Les sources bibliques du christianisme
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LAURENT SAILLY
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Paroles d’Evangiles – parolesdevangiles.blogspot.com
HISTOIRE DES ORIGINES DU CHRISTIANISME
De la religion originelle au concile de Chalcédoine
« Fiat lux et lux fit » (Genèse 1,3)
INTRODUCTION A PAROLES D’EVANGILES
I. LES ORIGINES DU CHRISTIANISME
II. LES SOURCES CHRETIENNES DU CHRISTIANISME
III. LES SOURCES BIBLIQUES DU CHRISTIANISME
IV. JESUS FACE A L’ARCHEOLOGIE ET A L’HISTOIRE
V. JESUS, UNE VIE D’HOMME
VI. BOUDDHA, JESUS
VII. ET DIEU DANS TOUT CA… ?
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3ème partie : Les sources bibliques du Christianisme
Introduction – Le socle de notre civilisation
Prologue – Qu’est-ce que la Bible ?
Chapitre 1 – Une saga de quatre générations
Chapitre 2 – De l’Egypte à la Terre promise
Chapitre 3 – La conquête de Canaan
Chapitre 4 – Le temps des Juges
Chapitre 5 – Une dynastie royale pour Israël
Chapitre 6 – Israël, le royaume du Nord
Chapitre 7 – Le royaume de Juda face à son destin
Epilogue – Le peuple hébreu et les empires
Conclusion – Le prêtre, le rabbin et l’imam
Annexes
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Introduction
Le socle de notre civilisation
La Bible. Ce n'est pas seulement le livre sacré des enfants d'Abraham, la saga d'un petit
peuple du désert, l'histoire du Salut pour des milliards d'hommes et de femmes, juifs,
chrétiens, musulmans. C'est un message éthique universel, une formidable leçon de
politique, de psychologie, de sociologie. Un véritable cours sur l'humanité où les passions
séculaires et charnelles le disputent au divin, à l'élévation de l'âme. La Bible, c'est le sang,
la fureur, la noire tragédie des cœurs tourmentés, la vengeance divine mais aussi l'amour
des hommes et la compassion. C'est la codification du monothéisme à travers l'adoration
d'un seul Dieu qui a choisi un seul peuple, le peuple juif, en un seul lieu, la terre d'Israël,
pour transmettre son message au monde.
La Bible n'est pas seulement une référence religieuse. C'est le socle de notre civilisation,
une grille conceptuelle commune aux croyants et aux agnostiques. Cette première
tentative d'écriture de l'histoire d'un peuple, de la Genèse à l'Apocalypse, constitue une
incroyable novation.
L'Histoire a désormais un début et une fin, le temps est comme un fleuve qui jamais ne
remonte à sa source. L'homme n'est plus soumis à l'arbitraire de dieux multiples et
capricieux. Il tient son salut et son destin en main. Il dispose du libre arbitre pour choisir
entre le Bien et le Mal. Pour cela, il a reçu le Décalogue, fondement de notre morale et
ancrage idéologique des droits de l'homme.
Pour les juifs, la Bible - la Torah - s'arrête à l'Ancien Testament. Les chrétiens considèrent
en revanche que la révélation s'est poursuivie. L'Alliance nouvelle a été conclue par la
naissance, la vie et la passion de Jésus, messie né dans une humble mangeoire. Elle
n'est plus réservée au seul peuple juif, mais a une vocation universelle. La parole se
répandra dans tout l'Occident par le truchement de saint Paul et de la langue grecque
avant de faire de Rome la deuxième Jérusalem. Les musulmans se réclament d'une
tradition plus tardive. Ils intègrent de larges éléments de la Bible mais estiment que
Mohammed est le dernier prophète envoyé par Dieu.
[Pierre Beylau, Le Point des 19-26 décembre 2003]
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Les guerres de traduction
En d'autres temps, il aurait fini sur un bûcher. Comme William Tyndale, le premier à avoir
traduit la Bible en anglais, au XVIe siècle. Mais - heureusement - les mœurs se sont
policées. Quand il a publié - en 2001 - une nouvelle version de la Bible, traduite par des
binômes d'exégètes et d'écrivains, Frédéric Boyer, directeur des éditions Bayard, a reçu
nombre de lettres d'insultes. « Le scandale, surtout, se souvient Frédéric Boyer, c'est que
nous avions touché au mot "résurrection". La mémoire théologique chrétienne s'est forgée
autour de la puissance de ce mot. Je trouve plus beau et plus littéral de dire "Christ a été
réveillé des morts" plutôt que "Christ est ressuscité des morts". Etymologiquement, en
grec, il signifie "se relever" ou "être éveillé", il a été unifié en latin par le verbe "resurrexit".
"Quand vous serez crucifié, m'a-t-on écrit, vous nous direz si vous préférez être réveillé ou
être ressuscité". »
Oui, au début du IIIe millénaire, on s'empoigne encore sur les termes de la Bible. Jamais
aucun texte au monde n'a été autant traduit dans l'Histoire. Et jamais aucune œuvre de
traduction n'a suscité autant de polémiques, de critiques, de passions. Depuis la nuit des
temps.
Dès la première traduction - d'hébreu en grec - par les juifs à Alexandrie au IIIe siècle
avant Jésus-Christ, contestation ! On raconte que soixante et onze sages auraient pris
chacun les rouleaux de la Torah, se seraient retirés sous une tente pour les étudier et en
seraient ressortis chacun avec... la même version ! Légende. « Quand les juifs
d'Alexandrie ont traduit la Septante en grec, raconte le professeur Armand Abécassis, qui
vient de publier "L'univers hébraïque" (Albin Michel), certains se sont réjouis : "Le monde
connaîtra notre Bible." Mais d'autres ont voulu jeûner, car ils considéraient que c'était là un
grand malheur". » Dès que l'on touche au sacré... Saint Jérôme, pour sa Vulgate,
première Bible catholique traduite de l'hébreu en latin, étudiait avec un rabbin, en cachette
de l'Eglise. Et quand parut sa Bible, au IVe siècle, rappelle Frédéric Boyer, il reçut de saint
Augustin des lettres incendiaires : « Nous avons reçu les textes des saints Evangiles en
grec, nous n'avons pas le droit de les traduire en latin. »
Certains en sont morts. Au XVIe siècle, les guerres de Religion sont d'abord des guerres
de traduction. Conflits théologiques. Mais aussi linguistiques. La langue du peuple contre
celle du clergé - le latin. Luther et les protestants de la Réforme traduisent la Bible en
langues vernaculaires - l'allemand et le français - pour qu'elle soit compréhensible du plus
grand nombre. Les catholiques de la Contre-Réforme instituent en réaction la Vulgate
latine comme texte sacré. Jusqu'au XXe siècle, dans les milieux catholiques, on parlait
des traductions en français comme de traductions vulgaires. La Bible devait être lue en
latin.
Chaque grand chantier de traduction provoquera ses contestations. On l'a oublié, car elle
est devenue un classique, mais la Bible de Jérusalem, quand elle fut entreprise par les
dominicains après la Seconde Guerre mondiale, a provoqué moult polémiques au sein de
l'Eglise catholique. L'idée était d'établir une traduction scientifique en s'appuyant sur des
connaissances linguistiques et archéologiques. Dérangeant, forcément. Cinquante ans
plus tard, quand, dans la Bible Bayard, l'écrivain Florence Delay retire le verbe « être » du
premier verset de la Genèse, elle frise le parjure. « Au commencement était le verbe »
devient sous sa plume « Au commencement, la parole. » Dans cette nouvelle version,
comme l'a relevé le sociologue Pierre Lassave, « péché » se mue en « égarement », «
esprit » en « souffle », « foi » en « confiance », « gloire » en « rayonnement ». Et Jésus,
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interprété par Emmanuel Carrère, lance un « Plutôt crever ! » qui a fait jaser... « Pourtant,
précise l'académicienne Florence Delay, le verbe "crever" est classique, Racine et
Corneille l'emploient. Notre entreprise visait à dégeler des choses figées. Que disent aux
jeunes à notre époque des mots comme "verbe" ou "péché" ? Pour moi, "la femme
adultère" était une expression de théâtre de boulevard ; c'est pour cela que j'ai traduit :
"Va et ne sois plus infidèle". »
On ne peut s'en tenir à une version unique de la Bible. « Elle n'est pas un livre d'histoire ni
de science, souligne Armand Abécassis. La traduction est une trahison. L'homme est
condamné à l'interprétation. Quand vous traduisez d'une langue à une autre, vous
changez de vision du monde et de psychologie. L'auteur n'est plus là, il a écrit pour ses
contemporains, il a rompu avec son destinataire, son environnement. »
Derrière les mots, ce sont - surtout - les divergences doctrinales qui sont en jeu. « Prenez
le fameux "Pierre, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise", explique
Dominique Barrios, qui fut pendant trente-sept ans responsable du secteur biblique aux
éditions du Cerf. Catholiques et protestants traduisent l'expression de la même manière.
Mais chacun en tire des conclusions différentes. L'Eglise est-elle un monolithe autour de
Pierre, premier pape ? Les protestants répondent non. Quand, dans la Ire Epître aux
Corinthiens, Paul dit : "Est-il convenable que la femme prie Dieu la tête découverte ?",
c'est un conseil daté, précis, à l'adresse de gens d'une communauté ; on en a tiré un
principe général. » Les adaptations sémantiques sont donc nécessaires. Mais la plume du
traducteur est apesantie du poids du sacré. Il a fallu trois ans de travail et de multiples
brouillons à Florence Delay pour arriver au bout de l'Evangile de saint Jean. « Pour
traduire les quatre prophètes de l'Ancien Testament, raconte l'écrivain, je me sentais
rayonnante d'énergie. Avec le texte de Jean, je me suis retrouvée comme intimidée et
captive ; j'éprouvais de la crainte. Ce texte avait été mille fois traduit, que pouvais-je
apporter ? »
Traducteur, métier à risques ! Henri Meschonnic en a fait une profession. Poète et
essayiste, l'homme joue avec la Bible comme d'autres avec de la dynamite. Depuis trente-
trois ans - sa dernière traduction, « Les noms », vient de sortir chez Desclée de Brouwer -,
il veut libérer le texte « des carcans des traditions religieuses et des adaptations » et en
tirer la substantifique moelle, « la poétique du divin » . Henri Meschonnic s'échine à suivre
le rythme originel, en hébreu, un peu à la manière d'un André Chouraqui, seul traducteur
de la Bible dans son intégralité et du Coran. Différence notable entre les deux hommes :
l'un est croyant, l'autre pas. Ce qui fait de Meschonnic le mouton noir des cercles
bibliques. D'autant qu'il est friand de provocations - Il a même remplacé « Amen » par «
C'est ma foi ». Le sniper du sacré ? « Je suis un objet de scandale, car je travaille à
débondieuser, déchristianiser, déshelléniser, délatiniser, "défrançais-courantiser" la Bible
», rétorque-t-il dans un éclat de rire. De l'espoir pour lui ? Un siècle après la mort du
traducteur sur un bûcher, c'est le texte de William Tyndale qui a permis d'établir la King
James Version. Cette Bible est aujourd'hui une référence en Grande-Bretagne.
Jérôme Cordelier
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Prologue
Qu’est-ce que la Bible ?
Le cœur de la Bible hébraïque est un récit épique qui décrit l’émergence du peuple d’Israël
et sa relation constante avec Dieu. A l’encontre d’autres récits mythologiques du Proche-
Orient, la Bible s’ancre fermement dans l’histoire terrestre. Le drame divin se joue sous les
yeux de l’humanité. La Bible ne se contente pas de célébrer le pouvoir de la tradition et
des dynasties régnantes. Elle explique pourquoi l’histoire du peuple d’Israël – et du monde
entier – s’est déroulée selon un schéma dont l’issue dépend directement des
commandements et des promesses de Dieu. C’est le peuple d’Israël qui tient le rôle
central dans cette tragédie. Il appartient au peuple d’Israël – et, à travers lui, à tous les
lecteurs de la Bible – d’orienter le sort du monde.
I. La Bible hébraïque
Par « Bible », nous entendons essentiellement le recueil des textes anciens, longtemps
désigné sous le titre d’Ancien Testament, et qu’aujourd’hui les savants ont coutume
d’appeler la Bible hébraïque. C’est un assemblage d’histoires, de légendes, de textes de
lois, de poèmes, de prophéties, de réflexions philosophiques, composés pour la plupart en
hébreu. La Bible se divise en trente-neuf livres qui, à l’origine, étaient classés par auteurs
ou par sujets – ou bien, pour des ouvrages plus longs comme les livres 1 et 2 de Samuel,
les livres 1 et 2 des Rois, les livres 1 et 2 des Chroniques, d’après la longueur étalon des
rouleaux de parchemin ou de papyrus utilisé. La Bible hébraïque sert de fondement
spirituel au judaïsme ; elle constitue la première partie du canon du christianisme ; l’Islam
aussi la considère comme une source d’inspiration et d’enseignement éthique d’une
grande richesse, transmise par l’intermédiaire du Coran. La tradition divise la Bible
hébraïque en trois parties principales.
La Torah ou Pentateuque : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le
Deutéronome.
En premier lieu, vient la Torah, appelée également les cinq livres de Moïse ou
Pentateuque (« cinq livres », en grec). Elle inclut la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les
Nombres et le Deutéronome. Elle raconte l’histoire du peuple d’Israël, à commencer par la
création du monde, suivie du Déluge, de la vie des patriarches, de la sortie d’Egypte, de la
traversée du désert et de la remise des Tables de la Loi sur le mont Sinaï. La Torah se
termine par les adieux de Moïse au peuple d’Israël.
Les Prophètes : les « premiers prophètes » et les « derniers prophètes ».
Les « premiers prophètes » (Josué, les Juges, les livres 1 et 2 de Samuel, les livres 1 et 2
des Rois) narrent l’histoire du peuple d’Israël en partant de la traversée du Jourdain et de
la conquête de Canaan, suivies de l’ascension et de la chute des royaumes israélites, puis
de leur défaite et de leur exil sous les coups des Assyriens et des Babyloniens.
Les « derniers prophètes » (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas,
Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie) rassemblent un série
d’oracles, de directives sociales, d’âpres admonestations, qui expriment l’attente
messianique d’un ensemble d’individus diversement inspirés sur une période d’environ
trois siècles et demi, entre le milieu du VIIIe siècle et la fin du Ve siècle avant notre ère.
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Les Ecrits : les Psaumes, les Proverbes, Job, le Cantique des Cantiques, Ruth, les
Lamentations, l’Ecclésiaste, Esther, Daniel, les livres 1 et 2 des Chroniques, Esdras et
Néhémie.
Les Ecrits expriment, de façon mémorable et frappante, la dévotion de l’Israélite ordinaire
en des temps de joie, de crise, de vénération ou de réflexion personnelle. Dans la plupart
des cas, il est extrêmement difficile de les relier à des évènements historiques ou à des
auteurs déterminés. Bien que les premiers textes aient pu être rassemblés au cours de la
période monarchique tardive, ou aussitôt après la destruction de Jérusalem, en 586 av.
notre ère, la plupart de ces écrits paraissent avoir été composés plus récemment, entre le
Ve et le IIe siècle av. notre ère, au cours des périodes perse et hellénistique.
II. Du jardin d’Eden à Sion
L’histoire biblique débute au jardin d’Eden ; elle se poursuit avec Caïn et Abel, puis Noé et
le Déluge, pour se concentrer finalement sur le sort d’une seule famille, celle d’Abraham.
Abraham, que Dieu a choisi pour devenir le père d’une grande nation, observe, avec une
obéissance farouche, les commandements divins. Il quitte, avec sa famille, sa demeure
située en Mésopotamie pour se rendre au pays de Canaan. Là, au cours de sa longue
existence, il nomadise, étranger au milieu de la population autochtone. Son épouse Sara,
lui donne un fils, Isaac, qui héritera des promesses divines faites en premier lieu à son
père. Le fils d’Isaac, Jacob – qui représente la troisième génération de patriarches – sera
le père des douze tribus. Au cours d’une existence chaotique, haute en couleur, Jacob
élève sa grande famille et parcourt le pays en y construisant des autels ; c’est en luttant
avec un ange qu’il reçoit le nom d’Israël, nom qu’il léguera à ses descendants. La Bible
raconte alors les querelles qui opposent les douze fils de Jacob, les travaux qu’ils mènent
en commun, puis la grande famine qui les contraints à quitter leur terre natale pour se
réfugier en terre égyptienne. Dans ses dernières volontés, Jacob, le patriarche, confie à la
tribu de son fils Juda la responsabilité de régner sur les onze autres tribus (Gn 49,8-10).
La grande saga quitte alors le registre du drame familial pour se transformer en fresque
historique. Le Dieu d’Israël fait au pharaon égyptien la démonstration éclatante de ses
pouvoirs impressionnants. En effet, les enfants d’Israël se sont multipliés au point de
devenir une grande nation, mais, réduite en esclavage, ils subissent le sort des minorités
opprimées ? Condamnés aux travaux forcés, ils participent à la construction des grands
monuments élevés à la gloire du régime pharaonique. Désireux de se faire reconnaître du
monde entier, Dieu choisit alors Moïse pour lui servir d’intermédiaire dans la tâche de
libérer les Israélites afin qu’ils puissent se mettre en quête de leur véritable destin. Dans
ce qui constitue peut-être la série d’événements la plus dramatique de toute la littérature
occidentale, le Dieu d’Israël guide les enfants d’Israël hors d’Egypte jusque dans le désert.
Au mont Sinaï, Dieu, non content de révéler à son peuple sa véritable identité sous le nom
de YHWH (appellation sacrée composée de quatre lettres hébraïques), leur remet
également un code légal pour les guider dans leur vie collective et individuelle.
Ce contrat sacré passé entre YHWH et son peuple, gravé dans la pierre et scellé dans
l’Arche d’alliance, servira aux Israélites d’étendard de bataille dans leur marche vers la
Terre promise. Dans d’autres cultures, un tel mythe fondateur se serait peut-être arrêté à
ce moment. Mais la Bible, elle, a encore des siècles et des siècles d’histoire à nous
conter. En effet, la conquête triomphale du pays de Canaan, la fondation d’un vaste
empire par le roi David, la construction d’un Temple majestueux par Salomon, tous ces
exploits seront suivis des drames du schisme, de rechutes à répétition dans l’idolâtrie et,
finalement, de l’exil. En effet, la Bible décrit comment, peu après la mort de Salomon, les
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dix tribus du Nord secoueront le joug des rois davidiques de Jérusalem pour se séparer de
la monarchie unifiée, donnant ainsi naissance à deux royaumes distincts et rivaux : au
nord, celui d’Israël, et au sud, celui de Juda.
Pendant les deux siècles suivants, le peuple d’Israël vit donc sous la tutelle de deux
royaumes indépendants. Toujours d’après la Bible, les dirigeants du royaume du Nord
sont d’une impiété invétérée ; mais certains rois de Juda n’échappent pas non plus à
l’opprobre. Las de ces infidélités, Dieu finit par châtier son peuple en lui envoyant des
tyrans envahisseurs. Les premiers sont les Araméens de Syrie, qui harcèlent le royaume
d’Israël. Puis, en 722 av. notre ère, viendra le tour du puissant Empire assyrien, qui pille et
détruit les cités du Nord, forçant une grande partie de la population des dix tribus nordistes
à s’exiler. Le royaume de Juda est épargné pendant plus d’un siècle, mais sa population
ne peut échapper éternellement au jugement de Dieu. En 586 av. notre ère, le brutal
empire babylonien décime l’ensemble du territoire et réduit en cendres Jérusalem et son
Temple.
Après une telle tragédie, le récit biblique s’écarte dramatiquement, et de façon
caractéristique, du schéma habituel des épopées religieuses de l’Antiquité. Dans ce genre
de narration, généralement, la défaite d’un dieu par une armée ennemie entraîne la fin de
son culte. Dans la Bible, en revanche, le pouvoir du Dieu d’Israël ne cesse de grandir à la
suite de la chute de Juda et de l’exil des Israélites. Ne vient-il pas de manipuler les
Assyriens et les Babyloniens, contraint de le servir en devant ses agents involontaires
pour infliger au peuple d’Israël la châtiment de son infidélité ?
Dorénavant, le retour à Jérusalem d’un certain nombre d’exilés et la reconstruction du
Temple, marquera, pour Israël, la fin de la période monarchique et le début de sa mutation
en une communauté religieuse, soumise à la loi divine. Tout le pouvoir de la Bible réside
dans cette surprenante insistance sur la responsabilité humaine.
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 21 à 28 –
filio127histoire]
Les trois piliers de la Bible hébraïque
La Bible hébraïque, ou l'Ancien Testament des chrétiens, se compose de trois grandes
parties : la Torah ou Pentateuque (ce nom désigne les cinq livres qui y sont regroupés),
les Prophètes et les Écrits. Pour les Juifs, ces trois parties n'ont pas la même valeur : le
judaïsme trouve son fondement et son identité dans la Torah, véritable cœur de la Bible
hébraïque.
On peut distinguer dans le Pentateuque deux grands ensembles. D'une part, le livre de la
Genèse ouvre la Bible, et pose les questions des origines du monde et de l'homme. En
racontant ensuite l'histoire des patriarches, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et de leurs
femmes, il relate l'origine du peuple d'Israël mais pas seulement, car les patriarches sont
aussi les parents de la plupart des voisins d'Israël. D'autre part, suite à la Genèse, les
livres de l'Exode et des Nombres, le Lévitique et le Deutéronome forment un deuxième
ensemble : il s'agit de l'histoire de Moïse de sa naissance à sa mort, de la libération
d'Israël des corvées d'Égypte et de son séjour dans le désert.
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La deuxième partie de la Bible hébraïque, les Prophètes, reprend le fil narratif et raconte
d'abord, dans les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois, l'histoire d'Israël
depuis la conquête militaire du pays sous Josué, l'établissement de la royauté avec Saül,
David et Salomon jusqu'à la chute de la royauté judéenne et la destruction de Jérusalem
en 587 avant notre ère. Ces livres, qui se terminent sur l'échec de la royauté et des
institutions politiques, sont suivis de la collection des livres prophétiques proprement dits,
qui permettent de mieux comprendre les raisons de la catastrophe. Selon les prophètes,
elle découle du rejet par le peuple et par ses responsables des exigences divines de
justice et de la vénération exclusive de Yahvé. Mais ces livres contiennent aussi des
promesses de renouveau, d'une restauration et d'un temps de salut à venir.
Les Écrits regroupent des livres qui sont, pour la plupart, des réflexions sur la condition
humaine et sur la relation souvent difficile entre l'homme et Dieu (Job et l'Ecclésiaste).
Mais on trouve aussi les Psaumes ou le Cantique des cantiques dans les Écrits. Ces livres
concernent donc l'identité de l'homme qui, dans l'Antiquité, ne peut se définir autrement
que par rapport au monde divin.
