne d’Autriche. Elle garde des
nuances assez strictes comme le blanc, le noir et le doré. Les portraits de la dernière épouse de
Philippe II reprennent un autre élément des représentations d’Élisabeth : un cadrage assez
proche permettant, selon le procédé utilisé dans la figure 4, de rapprocher la reine de son
sujet. Remarquons tout de même que même si la robe est coupée, elle ne l’est pas autant que
celle de la princesse française : c’est une simple inspiration et non pas une reprise complète.
282
L. Campbell, op. cit. note 20, p. 206.
106
Enfin, on peut voir également une évolution dans les portraits de Philippe II : la couleur
est plus présente. Même si ses costumes restent très sombres, l’environnement est plus coloré,
plus chaleureux, plus vivant (fig. 26). Les historiens voient la période où Philippe II est marié
avec Élisabeth de Valois comme la plus gaie et la moins austère de son règne, cela se voit
également dans les portraits du roi.
L’image d’Élisabeth de Valois a donc marqué la cour espagnole avec un élément
concret : l’apport de couleurs et de polychromie dans les vêtements sombres, sobres et
austères. Elle amène aussi une nouvelle vision du portrait : le modèle n’est plus si distant, il
n’est plus autant divinisé. L'environnement créé par les objets représentés est plus privé. On
perçoit un rapprochement entre la personne portraiturée et son spectateur, une proximité plus
marquée qui, pour autant, n’enlève rien à la grandeur du personnage.
Les portraits d’Anne d’Autriche, de son arrivée en France à la mort de son
mari : la recherche d’Élisabeth de Valois inversée afin de faire d’une infante espagnole une
reine française.
Au cours de notre étude, nous avons vu comment Élisabeth de Valois et ses artistes
cherchent à modifier son image pour répondre à deux étiquettes différentes : le goût français
et la convenance espagnole. Moins d’un demi-siècle après la mort de la reine espagnole283
,
une infante espagnole entre à la cour française en tant que future reine : il s’agit d’Anne
d’Autriche284
. Il est intéressant d’étudier les portraits de cette dernière en comparaison avec
ceux d’Élisabeth de Valois, afin de comprendre comment se crée l’image d’une reine
appartenant à deux Maisons et sur quels éléments s’appuient les artistes. Bref, pour
283
Rappelons qu’Élisabeth de Valois meurt en 1568 des suites d’une maladie, sans doute due à ses nombreuses
fausses couches.
284
Nous portons l’attention du lecteur sur la distinction entre Anne d’Autriche qui fut la quatrième épouse de
Philippe II, dont nous avons pu parler jusqu’à maintenant et Anne d’Autriche, infante espagnole et reine de
France et de Navarre en épousant Louis XIII, dont nous parlons à présent.
107
comprendre s’il y a une évolution type du portrait comme expression de la volonté
d’appartenance à deux Maisons.
Il existe une étude récente sur Anne d’Autriche menée parallèlement par des historiens
et des historiens de l’art français et espagnols285
. Celle-ci est dirigée par Chantal Grell et nous
nous appuierons sur elle pour notre comparaison286
. Anne d’Autriche arrive à la cour de
France en 1615, alors qu’elle est âgée de 14 ans. Dès ses premiers portraits, comme celui de
Rubens représentant l’échange de deux princesses (Anne d’Autriche et Élisabeth de
Bourbon)287
, Anne d’Autriche « apparaît comme le symbole vivant des négociations entre la
France et l’Espagne »288
. Cette phrase pourrait s’appliquer parfaitement à l’image d’Élisabeth
de Valois, c’est très clair, par exemple, dans la statue qui la représente sur le tombeau de
Philippe II où elle porte des armes et des blasons français et espagnols (fig. 11). Ainsi dans
chaque mariage entre deux royaumes, l’image de la femme devient l’emblème de l’alliance et
donc de la paix, car c’est elle qui est donnée et échangée (et non le roi). La princesse devient
l’incarnation de l’entente et son image accède presque au rang d’allégorie ou en tout cas de
personnification de la paix. La suite logique, nous l’avons vu avec les portraits d’Élisabeth de
Valois, est que la femme est « un pion sur l’échiquier politique et non pas une personne qui
agit de manière autonome »289
. Les deux princesses n’ont, dans leur portrait, aucun élément
qui montre qu’elles ont une influence sur la politique de leur pays290
. Elle sont toutes deux
soumises et n’ont un pouvoir que par le rôle de leur mari. Ainsi, comme Élisabeth de Valois
285
C. Grell (dir.), Anne d’Autriche : infante d’Espagne et reine de France, Paris, 2009.
286
Le lecteur pourra ainsi retrouver dans cet ouvrage les illustrations des portraits auxquels nous ferons
référence.
287
L’échange des deux princesses de France et d’Espagne sur la Bidassour à Hendaye, le 9 novembre 1615, P.-
P. Rubens, voir p. 211 de l’ouvrage cité en note 35.
288
B. Gaehtgens, op. cit. note 210, pp. 210-212.
289
B. Gaehtgens, loc. cit. p. 217.
290
Pour les portraits d’Anne d’Autriche, cela changera après la mort de son mari, car elle deviendra la régente et
c’est elle qui sera aux commandes de la France. Cette nouvelle fonction entraînera d’ailleurs une nouvelle
iconographie, comme nous le fait remarquer Barbara Gaehtgens : une fois régente, Anne d’Autriche « intervient
avec détermination pour transformer son iconographie », B. Gaehtgens, loc. cit. p. 230.
108
est représentée avec une miniature de Philippe II (fig. 6) ou comme son pendant (fig. 7291
et
8a), on trouve un certain nombre de portraits d’Anne d’Autriche avec Louis XIII et même
parfois avec Marie de Médicis (qui assure la régence pendant la minorité de ce dernier). De
ces différents éléments, nous pouvons déduire que lorsqu’une princesse devient reine d’un
pays voisin son image devient un symbole qui représente bien plus que la royauté mais va
jusqu’à une réification de la personne. Le message principal des portraits d’une telle reine
n’est pas l’expression de son pouvoir ou la volonté d’établir une crainte, mais uniquement de
montrer l’incarnation d’une action politique292
.
L’étude concrète de la transformation des portraits d’Anne d’Autriche est captivante car
elle montre le même processus que l’évolution de l’image d’Élisabeth de Valois mais dans un
but inversé. Alors que la princesse française tenter d’intégrer des éléments habsbourgeois
dans son image, Anne d’Autriche va ajouter à ses représentations des touches françaises293
. Il
est intéressant de constater que dans les portraits des deux femmes, ce sont les mêmes
éléments qui vont être repris des images officielles française et espagnole. Dans ces portraits
d’apparat, Anne d’Autriche conserve la pose traditionnelle des Habsbourg, mais reprend la
proximité à la française. Barbara Gaehtgens déclare en parlant d’un dessin de Daniel
Dumonstier294
daté de 1622 et représentant la reine française : il s’agit d’une « jeune reine
qu’on a presque l’impression de voir en privé »295
. Peut-être qu’Anne d’Autriche accepte
rapidement d’être représentée dans un cadre plus intime car Élisabeth de Valois avait déjà
291
Ce portrait fut réalisé pour la galerie des portraits de Château du Pardo, un portrait de Philippe II faisait
pendant à celui d’Élisabeth, mais pour autant la composition était différente.
292
Le portrait d’Anne d’Autriche « à côté de celui du souverain était d’abord le signe manifeste des liens
dynastiques, de la stabilité et de la continuité, en tant que tel il possédait aussi une dimension politique
extraordinairement importante, même si elle était moindre que celle du roi », B. Gaehtgens, op. cit. note 210,
pp. 213-214.
293
Les représentations d’Anne d’Autriche deviendront celles d’une parfaite reine française dès lors qu’elle sera
régente, ce qui l’amènera à dire à son frère Philippe IV, roi d’Espagne, en 1660 : « J’espère que Votre Majesté
me pardonnera d’avoir été aussi bonne Française ; je le devais au roi mon fils et à la France », citation tirée de
L. Azevou, « Les deux reines », dans op. cit. note 285, p. 333.
294
Daniel Dumonstier (1574 - 1646) est un dessinateur français, peu connu il a pourtant portraituré une grande
partie des personnages importants du début du XVIIe
siècle.
295
B. Gaehtgens, op. cit. note 210, p. 220.
109
apporté à la cour d’Espagne de tels éléments dans ses portraits (et dans ceux de ses filles).
Cependant, alors que la reine espagnole arrivait à cette proximité par le cadrage mais aussi, et
surtout, par son regard et son expression, Anne d’Autriche garde dans ce dessin « un regard
qui effleure avec quelque distance le spectateur »296
. Chacune a donc des cartes identiques en
main mais elles jouent suivant des stratégies différentes, ayant pourtant les mêmes règles et
les mêmes buts. Remarquons que ce regard assez dur se transformera complètement une fois
qu’Anne d’Autriche sera veuve, il montrera, à partir de là, toute la bienveillance et l’affection
qu’elle porte à son peuple. Elle est désormais une reine française à part entière.
Enfin, la dernière évolution que l’on perçoit à la fois chez Élisabeth de Valois et chez
Anne d’Autriche est celle présente dans le vêtement. Rappelons ce que Sylvène Édouard dit
dans son ouvrage : « le vêtement était le corps du corps selon l’expression d’Érasme dans le
Traité de Civilité puérile, il agissait comme un signe fort de reconnaissance sociale »297
. Les
costumes portés dans les portraits sont donc choisis avec un soin extrême. Ainsi qu’une
princesse étrangère soit représentée avec des robes selon la mode de son pays d’origine ou
celle de sa nation d’accueil est chargé d’une forte signification. Dans les différents portraits
des deux reines étudiées, on voit la même évolution. Elles sont en premier lieu représentées
avec des tenues telles qu’elles en portaient avant leur mariage. On peut voir deux raisons à ce
fait : tout d’abord la garde de robe de la jeune femme est encore composée de nombreux
vêtements de son pays d’origine et elle est sans doute plus à l’aise dans ces tenues qu’elle
connaît, qu’elle porte depuis son jeune âge. D’autre part, c’est une manière, pour la famille
d’accueil, de montrer du respect au royaume de l’épouse : on accepte d’avoir à la cour des
traditions et des coutumes étrangères. Cependant, ceci ne peut durer très longtemps, la reine
doit accepter les mœurs de sa nouvelle famille. Nous avons par exemple des traces de
conseillers du roi Philippe II qui lui demandent qu’Élisabeth de Valois cesse de s’habiller à la
296
B. Gaehtgens, loc. cit.
297
S. Édouard, op. cit. note 60, p. 102.
110
française. C’est à ce sujet que s’attache Laurent Azerou lorsqu’il déclare : « Le balancement
entre [la] patrie de cœur et [la] patrie d’adoption doit pourtant être élucidé, car il [conditionne]
l’image de la reine »298
. Nous voulons dire par là que si la reine garde trop longtemps de forts
éléments de son pays d’origine dans ses représentations, elle sera toujours considérée comme
une étrangère et son pouvoir sur son nouveau peuple n’en sera qu’affaibli. L’évolution est
donc visible, au fil de leurs portraits, les deux princesses adoptent de plus en plus d’éléments
correspondant à la mode de leur nouvelle cour.
L’étude des portrais à la cour d’Espagne après la mort d’Élisabeth de Valois nous
montre que la princesse française a apporté à l’idéal habsbourgeois des éléments artistiques de
son pays d’origine. Mais l’analyse de l’évolution des portraits d’Anne d’Autriche nous
présente une nouvelle vision des choses : les images des deux princesses empruntent les
mêmes caractéristiques de l’art d’un coté et de l’autre des Pyrénées. Nous pouvons y voir
deux hypothèses : soit l’image d’Élisabeth de Valois a fortement inspiré les artistes qui ont
portraituré Anne d’Autriche. Ce qui est possible, nous avons par exemple une copie d’un
portrait d’Élisabeth par Rubens (fig. 5d) et ce même peintre qui réalisera une partie des
portraits d’Anne d’Autriche. Soit les artistes et les modèles ont, dans les deux cas, choisi
d’utiliser les éléments les plus caractéristiques de chaque style afin d’en créer un nouveau :
une typologie du portrait franco-espagnole qui mêle la distance et la proximité, la couleur et
l’austérité, le raffinement et le luxe.
Les rôles d’Élisabeth de Valois furent, au cours de sa vie, de plusieurs sortes. Elle fut un
point central des relations entre la France et l’Espagne, telle une allégorie de la Paix. Elle
avait également le devoir de donner le jour aux héritiers du trône. Mais paradoxe de sa vie,
298
L. Azevou, op. cit. note 293.
111
alors qu’elle aurait pu jouer un rôle décisif et proéminent dans la politique étrangère de son
pays d’accueil299
, elle n’a su qu’être passive, se contentant de représenter son mari et de se
soumettre à ses décisions. Cette inaction et cette passivité sont présentes dans son image où
elle est représentée comme une icône et l’ambassadrice du roi son époux. On peut d’ailleurs
voir la croissance d’Élisabeth de Valois et l’évolution de son image, comme la transformation
d’une femme qui se réduit de plus en plus à sa tâche inactive de subordonnée du souverain.
299
Rôle qu’a joué sa mère, Catherine de Médicis, ou plus tard d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, mais
elles furent toutes deux dans une situation plus souple car elles ont été les reines mères, les régentes de la
royauté.
112
113
CONCLUSION
Cette recherche a mis en évidence la complexité de l’évolution de l’image d’Élisabeth
de Valois. Cette complexité est due à plusieurs facteurs principalement issus de la biographie
même de la princesse. En effet, nous avons vu que le portrait, au XVIe
siècle, est surtout la
représentation d’un instant donné, tant au niveau de la personne physique que de son
personnage moral. Les transformations de l’image d’Élisabeth de Valois évoluent alors sur
deux tableaux différents : d’une part, la mimétique, c’est une enfant qui ne cesse de grandir,
les artistes ont donc pour mission d’actualiser sans interruption son portrait. D’autre part, la
fonction politique de la jeune femme, nous avons vu que son changement de statut bouleverse
profondément les représentations de la troisième épouse de Philippe II.
Les moyens mis en place pour aboutir à cette évolution peuvent être divisés en trois
points. Premièrement, l’application des formules nationales, en France, les portraits
d’Élisabeth de Valois correspondent uniquement à la « formule Clouet », qu’il s’agisse de
représentations officielles ou de copies. C’est l’image traditionnelle de la princesse qui
respecte cette typologie spécifiquement française. Arrivée en Espagne, nous l’avons vu, les
peintres de la cour, comme les copistes, vont utiliser pour Élisabeth l’image officielle
espagnole et donc habsbourgeoise. Deuxièmement, l’ajout d’attributs, alors que dans ses
portraits français, Élisabeth ne porte que des éléments pour mettre sa beauté en valeur, dans
les portraits espagnols, ses fonctions et sa qualité de garante de la paix apparaissent. Les
114
accessoires qui enrichissent ses représentations royales portent alors une grande signification
et changent complètement les desseins des tableaux. Troisièmement, par une continuité de
valeurs qui s’attachent à l’identification de la princesse. Nous avons vu que certains traits
physiques et moraux font partie de toutes les descriptions d’Élisabeth de Valois (quelles
soient iconographique ou littéraire), c’est un point fondamental. En effet, une évolution n’en
est une que si nous partons d’un point pour aller à un autre tout en gardant des éléments
constitutifs.
L’autre modification très importante dans les portraits d’Élisabeth de Valois est à
quelle intention ils sont réalisés. Ceci dépend principalement du statut du modèle et de
l’Histoire dans laquelle il évolue. Ici encore, la transformation principale de la visée de
l’image d’Élisabeth de Valois est lorsqu’elle devient reine d’Espagne. Avant, son image
représentait une enfant de France qui n’avait pas encore un pouvoir concret, même si elle
pouvait être utilisée pour appuyer un accord entre deux familles, elle n’incarnait ni un état, ni
une alliance, ni un pouvoir politique. Lorsqu’elle accède au trône espagnol, elle devient la
personnification des trois notions précédentes. Elle symbolise la monarchie espagnole (son
autorité, son ascendant et son peuple), elle représente l’alliance et la concorde entre la France
et l’Espagne et son image est le reflet de son pouvoir politique (pouvoir qui, nous l’avons vu,
n’est qu’illusion).
En ayant un regard global sur l’évolution de l’image d’Élisabeth de Valois, il nous
apparaît clairement qu’il ne s’agit pas d’une transformation brutale mais qu’elle se fait de
manière lente et progressive tout au long de sa vie. Nous avons également vu que jusqu’à la
fin, des éléments se référant à l’étiquette française sont intégrés dans les portraits de la reine,
afin de marquer l’attachement et le respect continus de celle-ci à sa terre d’origine.
Nous avons proposé de voir l’image d’Élisabeth de Valois, dans la dernière partie de
sa vie, comme la création d’une effigie d’une identité franco-espagnole. De ce point de vue, il
115
serait intéressant d’approfondir et d’élargir l’étude en étudiant et comparant différents
portraits représentant des sujets franco-espagnols à la fin du XVIe
siècle et au début du XVIIe
.
Nous pourrions, par exemple, pousser plus loin le parallélisme entre l’image d’Élisabeth de
Valois et celle d’Anne d’Autriche ou les apports des deux cultures dans les portraits des filles
de Philippe II, Catherine Michelle et Isabelle Clara Eugénie. Il serait alors possible d’y ajouter
des études de portraits comme ceux de Diane d’Andoins ou d’Isabelle de Bourbon. La
question serait alors, peut-on parler de la création, dans le cadre spatio-temporel précis de la
fin de la Renaissance, d’une identité artistique franco-hispanique à l’origine d’un nouveau
modèle face à ceux de l’Italie et du Nord ?
116
117
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- FISAS Carlos, Historias de las reinas de España, Madrid, Planeta, 2004.
- GONZALEZ DE AMAZÚA Augustín, Isabel de Valois, Reina de España (1546-1568), 3
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- LLANOS Y TORRIGLIA Felix (de), « Isabel de la Paz. La Reina con quien vino la Corte a
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- LOPEZ-CORDON Maria Victoria, La Reina Isabel y las reinas de España : realidad,
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- NADAL Santiago, Las cuatro mujeres de Felipe II, Barcelonne, Editorial Juventud S.A.,
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- REDONDO Agustín, « Fiesta, realeza y ciudad : las relaciones de las fiestas toledanas de
1559-1560 vinculadas al casamiento de Felipe II con Isabel de Valois », dans La fiesta.
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- RODRIGUEZ SALGADO Maria José, « Una perfecta princessa. Casa y vida de la reina
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- RODRIGUEZ SALGADO Maria José, « Una perfecta princessa. Casa y vida de la reina
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vol. 28, Madrid, 2003, pp. 71-98.
- TRIGO CHACÓN Manuel, La España imperial – Testamentos de los reyes de la dinastía
austriaca española, Madrid, Liber Factory, 2009.
- VAREZ J., The Portraits of Elisabeth de Valois as Queen of Spain (M.A. tesis), Londres,
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- WALKER FREER Martha, Elisabeth of Valois and the Court Philip II, from numerous
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and Blackett, 1857.
CATALOGUES D’EXPOSITION
- Chantilly. Crayons français du XVIe siècle. (dir. MOREAU-NÉLÉTON Étienne), Paris,
éditions Émile Lévy, 1910.
- Retratos de Mujeres Españolas por artistas españoles anteriores a 1850 (dir. Aureliano
de BERUETE Y MORET), Madrid, Sociedad Española de Amigos del Arte, 1918.
- Exposición del retrato del niño en España, Madrid, 1925.
- Le portrait dans les Anciens Pays-Bas, Madrid, 1953.
- Le portrait espagnol du XVIe
au XIXe
siècle, Bruxelles, 1970.
125
- Alonso Sánchez Coello y el Retrato en la Corte de Felipe II, juin-juillet 1990, Madrid,
Musée du Prado, 1990.
- El retrato en el museo del Prado, Madrid, Anaya Grandes Obras, 1994.
- Portraits de cour : le « Recueil des Arts et métiers », dessin français dans le style de
Clouet, (dir. Sylvie BÉGUIN), Paris, Bibliothèque du CNAM, 20 février-30 avril 1992.
- Felipe II. Un monarca y su época. Un príncipe del Renacimiento, Madrid, Sociedad
estatal para la comemoración de los centenarios de Felipe II y Carlos V, 1999.
- Tiziano, Madrid, Musée du Prado, 2003.
- Principiños. Retratos de nenos dos séculos XVI ao XIX, Corogne, Fondation Yannick et
Ben Jakober, 2004.
- Titien, le pouvoir en face, Milan, Skira, 2006.
- El retrato del Renacimiento (dir. Miguel FALOMIR FAUS), Madrid, Museo Nacional del
Prado, 2008.
SITES INTERNET
- www.portrait-renaissance.fr
- www.museodelprado.es
- www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm
- http://crdp.ac-amiens.fr/clouet/clouetaccueil.htm
- http://derniersvalois.canalblog.com/

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Vol 1

  • 1. Mémoire de Master 1 Les portraits d’Élisabeth de Valois, infante française et reine d’Espagne (1546-1568) Vol. 1 Cécile MASSOT Sous la direction de Luisa Capodieci Enseignant-Chercheur Art Moderne - Renaissance française Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 2010-2011
  • 2. 2
  • 3. 3 REMERCIEMENTS Je souhaite, tout d’abord, remercier Luisa Capodieci pour le suivi qu’elle m’a accordé malgré la distance qui nous séparait et pour la confiance qu’elle m’a donnée. Je tiens également à remercier, particulièrement, Gaylord Brouhot qui a accepté de porter un œil critique sur mon catalogue au cours de mon travail, ainsi qu’Alexandra Zvereva qui m’a ouvert les portes de ses ouvrages afin d’y trouver des réponses à mes questions et Diane Bodart pour ses conseils bibliographiques. D’autre part, je souhaite mentionnée l’Université Autónoma de Madrid qui m’a permis de réaliser mon Master 1, dans le cadre d’un échange universitaire. Je tiens à nommer spécifiquement le professeur José Manuel de la Mano, professeur au département d’Histoire de l’Art, qui m’a soutenue en m’apportant ses conseils et ses encouragements tant pour mon année Erasmus que pour ma recherche universitaire. Je veux également citer María José del Río, professeur au département d’Histoire et auteur d’un essai sur Anne d’Autriche, infante d’Espagne et reine de France, qui a porté un regard avisé sur mon travail. Enfin, je souhaite adresser un très grand merci à Jean-Paul, Miryam, Anne, François, Gwennoline, Yola, Antoine, Laura et Laurence pour leur soutien, leurs conseils, leur présence et leurs relectures.
  • 4. 4
  • 5. 5 SOMMAIRE Introduction I/ Dans la tradition des portraits d’une infante française A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe siècle La « formule Clouet » La représentation d’un enfant royal Les émules de la « formule Clouet » dans les portraits d’Élisabeth de Valois B. Un modèle qui s’inscrit et qui suit la mode de son époque comme de son rang social Étude de l’expression Étude des costumes Coiffure et bijoux : attributs ? C. La transformation physique visible : le portrait comme compte rendu de l’apparence, du bien-être et même de la psychologie Le vieillissement d’Élisabeth et le soin apporté à la ressemblance La fonction des portraits Portraits connus mais perdus ou matériellement inconnus II/ Le mariage avec Philippe II en 1559 : l’apparition d’une nouvelle image tendant vers la création d’une effigie royale et son hispanisation A. Une hispanisation dans la représentation physique du modèle Évolution du costume Évolution de l’expression et de la position Évolution de la technique et du cadrage B. Une hispanisation dans la composition des portraits d’Élisabeth de Valois La typologie du portrait espagnol inspirée par Titien et par Anthonis Mor L’inscription des portraits d’Élisabeth dans les portraits féminins de la cour de Philippe II Les apports français dans la mode espagnole et d’une infante française devenue reine espagnole C. Continuation des fonctions principales tout en s’adaptant aux protocoles monarchiques Réadaptation des principales fonctions du portrait Des attributs qui renvoient à son rôle de reine Représentation de la monarchie espagnole p. 9 p. 13 p. 13 p. 13 p. 19 p. 23 p. 27 p. 27 p. 30 p. 34 p. 38 p. 38 p. 40 p.45 p. 49 p. 50 p. 50 p. 55 p. 58 p. 62 p. 62 p. 66 p. 69 p. 71 p. 72 p. 76 p. 79
  • 6. 6 III/ Une identité artistique franco-espagnole qui s’inscrit dans un rapprochement politique et historique A. L’impact de l’Histoire dans la vie et l’image d’Élisabeth de Valois Un mariage pour sceller la paix : la bien nommée Isabel de la Paz La troisième épouse de Philippe II : une reine d’envergure européenne ? B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ? La théorie des deux corps du roi Le devoir de beauté : établissement d’un canon par les portraits Le devoir d’enfanter pour continuer l’Histoire : absent dans les portraits d’Élisabeth de Valois C. La continuité d’une typologie du portrait franco-espagnol : la représentation d’une double identité à la suite des portraits d’Élisabeth de Valois L’influence de l’image d’Élisabeth de Valois dans les portraits des infantes d’Espagne et plus généralement à la cour d’Espagne Les portraits d’Anne d’Autriche, de son arrivée en France à la mort de son mari : la recherche d’Élisabeth de Valois inversée afin de faire d’une infante espagnole une reine française. Conclusion Bibliographie p. 85 p. 85 p. 85 p. 90 p. 93 p. 94 p. 96 p. 99 p. 102 p. 102 p. 106 p. 113 p. 117
  • 7. 7 « Ils croient, disait La Tour, que je ne saisis que les traits de leur visage, mais je descends au fond d’eux-mêmes et les emporte tout entiers. » citation extraite de l’ouvrage de Carlo Bronne, intitulé Sur le Portrait d’une Infante1 . « Podemos seguir cronológica y gráficamente el curso de su vida merced a los dibujos y retratos que la acompañan al hilo de su vida, desde la niñez hasta su muerte. » Augustin González de Amazúa parlant d’Élisabeth de Valois2 . 1 C. Bronne, Sur le portrait d’une Infante, Revue générale, 1970. 2 A. González de Amazúa, Isabel de Valois, Reina de España (1546-1568), Madrid, 1949, vol. 1, IX, pp. 330- 331. « Nous pouvons suivre chronologiquement et graphiquement le cours de sa vie grâce aux dessins et aux portraits qui l’ont représenté au fil de sa vie, de son enfance à sa mort » (nous traduisons).
  • 8. 8
  • 9. 9 INTRODUCTION Le point de départ de cette recherche est l’étude de portraits de la fin du XVIe siècle. En effet, c’est à la Renaissance que ce genre pictural, en tant qu’art indépendant, fit son apparition. Son étude permet, alors, d’entrevoir différentes facettes de la société et de l’art de ladite période. Nous avons choisi de concentrer notre étude sur les portraits d’une infante française devenue reine d’Espagne afin de pouvoir comparer dans un temps restreint et avec une certaine continuité la typologie des portraits dans deux pays voisins. L’image d’Élisabeth de Valois sera alors le centre de notre réflexion. Précisons ici que l’intérêt de se centrer sur la France et l’Espagne vient du fait que ce sont deux pays qui ont reçu l’héritage des nouveaux concepts de la Renaissance italienne, c’est-à-dire qu’ils ne furent pas les acteurs principaux de ce renouveau mais qu’ils ne purent rester indifférents à ces découvertes. En étudiant l’art de ces deux nations, nous voyons deux manières distinctes de recueillir les mêmes apprentissages et de les adopter de façons différentes. Élisabeth de Valois, parfois appelée Élisabeth de France, est l’aînée des filles de Henri II et de Catherine de Médicis. Elle vit le jour le 2 avril 1545, puis fut envoyée à la cour des enfants située à Saint-Germain-en-Laye où elle y resta jusqu’à l’âge de neuf ans, date à laquelle elle rejoindra la cour de ses parents à Fontainebleau. Le 22 juin 1559, alors âgée de
  • 10. 10 quatorze ans, elle fut mariée à Philippe II3 en gage de paix, à la suite du traité du Cateau- Cambrésis4 . Cette union fut le grand tournant de la vie d’Élisabeth de Valois : de princesse, elle accède au statut de reine. Nous verrons dans le contenu de ce mémoire quelles conséquences cela a entraîné. Elle partit dès le mois de novembre 1559 pour l’Espagne où elle résidera durant la décennie suivante5 . Durant ces années, elle mit au monde deux filles : Isabelle Claire Eugénie en 1566 et Catherine Michèle en 1567. Elle mourut en octobre 1568 des suites d’un accouchement compliqué, n’atteignant pas sa vingt-troisième année. Nous souhaitons porter l’attention du lecteur sur la confusion qu’il existe parfois entre les différentes princesses françaises qui portent le nom d’Élisabeth de France6 . Nous ne parlerons ici, évidemment, que d’Élisabeth de Valois et afin de contourner cette ambiguïté, nous n’utiliserons pas la particule se référant au pays d’origine. D’autre part, ajoutons qu’en Espagne, le nom de la princesse française fut modifié. Dans les études portant sur Élisabeth de Valois, son nom est ainsi hispanisé en Isabel de Valois ou encore Isabel de Francia. Afin d’étudier ce sujet, nous avons voulu délimiter un cadre clair à la fois d’un point de vue historique, géographique et artistique. Tout d’abord, nous nous sommes limités, de manière générale, à l’étude des portraits d’Élisabeth de Valois qui furent réalisés au cours de sa vie. Cette restriction dans le temps est importante pour le sérieux des comparaisons que nous ferons, afin de pouvoir objectivement confronter les techniques, les styles, les compositions et les fonctions. La vie d’Élisabeth de Valois fut courte, la période étudiée est donc assez brève. Cependant nous avons fait quelques exceptions qui sont de deux sortes. D’une part, nous avons pris en compte les portraits réalisés peu de temps après la mort de la 3 Philippe II ne pouvant assister à son mariage, celui-ci se déroula par procuration avec Ferdinand Alvare de Tolède, duc d’Albe. 4 Traité signé début avril 1559 par les plénipotentiaires des roi Henri II de France et Philippe II d’Espagne qui met un terme aux guerres d’Italie qui opposent depuis plusieurs décennies l’armée français à celle espagnole. 5 Elle ne revint qu’une fois en France en 1565, lors de l’entrevue de Bayonne où elle put voir son frère Charles IX, devenu roi de France et sa mère Catherine de Médicis. 6 Les autres Élisabeth de France sont la fille de Henri IV (1602-1644), la fille de Louis XV (1727-1759) et la sœur de Louis XVI (1764-1794).
  • 11. 11 reine (et avant la fin du XVIe siècle) car nous pensons qu’ils s’inscrivent dans une relative continuité et dans un même style, étant réalisés par les mêmes artistes. D’autre part, pour plusieurs portraits, nous connaissons très bien leur existence grâce aux sources écrites et aux copies plus ou moins fidèles. Nous avons alors choisi d’inclure ces copies dans notre étude afin de constituer une idée graphique des portraits disparus. De la même manière, nous avons aussi voulu restreindre notre étude dans l’espace et nous concentrer exclusivement sur les portraits d’Élisabeth de Valois réalisés par des artistes français ou espagnols, ou tout au moins, appartenant aux cours de ces deux pays. Cette distinction est importante car nous étudierons, par exemple, des portraits de Titien, d’Anthonis Mor ou de Sofonisba Anguissola qui ne sont originaires ni de France, ni d’Espagne. Cependant ce fut à la cour de Philippe II7 , entre autres, qu’ils exercèrent leur talent, ils entrent donc de plein droit dans notre observation. Aussi, nous nous sommes intéressés principalement aux portraits dessinés et peints d’Élisabeth de Valois, étant donné que les portraits picturaux sont la grande majorité des représentations du modèle conservés aujourd’hui. Il nous a, cependant, paru judicieux d’ouvrir légèrement ce cadre, par exemple pour certaines statues d’Élisabeth, notamment celles faites pour ses entrées dans certaines villes ou encore celle sur le tombeau de son mari. D’autre part, nous devons admettre certains écarts à ce cadre, toutefois essentiellement dans le cas de l’étude des copies. Dans le catalogue, que nous trouverons en annexe à ce mémoire, nous avons admis des copies réalisées par des artistes étrangers, dans un laps de temps plus large et utilisant des techniques différentes. Ainsi, nous avons ouvert notre étude aux copies européennes de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle. Le sujet principal de ce mémoire est l’évolution de l’image d’Élisabeth de Valois au cours de sa vie. Prenant en compte la biographie de la princesse française et les restrictions 7 Pour Titien et Anthonis Mor, ce fut même avant, à la cour de Charles Quint, père de Philippe II.
