Prolégomènes à la notion de "communauté internationale" dans les relations diplomatiques
Je souhaiterai ici partager quelques idées et interrogations sur le concept de "communauté internationale" et son utilisation fréquente dans la description du fonctionnement des relations diplomatiques, par les journalistes, les universitaires, mais aussi parfois les diplomates eux-mêmes. De quoi et de qui parle-t-on quand on se réfère à la communauté internationale? Je ne prétends pas ici circonscrire le débat, mais plutôt ouvrir la réflexion à des analyses plus approfondies.
Régulièrement invoquée dans les situations de crise comme un mantra, appelée à juger des normes dans lesquelles doivent s'inscrire les rapports entre les nations, voire à constituer l'expression d'un consensus d'opinion quant à l'évolution d'une situation politique (le renversement non constitutionnel d'un régime, le non-respect des frontières et de la souveraineté d'un Etat voisin...), la communauté internationale est depuis son origine un concept étonnamment flou, fourre-tout, un "horizon toujours fuyant" selon l'expression consacrée de Philippe Moreau-Defarges. S'agit-il du concert unanime et libre des nations, hors celles qui comme la Corée du Nord n'en respecteraient pas les règles ou ceux dont, comme le Somaliland, la souveraineté ne serait pas reconnue? Peut-on parler d'une communauté internationale partageant toujours les mêmes valeurs et s'exprimant d'une voix unique? Cette communauté internationale se restreint-elle aux seuls Etats ou n'incorpore-t-elle pas dans un sens plus large des acteurs internationaux parfois plus puissants et influents que les Etats eux-mêmes, les multinationales, les médias et les ONG d'influence internationale (humanitaires, de développement ou engagées dans la défense des droits de l'Homme)? On voit bien que les questions sont multiples et que les définitions implicites données au concept de communauté internationale se sont pas forcément identiques selon les origines idéologiques des auteurs et leurs positionnements respectifs.
Par nature, tout Etat est membre de la communauté internationale et y exerce une influence plus ou moins importante suivant sa taille, son économie, son appartenance ou non à des organisations régionales (comme l'Union européenne (UE) ou l'Union africaine (UA) ou la Ligue Arabe...), son statut international (membre du Conseil de sécurité des Nations unies, du G8, du G20...), son rayonnement culturel, linguistique et spirituel. Tout Etat peut être considéré également comme étant juge (lorsqu'il traitera de la situation d'autres pays) et partie de la communauté internationale (même les membres permanents du Conseil de sécurité n'échappent pas aux condamnations et critiques d'autres membres de la communauté internationale lorsqu'ils n'en respectent pas les normes). D'un pays à un autre, la représentation locale de la communauté internationale variera dans des proportions significatives, ce qui est aussi un indicateur de l'importance stratégique et de l'influence du pays concerné dans les relations internationales.
L'existence de la communauté internationale prend corps dans le multilatéralisme, l'adhésion à des principes communs de respect de la paix et de promotion de la coopération internationale, l'affirmation du droit international dans le règlement et la résolution des conflits, la croyance dans les vertus de l'action collective pour faire face aux défis comme les pandémies, les crises humanitaires ou le changement climatique, bref, en un mot, la constitution d'une société internationale. La création en 1945 de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et celle encore des grandes institutions internationales spécialisées comme l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ou le Fonds Monétaire International (FMI) en sont évidemment l'incarnation. L'expression la plus légitime de la communauté internationale, même si elle fut évidemment parfois contournée comme lors de l'invasion de l'Irak en 2003, demeure celle du Conseil de sécurité, seule autorité internationale habilitée au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies à autoriser le recours à la force.
Il ne faut pas tomber dans le piège de restreindre le concept de communauté internationale à celui de communauté occidentale, ni réduire la fonction de celle-ci à la seule défense et promotion des valeurs démocratiques et libérales. Cependant, même si la communauté internationale est constituée de pays aux régimes très variés, il existe bien un socle commun d'engagements, de conventions internationales et de principes auxquels tous les pays ont au fil des décennies librement souscrit, que cela soit dans un cadre onusien (le dernier texte majeur adopté par consensus est celui des Objectifs du développement durable en 2015, qui met un fort accent sur les questions de gouvernance, d'inclusion et de respect des droits citoyens) ou dans le cadre d'accords bi-multilatéraux (comme la Convention de Cotonou adoptée en 2000 qui régit les relations entre l'Union européenne et les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique -ACP- et qui met en place un cadre de redevabilité conjoint sur les questions de gouvernance, de respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques et de lutte contre la corruption). Il serait donc quelque peu étrange, comme cela arrive pourtant, de reprocher à l'Union européenne de défendre ces principes dans les enceintes internationales et dans la conduite de ses relations avec ses Etats partenaires (lorsque par exemple l'UE décide de mettre en place des régimes individuels de sanctions contre les responsables qui violent les engagements pris par leurs propres Etats).