Il faut enfin signaler que le christianisme adopte, selon ses confessions, deux Anciens
Testaments différents. Le catholicisme, qui se base sur la traduction grecque de la Bible
juive, la Septante, y inclue un certain nombre de livres dits « deutérocanoniques »
(Maccabées, Siracide, etc.) et organise le texte en quatre parties : le Pentateuque, les
livres historiques, les Écrits et les Prophètes. Le protestantisme ne retient que les livres de
la Bible hébraïque, mais organise l'Ancien Testament également en quatre parties, comme
le catholicisme. La traduction œcuménique de la Bible reprend la tripartition du judaïsme.
[Thomas Römer, Docteur en théologie, professeur d'Ancien Testament à la faculté de
théologie et de sciences des religions de l'université de Lausanne, et professeur au
Collège de France - Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
Comment la Bible nous est parvenue
Yahvé dit à Moïse : « Mets par écrit ces paroles, car elles sont les clauses de l'Alliance
que je conclus avec toi et avec Israël. » Tels sont les mots que donne à lire, traduits en
notre langue, le verset 27 du chapitre 34 du livre de l'Exode, le deuxième de l'Ancien
Testament qui compose lui-même la première partie de la Bible chrétienne. Tout paraît
simple : après avoir guidé les Hébreux hors d'Egypte vers le pays de Canaan, le prophète
Moïse, qui vécut au XIIIe siècle avant notre ère, a consigné, sous l'inspiration divine, la Loi
que Dieu destinait au peuple juif, et cette évidence s'imposa jusqu'à une époque assez
récente. Tout s'est compliqué depuis que la science s'en est mêlée : outre l'existence
improbable de Moïse, l'absence d'écriture hébraïque à son époque supposée et la réalité
très douteuse de la sortie d'Egypte, le lieu, la date, les conditions de rédaction de l'Exode,
comme de l'ensemble des Ecritures, demeurent recouverts d'une ombre épaisse. En
vérité, le caractère prodigieux de la Bible tient à ce que son texte est parvenu jusqu'à
nous. Encore n'est-il pas sûr que son élaboration soit achevée, l'archéologie pouvant
encore réserver quelques surprises. N'a-t-on pas publié pour la première fois en 1963 un
151ème psaume en hébreu, trouvé à Qumran ?
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Prenons la mesure du temps : la plus ancienne trace matérielle du texte biblique se trouve
sur un bijou remontant au début du VIe siècle avant notre ère, portant les quatre lettres
hébraïques du nom du dieu d'Israël, YHWH, et un passage des Nombres, le quatrième
livre. Mais le premier manuscrit complet de la Bible en hébreu dont nous disposons date
du XIe siècle après J.-C. Autant dire que, en plus de mille cinq cents ans, le texte biblique
a traversé bien des vicissitudes et vécu plusieurs vies.
C'est que la Bible elle-même est plurielle. Son nom français transcrit un féminin singulier
latin qui lui-même vient d'un neutre pluriel grec signifiant « collection de livres ». Selon les
différentes traditions, ces livres ne sont pas les mêmes. Les Bibles hébraïque et grecque,
qui ne contiennent que l'Ancien Testament, ne comportent pas le même nombre de livres.
Les Bibles chrétiennes ne sont pas non plus identiques, ni pour l'Ancien ni pour le
Nouveau Testament. La Bible latine catholique, dont le texte réputé authentique n'a été
publié qu'en 1592, est plus longue que les Bibles réformées de Luther et Calvin. La
version de l'Eglise orthodoxe syrienne est sans doute la plus courte, avec 22 livres pour le
Nouveau Testament, celle de l'Eglise orthodoxe éthiopienne la plus longue, avec 35 livres.
Enfin, pour ajouter à la complexité, la Bible juive et la Bible chrétienne ne présentent pas
dans le même ordre les écrits qui leur sont communs.
Cette diversité tient aux conditions dans lesquelles les Ecritures ont été élaborées et
transmises. Dans ce domaine, le savoir a considérablement progressé depuis cinquante
ans grâce à la découverte des manuscrits de la mer Morte et à l'exhumation des
civilisations du Proche-Orient, en particulier mésopotamiennes. Du coup, la légendaire
simplicité biblique a fait place à des interprétations multiples, et parfois polémiques. De
façon générale, les savants confessionnellement les plus engagés sont ceux qui
accordent le plus de crédit aux informations fournies par la Bible et font remonter sa
rédaction le plus haut dans le temps. Voici donc des conclusions qui ne sont en fait que
des hypothèses.
Pour qu'un texte soit rédigé, il faut une langue, une écriture, un milieu culturel relativement
structuré et conscient de lui-même. Ces éléments apparaissent, entre le Jourdain et la
Méditerranée, entre les monts du Liban et le désert de Judée, au IXe siècle avant notre
ère. La langue et l'alphabet hébreux paraissent fixés, et le cadre sociopolitique est
désormais celui de la royauté. C'est en effet en 853 qu'est mentionnée pour la première
fois dans un document non biblique, assyrien en l'occurrence, l'existence d'un royaume
d'Israël, sous son souverain Achab. Durant les trois siècles de cette période royale,
historiquement de plus en plus précise parce que les sources extérieures tout comme les
informations contenues dans le texte biblique augmentent en nombre et en qualité,
commence la rédaction des livres bibliques. Non pas par le commencement, par la
Genèse, qui va depuis la création du monde jusqu'à la mort de Joseph, fils de Jacob, mais
par l'histoire des premiers rois, de Saül à Salomon, grâce aux archives royales conservées
à Samarie, capitale d'Israël, le royaume du Nord détruit par les Assyriens en - 722, et à
Jérusalem, capitale de Juda, le royaume du Sud, mis à bas par les Babyloniens en - 587.
Les paroles de certains « petits prophètes », actifs au VIIIe siècle, comme Amos, Osée et
Michée, pourraient avoir été consignées très tôt après leur prédication et constituer les
livres bibliques les plus anciens. Les traditions relatives à des personnages importants
dont des sanctuaires conservaient ou fabriquaient la mémoire, comme Jacob à Béthel,
Josué à Sichem, Samuel à Silo, ont pu alors être transcrites.
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La prise de Jérusalem, en - 587, par le roi Nabuchodonosor et l'exil des élites judéennes à
Babylone durant cinquante ans marquent une rupture très profonde. Le sort du peuple
hébreu, l'état de ses relations avec son Dieu donnent lieu à de vives réactions dont
témoignent les prophéties d'Ezéchiel, contemporain de l'événement. Avec le retour d'exil,
à partir de - 538, s'ouvrent les deux siècles de la domination perse, scripturairement la
plus féconde. Gouvernés par un satrape, privés d'organisation politique propre, menacés
culturellement par l'influence perse et l'expansion de sa langue, l'araméen, au détriment
de l'hébreu, les Judéens réinvestissent leur identité et s'affirment comme un peuple
homogène dans la consignation d'une origine, d'une histoire, d'une loi et d'une foi
communes, exprimées dans la langue supposée de Moïse, de Samuel et de David.
Yahvé, jusque-là divinité du seul peuple hébreu, est considéré comme le dieu unique et
vrai à l'exclusion de tous les autres. Les éléments déjà rédigés font l'objet d'une réécriture
tenant compte des préoccupations nouvelles, des compléments y sont introduits, des
textes supplémentaires sont élaborés, et tous ces livres sont eux-mêmes mis en ordre, en
particulier la Torah, connue en grec sous le nom de Pentateuque, qui regroupe les cinq
premiers livres bibliques définitivement mis au point, de la Genèse au Deutéronome.
Lorsque, à partir de - 332, le Proche-Orient passe sous la souveraineté grecque
d'Alexandre, l'établissement du corpus biblique est bien avancé. Ne s'y ajouteront, à
l'époque hellénistique, que des romans comme Tobie, Esther et Judith, des suppléments
historiques tels qu'Esdras et Néhémie, des traités de Sagesse avec le Qohélet (ou
Ecclésiaste) et le Siracide (ou Ecclésiastique), et un ultime livre prophétique, celui de
Daniel, rédigé vers -165, principalement en hébreu, mais avec des passages en araméen
et en grec, tandis que, rédigés un peu plus tard, les deux livres des Maccabées ne sont
connus qu'en grec.
C'est que cette langue est désormais celle de l'élite en Méditerranée orientale, tandis que
l'hébreu, même en Palestine, est de moins en moins compris. Aussi, à partir des années
250 fut entreprise une traduction en grec de l'ensemble des écrits hébraïques. Cette
version grecque de la Bible, dite des Septante, aboutit parfois à modifier le sens de
l'original hébraïque, comme l'explique vers -130 le petit-fils et traducteur de Jesus ben
Sira, auteur de l'Ecclésiastique : « Vous êtes invités à vous montrer indulgents là où, en
dépit de nos efforts d'interprétation, nous pourrions sembler avoir échoué à rendre
quelque expression ; c'est qu'il n'y a pas d'équivalence entre les choses exprimées
originairement en hébreu et leur traduction dans une autre langue ; bien plus, si l'on
considère la Loi elle-même, les Prophètes et les autres livres, leur traduction [celle des
Septante] diffère considérablement de ce qu'exprime le texte original. » De fait, à la fin du
Ier siècle de notre ère, des maîtres juifs rassemblés au sud de Jaffa ne retinrent pour
constituer, désormais, la Bible hébraïque que les livres rédigés et transmis en hébreu,
rejetant l'ensemble de la Bible grecque. Or c'est par la Septante que le monde gréco-
romain eut accès à l'Ancien Testament.
Le Nouveau Testament ne fut guère plus aisé à établir que le canon hébraïque.
Naturellement, nous ne possédons aucun manuscrit contemporain de sa rédaction. Sans
doute l'écriture des livres néotestamentaires est-elle beaucoup plus resserrée dans le
temps que celle de la Bible hébraïque, puisqu'elle va des premières lettres de Paul, juste
avant 50, à l'Evangile de Jean, dont le premier fragment manuscrit connu date de 125.
Mais ce n'est qu'au IVe siècle que, dans la masse des écrits christologiques disponibles,
furent retenus les 27 livres, de l'Evangile de Matthieu à l'Apocalypse, qui forment
aujourd'hui les Nouveaux Testaments occidentaux.
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
12
A la fin de l'Antiquité, le grec n'était plus guère compris en Occident, donc les
communautés chrétiennes eurent besoin de textes accessibles. Des traductions latines
furent entreprises, que Jérôme, au tournant des IVe et Ve siècles, reprit pour établir une
Bible latine appelée par la suite Vulgate, qui s'imposa au Moyen Age et demeura pendant
des siècles celle de l'Eglise catholique romaine. Au XVIe siècle, sous l'impulsion de
l'humanisme et de la Réforme, et aussi de l'imprimerie, réapparurent des textes bibliques
établis sur les « originaux » hébreux et grecs, à partir desquels furent publiées des
traductions en langues modernes, en allemand par Luther en 1534, en français par
Castellion en 1535. C'est alors que l'organisation des livres bibliques en chapitres,
attribuée à l'évêque anglais Etienne Langton, au début du XIIIe siècle, fut complétée par la
division en versets, due aux premiers imprimeurs parisiens. La Bible est bien une création
continue
[Laurent Theis, Le Point des 19-26 décembre 2003]
La Bible à l'épreuve de l'archéologie
Entretien(s) avec Israël Finkelstein, le point de vue de l'archéologue
Le Point
L. P. : « La Bible dévoilée » : un titre un tantinet provocateur face aux croyants, pour qui la
Bible est la vérité révélée...
Israël Finkelstein : Le texte biblique est d'abord un guide de la foi. En ce qui me
concerne, il est très important comme fondement de mon identité juive et de la culture
occidentale judéo-chrétienne. Cela étant, le mot « dévoilée » prend tout son sens en
termes d'archéologie. Jusqu'ici, en effet, la plupart des livres traitant de ce sujet mettaient
au premier plan le récit de la Bible et utilisaient l'archéologie comme illustration. Notre
position (celle de Neil Asher Silberman et la mienne) est radicalement différente. Elle se
fonde sur la recherche archéologique, qui, en exhumant le quotidien de ces populations,
permet une reconstitution neutre de l'histoire du Proche-Orient.
Notre seconde innovation concerne l'historicité de la Bible. Au contraire des tenants de
l'archéologie biblique traditionnelle, nous remettons totalement en question la chronologie
biblique. Je m'explique : si on s'appuie sur le système des « séquences » du récit biblique
pour étudier l'histoire des Israélites, on part de la période des Patriarches pour arriver au
royaume de Juda en passant par l'arrivée en Egypte, puis la sortie d'Egypte, la conquête
de la Terre promise (le pays de Canaan), etc.
Dans ce cas de figure, tout est donc organisé et expliqué selon la chronologie biblique. Or,
avec moi, c'est tout le contraire. Conformément d'ailleurs à la grande école historique
française des Annales, je fais une histoire « régressive ». Je vais du plus récent au plus
ancien. Je pars d'un point dont je suis certain et, de là, je reconstitue ce qu'il y avait avant.
Une fois que j'ai pu vérifier la concordance ou non des fouilles archéologiques, je prends
le texte biblique en me posant les questions suivantes : pourquoi ont-ils écrit cela ? Quels
étaient leurs objectifs ?
L. P. : Cela ne revient-il pas à créer deux histoires ?
I. F. : Tout à fait ! Prenons l'exemple du roi David. Vous conviendrez qu'il y a une
différence entre le David des cathédrales françaises et celui du récit biblique. Dans les
cathédrales, je n'ai vu ni Bethsabée ni tous ceux qui ont été tués par ce roi. Même chose
dans le judaïsme, où David nous est présenté comme le « roi » par excellence.
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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L. P. : Et là, vous expliquez que les royaumes de David et de Salomon n'ont pas existé, du
moins tels qu'ils sont présentés dans la Bible...
I. F. : S'il n'y a pas lieu de douter de l'existence historique de David et de Salomon, il y a
de fort bonnes raisons de remettre en question l'étendue et la splendeur de leurs
royaumes tels que le récit biblique nous les présente. David et Salomon étaient les
potentats ou, si vous préférez, les roitelets d'une toute petite cité-Etat, Jérusalem. Une ville
alors assez insignifiante. En fait, la Jérusalem du Xe siècle avant notre ère est tout au plus
un village typique des hautes terres. En matière de démographie, et selon les calculs de
population qui s'appliquent à cette époque, on trouve 5 000 habitants éparpillés entre
Jérusalem, Hébron et une vingtaine de villages de Juda, sans compter quelques groupes
épars de semi-nomades. Un pays largement rural, donc, et qui n'a laissé aucune trace de
documents, d'inscriptions, aucun signe de l'alphabétisation minimale qu'aurait nécessitée
le fonctionnement d'une monarchie digne de ce nom.
Dans l'Egypte de Ramsès II, au XIIIe siècle av. J.-C., l'époque supposée de l'Exode, eh
bien nous n'avons pas une seule inscription monumentale sur les murs des temples, pas
une seule inscription funéraire, pas un seul papyrus qui atteste la présence d'Israélites.
Pas non plus de vestiges archéologiques dans le Sinaï d'une quelconque errance de
quarante ans des Hébreux dirigés par Moïse.
L. P. : Et la conquête de la Terre promise par Josué ? Et l'installation des Israélites en
pays de Canaan ? Cela non plus n'a pas existé ?
I. F. : Le livre de Josué, qui retrace la conquête de Canaan (la Terre promise), nous décrit
une campagne militaire éclair au cours de laquelle les tribus israélites défirent sur le
champ de bataille les puissants rois de Canaan et héritèrent de leurs territoires. Un texte
épique et qui compte certains des épisodes les plus saisissants, comme la chute des
murailles de Jéricho ou le soleil dont la course s'arrête à Gabaon. Mais les fouilles nous
fournissent les preuves flagrantes de l'importance de la présence égyptienne dans tout le
pays de Canaan durant le XIIIe siècle av. J.-C. On imagine mal les garnisons égyptiennes
chargées de la sécurité de Canaan se tourner les pouces pendant qu'une horde de
réfugiés, de surcroît échappés d'Egypte, répand la terreur à travers toute la province.
Les cités cananéennes de l'époque n'étaient pas les villes qu'elles deviendront plus tard.
En fait, la cité typique consistait alors en un palais, un temple et quelques édifices publics ;
le tout sans murs d'enceinte, sans fortifications. Aucune muraille ne peut donc s'écrouler.
Ce qui remet en question la véracité du récit concernant Jéricho.
L. P. : Et l'installation des Hébreux ?
I. F. : Sur ce point également, les témoignages archéologiques sont sans équivoque. Les
Israélites sont des autochtones. Autrement dit, c'est un processus interne à la société
cananéenne qui a permis l'émergence des Israélites. Mais, bien sûr, il s'agit d'un
processus fait de hauts et de bas, sur un long terme, et qui regroupe plusieurs vagues
d'occupations des hautes terres, suivies de récessions. Ce qui ne veut pas dire qu'une
dizaine, une vingtaine et même 200 personnes venues d'Egypte (ou de toute autre région,
d'ailleurs) ne se sont pas ajoutées au noyau central formé de gens du cru. Ce qui ne
signifie pas non plus que tous les Israélites venaient d'une société sédentaire. Au
contraire, je pense même que la plupart étaient, à l'origine, des nomades.
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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L. P. : Et, d'après vous, c'est ce décalage, ces contradictions même entre l'histoire
archéologique et l'histoire biblique qui imposent une datation tardive de la rédaction de
l'Ancien Testament ?
I. F. : Pas seulement. La recherche biblique a démontré que le récit de l'histoire d'Israël a
été rédigé au plus tôt à la fin de la période monarchique. Il apparaît très probable que le
texte biblique a été conçu autour de la fin du VIIe siècle av. J.-C., sous le roi Josias.
Rédigé par des lettrés de la cour de Jérusalem, il a avant tout des objectifs théologiques et
politiques. Au plan religieux, c'est une première cristallisation de l'idée de monothéisme
avec, pour les Israélites, l'obligation de croire en un dieu unique, dans un lieu unique, le
temple de Jérusalem, dans une seule capitale, Jérusalem, sous un seul roi qui est
descendant de la dynastie de David. Au plan politique, c'est aussi à ce moment-là, entre
630 et 609 av. J.-C., que le petit royaume de Juda va se constituer en grande nation en
tentant d'étendre son pouvoir sur l'ancien royaume du Nord, celui d'Israël (qui, à cette
époque, n'existe déjà plus), et face au puissant empire égyptien qui le menace.
L. P. : Vous voulez dire que la Bible serait quasiment un texte de propagande ?
I. F. : A l'époque de sa rédaction, la Bible constitue la première tentative d'écriture de
l'histoire d'un peuple, quels qu'en aient été les motifs. Dans les grands empires assyrien
ou babylonien, vous trouvez seulement des annales royales du style « moi le roi X, j'ai
conquis tel pays et telle ville. J'ai construit ceci. J'ai reçu tel ou tel tribut, etc. ». Au-delà du
message théologique de l'Ancien Testament - la mise en ordre des relations entre Dieu et
son peuple -, il y a un aspect concret qui expose les buts, les besoins et les objectifs de la
lignée royale. Si on prend comme exemple le livre de Josué, il est certain qu'il illustre les
soucis les plus profonds et les plus pressants du VIIe siècle av. J.-C. Dans ce contexte, la
Bible pourrait être considérée comme un document de propagande, même si je me refuse
à utiliser ce terme et que je pense que ce n'en était pas le seul but.
L. P. : Comment le petit royaume de Juda, dont vous dites qu'il s'agissait d'une entité
marginale, périphérique, provinciale, a-t-il pu donner naissance à un tel texte ?
I. F. : C'est ce qu'il y a de plus intéressant dans toute cette histoire. Alors qu'à la même
époque vous avez les empires assyrien, babylonien, égyptien, aux civilisations si raffinées,
c'est dans un royaume sans aucune puissance économique, militaire et d'une grande
pauvreté culturelle - pas d'architecture monumentale ou autre ; pas d'art décoratif
grandiose ; pas même un mur droit - qu'on assiste à un souffle créateur incroyable qui va
donner naissance à cette saga puissante. C'est une leçon extraordinaire concernant les
ressorts et les mystères de la créativité. Car, qu'on ne se méprenne pas, je respecte la
dignité, la complexité, la profondeur et l'existence propre d'un texte qui est l'expression
unique de thèmes éternels et fondamentaux.
[Propos recueillis par Danièle Kriegel, Le Point des 19-26 décembre 2003]
Le Monde des Religions
M. R. : Quand la Bible a-t-elle été rédigée ?
Israël Finkelstein : La Bible n'a pas été écrite en une fois, mais sur une très longue
durée, entre la fin du VIIIe siècle et le IIe siècle avant notre ère. Une partie semble avoir
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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été conçue sous le règne de Josias, au VIIe siècle, dans une Jérusalem nouvellement
prospère. C'est le travail de scribes de la cour judéenne qui ont compilé un ensemble de
souvenirs historiques, de légendes et de propagande royale. Certains textes ultérieurs ont
été compilés par des prêtres. Et il y a bien sûr les textes prophétiques, les textes de
sagesse et autres dont la mise en forme s'étend sur plusieurs siècles.
M. R. : Quel était le contexte politique de cette époque ?
I. F. : Le royaume de Juda était alors sous domination assyrienne. Cela soulevait de
lourdes questions d'identité nationale, de réflexion sur la place et l'importance de Juda
dans le monde environnant. Dans ce contexte, s'est peu à peu constitué un ferment de
créativité et de spiritualité dans le royaume de Juda. Les auteurs de la fin du VIIIe siècle
avaient deux objectifs principaux : l'un politico-religieux, à savoir la volonté de
centralisation du culte autour du Temple de Jérusalem ; l'autre, l'absorption des territoires
de l'ancien royaume du nord - Israël -, en profitant du retrait des Assyriens. Les auteurs
des phases postérieures avaient quant à eux des objectifs différents, qui ressortent en
particulier de la place des prêtres dans la société à l'époque du « Second Temple ».
M. R. : Quels types de recherches donnent ce genre d'informations ?
I. F. : Les recherches archéologiques s'intéressent à la culture matérielle, à l'économie et
à la société, alors que l'étude littéraire du texte, au-delà des qualités d'écriture, atteste des
connaissances cognitives et culturelles et des systèmes de valeurs des Hébreux. Chacune
apporte son propre éclairage sur la période de compilation des textes et sur la réalité qui
se cache derrière les mots. Par exemple, la recherche linguistique a permis de mettre en
lumière la différence entre l'hébreu classique de Jérusalem au VIIe siècle, et celui de la
période suivant l'exil de Babylone, au VIe et Ve siècle avant notre ère. La recherche
archéologique, quant à elle, peut identifier la réalité historique sous-jacente à certains
textes.
M. R. : Concluez-vous de vos recherches qu'Abraham, Isaac et Jacob ont réellement
existé ?