  • 12. 12 que nous venons d’établir, nous chercherons à comprendre comment ses représentations se modifièrent (par quels moyens et avec quelles fins) et suivant quels critères. A travers des comparaisons avec des portraits contemporains, nous nous attacherons à mettre en lumière les continuités et les ruptures émanant des portraits d’Élisabeth de Valois en fonction des usages artistiques du XVIe siècle. Dans un premier temps, nous nous consacrerons à l’étude de l’image d’Élisabeth en tant qu’enfant de France, en voyant, d’abord, l’inscription de ses portraits dessinés dans une formule pré-établie, ensuite, l’idée que ceux-ci respectent la mode contemporaine et le rang qu’elle occupe et, enfin, comment ses représentations deviennent la transcription graphique d’une biographie. Dans un second temps, nous nous attacherons à montrer l’apparition d’une nouvelle image, en premier lieu en étudiant la transformation physique de la reine, puis l’hispanisation de la composition de ses effigies et nous terminerons avec l’adaptation des fonctions du portrait de la princesse au protocole monarchique. Dans un troisième temps, nous discuterons l’idée de la création d’une identité artistique franco-espagnole dans le genre du portrait, en nous attachant à montrer, d’abord, l’impact de l’Histoire et des relations entre les deux pays sur l’image d’Élisabeth de Valois, ensuite, les effets sur la représentation d’une identité royale (c’est-à-dire à la fois publique et privée) et, enfin, les retombées de l’iconographie de l’infante française, devenue reine d’Espagne, dans quelques portraits postérieurs.
  • 13. 13 I/ Dans la tradition des portraits d’une infante française Les portraits français d’Élisabeth de Valois trouvent leurs origines et s’ancrent dans la coutume du portrait français qui se développe tout au long du XVIe siècle. Qu’il s’agisse de la composition graphique (on verra la reprise de la typologie de la « formule Clouet »8 ), de la manière de représenter le modèle (costumes, expressions, attributs) ou encore de la fonction des portraits, tout prolonge un modèle établi sous le règne de François Ier , grand-père d’Élisabeth. Notre questionnement sera alors le suivant : les représentations d’artistes français de la première fille de Henri II sont-elles uniquement des images reprenant une forme ancienne ? Forme qui serait devenue contemporaine et serait utilisée pour tous les portraits d’enfants de Catherine de Médicis et Henri II. Ou bien, ces portraits d’Élisabeth apportent-ils de nouveaux éléments, permettant ainsi une évolution dans le portrait français, et plus spécifiquement dans le portrait féminin ? Nous tenterons, enfin, de définir l’existence d’une particularité française dans la façon de portraiturer les enfants royaux. A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe siècle La « formule Clouet » Le portrait est parfois vu comme un genre français par excellence, mais l’hypothèse selon laquelle ses débuts auraient eu lieu à Paris est peu convaincante. Il est vrai qu’un des plus anciens portraits indépendants occidentaux de l’époque moderne9 n’est autre que celui du roi Jean le Bon10 , peint vers 1360. Mais cela ne prouve rien étant donné le nombre d’œuvres 8 Nous utiliserons très largement cette expression, il s’agit d’une citation tirée du livre de E. Jollet, Jean et François Clouet, Paris, 1997, p. 13. 9 Le plus ancien portrait connu à ce jour. 10 Anonyme, Jean le Bon, vers 1360 (?), huile sur bois, 61 x 41 cm, Paris, Musée du Louvre.
  • 14. 14 et donc de portraits perdus. Le portrait fut, d’abord, un genre dépendant de l’art religieux : au XVe siècle, on ne trouve que des portraits représentant des orants, des donateurs ou des commanditaires11 . C’est en Europe du Nord que le genre connaît une importante évolution, grâce à l’impulsion, entre autres, de Jan Van Eyck12 qui crée une nouvelle typologie. Le modèle ne se place plus uniquement sous le regard de Dieu mais également sous celui de ces concitoyens. L’art flamand restera le leader européen de ce domaine, mais la France montrera aussi ses talents. On lit ainsi sous la plume d’Alexandra Zvereva : « Jean Fouquet est devenu le peintre de la cour de Charles VIII puis de celle de Louis IX. Mais il faut attendre le [XVIe siècle] pour que les structures socio-économiques permettent au portrait de devenir, en France, un genre artistique à part entière »13 . En France, le portrait prend son essor avec le règne de François Ier . Celui-ci nomme Jean Clouet, dit Janet14 , comme portraitiste de cour. C’est cet artiste qui établit le modèle du portrait de cour à la française15 . Les artistes du XVIe siècle tenteront d’imiter son style sans pour autant atteindre son niveau de perfection. À l’exception, sans doute, de son propre fils, François Clouet, qui égalera et dépassera son père. Le portraitiste de François Ier va élaborer une formule, appelée par les historiens de l’art « formule Clouet ». Elle sera maintes fois reprise par le peintre lui-même, ou par les autres artistes français du siècle16 . Elle se compose 11 Un exemple très connu est le Diptyque de Melun peint par Jean Fouquet en 1450, dans lequel le commanditaire se met en scène en adoration devant la Vierge. La séparation des deux volets montre le début de l’émancipation du portrait en tant que genre autonome. 12 Jan Van Eyck (1390-1441) est célèbre pour ses portraits qui sont emprunts de naturalisme. Il présente le modèle de trois-quarts, participant ainsi à la modification de la formule de profil, reprise de l’Antiquité. 13 A. Zvereva, Les Clouet de Catherine de Médicis : chefs d’œuvre graphiques du Musée Condé, Paris, 2002, catalogue de l’exposition Les Clouet de Catherine de Médicis au musée Condé à Chantilly, 25 septembre 2002 – 6 janvier 2003, voir aussi : http://crdp.ac-amiens.fr/clouet/clouetaccueil.htm, site sur l’exposition, réalisé par Jacques Champigny, pour le Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) de l’académie d’Amiens. 14 Ou Jehannet. 15 Jean Clouet n’est bien sûr pas le seul artiste à développer le modèle, c’est ce qu’ont montré des historiens comme Louis Dimier (Histoire de la peinture du portrait en France au XVIe siècle, Paris, 1924), Étienne Moreau-Nélaton (Les Clouet et leurs émules, Paris, 1924) ou encore récemment Alexandra Zvereva. Cependant étant celui qui la développera le plus, on gardera l’utilisation du terme « formule Clouet ». 16 Le terme formule renvoie à la notion de série qui provient d’une tradition antique et médiévale.
  • 15. 15 d’éléments simples : un portrait au crayon17 qui représente le modèle en buste dans une position de trois-quarts - les mains ne sont pas systématiquement présentes (fig.1 et 2), l’attention est portée sur le visage du sujet, le costume n’étant qu’esquissé (fig.12). Le modèle est représenté avec une figure sereine, une bouche fermée et le regard lointain (parfois hors du cadre, généralement vers la gauche). Cette formule invente le prototype du portrait français du XVIe siècle qui va connaître une étonnante stabilité (certes bien souvent seulement apparente) et une modeste évolution. Parler de la « formule Clouet », c’est, pour ainsi dire, définir explicitement l’idée du portrait français du XVIe siècle. Ces deux expressions renvoient sensiblement à la même notion, elles ne sont pas synonymes, mais équivalentes. Voyons à présent un des problèmes que soulève l’étude de cette formule. S’agit-il d’esquisses afin de produire un portrait peint ou d’œuvres d’art autonomes ? Ou bien s’agit-il uniquement d’un moyen de communiquer l’état physique et psychologique d’une personne ? En effet, le portraitiste commence toujours par une esquisse, c’est-à-dire un portrait dessiné de son modèle18 . Cette technique, qui nécessite peu de préparation à l’artiste, permet d’éviter aux sujets de poser durant des heures (situation peu agréable). On crayonnait alors le portrait sur le vif (face au modèle), puis le peintre travaillait seul dans son atelier. Le dessin doit être très minutieux car il est ensuite le point de départ de nombreux portraits. Mais, dans le cas de la « formule Clouet », peut-on uniquement limiter les portraits à de simples esquisses ? Alexandra Zvereva, dans son article précédemment cité19 , déclare : en étudiant attentivement les crayons, il apparaît [qu’ils] transcrivent un goût et un système de représentation spécifiquement français qui les menèrent du statut de l'esquisse préparatoire pour des portraits peints vers celui de l’œuvre d’art à part entière, recherchée et collectionnée. Comme le souligne Lorne Campbell, il n’est pourtant pas évident de savoir quels portraits furent croqués en vue d’une transposition peinte et quels autres pour devenir une œuvre d’art 17 Les traits principaux sont réalisés à la pierre noire, avec souvent l’utilisation de sanguine pour les rehauts ou pour marquer les volumes. Des crayons de couleurs sont quelques fois utilisés pour les mêmes fonctions. 18 Voir sur ce sujet l’article écrit par Alexandra Zvereva sur son site web www.portrait-renaissance.fr où à l’onglet « Technique », nous trouvons une large explication sur la technique du portrait dessiné. 19 A. Zvereva, loc. cit.
  • 16. 16 dessinée20 . Ceci parce que beaucoup de tableaux et de dessins sont perdus21 . Cependant, pour le portrait de Marguerite de Valois qui est colorié (fig.1c) ou pour celui d’Élisabeth d’Autriche (fig.13b), nous avons les peintures qui correspondent, nous pouvons donc affirmer leur fonction d’esquisses. Par ailleurs, Jean Clouet apporte une contribution au portrait européen : la « temporalité de la représentation », comme le dit Étienne Jollet22 . C’est-à-dire le fait de donner de la contemporanéité au modèle et de le placer dans le même espace temporel que le spectateur. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il s’agit déjà d’une œuvre d’art mais que le statut d’œuvre est déjà pris en compte (en vue d’une présentation telle quelle ou d’une transposition en peinture). Notre question était : sont-ce des œuvres d’art ou des comptes-rendus de l’état d’une personne ? En effet, le portrait dessiné de l’époque est également un bulletin de santé et participe à un vaste système d’échanges d’informations. Sa rapidité d’exécution, sa formule peu coûteuse, tout comme son envoi facile, ont largement contribué à son développement. On le voit clairement dans les lettres de Catherine de Médicis, elle écrit le 1er juin 1552 à Madame de Humyières : je vous prie m’en faire sçavoir des nouvelles par la première dépesche que vous me ferez, et aussy vous ne faulfrez de faire paindre au vif par le painctre23 que vous avez par delà tous mes dits enfants, tant filz que filles, avec la royne d’Escosse, ainsi qu’ils sont, sans riens oblier de leurs visaiges, mais il suffist que ce soit en créon pour avoir plus tost fait, et me les envoiez le plus tost que nous pourrez24 . De plus, les différents éléments de la « formule Clouet » (technique, regard, fond sobre, cadrage serré) agissent quasiment comme un procès verbal de l’état de santé du modèle. 20 L. Campbell, Portrait de la Renaissance, Paris, 1991, p. 62. 21 « Il peut être difficile de distinguer une étude préparatoire d’un projet soumis à approbation : en ce qui concerne les portraits dessinés subsistants, il est souvent impossible de dire s’il s’agit d’œuvres d’art finies, de dessins préparatoires ou de copies dessinées de peintures. » L. Campbell, loc. cit. p. 62. 22 E. Jollet, op. cit. note 8, p. 39. 23 Il s’agit de Germain Le Mannier, peintre que Henri II et Catherine de Médicis ont envoyé à la Maison des Enfants comme on le voit dans la lettre de la reine adressée à Monsieur de Humyères, datée du 17 juin 1548 (Lettres de Catherine de Médicis, I, p25., BN, fonds fr.3178, f°201). 24 Lettres de Catherine de Médicis, I, p62., BN, fonds fr.3133, f°8.
  • 17. 17 L’artiste, tout en respectant les règles de représentation25 , cherche à être au plus près de la vérité. Il veut, par l’expression du visage, la position des mains et l’empreinte de l’âge, montrer l’état physique mais aussi psychologique du modèle. Le portrait dessiné du XVIe siècle est bien loin de n’être qu’une représentation plastique d’un individu, sa portée est plus grande, plus profonde, on cherche à être au plus proche du visible (fonction mimétique) mais aussi à faire passer un message sur la vie morale de la personne. La représentation devient comme le livre biographique d’une personne à un moment donné : un instant de vie. Dans les vingt dernières années, deux historiens ont tenté de nous éclairer sur les tenants et les aboutissants de cette « formule Clouet », il s’agit d’Étienne Jollet26 et d’Alexandra Zvereva27 . Ces deux auteurs ne font pas la même étude, ils ne se concentrent pas sur les mêmes points et mettent en lumière des idées différentes. Étienne Jollet pense la création de la « formule Clouet » comme une idée prenant ses origines dans la peinture européenne, il met chaque concept en relation avec une provenance précise (hollandaise, allemande, flamande ou italienne). Alexandra Zvereva va, elle, placer la création de ce modèle à la suite du portrait français. Elle ne nie pas les croisements du portrait européen qui pourrait avoir abouti à cette formule, mais retrace le point de départ de celui-ci dans les portraits de Jean Fouquet et de Jean Perréal28 . Ainsi elle utilise peu le terme de « formule Clouet », formule inexacte selon elle. Nous nous sommes placés plutôt à la suite de l’historienne, mais nous ne devons pas oublier l’impact de la culture européenne dans l’art français. 25 Règles « plus ou moins explicites, mais réelles, strictes et connues aussi bien des modèles, que des commanditaires et des spectateurs, autrement dit de tous les acteurs de la création artistique », notice d'Alexandra Zvereva sur la technique du portrait dessiné, op. cit. note 18. 26 Étienne Jollet, agrégé de l’Université, docteur de l’École des Hautes Études en sciences sociales, est maître de conférence en histoire de l’art moderne à l’Université François-Rabelais de Tours. 27 Alexandra Zvereva vient de terminer sa thèse sur les Clouet de Catherine de Médicis, qu’elle a soutenu à l’Université Paris Sorbonne et publié dans le cadre de l’exposition du musée Condé : Portraits dessinés de la cour des Valois - Les Clouet de Catherine de Médicis. 28 Pour plus de précision voir A. Zvereva, Portraits dessinés à la cour de Valois. Les Clouet de Catherine de Médicis, Paris, 2011, pp. 24-28, où elle retrace l’histoire du portrait dessiné français, insistant sur les premiers dessins à la pointe d’argent de Jean Fouquet et de Jean Perréal.
  • 18. 18 D’autre part, pour définir l’art de portrait à la cour des Valois, Étienne Jollet propose le terme « pourtraict », c’est-à-dire une « rémanence du modèle de l’effigie en France au début du XVIe siècle »29 . Il s’agirait alors d’une modification de cette effigie traditionnelle au profit d’une effigie à la française, ajoutant la représentation de l’état psychologique du modèle. Alexandra Zvereva parle d’effigie royale pour les portraits du roi, mais n’utilise pas ce mot pour les portraits des courtisans ou des enfants. Elle parle de « portraits auliques » dont le modèle est réutilisé, elle réserve ainsi le mot effigie au souverain. En effet, les portraits dessinés ne sont pas des effigies, c’est-à-dire des portraits où la simple représentation du souverain suffit à affirmer son autorité et son pouvoir30 . Mais qu’affirment-il alors ? É. Jollet et A. Zvereva se différencient également sur ce point. Alors que le premier pose comme visée du portrait le « désir d’identification qui apparaît comme l’exigence première » et « le désir d’une « beauté » conçue comme « convenance » ; Alexandra Zvereva insiste, elle, sur le fait qu’il s’agit d’un privilège que le roi (ou par son intermédiaire la reine) accorde à ses sujets. Elle cherche à établir les critères de ce privilège, mais ils sont très variables, et semblent plus dépendre de la relation privée que le souverain entretient avec les modèles que d’un statut social ou de services rendus au roi31 . Les deux affirmations paraissent justes mais pour avancer l’hypothèse de É. Jollet, il ne faut surtout pas oublier que c’est un privilège royal. Jean Clouet fonde donc les principes du portrait français du XVIe siècle avec « l’invention de la banalité », comme le dit Henri Zerner32 . Quelques fonctions que ce soit, « la formule Clouet » est posée, elle ne va plus connaître de grandes modifications et surprend 29 E. Jollet, op. cit. note 8, pp. 42-43. Précisons qu’il entend l’effigie traditionnelle comme une œuvre « dont la seule caractéristique est de permette l’identification ; dans laquelle tout singularité de l’état psychologique de la personne, toute spécificité de la pose, toute trace d’intervention de l’artiste sont considérées comme dépourvues de signification et tendent donc à disparaître », E. Jollet, loc. cit. 30 Voir L. Marin, Le portrait du roi, Paris, 1981, pp. 12-13. Il montre que le portrait du roi est le roi lui-même. Il déclare même « le roi n’est vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans les images ». 31 Bien que ce soit parfois le cas. 32 H. Zerner, L’art de la Renaissance en France. Invention du classicisme, Paris, 1996, p. 197. Étienne Jollet critique cette notion en montrant le côté péjoratif de cette formulation mais également ces points positifs dans la justesse de ce qu’elle exprime, op. cit. note 8.
  • 19. 19 ainsi les historiens du XXe siècle par son étonnante régularité. En examinant les portraits de près, on peut pourtant y déceler de légères transformations suivant le modèle qui est dessiné. La représentation d’un enfant royal Le fait de représenter un enfant est rarement simple et, bien souvent, nous pouvons percevoir l’embarras des artistes à dépeindre la physionomie et l’expression des enfants. En France, au XVIe siècle, nous avons pourtant un certain nombre de portraits qui se confrontent à ce problème et relèvent le défi. Mais comment y arrivent-ils ? Comment répondent-ils à la demande constante de portraits dessinés des enfants royaux ? Comment se servent-ils de la « formule Clouet » pour les enfants en y ajoutant des visées particulières ? En étudiant différentes œuvres d’art représentant la Vierge à l’enfant, on perçoit la difficulté qu’éprouvent les artistes à rendre compte de la physionomie enfantine. C’est le cas dans la Madone du Chancelier Rolin, de Jan Van Eyck33 , l’enfant Jésus est représenté avec un corps de bébé mais avec une peau et une apparence de vieillard. Il a une expression extrêmement sérieuse, des cernes sous les yeux, on discerne le poids de la vie sur son visage. De plus, la façon dont est représentée sa peau n’a rien de conforme à la nature. En France, Jean Fouquet lui aussi représente le Christ bébé34 , mais l’enfant ressemble plus à une poupée, avec une peau de tissu, une carnation trop blanche et un visage rond, anonyme et quasiment sans expression35 . Néanmoins certains artistes, comme les Clouet et leurs suiveurs, relèvent le défi de faire poser un enfant et de le portraiturer, reprenant à la fois son physique et son esprit enfantin tout en respectant les codes de la bienséance et de la dignité. Bronzino, au milieu du XVIe siècle, 33 Madone du Chancelier Rolin, tableau conservé au Musée du Louvre. 34 Diptyque de Melun, 1450, conservé à Anvers au Musée des Beaux-Arts. 35 S. Lombardi, Jean Fouquet, Florence, 1983. On peut voir dans les images de ce livre, des planches confrontant différentes représentations de l’enfant Jésus. Fig. 71 : Pala di Fiesole, de Beato Angelico. Fig. 72 : Diptyque de Melun, de Jean Fouquet. Fig. 73 : Polyptique de Perugia, de Pierro della Francesca.
  • 20. 20 réussira également à représenter un enfant en respectant son âge et sa fonction36 . Par quels moyens arrivent-ils à ce résultat ? Dans les portraits des enfants de Henri II et de Catherine de Médicis, l’artiste cherche toujours à représenter le modèle de deux manières. D’une part, voir l’enfant en tant que tel, avec la légèreté de son âge, une certaine malice ou une touche de désinvolture. D’autre part, montrer que l’enfant sait se tenir comme son rang l’exige, qu’il est déjà assagi et responsable. C’est ainsi qu’est portraituré François (frère aîné d’Élisabeth, futur François II, roi de France et d’Écosse) en 1547 (fig. 1d). Le jeune garçon regarde le spectateur. On perçoit dans son visage une pointe d’espièglerie qui traduit parfaitement les caractéristiques de son âge. Mais sa position et sa stature montrent qu’il tient son rang, qu’il est déjà apte à supporter ses futures responsabilités. Les deux portraits d’Élisabeth enfant que nous avons (fig. 1 et 2) s’éloignent quelque peu de cette manière de dessiner. L’âge du modèle n’est représenté que par ses traits physiques (un visage rond et une coiffure réservée aux enfants pour le premier portrait). L’expression n’a plus de malice, elle est tranquille, voire impassible. Nous pouvons également relever ces points dans le portrait de Marguerite de Valois (fig. 1c), bien que les traits de son visage semblent un peu plus légers. Il faut rappeler que Germain Le Mannier (auteur des portraits de deux princesses) n’arrive à la Maison des Enfants de Saint Germain en Laye qu’en 154737 . Ce n’est donc pas lui qui a réalisé le portrait du futur roi. On peut alors reconnaître la formule du peintre dans les portraits des princesses, sa touche personnelle pour montrer la grandeur des enfants royaux dès leur plus jeune âge, contrecarrant leur immaturité par une pose très cadrée et figée. 36 C’est le cas par exemple avec le portrait de Bia de Médicis, peint en 1542, conservé aux Offices. Ce portrait étatique représente la jeune enfant en montrant à la fois son côté enfantin et sa prestance par sa position et les attributs qui lui sont donnés. Pour une étude de ce tableau, voir M. Brock, Bronzino, Paris, 2002, pp. 77-81. 37 On le sait grâce à une lettre de Henri II du 10 janvier 1547 : « Mons. De Humyères, voullant recognaistre envers le présent porteur nommé Germain le Mannier, painctre, les services qu’il m’a faicts ou faicts de son mestier, je luy ay accordé le pouvoir en la maison de mes enffants » BN. ms. fr. 3008 f°187. Germain Le Mannier est actif entre 1537 et 1560 dans l’entourage royal. Il fut envoyé en 1547 à la Maison des Enfants de Saint Germain en Laye afin de réaliser régulièrement des portraits de princes et princesses. Pour plus de renseignements voir : É. Moreau-Nélaton, Les Manniers, Peintres officiels de la Cour des Valois au XVIe siècle, Paris, 1901.
  • 21. 21 De nombreux portraits reprennent cette formule courante, utilisée par Germain Le Mannier. Catherine de Médicis demande toujours plus de dessins de ses enfants. Elle insiste sur le fait qu’ils soient le plus proche possible du naturel : appuyant sur le fait de peindre les portraits « au vif »38 . Comment l’artiste peut-il, alors, rendre compte de l’état physique et moral de l’enfant, tout en respectant une formule classique et figée, dont il ne peut s’éloigner ? Apparaît là une incohérence entre les requêtes de Catherine de Médicis et la réalité de dessins envoyés par le peintre. Si l’on regarde tous les portraits d’enfants que l’on a dans notre catalogue, le modèle en tant que série apparaît très clairement. L’artiste va alors chercher à modifier la physionomie, la coiffure ou encore les quelques bijoux qu’on peut voir, pour individualiser le portrait, pour sortir de cette formule très classique. On note très clairement des différences (qui sont pourtant assez réduites) entre le portrait d’Élisabeth de Valois (fig. 1) et celui de sa sœur Marguerite (fig.1c), qui sont toutes deux représentées au même âge. Des différences apparaissent aussi entre le portrait d’Élisabeth datant de 1559 (fig. 2) et celui de Marie Stuart39 (fig. 13a) réalisé par Jean Decourt40 . Les deux jeunes filles ont le même âge et sont portraiturées la même année. Dans ces deux représentations, la formule est quasi identique, mais elle est adaptée et individualisée par de minimes traits personnels. Catherine de Médicis ne se satisfait pas de cette particularisation et, afin de connaître davantage ses enfants, demande dès 1548 une petite évolution de la formule : « Je vous prye, Monsieur d’Humière, de me faire paindre tous mes enffans, mais que ce soit d’un autre cousté que le painctre n’a acoustumé de les paindre et portraire »41 . C’est ainsi qu’on peut voir des portraits où le modèle est tourné vers la droite, comme d’ailleurs celui de Marie Stuart que 38 Lettres de Catherine de Médicis, I, p62, BN fonds fr. 3133, f°8. 39 Marie Stuart, reine d’Écosse, avait été envoyé à la cour de France pour faire son éducation, elle partagea ainsi son enfance avec Élisabeth, et même plus car elles dormaient dans la même chambre. 40 Jean Decourt (1530-1584) est un peintre français appartenant à l’école des Clouet. Il sera nommé en 1562 peintre ordinaire de la reine Marie Stuart et remplacera François Clouet en tant que portraitiste de cour en 1574. 41 Lettres de Catherine de Médicis, I, p.24, BN, fonds fr., 3210, f°18.
  • 22. 22 l’on vient de mentionner. Mais au fond, le véritable problème de Catherine de Médicis42 , tout comme celui des peintres à qui elle commande les portraits de ses enfants, c’est qu’elle veut avant tout le respect de la « formule Clouet » dans ces images43 . Mais les dessins « malgré toute leur ressemblance [aux enfants], ne permettaient aucun jugement sur la santé des enfants, voire, au contraire, devaient surtout empêcher de supposer toute maladie »44 . Les artistes réutilisent la « formule Clouet » tout en l’adaptant au portrait enfantin. Avec ce que nous venons de voir, nous pourrions inverser cette logique et dire que le portrait enfantin s’adapte à la « formule Clouet ». C’est, sans doute, grâce à cette adaptation que les artistes arrivent à représenter les enfants avec beaucoup plus de naturel que les peintres précédents. Une des caractéristiques de cette formule, de cette représentation d’un enfant royal à la française, est la mise en évidence de la dignité princière des modèles. Dans tous les portraits que l’on a, cette volonté est évidente. L’artiste cherche à être au plus près de la vérité, mais en respectant la « formule Clouet » et en montrant la charge de leur futur héritage. Ceci est valable pour les représentations de tous les enfants ou jeunes personnes que les peintres français représentent. Ainsi on le voit dans les portraits de Marie Stuart, mais aussi dans ceux, plus tardifs, d’Élisabeth d’Autriche45 , qui certes n’est déjà plus une jeune enfant (fig. 13b). Cette volonté de représenter l’enfant déjà responsable n’est pas uniquement française, on la retrouve dans d’autres portraits européens. C’est le cas pour le portrait de Bia de Medicis de Bronzino déjà cité plus haut, ou pour celui de Edward Tudor46 , peint par Holbein47 . 42 Ce problème est déjà posé par Léon Battista Alberti en 1435 dans son traité De la peinture, où il « définit la double exigence qui fera le tourment de toutes les théories du genre : la conciliation de la ressemblance et de la beauté » (Revue de l'Art, 1999, vol. 123, n° 1, pp. 76-77). 43 Catherine de Médicis souhaite obtenir un portrait correspond aux dires, bien plus tardifs, de Diderot : « Il faut qu’un portrait soit ressemblant pour moi et bien peint pour la postérité ». On voit clairement ici s’exprimer la dualité du problème de la reine. 44 A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106. 45 Élisabeth d’Autriche, reine de France grâce à son mariage avec Charles IX, est représentée dès 1571 suivant la même formule. On remarquera les grandes ressemblances entre les portraits de cette reine et ceux d’Élisabeth. 46 Portrait de Edward Tudor par Hans Holbein le Jeune, 1539, 56,8 x 44 cm, Andex W. Mellon Collection. Ce tableau peint représente le jeune Edward Tudor en costume. Richement vêtu, dans une pose impassible, il est
  • 23. 23 À partir de Jean Clouet, les artistes adaptent donc leurs manières de représenter les enfants à la formule du maître. Ainsi, en restant dans un cadre très précisément défini, ils réussissent à saisir les traits enfantins et à être au plus près du réel. Les nombreux portraits respectent la formule classique, mais sont quelque peu modifiés pour montrer comment l’enfant évolue, grandit. N’oublions pas que si un dessin est un procès verbal de l’état de l’enfant, c’est aussi une base pour de futurs portraits. Le fait de respecter un modèle établi permet de rendre plus facile les modifications parfois nécessaires pour l’élaboration des portraits peints : un dessin peut servir d’origine à une grande production, on garde les principaux traits et les artistes jouent sur les nuances, les costumes, la coiffure, le vieillissement. Grâce à cette formule qui permet de respecter la visée dynastique et de légitimation, l’artiste peut apporter ses éléments personnels pour montrer le caractère enfantin du modèle. Les émules de la « formule Clouet » dans les portraits d’Élisabeth de Valois Nous l’avons vu, l’idée originale de Jean Clouet est très rapidement reprise et devint la marque de fabrique des portraits français XVIe siècle. Cependant, bien que l’on retrouve une composition proche, une inspiration comparable, les valeurs et les qualités des dessins ne sont pas homogènes. En nous intéressant simplement aux portraits d’Élisabeth de Valois, nous tenterons de comprendre les points suivants : Pourquoi existe-il autant de copies ? Pourquoi la restitution de la technique et de la préciosité du dessin est-elle exécutée avec aussi peu d’attention ? Quelle sont les visées de ces copies, qui ne peuvent en aucun cas prétendre au statut d’œuvre aulique ? clair que le peintre cherche ici à montrer toute la grandeur et la prestance que le jeune prince a déjà, et qu’il sera ainsi un roi parfait. 47 Hans Holbein le Jeune (1497-1543) est un peintre humaniste d’origine allemande. Il est très connu pour ses portraits, tel Les Ambassadeurs de 1533, œuvre conservée à la National Gallery de Londres.
  • 24. 24 Prenons l’exemple des deux portraits d’Élisabeth précédant son départ en Espagne et dont l’identification est certaine (fig. 2 et 3). Pour chacune de ces représentations, nous connaissons trois copies (fig 2a, 2b, 2c et 3a, 3b, et 3c), mais il est facile de supposer qu’il a dû en exister beaucoup d’autres qui ne sont pas parvenues jusqu’à nous. Dès le premier coup d’œil, la différence d’exécution est visible, à l’exception peut-être du second dessin, représentant la princesse en 1559, conservé à Saint-Pétersbourg (fig. 2a)48 . Ces portraits ne peuvent être l’œuvre de Clouet ou de très proches collaborateurs. Qui sont alors les auteurs de ces portraits de « second rang » ? Pour la plupart, il s’agit d’anonymes49 . Tous ces portraits reprennent la « formule Clouet », on les rattache à un groupe que certains historiens nomment « école des Clouet » ou « atelier des Clouet », alors que souvent ils n’ont pas été élèves du maître. Les auteurs de ces portraits sont, donc, des artistes qui n’ont pas marqué l’Histoire et restent cachés derrière l’appartenance à cet atelier50 . L’importance de la copie au XVIe siècle est une notion assez difficile à comprendre pour un amateur d’art du XXIe . Selon Étienne Jollet, « le XVIe siècle entretient un rapport à l’œuvre originale à nos yeux très surprenant : celle-ci ne l’emporte pas nécessairement, en termes de prestige ou de mérite, sur la copie ou même sur l’adaptation qui peut en être faite. On peut rapprocher ce phénomène de la valorisation contemporaine de la traduction »51 . C’est une première raison pour expliquer le grand nombre de copies, et surtout pour comprendre pourquoi leur technique est aussi faible. Bien souvent, ce n’est pas la qualité de l’image qu’on recherche mais l’image en elle-même, c’est-à-dire la représentation du modèle, ici d’Élisabeth. Alexandra Zvereva propose une explication, elle déclare : « l’extraordinaire maladresse de certaines répliques semble surtout s’expliquer par le peu de patience des nobles 48 Voir notre catalogue (Vol. 2), pp. 13-14, pour un court développement sur les différences de style entre les deux portraits et une brève explication sur les différents points de vue des historiens. 49 Ce n’est qu’à une époque plus tardive que les artistes commenceront à signer leurs œuvres, pour cette période nous devons nous contenter de recouper les dessins avec des traces écrites (contrats, paiements, lettres…). 50 « Si le nom « Clouet » a pu prendre une acceptation générique, c’est bien parce que les autres artistes ne sont guère connus », E. Jollet, op. cit. note 8, p. 9. 51 E. Jollet, loc. cit. p. 37.
  • 25. 25 désireux de posséder un recueil de crayons »52 . En effet, l’engouement pour les collections de portraits dessinés sous le règne de Henri II est très important. Évidemment, dans ces collections, la famille royale se doit d’être représentée en première place, les souverains, comme leurs enfants. Ceci pourrait être le point de départ d’un certain nombre de portraits d’Élisabeth. C’est donc son statut de princesse qui explique en grande partie les nombreuses copies. Celles-ci sont réalisées pour les sujets du roi. On sait que l’image du roi est diffusée dans tout le royaume53 et avec elle toute celle de la famille royale. La représentation du souverain prend, bien sûr, beaucoup plus de place, mais celle de la reine et de ses enfants n’est pas à négliger. C’est peut-être la raison de la réalisation des portraits des figures 2b, 2c, 3a ou encore 3b. En tout état de fait, il est clair que la réalisation d’une gravure, comme celle de Agostino Carracci (fig. 3c), a comme but la diffusion de l’effigie de la princesse dans tout le royaume (et même au-delà, puisque réalisée par un italien). Cependant, pourquoi certaines copies gardent-elles la même grande qualité que l’original et d’autres non ? Il s’agit, sans aucun doute, d’une différence de visée. On vient de le voir, les copies exécutées pour la diffusion de l’image de la princesse dans le royaume ne sont pas nécessairement d’une grande valeur plastique, ce n’est pas ce qui importe54 . Mais deux autres types de copies doivent garder la même grandeur que l’original : les copies demandées par les souverains à leurs propres fins et celles tirées pour être envoyées aux cours étrangères. Parfois le roi ne pouvait attendre la fin de l’élaboration d’un portrait, « l’artiste décidait [alors] de créer une réplique très élaborée et propre, destinée à rejoindre les collections royales, ou bien abandonnait l’original à son maître, en se contentant d’une reprise sommaire ou en réalisant un double quasi parfait pour ne rien perdre de son travail »55 . C’est 52 A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 68. 53 D’ailleurs selon Louis Marin, « le roi n’est vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans les images », op. cit. note 30, pp. 12-13. 54 En Italie, François de Gonzague demande à un artiste un portrait précisant « je ne fais pas exclusivement appelle à ses mains, une copie me suffirait pourvu qu’elle fût bonne », citation É. Jollet, op. cit. note 8, p. 38. 55 A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 82.