Les divisions de la communauté internationale depuis la fin de la seconde guerre mondiale l'ont souvent emporté sur son unité. Cela a été le cas pendant naturellement toute la période de la guerre froide mais aussi dans le traitement de certaines situations régionales, comme depuis 1947 la persistance à plus ou moins grande intensité du conflit israélo-palestien. Ces divergences d'approches de la communauté internationale, qui deviennent particulièrement visibles lorsqu'il s'agit de membres permanents du Conseil de sécurité (qui disposent au titre de l'article 27 de la Charte du droit de veto), aboutissent parfois à des situations de "deux poids - deux mesures" souvent contestées et critiquées par les opinions publiques. Ces dernières ne comprennent pas l'inaction et la paralysie de l'ONU lorsque les intérêts directs ou même parfois indirects (par un simple mécanisme d'alliance) d'un membre permanent du Conseil de sécurité sont en jeu. "Selon que vous serez puissant ou misérable", nous rappelle fort justement la fable de La Fontaine. En même temps, c'est la persistance de cette règle qui a sans doute permis à l'ONU de survivre jusqu'à présent et d'éviter que les Etats-Unis, la Russie ou la Chine n'en claquent brutalement la porte. C'est ce qui explique aussi la résistance de ces mêmes Etats à toute tentative d'encadrement du droit de veto dans les situations humanitaires les plus graves et en cas de violations massives de droits de l'Homme.
Il est en revanche un type de pays où la communauté internationale est appelée à jouer un rôle sans doute supérieur à celui normalement escompté. Je ne parle pas ici ni de pays en conflit ouvert avec un de leurs pays voisins, où la communauté internationale est en mesure de jouer un rôle utile d'intermédiation, ni bien sûr des Etats forts qui, au nom de leur souveraineté nationale, récusent toute intervention dans leurs affaires intérieures, ni même des Etats faillis comme la Somalie ou l'Afghanistan, où la communauté internationale s'efforce juste de maintenir et/ou de rétablir une apparence de normalité institutionnelle. J'évoque plutôt les Etats qui pour des raisons variées se sont installés dans des cycles répétitifs de crises et de manifestations éruptives violentes et où les partenaires internationaux sont appelés régulièrement à la rescousse et deviennent par la force des choses des protagonistes à part entière du jeu politique. Les acteurs locaux tendent alors à manipuler à leur profit les supposées dissensions de la communauté internationale pour tenter de faire endosser leurs points de vue respectifs et n'hésitent pas à se servir de cette dernière tantôt comme d'un repoussoir, tantôt comme d'une référence pour asseoir leur propre légitimité. Les choses peuvent parfois devenir compliquées lorsque tous les acteurs internationaux ne développent pas exactement la même ligne et laissent percevoir des nuances dans leurs positions (ce fut le cas par exemple lors des deux crises à Madagascar de 2002 et 2009 entre la France et les Etats-Unis, mais aussi entre l'ONU et l'UA). Dans ce type de situation, il me semble que la communauté internationale doit à tout prix chercher à préserver son unité à travers la désignation d'un chef de file incontesté (et non pas plusieurs), se concerter le plus régulièrement possible (en se parlant directement) et ne pas nécessairement multiplier les prises de position publiques susceptibles d'être instrumentalisées par les parties concernées.
Le maître mot qui devrait en effet guider la communauté internationale dans toute situation de crise est le célèbre principe humanitaire et d'action dans les Etats fragiles, inspiré du serment médical d'Hippocrate, "Do No Harm", ne pas faire de mal, ne pas nuire, autrement dit ne pas aggraver par une action intempestive une situation existante et ne pas contribuer à empirer les choses, fusse au nom du souci de bien faire. Cela n'interdit évidemment pas à la communauté internationale d'agir soit par des moyens diplomatiques, soit par des moyens plus coercitifs comme des sanctions ou le recours à la force armée (dans le cadre juridique défini par la Charte des Nations unies), mais les conséquences de l'intervention, son rapport coût/risques/avantages, doivent être évaluées sur le long terme, en prenant en compte l'intérêt des populations concernées. On a déjà vu à maintes reprises des régimes dictatoriaux ne respectant pas les règles du droit international et violant les droits de leurs populations confortés dans leurs agissements par une réaction de la communauté internationale soit trop faible et pusillanime, soit au contraire trop forte et mal calibrée dans le temps. Une réaction inadaptée ou disproportionnée de la communauté internationale peut paradoxalement renforcer les acteurs qu'elle entend neutraliser ou ramener à la raison. L'exercice réussi de la diplomatie réside bien dans la maîtrise de l'art du bon dosage.