I. F. : Comme archéologue, je ne peux pas dire si un simple individu a vécu ou non ! Ce
que je peux dire, c'est que les anecdotes qui accompagnent la saga des Patriarches, la
présence de chameaux domestiqués comme bêtes de somme, par exemple, ou bien la
mention des Philistins et des Araméens dans le livre de la Genèse sont antinomiques de
la période qui est sensément décrite. Leur occurrence correspond plutôt à l'époque de
l'existence des royaumes d'Israël et Juda. Certains éléments de la Genèse correspondent
même à des réalités encore plus tardives. Mais les Patriarches, en tant que personnes,
peuvent très bien avoir été des héros dont les mythes ont été transmis, dans un «
habillage » littéraire et anecdotique pouvant « parler » de façon convaincante aux
auditoires.
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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M. R. : Quand votre livre La Bible dévoilée, écrit avec l'historien Neil Asher Silberman, a
été publié, il a choqué, notamment parce qu'il remettait en question la véracité de
l'esclavage en Égypte et de l'Exode...
I. F. : Il n'y a pas de preuve archéologique de l'Exode ni de l'esclavage, ni de mention
égyptienne de l'émigration massive d'un peuple, alors que les registres étaient bien tenus.
Mais le texte parle d'un contexte qui a bien existé sur une longue période, à savoir les
relations entre l'Égypte et Canaan, le refuge en Égypte de Cananéens menacés chez eux
par la famine. Sur la base de mes recherches, je soutiens que ces thèmes de l'Exode, qui
reflètent des traditions anciennes, ont été mis par écrit dans le contexte des aspirations de
la période de la royauté tardive et sans doute aussi des époques postérieures.
M. R. : Si, selon vous, ils ne venaient pas d'Égypte, qui étaient alors les premiers Israélites
qui ont peuplé Canaan ?
I. F. : À partir de la fin du XIIIe siècle avant notre ère, on atteste l'établissement de proto-
Israélites dans les hautes terres. Mais en réalité, ce sont des autochtones ! La plupart sont
des bergers nomades de Canaan qui se sont sédentarisés, après la chute du système
égypto-cananéen. Depuis le IVe millénaire avant notre ère, on retrouve dans tout le
Moyen-Orient cette facilité à se convertir, selon les circonstances socio-économiques, de
pasteurs nomades en agriculteurs sédentaires, et vice-versa. Au début, il est difficile de
les distinguer, archéologiquement parlant, de leurs voisins - les différences étant sans
doute du domaine des mentalités et des connaissances.
M. R. : La description de ces petits villages ne ressemble pas à ce que la Bible raconte de
la création du royaume d'Israël, autour de la grande Jérusalem.
I. F. : L'archéologie ne trouve pas la moindre preuve de l'existence d'une Jérusalem
splendide à l'époque des rois David et Salomon (Xe s. av. notre ère). À cette époque, ce
devait être un village. Et il n'y avait pas non plus de royaume unifié, s'étendant sur de
larges territoires. En revanche, Jérusalem est devenue une grande cité au VIIIe siècle. Les
rédacteurs de la Bible ont donc en fait décrit leur propre ville. Cela dit, il n'y a pas de
raison de nier que Jérusalem ait existé avant, ni de nier l'existence des rois David et
Salomon, ni même celle d'un palais et d'un temple servant en quelque sorte de sanctuaire
royal, comme c'était le cas dans tout le Proche-Orient ancien. Dans l'histoire de David
contée par la Bible, il y a sûrement des fragments historiques originaux. Ce n'est pas tout
l'un ou tout l'autre. Bien que l'ensemble ait été mis par écrit à partir de la fin du VIIIe siècle,
et en majorité au VIIe siècle, il y a aussi des passages qui décrivent des éléments
d'histoire plus anciens.
M. R. : La Bible a-t-elle été écrite par des monothéistes, au sens où on l'entend
aujourd'hui ?
I. F. : Il n'existait pas de réel monothéisme dans le royaume de Juda, même s'il y en avait
déjà des racines dans la société du VIIe siècle avant notre ère. Il y avait un dieu national,
Les sources bibliques du christianisme
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principal, le dieu d'Israël, mais les auteurs bibliques connaissaient l'existence de cultes
d'autres déités. La véritable naissance du monothéisme, tel que nous l'entendons de nos
jours, date du début de la période du «Second Temple », c'est-à-dire la période qui suit
l'exil de Babylone et le retour d'une élite judéenne à Jérusalem.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
Qui a écrit la Bible ?
Selon la vision traditionnelle juive et chrétienne, Moïse aurait écrit le Pentateuque. Mais
cette vision ne repose sur aucune base historique et il est impossible que le Pentateuque
soit l'œuvre d'un seul auteur. On peut y observer des styles forts différents, voire des
contradictions. Selon le chapitre 4 de la Genèse (verset 24), l'humanité appelle Dieu par
son propre nom, Yahvé, dès les origines du monde, tandis que dans le livre de l'Exode
(aux chapitres 3 et 6), ce nom n'est révélé qu'à l'époque de Moïse. On constate également
la présence de nombreux doublons. Le Pentateuque comporte dans ses deux premiers
chapitres deux récits de création. Plus loin, Yahvé fait deux fois alliance avec Abraham. Et
il existe différents codes législatifs qui ne concordent pas toujours entre eux.
Dès le milieu du XIXe siècle, ces observations mènent à l'élaboration de l'hypothèse de la
« théorie documentaire ». Cette théorie part de l'idée que le Pentateuque se compose de
quatre documents différents, à l'origine indépendants les uns des autres, et
successivement mis ensemble par des rédacteurs travaillant par coupures et collages. Le
plus ancien est le document dit « yahviste » (car on y trouve une préférence pour le nom
divin de Yahvé), probablement élaboré sous le règne du roi Salomon, vers 930 avant notre
ère. Des études épigraphiques ont en effet démontré que ce n'est qu'à partir du VIIIe
siècle avant notre ère que des documents écrits sont apparus de manière significative
dans le royaume de Juda.
Durant les VIIIe et VIIe siècles avant notre ère, les royaumes d'Israël et de Juda sont sous
occupation assyrienne. Leurs élites subissent une forte influence idéologique : les rois
assyriens expriment leur domination à l'aide de traités de vassalité dans lesquels les
vassaux sont exhortés à une loyauté sans faille. La première édition du livre du
Deutéronome contient de nombreux parallèles avec les traités de vassalité assyriens, qui
ordonnent constamment d'aimer le roi d'Assyrie. « Tu aimeras Assurbanipal, le grand
prince héritier, comme toi-même », édicte un traité de 672 avant notre ère. Le
Deutéronome contient la même idée : « Tu aimeras Yahvé, ton Dieu, de tout ton cœur, de
tout ton être et de toute ta force » (6, 5). Les auteurs du Deutéronome ont très
certainement voulu présenter Yahvé à l'image d'un souverain assyrien imposant à ses
subordonnés un traité, une « alliance », dans le but apparent de contester la suprématie
assyrienne, déjà affaiblie à l'époque du roi Josias.
La première histoire de Moïse est également rédigée aux alentours du VIIe siècle avant
notre ère. Elle débute par la description de sa naissance, celle d'un enfant exposé et
miraculeusement sauvé, récit largement répandu dans le folklore. Dans sa version
primitive, ce récit ressemble surtout à la légende de la naissance de Sargon, roi
légendaire, mise par écrit au plus tôt au VIIIe siècle avant notre ère.
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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Cette histoire de Moïse ne peut pas être antérieure à cette époque : les scribes judéens,
ont, de toute évidence, construit la figure de Moïse à l'image du fondateur mythique de la
dynastie assyrienne, pour revendiquer la supériorité du dieu qu'il sert. En effet, dans la
suite de l'histoire, Yahvé et Moïse réussissent à vaincre l'Égypte, ce que les Assyriens
n'ont jamais pu faire, en dépit de tentatives répétées.
La destruction de Jérusalem et de son temple par les Babyloniens en 587 avant notre ère
provoque, dans l'ancien royaume de Juda, une immense crise idéologique. Les piliers
identitaires de ce peuple du Proche-Orient ancien - le roi, le temple et le pays - se sont
écroulés. Une première réaction à la crise est la construction de ce qu'on peut appeler «
l'histoire deutéronomiste ». Il s'agit de l'élaboration, par les anciens fonctionnaires de la
cour, d'une grande histoire d'Israël et de Juda depuis Moïse jusqu'à la destruction de
Jérusalem. Celle-ci cherche à démontrer que la destruction de Jérusalem et la déportation
d'une partie de la population ne sont pas dues à la faiblesse de Yahvé face aux divinités
babyloniennes. Au contraire, Yahvé se sert des Babyloniens pour sanctionner son peuple
et ses rois de ne pas avoir respecté les stipulations de son « alliance », consignées dans
le Deutéronome.
La population restée en Judée revendique la possession du pays, contre l'élite déportée,
en s'identifiant aux descendants du patriarche Abraham (Ézéchiel, 33, 24). Contrairement
aux textes deutéronomistes qui prônent une stricte séparation d'Israël face aux autres
peuples, l'histoire d'Abraham, composée durant le VIe siècle avant notre ère, insiste sur
une cohabitation pacifique de tous les peuples du Levant, lesquels entretiennent, selon le
récit de la Genèse, de nombreux liens de parenté par le truchement d'Abraham, père non
seulement d'Isaac mais aussi d'Ismaël, ancêtre des tribus arabes.
Pendant longtemps, les deux mythes originaires d'Israël, les Patriarches et l'Exode, ne
sont pas joints en une succession chronologique: ils restent concurrents. Mais au début de
l'époque perse, les rédacteurs issus du milieu des prêtres tentent d'harmoniser la tradition
patriarcale qui circule chez les Judéens non-exilés, et celle de Moïse et de l'Exode.
Moïse est la figure centrale du Pentateuque, probablement achevé vers 350 avant notre
ère : il reprend les fonctions du roi, puisqu'il promulgue la loi et est le médiateur par
excellence. Le Pentateuque se termine par sa mort : il voit le pays promis mais n'y entre
pas. Cette « fin ouverte » tient compte de la situation d'un judaïsme de diaspora, et signifie
aux Juifs qui vivent en dehors de la Palestine que le fondement de leur identité n'est pas
le pays mais la loi divine transmise par Moïse. Ainsi, le Pentateuque, qui est en majorité
un écrit des anciens exilés mais qui intègre aussi d'autres préoccupations, notamment
celles des Juifs de la diaspora, devient, pour reprendre une heureuse formule du poète
Heinrich Heine, une « patrie portative ». Là où il y a la Torah, se trouve aussi Israël.
Pendant environ deux siècles, seul le Pentateuque est considéré comme la Bible du
judaïsme. Les Samaritains, les habitants de l'ancien royaume d'Israël, adoptent en effet le
Pentateuque, mais pas les deux parties qui s'y ajoutent successivement. Pour s'opposer à
des mouvements apocalyptiques qui se légitiment par des visions prophétiques, les
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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responsables du Temple décident de canoniser les «vrais» livres prophétiques et
inventent une théorie considérant que la période perse marque la fin de la prophétie
inspirée.
À l'époque de la rédaction des Évangiles, la Bible hébraïque ne comporte que deux
parties, la Loi et les Prophètes. C'est ainsi que Jésus cite les écrits. La canonisation des
Écrits (Psaumes, livres de Job, Ecclésiaste etc) n'intervient que quelques siècles après la
destruction de Jérusalem en 70, en partie en réaction à l'influence grandissante du
christianisme. Mais aujourd'hui encore, le Pentateuque reste le centre de la Bible
hébraïque.
[Thomas Römer - Publié le 1 nov. 2008 - Le Monde des Religions n°32]
CONTROVERSES RABBINIQUES
Qui a écrit la Bible ?
La Bible est un ouvrage multiple. Sa première partie, le Pentateuque ou Torah, est la
plus essentielle dans la tradition juive. Elle est d'origine entièrement divine. D'après son
propre texte, la Torah a été écrite par Moïse sous la dictée de Dieu, sauf les derniers
versets, qui décrivent la mort de Moïse, et peuvent avoir été écrits par Josué. La Bible est
aussi composée de deux autres parties moins anciennes et moins essentielles, les
Prophètes et les Hagiographes.
Les travaux de l'archéologue Israël Finkelstein, entre autres, mettent en doute le fait que
le Pentateuque ait été écrit à une époque si ancienne, et avancent plutôt le règne de
Josias, au VIIe siècle avant notre ère. Ces affirmations ne nous font pas sursauter.
Personnellement, je n'y prête pas grand intérêt. Chacun est libre d'imaginer ce qu'il veut.
Mais le peuple juif croit depuis des générations à ce qui est écrit dans la Torah et il s'y
tient. Au fond, l'enjeu est le suivant. Dire que la Torah a été écrite sous Josias, qu'elle
transmet de simples mythes, c'est dire que le texte ment. Cependant, aucun archéologue
ne pourra jamais prouver formellement que le texte de la Torah est faux. Dans le texte,
tout se tient, il existe des calculs de dates qui le confirment. La Bible est un texte très
ancien, qui donne aussi des informations fiables sur le plan historique. Des textes antiques
en Mésopotamie relatent l'existence d'un « déluge ».
Y a-t-il eu influence des uns par les autres ?
Le déluge a été cosmique, universel. Les descendants de Noé, qui ont repeuplé la terre,
ont tous pu transmettre la mémoire de cet événement à différentes civilisations.
Pourquoi est-il si important de dire que le texte est d'origine divine ?
C'est un article de foi principal. Si le texte est d'origine divine, alors la Loi est divine. Le
fidèle, qui craint Dieu, doit s'y conformer strictement, au risque de le bafouer. Alors que si
la Loi est humaine, elle peut être contredite. L'absolu du texte interdit de modifier et
d'adapter les commandements. Les discours selon lesquels le texte est faux permettent de
Les sources bibliques du christianisme
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s'en affranchir avec une bonne conscience. J'ajoute que le libre-arbitre est malgré tout
présent dans la Bible. On peut demander : où est la liberté, dans une telle contrainte ? En
fait, c'est par l'octroi de commandements qu'advient la véritable liberté. D'abord parce que
chacun est libre de croire ou non, de respecter la Loi ou non. La divinité n'est pas perçue
par la conscience immédiate. Il n'y a pas de preuve matérielle de son existence,
seulement la transmission de cette croyance de génération en génération. On peut
l'accepter ou non. Il y a encore autre chose. L'homme naît esclave de ses passions. La
Torah fournit un code de vie, qui lui permet de s'épanouir dans son corps et son esprit en
s'en affranchissant. C'est cela, la liberté. C'est ce qui donne à la fois la sainteté et le
bonheur.
[Grand rabbin Michel Gugenheim est directeur de l'école rabbinique de France depuis
1992, et juge rabbinique auprès du Consistoire israélite de Paris - Publié le 1 novembre
2008 - Le Monde des Religions n°32]
La Bible est un classique, et comme disait Hemingway, « un classique est un livre dont
tout le monde parle mais que personne n'a lu ». Sur la question de savoir qui l'a écrite,
l'imagerie populaire repose bien souvent sur des rumeurs comme celle de la pomme
croquée par Adam et Ève et dont il n'y a pas la moindre trace dans la Bible. Il est donc
nécessaire d'interroger et de réinterroger les on-dit et les préjugés, comme celui de croire
que, de la première à la dernière lettre, la Bible a été donnée par Dieu à Moïse au XIVe
siècle avant notre ère. La tradition talmudique s'est penchée sur cette question avec la
volonté de sortir de cette croyance populaire.
Comment donc puis-je, à mon tour, en tant que rabbin qui lit ce texte fondateur de la
tradition biblique, concilier une approche critique qui en inclut la dimension mythologique
et la dimension traditionnelle ? Il semble, tout d'abord, évident que le Déluge n'a jamais
existé tel qu'il est raconté dans la Bible. La Genèse, comme les premiers textes de la Tour
de Babel, et ce jusqu'à Abraham, appartiennent, à mon sens, à la mythologie
mésopotamienne. Mais il faut bien comprendre que, quelque soit l'origine de l'événement
(qu'il ait existé ou pas, qu'il soit babylonien ou indien), à partir du moment où l'événement,
le Déluge par exemple, est raconté en hébreu, il se fait littérature. En ce sens, le peuple
juif est plus un peuple de lecteurs que de croyants.
Dès lors, la dimension mythologique du Déluge ne m'importe guère. Il devient un
paradigme de cataclysme, de catastrophe. Il permet de se confronter aux questions : que
faire aujourd'hui quand on est confronté à une catastrophe philosophique, psychologique
ou sociologique ? Avec nos enfants, notre couple, dans notre travail ? Ou devant un
événement traumatique ? C'est cela la Bible. Un ensemble de textes fondamentalement
méta-historique, où tout l'intérêt consiste à aller à l'origine de chaque mot pour savoir
comment ce mot fait sens, dans, et au-delà, du récit que je le lis. Dans la Bible, le monde
se mesure en pages et en lettres.
Ainsi, savoir que Moïse n'a pas écrit la Torah ne me gêne pas. Et l'existence ou la non-
existence des patriarches Abraham, Isaac et Jacob me laisse indifférent. Car pour le
Les sources bibliques du christianisme
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mystique, même l'existence de Dieu n'a aucune pertinence. Même Dieu est un « peut-être
», une hypothèse. Il a inventé le doute, enseigne un maître hassidique, pour que nous
puissions douter de lui. En dialogue et contre une parole théologique, imposée par le Dieu
biblique, il y a une parole des hommes, une liberté d'interpréter, pour Dieu et contre Dieu :
la parole du Talmud. La loi n'est pas un dogme mais une norme. On peut évoluer, pour
aller, comme dit Levinas, du « sacré » (qui est figé) au « Saint ». Le saint, c'est la
possibilité d'une transcendance, et la Bible est sainte parce que son « pouvoir dire » est
supérieur à son « vouloir dire ». Avoir Dieu en soi, c'est sentir que l'on est porté vers
quelque chose d'autre. En hébreu, le verbe être n'existe pas au présent. Être, c'est
risquer, se risquer à avancer dans la vie.
Si le christianisme est l'infini du divin, qui s'offre à la finitude des hommes à travers le
corps du Christ, le judaïsme est le Dieu infini qui s'est offert aux hommes dans la finitude
des lettres d'un livre. Responsabilité alors pour l'homme d'interpréter, de casser les lettres,
de « lire aux éclats » pour libérer Dieu et lui redonner son statut d'infini. Dieu sera ou ne
sera pas infini en fonction de l'infinité de l'interprétation des hommes.
[Marc-Alain Ouaknin, Rabbin et philosophe, professeur associé à l'université de Tel-Aviv -
Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
Aux sources de la Bible
La Mésopotamie
DÉLUGE, ALLIANCES ET PROPHÈTES
Pour l'historien qui lit les livres de la Bible, pas de doute possible : les auteurs de ces
écrits ont bien souvent utilisé des thèmes ou des structures littéraires déjà présents dans
des textes mésopotamiens. Plus généralement, même si elle est tenue pour « inspirée »,
la Bible ne peut pas être étudiée en faisant abstraction de son enracinement culturel dans
le Proche-Orient ancien, sauf à en faire une lecture littérale qui montre bien vite ses
limites. Les emprunts des auteurs bibliques au domaine mésopotamien sont manifestes.
Néanmoins, cette dépendance indéniable ne signifie nullement imitation : la comparaison
fait également ressortir l'originalité des livres bibliques.
Le cas le mieux connu est bien sûr celui du Déluge. Dans L'Épopée de Gilgamesh, le roi
d'Uruk, obsédé par la mort de son ami Enkidou, part à la recherche du secret de
l'immortalité. Il réussit à retrouver Outa-napishtim, le rescapé du Déluge. Celui-ci lui révèle
que, prévenu de l'imminence de la catastrophe par le dieu Ea, il a pu construire le bateau
qui lui a permis de survivre. Lors de la décrue, les dieux ont pris conscience que
l'éradication des hommes n'est pas une bonne chose. Comme ils sont heureux de voir qu'il
existe des survivants, ils accordent à Outa-napishtim et à sa femme l'immortalité.
Lorsque George Smith découvre en 1872 ce récit mésopotamien, le sens de l'emprunt
n'est alors pas évident : les tablettes cunéiformes qu'il a déchiffrées appartenaient à la
Les sources bibliques du christianisme
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bibliothèque du roi Assurbanipal à Ninive (VIIe siècle avant notre ère). Depuis, des
versions plus anciennes ont été retrouvées sur des tablettes babyloniennes du XVIIe
siècle avant notre ère. Il s'agit en particulier de l'histoire d'Atra-hasis, « le Très Sage », un
des noms du Noé babylonien. L'idée d'une catastrophe primordiale sous forme d'une
inondation dramatique se retrouve certes dans bien des civilisations. Cependant, une
comparaison détaillée entre le texte de la Genèse et celui des récits mésopotamiens
montre qu'il ne s'agit pas d'une rencontre accidentelle, mais bien d'un emprunt littéraire.
La façon dont, par exemple, un oiseau est lâché par trois fois pour savoir si la décrue a
laissé émerger des terres ne peut laisser de doute à cet égard, de même que le motif du
sacrifice final.
Le message biblique est néanmoins différent. En Mésopotamie, le panthéon est dépassé
par sa création. Les hommes, inventés pour travailler à la place des dieux et leur fournir
leur alimentation, deviennent trop nombreux et trop bruyants. Après plusieurs essais
(maladie, sécheresse, famine), le déluge est le moyen choisi par les dieux pour éliminer
l'humanité et leur permettre de retrouver le calme. Outa-napishtim doit son salut au dieu
Ea, qui n'est pas d'accord avec les autres divinités pour supprimer l'humanité. Dans la
Genèse, c'est la dégénérescence de l'humanité qui provoque le Déluge : Dieu intervient «
car la terre est remplie de violence » (Gen 6, 13). La raison est explicitement de nature
morale.
À la lumière des textes mésopotamiens, le « Décalogue » (ou encore les « Tables de la
Loi ») peut être compris, non comme un catalogue de prescriptions morales, mais comme
un véritable traité d'alliance que Dieu propose à son peuple de conclure au Sinaï. Le
modèle en est les traités mésopotamiens, remontant pour certains au XVIIIe siècle avant
notre ère (Mari, Tell Leilan), d'autres aux XIVe et XIIIe siècles avant notre ère (entre les
Hittites d'Anatolie et leurs vassaux de Syrie), d'autres de l'époque néo-assyrienne (VIIe
siècle avant notre ère). La comparaison entre les textes bibliques (Exode 19-24 et
Deutéronome 1-29) et ces traités permet de comprendre leur structure tripartite, qui
débute par un prologue historique et s'achève par des malédictions : les «
commandements » sont en fait les clauses de l'alliance, qui forment le cœur du texte. De
fait, la conclusion d'un traité d'alliance était chose courante dans le Proche-Orient du IIIe
au 1er millénaire. La nouveauté biblique est d'avoir transposé entre Dieu et son peuple ce
type de relations jusqu'alors réservées aux rois.