  • 26. 26 peut-être ce qui s’est passé pour le portrait d’Élisabeth de Valois et sa copie datant de 1549 (fig. 1 et 1a) ainsi que pour le portrait et la copie de 1559 (fig. 2 et 2a). Provoquant ainsi des débats entre historiens de l’art qui cherchaient à savoir quel portrait est l’original56 . Enfin, la seconde visée, l’envoi aux cours étrangères, est peut-être celle qui correspond à l’aquarelle sur vélin (fig. 1b) qui reprend le premier portrait d’Élisabeth que nous connaissons. Il est possible que ce soit une représentation de la princesse faite dans le but d’être envoyée à la cour d’Angleterre, en vue d’une proposition de mariage avec Edward IV ou simplement comme cadeau57 . Ceci expliquerait alors la grande préciosité de cette miniature, tant dans le dessin et les nuances que dans la technique et les matériaux utilisés. Cette hypothèse est appuyée par la présence de cette œuvre dans les collections royales de la reine Élisabeth II. Tous les portraits d’Élisabeth de Valois connus à ce jour, et dont l’identification est assurée, sont donc issus de la « formule Clouet ». La reprise de ce modèle se fait de différentes manières et avec différentes visées. Mais le schéma global est toujours le même, montrant ainsi l’aspect générique de la production des Clouet et de leur « école ». Les représentations françaises de cette princesse se situent assurément dans la continuité de cette typologie du portrait français du XVIe siècle. Cette constance s’inscrit dans un cadre spatio- temporel très précis : l’archétype français n’est pas étendu à toute l’Europe et il atteint son paroxysme dans la deuxième moitié du XVIe siècle. 56 Pour les deux premiers portraits (fig. 1 et 1a), la copie n’est pas aussi admirable que l’original, Louise Roblot- Delondre va même jusqu’à affirmer qu’il s’agit d’une « médiocre copie » (Portraits d’Infantes XVIe siècle, Paris et Bruxelles, 1913). Pour les portraits de 1559 (fig. 2 et 2a), alors que Étienne Moreau-Nélaton pense que le dessin de Chantilly est l’original (Le Portrait à la cour des Valois. Les crayons français du XVIe siècle au musée Condé de Chantilly, Paris, 1908), Louis Dimier pense, quant à lui, que le portrait conservé à Saint Petersbourg a été exécuté avant (op. cit. note 15). 57 « En avril 1551, Lansac, l’envoyé extraordinaire du roi de France, fit présent à Henri VIII des livres et des portraits de toute la famille royale de France (Jean Schyfve à l’Empereur, Londres, 9 avril 1551 ; pub. Calendar of letters, despatches and State papers, relating to the negotiations beetween Egland and Spain, éd. R. Tyler, vol. X, Londres, 1914, p265) », citation de la note 523, du livre A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106.
  • 27. 27 B. Un modèle qui s’inscrit et qui suit la mode de son époque comme de son rang social Nous venons de voir comment les représentations d’Élisabeth avant son départ en Espagne sont issues d’une formule élaborée bien avant sa naissance. Examinons à présent, comment ces portraits inscrivent la princesse dans un contexte spatio-temporel contemporain par sa physionomie, ses vêtements ou encore son apparat (coiffure et bijoux). Étude de l’expression Concentrons-nous sur le visage, point central du portrait. La fonction principale du portrait est d’être mimétique. Nous avons vu que dans la « formule Clouet », l’état psychologique était une chose très importante, un élément sur lequel se base la représentation. Pourtant, ce qui pourrait nous être utile pour comprendre l’aspect moral du modèle, la figure répond également à une formule qui se répète sans grande modification. Étudions alors, l’expression comme moyen de montrer la prestance de l’enfant, mais aussi la manière dont l’artiste respecte ce modèle tout en l’individualisant afin d’exprimer la santé de l’enfant. Essayons enfin de distinguer les traits du caractère de la fille aînée de Henri II que nous présentent ses portraits. La première chose que l’on remarque, dans les portraits d’Élisabeth, c’est la gravité que son visage exprime. Nous en avons déjà parlé à propos des difficultés à représenter les enfants, et nous avons vu ceci comme une manière générale de contrecarrer l’immaturité et la légèreté des enfants58 . Précisons qu’une expression calme et sérieuse était apparemment chose peu habituelle chez Élisabeth. Peu d’enfants ont naturellement cet aspect, mais, d’après les 58 Voir I/ A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe siècle, deuxième point sur La représentation d’un enfant royal, pp. 16-20.
  • 28. 28 sources anciennes59 , il semblerait que la quiétude et une attitude posée soient des traits totalement absents du tempérament d’Élisabeth. Les Lettres de Catherine de Médicis nous la décrivent pleine de vie, voire assez turbulente et ayant un comportement très enfantin à son arrivée à la cour d’Espagne60 . On peut donc imaginer qu’elle était ainsi avant de traverser les Pyrénées. Cette expression grave et réfléchie n’est pas uniquement présente dans les portraits d’Élisabeth, on la retrouve, de façon plus au moins fréquente, chez ses frères et sœurs (François II, Marguerite de Valois ou encore Claude de France (fig. 13a)). Ce trait de l’expression est clairement un code graphique de la charge qui incombe à ces enfants. Même si ce ne sont que des portraits adressés à leurs parents, ils sont la base de l’élaboration de leur image. De ce fait, les modèles se doivent de montrer leur bonne éducation, leur sérieux, et leur capacité à remplir parfaitement le rôle qui les attend. Les petites filles doivent avoir l’air intelligent, être belles, mais quelque peu soumises. Catherine de Médicis est très exigeante quant à l’éducation de ses filles, à leur maintien et surtout à leur apparence61 . Chez les petits garçons, le peintre va chercher à montrer leur esprit vif et serein, leur force et leur puissance. Tout ce qui pourra faire d’eux plus tard un bon roi. C’est exactement ce que montre le texte explicatif du portrait de François II (fig. 1d) de l’exposition Les Clouet de Catherine de Médicis – Portraits dessinés de la cour des Valois : « Ce crayon définit les contours de toutes ses représentations futures (…). Clouet confère à l’enfant le sérieux et la prestance d’un adulte, le montrant déjà prêt à assumer la fonction royale qui allait être la sienne »62 . 59 Se reporter aux Lettres de Catherine de Médicis datant de 1560 à 1565 et qui s’adressent à sa fille, aux dames de celle-ci ou encore aux ambassadeurs français à la cour espagnole ; ainsi qu’aux Mémoires contenant les Vies des Dames illustres de France de son temps de Brantôme, Leyde, 1665. 60 Lettre de Catherine de Médicis à Élisabeth en novembre 1560. « Catherine de Médicis lui adress[e] de vives critiques (…), la mettant en garde de "trop avoyr ancore de l’anfant" », citation de S. Édouard, Le Corps d’une reine, Rennes, 2009, p. 73. 61 S. Édouard, loc. cit. Voir le livre de Sylvène Édouard où elle consacre un chapitre sur « Le maintien » (pp. 17- 42) et un autre sur « La liturgie du corps royal » (pp. 43-76). 62 Exposition Les Clouet de Catherine de Médicis – Portraits dessinés de la cour des Valois au Musée Condé, Château de Chantilly, 23 mars – 27 juin 2011, Commissaires : Alexandra Zvereva et Nicole Garnier.
  • 29. 29 Afin de montrer la bonne santé des enfants, Germain Le Mannier, principal portraitiste des fils et filles du roi, leur fait respecter la pose classique63 mais aussi joue sur la coloration des chairs. Les lèvres sont, par exemple, relevées de rouge (fig.1) tout comme les paupières ou les joues (fig. 13). Les yeux sont aussi un grand indicateur de l’état de santé du modèle, à la fois par leur forme (on peut voir si l’enfant est fatigué ou s’il a les yeux qui pétillent de santé), mais aussi pas leur couleur qui permet de rendre plus vif le regard. Dans un des portraits de 1559 (fig.13), par l’expression de son regard et la forme des yeux, Élisabeth semble fatiguée. Le fait que le modèle regarde de face ou de trois quarts, peut aussi être une indication. De face, on perce plus facilement la couche de la bienséance pour voir plus profond. Quand un modèle regarde directement le spectateur, c’est une indication claire pour montrer sa forme physique et morale. Pourtant, dans le portrait précédemment cité, Élisabeth regarde vers la face, alors qu’elle ne paraît pas en grande forme. Peut-être s’agit-il d’un dessin exécuté à la suite d’une maladie, elle montre ainsi son meilleur état de santé (tout en restant fidèle à sa condition actuelle : faible mais meilleure qu’avant). Le profil d’Élisabeth s’inscrit bien dans une formule et répond aux critères généraux de la représentation des enfants. Mais qu’est-ce qui fait sa particularité, que retrouve-t-on au fil de ses images ? Dans toutes celles-ci, les artistes attachent un intérêt particulier à montrer l'apparence aimable et bienveillante d’Élisabeth. Ils la représentent par une expression suave, un regard doux qui n’attaque pas celui vers qui il est dirigé, et un léger sourire qui montre une attention (fig. 3). Cet air simple et bon sera sa marque de distinction tout au long de ses représentations. Les Espagnols seront d’ailleurs très sensibles à cette apparence, on conserve de nombreuses lettres qui le mentionnent. Il faut dire qu’Élisabeth de Valois succède à la tête de la couronne espagnole à Marie Tudor (deuxième épouse de Philippe II). Celle-ci a une 63 Catherine de Médicis est très attachée à cette « formule Clouet », « seule capable à son avis de rendre parfaitement la figure, sans idéalisation inappropriée, ni mise en scène inutile », A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 107.
  • 30. 30 expression beaucoup plus fermée et plus sèche64 . Précisons qu’elle est aussi beaucoup plus âgée que la princesse française, ce qui évidemment transforme la physionomie. L’apparence bienveillante de la princesse française peut nous aider pour les identifications. Par exemple, dans le portait daté des environs de 1565-1566 et attribué à un artiste de l’école française (fig. 14), la jeune femme apparaît plus mûre et avec une ossature plus développée. Son attitude évoque une personnalité plus froide et quelque peu austère. Par le faciès, l’âge que semble avoir le modèle et l’état psychologique représenté, le portrait ne semble pas être celui de la fille aînée de Henri II et Catherine de Médicis. La physionomie est incontestablement différente. On peut suivre le même raisonnement pour le portrait conservé à la Bibliothèque Nationale de France (fig. 2c). Dans ce portrait, le modèle apparaît avec une expression triste et mélancolique qui ne correspond pas à la représentation habituelle d’Élisabeth65 . C’est une des raisons pour laquelle l’acceptation de son identification nous paraît douteuse. C’est également le cas pour les portraits classés dans la deuxième partie du catalogue (fig. 13, 15 et 16). Les représentations du visage de la fille aînée de Henri II reprennent donc la « formule Clouet » en exprimant le caractère de la jeune fille de manière quasi constante. La seule évolution qui apparaît certaine est celle de la morphologie. Cette transformation est inévitable66 et c’est cela qui intéresse les Clouet. Ce changement constant est précieux pour les historiens car il peut permettre d’identifier et de dater les différents « pourtraicts ». Étude des costumes Dans la « formule Clouet », nous l’avons vu, l’importance est donnée aux traits du visage et non au costume. Le portrait daté de 1557 (fig. 13), nous montre clairement ce 64 Pour voir un portrait de Marie Tudor et pouvoir le comparer avec ceux d’Élisabeth de Valois, voir notre catalogue (Vol. 2) à la page 73 (fig. 19). 65 Voir l’étude de ce portrait par L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56. 66 Voir I/ C. La transformation physique visible : le portrait comme compte rendu de l’apparence, du bien-être et de la psychologie, p. 34.
  • 31. 31 désintérêt pour le costume. Pour autant, il est très intéressant de faire une étude de celui-ci, justement parce qu’il est considéré comme secondaire par le peintre et le spectateur contemporain. Cet artifice est simplement esquissé, son but n’est absolument pas d’attirer l’attention, bien au contraire. Il semble donc que le rendu soit fidèle dans sa simplicité comme dans ses détails plus élaborés. Mais pourquoi les vêtements ne sont-ils que très rarement dessinés avec précision ? Qu’apportent ces seules ébauches de costume ? Quels renseignements nous donnent-t-elles sur la personne représentée, et précisément, ici, sur la princesse Élisabeth de Valois ? Nous avons déjà dit que la raison évidente de la non-attention des artistes aux costumes est le souhait de porter toute la concentration du spectateur sur le visage67 . Mais à ceci nous pouvons ajouter une autre cause : les portraits originaux qui suivent la « formule Clouet » peuvent être la base d’une série de portraits (peints ou non). Ils sont donc élaborés en prenant en compte cette possible fonction. C’est-à-dire que le plus important, c’est la physionomie du modèle, les traits de son visage qui ne bougeront pas, ou plutôt qui pourront être sensiblement vieillis mais qui garderont leur caractère original afin que l’identification soit toujours possible68 . Le costume, lui, diffère suivant la façon dont le commanditaire souhaite que la personne soit représentée. Nous n’avons pas de dessin correspondant au portrait d’Élisabeth de Valois peint par Clouet. Peut-être est-il perdu. Mais il est possible que Clouet ait utilisé un portrait dessiné de la princesse, par exemple celui de 1559 (fig. 2). Il aurait quelque peu modifié les traits pour qu’elle paraisse plus mûre, plus femme et aurait complètement transformé le costume, pour l’adapter à un nouveau statut (de future reine ou peut-être déjà celui de reine d’Espagne). 67 C’est d’ailleurs ce que demande le commanditaire, que ce soit pour un portrait de cour où le plus important est l’identification ou que ce soit pour un portrait « bulletin de santé » où on souhaite avant tout voir, dans le visage, comment se porte le modèle. 68 C’est principalement le cas pour les portraits royaux, telle l’effigie de François I ou de Henri II qui sont figées.
  • 32. 32 Cependant les ébauches des vêtements ne sont pas sans nous donner de précieuses indications sur le modèle, principalement sur son statut et sur son âge. Les portraits d’Élisabeth, par exemple, montrent une évolution très claire. Dans le premier portrait d’Élisabeth que nous avons (fig. 1), elle porte un vêtement tout à fait connu, il s’agit de « la robe portée par tous les enfants jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans »69 . On retrouve cette robe dans le portrait de Marguerite de Valois (fig. 1c). Bien que le vêtement représenté dans ce dessin soit plus élaboré, plus richement décoré et soit, de plus, coloré. De même, la fille aînée de Catherine de Médicis porte un couvre-chef ressemblant à un béret, coiffe courante à cette époque pour les enfants. François en porte un également dans son portrait de 1547 (fig. 1d). Ce sont des signes distinctifs de l’âge. C’est pourquoi, dès les portraits suivants, le costume, comme la coiffure, évoluent. Dans le second portrait (fig. 2), Élisabeth porte déjà une toilette de femme adolescente, en effet le vestiaire enfantin (au-delà des cinq ans) est conçu comme une version réduite de celui des adultes. Son décolleté carré, « avec une ligne en arceau, peut- être due au baleinage du corsage »70 , est couvert par un tissu opaque. Habituellement ce tissu est plus léger et se nomme gorgerette, comme on le voit par exemple dans les copies (fig. 2b et 2c) ou encore dans l’autre portrait de 1559 (fig. 3). « Cette guimpe (…) qui, depuis Henri II couvre le grand décolleté carré de la robe, »71 est prolongée par un col qui entoure le cou, tout en laissant une petite ouverture au centre. Le col se termine par une petite fraise. Ce vêtement a la même structure, la même confection que celui porté par Marie Stuart72 dans le portrait dessiné par Jean Decourt (fig. 3a), bien qu’elle porte le col complètement fermé. L’ébauche du costume nous donne donc des informations quant à l’évolution sociale d’Élisabeth. On sait grâce à ces vêtements quand elle passe du statut d’enfant à fillette, de 69 A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106. Page à laquelle on trouve la note suivant « Henri II permit [à François, frère aîné d’Élisabeth de quitter cette robe pour] porter des chausses peu avant ses quatre ans révolus, en décembre 1547, ayant appris qu’il « ne veult plus aller en femme […] » (Henri II à Jean d’Humières, 21 décembre 1547 ; BnF Ms, fr. 3008, fol 198) », note 521. 70 F. Boucher, L’art du costume, en Occident, de l’Antiquité à nos jours, Paris, 1965, p. 233. 71 Ibid. p. 231. 72 Rappelons que la reine d’Écosse passe son enfance à la cour française aux côtés d’Élisabeth de Valois.
  • 33. 33 celui de fillette à jeune femme. Le portrait peint d’Élisabeth (fig. 3) nous montre une nouvelle évolution du costume. La robe ne reprend plus les lignes de celles qu’Élisabeth porte dans les portraits dessinés. Le décolleté est complètement couvert, il n’est même plus suggéré. Le buste est recouvert d’un corps piqué (ancêtre du corset) qui est beaucoup plus richement décoré que précédemment. De plus, alors qu’avant tous les tissus semblaient de la même teinte, dans cette peinture des nuances et de forts contrastes apparaissent. Le costume qu’Élisabeth porte ici offre une véritable transition entre les robes qu’elle porte enfant et les robes de la cour espagnole, qu’elle portera plus tard. La ligne du vêtement et les couleurs se situent entre le costume que Marie Stuart porte dans son portrait conservé au Cabinet des Estampes (fig. 3a) et celui d’Anne d’Autriche (quatrième épouse de Philippe II et donc successeuse d’Élisabeth de Valois) peint en 1580 par Alonso Sánchez Coello (fig. 4g) qui correspond parfaitement au style impérial. Les vêtements, malgré leur manque de précision, montrent donc qu’Élisabeth de Valois suit parfaitement la mode contemporaine de la cour. Par les renseignements qu’ils nous donnent, ils nous permettent également de suivre la croissance de la princesse et ses changements de statut social. Le contexte spatio-temporel est retranscrit, on peut y voir des évolutions dues à son rang de princesse (princesse enfant, puis princesse adolescente, qui devient alors une monnaie d’échange pour un mariage royal utile à la France73 ). La principale transformation se produit dans le dernier portrait français de la princesse en tant que tel (il y en aura après mais on ajoutera à ses titres celui de reine). Sa date étant peu précise, l’habillement peut peut-être nous aider. On a noté l’influence espagnole, ceci pourrait suggérer qu’elle est déjà promise ou mariée à un espagnol74 . 73 Sur ce sujet lire le livre de S. Édouard, op. cit. note 60. 74 Pour avoir des détails sur la datation de ce portrait, se référer à la fiche de notre catalogue (Vol. 2) qui lui est consacré, figure 3, p 16.
  • 34. 34 Coiffure et bijoux : attributs ? La fille de Catherine de Médicis est toujours représentée coiffée et généralement avec des bijoux, ce qui est de coutume à l’époque. Ses joyaux et sa coiffure se modifient au fil des portraits. Que nous apprennent-ils sur Élisabeth ou sur la mode de l’époque ? Étudions le rôle joué par ses différents apparats dans les portraits d’Élisabeth. Précisons, tout d’abord, que les cheveux d’Élisabeth semblent ne pas être toujours représentés suivant la réalité. D’après les sources écrites, elle aurait eu les cheveux foncés. On peut citer par exemple Brantôme, « ses cheveux et ses yeux étaient noirs. Ils assombrissaient son teint (…) »75 . Pourtant dans les premiers portraits, elle est dessinée avec des cheveux blonds ou en tout cas clairs et crépus (fig. 1). Il est possible qu’ils aient changé de couleur plus tard ou que l’artiste ait cherché à idéaliser la princesse et lui ait ainsi dépeint des cheveux blonds pour correspondre à la mode de l’époque. La texture de ses cheveux évolue au cours des représentations pour devenir lisse. Alors qu’à 5-6 ans (fig. 1), ses cheveux sont coiffés en boule, à partir de 1559, la coiffure se complexifie76 . Rapprochons ces portraits (post 1558) avec celui de Marguerite de Valois (fig. 1c), très similaire dans la coiffure. C’est donc, sans doute, une modification de la mode, et non l’âge du modèle, qui dicte cette évolution77 . Élisabeth porte quasiment toujours une coiffe : soit un béret (fig. 1), soit un escoffion (souvent escoffion à résille, bordé de perles et orné de joyaux). Ces couvre-chefs montrent l’évolution de la princesse au niveau de sa maturité et la place de plus en plus importante qu’elle occupe. Enfant, elle est représentée avec un béret, qui n’a rien de très majestueux et sert simplement à couvrir ses cheveux. Adolescente, elle devient une princesse et se doit de tenir son rang, on la représente alors parfaitement coiffée (les cheveux attachés) et avec de riches ornements. Plus elle grandit, plus 75 P. Brantôme, op. cit. note 59. 76 Les cheveux sont tirés en arrière ou l’escoffion les retient. Au centre de sa tête, une raie a fait son apparition, d’où partent deux mèches qui s’enroulent sur elles-mêmes jusqu’aux oreilles. 77 Modification qui durera dans le temps car on retrouve cette coiffure dans le portrait d’Élisabeth d’Autriche datant de 1571 (fig. 3f).
  • 35. 35 les coiffures sont somptueuses, jusqu’à atteindre un point culminant, avec le dernier portrait français avant qu’elle ne quitte son pays (fig. 3), où l’escoffion est constitué de pierres précieuses, de perles et de joyaux. Les portraits d’Élisabeth de Valois correspondant à la « formule Clouet » qui sont dessinés (on exclue ainsi le portrait peint par François Clouet), ne sont pas des portraits d’État, cela ne veut pas pour autant dire qu’ils n’ont pas de rôle politique. Bien que la princesse doive être représentée digne de son rang, avec toute sa noblesse et sa dignité, on trouve assez peu d’objets référentiels, d’attributs, comme on le verra plus tard dans ses portraits royaux. Cependant de petites distinctions sont bien présentes et se modifient au fur à mesure de l’évolution de la représentation de la princesse. Dès son plus jeune âge, Élisabeth porte des bijoux, dans sa portraiture à 5-6 ans (fig. 1) , on perçoit des boucles d’oreilles pendantes et une bague à la main droite. Ces deux éléments montrent son rang dans la société, pour avoir les moyens d’avoir de tels bijoux et être autorisée à les porter à son âge, il faut être issu de la très haute aristocratie. Les pendants permettent de mettre en valeur le visage d’Élisabeth, étant proches de la couleur de ses yeux, ils les font ressortir sans exercer une trop forte attraction sur le regard du spectateur. Cet effet est encore plus visible dans la copie du dessin réalisée sur papier beige clair, papier appelé « carta bigia »78 (fig. 1a). Il est probable que ces boucles d’oreilles aient été choisies avec soin pour donner un éclat au visage79 . Cet ornement, qui nous semblerait plus présent chez les femmes que chez les fillettes, est pourtant visible uniquement dans les portraits d’Élisabeth enfant. Qu’il s’agisse des portraits français ou espagnols, au-delà de sa treizième année, ses oreilles sont systématiquement représentées sans bijoux. Remarquons tout de même que la perle, dont est constitué chacun des pendants, n’est pas sans ressemblance avec les perles qui 78 A. Zvereva, op. cit. note 13. 79 Suivant le même procédé utilisé plus tard par Johannes Vermeer pour sa célèbre Jeune fille à la perle.
  • 36. 36 ornent la croix qu’elle porte dans plusieurs de ses portraits (fig. 3 et 5). Cette croix pose d’ailleurs beaucoup de questions. Il en existe de semblables à la fois dans les trésors de la couronne française et de la couronne espagnole. Cependant, nous nous attarderons sur ce fait plus tard dans notre étude80 . Dans le premier portrait daté de 1559 (fig. 2), tout comme dans ses copies, on retrouve donc pour orner le visage d’Élisabeth les mêmes boucles d’oreilles, mais celles-ci disparaissent dès le portrait suivant (fig. 3). Elles sont d’ailleurs déjà absentes en 1557 si l’on considère le portrait conservé au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France comme étant celui de la princesse. La physionomie du visage est cependant plus proche des portraits de Claude de France, petite sœur d’Élisabeth. Surtout dans un portrait (fig. 13b) où cette dernière porte exactement la même coiffure et est représentée, elle aussi, sans artifice (ni boucles d’oreilles, ni collier, ni couvre-chef très élaboré). La bague, portée au niveau de l’index de sa main droite, apparaît comme un élément dessiné parce que présent dans la réalité, sans pour autant avoir une signification précise dans ce portrait. Il est d’ailleurs peu probable que Germain Le Mannier ait volontairement orné la main de la princesse d’un bijou, alors qu’il ne prête que très peu d’attention dans son dessin à l’élaboration des mains. Seuls quelques portraits de la « formule Clouet » ont un cadrage suffisamment large qui nous permet de voir les mains. C’est le cas des portraits de Marguerite (fig. 1c) et d’Élisabeth d’Autriche en 1571 (fig. 3f). Cette dernière porte une bague exactement au même endroit (index droit) et une autre à l’auriculaire gauche. Remarquons en passant que plus de vingt ans après le portrait d’Élisabeth enfant, la position des mains est reprise trait pour trait, tout comme dans le portrait de Marguerite qui se situe à une date médiane entre les deux autres. 80 Voir II/ C. Continuation des fonctions principales tout en s’adaptant au protocole monarchique, troisième point intitulé : Représentation de la monarchie espagnole, pp. 76-79.
  • 37. 37 Le collier qu’on distingue dans le premier portrait de la fille aînée de Catherine de Médicis semble plutôt être un artifice de la robe mettant ainsi en valeur la stature et la pose d’Élisabeth. Sur la copie en miniature sur vélin, ce collier est constitué de joyaux, qui apportent ainsi une grande richesse au costume. Le bijou devient alors un cottoire, c'est-à-dire un collier de perles et de boutons d’or percés. On remarquera cependant que les boucles d’oreille ont disparu et que les mains sont invisibles. L’artiste a peut-être alors pris le parti de représenter cette partie du costume sous forme de bijoux pour palier au manque d’ornement. Les trois éléments que l’on vient de voir (pendants, bague et collier) ne sont pas attribués uniquement à Élisabeth, on les retrouve dans le portrait de Marguerite de Valois (fig. 1c). Ils ont simplement changé de forme mais ils se situent exactement au même endroit sur le corps et donc sur le portrait. Qu’il s’agisse de la coiffure ou des bijoux, nous ne pouvons pas leur octroyer la fonction d’attributs, leur pouvoir significatif est trop faible. Cependant, ils sont à prendre en considération et permettent de replacer Élisabeth dans un cadre spatio-temporel. Ces joyaux appartiennent au trésor de la couronne française, on sait en reconnaître certains et on peut les rapprocher de bijoux qui existent encore. Enfin, qu’il s’agisse d’ornementations pour le portrait ou de mode vestimentaire, le fait qu’on retrouve les mêmes artifices dans différents portraits de personnes diverses montre clairement que les portraits d’Élisabeth s’inscrivent dans la lignée des portraits féminins de la cour d’Henri II.
  • 38. 38 C. La transformation physique visible : le portrait comme compte rendu de l’apparence, du bien-être et de la psychologie Une des missions principales du portrait, et ce de tous temps, est de représenter de façon mimétique le modèle. Le grand nombre de dessins que nous gardons du XVIe siècle nous permet d’observer la croissance, le développement des personnes représentées tout au cours de leur vie. Élisabeth de Valois n’échappe pas à ce mouvement et nous pouvons suivre ses transformations physiques au fil du temps. Mais le portrait ne s’arrête pas là, nous l’avons vu, dans la France du XVIe siècle, l’aspect psychologique est très présent. Le dessin devient donc aussi un livre ouvert dans lequel on lit la joie ou la tristesse, l’ardeur ou la fatigue, l’allégresse ou la souffrance… Ainsi en lisant dans ce livre, essayons de suivre le développement d’Élisabeth et de comprendre comment les portraits rendent compte de celui-ci. Cherchons également à savoir quelles furent les visées de ce si grand nombre de portraits (avec tous ceux que nous connaissons par les textes, mais pas toujours physiquement). Le vieillissement d’Élisabeth de Valois et le soin apporté à la ressemblance Bien qu’il ne nous reste que peu de portraits d’Élisabeth, « podemos seguir cronológica y gráficamente el curso de su vida merced a los dibujos y retratos que la acompañan al hilo de su vida, desde la niñez hasta su muerte »81 comme le dit si bien Augustin Gonzalez de Amazúa, dans son étude biographique consacrée à Isabel de Valois (c’est ainsi qu’on l’appelle en Espagne). Sa croissance et son évolution sont visibles au fur et à mesure des portraits, les années passent, Élisabeth grandit et les dessins le montrent. Ceci est évident car, nous l’avons déjà dit, l’aspect mimétique est le point central de n’importe quel portrait. Mais comment les artistes jouent-ils entre le respect de la formule et de sa pose inchangée alors que les traits 81 « Nous pouvons suivre chronologiquement et graphiquement le cours de sa vie grâce aux dessins et aux portraits qui l’ont représenté au fil de sa vie, de son enfance à sa mort » (nous traduisons). A. González de Amazúa, op. cit. note 2, vol. 1, IX, pp. 330-331.
  • 39. 39 vieillissent, le costume se modifie, bref l’identité évolue ? Nous avons vu que ce sont principalement sur les traits de caractère (qui sont visibles dans l’expression, le regard…) que les artistes ont une marge de manœuvre pour l’identification. Ceci est un point fondamental car la pose de la « formule Clouet » est également un élément strictement lié à l’identité et à l’identification du personnage. Nous tâcherons alors de comprendre comment on peut faire évoluer une identité sans la modifier. La figure ronde d’Élisabeth (fig. 1) qui, au fur et à mesure du temps, s’affine, mûrit jusqu’à devenir celle d’une jeune femme élégante à son mariage, suit clairement une évolution. Transformation qu’il est possible de voir grâce aux portraits, bien qu’il nous en manque probablement. Dans les portraits dont l’identification est assurée, le soin apporté à la ressemblance est incontestable. C’est ce qui pose question pour les autres attributions. Dans son étude consacrée au corps d’Élisabeth de Valois, Sylvène Édouard82 parle de sources contemporaines qui mentionneraient une prise de poids après le mariage d’Élisabeth. Pourtant, comme le remarque l’historienne, cette prise de poids n’est absolument pas visible sur les portraits espagnols de la reine. Dans ceux-ci, la physionomie de la reine se situe dans une suite logique des portraits de son enfance. Pourtant, si l’on s’attarde sur les portraits français peints vers 1565-1569, et dont l’identification est incertaine (fig. 14 et 15), on remarque cette prise de poids, le visage est redevenu rond, estompant ainsi les traits personnels caractéristiques de la princesse. Serait-ce pour cela qu’on ne la reconnaît pas ? Parce que les portraits étatiques de la couronne espagnole embellissent Élisabeth, l’identification des portraits français83 (qui sont plus ressemblants) est remise en question. C’est une possibilité, mais elle est loin d’être certifiée. 82 S. Édouard, op. cit. note 60. 83 Alexandra Zvereva parle pour les portraits français de la « formule Clouet » de portrait de cour plutôt que de portrait d’État. On peut peut-être utiliser la même distinction pour différencier les portraits espagnols et les portraits français d’Élisabeth de Valois après son couronnement en Reine d’Espagne. Les portraits espagnols seraient alors des portraits d’État qui ont pour fonction de promouvoir la couronne espagnole, la famille de Habsbourg et évidemment le roi, Philippe II (nous verrons tout cela dans notre seconde partie). Tandis que les
  • 40. 40 L’identification permise par la « formule Clouet » est une identité qui joue plus sur le terrain de la reconnaissance de l’appartenance à un groupe social que sur la reconnaissance individuelle d’un sujet. Nous entendons, par là, que le simple fait d’être représenté suivant les caractéristiques de cette formule suffit à montrer son appartenance à la cour du roi84 . Ajoutons à ceci, qu’en leur qualité d’enfants, seuls les princes et les princesses ont droit à cet avantage. Ce qui veut dire qu’au XVIe siècle, un simple portrait dessiné d’un enfant est systématiquement entendu par son spectateur comme la représentation codifiée d’un enfant du couple royal. Cette base posée, il est bien plus facile de comprendre la marge de liberté qu’ont les artistes pour l’évolution de la représentation. A vrai dire, le terme liberté est incorrect, car, certes, si c’est le peintre qui tient le crayon et qui décide de tracer un trait ici ou là, il se doit de respecter les exigences de ses commanditaires85 . La marge des artistes ne se situe, en fait, que dans leur manière de portraiturer au mieux le modèle, c’est-à-dire d’être au plus près de sa morphologie, de sa physionomie, de son expression. Ceci permet de reconnaître le talent de l’artiste, et d’ailleurs c’est ceci qui intéresse tout particulièrement les Clouet : montrer la modification de la physionomie en étant au plus près d’éléments concrets tout en jouant avec leur formule, même si celle-ci semble pourtant au premier abord si constante et inchangeable86 . La fonction des portraits Commençons par rappeler les principales fonctions du portrait : mimétique, présence, bulletin de santé, ambassadeur, légitimation, propagande… Dans sa Théorie du portrait, de la portraits français seraient à ranger dans la catégorie des portraits de cour, c’est-à-dire des portraits respectant les normes de la société courtisane française. A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 62. 84 J. Adhémar, Les Clouet et la cour des rois français, de François 1er à Henri VI, Paris, 1970. 85 Selon A. Zvereva, Catherine de Médicis, par exemple, refuse d’employer un étranger pour portraiturer ses enfants, car un étranger ne pourrait respecter parfaitement la « formule Clouet » (A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 107). Ceci montre à quel point, l’artiste se doit de respecter cette formule, et justement de ne prendre que peu de libertés, voire aucune. 86 É. Jollet, op. cit. note 8, dans l’introduction de son ouvrage.