La montée généralisée des nationalismes, l'arrivée au pouvoir dans des démocraties parfois anciennes de dirigeants populistes et à tendance autoritaire, leurs attaques répétées contre le multilatéralisme, remettent-elles en cause l'existence de la communauté internationale? Pour ma part, je pense que non, elle en transforme évidemment la nature, déplace le centre de gravité des réactions internationales, renforce les antagonismes, mais elle ne signifie pas pour autant un retour à la loi de la force (et de la jungle) qui caractérisait les relations internationales avant la Première Guerre Mondiale. Tous les Etats sont soumis à la pression croissante d'une opinion publique internationale de plus en plus affirmée, dont ils doivent tenir compte dans la conduite de leurs politiques, quand ils ne cherchent pas à l'influencer en investissant massivement les moyens de communication et les réseaux sociaux (ce qu'a notamment fait la Russie dans les dernières années en développant une chaîne d'information internationale RT, anciennement Russia Today, et en parallèle l'agence de presse Sputnik). Pour faire prévaloir leurs points de vue, face à leurs adversaires qu'ils appellent les "globalistes" (les partisans de la mondialisation et de l'accroissement des échanges internationaux), les nationalistes contemporains valorisent paradoxalement une idéologie nationaliste devenue transnationale, avec des champions internationaux (ce qui par ailleurs peut faire douter de leur véritable patriotisme).
Plus que d'un effondrement immédiat de la communauté internationale, ce qui est à craindre, c'est un affaiblissement de ses mécanismes de coopération (commerciaux, environnementaux, sanitaires...), au moment même où elle en a le plus besoin pour faire à des défis globaux d'une ampleur inégalée comme la menace d'un changement climatique accélérée, la perte massive de biodiversité avec la sixième extinction massive d'espèces qu'est en train de connaître notre planète, l'épuisement de nos ressources naturelles, des déplacements majeurs de population accélérés par les transformations environnementales et les conflits croissants.
SENIOR CONSULTANT/ GESTION UGP ASSISTANCE TECHNIQUE
5 ansBonne réflexion. Le contenu du concept devrait donc être partagé avant usage....
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5 ansMansa Musa !!!!!!! The wealthiest man to ever live. Dealt with lawful tender instead of fait currencies 😁 great share.
Enseignant-Chercheur à l’Université de Kinshasa at Université de Kinshasa
5 ansFélicitations Monsieur l’Ambassadeur, j’apprécie la qualité de votre article qui sort du cadre politique pour expliquer les relations internationales , de manière scientifique. Même si, je suis resté sur ma faim parce que vous aviez expressément esquivé de parler de la France, surtout dans ses relations avec l’Afrique (France-Afrique). Pour ma part, je pense que le concept de communauté internationale est concept abstrait qui ne rêvait de sens que pour l’Etat qui l’utilise. En effet, pour ma part, il n’y a pas de “communauté internationale”, il n’y a que de “société internationale “. La communauté comme vous l’aviez dit, est une entité dont le seul objectif est le respect de valeurs et de l’observance d’une certaine morale. Par contre, la société est une entité d’intérêts dont chaque composante tire ce qui est important pour sa survie ou sa croissance. Les divisons dont vous évoquez dans votre article sont justement le fait de ces intérêts directs ou indirects. Selon qu’il y a un enjeu, chaque entité prendra de dispositions pour agir en fonction de sa survie en se garantissant un maximum d’intérêts. S’il n’y en a pas, la plupart adopte un silence (hypocrite), les cas sont légions. Aucun État n’agit sans intérêt.
Maitre de conférences HDR Histoire de l'Afrique chez Aix-Marseille-Université
5 ansUn petit cadeau pour vous cher Jean-Marc Chataigner : la communauté internationale vue du Gondwana ! https://youtu.be/j1F2YY70Hr8