Pendant longtemps, les prophètes bibliques sont tenus pour uniques : l'idée qu'une
comparaison soit possible avec de vagues devins du monde polythéiste de la
Mésopotamie heurte bien des esprits. Il faut d'abord donner quelques définitions pour
écarter certaines ambiguïtés. Un prophète n'est pas avant tout quelqu'un qui prédit l'avenir
: c'est le « porte-parole » d'une divinité. Il s'agit d'une personne qui a une expérience
cognitive : de nature visuelle (« vision »), auditive (« voix ») ou mixte (« apparition »), en
état d'éveil ou lors d'un rêve. Le prophète, dépositaire de cette révélation, doit la
transmettre au destinataire du message divin : une personne (notamment le roi) ou un
groupe. Cette transmission peut se faire sous forme verbale (« prophétie » ou « discours
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prophétique »), qu'elle soit directe (par oral) ou indirecte (mise par écrit). Elle peut aussi
donner lieu à une communication non-verbale (« actes symboliques »).
Seules deux périodes très courtes fournissent l'essentiel des attestations de prophètes en
Mésopotamie - même s'il existe par ailleurs des attestations plus fugaces de prophètes
dans la seconde moitié du IIe millénaire avant notre ère. La première période est celle du
règne de Zimri-Lim (XVIIIe siècle avant notre ère). Les prophètes vont parfois directement
trouver le roi de Mari de la part d'un dieu. En l'absence du monarque, ils s'adressent à un
responsable qui retranscrit leurs propos dans une lettre au souverain. On possède ainsi le
texte d'une quarantaine de « prophéties » : on voit qu'elles ont été mises par écrit
immédiatement, mais dans un souci de communication, et non de conservation pour
l'avenir. Dans un cas, on voit même un prophète demander l'aide d'un scribe, à qui il veut
dicter un message pour le roi. Cette lettre a été retrouvée : elle est adressée à Zimri-Lim
par le dieu Shamash, auquel était rattaché ce prophète. En dehors des prophètes «
professionnels », de simples particuliers, hommes ou femmes, peuvent recevoir des
messages divins sous forme de rêves. Ceux-ci sont signalés au roi lorsqu'ils le
concernent.
Le deuxième ensemble date des rois assyriens Asarhaddon (680-669 avant notre ère) et
Assurbanipal (668-627 avant notre ère). Cette fois, les prophéties ont donné lieu à de
véritables recueils, l'un d'entre eux contenant des encouragements au roi Asarhaddon, un
autre des prophéties relatives à Babylone. Dans les lettres ou les annales royales, on
trouve une quinzaine de références à des prophètes ou prophétesses. À deux exceptions
près, ils proclament le soutien divin aux souverains nouvellement couronnés. En temps de
crise, intérieure ou extérieure, ils assurent le roi de l'appui des dieux, notamment de la
déesse Ishtar. Ainsi, la spécificité de la Bible réside davantage dans le processus qui a
conduit à la constitution des livres prophétiques après la destruction de Jérusalem en 587,
que dans le prophétisme en tant que phénomène religieux.
Les prescriptions bibliques concernent d'abord l'« année sabbatique » (Lévitique 25 et
Deutéronome 15) : tous les sept ans, les esclaves mâles hébreux doivent être libérés et
l'on doit remettre leurs dettes aux débiteurs insolvables (shemittah). Ces mesures sont
complétées lors du « Jubilé », qui a lieu tous les cinquante ans (soit après 7 cycles de sept
ans) et qui est annoncé au son de la trompe (yobel). Cette année est marquée par
l'affranchissement (deror) : ceux qui, contraints par la nécessité, ont aliéné leurs terres les
récupèrent et les esclaves sont libérés. Certains détails de ces prescriptions font douter
qu'elles n'aient jamais été appliquées.
Cependant, la comparaison avec les pratiques mésopotamiennes montre qu'elles
s'enracinent dans des coutumes fort anciennes.
Dès le début du IIe millénaire avant notre ère, l'avènement d'un roi est accompagné d'un
édit de « rétablissement de l'équité » (misharum) : les arriérés à l'égard du palais sont
remis, de même que les dettes à caractère non-commercial entre particuliers. Le « retour
au statut d'origine » (andurarum, soit le même mot que l'hébreu deror) s'applique aux
biens et aux personnes : les terres aliénées reviennent à leur propriétaire d'origine et les
Les sources bibliques du christianisme
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gens libres asservis pour dettes sont libérés. Ces mesures peuvent être répétées au cours
du règne si la situation économique l'exige. On a retrouvé des textes d'édits de ce type
pour plusieurs successeurs de Hammourabi de Babylone (XVIIIe-XVIIe siècles avant notre
ère), ces pratiques se sont par ailleurs poursuivies jusque dans l'empire néo-assyrien (VIIe
siècle avant notre ère) : une influence mésopotamienne directe est donc indiscutable.
Cependant, il s'agit en Mésopotamie de mesures liées à la pratique de la justice par le roi,
explicitement chargé par les dieux de veiller à ce que « le fort n'accable pas le faible ».
Dans la Bible, l'idéal égalitaire qui sous-tend ces prescriptions renvoie à la situation
censée avoir existé au moment de l'Exode.
[Dominique CHARPIN, Professeur à la Sorbonne (École pratique des hautes études).
Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
L’Egypte
SAGESSE ET IMMORTALITÉ DE L'ÂME
Sans l'Égypte, il n'y aurait pas de Bible. » La formule est du bibliste Thomas Römer, dans
sa préface à un livre récent (1), et illustre l'omniprésence du pays des pharaons dans la
Bible hébraïque, l'Ancien Testament des chrétiens. Car l'Égypte tient un rôle ambivalent
mais essentiel dans l'histoire biblique des Hébreux. Elle est « la grande puissance
politique qui, au long des siècles, a exercé répulsion ou attraction en fonction des
circonstances historiques », rappelle, dans le même ouvrage, Jacques Briend, exégète de
l'Ancien Testament.
Son aura est celle d'un pays riche, terre d'accueil en cas de famine, comme en témoignent
plusieurs récits bibliques. À commencer par la Genèse, l'histoire d'Abraham, ou celle de
Joseph intercédant auprès de Pharaon afin d'obtenir des vivres pour ses frères descendus
en Égypte. En revanche, en tant que puissance dominatrice, elle peut aussi se transformer
en terre de servitude pour des peuplades enrôlées comme mercenaires dans les armées
de Pharaon, ou réquisitionnées pour ses grands travaux.
C'est dans ce contexte que prend place le mythe fondateur d'Israël : la sortie d'Égypte, où
les Hébreux avaient été réduits en esclavage, sous la conduite de Moïse. Cette libération,
racontée dans le livre de l'Exode, marque un tournant majeur dans l'histoire des Hébreux
désormais serviteurs d'un dieu unique. L'alliance qui se noue alors s'inscrit dans un code
juridique fondamental, transmis par Moïse et résumé dans les « Dix Commandements »,
selon leur appellation chrétienne. Ainsi, pas de judaïsme ni de christianisme sans ce
personnage central de la Bible hébraïque : Moïse l'Égyptien, comme le surnomment Freud
et les auteurs qui ont, depuis, tenté d'étoffer cette hypothèse.
Égyptien, Moïse l'est par son lieu de naissance et l'origine de son nom : Moshé signifie «
engendré » et a la même racine que d'autres noms égyptiens, comme Ramsès (engendré
par Ra). C'est un peu mince, toutefois, pour en faire un Égyptien... Fut-il l'un de ces
Sémites présents en Égypte, dont certains ont parfois atteint les hautes sphères du
Les sources bibliques du christianisme
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pouvoir ? Les documents égyptiens et l'archéologie n'en laissent pas la moindre trace. Le
personnage échappe donc aux historiens. On ne sait de lui que ce que nous en dit la
Bible, dont les textes les plus anciens ne mentionnent même pas son nom à propos de la
sortie d'Égypte.
Le récit biblique de Moïse et de l'Exode a reçu sa forme finale au Ve siècle avant notre
ère, selon Thomas Römer : « Dans l'Exode biblique, se combine sans doute une série
d'événements opposant les populations sémites aux rois d'Égypte. La figure de Moïse
s'est également construite à partir des nombreux hauts fonctionnaires sémites ayant fait
carrière à la cour des pharaons. » Aussi, lui paraît-il « plus logique de voir en Moïse un
personnage qui condense, comme d'ailleurs l'Exode, différentes traces de mémoire ». Une
mémoire qui s'est construite au cours du 1er millénaire avant notre ère. Soit plusieurs
siècles après le règne de Ramsès II dont on fait parfois, à tort, l'adversaire de Moïse. Ce
grand pharaon est paisiblement mort dans son lit et non pas submergé par les flots
déchaînés de la mer des Joncs.
Indissociable du nom de Moïse, le monothéisme hébraïque pourrait aussi avoir une origine
égyptienne, en la personne du pharaon Akhenaton (XIVe siècle avant notre ère) qui tenta
d'imposer le seul culte d'Aton, le dieu solaire, créateur de toute chose, auquel il consacra
la ville temple d'Amarna. Pour l'égyptologue Jan Assmann, on doit bien à Akhenaton
d'avoir « introduit, dans la pensée religieuse, une innovation que la tradition attribue à
Moïse : la distinction entre le vrai et le faux ». C'est-à-dire l'idée qu'il y a des faux dieux et
un seul vrai dieu. Mais, estime-t-il, « il n'y a pas une relation de cause à effet entre la
révolution monothéiste d'Akhenaton et la naissance du monothéisme biblique six ou huit
cents ans plus tard ». Sur des points essentiels, ces deux monothéismes se distinguent
radicalement. Le dieu solaire d'Akhenaton n'édicte pas de loi, contrairement au dieu de la
Bible hébraïque d'où émerge un « monothéisme politique », souligne Jan Assmann, à
l'opposé du monothéisme cosmique d'Akhenaton. Car s'y ajoute cette autre innovation
centrale : la notion, étrangère à l'Égypte, d'un « peuple de Dieu » se définissant par sa
relation au dieu unique. Enfin, le monothéisme biblique condamne toute représentation
divine, alors qu'en Égypte, les dieux n'existent que s'ils sont représentés.
Un autre versant de la culture égyptienne a laissé des traces dans la Bible hébraïque : les
textes de sagesse. Ainsi, les chapitres 22 et 23 du livre biblique des Proverbes ont une
grande proximité littéraire avec l'Enseignement d'Aménémopé, un texte datant du Xe
siècle avant notre ère. D'un point de vue thématique, note Jean Lévêque, professeur
honoraire de l'Institut catholique de Paris, les proverbes attribués au roi Salomon ont «
beaucoup d'éléments communs » avec la sagesse égyptienne : l'insistance sur la justice
envers les déshérités, sur la nécessité d'une vie laborieuse, sur la modération et la
bienveillance dans les rapports sociaux. « Des deux côtés, relève-t-il, on souligne
l'importance de l'éducation et les devoirs des fils envers les parents », et on valorise « la
maîtrise de l'agressivité, de l'attention et de la parole ». Mais il y a une grande différence
entre la Maât, la sagesse égyptienne, qui est une divinité parmi d'autres, et la sagesse
biblique, dont la source est le dieu unique.
Les sources bibliques du christianisme
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C'est encore en Égypte qu'est apparue, pour la première fois, l'idée de l'immortalité de
l'âme. Une idée différente de la vague notion du « monde des morts » (le Schéol des
Hébreux, l'Hadès des Grecs) car, explique Jan Assmann, « l'immortalité signifie au
contraire être délivré de la mort par une nouvelle vie dans l'au-delà ». Définitivement
adoptée par le judaïsme au 1er siècle de notre ère, cette idée a connu un bel avenir avec
le christianisme centré sur la foi en la résurrection de Jésus.
Un christianisme dont la dette égyptienne n'est pas close car il faut y ajouter la « Septante
», la traduction de la Bible hébraïque en grec entreprise, à partir du IIIe siècle avant notre
ère, au sein de la communauté juive d'Alexandrie où se perdait l'usage de l'hébreu dans
une Égypte désormais hellénisée. Cette Bible en grec a permis aux premiers chrétiens de
s'approprier cet héritage littéraire et spirituel. Et c'est toujours en Égypte qu'est née la
tradition du monachisme chrétien dont les moines ont été, durant des siècles, les
inlassables copistes de la Bible.
(1) Ce que la Bible doit à l'Égypte, ouvrage collectif, coédition Bayard-Le Monde de la
Bible, 2008.
Les pays du Levant
LITTERATURE ARAMEENNE ET PROVERBES
Dans leur majorité, les livres de la Bible hébraïque sont nés dans les royaumes de Juda et
d'Israël, puis dans les provinces néo-babyloniennes, perses et hellénistiques de Judée et
de Samarie. Rédigés dans le sud du Levant, ils ont été naturellement influencés par
l'histoire et la culture des pays qui les entouraient, d'autant plus qu'au Levant, ces pays
voisins parlaient une langue ouest-sémitique et utilisaient une écriture alphabétique très
proches de celles qu'ils pratiquaient.
À la fin du IIe millénaire avant notre ère, Israël a hérité de la langue, de la culture et de
l'écriture alphabétique pratiquées en Canaan. Les lettres d'El-Amarna, rédigées en
écriture cunéiforme akkadienne et envoyées au pharaon par des roitelets locaux du XIVe
siècle avant notre ère, révèlent des tournures que l'on retrouve dans la Bible. Ainsi la
formule de politesse : « Qui suis-je, un chien, pour... » (lettres des princes de Megiddo et
de Gézer) est semblable à 2 Samuel 9, 8 ou à 2 Rois 8, 13. De même, la phrase d'Abdi-
Héba de Jérusalem s'adressant au pharaon : « Puisque le roi a placé son nom dans
Jérusalem pour toujours... », évoque directement l'expression en faveur de Jérusalem « le
lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire demeurer son nom » (Deutéronome 12, 11 ; 14,
23 ; 16, 2). Les tablettes d'Ougarit (XIIIe siècle avant notre ère), rédigées dans une langue
proche du phénicien et de l'hébreu ancien, ont des échos dans les textes les plus anciens
de la Bible évoquant le grand dieu El, ou le jeune dieu Baal, ou encore Yahvé siégeant
dans l'assemblée divine (Psaumes 29, 1 ; 82, 1 ; 89, 6-13 ; Job 1, 6 ; 2 ,1).
Au 1er millénaire avant notre ère, la culture phénicienne est très proche de celle d'Israël et
la coopération économique et politique avec le royaume de Tyr bien attestée. La Bible
indique que sous le roi Akhab, son épouse Jézabel, fille du roi de Tyr, favorise la diffusion
Les sources bibliques du christianisme
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du culte de Baal qui a même son temple à Jérusalem (2 Rois 11, 18). Certains textes de la
Bible, comme les oracles du prophète Ézéchiel contre Tyr (ch. 26-28) font allusion à la
littérature phénicienne, tandis que les inscriptions phéniciennes révèlent des expressions
bien connues en hébreu biblique. Cependant, l'influence de la littérature phénicienne reste
difficile à préciser car nous n'en connaissons que peu de chose et seulement de manière
tardive et indirecte (par Flavius Josèphe à la fin du Ier siècle, puis Eusèbe de Césarée au
IVe siècle). Le même problème se rencontre avec la littérature ammonite et moabite de
Transjordanie. La longue inscription de la stèle de Mésha, roi de Moab au IXe siècle avant
notre ère (conservée au Louvre), donne un point de vue extérieur sur le royaume d'Israël,
mentionné dans la stèle avec le nom du roi Omri et de sa divinité nationale, Yahvé. Elle
fournit un exemple de l'historiographie mise au service de la propagande royale dans une
écriture et une langue presque identiques à l'hébreu contemporain. Cette stèle mentionne
des sanctuaires mais aussi la pratique moabite du herem, extermination des populations
ennemies vouées à la divinité nationale, évoquée aussi dans la Bible.
En fait, le pays voisin le plus influent est sans doute le royaume araméen de Damas. À Tel
Dan, aux sources du Jourdain, une stèle araméenne du IXe siècle avant notre ère indique
que le roi Hazaël défit les rois d'Israël et de Juda. Leurs royaumes doivent se reconnaître
« vassaux » de Damas. À l'époque achéménide (539-331), l'écriture et la culture
araméenne se diffusent au Moyen-Orient et l'araméen devient la principale langue parlée
en Judée au tournant de notre ère. Certains chapitres de la Bible hébraïque sont même
écrits en araméen : Daniel 2, 4b à 7, 28 et Esdras 4, 8 à 6, 18 et 7, 12-26. On sait que
cette forte influence, attestée à partir de l'Exil, s'exerce déjà à l'époque royale israélite.
Des inscriptions à l'encre rouge et noire ont été retrouvées à Deir Alla (Jordanie), sur un
mur en brique datant du VIIIe siècle avant notre ère, apparemment copiées d'un manuscrit
littéraire rédigé à une époque plus ancienne. L'une de ces inscriptions, le « livre de
Balaam fils de Beor, l'homme qui voyait les dieux », concerne le voyant/prophète, que l'on
peut identifier avec le héros des chapitres 22 à 24 du livre biblique des Nombres - qui
porte d'ailleurs le même nom. C'est parce que ce personnage était célèbre dans la
tradition littéraire araméenne archaïque qu'un scribe israélite a cru utile de l'annexer, en
quelque sorte, de telle façon qu'il prononce des oracles favorables à Israël. En nous
révélant un fragment de la littérature araméenne archaïque, les inscriptions de Deir Alla
nous ont révélé, du même coup, l'influence que cette littérature araméenne a exercé sur la
littérature hébraïque antique de la Bible.
L'influence d'un autre livre de la littérature araméenne pourrait avoir été plus indirecte et
indiquer une communauté de culture levantine. Il s'agit du livre des Proverbes attribué à
Ahiqar, dont le manuscrit le plus ancien provient de la communauté judéo-araméenne
d'Éléphantine en face d'Assouan, en Haute-Égypte (Ve siècle avant notre ère). Ces
proverbes auraient été rassemblés pour servir à l'éducation des futurs notables dans un
royaume araméen de Syrie du Nord. Ils éclairent indirectement l'histoire de la rédaction et
de la fonction du livre biblique des Proverbes, même si seuls trois proverbes araméens
sont proches de passages bibliques : Proverbes 23, 13-14 et Jérémie 9, 22b.
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Un autre roman araméen, célèbre dans le Proche-Orient ancien et traduit dans de
nombreuses langues, le roman d'Ahiqar (VIIe siècle avant notre ère), met en scène les
déboires d'un ministre des rois assyriens Sennachérib et Assarhaddon. Calomnié et
condamné à mort, puis revenu en grâce auprès du roi, il n'est pas sans évoquer des
aspects de l'histoire de Joseph (Genèse 37-50). Ahiqar est par ailleurs mentionné dans le
livre de Tobit (rédigé primitivement en araméen). Comme Ahiqar, Tobit a connu la faveur
puis la disgrâce du roi d'Assyrie.
L'influence araméenne sur la Bible ressort aussi de la comparaison avec des inscriptions
monumentales du VIIIe siècle, révélant le rôle politique important des prophètes auprès du
roi (stèle de Zakkur, roi de Hamat et Louash en Syrie du Nord) ou révélant des formules
de serments de fidélité/vassalité par lesquelles un roi local s'engageait vis-à-vis d'un «
grand roi ». Ce genre de serment, le adê, probablement d'origine araméenne, a été
pratiqué par les rois d'Israël et, surtout, celui de Juda qui, de 734 à 622 avant notre ère,
est vassal de l'Assyrie. Les malédictions du Deutéronome sont elles-mêmes très proches
de celles des adê. Leur étude montre que Deutéronome 28, 20-44 dépend d'une version
araméenne d'un texte d'adê connu sous le roi assyrien Assarhaddon, vers 672.
[André LEMAIRE, Directeur d'études à l'École pratique des hautes études. Publié le 1
novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
Le Zoroastrisme
ANGES ET JUGEMENT DERNIER
Né en Perse entre le VIIIe et le VIe siècle avant notre ère, le zoroastrisme est l'une des
premières religions prophétiques et monothéistes. Elle compte aujourd'hui la majorité de
ses adeptes en Inde. Le flou historique qui entoure encore ses origines rend difficile
l'étude des influences qu'elle aurait pu avoir sur les rédacteurs de la Bible. Si la question
de l'origine du monothéisme reste débattue par les spécialistes, il est fort possible que
certains thèmes, comme les hiérarchies angéliques ou le Jugement dernier, aient pu
pénétrer la pensée juive à partir du VIe siècle avant notre ère. Entretien, à Bombay, avec
Firoze Dastur Kotwal, grand prêtre, chercheur et traducteur d'anciens textes zoroastriens.
Pensez-vous que votre religion a eu une influence sur l'Ancien Testament ?
Je pense en effet que les autres monothéismes se sont inspirés du zoroastrisme, révélé
par Zoroastre, pour forger certaines de leurs croyances. L'Ancien Testament a été un
vecteur de ces influences, mais nous n'avons que très peu de « preuves » tangibles de
cette influence.
C'est probablement en Perse que la rencontre s'est produite entre zoroastriens et Hébreux
?
Lorsque le roi des Achéménides, Cyrus le Grand, a conquis Babylone au VIe siècle avant
notre ère, il a sauvé les Juifs, leur a redonné leur dignité et leur a rendu leurs biens. Il a
fait de la Judée une province de son empire, puis il les a aidés à construire leurs temples.
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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Le « cylindre de Cyrus », sur lequel est inscrite une proclamation de Cyrus après la prise
de Babylone, décrète la tolérance religieuse et l'abolition de l'esclavage. Suivant les
préceptes du zoroastrisme, il ne s'est pas acharné sur les vaincus. Les Juifs lui ont donné
le titre de « Massaia », Messie ou Sauveur, un terme qui revient fréquemment dans notre
religion. Leurs relations avec les rois achéménides ont probablement eu un impact sur leur
propre religion. D'autant que l'Avesta, texte sacré zoroastrien, était diffusé par des
missionnaires zoroastriens dans les pays non-iraniens.
Quelles principales notions du zoroastrisme retrouvez-vous dans la Bible ?
Outre celle du Dieu unique, Ahura Mazda, il y a également ses serviteurs, les anges et
archanges, appelés les Amesha Spenta (« Saints Immortels »). D'autre part, une notion
inédite introduite par Zoroastre a été reprise par le judaïsme, puis par le christianisme et
l'islam : celle de l'Apocalypse et du Jugement dernier.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
La Septante, de l'hébreu au grec
Au milieu du IIIe siècle avant notre ère, la communauté juive d'Alexandrie traduit la Torah
en grec. Ensuite rejetée par le judaïsme rabbinique, cette traduction devient une référence
dans le monde chrétien.