  • 41. 41 Renaissance aux Lumières87 , Édouard Pommier nous fait part de ce qu’il appelle les « pouvoirs du portrait », ceux-ci rejoignent plus au moins les fonctions ou les enrichissent : « l’identification », « la connaissance », « l’illusion », « l’exemplarité » ou encore « l’évocation ». Les portraits français d’Élisabeth répondent à plusieurs de ces fonctions, prenons-les les unes après les autres. La fonction première du portrait, depuis l’Antiquité, est l’exigence de la vérité. « Les commanditaires [jugent] le portrait (…) selon la ressemblance avec le modèle »88 , c’est d’ailleurs ce que cherche à montrer Édouard Pommier en démontrant que la réception du portrait est indiscutablement liée à la conception ancienne de la peinture comme imitation de la nature89 . Le portrait représente une personne, il doit nous la rappeler et donc reprendre méthodiquement tous ses traits personnels. Dans son livre Le portrait du roi, Louis Marin insiste sur « la ressemblance effective ou supposée du portrait de César et de César »90 qui permet le rapport visible entre l’image et le portraituré. Nous venons de voir, dans le chapitre précédent, que nombre des portraits d’Élisabeth remplissent parfaitement cette mission. Les portraits qui ne la remplissent pas totalement sont, de ce fait, ceux dont l’identification est incertaine (et il s’agit évidemment de la principale cause de cette incertitude). Le portrait permet également de rendre présente une personne absente. C’est ce que prône Alberti dans son traité De la peinture, où il insiste largement sur la valeur mémoriale du portait. Cette valeur est très présente dans les portraits d’Élisabeth de Valois et de tous ses frères et sœurs. Ils sont envoyés à la cour royale pour être reproduits « à l’huile ou en miniature [et] orn[er] les palais royaux »91 . Les princes et princesses françaises sont rapidement envoyés à la Maison des Enfants, comme le montre les lettres de Catherine de Médicis. Dans une lettre à Monsieur de Humyères, elle écrit le 27 mars 1548, à propos de sa 87 É. Pommier, Théorie du portrait. De la Renaissance aux Lumières, Paris, 1998. 88 A. Zvereva, op. cit. note 13. 89 Pendant longtemps, on garda en mémoire la célèbre tradition antique de Zeuxis et des femmes de Crotone. 90 L. Marin, op. cit. note 30, p. 17. 91 A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106.
  • 42. 42 fille Claude (née le 12 novembre 1547, à Fontainebleau) « je pense que, de ceste heure, ma fille sera arrivée là, je vous prie me faire savoir comment elle se portera là, et le plus souvent que vous pourrez de leurs nouvelles » 92 . Les nombreux portraits que Catherine de Médicis demande, et que Monsieur de Humyères lui envoie, ont comme fonction de maintenir le lien affectif93 . Par leur portrait, les enfants sont présents à la cour de Fontainebleau, avec leurs parents. Les enfants grandissant rapidement et, pour que leurs portraits au château royal leur ressemblent, ils doivent être refaits régulièrement. Ce renouvellement et la demande perpétuelle de la reine d’avoir toujours de nouveaux portraits de ses enfants correspondent également à une autre fonction. Le « pourtraict » dessiné de l’époque est également un bulletin de santé. On connaît l’importance de la correspondance épistolaire. Les innombrables lettres de Catherine de Médicis et les portraits participent à ce vaste système d’échanges d’informations. Ainsi comme le dit Étienne Moreau-Nélaton, la représentation des enfants royaux devient « plus un procès verbal fidèle [de leur santé] qu’une œuvre plaisante »94 . On ne cherche pas en premier lieu à faire un beau portrait95 mais à rendre parfaitement compte de l’aspect physique et moral de l’enfant (lettre de Henri II à Monsieur d’Humyères : « A ce que jai veu par leurs pourtraictures mes enfans sont en très-bon estat, dieu mercy »96 ). Dans son étude consacrée au corps d’Élisabeth de Valois, Sylvène Édouard97 reprend cette idée : le dessin est un « médium de connaissance efficace, il ne doit pas se contenter de montrer, il doit aussi produire un discours capable d’éloquence en révélant par la beauté du corps, la beauté de l’âme ». La question du l’aspect 92 Lettres de Catherine de Médicis, I, p22, BN, fonds fr.3120, f°16. 93 A. Zvereva, op. cit. note 28, p. 106. Alexandra Zvereva écrit à propos du goût de Catherine de Médicis pour les portraits : « seul un portrait pouvait lui permettre […] de contempler à volonté les chers visages de ses fils et de ses filles, se consolant ainsi de leur nécessaire absence ». 94 É. Moreau-Nélaton, op. cit. note 56. 95 Pourtant nous l’avons vu dans un chapitre précédent (p. 9), c’est bien le problème de Catherine de Médicis, qui veut à la fois un beau portrait de ses enfants (et si elle n’est pas satisfaite en redemande un au plus vite, voir sa lettre daté du 19 août 1549 adressée à Mr. d’Humyères), un portrait ressemblant et un portrait qui rend fidèlement compte de leur état de santé. 96 BN. ms. fr. 3120 f°72. 97 S. Édouard, op. cit. note 60.
  • 43. 43 psychologique dans le portrait au dessin est attestée par les lettres de Catherine de Médicis. Elle écrit le 19 août 1549 à Monsieur d’Humyères « deux autres visaiges de mesz ditz deux filz que vous menvoirez pour les représenter lun devant lautre, afin doster loppinion que jen ay »98 . Les portraits dessinés d’Élisabeth (et principalement ceux envoyés aux époux royaux) sont donc une véritable chronique de son évolution, de sa croissance, de son état de santé. Cependant, comme nous l’avons déjà vu plus haut, nous pouvons émettre quelques objections quant à la fidélité de ce procès-verbal. Alexandra Zvereva et Nicole Garnier, dans l’exposition actuelle du musée Condé consacrée aux portraits dessinés de la cour des Valois, écrivent, dans la légende d’un portrait de François II99 , « pourtant, même si le dessin devait permettre à Catherine de Médicis de juger de l’état de son fils, Le Mannier était contraint de reprendre les contours de l’image officielle conçue par Clouet »100 (fig. 1d). C’est toujours dans un but de correspondance que se situe la visée suivante, il s’agit du portrait comme ambassadeur. Les représentations des enfants royaux jouent aussi un rôle dans les tractations diplomatiques telles que les mariages. On peint ou dessine, l’image du prince ou de la princesse, puis on l’envoie avec une proposition d’union à une cour étrangère101 . L’image envoyée favorise ainsi le choix des familles et des époux. Nous savons que plusieurs portraits d’Élisabeth de Valois furent réalisés avec ce but précis, mais nous ne les connaissons pas. Sylvène Édouard102 , par exemple, nous parle du « portrait ambassadeur » que Henri II fit exécuté en 1558, par un vénitien nommé Marcantonio Sidonio, mais ce portrait a disparu. Certains historiens de l’art, tel Martin Hume103 , se demandent si le portrait d’Élisabeth de Valois peint par François Clouet (fig. 3), n’aurait pas également ce statut d’ambassadeur. Ceci 98 Lettres de Catherine de Médicis, I, p31, BN, fonds fr.3133, f°8. 99 Portrait de François II, Germain Le Mannier, 1552, dessin à la pierre noire, 33,5 x 22,5 cm, Chantilly, musée Condé (Inv. MN 37). 100 Op. cit. note 62. 101 Lorne Campbell rapporte l’annecte suivante : « en 1551, un portrait d’Édouard VI d’Angleterre avait été placé, comme celui d’un futur époux éventuel, dans la chambre d’Élisabeth de Valois, alors âgée de cinq ans, et que la princesse avait dit à sa mère Catherine de Médicis : « J’ai souhaité le bonjour à monseigneur le roi d’Angleterre » ; c’était ce qu’on lui avait appris à faire ». L. Campbell, op. cit. note 20, p. 220. 102 S. Édouard, op. cit. note 60. 103 M. Hume, Las Reinas de la España antigua, Madrid, n.d.
  • 44. 44 expliquerait pourquoi ce portrait est peint, et non juste dessiné comme les autres, et pourquoi cette tâche est confiée au maître Clouet. Il aurait alors était peint vers fin 1558 - début 1559 et aurait été envoyé à la même période en Espagne. Élisabeth fut d’abord promise à Don Carlos (fils de Philippe II), il est possible qu’il y ait alors eu deux portraits envoyés. Le second serait celui de Clouet. Élisabeth est richement vêtue et paraît être plus âgée que dans le portrait dessiné de la même année (fig. 2), serait-ce parce qu’il s’adresse à un possible futur époux beaucoup plus âgé qu’elle ? Les portraits du XVIe siècle ont aussi une fonction de légitimation, c’est-à-dire de montrer la ressemblance du modèle avec ses ancêtres. Édouard Pommier parle du portrait comme un instrument pour l’édification et la justification d’une dynastie, en s’appuyant, bien sûr, sur les grandes galeries de portraits familiales104 . Cette visée légitimatrice semble assez peu présente dans les portraits enfants d’Élisabeth, cependant Louise Roblot-Delondre note des traits physiques comme étant des indices de la race française de la souche des Valois (« son masque court et rond, son front encadré de cheveux légers et frisés, ses yeux aux regards un peu placides, son nez fort du bout et légèrement relevé, aux fortes narines, ses lèvres minces et la jolie coquille des oreilles »105 ). Il existe des ressemblances incontestables, mais ce n’est pour autant que nous pouvons conclure à une fonction de légitimation. Enfin, les fonctions de propagande ou de traces pour la postérité semblent également ne pas trouver leur place dans les portraits d’Élisabeth enfant (il en sera autrement pour ses portraits en tant que reine d’Espagne). 104 A. Zvereva voit dans la collection de Catherine de Médicis une forme nouvelle de galerie de portraits, elle s’étend bien au-delà que de la simple galerie familiale (d’où elle tire son origine, avec la collection de portraits faîte pas Louise de Savoie, mère de François 1er , et transmise par celui-ci à la femme d’Henri II), mais garde son esprit et ses composants. 105 L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56, pp. 115-121.
  • 45. 45 Portraits connus mais perdus ou matériellement inconnus Pour concevoir entièrement l’évolution et la croissance d’Élisabeth de Valois, il nous manque bien des portraits. On connaît de nombreuses lettres de Catherine de Médicis quémandant des dessins de ses enfants. Nous n’avons pas la preuve que ses souhaits furent exaucés, mais des réponses nous le laissent penser (« jay receu les painctures de mes enffans que vous mavez faict faire »106 ). Il est peu probable qu’il n’y ait eu que cinq portraits d’Élisabeth durant les treize premières années de sa vie. Les demandes de la reine correspondent aux années 1548, 1549, 1550, 1552, Élisabeth n’arrive à la cour du roi de France qu’en 1554, il est donc possible qu’il ait existé des portraits également pour les années 1551 et 1553, voire 1554. Sylvène Édouard107 pense qu’il y aurait eu au moins un portrait par an, pendant les années qu’Élisabeth passe à la Maison des Enfants de Saint Germain en Laye. Le papier sur lequel sont dessinés les portraits est un support fragile. S’il n’a pas été conservé en lieu sûr, cette matière s’abîme facilement et peut aller jusqu’à se décomposer en peu de temps. Il est donc possible que des dessins aient à jamais disparu. De plus, sans description iconographique des portraits qui semblent avoir existé, il est très difficile de les retrouver et de proposer une bonne identification. De la même façon, il est étrange, même si c’est possible, qu’il n’existe qu’un portrait peint d’Élisabeth de Valois. Augustin Gonzalez de Amazúa108 note la possible existence de trois autres peintures. La première apparaît dans l’inventaire de Doña Juana, il s’agirait d’une miniature sur bois, représentant Élisabeth de Valois enfant. Pour la datation, l’historien espagnol propose une fourchette allant de 1550 à 1555. Mais on ne connaît rien de la composition de l’œuvre ni comment le modèle est représenté. Il est possible qu’il s’agisse d’une autre copie du portrait d’Élisabeth daté de 1552 (fig. 1) à l’image de la miniature sur vélin, dont les dimensions sont semblables. La date correspondrait également. 106 Lettres de Catherine de Médicis, I, p25, BN, fonds fr.3178, f°201 107 S. Édouard, op. cit. note 60. 108 A. Gonzalez de Amazúa, op. cit. note 2, vol. III, p. 502.
  • 46. 46 La seconde peinture serait l’œuvre de Corneille de Lyon, ce qui ne paraît pas improbable au vu de l’importance de ce peintre à l’époque, et serait une peinture à la fresque faite « en una sala de dicha ciudad »109 . Il s’agirait d’un portrait de famille regroupant la reine Catherine de Médicis et ses filles. Augustin Gonzalez de Amazúa cite Brantôme et date cette fresque de 1555-1557, mais rien ne l’atteste. La reine pourrait alors être représentée, suivant la date de la représentation avec Élisabeth (1546), Claude (1547), Marguerite (1553), et peut- être Victoire et Jeanne (1556), deux jumelles qui n’atteignirent pas l’âge d’un an. Nous n’avons pas plus d’indications. On ne sait pas qui est exactement présent ou quelle forme prend cette composition, aucun détail ne nous permet d’imaginer cette œuvre. La dernière peinture ayant disparu reprend un peu la même iconographie que la précédente, il s’agit également d’un portrait de famille, mais cette fois-ci sur toile. Catherine de Médicis est représentée avec quatre de ses enfants (trois fils et une fille). Elle tient dans sa main le portrait de Henri II, son mari, tandis que la fillette tient le portrait de Don Carlos. Cette toile, qui fut sans doute envoyée par la France à la cour espagnole (on trouve sa trace dans l’inventaire espagnol de 1610), pose question quant à l’identification de la jeune enfant. Il pourrait s’agir d’Élisabeth comme de sa sœur Marguerite. Pour toutes les deux, il y a eu des tractations diplomatiques afin de les marier avec le prince d’Espagne. Afin de ne plus douter de l’identification, il faut connaître la date exacte de réalisation, car c’est au début de l’année 1559 que Élisabeth, d’abord promise à Don Carlos, fut promise puis mariée au roi d’Espagne, Philippe II. Mais Augustin Gonzalez de Amazúa ne note que la date de 1559 sans autre précision et de plus avec un point d’interrogation. On ne peut donc savoir à ce jour s’il agit de l’une ou de l’autre des filles de Catherine de Médicis. 109 « Dans une salle de la ville dite » (nous traduisons), Augustin Gonzalez de Amazúa parlant déjà Lyon dans la phrase.
  • 47. 47 Les dessins du XVIe siècle peuvent donc être vus comme une chronique, comme la biographie d’une personne. Malheureusement, il nous manque un certain nombre de portraits, et nous ne connaissons pas leur iconographie, ce qui nous empêche de suivre année après année le développement d’Élisabeth de Valois. Mais nous pouvons tout de même voir son évolution physique réelle et celle plus abstraite de la manière dont elle est représentée. Les portraits de la fille aînée de Catherine de Médicis et de Henri II reprennent tous la formule de base du portrait au XVIe siècle, la « formule Clouet ». On a vu que cette iconographie connaît une très grande régularité, parfois rompue par de petites modifications. Une évolution dans la typologie du portrait dessiné est tout de même présente, mais celle-ci se déroule sur tous les portraits et non seulement sur ceux d’Élisabeth de Valois. Nous voulons dire par-là que si certains éléments nouveaux apparaissent dans les portraits de cette princesse, c’est qu’ils s’inscrivent dans une mode contemporaine, ils ne sont pas le propre des représentations de la future reine espagnole. Ce n’est pas les portraits d’Élisabeth qui modifient le modèle, mais le goût et la formule qui se transforment tout doucement et font ainsi évoluer la représentation de la princesse française. Dans la première partie de ses portraits (avant son mariage), Élisabeth a donc plutôt un rôle passif, elle suit la mode sans y apporter une touche très personnelle. Voyons, à présent, si elle garde cette position lorsqu’elle quitte la France et devient reine d’Espagne, où la mode et le modèle de représentation ne sont pas les mêmes.
  • 48. 48
  • 49. 49 II/ Le mariage avec Philippe II en 1559 : l’apparition d’une nouvelle image tendant vers la création d’une effigie royale et son hispanisation Un des faits les plus notables de la vie d’Élisabeth de Valois, comme le dit Maria José Rodriguez Salgado dans son article110 , fut son mariage avec le roi d’Espagne, Philippe II. Ce mariage se décida en peu de temps. Il y avait eu des tractations pour marier la princesse française avec des enfants issus des familles italiennes ou anglaises (particulièrement avec Édouard IV). Mais, finalement, ce furent les échanges avec la couronne espagnole qui aboutirent. Élisabeth avait d’abord été promise au prince Don Carlos, fils de Philippe II qui avait le même âge qu’elle. Mais, en 1558, la mort de Marie Tudor (deuxième femme de Philippe II) provoqua un bouleversement des évènements et Élisabeth fut mariée, en 1559, au roi, scellant ainsi la paix entre la France et le royaume hispanique. Ce mariage est un fait marquant dans l’évolution de la représentation d’Élisabeth de Valois111 . Premièrement son statut change, elle n’est plus seulement une princesse, mais devient une reine, avec tout le protocole que cela entraîne. Deuxièmement, elle ne doit plus seulement respecter l’étiquette française, mais également celle espagnole. Elle doit combiner deux exigences sans délaisser l’une ou l’autre. En effet, bien qu’Élisabeth parte vivre en Espagne, elle n’en reste pas moins une princesse française et garde ce titre tout au long de sa vie. Il est donc de son devoir d’honorer la bienséance française. Nous allons étudier cette double étiquette et voir comment Elizabeth de Valois devient Isabel de la Paz112 . Comment ses représentations mêlent-elles le protocole de sa famille de 110 M.-J. Rodriguez Salgado, « "Una perfecta princessa". Casa y vida de la reina Isabel de Valois (1559-1568) », première partie, dans Cuadernos de Historia moderna, Anejo II, 2003, p. 39. 111 Notons qu’à la même date des changements ont lieu dans le modèle du portrait féminin français. En effet, le roi Henri II meurt lors de la célébration du mariage d’Élisabeth et de Philippe II, Catherine de Médicis devient alors veuve et reine mère. Elle s’imposera un deuil en noir (avant elle, la couleur du deuil est le blanc) et demandera de nouveaux portraits changeant ainsi à la fois son image et par répercussion l’image de la femme française. 112 C’est ainsi qu’on la nomme en Espagne, Isabel étant une traduction du prénom Élisabeth et la préposition qualificative « de la Paz » pour montrer que, grâce à elle, la paix entre la France et l’Espagne est entérinée.
  • 50. 50 sang à celui de sa famille d’adoption ? Comment les portraits évoluent-ils vers une nouvelle image ? Enfin, comment l’effigie française s’hispanise pour devenir un symbole de l’alliance entre les deux pays ? Nous tenterons de comprendre cette fusion de deux écoles en étudiant comment est représenté le corps d’Élisabeth de Valois à partir de 1559. Puis, nous nous concentrerons sur la conception globale des portraits et leur théorie et, enfin, sur l’évolution des motivations et des missions de ces représentations. A. Une hispanisation dans la représentation physique du modèle L’apport de la mode espagnole dans la représentation du corps de la princesse française apparaît à plusieurs niveaux. Tout d’abord, on remarquera une transformation dans ses vêtements, composés d’éléments d’inspiration française et d’autres hispanisants. Des modifications seront également visibles dans la manière d’être de la reine, c’est-à-dire dans la façon dont elle est positionnée, coiffée ou encore dans l’expression de son visage. Enfin, nous nous intéresserons au cadrage et à la technique des œuvres qui présentent une toute autre vision du corps de la princesse devenue reine. Évolution du costume Au XVIe siècle, l’habit est un signe de reconnaissance sociale. Érasme pensait, d’ailleurs, que le vêtement était « le corps du corps », il l’écrit ainsi dans le Traité de Civilité puérile113 . De plus, « les tableaux définissent la majesté du corps royal autant par sa prestance 113 S. Édouard, op. cit. note 60, p. 102.
  • 51. 51 que par ses parures »114 . L’étude du costume dans les portraits est donc un élément très important pour comprendre le message de l’œuvre. Le premier portrait que nous ayons d’Élisabeth, en tant que reine d’Espagne et peint par un espagnol, est celui attribué à Alonso Sánchez Coello (fig. 4). Dans cette représentation, la reine est habillée d’une robe à la française. Elle vient tout juste d’arriver en Espagne et a encore des vêtements ramenés de France. On voit, dans ce costume, de nombreuses similitudes avec ceux que la princesse porte avant son départ. On retrouve le col haut monté, la gorgerette carré avec une ligne en arceau, les manches serrées mais légèrement bouffantes aux épaules ou encore la forme en V du buste. Par ailleurs, cette couleur ne correspond absolument pas à la mode espagnole. On peut la rapprocher de la teinte de la seconde robe de Catherine de Médicis dans le seul portrait en pied qu’on lui connaît (fig. 18). François Boucher, dans son étude du costume au XVIe siècle, écrit : « le caractère dominant du costume espagnol, c’est sa sobriété, son austère élégance. Si riches qu’ils soient, les tissus restent dans les coloris sombres »115 . La première représentation d’Élisabeth de Valois en Espagne, en tant que reine, la montre ainsi , non comme une héritière de la mode espagnole, mais y apportant de nouveaux éléments venus de France. Cet apport du goût français est visible également dans le portrait maintes fois copié et dont l’original semble être de la main d’Anthonis Mor (fig 5, 5a, 5b et 5c). Cette couleur rouge carmin si profonde (et extrêmement vive dans les copies en pied) n’est en aucun cas espagnole, il faut donc, une fois encore, la rapprocher d’une mode française116 . Mais la ligne de la robe semble, elle, très espagnole. Cette coupe particulière est une robe de grand apparat, 114 S. Édouard, loc. cit. 115 F. Boucher, op. cit. note 70, p. 226. 116 Maria Kusche s’appuie sur la couleur de ce tissu pour proposer une attribution et surtout une datation de ce tableau. Pour elle, il est évident que cette robe, par sa couleur, ne peut venir que de France, bien qu’elle soit déjà adaptée à la mode espagnole. Cependant la reine est en plein période de croissance quand elle arrive en Espagne, ses vêtements qui viennent de France vont donc vite devenir trop petits. Sur cette hypothèse, Maria Kusche propose une datation très proche de l’arrivée de la reine dans la péninsule ibérique. M. Kusche, Retratos y retratadores Alonso Sánchez Coello y sus competidores Sofonisba Anguissola, Jorge de la Rúa y Rolán Mays, Madrid, 2003.
  • 52. 52 qui correspond parfaitement au costume espagnol. François Boucher continue sa description des habits de la péninsule ibérique en disant « le corps [de la robe] impose au buste une forme quasi géométrique et allonge la taille en comprimant la poitrine jusqu’à l’effacement »117 . La robe d’Élisabeth correspond à cette description, on ne voit plus les formes de la poitrine. Cette étude est reprise par Carmen Bernis118 , spécialiste du costume espagnol, qui déclare que le style hispanique « tend à cacher les formes et enfermer le corps féminin dans une gaine »119 . François Boucher ajoute : « la silhouette figure ainsi un cône de la tête au sol »120 . Si l’on regarde les copies de ce portrait où Élisabeth de Valois est représentée en pied (fig. 5b et 5c), cette forme apparaît clairement. La robe portée par la reine dans ce portrait se nomme « saya » (= vêtement entier où le buste et la jupe forme un tout, à partir de la moitié du XVIe siècle, elle est faite de deux parties du même tissu121 ). Remarquons l’originalité des larges manches qui sont comme tailladées. Des tailles, telles des coups de ciseaux, que l’on voit également sur la jupe ou le buste de la robe. Ces coupures semblent typiquement hispaniques. Dans l’exposition consacrée aux portraits dessinés des Clouet au musée Condé122 , on note à plusieurs reprises des références à ce genre de robe : « Les Français furent surpris et intrigués par [les robes des Espagnoles] aux manches tailladées » ou encore dans le commentaire d’un portrait de Léonore de Sapata : « vêtue à l’espagnole, robe à manches tailladées et fausses manches fendues »123 . Quant à Carmen Bernis, elle fait référence dans son ouvrage Indumentaria española en tiempo de Carlos V à ce type de manche déclarant : « [las mangas] se repiten en retratos del reinado de Felipe II »124 . Par contre, par son ouverture, le col 117 F. Boucher, op. cit. note 70, p. 227. 118 C. Bernis, « La moda en la España de Felipe II a través del retrato de corte », dans Alonso Sánchez Coello y el Retrato en la corte de Felipe II, juin-juilliet 1990, Madrid. 119 (nous traduisons). 120 F. Boucher, op. cit. note 70, p. 227. 121 C. Bernis, op. cit. note 118. 122 Op. cit. note 62. 123 Texte explicatif du portrait de Léonore de Sapata, Jean Clouet, 1531, dessin à la pierre noire et sanguine, 31,1 x 21,7 cm, Chantilly, musée Condé (Inv. MN 172). 124 « [Les manches] se répètent dans des portraits du règne de Philippe II » (nous traduisons), C. Bernis, Indumentaria española en tiempo de Carlos V., Madrid, 1962.
  • 53. 53 correspond encore à une tradition française, mais il monte très haut, tels les cols espagnols. On peut conclure que ce vêtement est espagnol, mais avec des notes françaises assez présentes. Le portrait d’Élisabeth de Valois conservé et exposé au Prado (fig. 6) est la représentation la plus hispanique de la reine. Le costume qu’elle porte est typiquement espagnol et, cette fois-ci, tant dans la forme que dans les couleurs utilisées. On retrouve les « fausses manches fendues » au-dessus des manches du « jubón »125 (dont le motif du tissu est dans le même esprit que celui des portraits précédents). Le fait que les manches soient pendantes et aillent presque jusqu’à toucher le sol est aussi un élément de « tradition purement espagnole »126 . La forme conique du vêtement, et donc du corps, suit également cette mode. Ensuite, le col est complètement fermé et monte très haut « couvrant totalement la nuque »127 , ce qui correspond, une fois de plus, au goût espagnol. Cependant, justement dans ce col, on peut remarquer une petite touche française : les boucles de fil d’or qui forment un liseré doré cousu sur les petites pointes blanches. C’est un détail qu’Élisabeth de Valois apporte de France et introduit dans la mode espagnole. On retrouve globalement ce même type de robe dans le portrait de Diane d'Andoins dite "Corisande", comtesse de Guiche, et sa fille (fig. 6d), le costume porté par l’enfant reprend la même coupe, mais les couleurs diffèrent. C’est également le même vêtement que l’on voit dans le portrait d’Anne d’Autriche, reine d’Espagne à la suite de la princesse française (fig. 5f). Le costume est semblable au niveau des couleurs et de la coupe, ce modèle est donc toujours suivi une dizaine d’années plus tard. Les deux portraits datant respectivement de 1561 et 1570 (fig. 7 et 8) présentent des éléments déjà cités. La peinture de Juan Pantoja de la Cruz, selon Sofonisba Anguissola, montre la reine avec un vêtement austère en velours noir, qui suit typiquement la mode 125 C. Bernis, op. cit. note 118, « justaucorps » (nous traduisons). 126 F. Boucher, op. cit. note 70. 127 F. Boucher, loc. cit.
  • 54. 54 espagnole de l'époque. Le portrait de Alonso Sánchez Coello reprend, lui, les notions déjà évoquées dans le portrait daté de 1560. Pour terminer cette étude du costume dans les représentations d’Élisabeth de Valois datant d’après son mariage avec Philippe II, il nous faut analyser celui porté par la reine dans la miniature du Livre d’Heures de Catherine de Médicis (fig. 9). On ne voit pas très bien la forme de celui-ci, mais il apparaît clairement que le col suit la mode espagnole. Le tissu est lui clairement français, même si on peut douter de sa véritable existence, le fond bleu avec des lys dorés est forcément une référence à l’emblème de la couronne française. Cette représentation exprime donc explicitement le message suivant : Élisabeth de Valois est une princesse française (motif du tissu et présence dans ce Livre d’Heures) devenu reine d’Espagne (forme de son costume, par ce qu’il est possible de distinguer et le fait qu’elle soit représentée couronnée derrière Philippe II). En étudiant les portraits d’Élisabeth de Valois, nous comprenons comment la reine conjugue petit à petit les modes française et espagnole. Il s’agit sans doute, la plupart du temps, d’une représentation fidèle de l’habit de la reine. Mais c’est aussi une volonté de l’artiste (ou du commanditaire) de montrer les deux maisons de la reine espagnole, volonté qui apparaît clairement dans le Livre d’Heures de Catherine de Médicis ou dans la sculpture présente sur le tombeau de Philippe II (fig. 11) où Élisabeth est couverte d’une cape portant des drapeaux ou des emblèmes (entre autres les lys d’or sur fond bleu). Louise Roblot- Delondre déclare qu’à son arrivée à la cour d’Espagne, Élisabeth de Valois « impose des robes amples et les grandes doubles manches formant le manteau de cour. Avec elle, les vêtements sombres sont remplacés par des satins clairs brodés et surchargés de perles et de pierres précieuses ; c’est un éblouissement »128 . Ce bouleversement est peut-être un peu 128 L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56.
  • 55. 55 exagéré mais ceci montre le réel impact qu’Élisabeth de Valois a eu sur le costume espagnol à son arrivée. Évolution de l’expression et de la position L’expression et la position peuvent paraître des détails. Mais c’est justement par l’étude de ceux-ci qu’on voit comment, petit à petit, les représentations de la reine s’hispanisent. En effet, rien ne se passe brusquement et tout n’est que subtilités. Il convient alors de mettre au jour les changements que nous montrent les portraits et comment le code des premières représentations françaises d’Élisabeth évolue pour arriver à des portraits clairement espagnols. Comment distinguer si, dans un portrait, la reine est représentée plus comme une princesse française ou plus comme une souveraine espagnole ? Et enfin, qu’apporte Élisabeth ou que reprend-elle à la représentation des reines de la famille de Habsbourg dans l’expression ou dans la position ? Nous avons vu quelle expression était utilisée par les peintres français dans la représentation d’Élisabeth de Valois enfant129 . Voyons, à présent, celle couramment utilisée par les peintres de cour en Espagne. D’après Maria Kusche130 , dans le portrait courtisan espagnol, « la expressión del rostro es neutral, valedera para cualquier circuntancia, siempre desligada del presente »131 . C’est-à-dire qu’on retrouve la même expression qu’en France, une neutralité, une impassibilité qui permet au modèle de ne pas montrer ses faiblesses, et ainsi de ne pas donner la possibilité aux spectateurs de faire des critiques sur une personne par son portrait. Il s’agit d’ailleurs d’un précepte qui est véhiculé dans toutes les cours d’Europe. On 129 Expression qui correspond parfaitement à la « formule Clouet » et qui est reprise par tous les artistes pour tous les modèles, enfant ou adulte. 130 Maria Kusche est une des spécialistes des portraits à la cour espagnol au XVIe siècle. Elle a principalement étudié les portraitistes de la cour de Philippe II, et surtout Sofonisba Anguissola. Les conclusions qu’elles tirent de ses recherches sont controversées, plusieurs historiens se trouvent en désaccord avec elle quant à des dates ou des suppositions sur la fonction de la représentation de tel objet dans un portrait. 131 « L’expression du visage est neutre, valable en toutes circonstances, toujours détacher du présent » (nous traduisons). M. Kusche, op. cit. note 116, p27.