Au commencement, fut une traduction. Au milieu du IIIe siècle avant notre ère, dans
l'Alexandrie d'Égypte, la communauté judaïque locale édite la Loi (Torah en hébreu) de
Moïse en langue hellénique. C'est la première unité « biblique » réellement constituée. Le
fait qu'elle soit traduite dit bien qu'elle est alors fixée et même instituée : nous ne sommes
plus dans les hypothèses mais dans l'histoire, l'histoire littéraire de la société judaïque
antique. Celle-ci s'assure ainsi d'un bon degré d'intégration dans la grandiose cité fondée
par Alexandre en 331 avant notre ère. L'œuvre dite de Moïse, désormais sa « Loi »
(nomos) voire sa « constitution » (nomothésia), s'adosse à celle d'Homère, accueillie peut-
être comme celle-ci dans la célèbre bibliothèque voulue de Ptolémée II. Pour la première
fois dans l'histoire, une unité « biblique » fait l'objet d'une publication véritable. Un bon
siècle plus tard, on l'appelle « le Livre » (hê Biblos en grec) (1), jusqu'à l'apparition de son
dérivé latin biblia, « bible », en pleine chrétienté médiévale. C'est cette « bible » grecque,
ensuite assortie de bien d'autres livres, prophétiques, poétiques ou de sagesse, traduits
de l'hébreu voire rédigés en grec, que les chrétiens lettrés reçoivent en héritage comme
Graphaï, « Écritures ». Au IIe siècle, ils la dénomment « Septante » (Septuaginta en latin).
Une légende très répandue présente la version d'Alexandrie comme miraculeuse : elle
serait l'œuvre collective de « soixante-dix » savants venus de Jérusalem, chacun ayant
traduit le texte d'une façon rigoureusement identique à celle de tous les autres.
Homologuée d'entrée de jeu par les maîtres chrétiens, cette bible est suspectée puis
rejetée par les Juifs au bénéfice de révisions parfois drastiques réalisées chez eux à frais
nouveaux. En revanche, nombre de versions anciennes des livres saints, chrétiennes
dans leur quasi-totalité (latines, coptes, éthiopienne, gothique, slavonne, arménienne,
géorgienne, syriaques et arabes), ont été faites à partir d'elle, la plupart directement.
Les sources bibliques du christianisme
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La Septante n'est pas une traduction dans le sens moderne du terme. Certes, on y
demeure plus proche de l'original hébraïque dans le traitement des livres de la Loi, eu
égard sans doute à la contrainte légale du document. Ce qui n'empêche pas les
aménagements de sens, nombreux et marquants. À commencer par la traduction de
l'hébreu torah (« sagesse révélée ») par nomos (« loi »), d'où le sens juridique que n'avait
pas le mot à l'origine. Le fait s'accentue amplement pour les livres prophétiques, traduits
en un second temps, avec cette fois des arrangements quantitatifs parfois de taille. Il est
plus net encore dans le livre de Job et surtout dans le livre des Proverbes. Le traducteur
du premier actualise la pensée éthique, l'alignant sur les derniers fruits de son évolution
ambiante (lire encadré ci-contre). Quant au second, on dirait qu'on l'eût plongé dans un
bain soutenu de sagesse hellénique. Les transpositions sémantiques s'y repèrent en
nombre : on spiritualise un propos que la formule hébraïque cantonne au registre
physique. D'où la propension du traducteur à l'abstraction, à la lecture psychologique et à
la piété, avec emprunts à la culture grecque d'éléments qu'il instille dans le texte. Fruit
ultime de cette dynamique : la rédaction directe de livres en grec. Certains ont été
accueillis tels quels dans l'Ancien Testament chrétien, la Sagesse de Salomon par
exemple.
Conjointement, une riche production littéraire voit le jour. À Alexandrie toujours, aux IIe et
Ier siècles avant notre ère, l'élite lettrée de la communauté juive se met à écrire en grec,
bien plus à la manière des Grecs. À partir de la Loi et d'autres traditions nationales
recueillies dans les Prophètes et ailleurs, elle compose des œuvres de philosophie
(Aristobulos) et d'histoire (Artapanos, avec son traité Sur les Juifs), de poésie (la Sibylle
juive et ses nombreux Oracles) voire de théâtre (Ézéchiel le Tragique et son drame
Exagôgê, «l'Exode»). Elle ne se prive pas d'adopter les procédés d'écriture et les formes
littéraires des classiques grecs, jusqu'à la manière d'Eschyle ou d'Euripide et la métrique
d'Homère. Cela veut dire que ces gens ont à leur disposition les grandes œuvres de
l'Antiquité grecque, accédant à la fameuse bibliothèque de la cité.
La traduction de la Loi n'est pas seulement un acte fondateur pour la Bible, la chose et
même le nom. C'est une première dans l'histoire de la culture : la langue grecque, idiome
universel, est censée être intraduisible. Il n'y a donc pas de vocabulaire de la traduction
chez les Grecs. On le doit aux penseurs, philosophes et exégètes juifs d'Alexandrie. Ces
derniers n'inventent pas de mots nouveaux mais déplacent le sens de termes usités. Ainsi,
hermênéia, « signification » ou « interprétation » signifie aussi, désormais, « traduction »
(en latin, ce sera interpretatio). La doctrine classique de l'« inspiration » des Écritures vient
elle-même de là. Car on a dû garantir la dimension sacrée de la Loi devenue grecque, et
démontrer pour ce faire son origine divine. On bâtit une théorie de l'inspiration des
Écritures reprenant l'idée platonicienne de « possession divine ». On la doit entre autres à
Philon d'Alexandrie. L'œuvre littéraire et doctrinale de ce dernier, éminent philosophe et
commentateur de la Loi contemporaine de Jésus, est reprise et sauvée par les chrétiens,
qui ne cessent de développer la doctrine de l'« inspiration ».
1.C'est attesté une seule fois dans la fameuse lettre d'Aristée, œuvre juive de fiction elle-
même rédigée en grec vers 150 avant notre ère.
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[André PAUL, Bibliste et historien .Publié le 1 nov 2008 - Le Monde des Religions n°32]
Quelle Bible a lu Jésus ?
Au temps de Jésus et pour quelques décennies encore, il n'y a pas de recueils constitués
de livres saints, ni de listes ou catalogues. Circulent seulement ces appellations
génériques : « la Loi » (de Moïse) ou « livre de Moïse », « les livres des Prophètes » ou «
les Prophètes ». On dit aussi : « la Loi et les Prophètes ». Ces formules se lisent dans les
manuscrits de la mer Morte (IIe et Ier siècles avant notre ère) et dans les Évangiles. Il
arrive que « les Prophètes » soient assortis de «David » ou des « Psaumes ». Grâce aux
restes de la riche bibliothèque de Qumran (900 rouleaux attestés matériellement, sans
compter nombre d'autres disparus), on peut avoir quelque idée des écrits ainsi désignés.
La Loi comprend les cinq premiers livres de nos bibles, appelés plus tard Pentateuque. On
copiait sur un même rouleau des extraits suivis et arrangés des cinq livres de Moïse. Le
chiffre cinq n'est pas pour autant limitatif. D'autres écrits, considérés dès lors comme «
saints », relèvent eux-mêmes de la Loi, probablement le livre des Jubilés (passé dans la
Bible éthiopienne) et le fameux rouleau du Temple retrouvé à Qumran. La situation des
Prophètes est plus complexe. Des figures bibliques comme Élie et Élisée, entre autres,
sont présentées comme les signataires d'œuvres réelles et attestées. On les traite dès lors
comme des prophètes dans le sens littéraire du terme, à l'instar d'Isaïe, de Jérémie,
d'Ézéchiel et de Daniel. Quant à ces derniers, à l'exception d'Isaïe, plusieurs livres leur
sont respectivement attribués, et l'on en possède les restes. Il n'y a alors d'œuvre ni «
canonique » ni « apocryphe », ni vraie ni fausse. Vers la fin du Ier siècle, voire plus tard,
tant les Juifs que les chrétiens organisent le corps des livres saints, la future Bible, sur la
base d'un principe tout autre : à signature unique désormais œuvre unique. Le dossier des
Psaumes n'est pas moins simple. Dans les grottes des environs de Qumran, on a recueilli
plus de trente rouleaux avec de vrais psaumes, mélangés à d'autres pièces pas toutes
poétiques. Dans chaque rouleau, on retrouve, en nombre très variable, des psaumes
retenus dans nos bibles. Mais le psautier des 150 psaumes n'existe pas. Donc, un lot de
livres au contour non arrêté, variable selon les lieux et les personnes, émerge de fait, et de
fait seulement, dans la société judaïque préchrétienne. On reconnaît à ces textes une
excellence et une autorité qui les place au-dessus des autres : on les dit « saints » ou on
les appelle « Écritures ». De Bible, il n'y en a point, ni la chose ni le mot.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
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Chapitre 1
Une saga de quatre générations
(Genèse 12 et suivants)
Au commencement était une famille qui bénéficiait d’une relation privilégiée avec Dieu. Au
fil du temps, cette famille devint féconde et se multiplia, donnant naissance au peuple
d’Israël. Ainsi débute la grande saga de la Bible. Abraham est le premier patriarche. Dieu
lui promet une terre et une nombreuse descendance. La promesse divine se transmet de
génération en génération, par l’intermédiaire du fils d’Abraham, Isaac, puis du fils de celui-
ci, Jacob, connu également sous le nom d’Israël. A leur tour, les douze fils de Jacob
deviendront les patriarches des douze tribus, mais c’est à Juda que sera accordé
l’honneur insigne de régner sur les autres.
I. D’Abram à Abraham : la promesse et l’alliance (Gn 12 à 25)
Abraham est l’archétype du patriarche et de l’homme de foi. Originaire d’Ur, en
Mésopotamie méridionale, il vient s’installer avec sa famille à Harân, sur l’un des affluents
du haut Euphrate. Là, Dieu lui apparaît et lui ordonne (Gn, 12,1-2) : « Quitte ton pays, ta
parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand
peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction. » Obéissant à
l’injonction divine, Abram (c’est ainsi qu’il se nomme à l’époque) emmène avec lui son
épouse, Saraï, son neveu, Lot, et se rend à Canaan. Il mène une vie pastorale, errant
avec ses troupeaux dans les régions montagneuses du centre du pays ; il se déplace
principalement entre Sichem, au nord, Béthel (près de Jérusalem) et Hébron, au sud ; ses
pas le mènent parfois jusqu’au Néguev, à l’extrême sud du pays.
Dans son errance, Abram bâtit des autels à la gloire de Dieu dans de nombreux endroits ;
il prend conscience, petit à petit, de la vraie nature de sa destinée. Dieu lui promet, à lui et
à sa postérité, toute la terre « du fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve, le fleuve
Euphrate » (Gn 15,18). Pour confirmer qu’Abram est destiné à devenir le patriarche d’un
grand peuple, Dieu change son nom en celui d’Abraham, « car je te fais père d’une
multitude de nations » (Gn 17,5). Dieu change aussi le nom de Saraï, la femme d’
Abraham, en celui de Sara, pour bien marquer qu’elle a aussi changé de statut.
La famille d’Abraham engendre la totalité des peuples de la région. Pendant leur
transhumance à travers le pays de Canaan, une querelle oppose les bergers d’Abraham à
ceux de Lot. Pour éviter que le conflit s’envenime, Abraham et Lot décident de départager
leurs territoires respectifs. Abraham et son peuple demeurent sur place, sur les hautes
terres occidentales, tandis que Lot et sa famille émigrent vers l’orient, en direction de la
vallée du Jourdain, et s’établissent à Sodome, près de la mer Morte. Les populations de
Sodome et de la ville voisine, Gomorrhe, se révèlent fourbes et dépravées. Dieu fait donc
pleuvoir sur elles le souffre et le feu, détruisant ainsi ces cités impies. Lot dirige alors ses
pas en direction des collines orientales ; il sera l’ancêtre des Moabites et des Ammonites
de Transjordanie. Abraham aussi sera à l’origine d’un certain nombre d’anciennes
peuplades. Comme son épouse, Sara, âgée de quatre-vingt-dix ans, ne peut enfanter,
Abraham prend une concubine, la servante égyptienne de Sara, Hagar, qui lui donne un
fils du nom d’Ismaël ; il sera l’ancêtre des Arabes, qui peupleront les étendues désertiques
méridionales.
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C’est alors qu’intervient le moment crucial du récit biblique : Dieu promet à Abraham que
Sara lui donnera un fils. Elle enfantera Isaac. L’un des épisodes les plus tragiques de la
Bible raconte alors comment Dieu, pour éprouver la foi d’Abraham, lui ordonne de sacrifier
son fils unique, Isaac, au sommet d’un mont dans la région de Moriah. Dieu, qui est
intervenu à temps pour annuler le sacrifice, récompense la fidélité d’Abraham en
renouvelant l’alliance qu’il a jadis passés avec lui. Non seulement la postérité d’Abraham
deviendra une grande nation, mais les futures nations du monde seront bénies à travers
elle.
Isaac croît en force et en sagesse. Il erre aux alentours de la cité méridionale de
Beersheba ; il épouse Rébecca, une jeune femme qu’il a envoyé chercher dans le nord,
au pays natal de son père. Pendant ce temps, la famille s’enracine de plus en plus
profondément dans la Terre promise. Abraham acquiert la grotte de Makpéla, à Hébron,
dans la région montagneuse du midi, pour y enterrer Sara, son épouse bien-aimée. Il y
sera inhumé à son tour.
II. Isaac et ses fils (Gn 26 à 28,9)
Les générations se succèdent. Dans leur campement du Néguev, l’épouse d’Isaac,
Rébecca, met au monde des jumeaux. Ceux-ci se révèlent dotés de caractères et de
tempéraments violemment antagonistes ; leurs descendants se livreront une guerre
permanente pendant des siècles. L’aîné, Esaü, un rude chasseur, est le préféré d’Isaac,
tandis que Jacob, le cadet, plus sensible et délicat, jouit des faveurs de sa mère.
L’héritage de la promesse divine doit en principe revenir à l’aîné ; mais Rébecca revêt
Jacob de peaux de mouton et l’introduit auprès de la couche sur laquelle gît Isaac,
agonisant. Faible et aveugle, le patriarche prend Jacob pour Esaü et lui octroie la
bénédiction sacrée, réservée au fils aîné.
De retour au camp, Esaü découvre la supercherie, mais elle ne peut être réparée. Son
vieux père ne peut que lui promettre qu’il sera le père des Edomites, qui peupleront le
désert. « Loin des gras terroirs sera ta demeure », lui dit-il, en guise de consolation (Gn
27,39). Ainsi est fondé l’un des peuples de la région. Plus tard (Gn 28,9), Esaü prendra
femme dans la famille de son oncle Ismaël ; c’est ainsi qu’il engendrera de nouvelles
tribus du désert. Toutes ces tribus seront en conflit permanent avec les Israélites – nom
que porteront les descendants de son frère Jacob, qui lui a dérobé son droit d’aînesse.
Fuyant la colère de son frère, Jacob se dirige vers le nord, où se trouve la maison de son
oncle Laban, à Harân, pour y prendre épouse.
III. De Jacob à Israël : le renouvellement de la promesse (Gn 28,10 à 36)
En chemin, Jacob fait halte pour la nuit. Un songe le visite : une échelle dressée sur la
terre s’élève jusqu’au ciel, et des anges de Dieu y montent et en descendent. Dieu, qui se
tient au sommet de l’échelle, fait alors à Jacob la promesse qu’il a faite jadis à Abraham
(Gn 28,13-15).
Jacob poursuit son périple en direction du nord vers Harân. Il demeure plusieurs années
chez Laban dont il épouse les deux filles, Léa et Rachel. Ses deux épouses et leurs deux
servantes lui donneront onze fils : Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Dan, Nephtali, Gad, Asher,
Issachar, Zabulon et Joseph. Un beau jour, Dieu ordonne à Jacob de retourner à Canaan
avec sa nombreuse famille. En chemin, alors qu’il traverse le fleuve au gué de Yabboq, en
Transjordanie, un personnage mystérieux le contraint de lutter avec lui. A l’issue du
combat, ce personnage mystérieux – ange ou Dieu ? – change le nom de Jacob en celui
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d’Israël (ce qui littéralement signifie « Celui qui lutte avec Dieu »), « car tu as été fort
contre Dieu et contre les hommes, et tu l’as emporté » (Gn 32,28). Jacob retourne donc à
Canaan, où il établit son camp près de Sichem ; il construit un autel à Béthel. Il poursuit
son périple vers le sud. Rachel meurt près de Bethléem, en accouchant de Benjamin, le
dernier des fils de Jacob. Peu après, Isaac, le père de Jacob, décède à son tour. Il est
enterré lui aussi dans la grotte de Makpéla, à Hébron.
IV. De Canaan à l’Egypte, le destin fabuleux de Joseph (Gn 37 à 50)
Graduellement, la famille s’élargit aux dimensions d’un clan, en passe de devenir une
nation. Pourtant, les enfants d’Israël en sont encore au stade d’une grande famille, dont
les frères se querellent. En effet, Joseph, qui est le fils favori de Jacob, se fait détester par
ses frères en raison de rêves étranges et prémonitoires dans lesquels il règne sur toute la
famille. Ruben et Juda parviennent à grand-peine à convaincre leurs autres frères de ne
pas assassiner Joseph. Au lieu de l’éliminer, ceux-ci le vendent à un groupe de
marchands ismaélites dont la caravane de chameaux se dirige vers l’Egypte. Ses frères,
feignant la douleur, expliquent à Jacob qu’une bête féroce a dévoré Joseph. Le patriarche
porte longtemps le deuil de son fils bien-aimé.
Mais la jalousie criminelle de ses frères ne remet nullement en question le destin fabuleux
de Joseph. Arrivé en Egypte, il gravit rapidement, grâce à ses dons exceptionnels, les
échelons du pouvoir et de la richesse. Un jour, Joseph interprète de façon magistrale le
rêve du pharaon : il lui prédit que sept années d’abondance seront suivies d’autant
d’années de disette. Le souverain l’élève alors à la position de grand vizir. Joseph en
profite pour réorganiser l’économie du pays : il fait emmagasiner le blé pendant les années
d’abondance en prévision des années de disette. Aussi, quand vient la famine, l’Egypte,
dont les greniers sont pleins, est prête. Cependant, au pays voisin de Canaan, Jacob et
ses fils n’ont plus rien pour se nourrir. Jacob envoie alors en Egypte dix de ses onze fils en
quête de ravitaillement. Ceux-ci se rendent auprès du grand vizir, qui n’est autre que leur
frère, parvenu à l’âge adulte. De prime abord, les fils de Jacob ne le reconnaissent pas : il
avait disparu depuis des lustres. De son côté, Joseph ne dévoile pas son identité. Plus
tard, dans une scène émouvante, il leur révélera qu’il n’est autre que ce frère tant haï.
Les enfants d’Israël sont enfin réunis. Le vieux patriarche Jacob, avec sa famille
nombreuse, vient vivre auprès du personnage influent qu’est devenu son fils, dans la terre
de Goshèn. Sur son lit de mort, Jacob bénit ses fils et ses deux petits-fils, Manassé et
Ephraïm, les fils de Joseph. Tous sont honorés, mais c’est à Juda que revient le droit
d’aînesse de la souveraineté (Gn 49,8-10).
Après la mort de Jacob, son corps est ramené à Canaan et se fils l’enterrent dans la grotte
de Makpéla, près d’Hébron. A son tour, Joseph décède. Les enfants d’Israël demeurent en
Egypte, où se déroulera la suite de leur histoire en tant que nation.
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 53 à 61 –
filio127histoire]
DECRYPTAGE : Abraham a-t-il existé ?
"Un mystère rassembleur"
Macha Fogel - publié le 20/12/2010 - Le Monde des Religions
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Selon l’archéologue Israël Finkelstein, la figure du patriarche décrite dans la Bible traduit
les ambitions idéologiques et théologiques de ses auteurs, plus qu’elle ne fait la chronique
scrupuleuse de la vie d’un personnage historique avéré.
Le personnage d’Abraham pourrait-il avoir existé ? Constitue-t-il une figure
crédible ?
À moins de retrouver une inscription, les archéologues sont absolument incapables de dire
si une personne individuelle a existé ou non. La figure d’Abraham sert avant tout les
ambitions idéologiques des auteurs de la Bible ; il est toutefois raisonnable de penser
qu’elle s’inspire de figures connues, au moins mythologiques. Quant à savoir s’il existe
une figure historique derrière le récit biblique, cela restera probablement à jamais un
mystère.
Les travaux de plusieurs exégètes ont montré que le Pentateuque n’avait pas été
écrit d’un trait ni par un seul homme, mais par plusieurs groupes de rédacteurs et à
différentes époques. Quand les passages concernant l’histoire d’Abraham ont-ils
été écrits selon vous ?
Au milieu du XXe siècle, des chercheurs à tendance conservatrice ont tenté de démontrer
que les aventures des patriarches s’étaient déroulées au début du deuxième millénaire
avant notre ère. Ce faisant, ils essayaient de prouver les dires de la Bible, qui situent
l’histoire d’Abraham de nombreux siècles avant la période monarchique. De fait, la Bible
fournit certaines informations chronologiques censées permettre de dater les événements.
Il est mentionné, par exemple, que l’Exode a eu lieu 480 ans avant le début de la
construction du Temple de Jérusalem. En recoupant différents indices de temps, le lecteur
de la Bible peut ainsi situer le départ d’Abraham de Canaan en 2 100 avant notre ère.
Pourtant, on sait aujourd’hui que le contexte qui sert de toile de fond à la narration des
aventures des patriarches est celui des VIIIe et VIIe siècles avant notre ère, et leur écriture
pourrait même avoir eu lieu plus tard, après le retour d’Exil (VIe et Ve siècles avant notre
ère). La rédaction des récits des patriarches comprend un certain nombre
d’anachronismes. Par exemple, il est fait mention à de fréquentes reprises de la présence
de chameaux. Or, les archéologues ont découvert que le chameau n’avait commencé à
être employé comme bête de somme qu’au cours du premier millénaire avant notre ère.
De surcroît, la thèse d’une vague de migration de population depuis la Mésopotamie vers
Canaan au deuxième millénaire avant notre ère, qui formait la base de la conception des
chercheurs conservateurs du milieu du XXe siècle, s’est révélée infondée.
Dans quel contexte historico-politique l’histoire d’Abraham a-t-elle été écrite ? Quels
étaient les objectifs des rédacteurs ?
Le contexte est celui des périodes assyrienne, néobabylonienne et perse, du VIIe au
Ve siècles avant notre ère. à cette époque, le royaume d’Israël a disparu. Seul existe le
royaume de Juda, plus tard appelé Yehud au temps de la domination perse, sur le
territoire duquel se trouvent Jérusalem et son temple. Les rédacteurs de la Bible cherchent
à cette époque à construire un narratif national pour unifier le peuple. Les récits relatifs
aux patriarches n’ont sans doute pas plus de réalité historique que l’Odyssée d’Homère ou
que les aventures d’Enée, ils sont le fruit d’une volonté idéologique et théologique.
L’histoire d’Abraham décrit la vie d’un ancêtre commun et rassembleur, qui a vécu la
majeure partie de sa vie dans ce qui allait devenir le royaume de Juda. Selon le chercheur
allemand Martin Noth, les récits des trois patriarches tentent d’intégrer les traditions du
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Sud (Juda) et celles du Nord (Israël), tout en affirmant la prééminence de Juda. C’est
pourquoi les rédacteurs de la Bible font construire à Abraham des autels à Sichem et à
Béthel (les deux principaux centres du royaume du Nord), aussi bien qu’à Hébron
(royaume de Juda, au sud). L’un des objectifs de l’histoire d’Abraham est de montrer
l’unité des deux peuples - Juda et Israël - tout en expliquant la prééminence de Juda par
une conformité aux lois divines.