  • 56. 56 le voit bien dans les différents portraits de reines ou princesses étrangères de notre catalogue (fig. 17 à 23). Suivant la même idée, Juan Miguel Serrera déclare « l’image que les portraits renvoient doit refléter le calme et l’impassibilité qui caractérisent les membres de la famille royale, ils ne se font portraiturer que quand ils considèrent que leurs traits sont adéquats avec l’image qu’ils veulent renvoyer »132 . En Espagne, il est donc inenvisageable de se montrer infirme133 . Il s’agit toujours de portraits étatiques qui doivent montrer la force du royaume, en aucun cas une quelconque faiblesse. Par exemple, les lettres de l’ambassadeur de France en Espagne, Mr. Fourquevaux et des dames de Élisabeth de Valois, adressées à Catherine de Médicis134 , disent qu’il faut attendre que la reine soit moins fatiguée, ou qu’elle soit remise de telle maladie, afin que le peintre achève son portrait135 . Ceci n’empêche pas que l’individualisation du portrait soit très importante. Francisco Pacheco136 écrit « le portrait [doit être] très ressemblant à l’original, c’est son but principal et cela doit satisfaire le modèle »137 . Dans les portraits d’Élisabeth, on retrouve alors la grâce de son visage, cet air simple et bon dont on a déjà parlé dans les représentations françaises et que les Espagnols apprécient tant (fig. 6). Dans son étude sur le portrait des infantes, Louise Roblot-Delondre s’attache à étudier l’expression d’Élisabeth. Elle déclare que, dès les premiers portraits de 1559, « la jeune souveraine affirmait son pouvoir par sa bonté »138 . Maria Kusche, elle, parle d’une « enfant 132 (nous traduisons). J.M. Serrera, « Alonso Sánchez Coello y la mecanica del retrato de corte », dans op. cit. note 118. 133 Voir par exemple le portrait de Don Carlo peint à la fin des années 1550 par Alonso Sánchez Coello (fig. 27) où le vêtement et la pose du modèle permettent de cacher les malformations physiques avec lesquelles le prince est né. 134 La reine de France demande sans cesse des portraits de sa fille pour savoir comment elle se porte et maintenir, par sa représentation, un lien affectif avec Élisabeth de Valois. 135 Ceci montre un tout autre point de vue sur le portrait que celui de Catherine de Médicis. Rappelons que la reine française souhaitait avoir des portraits de ces enfants en partie pour savoir comment ils se portaient, un portrait comme un bulletin de santé. Le portrait de 1561 (fig. 6) fut, par exemple, réalisé « dès que les marques de la varicelle furent effacées », M. Kusche, op. cit. note 116. 136 Francisco Pacheco est un peintre espagnol du siècle d’or, il fut le maître de Diego Vélasquez. Il marqua l’histoire de la théorie de l’art espagnol par la publication d’un traité intitulé Arte de la pintura, su antigüedad y su grandeza. 137 F. Pacheco, L'art de la peinture, Paris, 2010. 138 L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56.
  • 57. 57 moche et capricieuse139 [qui] a le plaisir d’un être de luxe, une malicieuse allégresse qui transparaît dans ses yeux bridés »140 . Bref, la représentation de l’expression est plutôt un élément que la reine apporte de France. Plus celle-ci semble correspondre à un état d’esprit particulier (c’est-à-dire qui n’est pas neutre), plus elle montre l’origine de la princesse. Cependant chacun des portraitistes la représente avec quelques différences, selon sa propre manière de faire141 . Il s’agissait alors, pour Élisabeth, comme pour ses portraitistes, de « mêl[er] la douceur française » à la gravité espagnole142 . La position est un élément capital dans les portraits espagnols. Grâce à son étude, nous allons voir comment Élisabeth se rapproche de plus en plus, au fil du temps, d’une position typiquement habsbourgeoise. Nous n’avons pas de portrait qui montre Élisabeth en pied avant qu’elle ne devienne reine d’Espagne, pour autant nous pouvons voir une évolution dans les portraits espagnols. Sylvène Édouard parle d’une hispanisation de la reine par un « apprentissage de nouvelles manières »143 , celle-ci est-elle visible dans des attitudes caractéristiques ? Bien sûr, elle garde le maintien qu’on lui a inculqué à la cour de France et que toutes princesses ou reine doivent avoir, mais dans son premier portrait espagnol (fig. 4), elle semble ne pas être à l’aise. Ses bras ne sont pas clairement posés, comme le sont pourtant la plupart du temps les mains des modèles appartenant à la famille habsbourgeoise (fig. 19, 21, 23, 24 ou 26)144 . C’est également le cas dans la gravure qui représente, maladroitement, Élisabeth (fig. 16) où son bras droit est posé sur un fauteuil, mais sa main n’a pas 139 Éléments propres au jugement de Maria Kusche et qui ne reflètent pas les propos des contemporains du d’Élisabeth de Valois, même si on ne la décrit pas comme une reine d’une grande beauté, mais loin d’eux l’idée de dire que la reine est laide. Luis Cabrera de Cordoba, historiographe de Philippe II, la décrit par exemple comme étant « petite de corps, bien formée, la taille délicate, le visage rond, le cheveu noir et les yeux joyeux et bons ». 140 (nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116. 141 Maria Kusche écrit que Sofonisba Anguissola montre « le visage de la reine avec beauté, allégresse et sympathie », Alonso Sánchez Coello avec « une certaine tendresse », alors que Juan de la Rua montre un visage « plus neutre ». Nous traduisons les propos que l’auteur tient dans son ouvrage. M. Kusche, op. cit. note 116. 142 S. Édouard, op. cit. note 60. 143 S. Édouard, loc. cit. 144 Nous voulons montrer par là que même si sa main gauche est clairement occupée à tenir le mouchoir, elle ne sait pas vraiment que faire de sa main droite qui, tout en étant légèrement posée sur le bord de la fenêtre, semble tombée.
  • 58. 58 d’occupation et ne sait que faire. Dès le deuxième portrait espagnol (fig. 5)145 , et ceci se voir encore plus dans les deux suivants (fig. 6 et 7), les mains de la reine sont clairement occupées. Elle tient un mouchoir, un gant, un portrait… quelque chose qui occupe chacune de ses mains. De plus, remarquons qu’au fil du temps la posture de la reine se fige. L’asymétrie des bras, classique dans les portraits de représentation, est réalisée pour obtenir une sensation de mouvement. Mais, si elle est claire dans les deux tableaux de 1560, la mobilité se raidit ensuite. La pose reste simple mais s’affermit. Peut-être est-ce une conséquence de la maturité de la reine ou un moyen de montrer qu’elle s’assagit et d’exposer, par sa prestance, son rôle de souveraine. En s’appuyant sur une colonne ou sur un fauteuil, elle montre qu’elle s’appuie sur la famille de son mari ou sur le trône de celui-ci (et donc le sien). Élisabeth prend, petit à petit, la pose classique des femmes de la cour d’Espagne ou plutôt de la famille des Habsbourg. Pose qui, mais on y reviendra plus tard, fut sans doute imposée par des peintres eux-mêmes, tels Titien ou Anthonis Mor. On retrouve cette posture générale, les mains occupées et la pose très figée, dans le portrait réalisé à la fin des années 1560 (fig. 15). Les portraits d’Élisabeth doivent, avec son expression et avec sa posture, trouver un juste milieu entre ce que Sylvène Édouard appelle « l’étiquette française », basée sur la proximité du modèle et « l’étiquette espagnole » fondée sur une mise à distance du sujet146 . Évolution de la technique et du cadrage Les portraits d’Élisabeth de Valois connaissent leur plus grand bouleversement au niveau de la conception de l’image. Ils passent du statut de représentation courtisane à celui de portrait étatique. Ce changement se situe principalement dans la façon de montrer la princesse, tant dans la technique que dans le cadrage. 145 Bien que dans ce portrait, suivant les copies, la main gauche censée être posée sur le buffet semble parfois en l’air. 146 Sylvène Édouard parle de « publicité de la proximité » et de « publicité de la distance » pour définir les deux étiquettes, op. cit. note 60.
  • 59. 59 Le portrait de cour espagnol a une conception complètement différente du portrait de cour français. On a vu comment Étienne Jollet ou Alexandra Zvereva147 percevaient ce genre, l’un en parlant d’« effigie à la française », l’autre de « portrait aulique » adapté aux courtisans. Le portrait de cour espagnol est systématiquement un portrait étatique, il est exclusivement envisagé ainsi. L’importance du message que porte le portrait est donc indéniable et doit être clairement compréhensible. Les représentations espagnoles rejoignent donc plus le concept d’effigie traditionnelle tel que le conçoit Étienne Jollet148 . On cherche l’identification et surtout la représentation sociale de la personne. Nous avons vu que la technique du portrait dessiné était typiquement française, on ne trouve, en Espagne, aucune représentation d’Élisabeth de Valois sous la forme d’un dessin comme œuvre finie. S’il existe des portraits dessinés, il s’agit uniquement de crayons servant pour l’ébauche d’un portrait peint. Nous connaissons d’ailleurs très peu de dessins de la reine réalisés alors qu’elle était en Espagne. Il en existe un (fig. 8a) parvenu jusqu’à nous par le Recueil d’Arras149 . Albert Châtelet a étudié ce dessin150 , avec un autre qui représente Philippe II qu’on peut considérer comme son pendant au vu des nombreux points communs. Le portrait dessiné de la reine d’Espagne est très proche d’une peinture exécutée par Alonso Sánchez Coello en 1570, le dessin est portant daté d’une décennie avant. Dans son étude, A. Châtelet propose l’hypothèse suivante : Jacques Boucq, auteur du dessin, l’aurait copié dans l’atelier d’Anthonis Mor151 . Ces deux artistes étant contemporains, cette hypothèse est probable. Par ailleurs, Anthonis Mor fut le maître d’Alonso Sánchez Coello, il a pu lui aussi avoir « accès à des études préparatoires [du peintre néerlandais], [des] notes prises sur le vif à partir 147 Voir I/ A. La continuité d’une typologie du portrait français au XVIe siècle, premier point intitulé : La « formule Clouet », pp. 10-15. 148 Rappelons que pour Étienne Jollet, l’effigie traditionnelle est une représentation « dont la seule caractéristique est de permette l’identification ; dans laquelle tout singularité de l’état psychologique de la personne, toute spécificité de la pose, toute trace d’intervention de l’artiste sont considérées comme dépourvues de signification et tendent donc à disparaître », É. Jollet, op. cit. note 8. 149 Recueil de portraits, réalisé (vers 1520 ? – 1573) par Jacques le Boucq, artiste proche de Charles Quint. 150 A. Châtelet, Visages d'antan : le Recueil d'Arras, Lathuile, 2007. 151 Albert Châtelet voit Anthonis Mor comme le premier auteur de ce portrait, les autres ne seraient que des copies, A. Châtelet, loc. cit.
  • 60. 60 desquelles [le peintre réalisait ses] tableaux »152 , et a très bien pu tirer une peinture de ces dessins. Cependant, même s’il existe des portraits dessinés, ils n’ont d’autre visée que celle de rester dans l’atelier de l’artiste pour pouvoir réaliser des œuvres peintes153 . Les portraits officiels, les portraits étatiques de la reine, les portraits que l’on montre, que l’on envoie dans les cours étrangères sont systématiquement réalisés en peinture et sur des supports durables (tels la toile ou le panneau de bois). Par ailleurs, alors qu’en France on se concentre uniquement sur le visage, en Espagne, le cadrage va s’ouvrir considérablement. On le voit dès le premier portrait espagnol d’Élisabeth (fig. 4), celle-ci est représentée en pied. Pourtant, on ne distingue pas la totalité de sa robe, le cadrage est trop serré. On peut alors y voir une similitude avec le portrait de pied de Catherine de Médicis154 cadré de la même façon. Il est possible de voir dans le portrait d’Élisabeth une approche du portrait d’État du XVIe siècle suivant le goût français, mais avec des touches de style espagnol. Elle garde la position de sa mère155 et le même cadrage limité qui permet le rapprochement du modèle avec son spectateur. Mais la posture est beaucoup plus figée (le regard de face crispe le modèle) et des éléments nouveaux sont apportés pour montrer son appartenance à la couronne espagnole156 . Au fur et à mesure, le cadrage des images d’Élisabeth se modifie. La reine est ensuite représentée de trois-quarts (fig. 6 et 8), qui n’est qu’une autre proposition du portrait étatique espagnol. Pour Maria Kusche, le portrait de représentation espagnol « siempre es de cuerpo entero o tres cuartos, el personaje se mentiene en la misma postura de contraposto visible o escondido »157 . Ce concept est assez pratique 152 A. Châtelet, loc. cit. 153 Si ce dessin est parvenu jusqu’à nous dans un cadre différent, c’est qu’il fut recopié et envoyé subrepticement à l’étranger. Ce n’est en aucun cas un portrait officiel de la reine. 154 On remarquera d’ailleurs d’autres similitudes comme les nuances des couleurs (principalement le saumon) ou dans la pose du modèle. 155 Précisons qu’il n’est pas certain que le portrait de Catherine de Médicis soit antérieur à celui d’Élisabeth. Mais quoiqu’il en soit, il reprend la typologie du portrait féminin de pied à la française. 156 Nous verrons plus explicitement cela dans la partir II/ C. Composition des fonctions principales tout en s’adaptant aux coutumes hispaniques, pp. 67-79. 157 « montre toujours le corps entier ou aux trois-quarts, le personnage se tient dans la même posture de contrapuesto visible ou caché » (nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116.
  • 61. 61 pour Élisabeth de Valois, car il permet de trouver un juste milieu entre le classique portrait étatique espagnol et le portrait aulique français, entre la distanciation hispanique et la proximité française. Mais, dès 1561 et le portrait de Sofonisba Anguissola, la reine utilise pleinement les principes du portrait de représentation espagnol, sans y adjoindre un goût français. Par exemple, d’après Carlo Bronne, les duègnes158 disaient « une reine espagnole n’a pas de pied » 159 . Cette plaisanterie est visible dans tous les portraits d’Élisabeth, ou plutôt invisible d’ailleurs, car dans tous les portraits debout de la reine, on ne voit pas ses pieds. La « formule Clouet » n’est pas totalement abandonnée, on peut voir certains de ces éléments réutilisés dans les portraits d’Élisabeth de Valois. C’est le cas pour les portraits réalisés après sa mort (fig. 8 et 10). On retrouve le cadrage de la formule, son fond totalement neutre, la posture du modèle, seule la technique est différente. Pourquoi y a-t-il un tel revirement de situation ? L’hypothèse la plus probable est celle subtilement avancée par Maria Kusche160 . Le retour à une image d’Élisabeth de Valois telle qu’elle était représentée en France n’est possible que parce que la souveraine est morte. Il est possible d’utiliser cette formule qui montre le modèle si proche du spectateur, car la reine n’est plus de notre monde, elle ne représente plus, dans le présent, le royaume espagnol. Elle n’est plus une personne mais est devenue un personnage. La distanciation, que les sujets doivent à une reine espagnole, est remplacée par une proximité afin de renforcer l’identification à la morale et au message que la reine véhiculait161 . Par cette étude du cadrage et de la technique, on voit, encore, comment l’image d’Élisabeth de Valois est sans cesse contaminée par des éléments français et espagnols. Ce n’est rarement qu’un seul type de représentation qui est utilisé. Le passage du portrait de cour 158 Les duègnes sont des femmes âgées chargées de surveiller une jeune fille de la noblesse espagnole. 159 C. Bronne, op. cit. note 1. 160 M. Kusche, op. cit. note 116. 161 Un message de paix pour le reine Élisabeth de Valois, rappelons qu’en Espagne elle est appelée Isabel de la Paz.
  • 62. 62 au portrait étatique est certain, mais l’évolution ne s’arrête pas là. Une fois la reine décédée, ses images tentent de s’approcher au maximum de l’identité d’Élisabeth de Valois et s’inspirent alors très fortement des deux formules. On voit ainsi la création d’un nouveau modèle, telle une effigie franco-espagnole162 . B. Une hispanisation dans la composition des portraits d’Élisabeth de Valois Les représentations d’Élisabeth de Valois, nous venons de le voir, montrent la répercussion de son changement de statut par la manière dont elle est physiquement représentée. Mais cette hispanisation va plus loin. En arrivant à la cour espagnole, la princesse française doit aussi composer avec la manière hispanique d’être représentée. C’est-à-dire que son image, l’image d’Élisabeth de Valois qui sera véhiculée en tant que reine d’Espagne, doit correspondre à un type de représentation codifiée. Mais quel est ce modèle, comment fait-il son apparition, sur quelles bases est-il fondé ? On peut également se demander comment les portraits d’Élisabeth s’inscrivent dans cette formule. Est-ce une inscription sans faille, une adoption complète du modèle ou plutôt une fusion entre le type du portrait de cour espagnol et celui français ? L’arrivée d’Élisabeth de Valois en Espagne a-t-elle un impact sur la manière de représenter les reines et/ou les femmes dans la seconde moitié du XVIe siècle espagnol ? La typologie du portrait espagnol inspirée par Titien et par Anthonis Mor Le portrait de cour espagnol connaît un très grand bouleversement et développement au début du XVIe siècle, c’est à cette période que les bases sont jetées et le modèle formé. L’élaboration de cette typologie a quelque chose de surprenant : ce ne sont que des artistes 162 On développera de manière plus importante ce concept par la suite, voir II/ C. Continuation des fonctions principales tout en s’adaptant au protocole monarchique, troisième point intitulé : Représentation de la monarchie espagnole, pp. 76-79.
  • 63. 63 étrangers qui vont composer le portrait de la cour d’Espagne. Mais, sur quoi alors ce canon fut-il élaboré ? Comment, pourquoi et par qui cette référence est créée ? Quelles sont ses caractéristiques ? Comment ce modèle va connaître une singularité nationale alors que son origine n’est qu’étrangère ? La plupart des auteurs qui cherchent à retracer l’histoire du portrait de représentation en Espagne remontent au Moyen-Âge. S. Édouard pense qu’il « aurait tiré ses origines dans le portrait chevaleresque, voire héroïque »163 , Maria Kusche, à la suite de Max Dvorak (1907), souligne également la continuité avec les portraits médiévaux164 . Mais, cela ne fait aucun doute, c’est sous Charles Quint que le portrait de représentation connaît son plus grand essor et devient réellement un portrait d’État. Un des premiers portraits, si ce n’est le premier, qui marque l’élaboration de la nouvelle formule est celui de Charles Quint réalisé par Titien ou par Jakob Seisenegger en 1530. La paternité de ce tableau pose encore aujourd’hui de nombreuses questions, est-ce Titien qui a copié du Seisenegger ou l’inverse165 ? Quoiqu’il en soit, c’est avec ce tableau et à cette date que sont posées les bases du portrait de cour espagnol. Jonathan Brown montre d’ailleurs comment le portrait espagnol se situe entre le portrait italien et le portrait germanique. Il voit le portrait italien comme portant sur le symbolique et le portrait allemand allant plus vers une description. Pour lui, une des problématiques du portrait espagnol (s’appuyant sur les deux autres) est « comment est-il possible de faire un portrait d’apparat sans apparat ? » 166 . Les fondements du portrait de Charles Quint sont : le cadrage qui permet de représenter le modèle de pied (par ailleurs, il 163 S. Édouard, op. cit. note 60. 164 M. Kusche, op. cit. note 116. 165 Nous ne nous attarderons pas sur cette question qui nous éloignerait de notre sujet. Pour avoir plus de renseignement sur ce débat voir l’article de A. Cloulas, « Charles Quint et le Titien. Les premiers portraits d’apparat », dans L’information d’Histoire de l’Art IX, n°5, Paris, 1964. 166 (nous traduisons) J. Brown, « La monarquía española y el retrato de aparato de 1500 a 1800 », dans El retrato en el museo del Prado, Madrid, 1994.
  • 64. 64 semble peu probable que ce soit l’artiste italien qui ai inventé ceci167 ), l’asymétrie des mains, la codification du portrait d’apparat, mais Titien influence également l’école espagnole dans le pathos, le volume et le coloris. A partir de ce portrait, et bien plus encore après 1548, date du portrait de Charles Quint en armure peint par Titien, le peintre italien sera le peintre en titre de la cour espagnole, il imposera son style, ses compositions. Titien est déjà un peintre portraitiste largement reconnu lorsqu’il rencontre pour la première fois l’Empereur, Charles Quint lui donne alors toute sa confiance et souhaitera, par la suite, n’être représenté que par lui. Ceci fonde le portrait d’État espagnol de la première moitié du XVIe siècle : étant donné que seul Titien peut peindre le roi et que l’image du roi est le modèle par excellence, le style et de la composition de l’artiste italien vont être largement diffusés. Ces codifications évoluent un peu à la cour de Philippe II. Le canon reste basé sur les caractéristiques de l’artiste italien, « il n’existe pas un portrait en armure de l’école espagnole qui ne se base pas sur [le portrait de Charles Quint par Titien (1548)] »168 . Mais l’arrivée d’Anthonis Mor à la cour modifie quelque peu ce type. Précisons, quand même, que le peintre portugais ne reste pas indifférent aux apports de l’artiste italien, Leticia Ruiz Gómez parle du « papel decisivo que Tiziano tuvo sobre la producción de Antonio Moro »169 . Cet artiste portugais apporte, tout de même, de nouveaux éléments : un sentiment beaucoup plus cérémoniel et une mise à distance des modèles, qui amplifient encore la notion d’apparat dans le portrait. C’est ce que montre aussi Élise Bermejo qui, dans la notice du portrait d’Élisabeth de Valois d’Anthonis Mor (fig. 5)170 , déclare admirer : esta magnifica pintura que creemos […] salida de los pinceles del gran maestro holandés quien, mas aún que Tiziano, influye en la fecunda escuela de retratistas espanoles. Las 167 « le seul portrait en pied peint en Italie antérieur à celui de Charles Quint est celui d’un inconnu exécuté en 1526 par Moretto […] tandis que ce type est répandu dans le Nord de l’Europe depuis le début du XVIe siècle », A. Cloulas, op. cit. note 165. 168 M. Kusche, op. cit. note 116. 169 « rôle decisif qu’a eu Titien sur la production d’Anthonis Mor » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, « Retratos de corte en la monarquía española (1530-1660) », dans El retrato español de Goya a Picasso, pp. 96-123, Madrid, 2004, p. 96. 170 E. Bermejo, « Notice du portrait d’Élisabeth de Valois peint par Anthonis Mor vers 1560 et conservé au Musée du Prado », dans Alonso Sánchez Coello y el retrato en la corte de Felipe II, Madrid, 1990, pp. 131-132.
  • 65. 65 caracteristicas que se aprecian en la tecnica y modelado del rostro, el tratamiento de las telas y de los cabellos y, sobre todo, la intensidad de comunicacion con el espectador de la mirada del modelo son, absolutamente, tipicos de la manera de hacer de Antonio Moro171 . Le type des portraits de la cour de Philippe II est donc une réélaboration par Anthonis Mor du modèle de Titien172 . Le standard du portraitiste portugais correspond en fait au « schéma canonique des portraits des Habsbourg »173 : un espace peu profond, un fond obscur, une lumière dramatique, une présentation du modèle avec une idéalisation des traits et des gestes quasi inexpressifs. Leticia Ruiz Gómez ajoute « todos [los retratos de Antonio Moro] son representaciones de tres cuartos, de volúmenes muy marcados situados en un impactante primer plano potenciado por el fondo neutro y provistos de una dignidad tranquila y sin la retórica de los retratos flamencos de la generación anterior. »174 Le modèle des portraits d’Anthonis Mor « serviría de referente no sólo a otras casa reinantes, sino, más importante aún, a futuras generaciones de pintores hispanos »175 . D’abord, le principal portraitiste de cour espagnol à cette époque-là n’est autre qu’un élève d’Anthonis Mor : Alonso Sánchez Coello. Celui-ci continuera la façon de faire de son maître (principalement sur les grandes lignes de la composition), mais, au fur et à mesure, s’en éloigne pour créer son propre style. Il diminue la distanciation entre le modèle et le spectateur, cherchant davantage à montrer les sentiments. Pour Maria Kusche, il se rapproche plus du 171 « cette peinture magnifique que nous considérons comme sortie des pinceaux du grand maître hollandais, celui qui, encore plus que Titien, a eu une influence sur l'école des portraitistes espagnols. Les caractéristiques de la technique et du modelé du visage, le traitement des tissus et des cheveux et, surtout, l'intensité de communication entre le regard du modèle et sont, absolument, typiques de la manière de faire d'Anthonis Mor » (nous traduisons), E. Bermejo, loc. cit. 172 Notons que Titien reste toujours très présent à la cour de Philippe II, mais il ne connaît plus la même exclusivité que durant le règne de Charles Quint et n’est plus le portraitiste de cour attitré. « Felipe II prefirió diferenciar la producción de ambos artistas, dejando al holandés la realización de los retratos y a Tiziano la responsabilidad de la pintura de historia » (« Philippe II préféra différencier la production des deux artistes, en laissant au Hollandais la réalisation des portraits et à Titien la responsabilité de la peinture d'histoire » (nous traduisons)), E. Bermejo, loc. cit. p. 98. 173 (nous traduisons), J. Brown, op. cit. note 166. 174 « Tous [les portraits d'Anthonis Mor] sont des représentations de trois quarts, avec des volumes très marqués, situés dans un premier plan frappant renforcé par le fond neutre et pourvus d'une dignité tranquille et sans la rhétorique des portraits flamands de la génération antérieure » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, op. cit. note 169, p. 95. 175 « Servira de référant non seulement aux autres maisons régnantes, mais, plus important encore, aux générations futures de peintres espagnols » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, loc. cit. p. 81.
  • 66. 66 style de Titien en adoptant « l’importance du coloris, la manière d’unir le corps et le fond […]. Il applique les valeurs esthétiques de Titien afin d’alléger et d’embellir la réalité sans pour autant tromper la vérité »176 . Ensuite, Jonathan Brown déclare que Sofonisba Anguissola « modifie un peu le prototype [classique espagnol] apportant des éléments symboliques »177 , qui vient sans doute de son Italie d’origine. Enfin, l’auteur espagnol montre comment Juan Pantoja de la Cruz suit le chemin de ses prédécesseurs. La singularité nationale du portrait de cour espagnol est en fait d’avoir réussi à trouver un juste milieu entre le modèle italien, le modèle germanique et le modèle flamand. Cette formule se base donc à la fois sur une distanciation du modèle, qui tout en restant bien présente tend à diminuer au fil des années, sur un cadrage assez éloigné, sur un jeu de lumière qui permet de concentrer l’attention du spectateur et sur une symbolique claire mais avec peu d’apparat. Ceci est l’origine du portrait de représentation hispanique, mais chaque artiste va le modifier pour l’adapter à sa technique et sa manière de peindre, et ceci dès le propre règne de Philippe II. L’inscription des portraits d’Élisabeth dans les portraits féminins de la cour de Philippe II Maintenant que nous avons en tête le modèle du portrait de cour espagnol, voyons comment les images d’Élisabeth de Valois s’inscrivent dans cette tradition. Quels sont les éléments que l’on retrouve ? Pour le voir, comparons les portraits de la reine avec des représentations de ses prédécesseurs, des sœurs du roi ou de femmes importantes à la cour. Lorsque Élisabeth arrive à la cour d’Espagne, le genre du portrait féminin est complètement soumis à la formule habsbourgeoise. Un des exemples les plus marquants est le portrait de l’Impératrice Marie d’Autriche (sœur de Philippe II), réalisé par Anthonis Mor en 176 (nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116. 177 (nous traduisons), J. Brown, op. cit. note 166.
  • 67. 67 1551178 (fig. 6b). Cette peinture respecte parfaitement le type de composition habsbourgeois : le modèle est debout (le cadrage la montre de pied), le fond est sombre, l’expression est neutre, les attributs expriment clairement leur message et la distanciation est évidente (renforcée par la table qui se situe devant le modèle et cache une partie de sa robe). Un autre portrait caractéristique est celui de Jeanne du Portugal, peint par Alonso Sánchez Coello vers 1557 (fig. 20) qui reprend le portrait réalisé par Anthonis Mor en 1549179 . Ce dernier portrait résume, pour Leticia Ruiz Gómez, « todos los mecanismos del retrato de corte [:] la asunción de la majestad en la sola presencia de la princesa, una mujer de rostro intenso y altivo, con una mirada inquisitorial que parece esperar, como si de una audiencia se tratara, los requerimientos del visitante »180 . Maria Kusche utilise ce portrait pour le mettre en comparaison avec celui d’Élisabeth de Valois qu’Alonso Sánchez Coello peignit en 1560. Elle s’attache à montrer les différences. Cependant, si l’on compare ces deux tableaux (de Marie d’Autriche et de Jeanne du Portugal) avec celui de la reine espagnole peint par Sofonisba Anguissola en 1561 dont on a perdu l’original (fig. 7 et 7a), on voit comment l’image d’Élisabeth suit la tradition de sa famille par alliance. Le modèle est placé à côté d’une chaise tout comme Jeanne du Portugal. Le fond est sombre, les seules couleurs sont apportées par les éléments qui ont valeur d’attribut, comme dans le portrait de Marie d’Autriche. On remarque aussi la distanciation du modèle, on la voit de pied avec le fond très proche (la version copiée par Rubens nous présente un balcon, mais il s’agit sans doute d’une invention du peintre flamand181 ). Le portrait le plus hispanique de la reine Élisabeth est celui peint par Sofonisba Anguissola en 1561 et actuellement conservé au Musée du Prado. Nous avons déjà vu 178 Voir notre catalogue (Vol. 2), p. 32, (fig. 6b). 179 Œuvre conservée au Musée National du Prado. 180 « tous les mécanismes du portrait de cour [:] l’idée de la majesté dans la seule présence de la princesse, une femme de visage intense et hautain, avec un regard inquisitorial qui semble attendre, comme s’il s’agissait d’une audience, les requêtes du visiteur » (nous traduisons). L. Ruiz Gómez, op. cit. note 169, p. 100. 181 Hypothèse avancée par M. Kusche, op. cit. note 116.
  • 68. 68 comment par son habit, la reine est totalement espagnole, l’étude de la composition ne fait que confirmer ce fait. Le rapprochement de ce tableau avec celui représentant Marie d’Autriche est évident. Maria Kusche crée également un parallèle avec le portrait de Titien représentant l’Impératrice Isabelle du Portugal (impératrice d’Allemagne et reine d’Espagne, mère de Philippe II). Dans les deux cas, le modèle se tient debout, de trois quarts, portant une robe qui rend la majesté de la reine. Pour autant, le portrait de la femme de Charles Quint paraît plus gaie, ce qui est une différence de goût. A la cour de Philippe II, l’austérité est une des principales valeurs. On ne trouvera donc, sous son règne, que très peu de portraits ayant des couleurs chatoyantes (à l’exception des vêtements que porte parfois Élisabeth). Le portrait d’Élisabeth de Valois de 1561 respecte ainsi parfaitement à la fois le goût mais surtout l’ordonnance qui est de mise à la cour de son mari. Le portrait d’Isabelle du Portugal serait plus à rapprocher des premiers portraits espagnols d’Élisabeth (fig. 4, 5, 5a, 5b et 5c). Dans le premier, la composition est globalement la même, les reines se tiennent debout, avec un vêtement qui leur recouvre complètement le corps (d’ailleurs les deux robes sont coupées par le cadrage), une fenêtre est présente sur la gauche, ouvrant ainsi le champ d’horizon. Alonso Sánchez Coello reprend ainsi des éléments proposés par Titien, les adapte à sa manière en mettant en valeur l’image d’Élisabeth de Valois. C’est le même procédé qu’utilise Anthonis Mor, et dans sa suite Juan de la Rúa et Pierre Novelliers, dans les portraits de la reine avec sa robe rouge carmin (fig. 5, 5a, 5b, et 5c). Ils contrebalancent la couleur vive de l’habit avec un fond extrêmement sombre et neutre, respectant ainsi le canon du portrait habsbourgeois. Leticia Ruiz Gómez déclare que Sofonisba Anguissola « inserta la imagen de Isabel en la tradición del retrato femenino español »182 . Nous pouvons élargir ce propos dans deux directions. D’une part, comme le dit si bien Louise Roblot-Delondre, Élisabeth de Valois 182 Sofonisba Anguissola « insert l’image d’Élisabeth dans la tradition du portrait féminin espagnol » (nous traduisons), M. Kusche, loc. cit. p. 101.
  • 69. 69 apporte à la cour un « nouvel aspect des reines d’Espagne qui révèlera la souplesse des peintres officiels de cette cour ». C’est donc l’image d’Élisabeth de Valois dans son ensemble (réalisée par un peintre ou un autre) qui s’insère dans cette tradition. D’autre part, il ne s’agit pas exclusivement du goût espagnol mais plus largement de la mode habsbourgeoise, elle s’inscrit donc dans un modèle de représentation qui a une envergure européenne, qui se diffuse à l’échelle européenne (et non juste dans la péninsule ibérique). Mais nous avons vu qu’Élisabeth de Valois, tout en entrant dans un moule étranger, reste fidèle à un certain goût, une certaine étiquette française, quels sont alors les apports français dans la composition ses portraits ? Les apports français dans la mode espagnole et la représentation d’une infante française devenue reine espagnole Lorsque Élisabeth de Valois quitte la France, elle quitte également le deuil183 . Les tons sombres, les formes fermées de ses robes ne sont plus obligatoires, elle emmène alors, avec elle, toute une série de robes aux couleurs vives et à la coupe fastueuse. Nous l’avons vu, à la cour de Philippe II, ce genre de costume est peu développé et contraste quelque peu avec la mode. Cependant Élisabeth ne va pas totalement abandonner son goût pour les couleurs et le style à la française dans le choix de ses vêtements. Examinons, à présent, comment cet apport français est également visible dans la composition de son image. L’austérité est le grand principe de vie à la cour espagnole et dans la famille des Habsbourg en général, ce principe est absent de la cour française. Attention, nous ne voulons pas dire par là qu’en France ce n’est que profusion, luxe et effusion de richesse. François Boucher le montre bien, en France, comme dans le reste de l’Europe au XVIe siècle, on voit se mettre en place des réglementations qui imposent la diminution de fioritures et 183 Le roi Henri II fut mortellement blessé durant les festivités du mariage d’Élisabeth et de Philippe II. La bienséance entraîne un changement dans les costumes qui deviennent inévitablement des vêtements de deuil.
  • 70. 70 d’ornementations dans les costumes184 . Mais quand Élisabeth de Valois arrive en Espagne, elle ne maîtrise pas parfaitement les règles de vie rigides et sévères qui sont celles de sa nouvelle cour. Ajoutons à ce fait qu’elle est encore une enfant, pleine de vie, de malice et de joie. Ceci se ressent parfaitement dans l’image véhiculée par la nouvelle reine. À l’image officielle espagnole, Élisabeth de Valois apporte l’étiquette à la française. Elle respecte la gravité, le sérieux imposé par sa maison d’adoption, tout comme la mise à distance du modèle, mais essaie de contourner ces éléments en ajoutant des touches hexagonales. Elle cherche à montrer dans son image toute sa douceur, à faire voir les traits de sa personnalité. Dans le portrait de 1561 (fig. 6), par exemple, on ressent la délicatesse et la bonté de la reine. Elle paraît également beaucoup plus proche du spectateur que dans le portrait de Marie d’Autriche par Anthonis Mor (fig. 6b). Par son attitude, sa pose (qui pourtant n’est pas si différente que celle des autres femmes portraiturées à cette époque), Élisabeth de Valois s’avance vers le spectateur. Elle n’est plus un modèle figé, mais crée une réelle conversation entre elle et le regardeur. Elle a quelque chose de plus vivant, de plus naturel. Élisabeth arrive à faire d’une pose stricte et quelque peu factice, dans laquelle elle ne fut pas tout de suite à l’aise (fig. 4), une pose mobile, vivante et quasi naturelle. Qu’est-ce qui provoque cette transformation ? Sylvène Édouard pense que c’est la douceur française qui permet ce subtil changement. Pour elle, alors qu’à « la cour de Philippe II on se doit d’être grave », Élisabeth arrive à mêler cette gravité à la douceur française. Il s’agit donc plus de la position et de ce que renvoie la reine plutôt que de ce qui est placé autour d’elle dans ses représentations. C’est ce qu’avait également remarqué Louise Roblot-Delondre au début du XXe siècle. Elle déclare, dans son ouvrage, que l’arrivée de la princesse française change « l’image officielle espagnole [qui] accueille avec Élisabeth un type plus vivant, une physionomie plus volontaire, un visage avec lequel on discerne sans effort les jeux de la 184 F. Boucher, op. cit. note 70, p. 227.
  • 71. 71 passion et le désir de plaire »185 . Avec l’arrivée d’Élisabeth en Espagne, l’image officielle n’est plus uniquement la représentation physique des souverains, mais aussi un véritable portrait moral. Avant le portrait royal fonctionnait uniquement comme une effigie, elle représentait le modèle, son pouvoir et ses vertus, mais c’était une chose établie qui ne pouvait changer et où les sentiments n’avaient pas leur place. La princesse française apporte, avec elle, le côté psychologique du portrait. Elle dépasse l’austérité et la distanciation pour montrer plus de sa personne, de son caractère. Pour conclure, reprenons la citation de Leticia Ruiz Gómez : « [Sofonisba Anguissola] inserta la imagen de Isabel en la tradición del retrato femenino español, aunque en representaciones menos austeras, cargadas por la sofisticación y el gusto por el lujo de la reina francesa »186 . Cela montre comment Élisabeth de Valois tente de jongler entre les goûts espagnol et français, sans pour autant en préférer un à l’autre. Les apports, que nous venons de voir, de la princesse française dans l’image officielle espagnole resteront quelques temps en vigueur. Nous les retrouvons principalement dans plusieurs portraits postérieurs187 . C. Continuation des fonctions principales tout en s’adaptant aux protocoles monarchiques Nous avons vu comment l’image d’Élisabeth de Valois se transforme au fil du temps. Comment en arrivant en Espagne elle s’adapte à cette nouvelle maison, à ces nouveaux codes, bref à la manière hispanique. Les représentations de la princesse française sont modulées par 185 L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56. 186 L. Ruiz Gómez, op. cit. note 169, p. 101. « [Sofonisba Anguissola] insère l'image d’Élisabeth dans la tradition du portrait féminin espagnol, bien qu’avec des représentations moins austères, chargées de la sophistication et du goût au luxe de la reine française » (nous traduisons). 187 Voir III/ C. La continuité d’une typologie du portrait franco-espagnol: la représentation d’une double identité à la suite des portraits d’Élisabeth de Valois, pp. 97-106.
  • 72. 72 le goût espagnol sans pour autant oublier la mode française. Nous avons vu, également, dans notre première partie les visées de ces images. Confrontons les fonctions des premiers portraits d’Élisabeth de Valois, ceux où elle n’est encore qu’une princesse, à celles des représentations étatiques d’une souveraine, quelles sont les transformations visibles ? Retrouve-t-on des objectifs identiques ? Cherchons également à voir comment le changement de statut de la fille de Catherine de Médicis et d’Henri II est rendu. Réadaptation des principales fonctions du portrait Dans son livre intitulé Portraits de la Renaissance, Lorne Campbell consacre un chapitre aux rôles et aux fonctions du portrait à cette époque188 . Inspirons-nous des différents rôles qu’elle attribue aux portraits pour comprendre les continuités ou les évolutions que l’on peut voir dans les portraits d’Élisabeth de Valois. Tout d’abord, Lorne Campbell cite Gabriele Paleotti qui déclare que les portraits permettent de « se réconforter des chagrins de l’absence »189 , c’est ce que L. Campbell appelle le « rôle commémoratif »190 . On retrouve ici une des fonctions principales des dessins de la princesse française. On se rappelle que Catherine de Médicis faisait portraiturer ses enfants afin d’avoir une présence auprès d’elle (ses enfants étant très rapidement envoyés à Saint Germain en Laye). Les demandes incessantes de la reine de France ne s’estompent pas dans le temps. Bien entendu, Élisabeth n’est encore qu’une enfant quand elle est envoyée à la cour d’Espagne, mais au long de la décennie qu’elle passe dans la péninsule, sa mère ne cessera de demander ses portraits. Dès l’arrivée d’Élisabeth en Espagne, on commence à la portraiturer. D’après Maria Kusche, on commande très rapidement à Alonso Sánchez Coello un portrait de la reine afin de l’envoyer à la reine mère française191 . L’auteure rapproche cette commande du 188 L. Campbell, op. cit. note 20. 189 L. Campbell, loc. cit. p. 193. 190 L. Campbell, loc. cit. 191 M. Kusche, op. cit. note 116, pp. 125-126.
  • 73. 73 premier portrait en pied de la reine (fig. 4). La correspondance entre Catherine de Médicis et celle qu’elle appelle sa « fille la royne catolyque » est très abondante. La mère demande toujours des nouvelles de sa fille (que ce soit directement à elle, à ses dames ou encore à l’ambassadeur français en Espagne) et des images d’elle. Élisabeth de Valois se plie aux requêtes de sa mère et lui fait régulièrement envoyer des portraits : dans une lettre à Catherine de Médicis, datée de la mi-avril 1562, la reine espagnole déclare : « ma pentuire n’est encore achevée, et sependant Saint-Sulpice vous porte ma peinture »192 . Selon Maria Kusche, des portraits d’Élisabeth de Valois furent envoyés à sa mère en 1560, 1561 et 1565, ces dates sont tirées de sources écrites (lettres, carnets de commande…), mais l’hypothèse selon laquelle il y en ait eu d’autres de mandatés est convaincante. Dans cette constante volonté de recevoir des portraits de ses enfants, et ici de sa fille, Catherine de Médicis prolonge aussi la fonction de bulletin de santé193 . Cependant, on l’a vu, l’image officielle espagnole idéalise le corps et la beauté, cette fonction est donc très limitée dans les portraits d’Élisabeth qui sont tous des portraits d’État. Il n’y a quasiment pas de portraits privés et ce ne sont surtout pas ceux qui sont envoyés à une cour étrangère. Les portraits d’Élisabeth de Valois par son nouveau rôle de souveraine d’Espagne présentent de nouvelles visées. Comme nous venons de le dire, il s’agit désormais de portraits d’État, ce n’est pas une princesse parmi d’autres (même si le statut de princesse est déjà considérable) mais une reine, la reine de tout un peuple. Lorne Campbell déclare : « beaucoup de modèles redoutaient que le fait de se faire peindre ne fût interpréter comme un trait d’ostentation ou de suffisance »194 , ceci est vrai pour tout le monde à l’exception des souverains eux-mêmes. C’est justement parce que le portrait est considéré comme ostentatoire, comme représentation du pouvoir, que les rois se font représenter. Au début des portraits de la Renaissance, seuls les rois avaient le droit à ce privilège, c’était une manière de 192 Cartas de San Petersburgo…, ms. cit. fol 95. 193 J.M. Serrera, op. cit. note 132. 194 L. Campbell, op. cit. note 29, p. 194.
  • 74. 74 déclarer leur pouvoir et leur force. Les portraits des rois et des reines, et donc les portraits d’Élisabeth de Valois, ont un rôle de « propagande royale », « il était dans l’intérêt des princes de favoriser la diffusion de leurs portraits »195 . L’image de la reine, sans cesse renouvelée mais surtout énormément copiée, est largement diffusée dans tout le royaume d’Espagne. On cherche ainsi à asseoir son pouvoir. Elle ne peut se déplacer sur tout le territoire (large territoire qui va de la péninsule ibérique jusqu’aux Flandres), son image la remplace et la précède. Revenons ici à l’étude de Louis Marin sur l’énoncé des logiciens de Port-Royal : « le portrait de César, c’est César »196 , c’est-à-dire que le portrait du roi est « le corps sacramentel du monarque »197 . Le portrait du roi (ou de la reine), c’est l’incarnation du pouvoir terrestre et du pouvoir divin de celui-ci. Louis Marin explique que c’est le simple fait de représenter le roi qui lui donne toute sa puissance, on en revient à une phrase déjà citée de cet auteur : « le roi n’est vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans des images »198 . Les portraits d’Élisabeth de Valois ont assurément la fonction capitale de faire d’elle une reine, la souveraine de tout un peuple et d’un État. C’est grâce à ses images que son statut royal est confirmé et entériné. Selon Peter Bruke, il s’agit de l’expression du désir d’accréditer son prestige199 . Nous avons vu précédemment comment la bonté et la douceur d’Élisabeth de Valois sont représentées dans ces portraits suivant un goût à la française. Rappelons également comment la reine essaye d’outrepasser la distanciation hispanique pour se rapprocher de son spectateur, de ses sujets. Les portraits d’Élisabeth de Valois ont donc également pour fonction de transmettre l’état d’esprit de la reine, de diffuser son image physique mais aussi morale. Ses représentations ont donc également un « rôle moralisateur »200 . Elles doivent montrer comment Élisabeth se comporte, son respect les règles de conduite en usage dans la société, sa 195 L. Campbell, loc. cit. p. 197. 196 L. Marin, op. cit. note 30, pp. 7-22. 197 L. Marin, loc. cit. 198 L. Marin, loc. cit. 199 P. Bruke, « La sociología del retrato renacentista », dans El retrato en el museo del Prado, Madrid, 1994, pp. 99-115. 200 L. Campbell, op. cit. note 20, p. 195.
  • 75. 75 piété, ses valeurs morales. C’est-à-dire que les images de la reine doivent véhiculer une certaine moralité, elles jouent le rôle de modèle pour une perfection à atteindre par les spectateurs des portraits et les sujets de la reine. Les souverains se doivent d’être des exemples à imiter et leurs représentations sont tenues d’exposer cette exemplarité. On rejoint ici la thèse de Paleotti du « double corps du roi » expliquée par Édouard Pommier dans sa Théorie du portrait : il y a la personne privée (qui n’est pas forcément un modèle de vertu) et la personne publique (qui doit être respectée et obéie)201 . « C’est le corps public, incarnant le pouvoir tenu de Dieu, que représente le portrait »202 , montrant ainsi toutes les vertus du personnage officiel qu’est la reine. Enfin, dans la suite du rôle de portrait d’État, on retrouve la fonction de portrait ambassadeur que l’on avait déjà abordé pour les portraits d’Élisabeth enfant. Cependant, cette visée a évolué. Les représentations de la princesse avaient surtout pour but de diffuser son image afin de lui trouver un mari princier dans les cours étrangères. Désormais ce n’est plus le cas, on cherche à diffuser l’image de la souveraine espagnole afin d’affirmer son pouvoir dans toute l’Europe. En 1561, par exemple, nous avons la trace de lettres qui montrent que Sofonisba Anguissola exécuta un portrait d’Élisabeth de Valois afin de l’envoyer au Pape Pie V. Antonio Palomino raconte cette histoire dans El museo pictórico y escala óptica203 . À ce jour, nous ne savons pas ce qui est arrivé à ce portrait, Louise Roblot-Delondre pense qu’il se trouve dans la Colection Borghese de Rome, alors que Maria Kusche pense qu’il est perdu et que l’œuvre de Juan Pantoja de la Cruz conservée au Musée du Prado en serait une copie (fig. 7). 201 Sur ce sujet, voir notre III/ B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ?, pp. 88-96. 202 É. Pommier, op. cit. note 87. 203 Voir notre catalogue (Vol. 2) pour lire l’histoire de ce cadre, pp. 68-69.
  • 76. 76 Des attributs qui renvoient à son rôle de reine Le protocole monarchique transforme, nous venons de le voir, les charges attribuées aux portraits d’Élisabeth de Valois. Cette évolution est visible dans la composition des images. On voit apparaître un certain nombre d’éléments qui portent un poids significatif. Il est évident qu’aucun détail des portraits de la reine n’est à prendre comme une chose insignifiante. La présence de chaque objet est réfléchie, détient une signification, un code, bref est la représentation d’une idée, d’un concept qui entoure la souveraine. Élément par élément, tentons de comprendre pourquoi Élisabeth de Valois est portraiturée avec eux, quel sens apportent-ils au tableau et comment sont-ils arrivés à avoir cette signification ? Dès le premier portrait espagnol d’Élisabeth de Valois (fig. 4), on distingue en arrière - plan une colonne de jaspe. Cette idée est reprise dans le portrait de Sofonisba Anguissola en 1561 (fig. 6). On la retrouve également dans des portraits de Philippe II, par exemple dans celui peint par Titien en 1554 (fig. 24) ou celui peint par Juan Pantoja de la Cruz (fig. 26). Sylvène Édouard et Maria Kusche interprètent la présence de cette colonne comme la représentation de la dignité royale. La colonne est un élément architectural qui permet de soutenir un édifice. Lorsque celle-ci est figurée aux côtés d’un souverain, elle renvoie explicitement au pouvoir de celui-ci, à sa force et à sa nécessaire présence pour soutenir l’État. Le message est une association d’idées entre la fonction de la colonne pour un édifice et celle du roi (ou d’une reine) pour son royaume. D’après Lorne Campbell, la colonne sert à magnifier le souverain204 . Pour elle, dans le portrait de Philippe II en armure, Titien « tire un effet superbe d’une unique base de colonne et Mor développera cette idée avec enthousiasme »205 . La colonne est ainsi très présente dans les nombreux portraits de la famille des Habsbourgs et devient quasiment un symbole familial, on la retrouve dans les portraits de Marie d’Autriche (fig. 6b), dans ceux de Jeanne d’Autriche (fig. 6c). Ajoutons, que la colonne 204 L. Campbell ajoute qu’il faut donc faire attention aux dimensions de la colonne pour « magnifier le modèle sans le diminuer », L. Campbell, op. cit. note 20, p. 120. 205 L. Campbell, loc. cit.
  • 77. 77 de jaspe (comme on voit dans la figure 4) est un élément qui fut très présent dans les décors des entrées d’Élisabeth dans les villes espagnoles. Des arcs furent, par exemple, édifiés à Madrid, lesquels sont soutenus par six colonnes de jaspe. Un autre élément fondamental des portraits de cette époque est le rideau. Juan Miguel Serrera voit le rideau comme un symbole de la séparation entre l’espace royal et le reste, permettant de mettre l’accent sur la majesté des figures206 . Lorne Campbell l’associe à un encadrement : ces encadrements simulés d’étoffes évoqu[ent] non seulement les baldaquins à rideaux sous lesquels siégeaient les princes lors des cérémonies, et la Vierge, sans sa dignité de « reine des Cieux », mais aussi les sortes de pavillons sous lesquels les souverains semblent avoir prié en public, et le rideau de scène des tableaux vivants qui faisaient partie des cortèges207 . Dans les portraits en pied d’Élisabeth de Valois où elle porte une robe rouge (fig. 5b et 5c), la courtine verte semble avoir été remontée pour permettre au spectateur de découvrir la reine. Cette mise en scène renforce la majesté du modèle et la présente solennellement. Le rideau est utilisé de la même fonction dans la gravure dont l’identification est incertaine (fig. 16). Dans le portrait peint pour la galerie du Pardo (fig. 7), le rideau présenté derrière semble avoir une autre fonction. Il est plus présenté comme une tapisserie, il permet alors de montrer toute la richesse de la souveraine, avec son tissu de brocart (que l’on retrouve dans le fauteuil). Il joue aussi un rôle dans la composition, sa présence éclaire un côté du tableau (qui a un fond très sombre), le peintre peut ainsi représenter l’ombre d’Élisabeth et créer un effet de profondeur. Deux autres attributs, souvent associés puisque tous deux placés dans les mains, sont le gant et le mouchoir. Ces deux éléments étaient très utiles aux portraitistes, ils sont une manière d’occuper les mains du modèle. Le mouchoir ne semble d’ailleurs pas avoir d’autre but que celui de donner une contenance à la personne. Au début du XVIe siècle, le gant était 206 J.M. Serrera, op. cit. note 132. 207 L. Campbell, op. cit. note 20, p. 109.
  • 78. 78 perçu comme le signe d’un certain statut social208 et également comme la représentation du pouvoir (une main gantée est une main forte). Cependant Maria José Del Rio209 insiste sur le fait qu’il s’agit plus d’une mode courante, surtout en Espagne où le cuir est un matériau très travaillé et reconnu. Elle ajoute que c’est un cadeau très apprécié à la cour espagnole, sa présence est donc coutumière. Un autre élément que l’on voit apparaître aux côtés d’Élisabeth de Valois dans ses portraits est le fauteuil. Sa signification est très simple, il représente le trône royal. « Le fauteuil avec haut dossier et accoudoirs était réservé aux plus hauts dignitaires de l’État, c’est- à-dire exclusivement à la famille royale »210 . Comme le fait Jeanne du Portugal dans son portrait de 1560 peint par Anthonis Mor (fig. 4b), la reine espagnole laisse, dans le portrait de Sofonisba Anguissola de 1561 (fig. 7), reposer sa main sur une chaise richement tapissée. Ce simple geste a un caractère très fort, un sens explicite. Par cette pose, la reine d’Espagne montre qu’elle est très proche le pouvoir, elle s’appuie dessus, mais pour autant elle ne s’y accroche pas. Dans la copie de Rubens (fig. 7a), Élisabeth se tient encore plus près du fauteuil, le lien est d’autant plus fort. Le message est clairement différent de celui exprimé par le portrait d’Isabelle du Portugal peint par Titien. Représentée assise (fig. 4a), elle marque ainsi l’importance de son pouvoir. Dans les portraits d’Isabelle Claire Eugénie de 1599 (fig. 6e) et de Catherine Michelle (fig. 10a) par S. Anguissola, les filles d’Élisabeth de Valois sont représentées assez éloignées du fauteuil, tout en posant une main dessus. Une manière de montrer qu’elles sont héritières du trône sur lequel siège leur père ou leur demi-frère (selon la date), mais que ce n’est pas elles qui ont le pouvoir royal. 208 Le gant fait pour protéger la main en diminue aussi ses capacités, seules les personnes qui n’étaient pas amenées à travailler avec leur main avaient donc le loisir d’en porter. De plus, le gant en cuir a un coût. 209 Professeur d’Histoire Moderne à l’Université Autónoma de Madrid et spécialiste de la monarchie espagnole du XVIe siècle au XVIIIe . 210 B. Gaehtgens, « Les portraits d’Anne d’Autriche. L’image royale au service de la politique », dans Anne d’Autriche, infante d’Espagne et reine de France, Paris, 2009.
  • 79. 79 Dans plusieurs de ses portraits, Élisabeth de Valois est représentée avec une table (ou un buffet) à ses côtés. Maria Kusche interprète cet attribut comme un symbole de pouvoir et de décision211 . Leticia Ruiz Gómez ajoute que la main posée sur le buffet est « un gesto que se había convertido en símbolo de la autoritas regia »212 . Cependant on peut douter du réel pouvoir de décision, Sylvène Édouard dans son ouvrage insiste sur « le peu de poids de la reine d’Espagne dans les négociations »213 et les diverses lettres de Catherine de Médicis à sa fille, ou aux gens de la cour espagnole, le montrent. Est-ce donc simplement une image que la reine se doit de renvoyer à ses sujets et peut-être aussi aux cours étrangères ? Il semble que ce ne soit pas l’exacte vérité, mais cet attribut permet en tout cas de magnifier la fonction de la souveraine, une manière d’asseoir son pouvoir et de le souligner, même si, dans les faits, elle ne le détient pas réellement. Les divers éléments que nous venons de voir remplissent donc clairement un rôle d’attribut et ont tous pour effet d’expliciter les fonctions de la reine. Ils permettent de consolider son autorité, de légitimer sa souveraineté, enfin d’affirmer sa nouvelle place. Mais nous n’avons pas étudié tous les attributs qu’Élisabeth aborde, d’autres portent un message qui va encore plus loin. Représentation de la monarchie espagnole Au-delà de représenter une reine, les portraits d’Élisabeth de Valois insistent sur son appartenance à la couronne hispanique. En se mariant avec Philippe II, la princesse de France entre dans la famille espagnole et devient un sujet de la grandeur de celle-ci. C’est-à-dire que l’image d’Élisabeth doit renvoyer à son statut de souveraine bien sûr, mais surtout de reine espagnole. Quels sont les éléments alors utilisés par les peintres pour exprimer ce fait ? 211 La table renvoyant au bureau et donc à l’espace où se prennent et se signent les grandes décisions. M. Kusche, op. cit. note 116, pp. 39-42. 212 « un geste qui est devenu un symbole de l’autorité de la reine » (nous traduisons), L. Ruiz Gómez, El retrato del Renacimiento (dir. Miguel FALOMIR FAUS), Madrid, 2008, p. 344. 213 S. Édouard, op. cit. note 60, p. 170.
  • 80. 80 Comment arrive-t-on à montrer la filiation entre Élisabeth et la famille des Habsbourg, le lien unique entre la reine et le roi ? À partir de 1559, Élisabeth de Valois occupe un trône dont elle n’est pas l’héritière, elle n’y a accès que grâce à une alliance, Philippe II est alors l’intermédiaire indispensable à son statut de reine. Le portrait peint par Sofonisba Anguissola en 1561 (fig. 6) montre clairement ce lien : Élisabeth tient dans ses mains une miniature de son mari, Philippe II. Le sens de cette miniature est évidente : c’est une présentation de la reine d’Espagne qui insiste sur l’analogie entre elle et le roi, héritier du trône. La base Joconde propose un contexte qui expliquerait la présence de cette miniature dans ce tableau particulièrement214 . Sofonisba Anguissola aurait portraituré Élisabeth lors de "l'Entrevue de Bayonne" avec sa mère et son frère, roi de France. Ce tableau illustrerait alors le rôle de la reine comme ambassadrice de son époux, le roi d'Espagne. Maria Kusche est d’accord avec cette hypothèse215 et ajoute que ce portrait était un présent à la reine mère, Catherine de Médicis. Cependant, on peut se demander pourquoi, s’il s’agissait d’un cadeau à la couronne française, ce portrait est aujourd’hui conservé au Musée du Prado où la notice précise qu’il vient de la collection royale espagnole. Juan Miguel Serrera écrit, dans son article sur Alonso Sánchez Coello et la mécanique du portrait de cour216 , que la présence d’une miniature dans un portrait peut fonctionner comme un portrait de famille ou un portrait d’État. On peut voir les deux ici, par la présence du roi, la représentation de la reine devient une image de la monarchie espagnole. C’est aussi une manière de signifier à la couronne française qu’Élisabeth fait de la famille des Habsbourg217 . La présence de miniatures dans les portraits est une chose assez courante au XVIe siècle. 214 Ce tableau n’étant pas conservé en France, il n’y a pas de notice qui lui est associée dans la base Joconde. Cependant il y est fait référence dans l’historique du portrait de Corisande, comtesse de Guiche, et sa fille. http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde. 215 M. Kusche, op. cit. note 116, pp. 214-217. « La miniatura es la que demuestra que Isabel iba a Bayona sustituyendo al Rey », nous traduisons : la miniature est la preuve que Élisabeth alla à Bayonne comme substitut du roi. 216 J.M. Serrera, op. cit. note 132. 217 Surtout si l’hypothèse de Maria Kusche est correcte et que ce tableau fut offert à Catherine de Médicis.
  • 81. 81 Mais comme le dit Leticia Ruiz Gómez « fue en la corte de Felipe II cuando proloferó esa tipología especialmente empleada en retratos femeninos, y más concretamente en los del entorno más cerca del monarca : su hermana Juana ; su tercera esposa, Isabel de Valois, y su hija Isabel Clara Eugenia »218 . Même si c’est un objet petit par rapport à la grandeur du cadre, il a une très grande signification. Le second objet qui déclare l’appartenance d’Élisabeth de Valois à la cour espagnole et à sa famille de son mari est une pierre précieuse : la Pérégrina. Pour comprendre le message de cette pierre, il faut connaître son histoire. La pierre Pérégrina est une pierre précieuse découverte au XVIe siècle dans le golfe du Panama. Elle fut ramenée à Philippe II, qui l’offrit à sa deuxième femme Marie Tudor219 . Cette pierre220 fut rapidement surnommée « la perle de Philippe II » car celui-ci l’a offerte à ses trois dernières épouses. Élisabeth la porte en pendentif (fig. 4 et 16), mais on la retrouve aussi sur la croix qui orne son décolleté dans de nombreux portraits (fig. 3, 5, 8). La pierre Pérégrina fut associée à un diamant appelé « el Estanque » telle qu’on le voit dans le portrait de Marie Tudor. Cette combinaison de pierres précieuses fut nommée en Espagne « joyel rico de las Austrias »221 et est un des joyaux de la couronne espagnole. Philippe II offrit ce bijou en cadeau à Élisabeth de Valois pour leur mariage222 . La croix que porte Élisabeth dans plusieurs tableaux semble également combiner ces deux pierres précieuses, serait-ce une affirmation de l’appartenance de la princesse à la couronne espagnole ? Il faudrait alors voir le premier portrait peint d’Élisabeth comme une production française, possiblement de François Clouet, mais peinte juste après le mariage de 218 « C’est à la cour de Philippe II que proliféra cette typologie, spécialement employée pour les portraits féminins, et plus concrètement dans ceux de l'entourage proche du monarque : sa soeur Jeanne; sa troisième épouse, Élisabeth de Valois, et sa fille Isabelle Clara Eugénie » (nous traduisons), L. Ruiz Gómez, loc. cit. note 169, p. 402. 219 La pierre précieuse apparaît d’ailleurs pour la première fois dans un tableau dans le portrait de Marie Tudor, réalisé par Anthonis Mor en 1554 (fig. 19). Ce portrait étant peint juste après le mariage de la reine d’Angleterre avec le roi d’Espagne, c’est une manière de montrer son attachement à la couronne espagnole. 220 Pierre avec une forme de poire parfaite et une coloration naturelle blanche lumineuse. 221 À ce propos, voir le récit de Augustín de la Herrán de las Pozas, dans son étude sur les portraits d’Isabel de Borbón por Velázquez, Bilbao, 1948, pp. 19-21. 222 On retrouve ce « joyel rico de las Austrias » dans le portrait de Anne d’Autriche, quatrième épouse de Philippe II, peint en 1580 par Alonso Sánchez.
  • 82. 82 la fille aînée de Henri II avec le roi Philippe II et avant son départ pour la péninsule ibérique. Cette croix apparaît en tous cas dans les descriptifs des bijoux de la couronne espagnole. Le simple fait de représenter la reine portant un joyau de la couronne royale, et surtout une pierre qui montre la grandeur et la richesse223 du royaume de son mari, exprime sa pleine appartenance à la monarchie hispanique. Des éléments sont ainsi distillés dans les représentations afin de montrer, de manière claire mais discrète, l’appartenance nouvelle de la princesse française à la famille Habsbourgeoise. Par des accessoires, la reine et ses peintres arrivent à montrer l’attachement de celle-ci à la couronne espagnole (ornements dont le sens, avec nos yeux du XXIe siècle, ne nous apparaissent pas toujours évidents). Pour conclure reprenons une formule de Jean Alazard224 en l’adaptant à notre propos : si on compare les portraits espagnols d’Élisabeth de Valois, on est d’abord frappé par la ligne très souple de l’évolution. On y saisit les tâtonnements du début et les difficultés dans le désir de garder l’étiquette française tout en s’accordant avec l’image officielle espagnole et habsbourgeoise. Puis, on suit pas à pas tous les essais, jusqu’au grand portrait d’État qui correspond à la nouvelle effigie espagnole proposée par la troisième épouse de Philippe II225 . L’image de la souveraine s’intègre dans la typologie du portrait de cour espagnol, mais garde la douceur française dans l’expression et la pose, ainsi que la proximité avec le spectateur. Élisabeth de Valois se crée ainsi une nouvelle identité, respectant les deux convenances. Elle 223 La grandeur car la Pérégrina vient d’un pays lointain et nous sommes au moment de la course dans conquête du monde, et la richesse car Philippe II acheta la pierre qui deviendra « el Estanque » pour 80 000 écus d’or et la fit tailler à Madrid, ce diamant est reconnu comme faisant partie des cinq plus précieux du monde. 224 J. Alazard, Le portrait florentin de Botticelli à Bronzino, Paris, 1924. 225 « Si on compare les portraits florentins à ceux de Venise, de Lombardie, de Rome ou des Flandres, on est d’abord frappé, chez les premiers, de la ligne très souple de l’évolution. On y saisit les tâtonnements du début, et les difficultés que les artistes éprouvent à individualiser les figures ; puis on suit pas à pas tous les essais jusqu’au grand portrait d’apparat », J. Alazard, loc. cit. p. 257.
  • 83. 83 s’appuie sur le protocole de la couronne espagnole, mais le fait sien en y ajoutant des touches de bienséance à la française. Ses représentations montrent une véritable reine espagnole, mais grâce à de petits détails, elle n’abandonne pas l’éducation et l’étiquette de son pays d’origine.
  • 84. 84
  • 85. 85 III/ Une identité artistique franco-espagnole qui s’inscrit dans un rapprochement politique et historique Nous avons vu comment, d’un point de vue esthétique, l’image officielle d’Élisabeth de Valois s’inscrit réellement dans un contexte artistique franco-hispanique. Une inscription qui se fait à la fois concrètement (composition, nuances, style, tracé) mais également dans la théorie du portrait (message transmis, fonctions). Regardons à présent les relations entre le royaume des Valois et l’empire habsbourgeois. Ont-elles eu un impact sur la représentation de la reine. On a compris (et on développera ce point ici) que la princesse française fut une monnaie d’échange, mais quel fut son véritable rôle ? Étudions les portraits de la princesse, puis souveraine, en ayant en tête le contexte historique ainsi nous verrons s’il y a ou non des effets esthétiques qui sont la conséquence de circonstances historiques. Il s’agit d’essayer de voir si des faits d’ordre national, international ou privé226 ont eu une portée sur le schéma canonique d’Élisabeth de Valois. Nous tenterons, enfin, de voir si la conception de l’image officielle de la reine a réellement créé une identité artistique et surtout de discerner l’empreinte de la princesse française dans les portraits franco-espagnols postérieurs. A. L’impact de l’Histoire dans la vie et l’image d’Élisabeth de Valois Un mariage pour sceller la paix : la bien nommée Isabel de la Paz Le XVIe siècle est jalonné par des conflits, des traités de paix, des guerres et des tentatives de rapprochement entre la France et l’Espagne. François 1er et Charles Quint deviennent, tous deux, rois en 1515, date qui peut être considérée comme marquant le début 226 Nous parlons ici, d’un côté, de l’histoire publique, de l’Histoire et, de l’autre, de l’histoire privée, de la biographie de la reine et de son entourage.