Un autre objectif de l’histoire d’Abraham consiste à décrire les origines de la nation
hébraïque comme celles d’un peuple « séparé », différent du peuple de Canaan. Il s’agit
bien plus d’une tentative littéraire de définition du peuple d’Israël que de la chronique
scrupuleuse de la vie de personnages historiques.
Peut-on attribuer une valeur historique au récit de la destruction des villes de
Sodome et Gomorrhe ?
La réponse est non, mais il est possible que les populations de l’âge du fer aient remarqué
les traces d’anciennes cités datant de l’âge de bronze, dans la région de la mer Morte (par
exemple la ville détruite de Bab ed-Dhra) et aient cherché à expliquer leur disparition.
Ainsi, sans doute, se développèrent ces mythes.
Retrouve-t-on dans l’histoire d’Abraham la trame de récits mythologiques qui
auraient existé ailleurs au Moyen-Orient?
Dans l’ensemble, le récit des patriarches reflète l’idéologie de ses auteurs, tout en se
fondant sur les mythes préexistants des peuples de la région. L’« histoire » des
patriarches regroupe en un récit narratif unique les légendes traditionnelles de diverses
régions, afin de forger l’unité nationale et politique d’une population hébreu très
hétérogène. Il est très possible que les épisodes individuels de la vie des patriarches
soient inspirés de légendes anciennes et diverses. La trame narrative et même certains
personnages présents dans l’histoire d’Abraham étaient probablement connus dans les
folklores de l’époque. Par ailleurs, certaines coutumes décrites dans les récits en question,
tel le fait d’avoir un enfant de la servante de sa femme par exemple, étaient tout à fait
répandues dans le Proche-Orient ancien, aux deuxième et premier millénaires avant notre
ère.
Israël Finkelstein
Archéologue, directeur de l’Institut d’archéologie de l’université de Tel-Aviv et co-
responsable des fouilles de Megiddo (Israël), il est l’auteur d’Un archéologue au pays
de la Bible (Bayard, 2008), de Les Rois sacrés de la Bible, à la recherche de David
et Salomon (avec Neil Asher Silberman, Gallimard, 2007) et de La Bible dévoilée
(avec Neil Asher Silberman, Gallimard, 2004).
DECRYPTAGE
Le sacrifice d’Abraham Genèse 22, 1-19 ; Sourate 37, à partir du verset 101.
Abraham est le père commun des croyants appartenant aux trois religions monothéistes. Il
a une double descendance : Isaac, qu’il a eu avec sa femme légitime Sarah, et Ismaël, le
fils que lui donna Agar, servante de Sarah. La tradition attribue à l’un la descendance juive
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et à l’autre la descendance arabe. Le texte coranique ne précise pas si le fils que Dieu
demande à Abraham d’immoler est Isaac ou Ismaël.
1- Une lecture juive
Que sommes-nous prêts à sacrifier pour notre idéal personnel ou collectif ? Jusqu’où faut-
il aimer sa patrie, ses parents, ses enfants, son épouse, une idole de la musique ou du
spectacle, une philosophie ou plus simplement, un maître, un gourou ? Il est
apparemment difficile d’objecter à la réponse : " Je l’aime et je suis prêt à mourir pour lui. "
En ce sens, la logique immanente de l’amour serait celle du sacrifice, comme les mères le
vivent pour leurs enfants, par exemple, ou le héros qui meurt pour sa patrie, ou Rabbi
Aqiba écorché vif par les Romains parce qu’il s’entêtait à enseigner la Torah malgré
l’interdit, ou le martyr chrétien dans les arènes de Rome. Cette conception de l’amour est
admirable, c’est pourquoi elle est présentée comme modèle par les religions, par les chefs
militaires et par les meneurs révolutionnaires. Elle est synonyme d’abnégation, de don, de
générosité, d’abandon et de pureté, quand ce n’est pas de sainteté.
Mais c’est peut-être contre cet amour-ci et ses conséquences que le récit biblique est
écrit et canonisé ! En effet, les historiens et les exégètes nous avertissent déjà que
l’intention première de ce récit vise l’interdiction de sacrifier son enfant à la divinité, car
c’était là un rite païen et idolâtre. La Torah y insiste en plusieurs endroits en l’appelant "
rite du Molokh " (1). Molokh était une divinité du peuple d’Ammon, de Tyr et des Assyriens,
auquel les Hébreux et même leurs rois furent poussés à sacrifier leurs enfants dans la
vallée de la Géhenne ! En d’autres termes, le Dieu de Yisra’el, le Dieu monothéiste, ne
désire pas qu’on lui sacrifie les enfants. Le récit biblique insiste donc sur la limitation du
pouvoir du père qui, en ces temps-là, était absolu et allait jusqu’à la mort du fils pour de
multiples raisons imbéciles, telle que le handicap, par exemple. Le récit biblique enseigne
que, même pour Dieu, le père n’a pas le droit d’attenter à la vie de son fils parce que c’est
là un rite païen.
Mais, surtout, les interprètes juifs montrent que l’épreuve d’Abraham ne pouvait consister,
comme on l’enseigne toujours, dans le sacrifice de son fils parce que Dieu le demandait.
Dans un tel cas de figure, ça aurait été au patriarche lui-même de donner sa vie pour
prouver son amour ! L’ange envoyé au patriarche lui dit : " N’étends pas la main sur ce
jeune homme. Ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu, toi qui n’as pas
épargné ton fils unique pour moi ! " (v. 12) Et non pas : " Car maintenant je sais que tu
aimes Dieu. " Craindre Dieu, c’est le respecter, c’est-à-dire obéir à sa loi et non à la loi que
nous nous dictons nous-mêmes individuellement ou collectivement. L’épreuve était donc
celle de la Loi et non de l’amour. Il s’agissait pour Abraham de montrer qu’il était capable,
en tant qu’être humain, d’intérioriser une Loi qu’il recevait de l’extérieur, une loi
transcendante.
Et sur quoi portait donc cette Loi ? C’est le verset deux du chapitre qui l’énonce : " Dieu dit
: " Prends ton fils, ton unique, Isaac que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu
l’offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t’indiquerai. " " Rachi, le fameux
commentateur de la Torah, fait cette remarque : " Dieu n’a pas dit à Abraham : "Egorge-le
Les sources bibliques du christianisme
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!", car le Saint Béni est-il ne désirait pas l’immolation d’Isaac, mais " le faire monter sur la
montagne " pour lui donner le caractère d’une offrande à Dieu. Quand il le fit monter, il lui
dit : " Fais-le descendre ! " "
Entendons bien ce que cette lecture signifie : le patriarche aurait mal compris l’ordre divin
qui se rapportait en fait à la question de l’initiation d’Isaac, à son élévation et à sa
promotion au statut de fils. La fonction du père n’est pas, comme l’a comprise Abraham,
d’apprendre à son fils à mourir, mais à s’élever jusqu’à ce point où il peut redescendre
avec son père. Il peut alors se marier, comme le raconte le récit suivant, et devenir père à
son tour. " Immole ton fils " ne pouvait être un ordre divin ; malheureusement le père
comprend l’initiation du fils comme sa soumission totale et absolue à sa propre
compréhension du monde et de la transmission humaine. Mais l’ange ne laisse pas
Abraham toucher son fils Isaac. Il attend qu’il le ligote parce que c’est tout ce qu’il lui
demande, mais le couteau ne touche pas Isaac, et le sang du fils ne coula pas parce que
Dieu ne le désirait pas. C’est pourquoi la tradition juive a donné à l’épisode biblique le titre
de " Ligature d’Isaac " et non celui de " Sacrifice d’Isaac ". C’est la relation entre les
générations qui est analysée dans ce récit biblique, c’est-à-dire, en réalité, la relation entre
le père et le fils, entre la paternité et la filialité. Si Abraham avait sacrifié son fils, il aurait
été un païen. Son épreuve fut de pouvoir accomplir son sacrifice en laissant vivre son fils
et en redescendant avec lui de la montagne. Ce n’est pas dans la montée que se déroulait
l’épreuve, d’après l’interprétation de Rachi, mais dans la descente " avec " son fils.
(1)Lévitique 18,21 ; 20,2,3,4,5 ; 1 Rois 11,7 ; 2 Rois 23,10 ; Jérémie 32,35
[Armand Abécassis, professeur de philosophie générale et comparée (Université
Bordeaux II)I. Publié le 1 septembre 2003 - Le Monde des Religions n°1]
2- Une interprétation musulmane
Selon l’islam, le Coran est le point terminal de la Révélation. Il se présente comme la
récapitulation et la synthèse des messages antérieurs, et maints récits bibliques y sont
relatés de façon condensée et allusive.
L’épisode du sacrifice d’Abraham illustre le thème coranique de l’épreuve (bala’), qui agit
comme une véritable pédagogie spirituelle à l’adresse des croyants et, a fortiori, des
prophètes : leur élection et leur investiture ont pour passage obligatoire la purification.
Abraham (Ibrahim, en arabe) a été choisi comme " ami intime de Dieu " (khalîl Allâh) parce
qu’il a subi avec succès maintes épreuves. L’une des plus intenses fut sans doute ce
songe au cours duquel le patriarche se vit en train d’immoler son fils : " " Ô mon fils, je vois
en rêve que je t’égorge. Qu’en penses-tu ? " " Père ", répondit le fils, " fais ce qui t’est
ordonné. Tu me trouveras si Dieu veut, parmi ceux qui supportent l’épreuve ". "
Tous les traducteurs rendent ce passage au temps passé – " Ô mon fils, j’ai vu en rêve
que... " –, mais il importe de restituer le présent employé dans le texte arabe : celui-ci vit la
vision en direct, non en différé ! Les commentateurs insistent sur la dimension onirique de
la scène – absente du récit biblique. Cependant, Abraham n’a pas interprété, " transposé "
dit l’arabe, cette vision, car, selon l’avis des commentateurs, le songe ou la vision des
Les sources bibliques du christianisme
LAURENT SAILLY
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prophètes relève de la révélation (wahy), et est perçu par eux comme une réalité
immédiate. En effet : " Lorsqu’ils se furent tous deux abandonnés à la volonté divine
(aslama) et qu’Abraham eut couché son fils le front contre terre, Nous l’appelâmes : " Ô
Abraham ! tu as ajouté foi à la vision." C’est ainsi que nous rétribuons les êtres doués
d’excellence. " En réalité, la vision qu’a reçue Abraham ne lui intimait pas d’immoler
matériellement son fils, mais de le consacrer à Dieu. L’islam rejoint sur ce point la tradition
judaïque.
" Voici certes l’épreuve évidente. " Epreuve suprême de soumission à Dieu que de se
croire contraint d’égorger son fils ! Selon certains soufis, l’épreuve consistait à donner son
vrai sens à la vision. Ils font remarquer que l’enfant est le symbole de l’âme. C’est donc
son " moi " que Dieu demande à Abraham d’immoler, cette âme prophétique élevée,
certes, mais encore capable d’amour pour un autre que Dieu. Or, afin d’être investi
pleinement de l’intimité divine, Abraham doit vider son cœur de tout attachement aux
créatures. D’ailleurs, l’épisode du sacrifice suit immédiatement un passage où l’on voit
Abraham détruire les idoles adorées par son peuple (84-98).
" Nous le rachetâmes par un sacrifice solennel ", car l’enjeu est immense. Un bélier
venant, selon la tradition, du paradis, et conduit sur terre par l’ange Gabriel pour le
sacrifice, se substitue au fils : grâce à ce transfert, Dieu rachète à Abraham toute sa
descendance, prophétique et autre, afin de mieux la préserver et la bénir. Ainsi, " Nous
perpétuâmes (le souvenir d’Abraham) parmi les générations postérieures. Paix sur
Abraham ! " : après la soumission (islam) vient la paix (salam). L’animal, être pur parce
qu’il connaît par intuition directe son Créateur, à l’instar des règnes minéral et végétal,
peut en effet prendre la place d’un humain pur, prophète et fils de prophète. Par son
sacrifice consenti, il permet aux " fils d’Adam " – et pas seulement d’Abraham – de
régénérer leurs énergies vitale et spirituelle.
Toujours est-il que la commémoration du sacrifice d’Abraham, actualisée chaque année
par le sacrifice d’animaux, est devenue la " grande fête " (Aïd al-Kabir) des musulmans,
célébrée le 10 de Doul-Hijja, mois du Pèlerinage, le Hadj. Ceux qui l’ont accompli le
savent bien, le Hadj est une épreuve. A l’instar de la bête, le pèlerin est l’offrande
sacrificielle dont le parcours rituel permet à la communauté musulmane, et au-delà à
l’humanité, de se régénérer. Si le sacrifice animal garde aujourd’hui toute sa pertinence, et
si le partage et le don de la viande perpétuent " l’hospitalité sacrée " d’Abraham, il importe
de ne pas perdre de vue le sens premier du sacrifice : la purification intérieure.
On observera que le Coran ne précise pas si le fils offert en oblation est Ismaël, père des
Arabes, fils de la servante Agar jalousée par Sara, ou Isaac, son frère cadet, père des
Juifs. Cette imprécision a partagé les auteurs musulmans, chacun tirant argument de
façon opposée des mêmes passages coraniques en faveur d’Isaac ou Ismaël.
Le silence coranique sur l’identité du fils sacrifié – ou sanctifié – au regard du contexte
actuel, peut être perçu comme une source tantôt de rivalité et d’inimitié, tantôt de proximité
voire d’intimité entre juifs et musulmans. Ne serait-ce pas dans le dépassement de l’ego,
Les sources bibliques du christianisme
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vrai sens du sacrifice abrahamique, que les uns et les autres parviendront à restaurer une
harmonie séculaire mise à mal par des développements politiques récents ?
[Eric Geoffroy, professeur d’arabe et d’islamologie à l’université de Strasbourg. Publié le 1
septembre 2003 - Le Monde des Religions n°1]
3- Un point de vue psy
Comment ne pas s’étonner que le Dieu d’Israël qui demande à l’homme de ne point tuer
semble exiger ici un meurtre ? Ce dieu qui a promis une postérité innombrable à Abraham,
qui a permis à son épouse, Sarah, femme âgée et stérile, de mettre au monde un fils,
comment se fait-il qu’il veuille gommer d’un seul geste à la fois ses paroles et ses actes ?
Serait-il un dieu plein d’incohérences, cruel et despote ?
On peut comprendre que nombre de personnes se soient détournées de lui après avoir
reçu une telle image en guise de représentation divine. L’interprétation qui leur a été
donnée allait dans le sens de la soumission : il faut obéir aveuglément pour ne pas
déplaire à ce dieu jaloux. Dans le sens du dolorisme aussi : pour rentrer dans ses grâces,
il faut accepter ce qui fait le plus souffrir !
Pourtant ce passage biblique semble dire autre chose. Certes, il parle d’épreuve – " Dieu
mit à l’épreuve Abraham ". Mais l’épreuve est inhérente à la vie. Elle est ce qui conduit
chacun à grandir en humanité, c’est-à-dire à devenir plus conscient et davantage capable
d’ouverture. Alors il ne paraît pas étonnant que le destin d’Abraham l’y confronte tôt ou
tard. Peut-être que, pour finir, ce texte ne parle pas de subordination, mais bien plutôt de
libération ? Il n’aurait pas pour but de maintenir dans un état de petitesse, mais tout au
contraire de favoriser le déploiement de l’être.
Son aspect éminemment paradoxal interroge tout du long. Quand Abraham laisse ses
serviteurs, il leur demande d’attendre le retour de " nous ", autrement dit du père et du fils,
alors qu’il est censé revenir seul. Dieu semble exiger un sacrifice pour le refuser ensuite.
On peut se demander si ce côté déroutant de l’écriture n’est pas là pour permettre, par les
questions qu’il suscite, un cheminement chez le lecteur, un cheminement pour son
grandissement justement.
Le mystère s’approfondit quand on songe au comportement d’Isaac. Un fils quasiment
muet, qui se laisse ligoter sans se rebeller. Pourtant, le seul moment où il ouvre la bouche,
c’est pour poser une question cruciale : " Où est l’agneau pour l’holocauste ? " Comme
tout enfant, il a le don d’aller au cœur du sujet. Il interpelle ce père ambigu qui le chérit
comme " son " fils, son " unique ", et qui s’arrange pour qu’ils s’en aillent " tous deux
ensemble ". Ne se sent-il pas l’agneau sacrifié, cet enfant tellement désiré qu’on imagine
ses parents le couver sans cesse d’une attention pleine d’angoisse ? Ne doit-il pas rester
lié, si son père, encore bien immature, a besoin pour vivre de rester ainsi accroché à lui ?
Abraham répond : " Dieu saura voir l’agneau pour l’holocauste, mon fils ! " Ainsi, le
patriarche accepte, en se tournant vers plus haut que lui, de ne pas savoir, de ne pas
rester en position d’emprise. La psychanalyste Marie Balmary (1) relève d’ailleurs que les
mots " mon fils " et " ils s’en allèrent tous deux ensemble ", qui manifestent l’union
Les sources bibliques du christianisme
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étouffante, semblent comme mis en place de l’agneau. Le couteau est appelé à trancher
le lien de dépendance, à rendre le fils libre et, par là-même, à faire devenir ce père
pleinement père. Abraham se montre capable de dépasser ses angoisses, d’oublier ses
besoins affectifs trop dévorants et de laisser Isaac aller à son destin. L’immolation du
bélier signifie qu’il accepte la perte. Ainsi chacun, père et fils, et peut-être le lecteur,
échappe aux forces de mort générées par un Moi trop contrôlant pour goûter à la Vie
féconde.
(1) Le Sacrifice interdit (Grasset, 1999).
[Marie Romanens psychanalyste. Publié le 1 septembre 2003 - Le Monde des Religions
n°1]
Références
Euripide. Il est intéressant de rapprocher cet épisode de la Genèse de la tragédie
d’Euripide, Iphigénie à Aulis. Agamemnon doit sacrifier à Artémis sa fille Iphigénie afin que
des vents favorables lui permettent de voguer vers Troie. Comme Isaac, Iphigénie accepte
son sacrifice, mais la déesse Artémis la sauve de la mort en lui substituant une biche.
Concordances. La Bible juive campe Abraham et balise sa vie de nomade. II est la figure
de l’Ancien Testament la plus citée après Moïse. Saint Paul en fait le père de tous les
croyants, juifs et non juifs (Epitre aux Romains 4, 9-12). Abraham occupe une place de
choix dans le Coran, en compagnie de Jésus et de Moïse. Il est défini comme "
monothéiste " et " soumis " (muslim).
C’est donc le premier musulman (sourate 3, 62-68).
Figure du Christ. La tradition chrétienne a vu dans le personnage d’Isaac la figure
anticipatrice du Christ, fils de Dieu sacrifié pour le salut de l’humanité. Cette interprétation
s’appuie sur l’Epître aux Hébreux (11, 17-19). A l’image d’Isaac, Jésus est ligoté au cours
de son supplice et il porte lui même sa croix...
Iconographie. La ligature d’Isaac a inspiré des peintres aussi divers que Caravage,
Rembrandt, Dali, Chagall.
Philosophie. La figure d’Abraham a également intéressé philosophes et penseurs. Le
Danois Kierkegaard, dans Crainte et Tremblement y a vu " l’expérience de la foi nue " et
l’illustration d’une distinction entre " l’ordre éthique " et " l’ordre religieux " qui consiste en
un débordement de l’éthique au contact de l’absolu.
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Chapitre 2
De l’Egypte à la Terre promise
(Exode ; Lévitique ; Nombres ; Deutéronome)
L’héroïsme de Moïse face à la tyrannie du pharaon, les dix plaies d’Egypte, l’Exode de
masse des Israélites, ces épisodes hautement dramatiques, dont le souvenir s’est
perpétué au cours des siècles, comptent parmi les événements les plus marquants de
l’histoire biblique. Sous la conduite d’un chef – et non plus d’un père – divinement inspiré,
qui représente Dieu auprès de la nation et la nation auprès de Dieu, les Israélites
accomplissent l’impossible périple qui les fait passer de la déchéance de l’esclavage aux
frontières de la Terre promise.
I. La servitude des fils d’Israël (Exode 1)
En l’espace de 430 ans, les descendants des douze frères et de leurs familles proches
sont devenus une grande nation – ainsi que Dieu le leur avait promis –, que la population
égyptienne appelle les Hébreux : « Ils furent féconds et se multiplièrent, ils devinrent de
plus en plus nombreux et puissants, au point que le pays en fut rempli » (Ex 1,7). Mais les
temps changent. Un nouveau pharaon monte sur le trône, « qui n’avait pas connu
Joseph ». De crainte que les Hébreux ne trahissent l’Egypte en faveur de l’un de ses
ennemis, le nouveau pharaon les réduit en esclavage et les condamne aux travaux forcés
sur les chantiers de construction des cités impériales de Pitom et Ramsès. « Mais plus on
lui [Israël] rendait la vie dure, plus il croissait en nombre et surabondait » (Ex 1,12). Le
cercle vicieux de la répression s’intensifie : les Egyptiens rendent la vie encore plus dure
aux Hébreux (Ex 1,14).
Craignant une explosion démographique chez ces dangereux travailleurs immigrés, le
pharaon ordonne de noyer tous les enfants mâles dans le Nil (Ex 1,21). De cette mesure
radicale naquit l’instrument de la libération du peuple hébreu ?
II. Moïse : de la cour du Pharaon au pays de Madiân (Exode 2,1-22)
Un fils de la tribu de Lévi – confié au fleuve dans une corbeille de papyrus – est découvert
et adopté par l’une des filles du pharaon. Elle le nomme Moïse (de la racine hébraïque
« tirer » des eaux). Il grandit au sein de la cour impériale. Des années plus tard, devenu
adulte, Moïse aperçoit un contremaître égyptien en train de battre un esclave hébreu. Son
sang ne faisant qu’un tour, il tue le contremaître et le « cache dans le sable ». Craignant
pour sa vie, Moïse fuit dans le désert ; il prend refuge au pays de Madiân, où il adopte
l’existence d’un nomade du désert. Au cours de son périple de berger solitaire, près de
l’Horeb, « la montagne de Dieu », il reçoit la révélation qui changera la face du monde.
III. « Je suis celui qui est » (Exode 2,23 à 4,17)
Au milieu des flammes étincelantes d’un buisson qui brûle dans le désert sans pour autant
se consumer, le Dieu d’Israël se révèle au regard de Moïse comme le libérateur du peuple
hébreu. Dieu promet de le délivrer des mains de ses oppresseurs pour le mener sain et
sauf à la Terre promise où il vivra libre et en sécurité. Dieu se présente comme le Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il révèle à Moïse son nom mystérieux et mystique,
YHWH, « Je suis celui qui est ». Alors, Dieu confie à Moïse la mission solennelle de
retourner en Egypte, avec son frère Aaron, pour confronter le pharaon à la démonstration
éclatante de puissants miracles et exiger de lui la liberté de la maison d’Israël.