  • 86. 86 du siècle. L’animosité entre les deux nations n’est pas nouvelle mais, avec ces deux grands souverains, elle va prendre une ampleur nouvelle. Le premier motif de rivalité est celui « de la elección imperial »227 , les deux princes sont candidats mais, en 1520, le Pape Léon X préfère Charles Quint qui accède au titre d’empereur. Les principaux conflits concernent ensuite l’Italie du Nord (François 1er réclame Naples et Milan), la Navarre et le duché de Bourgogne que Charles Quint veut récupérer. Après la bataille de Pavie, en 1525, François 1er devient le prisonnier de l’empereur, « conducido […] a Madrid firmó el Tratado de este nombre »228 . Le Traité de Madrid est rapidement écarté car dès 1527, François 1er engage une guerre pour récupérer les États d’Italie du Nord. La paix est à nouveau signée en 1529 à Cambray (« la Paix des Dames »229 ), mais une fois encore elle n’est que de courte durée. Comme gage de paix, François 1er offre sa fille Louise230 au roi d’Espagne et épouse, en 1530, la propre sœur de Charles Quint, Éléonore d’Autriche. Mais ceci ne change rien, les conflits ne s’arrêtent pas pour autant. En 1547, François 1er meurt, Henri II devient le roi de France et les relations avec l’Espagne se poursuivent avec autant d’hostilités. En 1556, l’empereur espagnol abdique en faveur de son fils Philippe II. Dès 1557, la bataille de Saint-Quentin éclate et se conclut par la victoire écrasante des Espagnols. Une nouvelle paix est signée en 1559, Philippe II rend Saint-Quentin et d’autres villes à la France231 , Henri II cède ses droits sur des territoires italiens (Piémont, Savoie et Bresse). Comme le dit l’historien Manuel Trigo Cahacón : « La paz de Cateau Cambresis puso fin a un largo período de guerras que había durado todo el 227 « de l’élection impériale » (nous traduisons), M. Trigo Chacón, La España imperial – Testamentos de los reyes de la dinastía austriaca española, Madrid, 2009, p. 110. 228 « conduit à Madrid, il signa le Traité du même nom » (nous traduisons), M. Trigo Chacón, loc. cit. p. 111. Il s’agit ici du Traité de Madrid signé en 1525 par François 1er et Charles Quint. Le roi français renonçait à ses droits sur l’Italie, les Pays-Bas et la Bourgogne, mais il déclara ensuite qu’il avait signé ce traité sous la contrainte et refusa de laisser la Bourgogne. 229 Ce traité est appelé « Paix des Dames » car il a été négocié par Marguerite d'Autriche, tante de Charles Quint, et Louise de Savoie, mère du roi de France. 230 Louise de France est la première fille de François Ier et de Claude de France. Sa main fut offerte à Charles Quint, apportant en dot les droits de la France sur le royaume de Naples, mais sa mort prématurée empêcha cette union. 231 La mort de Marie Tudor, reine d’Angleterre, fait perdre à Philippe II son alliance avec ce pays et l’appui de sa puissance maritime. Le royaume d’Espagne est ainsi quelque peu fragilisé.
  • 87. 87 reinado de Carlos V y primeros años de Felipe II, y que se terminó con el triunfo español »232 . Afin de sceller la paix, Henri II donne, la même année, sa sœur, Marguerite de France, en mariage à Emmanuel-Philibert, duc de Savoie (province espagnole) et conclut l’union de sa fille, Élisabeth de Valois, avec Philippe II. Ce mariage fut sans doute celui qui eu le plus d’impact pour la paix. Dès son arrivée en Espagne, Élisabeth de Valois est baptisée Isabel de la Paz233 , mais sa vocation à devenir la garante d’une alliance pacifique est bien antérieure. Reprenons les termes de Sylvène Édouard : « avant tout projet matrimonial, la petite princesse avait servi de caution à la paix signée le 7 juin 1546 avec Henri VIII en devenant la filleule du roi d’Angleterre »234 . Un certain nombre de tractations eut lieu ensuite pour choisir le mari de la princesse afin d’assurer une paix durable, des privilèges ou des avantages territoriaux. Il est étonnant que cette destinée, si importante dans le statut d’une princesse, n’apparaisse pas dans ses représentations de manière explicite. Nous avons déjà vu que le simple fait de représenter une enfant suivant le code schématique de la « formule Clouet » montre la condition du modèle. C’est peut-être alors par sa simple représentation et par la fonction de celle-ci que la vocation de la princesse apparaît. Mais qu’en est-il pour les portraits d’Élisabeth de Valois en tant que reine d’Espagne, reine assurant la paix avec l’ennemi de longue date ? Sur les portraits que nous possédons aujourd’hui, aucun historien ne s’avance sur le chemin du portrait allégorique. Sylvène Édouard, qui étudie justement le rôle de la reine dans cette paix, ne s’appuie pas sur les 232 « La paix de Cateau-Cambrésis mit fin à une longue période de guerre qui avait duré tout le règne de Charles Quint et les premières années de celui de Philippe II, et qui se termina avec le triomphe espagnol. » (nous traduisons). M. Trigo Chacón, op. cit. note 227, p. 180. 233 Isabel est la traduction du prénom Élisabeth et la particule « de la Paz » permet d’appuyer sur la fonction de la reine ou plutôt sur le bénéfice qu’a engendré son mariage avec le roi d’Espagne. 234 S. Édouard, op. cit. note 60, p. 114.
  • 88. 88 portraits connus, mais sur des récits décrivant les entrées d’Élisabeth dans différentes villes, par exemple ceux d’Alvar Gómez de Castro pour Tolède235 . L’historienne française déclare qu’à Alcalá de Henares, la reine « fit son entrée organisée par l’Université sur le thème de la Paix »236 . La ville avait conçu tout un programme autour de ce motif : inscriptions, sculptures portant sur la quiétude entre la France et l’Espagne et, par extension, dans le monde. Une des statues représentait « la reine assise, recevant la paix agenouillée, portant couronne de lys et rameau d’olivier »237 . Il s’agit d’un portrait mimétique associé à une allégorie afin de signifier le rôle de la reine. Le message de la statue apparaît clairement bien qu’il ne soit signifié que grâce à deux attributs (la couronne de lys et le rameau d’olivier) : Élisabeth de Valois est la garante de la paix avec la France. Mais on montre aussi la passivité de la reine dans cette paix, elle ne fait que la recevoir et elle est, de plus, assise (position physiquement inactive). On peut également interpréter cette sculpture de la manière suivante : la ville et le peuple d’Alcalá de Henares confie la paix avec la France à leur nouvelle reine. Elle en est la garante, elle doit l’incarner et il est de son devoir de la faire durer. Dans le programme iconographique pour l’entrée de la reine (et du roi) à Madrid, on remarque la forte volonté de montrer l’union de deux pays, de deux dynasties, de deux peuples. Les représentations allégoriques ou emblématiques de la France et de l’Espagne sont ainsi au centre du projet. Un portrait des nouveaux époux est également présenté : une représentation mimétique et explicite de l'alliance. Le rapprochement pacifique entre les deux pays (incarné par la reine) est exposé sur un arc entièrement consacré à la dualité guerre/paix. Dans ce programme, c’est le roi qui incarne le côté belliqueux, il montre sa force, sa virilité, 235 Alvar Gómez de Castro fut celui qui conçu le programme de l’entrée d’Élisabeth de Valois à Tolède, pour voir les retranscriptions de ses écrits : A. Redondo, « Fiesta, realeza y ciudad : las relaciones de las fiestas toledanas de 1559-1560 vinculadas al casamiento de Felipe II con Isabel de Valois », dans La fiesta. Actas del II Seminario de Relaciones de Sucesos, La Corogne, 1998, pp. 303-314. 236 S. Édouard, op. cit. note 60,p. 135. 237 S. Édouard, loc. cit. p. 136.
  • 89. 89 son pouvoir de conquérant. La paix est ainsi laissée à « la douceur d’une figure féminine et bonne »238 , c’est-à-dire à la reine. Cette séparation des tâches correspond parfaitement à l’image que souhaite renvoyer le couple royal. Par ailleurs, la personnification de la douceur et de la bonté par Élisabeth de Valois ne nous est pas inconnue. En effet, nous avons déjà vu comment ces deux qualités sont visibles dans les portraits de la reine que nous pouvons encore voir et surtout qu’elles appartiennent à l’identité de son image. Ce sont deux traits de caractère que nous retrouvons dans ses différents portraits dessinés, peints ou écrits. On peut alors se demander si nous devons analyser ces traits comme faisant partie de l’essence de son caractère ou comme un code pour représenter l’incarnation de la Paix. Nous savons, par les lettres de Catherine de Médicis et des proches d’Élisabeth, que cette dernière n’était pas particulièrement d’un tempérament calme et posé239 . La deuxième hypothèse paraît donc plus convaincante. L’image de la troisième épouse de Philippe II se serait alors mêlée avec une allégorie de la Paix. Nous revenons là à notre point de départ, si aucun historien de l’art n’aborde clairement cette notion, c’est parce que la frontière entre la réalité et l’extrapolation est fine. Il est évident qu’on ne peut parler d’allégorie de la Paix en voyant les portraits d’Élisabeth de Valois. Mais nous pouvons voir dans ses portraits peints le même processus que dans la sculpture de l’entrée à Alcalá de Henares, la reine est sans cesse rapprochée de cette allégorie. On utilise les mêmes codes pour l’une et pour l’autre. La destinée de la fille de Henri II et Catherine de Médicis est explicite dans les portraits où des allégories sont utilisées, mais est plus implicite dans les portraits peints que nous connaissons. Cependant nous ne pouvons faire abstraction de la distance qu’il existe entre l’image officielle d’Élisabeth de Valois et son attitude que les lettres de caractère privé nous décrivent. Il apparaît donc tout à fait envisageable que cette image officielle, bien que 238 S. Édouard, loc. cit. p. 138. 239 Voir I/ B. Un modèle qui s’inscrit et qui suit la mode de son époque comme de son rang social, le premier point sur l’étude de l’expression, pp. 24-27.
  • 90. 90 mimétique, fut créée en respectant la bienséance des deux maisons de la reine240 mais aussi en reprenant des qualités liées à l’allégorie de la Paix afin d’associer, dans le présent et pour la postérité, la souveraine à cette personnification. La troisième épouse de Philippe II : une reine d’envergure européenne ? Nous avons vu que l’Espagne et la France sont, avec l’Angleterre, les puissances les plus importantes du vieux continent à la fin du XVIe siècle. Nous pourrions alors supposer qu’appartenant à deux des maisons les plus fortes, Élisabeth de Valois joue un rôle capital et a une place particulière sur l’échiquier européen. Cependant les différents éléments nous avons déjà vu dans ses portraits sont plutôt contradictoires avec cette idée. En nous appuyant sur l’Histoire et sur l’image de la reine, mettons en lumière son poids et son rôle dans la politique européenne. Les portraits d’Élisabeth de Valois s’insèrent dans la typologie du portrait européen et du portrait habsbourgeois. Ils suivent la tradition du moment, mais peut-on dire par là qu’ils montrent la stature européenne de la nouvelle reine espagnole ? C’est sans doute aller trop loin car, certes, par la reprise de ce canon, Élisabeth s’inscrit dans ce cadre géopolitique, mais cette réinterprétation ne montre pas son pouvoir et l’étendue de celui-ci. Si on compare les portraits de la troisième épouse de Philippe II à celui de Marie Tudor241 (fig. 19), on voit tout de suite une différence. Marie Tudor est reine d’Angleterre par héritage et reine d’Espagne par alliance, c’est donc typiquement une reine d’envergure européenne au niveau politique. La posture et l’image qu’elle donne à voir au spectateur, dans le portrait de notre catalogue, sont complètement différentes de celles d’Élisabeth. Bien que la reine d’Angleterre soit assise, elle se tient très droite, comme si elle était prête à se lever et à aller gouverner. Les épaules de Marie Tudor sont plutôt carrées montrant sa force, alors que celle d’Élisabeth 240 Comme nous l’avons vu dans le chapitre II/ Le mariage avec Philippe II en 1559 : l’apparition d’une nouvelle image tendant vers la création d’une effigie royale et son hispanisation, pp. 45-79. 241 Marie Tudor étant la deuxième épouse de Philippe II.
  • 91. 91 apparaissent souvent abaissées (fig. 6, 7 et 8). Nous avons vu que, souvent, la fille de Henri II ne sait que faire de ses mains (fig. 5) ; dans son portrait, la reine d’Angleterre empoigne un gant et tient une rose (symbole de la nation anglaise), elle montre ainsi que c’est elle qui détient le pouvoir242 , qu’elle est la maîtresse de l’Angleterre. Un point sur lequel il est important d’appuyer est la démonstration de l’activité de la reine. Pour qu’une reine ait une envergure européenne, il faut d’abord qu’elle ait un réel pouvoir sur son royaume et qu’elle montre sa force. Un portrait sert aussi à asseoir une autorité et donc à provoquer une certaine crainte, ne serait-ce que minime. Ceci est très clair dans le portrait de Marie Tudor, grâce à son attitude, à son expression et à ses attributs. Le spectateur comprend très vite qu’il s’agit d’une femme de pouvoir et qu’elle est capable de mener des combats d’importance. Les portraits d’Élisabeth de Valois ne renvoient pas du tout cette sensation. Elle est complètement passive, en attente (fig. 8), elle n’a pas les rênes du royaume et ne peut rien faire. Sylvène Édouard rend compte dans son ouvrage243 de l’incapacité de la princesse française à jouer un rôle diplomatique dans les relations étrangères de l’Espagne244 . Ses portraits le montrent très bien, c’est une femme passive qui se cache derrière le pouvoir de son mari (fig. 7). Nous pouvons interpréter cela aussi avec le focus de la notion étudiée précédemment : il est possible que la nouvelle reine d’Espagne soit représentée de manière passive car elle est la garante de la paix. Elle ne doit, ainsi, pas montrer sa force ou son pouvoir pour être crainte mais, au contraire, montrer une douceur et inspirer confiance pour arriver à ses fins : la continuité de cette paix très prisée. Par contre, l’importante diffusion de l’image d’Élisabeth de Valois à l’époque contemporaine fait d’elle une reine européenne : on connaît une grand nombre de copies qui furent et sont encore présentes un peu partout en Europe. Nous avons vu que la copie était une 242 On peut peut-être voir ici une référence aux conflits religieux qui ont lieu à cette période en Angleterre et qui oppose Marie Tudor à sa demi-sœur illégitime Élisabeth Tudor (future Élisabeth 1ère ). 243 S. Édouard, op. cit. note 60, pp. 162-172. Catherine de Médicis le déplore d’ailleurs dans ses lettres. 244 A l’exception des relations avec la France.
  • 92. 92 chose très courante au XVIe siècle, cependant plus le statut du modèle est important, plus il y a de copies de son image et plus la personne est internationalement reconnue, plus la dispersion de ces copies est grande. Actuellement, la plupart des portraits d’Élisabeth de Valois sont conservés en France et en Espagne, mais on en trouve également en Autriche, en Italie ou encore en Angleterre. Nous ne connaissons pas toujours la provenance des ces œuvres, mais il est évident que dès le XVIe l’image de la reine a été largement diffusée. Nous avons des traces d’envois de portraits en Angleterre, au pape (et donc en Italie), en France bien sûr, mais il paraît également évident que des portraits furent envoyés à la cour autrichienne, berceau de la maison des Habsbourg et à la cour portugaise. Leticia Ruiz Gómez souligne l’importance de ces envois : « La repetición del retrato de la nueva esposa de Felipe II resultaba especialmente oportuna tanto que servía para subrayar la nueva relación hispano- francesa en el marco europeo, tras un largo período de desavenencias y conflictos armados »245 . Nous revenons encore ici à cette paix. Une fois de plus, l’image d’Élisabeth de Valois est véhiculée comme garante d’une paix européenne246 , ses portraits étant ainsi largement diffusés afin de propager la bonne nouvelle. Élisabeth de Valois n’apparaît donc pas dans son image officielle comme la gouvernante d’un empire, c’est son mari qui gouverne, elle n’est que son subalterne et ne détient pas physiquement le pouvoir régalien. Nous pouvons dire que ce n’est pas une reine d’envergure européenne car elle n’a pas une position active dans la politique extérieure espagnole. Elle ne prend part ni aux alliances, ni aux affaires publiques, à l’exception peut-être des relations avec la France. Mais, même là, sa mère lui reproche ne de pas assez servir les intérêts de sa maison d’origine et de ne pas avoir de pouvoir sur les décisions de son mari247 . Tout ceci est 245 « La répétition du portrait de la nouvelle épouse de Philippe II était particulièrement propice car elle servait à souligner la nouvelle relation hispano-française dans le cadre européen, après une longue période de désaccord et de conflits armés » (nous traduisons), L. Ruiz Gómez, op. cit. note 210, p. 344. 246 La France et l’Espagne étant au centre de tous les conflits européens de cette époque grâce à un complexe jeu d’alliance. 247 Lettre de Catherine de Médicis.
  • 93. 93 clairement montré par ses portraits qui la représentent passive et soumise à son mari (principalement dans le portrait de l’entrevue de Bayonne où la reine tient un portrait du souverain). Le seul sujet à partir duquel Élisabeth de Valois peut concevoir une image autonome ayant une ampleur européenne est la garantie de la paix : elle devient la personnification de l’alliance entre la France et l’Espagne et ainsi l’emblème de la paix européenne retrouvée. Mais cet impact sur l’Europe est limité, car si la reine incarne la paix, elle n’a pas de poids dans les décisions de son mari. Il prend seul les décisions et gère sa politique extérieure sans tenir compte de l’avis de la reine. La vie d’Élisabeth de Valois ne peut se détacher de l’Histoire de France et, dans la deuxième partie de sa vie, de l’Histoire espagnole. Ce rapprochement se lit de manière évidente dans l’élaboration du modèle et de la composition de ses portraits. Mais son rôle dans l’Histoire est peu actif et son image officielle rend aussi compte de cela. Elle est représentée comme incarnant la Paix mais sans avoir l’autorité de l’assurer. Même dans les portraits allégoriques (dont nous avons que des traces écrites), ses portraits la montrent dans la position d’une personne qui subit, qui n’a aucune emprise royale. C’est le souverain qui décide, il a reçu son pouvoir par héritage, il est donc plus légitime que la reine qui n’a accès au trône que grâce à son mariage avec le roi. B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ? En suivant le constat que Ernst Kantorowicz fait sur la perception du corps du roi au Moyen-Âge248 et l’étude de Louis Marin qui part de cette démarche pour interroger le portrait 248 E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, Paris, 1989 (1ère édition anglaise en 1957).
  • 94. 94 du roi249 , nous tenterons de voir comment sont représentés les deux corps de la reine. Qu’est- ce qui est de l’ordre du public et qui est alors exposé dans les portraits et qu’est-ce qui ne l’est pas et qui est conservé pour le privé ? La théorie des deux corps du roi Ernst Kantorowicz250 écrit en 1957 un ouvrage qui fait date dans le monde scientifique : Les deux corps du roi. Il s’agit d’une étude sur la symbolique du pouvoir à l’époque médiévale dont la thèse principale (qui a donné son nom au livre et qui sera maintes fois reprise et étudiée) est la suivante : « le roi posséderait deux corps, l'un naturel, mortel, soumis aux infirmités, aux tares de l'enfance et de la vieillesse ; l'autre surnaturel, immortel, entièrement dépourvu de faiblesses, ne se trompant jamais et incarnant le royaume tout entier »251 . Comprenons de ceci qu’il y a une division entre, d’un côté, le corps privé, le même que n’importe quel homme sur terre et, de l’autre, le corps public , qui est donné par la fonction même du monarque. Loïc Blondiaux, auteur d’un article sur cette œuvre, souligne que, selon l’auteur lui-même, cette pensée ne s’applique qu’à l’Angleterre des XVIe et XVIIe siècles. Cependant, comme l’ont déjà fait Louis Marin, Jean-Marie Apostolidès252 ou encore Ralph Giesey253 , nous pensons qu’il est possible de reprendre cette idée générale et de l’appliquer à différentes monarchies européennes, principalement celles de l’Époque Moderne et celles où la croyance en Dieu est encore très importante. L’image officielle du roi à la cour d’Espagne (et dans le cas qui nous intéresse à la cour de Philippe II) présente uniquement le corps public du roi. On a vu qu’à la différence de l’image française où on cherche à être au plus près du modèle (avec, tout de même, une formule type dont on ne peut pas beaucoup s’éloigner), les portraits de la famille royale 249 L. Marin, op. cit. note 30. 250 Historien allemand du XXe siècle, ami de Erwin Panofsky. 251 L. Blondiaux, « Kantorowicz Ernst, Les deux corps du Roi » dans Politix, vol. 2, n°6, printemps 1989, p. 84. 252 J.-M. Apostolidès, Le roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, Minuit, 1981. 253 R. Giesey, Le roi ne meurt jamais, Paris, Flammarion, 1992
  • 95. 95 espagnole présentent une idéalisation du corps du modèle254 . Ce dernier est sans cesse en représentation, il ne doit pas montrer ses faiblesses physiques ou morales. Il est la personnification de l’État et doit rendre explicite toute la solidité et la puissance de celui-ci. Ainsi, le corps privé appartient à l’intimité du roi et ne doit pas apparaître dans ses portraits, qui sont tous l’exhibition d’une image publique. Mais qu’en est-il alors pour la reine ? Nous avons vu que son rôle politique, à la cour d’Espagne de la fin du XVIe siècle, est moindre. Peut-on, alors, tout de même parler de deux corps pour la reine, un privé et un autre public ? Cette idée paraît peu contestable. Le corps de la reine est aussi l’incarnation d’une conception publique, nous venons de le voir surtout avec Élisabeth de Valois. Son corps incarne la paix jouant avec un processus de personnification et en même temps de réification : la reine personnifie la Paix, mais elle est réduite à n’être qu’un corps, elle n’est qu’un produit que l’on s’échange. Par ailleurs, la notion du corps privé de la reine est une chose assez complexe à définir. En effet, le terme « privé » a deux définitions : d’une part, c’est ce qui ne dépend pas de l’État et, d’autre part, ce qui appartient à l’intimité. Mais chez la reine, son intimité même fait partie de l’État, puisque tout ce qui est lié à la grossesse et à l’enfantement appartient au domaine public. Pourtant ceci n’apparaît pas dans ses portraits, nous le verrons dans un chapitre suivant255 . Alors, quand on regarde les portraits d’Élisabeth de Valois, voit-on ces deux corps ou tel le roi, seul son corps public est-il seul présenté ? Il ne nous parait pas incongru de rapprocher cette distinction entre corps privé et corps public de la différenciation entre la proximité et la distanciation dont on a déjà beaucoup parlé. Expliquons notre point de vue : lorsqu’on parle de proximité entre le spectateur et le modèle d’un portrait, on dit souvent que le premier peut avoir l’impression d’être dans l’intimité du deuxième. Cette impression est souvent rendue par 254 Pensons par exemple au portrait de Don Carlo où celui-ci est largement idéalisé, ne montrant pas son handicap physique. C’est un portrait mimétique, mais on utilise des artifices pour cacher subtilement les disgrâces du modèle (fig. 27). 255 III/ B. Les deux corps de la reine : transcription graphique du public et du privé ? et notre point sur le devoir d’enfanter d’Élisabeth de Valois qui est absent dans ses portraits, p. 93-95.
  • 96. 96 le simple fait de représenter le sujet comme une personne et non comme un personnage, lorsqu’on laisse voir le corps privé du modèle derrière son corps public. Dans les portraits d’Élisabeth de Valois, son corps privé est bien plus présent dans les portraits où elle n’a pas d’attribut (principalement les portraits enfants, fig. 1, 2, 12 et 13) et ceux où le cadrage est rapproché (l’attention est alors portée sur l’expression du visage et des yeux, miroir de la pensée et de l’intimité de la personne). Toutefois, les trois portraits que nous avons d’Élisabeth après sa mort (fig. 8, 9 et 10), bien qu’ils aient un cadrage rapproché ne renvoient pas le spectateur au corps privé de la reine. Nous avons vu, dans la thèse de Ernst Kantorowicz, que le corps privé est perçu comme le corps physique, le corps mortel. Une fois la souveraine décédée, le corps physique d’Élisabeth n’est plus présent, il ne reste plus que le corps immortel de la reine. Lorsqu’ils étudient l’œuvre de E. Kantorowicz, de nombreux historiens cite la célèbre phrase : « le roi est mort, vive le roi ! »256 . Cette phrase peut très bien être appliquée à l’étude des portraits post mortem de la reine espagnole. Nous voulons dire par là que la reine est une défunte par son corps physique mais son corps public existe encore. Élisabeth de Valois n’est plus mais son corps politique est « immortel (…) et incarn[e] le royaume tout entier » 257 pour l’éternité. Même si dans la matière, son corps est devenu poussière, elle reste une reine espagnole honorée et respectée par son peuple. La théorie de E. Kantorowicz des deux corps de roi, revue par un certain nombre d’historiens, est donc tout à fait applicable à l’étude des portraits d’une reine et particulièrement ici à l’image d’Élisabeth de Valois. Le devoir de beauté : établissement d’un canon par les portraits Mais la séparation habituelle de ces deux corps n’est pas si simple que cela. Le corps représenté de la reine a le devoir de respecter un certain canon de beauté. Pourquoi ? Parce 256 Phrase traditionnelle que l’on déclame lors de la nomination d’un nouveau monarque. Elle fut dite pour la première fois lors de la désignation de Charles VII après la mort de son père Charles VI en 1422. 257 L. Blondiaux, op. cit. note 251, p.84.
  • 97. 97 qu’il est l’agent du corps immatériel de la souveraine. Nous voulons dire par là, qu’au XVIe siècle, l’enveloppe corporelle (en général, mais plus particulièrement dans les portraits) est la représentation de l’essence de la personne. Le corps physique est donc au service du corps public, il est conditionné par celui-ci. Sur ce point, Sylvène Édouard élabore la pensée suivante : Si le portrait est un medium de connaissance efficace, il ne doit pas se contenter de montrer, il doit aussi produire un discours capable d’éloquence en révélant, par la beauté du corps, la beauté de l’âme. L’ornementation du corps, avec le luxe des vêtements et des parures, contribue à cette magnificence de la reine mais tout en prenant le risque de la mettre en danger dans le cadre des discours moraux condamnant les mises trop élaborées258 . Ou encore : « [le] simulacre du corps est d’autant plus important qu’il doit être porteur de sens, celui de la majesté, rejoignant ainsi l’idée que l’apparence du beau corps, du corps majestueux, renvoie à la beauté et à la grandeur de l’âme qui l’habite, cette même évidence de beauté intérieure déjà évoquée dans le banquet de Platon »259 . Les conclusions de l’historienne nous paraissent tout à fait applicables à la condition et aux portraits d’Élisabeth de Valois, et ce dès son plus jeune âge. Si les dessins d’Élisabeth la présentent avec des bijoux (fig. 1 et 2), c’est aussi pour la sublimer260 et ainsi refléter, par une certaine beauté physique, la pureté de son âme et la bonté de son coeur. Il en est de même pour les portraits royaux où les ornements n’apparaissent pas comme des attributs (attributs dans le sens de symboles attachés à la représentation d’une idée concrète) et ne sont présents que pour magnifier le corps de la reine (ceinture, couvre-chef, bijoux). Cependant la beauté n’est qu’affaire de goût, quels sont alors les critères pour dépeindre une belle reine ? Différents historiens ou philosophes de l’esthétique ont tenté de les décrypter, mais il ne semble pas possible de dégager des généralités à l’échelle européenne. L’exemple d’Élisabeth est probant : suivant certains écrivains du XVIe siècle, cette reine était 258 S. Édouard, op. cit. note 60, p. 76. 259 S. Édouard, loc. cit. 260 Nous avions d’abord élaboré l’hypothèse qu’il s’agisse d’une simple représentation mimétique du modèle dans sa condition et sa manière d’être au quotidien.
  • 98. 98 très belle. Citons uniquement Brantôme : ses cheveux « assombrissaient son teint et le rendaient si attirant que les seigneurs de la cour ne l’osaient regarder de peur d’en être épris ». À l’inverse, des ambassadeurs étrangers (non français) à la cour d’Espagne décrivaient Élisabeth comme une enfant pleine de vie mais avec un visage aux traits quelque peu masculins (visage carré et marqué). Ce débat se poursuit toujours à l’heure actuelle, alors que Maria Kusche parle d’une enfant moche et capricieuse261 , Louise Roblot-Delondre va, elle, plus parler de charme et d’élégance262 à propos d’Élisabeth. Rappelons, enfin, que suivant la tradition des portraits des Habsbourg, les représentations d’Élisabeth de Valois sont des images idéalisées pour correspondre à un type particulier de canon. Si on jette un œil aux différents portraits de notre catalogue qui représentent des modèles appartenant à la famille autrichienne, on remarque une ligne et une morphologie semblables. Ces femmes ne sont pas très grandes, mais leur robe amplifie l’idée de verticalité. Elles sont d’une morphologie moyenne qui est enfermée dans un carcan d’armatures et de lourds tissus. Pendant des décennies, on retrouve cette même silhouette rigide qui tend à cacher les formes263 . Le gainage du corps féminin provoque en grande partie cette unification de la morphologie. C’est aussi pour ça qu’on ne voit pas une grande transformation physique dans le corps d’Élisabeth de Valois. Entre les premiers et les derniers portraits de cour, la reine semble avoir conservé le même corps alors qu’elle a, tout de même, mené deux grossesses à terme et fait un certain nombre de fausses couches. Nous avons déjà vu que Sylvène Édouard264 parle de sources contemporaines qui mentionneraient une prise de poids après le mariage d’Élisabeth et que celle-ci n’apparaît pas dans les portraits espagnols de la reine. On peut expliquer ce fait par l’hypothèse précédente : la reine est idéalisée, dans ses portraits, pour correspondre au canon de la beauté espagnole (ou habsbourgeoise). Cette 261 M. Kusche, op. cit. note 116. 262 L. Roblot-Delondre, op. cit. note 56. 263 C. Bernis, op. cit. note 118. 264 S. Édouard, op. cit. note 60.
  • 99. 99 idéalisation se fait en grande partie grâce au costume porté à la cour de Philippe II265 qui forge les courbes du corps féminin. L’élaboration de cet archétype de la beauté et des formes féminines est intensifiée par la pose quasi constante que l’on retrouve dans les portraits habsbourgeois. Le corps est ainsi présenté toujours de la même façon, insistant sur la verticalité et centrant l’attention sur le tronc immobile du modèle, enfin jouant sur l’apparente mobilité des bras. Nous pouvons également voir la ligne du costume typique comme un élément permettant de cacher le corps privé pour montrer uniquement le corps politique, reprenant alors la pensée d’Érasme qui voit le vêtement comme étant le corps du corps. Les robes gainées sont le corps public du corps intime. Ainsi le corps public d’Élisabeth de Valois ne peut être considérablement distingué de son corps privé, surtout si l’on considère le premier comme étant immatériel et le second comme étant le corps palpable. La beauté appartient alors sans aucun doute au « corps naturel »266 . Mais, dans les portraits de la reine d’Espagne267 , la beauté est rendue au moyen d’artifices (qui par leur définition n’appartiennent pas au naturel) et c’est en partie elle qui fait de ce corps charnel, un corps platonique. Le devoir d’enfanter pour continuer l’Histoire : absent dans les portraits d’Élisabeth de Valois L’autre point sur lequel la frontière entre le corps intime et le corps politique peut être difficile à saisir dans les portraits féminins est celui de la représentation du « corps qui doit enfanter »268 . Nous avons déjà abordé rapidement ce point, développons-le ici en essayant de comprendre comment cette fonction élémentaire de la reine est habituellement représentée et pourquoi elle est si peu présente dans les portraits d’Élisabeth de Valois. 265 Cette ligne du costume n’est pas propre à la souveraineté de Philippe II, elle était déjà présente sous son père, Charles Quint, mais elle se continuera jusqu’à la fin du règne du fils. 266 L. Blondiaux, op. cit. note 251, p. 84. 267 Suivant la typologie du portrait de cour espagnol de la seconde moitié du XVIe siècle. 268 Cette citation reprend le titre d’un chapitre du livre de S. Édouard, op. cit. note 60, p. 211.