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IV. Les fléaux d’Egypte (Exode 4,18 à 12,36)
Mais le pharaon a le cœur endurci. Sa seule réponse à Moïse sera d’intensifier la
persécution des esclaves hébreux. C’est pourquoi Dieu ordonne à Moïse de menacer
l’Egypte d’une série de fléaux épouvantables si le pharaon persiste à refuser de se plier à
la divine injonction : « Laisse partir mon peuple ! » (Ex 7,16). Le pharaon refuse de plier.
Le Nil se change en sang. Des nuées de grenouilles, de moustiques et de taon tombent
sur tout le pays. Une épizootie mystérieuse décime les troupeaux égyptiens. Des ulcères
et des pustules crèvent la peau des gens et des bêtes qui ont survécu. La grêle s’abat sur
la contrée et détruit les récoltes. Obstiné, le pharaon ne cède toujours pas. Des nuées de
sauterelles dévorent le peu qui reste des récoltes et les ténèbres assombrissent tout le
pays d’Egypte. Enfin, intervient la plaie la plus terrible de toutes : la mort des premiers-
nés, ceux des hommes comme ceux du bétail, sur toute la terre du Nil.
Pour protéger les premiers-nés israélites, Dieu ordonne à Moïse et à Aaron de préparer la
congrégation d’Israël par l’offrande spéciale de moutons ou de chèvres dont le sang devra
être répandu sur le seuil des maisons israélites de façon que Dieu les épargne la nuit où il
frappera les enfants égyptiens. Il donne aussi l’ordre de préparer des provisions de pain
azyme en vue d’un départ précipité. Quand le pharaon découvre la perte terrible
occasionnée par le dixième fléau, la mort de tous les premiers-nés, y compris les siens, il
s’avoue vaincu et supplie les Israélites de quitter le pays avec leurs troupeaux.
V. La sortie d’Egypte (Exode 12,37 à 15,21)
C’est ainsi que la multitude d’Israël, « au nombre de près de six cent mille hommes de
pied, sans compter leur famille » (Ex 12,37), abandonne les villes de la région orientale du
delta et se dirige vers les étendues désertiques du Sinaï. « Lorsque Pharaon eut laissé
partir le peuple, Dieu ne lui fit pas prendre la route du pays des Philistins, bien qu’elle fût
plus proche, car Dieu s’était dit qu’à la vue des combats le peuple pourrait se repentir et
retourner en Egypte. Dieu fit donc faire au peuple un détour par la route du désert de la
mer des Roseaux » (Ex 13,17-18). Mais le pharaon regrette soudain sa décision et envoie
une force armée de « six cents des meilleurs chars et tous les chars d’Egypte » à la
poursuite des Israélites. La mer Rouge se divise en deux pour permettre aux Hébreux de
passer à pied sec sur la rive opposée du Sinaï. A peine l’ont-ils franchie que les eaux se
referment sur les poursuivants égyptiens, miracle inoubliable que commémore le Chant de
victoire (Ex 15,1-18).
VI. En chemin vers la « montagne de Dieu » (Exode 15,22 à 18)
Sous la conduite de Moïse, la foule des Israélites accomplit un interminable périple à
travers le désert. Ils suivent une route à l’itinéraire soigneusement répertorié, qui précise
les noms de lieux où ils ont souffert de la soif, de la faim, où ils ont exprimé leur
mécontentement, où ils ont été consolés, nourris et abreuvés, grâce à l’intercession de
Moïse auprès de Dieu. Ils atteignent finalement la « montagne de Dieu », où Moïse a déjà
reçu sa première révélation.
VII. L’alliance (Exode 19 à 40)
Le peuple se rassemble au pied du mont, tandis que Moïse grimpe au sommet pour y
recevoir la Loi destinée à régir l’existence des Israélites nouvellement libérés. La réunion
est gâchée par les Israélites, qui se sont mis à adorer le Veau d’or pendant que Moïse
était occupé au sommet du mont. De colère, Moïse brise le premier exemplaire des Tables
de la Loi. En dépit de cet incident, Dieu s’en remet à Moïse pour communiquer à son
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peuple les dix commandements, ainsi qu’une législation très complexe sur tout ce qui
touche au culte, à la pureté rituelle et à la nourriture. L’Arche d’alliance qui renferme les
Tables de la Loi servira dorénavant d’étendard de bataille ; symbole national le plus sacré,
elle accompagnera les Israélites tout au long de leur périple.
VIII. Premier essai de pénétration en Canaan (Nombres)
De leur campement dans le désert de Parân, les Israélites envoient des espions pour
collecter des informations sur les peuples de Canaan (Nb 13). A leur retour, ces derniers
font un rapport tellement impressionnant sur les forces cananéennes et la dimension
formidable des remparts qui protègent leurs cités que les Israélites perdent courage. Ils se
rebellent contre Moïse, allant jusqu'à le supplier de les ramener en Egypte où, au moins,
leur sécurité physique est garantie. En voyant cela, Dieu décrète que la génération qui a
connu l'esclavage en Egypte ne vivra pas pour jouir de l'héritage de la Terre promise, et
devra poursuivre son périple dans le désert pendant encore quarante ans. Aussi les
Israélites n'entreront-ils pas dans Canaan directement, mais par un itinéraire détourné,
passant par Cadès-Barnéa, puis par l'Araba, puis à travers les terres d'Edom et de Moab,
pour aboutir à l'est de la mer Morte.
IX. Derniers discours et mort de Moïse (Deutéronome)
L'acte final de l'Exode prend place dans les plaines de Moab, en Transjordanie, en vue de
la Terre promise. Moïse, qui a atteint un âge fort avancé, révèle aux Israélites les termes
définitifs de la Loi qu'ils devront observer s'ils veulent hériter de Canaan. Cette seconde
version de la Loi, le Deutéronome, (du grec "deuteronomos", signifie "deuxième loi")
réitère les dangers mortels de l'idolâtrie, établit le calendrier des fêtes, énumère toute une
série de législations sociales, et ordonne que, une fois la conquête accomplie, le Dieu
d'Israël ne soit plus vénéré que dans un sanctuaire unique, "au lieu choisit par Yahvé ton
Dieu pour y faire habiter ton nom" (Dt 26,2). Comme il fait partie de la génération qui a
subi l'amère servitude égyptienne, lui aussi est condamné à mourir sans poser le pied sur
la Terre promise. Après avoir imposé les mains sur Josué, fils de Nûn, pour qu'il
commande aux Israélites durant leur brève campagne de conquête, le vieux Moïse, âgé
de cent vingt ans, monte au sommet du mont Nébo pour y rendre l'âme. Ainsi s'achève la
transition de famille à nation. Cette dernière n'a plus qu'à relever son défi le plus périlleux:
accomplir le destin que Dieu lui a réservé.
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 84 et 86 à 90 –
filio127histoire]
Moïse a-t-il existé et a-t-il inventé le monothéisme ?
Ce que dit la Bible
Pour la Bible, la question ne se pose pas. Moïse est appelé par Yahvé pour lui annoncer
qu'il est le seul dieu qu'Israël doit vénérer. Les auteurs bibliques ne connaissent pas le
concept abstrait de monothéisme.
Ce que dit l'historien
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L'historicité de Moïse est difficile à saisir. Son nom est d'origine égyptienne, il a parfois été
identifié à de hauts fonctionnaires d'origine sémite. S'il a existé, il n'a pas inventé le
monothéisme : celui-ci ne voit le jour qu'au VIe siècle avant notre ère.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
À quelle période se situe la sortie d'Égypte, si elle a eu lieu ?
Ce que dit la Bible
La Bible ne précise pas le nom du pharaon sous lequel a lieu cet événement. Elle donne
le chiffre de 600 000 hommes adultes qui auraient traversé la mer des Joncs en une nuit.
Elle mentionne la ville de Pithom que les Hébreux ont dû construire (Exode 1, 11), un nom
de ville attesté à partir du VIIIe siècle avant notre ère.
Ce que dit l'historien
On a voulu situer l'exode sous Ramsès II (vers 1220 avant notre ère), mais il n'existe
aucune preuve d'un « grand exode » des Hébreux vers la Palestine. 600 000 mâles
adultes avec leurs familles représentent plus que la population de l'Égypte à l'époque. La
Bible se base sur le souvenir de plusieurs « escapades » de groupes sémitiques hors
d'Égypte.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
La légende de Sargon [Moïse, Thomas Römer. Gallimard, 2002]
« Sargon, le roi puissant, le roi d'Akkad, je le suis. Ma mère était une prêtresse, mon père,
je ne le connaissais pas... Ma mère, la prêtresse, me conçut en secret, elle m'enfanta. Elle
me mit dans une corbeille de roseau avec de l'asphalte, elle ferma le couvercle. Elle me
jeta dans la rivière qui ne m'engloutit pas. Le fleuve me porta et m'emmena vers Akki, le
puiseur d'eau. Akki, le puiseur d'eau, me sortit comme il trempait son vase. Akki, le
puiseur d'eau, me prit comme son fils et m'éleva. Il me plaça comme son jardinier. Durant
mon jardinage, Ishtar m'aima. »
Moïse, prophète et libérateur
Avec ses roches déchiquetées, son paysage à couper le souffle, ses flancs escarpés, le
mont Sinaï lui va comme un gant. Lui ? Moïse, qui a reçu ici même les Tables de la Loi, au
sommet de la montagne rouge, portant le feu en elle, de l'aurore au crépuscule. Un décor
incandescent de Genèse qui impose le silence et qui engendre l'évidence : au début était
le Verbe, et juste après Moïse, tant la figure du personnage, prophète des trois religions
du Livre, domine ces lieux. A perte de vue, des collines et d'autres monts, quelques
villages et, en contrebas, baigné par une lumière douce qui dut caresser aussi le premier
jour, le monastère de Sainte-Catherine, garant du protectorat ancestral sur ces lieux
bibliques.
L'ennui, c'est que le mont Sinaï n'est peut-être pas le bon endroit. Le berceau de la
révélation serait ailleurs, davantage au nord, plus proche des points d'eau et de l'itinéraire
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des antiques caravanes. C'est du moins ce qu'affirment maints chercheurs, chrétiens et
juifs. Que le mont Sinaï, le djebel Moussa des musulmans, soit le lieu historique de la
révélation ou non, la polémique souligne en tout cas la force du personnage. Moïse. Une
épopée fabuleuse, celle d'un héros magnifique et magnifié. A la fois tribun biblique
incomparable, contestataire hors pair, symbole de la révolte, roi législateur, prophète-
messager qui sut être faucon et colombe, voyageur solitaire et guide de tout un peuple...
Dans le salon du monastère Sainte-Catherine, bâti en 527 après Jésus-Christ par les
envoyés de l'empereur Justinien de Byzance, et aux mains de 23 moines grecs
orthodoxes, le père Nilos veut bien admettre qu'il y ait différentes thèses en présence,
mais lui n'a qu'une certitude : son monastère est bien construit sur les contreforts du mont
mythique. Il fait confiance à la tradition. C'est là-haut, au-delà d'un escalier de plusieurs
centaines de marches taillées dans la roche, à plus de 2000 mètres d'altitude, que Moïse
aurait reçu les Dix Commandements, au terme d'un isolement de quarante jours et
quarante nuits. Et c'est ici que demeure le buisson ardent sur lequel veille jalousement le
père Michaël, originaire de Crète, chargé d'arroser toutes les deux semaines l'arbuste
vénéré. Tel était d'ailleurs le premier nom du couvent, « monastère du Buisson-Ardent et
de la Mère de Dieu », qui rend un hommage quotidien à Moïse.
Nouveau-né emmené par les eaux du Nil : ce commencement-là avait de quoi forger un
sacré destin. Arrivé en Egypte pour fuir une disette en pays de Canaan, le peuple d'Israël
connaît très vite l'oppression. En butte aux pharaons, il subit la corvée jusqu'au martyre.
Méprisants envers ces clans de gueux, les souverains, dépositaires des dieux sur terre,
vont jusqu'à ordonner le massacre des nouveau-nés mâles. Un bambin est alors caché
par sa mère, de la tribu des Lévites, puis déposé dans un couffin sur le Nil. L'enfant est
sauvé par une princesse égyptienne, en fait la fille du pharaon, qui l'adopte. Devenu
homme, Moïse, apercevant un lieutenant du souverain frapper un esclave hébreu, saisit le
spadassin et le tue. Les siens, sans pitié, le dénoncent, et Moïse fuit sous une double
menace, celle des israélites et celle du pharaon. L'épopée est née dans le limon du Nil,
elle continue sous le signe de la trahison.
Réfugié au pays de Madian, dans le Sinaï, Moïse devenu pâtre découvre un buisson en
feu : le buisson ardent, le signe de Dieu. Une voix lui annonce alors qu'il doit se mettre en
route pour chercher son peuple, captif des Egyptiens. Ce qu'il fait, manquant d'être tué par
Dieu en route. Devant le pharaon, Moïse implore la libération des Hébreux, le souverain
refuse. Alors les dix plaies d'Egypte s'abattent sur le pays du Nil : l'eau du fleuve se
transforme en sang ; les grenouilles s'abattent sur le pays ; les insectes envahissent
l'Egypte ; les bêtes féroces pullulent ; les épidémies frappent les foyers ; les hommes
subissent le calvaire de l'ulcère et autres châtiments divins. Puis, ce sont la grêle, les
sauterelles, les ténèbres. La dernière punition est décisive : les nouveau-nés mâles
égyptiens meurent, le pharaon est contraint de libérer le peuple d'Israël.
Mais il reprend sa parole et lance son armée à la poursuite des fuyards, acculés devant la
mer Rouge. Alors, Moïse reçoit un appui divin et de son bâton ouvre la mer Rouge,
laquelle se referme plus tard sur les cohortes des poursuivants, engloutis par les flots.
Quand Moïse et son peuple parviennent au pied du mont Sinaï, Dieu lui apparaît pour
remettre les Dix Commandements. Subjugué, Moïse est désormais nanti d'une mission
céleste. Il est l'homme « que Yahvé a connu face à face » . Mais son peuple est rétif à la
parole divine. Dès que Moïse a le dos tourné, les Israélites concoctent la représentation
d'un dieu, le veau d'or. Lorsqu'il redescend de ses hauteurs, Moïse aperçoit l'idole et, ivre
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de colère, brise la statue. Sa tribu, les Lévites, scelle dans le sang le courroux patriarcal.
C'est un carnage, au prix de 3 000 morts.
De Moïse, il est vrai, prophète du judaïsme, du christianisme, de l'islam, on a tout dit. Qu'il
fut un pharaon égyptien en exil, répondant du nom d'Amenmès, fils de Séthi II, selon
l'égyptologue berlinois Rolf Krauss. Qu'il fut l'inventeur du monothéisme. Qu'il fut, encore,
le disciple du roi Akhenaton et qu'il convertit à sa religion le peuple hébreu - thèse de
Freud dans « Moïse et le monothéisme », violemment critiquée lors de sa parution, en
1939. Comme le suggère Daniel Jeremy Silver, auteur d'une biographie de Moïse, il
n'existe que peu d'éléments historiques en dehors de la Bible permettant de corroborer les
épisodes de la vie de Moïse et l'exode des Hébreux hors d'Egypte. Les recherches
archéologiques ont permis d'affiner cette saga, et d'abord le chapitre au sommet de la
montagne.
Pour l'archéologue italien Emmanuel Anati, qui dirige le Centre des études préhistoriques
à Capo di Ponte, cela ne fait aucun doute : n'en déplaise aux moines gardiens du temple
de Sainte-Catherine, le vrai mont de Moïse est... en Israël, dans le désert du Néguev.
Voilà dix-neuf ans que le chercheur italien sonde cette zone. Sa découverte ? Avoir repéré
- progressivement - le vrai lieu de la révélation, Har Karkom. Une centaine de sanctuaires
sont parsemés sur ce relief tourmenté, dont le plus ancien date de quarante mille ans. Or
toute la thèse d'Anati se fonde sur une triple approche : l'exégèse des textes de l'Ancien
Testament, la topographie et les trouvailles archéologiques.
Les textes, tout d'abord : dans les références du Pentateuque - les cinq premiers livres de
la Bible, la Torah des juifs -, aucune ne laisse penser que le mont Sinaï se situe au sud de
la péninsule. Au contraire, le mont sacré serait aux confins de la Terre promise. Or Har
Karkom ne se situe qu'à 50 kilomètres de la frontière décrite par Josué.
Et la mer Rouge, dans tout ça ?
La topographie, ensuite. Anati a pris son bâton de pèlerin et a emprunté la sente de
l'exode - celle qu'il croit être la bonne -, c'est-à-dire celle qui fend au nord du Sinaï
égyptien. « J'ai recensé, assure-t-il, 16 des 22 sites mentionnés dans la Bible. Et l'un des
puits sur la route, d'eau salée, se situait à proximité d'un point de bonne eau, à Mara, sur
les rives de la mer Rouge, comme dans la Bible, quand Moïse a sauvé les siens en
passant de l'un à l'autre. »
Les fouilles, enfin : l'archéologue, auteur d'« Aux origines de l'art, 50 000 ans d'art
préhistorique et tribal » (Fayard), a découvert avec son équipe, au pied de « sa »
montagne, douze pierres sur un promontoire rocheux, comme pour rappeler le lieu où
Moïse bâtit un autel avec une douzaine de cailloux afin de symboliser les douze tribus
d'Israël. « Ce petit monument a peut-être été érigé après la mort de Moïse, tempère Anati,
mais cela signifie au moins que la tradition situait là le vrai mont Sinaï. »
Et la mer Rouge, dans tout ça ? Anati estime qu'il s'agit en fait de la mer des Roseaux, et
non de la mer Rouge, à cause d'une erreur de traduction de l'hébreu. Cette mer des
Roseaux serait en fait un lac intérieur, le Bardawil, non loin de la Méditerranée, entre Suez
et Palestine, « trois sites justement mentionnés par la Bible » , exulte Anati. D'autres
chercheurs et exégètes estiment qu'il pourrait s'agir des lacs Amer, entre Méditerranée et
mer Rouge, franchis par un gué praticable à certaines saisons.
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Bref, la petite révolution de l'archéologue, loin de contredire la Bible, ne fait que l'enrichir.
Et s'oppose d'abord à l'école minimaliste développée par des chercheurs israéliens - Anati
les connaît pour avoir enseigné à Tel-Aviv - et suivie par des homologues allemands et
américains, qui estiment que la Bible ne comporte que peu d'éléments historiques. A
écouter Anati, on sort convaincu qu'elle en regorge plus que prévu. En tout cas, on sait
que les récits bibliques de Moïse ont été rédigés aux environs du VIe siècle avant J.-C.,
après la destruction de Jérusalem, afin que les meneurs du peuple juif en exil à Babylone
puissent supporter l'asservissement. On peut s'interroger sur la validité historique de
Moïse. Mais reste sa charge symbolique, sa figure représentative qui est identitaire car
forgeant la religion.
Qu'importent les polémiques ! Demeure le personnage qui a inspiré tant de récits, de
mythes, d'épopées - et jusqu'au personnage de Néo dans « Matrix ». La Bible a, pour celui
qui a vu Yahvé, une phrase magnifique, quand il descend du mont Sinaï : « Moïse ne
savait pas que la peau de son visage rayonnait d'avoir parlé avec Lui » (Exode, 34).
L'éblouissement, l'élévation de l'âme, après les épreuves, la mort, les combats. Le
libérateur est d'abord un homme, le prophète appartient au domaine du spirituel.
Chaleureux et courroucé, quitte à briser les Tables pour vilipender le culte du veau d'or. Et
c'est cette double image de lumière et de colère qui traversera les siècles, l'image
hautement épique d'un homme aux mille visages qui a tant nourri la culture occidentale.
[Olivier Weber, envoyé spécial au Mont Sinaï pour Le Point 1631-1632]
DECRYPTAGE
Le passage de la mer Rouge (Exode 14, 19-23, 26-27, 29, 31)
Nul texte ne mérite autant le nom de " fondateur ". Il évoque un épisode clé de l’histoire du
peuple d’Israël, la justification de l’éthique juive. Côté chrétien, on y a vu la figure de la
résurrection et du baptême. Mais, par-delà l’aspect religieux, il parle à quiconque veut se
libérer ou se délivrer intérieurement.
1. Une lecture juive
" C’est parce que les enfants d’Israël se disposèrent face à la mer Rouge selon l’ordre des
douze tribus afin de préserver l’héritage des enfants de Jacob que Dieu suscita le miracle
et les fit traverser la mer à pied sec. " (Midrash (1) Yalkout reouvéni sur Exode 14).
Le miracle de la mer Rouge est là pour rappeler que les tribus d’Israël sont indissociables.
On aurait pu penser que cette partition du peuple en douze tribus ait quelque peu perdu
de son sens ou de son intérêt avec le temps, que les particularismes des pères fondateurs
de la nation se soient estompés, progressivement, comme tous les particularismes,
suivant en cela une pente naturelle. Et, sans doute, effectivement, au moment de quitter
définitivement l’Egypte après des générations de servitude et d’assimilation, cette
constitution du peuple en douze " familles " a-t-elle perdu de sa force originelle.
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Or la Torah réagit avec vigueur contre une telle évolution. Tout au long du chapitre 14 de
l’Exode, le Midrash revient avec régularité sur cette formelle exigence : " C’est selon les
tribus de vos pères que vous bénéficierez de l’ouverture de la mer Rouge et que vous
hériterez de la terre d’Israël. " Les dernières lignes du Midrash résonnent encore de cette
préoccupation : " Chacun des enfants d’Israël demeura attaché à l’héritage de ses pères
et se rassembla devant la mer Rouge selon l’ordre des tribus. " Lorsque la Bible répète à
l’envi " qu’aucun héritage chez les enfants d’Israël ne sera transporté d’une tribu à une
autre " (Nombres 36, 7), elle témoigne sans doute d’un souci qui dépasse largement celui
de la préservation du patrimoine de chaque tribu, du maintien de chacune dans les limites
qui lui auront été imparties.
C’est aussi de la persistance du caractère particulier de chaque tribu qu’il s’agit là. Le
patrimoine spécifique de chacune doit trouver à s’exprimer encore dans l’enracinement sur
une terre, dans la confrontation aux problèmes politiques. Epreuve décisive.
Mais le souci de la Torah ne peut s’envisager comme une pure et simple volonté
d’exacerbation des différences, qui ouvrirait vite le champ à l’émergence de petits
nationalismes tatillons et jaloux, à vocation éventuellement hégémonique, qui risquerait de
compromettre gravement toute idée d’unité.
Elle désire, en fait, par la persistance de la notion de tribu, promouvoir une conception la
plus aboutie et la plus exigeante qui soit de l’unité d’un peuple, mais une unité nationale
qui ne soit pas une unité de façade. Celle d’un peuple qui soit un – en ceci que chaque
individu y soit unique et irremplaçable – et arrive à s’intégrer à la dynamique collective tout
en donnant pleinement sens à sa vie. Or ceci est loin d’aller de soi dans la pratique
quotidienne.