  • 100. 100 Les oeuvres fondant l’iconographie de la représentation d’une mère et de son enfant sont évidemment les représentations de la Vierge à l’Enfant. Dans ces images, l’enfant est déjà présent comme un attribut : c’est parce qu’elle a donné naissance à Jésus que Marie est devenue la Vierge et la mère de tous les chrétiens. L’image du Christ enfant à côté d’elle est donc un rappel évident de sa condition de mère qui, à son tour, renvoie à l’essence même de la Vierge. C’est un moyen de revendiquer sa place et de légitimer son rôle. Cette idée est généralement reprise pour les portraits des reines ou des femmes dont leur pouvoir dépend de leur enfant (moyen d’expliquer et d’entériner leur lien avec leur mari et ce qu’il représente). Lorsqu’une princesse se marie, son rôle principal est d’assurer la continuité de la dynastie de son époux (et de l’alliance entre sa famille d’origine et sa famille par alliance, s’il s’agit d’une princesse étrangère). Il est donc de son devoir de faire des enfants, comme le souligne Sylvène Édouard269 . On sait, par exemple, les débats qu’a occasionnés la difficulté de Catherine de Médicis à tomber enceinte. Elle fut même jusqu’à être menacée de répudiation. Cette question est également capitale dans la vie d’Élisabeth de Valois. Lorsque celle-ci arrive à la cour d’Espagne, elle n’est pas encore réglée ce qui exclut toute possibilité d’enfanter. Il fut, à la cour d’Espagne, énormément question de cette non-puberté, c’est également un sujet des lettres de Catherine de Médicis qui avait demandé qu’on la prévienne dès que sa fille aurait ses règles. Cela peut alors paraître troublant qu’elle ne soit pas représentée avec ses filles, une fois celles-ci nées (1566 et 1567). Nous connaissons de nombreux portraits de mères avec leur(s) enfant(s) : le portrait d’Éléonore de Tolède avec son fils peint par Bronzino270 , les portraits représentant Catherine de Médicis et ses enfants (portraits disparus à ce jour271 ) ou encore le 269 « Le premier devoir de la reine ét[ait] d’enfanter », loc. cit. p. 226. 270 Portrait d’Éléonore de Tolède avec son fils Giovanni de Médicis, Bronzino, 1545, huile sur bois, 115 x 96 cm, Florence, Galerie des Offices. 271 Voir notre catalogue (Vol. 2), p. 69.
  • 101. 101 portrait de Diane d'Andoins, comtesse de Guiche, et sa fille (fig. 6d). Plusieurs suppositions peuvent nous permettre de comprendre cette absence. Tout d’abord, nous avons très peu de portraits, voire aucun, correspondant à la typologie du portrait habsbourgeois représentant une mère et son enfant. Il semble donc que cette formule ne se soit pas encore installée à la cour espagnole, cela reste une identité étrangère. La seconde hypothèse est que, lorsque Élisabeth met au monde ses deux filles, la succession du trône de Philippe II est encore assurée grâce à don Carlo272 (fils aîné du roi d’Espagne et de Marie Manuelle du Portugal273 ). Élisabeth de Valois ne peut revendiquer une quelconque mainmise sur la succession du trône espagnol. Il est possible que si elle avait eu un fils, il en aurait été autrement. Suivant cette idée, on peut, d’ailleurs, voir une évolution dans les représentations des infantes, Isabelle Claire Eugénie et Catherine Michelle, après la mort de leur frère aîné. Enfin, n’oublions pas que nous n’avons pas de portraits originaux d’Élisabeth de Valois entre 1561 et 1570. Nous ne pouvons donc écarter l’hypothèse qu’il ait existé des représentations de la mère et de ses filles mais qu’elles aient aujourd’hui disparu et nous soient inconnues274 . Il est également possible qu’Élisabeth fut énormément marquée par ces grossesses et les innombrables maladies qu’ont provoqué ses fausses couches. Ainsi, suivant l’étiquette espagnole, on attendait qu’elle retrouve une certaine forme pour pouvoir la représenter. Forme qu’elle n’a jamais retrouvée, décédant juste un an après avoir mis au monde sa deuxième fille. Nous avons vu les deux corps du roi définis par Ernst Kantorowicz et avons tenté d’appliquer cette théorie à la reine et à ses portraits. Il nous est apparu, cependant, qu’il était 272 Nous employons le terme « encore » car don Carlo mourra la même année qu’Élisabeth de Valois. 273 Marie Manuelle du Portugal (1527-1545) est la cousine paternelle et maternelle de Philippe II et sa première épouse. 274 Cependant, nous n’avons absolument aucune trace, à ce jour, qui nous guiderait sur cette voie.
  • 102. 102 plus difficile de marquer une frontière aussi nette dans l’étude du corps de la reine, car l’intimité de celle-ci est bien souvent rendue publique à la cour et dans les cours étrangères. Dans l’image d’Élisabeth de Valois, il n’apparaît, en fait, que peu d’éléments privés, ils sont soit dissimulés derrière l’apparat du corps politique, soit totalement absents. C. La continuité d’une typologie du portrait franco-espagnol : la représentation d’une double identité à la suite des portraits d’Élisabeth de Valois Dans nos première et deuxième grandes parties, nous avons vu comment les portraits d’Élisabeth de Valois s’inscrivaient dans une formule déjà élaborée bien avant sa naissance (pour les portraits français) et avant son couronnement (pour les portraits espagnols). Mais nous avons aussi remarqué que loin de reprendre pleinement le modèle pré-établi, l’image officielle de la nouvelle reine d’Espagne apporte de nouvelles suggestions. Élisabeth de Valois ajoute quelques touches personnelles à ces représentations si canonisées. Attachons- nous à présent à voir comment l’iconographie de cette reine laisse des traces dans les portraits féminins postérieurs et quelles sont-elles. L’influence de l’image d’Élisabeth de Valois dans les portraits des infantes d’Espagne et plus généralement à la cour d’Espagne Il n’existe pas de portraits connus d’Élisabeth de Valois avec ses filles, Isabelle Claire Eugénie et Catherine Michelle, nous venons de le voir, mais pour autant, il est tout à fait possible de faire des liens entre les représentations individuelles de la reine et celles des princesses. Par exemple, dans son étude nommée Sur le portrait d’une Infante, Carlo Bronne ne peut s’empêcher de parler des portraits d’Élisabeth de Valois pour étudier ceux d’ Isabelle
  • 103. 103 Clara Eugénie. Mais quels éléments ont marqué la cour et ses artistes pour être repris dans les portraits postérieurs ? Un argument principal de la continuité des portraits de la mère dans ceux de ses filles est le fait qu’elles furent représentées par les mêmes artistes. On retrouve donc la technique, les compositions et le style. Mais le lien est plus profond. Prenons le dernier portrait d’Élisabeth de Valois peint par Sofonisba Anguissola (fig. 10) et comparons-le avec le portrait de Catherine Michelle par la même artiste (fig. 10a). Le visage est positionné de la façon similaire et a une expression neutre équivalente, on retrouve dans les yeux de la princesse la bonté et la douceur des yeux de sa mère. On perçoit également un autre élément déjà présent dans les portrait d’Élisabeth : la volonté de proximité avec le spectateur. Catherine Michelle se place par exemple plutôt à l’avant du buffet. Cette position permet un effet de style : elle permet d’ouvrir l’espace derrière le modèle, réduisant ainsi la distance avec le spectateur275 . Enfin, dernier lien explicite avec la reine, la princesse porte des bijoux ayant appartenu à sa mère : le collier de perles et la ceinture de joyaux. Par contre, l’aspect global de la peinture est beaucoup plus sombre et plus austère, s’insérant, plus encore, dans le goût espagnol. Maria Kusche remarque que « el colorido del traje se ha hecho aún más discreto, al mismo tiempo más refinado, igualmente se repiten esos minúsculos puntos rojos casi imperceptibles – ya observados en el retrato de la madre – que avivan el negro y el oro »276 . On retrouve ici ce que les historiens voyaient dans les portraits d’Élisabeth de Valois : celle-ci apporte à la cour espagnole le goût pour le luxe et pour un plus grand raffinement. Les vêtements de sa fille restent marqués par cet apport. De plus, la princesse française a apporté de la couleur dans ses 275 Dans les portraits des Habsbourg, la mise à distance est souvent rendue grâce à un objet qui vient marquer la profondeur devant le modèle. De cette façon, l’espace entre le spectateur et le personnage est concrétisé. 276 « Le coloris du costume est encore plus discret, en même temps plus raffiné, se répètent également ces points minuscules rouges presque imperceptibles - déjà observés dans le portrait de la mère – qui ravivent le noir et l'or » (nous traduisons), M. Kusche, op. cit. note 116, p. 249.
  • 104. 104 robes277 . Dans ce portrait de Catherine Michelle, ce ne sont que quelques touches, mais parfois le costume entier est coloré. Alonso Sánchez Coello a peint plusieurs portraits de deux filles de Philippe II ensemble, c’est le cas dans le portrait de 1568, conservé à Madrid278 . Alors que, dans la plupart des autres portraits, les deux infantes ont une tenue parfaitement espagnole (qui reprend par ailleurs la tenue de leur mère dans ses portraits peints par S. Anguissola), dans cette toile, Isabelle Clara Eugénie a une robe très colorée. Cette couleur ne peut que nous rappeler celle portée par sa mère dans son premier portrait espagnol (fig. 4). La partie de la robe en dessous de la ceinture nous renvoie, elle, à la robe carmin que porte Élisabeth dans le portrait en pied de Juan de la Rúa (fig. 5b). D’autre part, les différents portraits des deux princesses les montrent généralement dans un cadre plutôt familier. Elles n’ont pas un comportement enfantin et, comme Élisabeth dans ses premiers portraits, elles respectent parfaitement la bienséance par leur attitude et leur expression. Cependant cette manière de représenter les enfants est assez nouvelle en Espagne. Souvenons-nous du portrait de Don Carlo où il est représenté dans un cadre strictement public279 (fig. 27), Juan d’Autriche280 est représenté suivant les mêmes codes dans ses portraits, dans un contexte extrêmement formel281 . Nous pouvons donc interpréter le caractère privé des portraits de deux infantes comme une marque de la proximité de la cour française transmise à la cour espagnole par Élisabeth de Valois. Enfin, Lorne Campbell en étudiant un autre portrait des deux sœurs (fig. 21) déclarent que celles-ci « imitent un peu gauchement la pose que prenait souvent leur défunte mère 277 Regardons les différents portraits de Jeanne du Portugal (la plupart réalisée par Anthonis Mor), ses robes sont exclusivement noires, avec parfois quelques touches d’or (fig. 6c et 20). Marie Tudor, épouse de Philippe II avant Élisabeth de Valois, conserve cette formule. Dans le portrait de 1554 (fig. 19), elle est vêtue de noir, bien que la deuxième robe soit d’un tissu blanc et noir typiquement espagnole. Il n’y a pas de couleur à proprement parler dans son costume. 278 Infantes Isabelle Clara Eugénie et Catherine Michelle, A. Sánchez Coello, 1568, Madrid, Dépôt Royal. 279 Ce portrait est déjà un portrait d’État, avec un message clair : la scène que l’on aperçoit par la fenêtre, la posture du modèle et son manteau montre la force et la légitimation du pouvoir du prince. 280 Fils naturel de Charles Quint et de Barbara Blomberg de Ratisbonne (1547-1578). 281 Juan d’Autriche, A. Sánchez Coello, 1559, États-Unis (lieu inconnu), avant au musée de Saint Louis (Missouri).
  • 105. 105 Élisabeth de Valois »282 . Il est vrai qu’on retrouve la même posture avec un manque d’aisance et une pose un peu figée. Les bras sont également presque dans la même position. Cependant, il paraît exagérer d’attribuer cette tenue de corps à Élisabeth, car, nous l’avons vu, elle reprend globalement la position typique des portraits féminins habsbourgeois. Bref, nous retrouvons dans les portraits de ses filles, les apports de la reine franco- espagnole. L’austérité est un peu plus présente que dans les portraits de leur mère, mais on retrouve la simplicité et la bonté de celle-ci. Le rapport avec le spectateur est aussi moins distant que dans la retenue de ses contemporaines espagnoles ou habsbourgeoises, c’est-à-dire plus dans la confidence de la princesse française. Mais l’impact de l’image d’Élisabeth de Valois ne marque pas exclusivement celle de ses filles. Les apports de la princesse française dans l’image officielle espagnole resteront quelques temps en vigueur. Élisabeth de Valois a contribué à modifier un peu le goût et l’étiquette de la cour. Lorsqu’on étudie les portraits d’Anne d’Autriche, quatrième épouse de Philippe II, on y reconnaît un goût de la française. Tout d’abord, cette nouvelle reine est très souvent représentée en blanc : après les tenues colorées d’Élisabeth, la reine pouvait se faire représenter comme bon lui semblait. Par contre, les notes colorées, qu’on peut voir dans les portraits des infantes, n’apparaissent pas dans ceux d’Anne d’Autriche. Elle garde des nuances assez strictes comme le blanc, le noir et le doré. Les portraits de la dernière épouse de Philippe II reprennent un autre élément des représentations d’Élisabeth : un cadrage assez proche permettant, selon le procédé utilisé dans la figure 4, de rapprocher la reine de son sujet. Remarquons tout de même que même si la robe est coupée, elle ne l’est pas autant que celle de la princesse française : c’est une simple inspiration et non pas une reprise complète. 282 L. Campbell, op. cit. note 20, p. 206.
  • 106. 106 Enfin, on peut voir également une évolution dans les portraits de Philippe II : la couleur est plus présente. Même si ses costumes restent très sombres, l’environnement est plus coloré, plus chaleureux, plus vivant (fig. 26). Les historiens voient la période où Philippe II est marié avec Élisabeth de Valois comme la plus gaie et la moins austère de son règne, cela se voit également dans les portraits du roi. L’image d’Élisabeth de Valois a donc marqué la cour espagnole avec un élément concret : l’apport de couleurs et de polychromie dans les vêtements sombres, sobres et austères. Elle amène aussi une nouvelle vision du portrait : le modèle n’est plus si distant, il n’est plus autant divinisé. L'environnement créé par les objets représentés est plus privé. On perçoit un rapprochement entre la personne portraiturée et son spectateur, une proximité plus marquée qui, pour autant, n’enlève rien à la grandeur du personnage. Les portraits d’Anne d’Autriche, de son arrivée en France à la mort de son mari : la recherche d’Élisabeth de Valois inversée afin de faire d’une infante espagnole une reine française. Au cours de notre étude, nous avons vu comment Élisabeth de Valois et ses artistes cherchent à modifier son image pour répondre à deux étiquettes différentes : le goût français et la convenance espagnole. Moins d’un demi-siècle après la mort de la reine espagnole283 , une infante espagnole entre à la cour française en tant que future reine : il s’agit d’Anne d’Autriche284 . Il est intéressant d’étudier les portraits de cette dernière en comparaison avec ceux d’Élisabeth de Valois, afin de comprendre comment se crée l’image d’une reine appartenant à deux Maisons et sur quels éléments s’appuient les artistes. Bref, pour 283 Rappelons qu’Élisabeth de Valois meurt en 1568 des suites d’une maladie, sans doute due à ses nombreuses fausses couches. 284 Nous portons l’attention du lecteur sur la distinction entre Anne d’Autriche qui fut la quatrième épouse de Philippe II, dont nous avons pu parler jusqu’à maintenant et Anne d’Autriche, infante espagnole et reine de France et de Navarre en épousant Louis XIII, dont nous parlons à présent.
  • 107. 107 comprendre s’il y a une évolution type du portrait comme expression de la volonté d’appartenance à deux Maisons. Il existe une étude récente sur Anne d’Autriche menée parallèlement par des historiens et des historiens de l’art français et espagnols285 . Celle-ci est dirigée par Chantal Grell et nous nous appuierons sur elle pour notre comparaison286 . Anne d’Autriche arrive à la cour de France en 1615, alors qu’elle est âgée de 14 ans. Dès ses premiers portraits, comme celui de Rubens représentant l’échange de deux princesses (Anne d’Autriche et Élisabeth de Bourbon)287 , Anne d’Autriche « apparaît comme le symbole vivant des négociations entre la France et l’Espagne »288 . Cette phrase pourrait s’appliquer parfaitement à l’image d’Élisabeth de Valois, c’est très clair, par exemple, dans la statue qui la représente sur le tombeau de Philippe II où elle porte des armes et des blasons français et espagnols (fig. 11). Ainsi dans chaque mariage entre deux royaumes, l’image de la femme devient l’emblème de l’alliance et donc de la paix, car c’est elle qui est donnée et échangée (et non le roi). La princesse devient l’incarnation de l’entente et son image accède presque au rang d’allégorie ou en tout cas de personnification de la paix. La suite logique, nous l’avons vu avec les portraits d’Élisabeth de Valois, est que la femme est « un pion sur l’échiquier politique et non pas une personne qui agit de manière autonome »289 . Les deux princesses n’ont, dans leur portrait, aucun élément qui montre qu’elles ont une influence sur la politique de leur pays290 . Elle sont toutes deux soumises et n’ont un pouvoir que par le rôle de leur mari. Ainsi, comme Élisabeth de Valois 285 C. Grell (dir.), Anne d’Autriche : infante d’Espagne et reine de France, Paris, 2009. 286 Le lecteur pourra ainsi retrouver dans cet ouvrage les illustrations des portraits auxquels nous ferons référence. 287 L’échange des deux princesses de France et d’Espagne sur la Bidassour à Hendaye, le 9 novembre 1615, P.- P. Rubens, voir p. 211 de l’ouvrage cité en note 35. 288 B. Gaehtgens, op. cit. note 210, pp. 210-212. 289 B. Gaehtgens, loc. cit. p. 217. 290 Pour les portraits d’Anne d’Autriche, cela changera après la mort de son mari, car elle deviendra la régente et c’est elle qui sera aux commandes de la France. Cette nouvelle fonction entraînera d’ailleurs une nouvelle iconographie, comme nous le fait remarquer Barbara Gaehtgens : une fois régente, Anne d’Autriche « intervient avec détermination pour transformer son iconographie », B. Gaehtgens, loc. cit. p. 230.
  • 108. 108 est représentée avec une miniature de Philippe II (fig. 6) ou comme son pendant (fig. 7291 et 8a), on trouve un certain nombre de portraits d’Anne d’Autriche avec Louis XIII et même parfois avec Marie de Médicis (qui assure la régence pendant la minorité de ce dernier). De ces différents éléments, nous pouvons déduire que lorsqu’une princesse devient reine d’un pays voisin son image devient un symbole qui représente bien plus que la royauté mais va jusqu’à une réification de la personne. Le message principal des portraits d’une telle reine n’est pas l’expression de son pouvoir ou la volonté d’établir une crainte, mais uniquement de montrer l’incarnation d’une action politique292 . L’étude concrète de la transformation des portraits d’Anne d’Autriche est captivante car elle montre le même processus que l’évolution de l’image d’Élisabeth de Valois mais dans un but inversé. Alors que la princesse française tenter d’intégrer des éléments habsbourgeois dans son image, Anne d’Autriche va ajouter à ses représentations des touches françaises293 . Il est intéressant de constater que dans les portraits des deux femmes, ce sont les mêmes éléments qui vont être repris des images officielles française et espagnole. Dans ces portraits d’apparat, Anne d’Autriche conserve la pose traditionnelle des Habsbourg, mais reprend la proximité à la française. Barbara Gaehtgens déclare en parlant d’un dessin de Daniel Dumonstier294 daté de 1622 et représentant la reine française : il s’agit d’une « jeune reine qu’on a presque l’impression de voir en privé »295 . Peut-être qu’Anne d’Autriche accepte rapidement d’être représentée dans un cadre plus intime car Élisabeth de Valois avait déjà 291 Ce portrait fut réalisé pour la galerie des portraits de Château du Pardo, un portrait de Philippe II faisait pendant à celui d’Élisabeth, mais pour autant la composition était différente. 292 Le portrait d’Anne d’Autriche « à côté de celui du souverain était d’abord le signe manifeste des liens dynastiques, de la stabilité et de la continuité, en tant que tel il possédait aussi une dimension politique extraordinairement importante, même si elle était moindre que celle du roi », B. Gaehtgens, op. cit. note 210, pp. 213-214. 293 Les représentations d’Anne d’Autriche deviendront celles d’une parfaite reine française dès lors qu’elle sera régente, ce qui l’amènera à dire à son frère Philippe IV, roi d’Espagne, en 1660 : « J’espère que Votre Majesté me pardonnera d’avoir été aussi bonne Française ; je le devais au roi mon fils et à la France », citation tirée de L. Azevou, « Les deux reines », dans op. cit. note 285, p. 333. 294 Daniel Dumonstier (1574 - 1646) est un dessinateur français, peu connu il a pourtant portraituré une grande partie des personnages importants du début du XVIIe siècle. 295 B. Gaehtgens, op. cit. note 210, p. 220.
  • 109. 109 apporté à la cour d’Espagne de tels éléments dans ses portraits (et dans ceux de ses filles). Cependant, alors que la reine espagnole arrivait à cette proximité par le cadrage mais aussi, et surtout, par son regard et son expression, Anne d’Autriche garde dans ce dessin « un regard qui effleure avec quelque distance le spectateur »296 . Chacune a donc des cartes identiques en main mais elles jouent suivant des stratégies différentes, ayant pourtant les mêmes règles et les mêmes buts. Remarquons que ce regard assez dur se transformera complètement une fois qu’Anne d’Autriche sera veuve, il montrera, à partir de là, toute la bienveillance et l’affection qu’elle porte à son peuple. Elle est désormais une reine française à part entière. Enfin, la dernière évolution que l’on perçoit à la fois chez Élisabeth de Valois et chez Anne d’Autriche est celle présente dans le vêtement. Rappelons ce que Sylvène Édouard dit dans son ouvrage : « le vêtement était le corps du corps selon l’expression d’Érasme dans le Traité de Civilité puérile, il agissait comme un signe fort de reconnaissance sociale »297 . Les costumes portés dans les portraits sont donc choisis avec un soin extrême. Ainsi qu’une princesse étrangère soit représentée avec des robes selon la mode de son pays d’origine ou celle de sa nation d’accueil est chargé d’une forte signification. Dans les différents portraits des deux reines étudiées, on voit la même évolution. Elles sont en premier lieu représentées avec des tenues telles qu’elles en portaient avant leur mariage. On peut voir deux raisons à ce fait : tout d’abord la garde de robe de la jeune femme est encore composée de nombreux vêtements de son pays d’origine et elle est sans doute plus à l’aise dans ces tenues qu’elle connaît, qu’elle porte depuis son jeune âge. D’autre part, c’est une manière, pour la famille d’accueil, de montrer du respect au royaume de l’épouse : on accepte d’avoir à la cour des traditions et des coutumes étrangères. Cependant, ceci ne peut durer très longtemps, la reine doit accepter les mœurs de sa nouvelle famille. Nous avons par exemple des traces de conseillers du roi Philippe II qui lui demandent qu’Élisabeth de Valois cesse de s’habiller à la 296 B. Gaehtgens, loc. cit. 297 S. Édouard, op. cit. note 60, p. 102.
  • 110. 110 française. C’est à ce sujet que s’attache Laurent Azerou lorsqu’il déclare : « Le balancement entre [la] patrie de cœur et [la] patrie d’adoption doit pourtant être élucidé, car il [conditionne] l’image de la reine »298 . Nous voulons dire par là que si la reine garde trop longtemps de forts éléments de son pays d’origine dans ses représentations, elle sera toujours considérée comme une étrangère et son pouvoir sur son nouveau peuple n’en sera qu’affaibli. L’évolution est donc visible, au fil de leurs portraits, les deux princesses adoptent de plus en plus d’éléments correspondant à la mode de leur nouvelle cour. L’étude des portrais à la cour d’Espagne après la mort d’Élisabeth de Valois nous montre que la princesse française a apporté à l’idéal habsbourgeois des éléments artistiques de son pays d’origine. Mais l’analyse de l’évolution des portraits d’Anne d’Autriche nous présente une nouvelle vision des choses : les images des deux princesses empruntent les mêmes caractéristiques de l’art d’un coté et de l’autre des Pyrénées. Nous pouvons y voir deux hypothèses : soit l’image d’Élisabeth de Valois a fortement inspiré les artistes qui ont portraituré Anne d’Autriche. Ce qui est possible, nous avons par exemple une copie d’un portrait d’Élisabeth par Rubens (fig. 5d) et ce même peintre qui réalisera une partie des portraits d’Anne d’Autriche. Soit les artistes et les modèles ont, dans les deux cas, choisi d’utiliser les éléments les plus caractéristiques de chaque style afin d’en créer un nouveau : une typologie du portrait franco-espagnole qui mêle la distance et la proximité, la couleur et l’austérité, le raffinement et le luxe. Les rôles d’Élisabeth de Valois furent, au cours de sa vie, de plusieurs sortes. Elle fut un point central des relations entre la France et l’Espagne, telle une allégorie de la Paix. Elle avait également le devoir de donner le jour aux héritiers du trône. Mais paradoxe de sa vie, 298 L. Azevou, op. cit. note 293.
  • 111. 111 alors qu’elle aurait pu jouer un rôle décisif et proéminent dans la politique étrangère de son pays d’accueil299 , elle n’a su qu’être passive, se contentant de représenter son mari et de se soumettre à ses décisions. Cette inaction et cette passivité sont présentes dans son image où elle est représentée comme une icône et l’ambassadrice du roi son époux. On peut d’ailleurs voir la croissance d’Élisabeth de Valois et l’évolution de son image, comme la transformation d’une femme qui se réduit de plus en plus à sa tâche inactive de subordonnée du souverain. 299 Rôle qu’a joué sa mère, Catherine de Médicis, ou plus tard d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, mais elles furent toutes deux dans une situation plus souple car elles ont été les reines mères, les régentes de la royauté.
  • 112. 112
  • 113. 113 CONCLUSION Cette recherche a mis en évidence la complexité de l’évolution de l’image d’Élisabeth de Valois. Cette complexité est due à plusieurs facteurs principalement issus de la biographie même de la princesse. En effet, nous avons vu que le portrait, au XVIe siècle, est surtout la représentation d’un instant donné, tant au niveau de la personne physique que de son personnage moral. Les transformations de l’image d’Élisabeth de Valois évoluent alors sur deux tableaux différents : d’une part, la mimétique, c’est une enfant qui ne cesse de grandir, les artistes ont donc pour mission d’actualiser sans interruption son portrait. D’autre part, la fonction politique de la jeune femme, nous avons vu que son changement de statut bouleverse profondément les représentations de la troisième épouse de Philippe II. Les moyens mis en place pour aboutir à cette évolution peuvent être divisés en trois points. Premièrement, l’application des formules nationales, en France, les portraits d’Élisabeth de Valois correspondent uniquement à la « formule Clouet », qu’il s’agisse de représentations officielles ou de copies. C’est l’image traditionnelle de la princesse qui respecte cette typologie spécifiquement française. Arrivée en Espagne, nous l’avons vu, les peintres de la cour, comme les copistes, vont utiliser pour Élisabeth l’image officielle espagnole et donc habsbourgeoise. Deuxièmement, l’ajout d’attributs, alors que dans ses portraits français, Élisabeth ne porte que des éléments pour mettre sa beauté en valeur, dans les portraits espagnols, ses fonctions et sa qualité de garante de la paix apparaissent. Les
  • 114. 114 accessoires qui enrichissent ses représentations royales portent alors une grande signification et changent complètement les desseins des tableaux. Troisièmement, par une continuité de valeurs qui s’attachent à l’identification de la princesse. Nous avons vu que certains traits physiques et moraux font partie de toutes les descriptions d’Élisabeth de Valois (quelles soient iconographique ou littéraire), c’est un point fondamental. En effet, une évolution n’en est une que si nous partons d’un point pour aller à un autre tout en gardant des éléments constitutifs. L’autre modification très importante dans les portraits d’Élisabeth de Valois est à quelle intention ils sont réalisés. Ceci dépend principalement du statut du modèle et de l’Histoire dans laquelle il évolue. Ici encore, la transformation principale de la visée de l’image d’Élisabeth de Valois est lorsqu’elle devient reine d’Espagne. Avant, son image représentait une enfant de France qui n’avait pas encore un pouvoir concret, même si elle pouvait être utilisée pour appuyer un accord entre deux familles, elle n’incarnait ni un état, ni une alliance, ni un pouvoir politique. Lorsqu’elle accède au trône espagnol, elle devient la personnification des trois notions précédentes. Elle symbolise la monarchie espagnole (son autorité, son ascendant et son peuple), elle représente l’alliance et la concorde entre la France et l’Espagne et son image est le reflet de son pouvoir politique (pouvoir qui, nous l’avons vu, n’est qu’illusion). En ayant un regard global sur l’évolution de l’image d’Élisabeth de Valois, il nous apparaît clairement qu’il ne s’agit pas d’une transformation brutale mais qu’elle se fait de manière lente et progressive tout au long de sa vie. Nous avons également vu que jusqu’à la fin, des éléments se référant à l’étiquette française sont intégrés dans les portraits de la reine, afin de marquer l’attachement et le respect continus de celle-ci à sa terre d’origine. Nous avons proposé de voir l’image d’Élisabeth de Valois, dans la dernière partie de sa vie, comme la création d’une effigie d’une identité franco-espagnole. De ce point de vue, il
  • 115. 115 serait intéressant d’approfondir et d’élargir l’étude en étudiant et comparant différents portraits représentant des sujets franco-espagnols à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe . Nous pourrions, par exemple, pousser plus loin le parallélisme entre l’image d’Élisabeth de Valois et celle d’Anne d’Autriche ou les apports des deux cultures dans les portraits des filles de Philippe II, Catherine Michelle et Isabelle Clara Eugénie. Il serait alors possible d’y ajouter des études de portraits comme ceux de Diane d’Andoins ou d’Isabelle de Bourbon. La question serait alors, peut-on parler de la création, dans le cadre spatio-temporel précis de la fin de la Renaissance, d’une identité artistique franco-hispanique à l’origine d’un nouveau modèle face à ceux de l’Italie et du Nord ?
  • 116. 116
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  • 124. 124 - LLANOS Y TORRIGLIA Felix (de), « Isabel de la Paz. La Reina con quien vino la Corte a Madrid », conférence publiée dans le Boletin de la Real Academia de Historia, Madrid, Revista de Arch. Bibl. y Museos, 1926. - LOPEZ-CORDON Maria Victoria, La Reina Isabel y las reinas de España : realidad, modelaos e imagen historiagrafica, Madrid, Fundacion Española de la Historia Moderna, 2005. - MULHOU Alain, Pouvoir royal et absolutisme dans l’Epsagne du XVIe siècle, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1999. - NADAL Santiago, Las cuatro mujeres de Felipe II, Barcelonne, Editorial Juventud S.A., 1960. - REDONDO Agustín, « Fiesta, realeza y ciudad : las relaciones de las fiestas toledanas de 1559-1560 vinculadas al casamiento de Felipe II con Isabel de Valois », dans La fiesta. Actas del II Seminario de Relaciones de Sucesos, La Corogne, 1998, pp. 303-314. - RODRIGUEZ SALGADO Maria José, « Una perfecta princessa. Casa y vida de la reina Isabel de Valois (1559-1568) », première partie, dans Cuadernos de Historia moderna, Anejo II, Madrid, 2003, pp. 39-96. - RODRIGUEZ SALGADO Maria José, « Una perfecta princessa. Casa y vida de la reina Isabel de Valois (1559-1568) », deuxième partie, dans Cuadernos de Historia moderna, vol. 28, Madrid, 2003, pp. 71-98. - TRIGO CHACÓN Manuel, La España imperial – Testamentos de los reyes de la dinastía austriaca española, Madrid, Liber Factory, 2009. - VAREZ J., The Portraits of Elisabeth de Valois as Queen of Spain (M.A. tesis), Londres, [sn], 1990. - WALKER FREER Martha, Elisabeth of Valois and the Court Philip II, from numerous unpublished Sources in the archives of France, Italy ans Spain, 2 vol., Londres, Hurst and Blackett, 1857. CATALOGUES D’EXPOSITION - Chantilly. Crayons français du XVIe siècle. (dir. MOREAU-NÉLÉTON Étienne), Paris, éditions Émile Lévy, 1910. - Retratos de Mujeres Españolas por artistas españoles anteriores a 1850 (dir. Aureliano de BERUETE Y MORET), Madrid, Sociedad Española de Amigos del Arte, 1918. - Exposición del retrato del niño en España, Madrid, 1925. - Le portrait dans les Anciens Pays-Bas, Madrid, 1953. - Le portrait espagnol du XVIe au XIXe siècle, Bruxelles, 1970.
  • 125. 125 - Alonso Sánchez Coello y el Retrato en la Corte de Felipe II, juin-juillet 1990, Madrid, Musée du Prado, 1990. - El retrato en el museo del Prado, Madrid, Anaya Grandes Obras, 1994. - Portraits de cour : le « Recueil des Arts et métiers », dessin français dans le style de Clouet, (dir. Sylvie BÉGUIN), Paris, Bibliothèque du CNAM, 20 février-30 avril 1992. - Felipe II. Un monarca y su época. Un príncipe del Renacimiento, Madrid, Sociedad estatal para la comemoración de los centenarios de Felipe II y Carlos V, 1999. - Tiziano, Madrid, Musée du Prado, 2003. - Principiños. Retratos de nenos dos séculos XVI ao XIX, Corogne, Fondation Yannick et Ben Jakober, 2004. - Titien, le pouvoir en face, Milan, Skira, 2006. - El retrato del Renacimiento (dir. Miguel FALOMIR FAUS), Madrid, Museo Nacional del Prado, 2008. SITES INTERNET - www.portrait-renaissance.fr - www.museodelprado.es - www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm - http://crdp.ac-amiens.fr/clouet/clouetaccueil.htm - http://derniersvalois.canalblog.com/