Pour qu’il devienne possible de se situer et d’évoluer dans une aire médiane, entre un
individualisme exacerbé et sans partage qui ne permet à aucun projet collectif d’aboutir et
un nationalisme exacerbé qui fait fi de tout particularisme, soumettant les individus, sans
contrepartie, à la raison d’Etat. Les douze fils de Jacob représentent douze modalités
différentes de vivre la Loi. Les douze tribus constituent la passerelle obligée entre
l’individu et la nation. Mais ces figures pour être véritablement opérantes ne peuvent rester
références livresques, modèles " mythiques ". Elles doivent continuer à s’incarner et à
évoluer dans le temps. Car il ne s’est jamais agi de toute façon de reproduire et de
perpétuer dans les tribus les caractéristiques propres des pères de ces dernières, telles
quelles, sans nuances. Ces pères incarnent chacun des tendances, un style qui doit être
infléchi progressivement jusqu’à être porté à un certain accomplissement dans son
expression, au niveau du groupe, attaché à sa terre.
Chaque tribu aura à cœur de s’accomplir dans son " style " propre, parachevant aussi
l’œuvre des pères, assumant jusqu’au bout son mode d’existence spécifique. Assurant
ainsi la transmission des valeurs patriarcales sous douze modes principaux qui doivent
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trouver à se conjuguer dans l’histoire, seule condition d’une perpétuation de l’héritage
paternel dans son intégralité.
Ainsi, au-delà de la seule exigence de coexistence pacifique, de respect mutuel dans la
différence, on voit se profiler la nécessité de viser à une complémentarité pleinement
acceptée, pleinement efficace, condition d’accès à la véritable unité.
C’est ce qu’on voit s’ébaucher déjà chez les fils de Jacob. Des associations s’esquissent,
bonnes ou mauvaises. Siméon et Lévi, "couple maudit " que Jacob voulait briser à tout
prix (Genèse 49, 5-7). Issa’har et Zabulon dont l’association fructueuse se poursuivra de
manière exemplaire.
Dans le livre des Nombres, de nouveaux regroupements se font. Dans le camp d’Israël
(chap. 2), les tribus sont subtilement disposées par groupe de trois autour du Tabernacle.
Par cet " arrangement-là ", un sommet est atteint. Les fondements de l’unité du peuple
sont valablement posés, la présence divine peut résider en son sein.
Mais cette unité doit encore s’éprouver dans l’enracinement dans une terre. Là, il faudra
plus que jamais déjouer les tentations nationalistes, laisser place à la diversité, dans
l’unité. C’est pour cette raison que la Torah tient à ce que soit préservé ce regroupement
par tribus. Et que le Midrash en souligne l’importance dès le passage miraculeux de la mer
Rouge, acte fondateur de l’histoire d’Israël.
(1) Midrash : commentaire homilétique de la Bible
[Gilles Bernheim, grand rabbin de la synagogue de la Victoire, à Paris, et directeur du
département Torah et Société du Consistoire de Paris- Publié le 1 mars 2004 - Le Monde
des Religions n°4]
2. Une lecture chrétienne
Par le passage de la mer Rouge, les Hébreux préparent la voie à ceux qui viendront après
eux.
Dans la liturgie de l’Eglise catholique, l’évocation du passage de la mer donne le coup
d’envoi des célébrations pascales. Lors de la veillée du samedi soir, les fidèles se
regroupent sur le parvis de l’église, allument le cierge pascal et l’introduisent dans l’église.
Dans la pénombre, à la lueur des cierges, s’élève le chant de l’Exultet. Dans ce vieil
hymne, dont certains éléments remontent jusqu’à Ambroise de Milan, on célèbre " la nuit
où tu as tiré d’Egypte les enfants d’Israël, nos pères, et leur as fait passer la mer Rouge à
pied sec. C’est la nuit où le feu d’une colonne lumineuse repoussait les ténèbres du péché
(...) Voici la nuit où le Christ, brisant les liens de la mort, s’est relevé, victorieux, des enfers
(...) Ô nuit de vrai bonheur, nuit où le ciel s’unit à la terre, où l’homme rencontre Dieu. "
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L’assemblée écoute et médite une série de textes bibliques : le poème de la création, la
ligature d’Isaac, le passage de la mer, suivi du Cantique de Moïse.
L’Exultet ainsi que la sélection de texte s’inspire du poème juif des quatre nuits qui
marquent le monde : création, Abraham, Pâque, venue du Messie (Targoum Neofiti Exode
12,42). Après quelques autres lectures vient la liturgie baptismale. Le prêtre bénit l’eau : "
Aux enfants d’Abraham, tu as fait passer la mer Rouge à pied sec, pour que le peuple
d’Israël, libéré de la servitude, préfigure le peuple des baptisés (...) que vienne sur cette
eau la puissance de l’Esprit saint, afin que tout homme qui sera baptisé, enseveli dans la
mort avec le Christ, ressuscite avec le Christ pour la vie. "
La Pâque chrétienne célèbre la résurrection du Christ, mais, comme on peut le constater,
se situe également en continuité avec la Pâque juive. On y célèbre l’action de Dieu qui fait
passer la mer Rouge à pied sec à nos pères et qui fait passer Jésus de la mort à la vie. Le
passage de la mer est une image de la mort-résurrection de Jésus et une image du
baptême. Jésus a été plongé dans la mort pour renaître à la vie. Le baptisé est plongé
dans les eaux du baptême pour renaître à une vie nouvelle. " Par le baptême, en sa mort,
nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts
par la gloire du Père, nous menions, nous aussi, une vie nouvelle ", écrit Paul dans sa
Lettre aux Romains (6, 4)
Le passage de la mer est l’objet d’une lecture typologique. Cela signifie que les
événements racontés dans la Bible servent d’exemple aux générations ultérieures et
qu’elles sont des images de ce qui se réalisera en plénitude en Jésus-Christ. Un passage
de sa Lettre aux Corinthiens illustre bien ce type d’exégèse. Paul apprend que certains
Corinthiens sont gonflés d’orgueil. Ils s’imaginent que, parce qu’ils sont baptisés, ils
peuvent tout se permettre y compris manger de la viande offerte aux idoles au risque de
scandaliser les plus faibles. Paul leur rappelle que le salut n’est pas acquis une fois pour
toutes. Pour preuve, ce qui s’est passé lors de la sortie d’Egypte : " Nos ancêtres ont tous
été sous la protection de la colonne de nuée, et tous ont passé la mer Rouge. Tous, ils ont
été pour ainsi dire baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer (...). Cependant, la
plupart n’ont fait que déplaire à Dieu, et ils sont tombés au désert." (10,1-2, 5)
" Baptisés en Moïse. " L’expression est étonnante. Elle signifie que Moïse est une figure
du Christ. La colonne de nuée – colonne de nuée le jour pour leur ouvrir la route, colonne
de feu la nuit, pour les éclairer, selon Exode 13,21 qui symbolise la présence de Dieu – et
le passage de la mer sont des figures du baptême.
Dans son sermon pour l’Epiphanie, saint Maxime de Turin (³ 415) commente : " La
colonne de feu s’est avancée la première à travers la mer Rouge pour que les fils d’Israël
marchent sur ses traces avec intrépidité. Elle a traversé les eaux en premier pour préparer
la voie à ceux qui viendraient après elle. Ce fut là, dit l’Apôtre, un mystère préfigurant le
baptême. Oui, ce fut comme un baptême, lorsque la nuée recouvrait les hommes, et que
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l’eau les portait. D’une façon plus populaire, les negro-spirituals ont repris cette idée, en
associant le passage de la mer et le baptême.
Terminons avec le diacre Ephrem (IVe siècle). Pour montrer la nouveauté apportée par le
Christ, il associe dans la même joie pascale le réveil de la nature au printemps, le passage
de la mer et la résurrection de Jésus. Voici un court extrait : " Au mois de Nisan, quand les
fleurs emprisonnées sortirent de leurs boutons, les enfants à leur tour sortirent de leur
chambre. C’était fête ; ils jubilèrent ensemble pour leur Beau Seigneur, les enfants et les
fleurs (...) Au mois de Nisan, le mois exubérant qui engendre les chants, les enfants
donnèrent leur voix, sans plus avoir de crainte (...) Avec l’agneau pascal, les enfants
purent sortir et, comme des agneaux hors de l’enclos, ils bondirent en liberté. " (De Azymis
XI).
Pour en savoir plus : L’Exode. Ses relectures (Concilium, n°209) ; La Pâque et le passage
de la mer dans les lectures juives, chrétiennes et musulmanes. Exode 12-14 (Cahiers
Evangile Suppléments, n°92).
[Joseph Stricher, prêtre du diocèse de Metz et directeur du Service biblique Evangile et
Vie (SBEV) - Publié le 1 mars 2004 - Le Monde des Religions n°4]
3. Une lecture psy
La délivrance du peuple hébreu parle à chacun de la sienne : l’être humain n’a pas
vocation à rester sous dépendance d’autrui.
" Quitter le lien de dépendance n’est pas évident. Quand j’y pense, un sentiment
d’insécurité me submerge et me paralyse. Pourtant, ces derniers jours, une image s’est
imposée. Je marchais et les eaux s’ouvraient devant moi. Il n’y avait rien d’autre à faire
que d’avancer, seule. Alors le tracé se faisait, le sillon se creusait, les parois s’écartaient
sur mon passage... Au-delà de la peur, je perçois une puissance qui me dépasse et me
porte. " Marianne envisage de mettre un terme à sa relation trop étouffante avec son
compagnon. Mais la décision lui est difficile à prendre. A-t-elle conscience que ses paroles
renvoient à un récit de la Bible, l’Exode, et particulièrement au " passage de la mer des
roseaux "?
Les Hébreux cherchent, sous la conduite de Moshé, à échapper à la domination
égyptienne. Devant le danger, l’effroi les saisit. Mais, par la grâce du dieu libérateur
capable de fendre les eaux devant eux, ils parviennent à sortir de captivité. Cette histoire
d’une délivrance parle à chacun de sa destinée. Car l’être humain n’a pas pour vocation
de rester sous dépendance d’autrui. Il est appelé à naître à sa véritable identité.
L’accouchement est un combat terrible entre les forces qui poussent vers l’avant et les
besoins sécuritaires qui conduisent à se replier, quitte à accepter l’aliénation. Cette
violence s’exprime en images évocatrices : face au pharaon, expression même du pouvoir
qui tient en esclavage, les enfants d’Israël sont tétanisés. " Il nous plaît de servir les
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Egyptiens ! Mieux vaut pour nous les servir que de mourir dans le désert ! ", s’écrient-ils,
désespérés. On peut les penser lâches. Mais combien de petites ou grandes
compromissions ne sommes-nous pas prêts à faire pour échapper au risque de la solitude
et au sentiment d’insécurité qui l’accompagne ?
Malgré la haute opinion que l’être humain a souvent de lui-même, il lui est plus facile de
rester sous la dépendance d’un autre plutôt que de s’en démarquer. Des expériences
scientifiques ont fait apparaître sa propension à s’adapter à ce qu’une autorité lui
demande. Cette aliénation, dont la plupart du temps il n’a pas conscience, lui vient de sa
peur profonde de se retrouver seul, sans le secours d’une figure parentale,
essentiellement maternelle, pour le protéger.
L’épopée vécue par le peuple hébreu raconte comment, malgré cette angoisse première,
chacun d’entre nous est appelé à suivre un chemin de libération. Il y est poussé par la vie
même, par les forces de croissance en lui qui l’incitent à quitter le connu pour se propulser
en avant, dans l’inconnu. Et s’il peut s’y engager, c’est parce qu’il y a une instance
séparatrice, enracinée dans l’expérience de la présence paternelle face au " Tout " de
l’univers matriciel. Les limites sont mises. La colonne de nuée s’interpose entre Israël et
l’armée de pharaon. Le pouvoir phallique, symbolisé par le bâton levé de Moshé, fend les
eaux. Plus forte que la peur existentielle, une puissance libératrice s’exprime, qui, en
donnant sa loi d’altérité, permet le dégagement et l’advenue à soi. Tout ce qui reste de
l’attitude infantile de dépendance va être emportée par les flots. L’être humain, désormais
dégagé de l’emprise matricielle, peut marcher selon son désir propre. Ainsi en est-il de sa
destinée quand il sait répondre avec confiance, par delà les angoisses viscérales, à l’appel
à être qui monte du fond de lui.
[Marie Romanens, psychanalyste - Publié le 1 mars 2004 - Le Monde des Religions n°4]
Références
Géographie. D’après le géographe Jean-Pierre Pinot, la mer Rouge semble devoir son
nom à la prolifération épisodique d’une algue bleue... qui vire au rouge à sa mort. Des
récifs coralliens sont présents au long de presque toutes les côtes ; ils sont
particulièrement développés au Sud, où ils rendent la navigation dangereuse (voir Rouge
(Mer) de l’Encyclopædia Universalis).
Histoire. Dans les annales égyptiennes, il n’est fait aucune mention de la traversée de la
mer Rouge évoquée par la Bible. Certains en déduisent qu’elle n’a pas de fondement
historique. " D’autres avancent qu’il est peu raisonnable de penser qu’un peuple ait
délibérément choisi l’esclavage comme récit des origines ; si cette tradition existe, c’est
qu’elle est véridique. " (Histoire universelle des Juifs, sous la direction d’Elie Barnavi,
Atlas-Hachette, 1992). Deux choses paraissent certaines : les événements rapportés par
l’Exode " n’ont eu qu’une portée modeste " du point de vue de l’histoire égyptienne (Anne-
Marie Pelletier dans Lectures bibliques, aux sources de la culture occidentale, Nathan-
Cerf, 1995). Et, s’il y a eu sortie d’Egypte pour le peuple d’Israël, elle s’est effectuée avant
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la fin du XIIIe siècle avant notre ère.
Pâque. Ce texte constitue la "référence majeure de la mémoire biblique " (Anne-Marie
Pelletier). L’événement, rappelé chaque jour par la liturgie juive, donne sa signification à la
fête de la Pâque, qui célèbre la délivrance d’Israël de l’asservissement à l’Egypte.
Liturgie. La libération d’Israël a une contrepartie : la mort des premiers-nés égyptiens.
Elle garde donc, écrit Anne-Marie Pelletier, " la saveur amère d’un drame ". C’est pourquoi
la liturgie juive de la Pâque prévoit de retirer quelque chose de la coupe rituelle de la joie,
en souvenir des morts égyptiens.
Musique. A Gioacchino Antonio Rossini, le compositeur italien auteur du Barbier de
Séville, on doit l’opéra Moïse en Egypte (deux versions, en1818 et 1827), qui évoque le
passage de la mer Rouge.
Littérature. L’écrivain Théophile Gautier (1811-1872) rêva d’Egypte toute sa vie. Il eut
l’opportunité d’accompagner l’impératrice Eugénie à l’inauguration du canal de Suez. Il
rapporta du voyage la matière du Roman de la Momie (1857) qui donne à la traversée de
la mer Rouge rapportée par l’Exode l’ampleur d’une épopée. L’ouvrage conte l’histoire des
amours de la belle Egyptienne Tahoser avec un jeune Hébreu.
Dessin. Toujours dans la même veine romantique, le célèbre Gustave Doré (1632-1663) a
consacré une série de gravures à l’épisode biblique. Un siècle plus tard, ce fut au tour de
Marc Chagall de le représenter, mais dans un tout autre esprit. Voici comment Anne-Marie
Pelletier résume ce tableau que nous reproduisons : " On y voit le roi David et le Crucifié
encadrant l’ange qui ouvre le chemin. Moïse étend la main sur les eaux, au milieu
desquelles se pressent la foule d’Israël et celle d’Egypte. " Puissance de l’évocation !
Mont Nébo
Le tombeau de Moïse
Situé en Jordanie, le mont Nébo domine la Terre promise aux enfants d'Israël. Selon la
Bible, le prophète Moïse s'y est rendu juste avant de mourir.
Depuis le Jourdain, il faut emprunter une route sinueuse qui grimpe vers le massif des
Abarim. Aucune trace de civilisation ne jalonne le parcours hormis quelques moutons
occupés à traquer les rares touffes de verdure. Puis, tranchant avec ce relief aride, surgit
le mont Nébo, piqué de centaines de pins et d'oliviers. Nous sommes à 817 mètres
d'altitude et une gentille brise balaye le site biblique.
Le mont Nébo marque la fin du voyage pour Moïse, dont l'existence est affirmée par une
seule source historique, la Bible. Durant quarante ans d'errance dans le désert, depuis la
sortie d'Égypte, raconte la Bible, il a présidé aux destinées des Hébreux, son peuple qui
s'apprête à entrer en Terre promise. De ce sommet du massif des Abarim, le prophète
embrasse du regard le pays de Canaan. « Et le seigneur lui montra tout le pays : le
Galaad jusqu'à Dan, tout Nephtali, le pays d'Éphraïm et de Ménassé, tout le pays de Juda
jusqu'à la mer Postérieure, le Néguev, la plaine, la ville de Jéricho, ville de palmiers,
jusqu'à Tsoar » (Deutéronome, 34). Aujourd'hui, au sommet du mont Nébo, une table
d'orientation permet de situer les lieux que le prophète a pu contempler il y a trente-trois
siècles. Jéricho et ses palmiers sont bien là, juste en face, à une vingtaine de kilomètres à
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vol d'oiseau. Sur la gauche, on aperçoit le Jourdain qui se jette dans la mer Morte. Sur la
droite, au nord, les monts de Samarie, la Cisjordanie, où s'encastrent Ramallah et
Naplouse. Et au loin, vers l'horizon, on distingue les gratte-ciel de Jérusalem qui percent la
brume. Hormis ces traces éparses de civilisation, le paysage n'est que désert brûlant.
« Voici le pays que j'ai promis à Abraham, Isaac et Jacob », dit l'Éternel à Moïse. Selon les
commentaires rabbiniques, Dieu ne lui montre pas seulement la géographie d'Israël mais
aussi son histoire. Du mont Nébo, Moïse aurait en effet vu défiler les événements que
vivront toutes les générations jusqu'à la délivrance finale. Puis il meurt, sans avoir pourtant
foulé la terre d'Israël. « Je te l'ai fait voir de tes yeux mais tu n'y entreras pas », l'avait
prévenu le Seigneur. Une terrible sentence qui sanctionne un accès de colère du
prophète, relaté dans le chapitre 20 du livre des Nombres. Arrivés dans le désert de Cîn,
les Hébreux manquent d'eau et se rebellent contre leur guide. Ils lui reprochent de les
avoir fait sortir d'Égypte pour les laisser mourir de soif dans le désert. Ulcérés devant tant
d'ingratitude, Moïse et son frère Aaron se tournent vers Dieu. L'Éternel ordonne alors à
son prophète de parler à un rocher afin d'en faire jaillir de l'eau. Mais au lieu de se
contenter d'une parole, Moïse frappe rageusement le rocher à deux reprises en invectivant
le peuple. Hommes et bêtes boiront mais Dieu reprochera à Moïse ce courroux. « Puisque
vous n'avez pas eu confiance en moi pour me sanctifier aux yeux des enfants d'Israël,
aussi ne conduirez-vous pas ce peuple dans le pays que je leur ai donné », dit-il aux deux
frères.
Aaron meurt peu avant l'arrivée des Hébreux au mont Nébo. Sa tombe, dit la tradition, se
trouve à une centaine de kilomètres plus au sud, non loin de Pétra. Moïse, lui, conduit son
peuple jusqu'aux portes de la Terre promise, à quelques encablures du Jourdain qui
sépare le pays de Moab de celui de Canaan. Il sait que l'Éternel ne reviendra pas sur sa
décision. De fait, immédiatement après la description du panorama du mont Nébo, la Bible
poursuit : « Là mourut Moïse, serviteur du Seigneur, dans le pays de Moab, sur l'ordre du
Seigneur. » Puis suit cette précision troublante : « Il l'enterra dans la vallée. » L'exégèse
classique considère que « Il » désigne Dieu, qui procéda lui-même à l'inhumation de son
prophète. À quel endroit précisément ? Les Juifs s'interdisent de le savoir. La recherche
de la sépulture de Moïse constitue même un grave péché. Le Talmud, dans le traité de
Sota, raconte qu'un odieux gouvernement a envoyé un jour des émissaires pour localiser
la tombe de Moïse. Quand ils montèrent sur le mont Nébo, le tombeau leur apparut en
bas. Descendus, ils crurent le distinguer cette fois sur le sommet. Ils se partagèrent
finalement en deux groupes. Mais ceux qui se trouvaient en bas juraient qu'il se trouvait
en haut. Et ceux du haut le voyaient en bas. La Bible n'affirme-t-elle pas que « nul n'a
connu son tombeau jusqu'à ce jour » ?
Les commentateurs bibliques se sont beaucoup interrogés sur les raisons d'un tel mystère
alors même que le texte indique explicitement que Moïse s'est éteint sur le mont Nébo.
Pour le Talmud, ce secret ne garantit rien de moins que la survie du peuple juif. Car Dieu
savait que le Temple de Jérusalem allait un jour être détruit et les enfants d'Israël exilés.
Grande aurait alors été la tentation de venir implorer la clémence divine sur la tombe de
Moïse. L'intercession de ce juste parfait aurait forcé l'Éternel à obtempérer, à sauver le
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Temple. Et cette mansuétude aurait été fatale, estime le Talmud. Car Dieu a sacrifié le
Temple afin d'expier les fautes du peuple juif. À défaut, il aurait dû détruire le peuple lui-
même.
Une autre question interpelle les commentateurs de la Bible : comment expliquer l'extrême
sévérité de la punition divine condamnant Moïse à se contenter du sublime panorama du
mont Nébo ? À chaque étape de l'Exode, Moïse a amplement prouvé sa fidélité à Dieu et
sa capacité à guider ce peuple à la nuque raide. « Il ne s'est plus levé en Israël de
prophète tel quel Moïse », dit d'ailleurs le texte. Comment, pour un malheureux coup de
bâton, l'Éternel peut-il le priver de la Terre promise ?
« Un prophète ne doit jamais désespérer de son peuple, rappelle Élihaou Atlhan,
professeur d'histoire juive, spécialiste des lieux bibliques. Il a le devoir de faire preuve de
patience et d'amour envers son prochain, d'où la gravité de sa faute. En outre, en faisant
mourir Moïse, Dieu entend signifier au peuple que s'achève la période des miracles
incessants. Après deux cents ans d'esclavage en Égypte, les Hébreux se sont désormais
refait une santé. Descendus du mont Nébo et orphelins de Moïse, ils doivent surtout
compter sur leurs propres forces pour conquérir le pays d'Israël. »
À la faveur de l'accord de paix signé avec la Jordanie en 1994, les Juifs d'Israël viennent
de plus en plus nombreux au mont Nébo, attirés par la charge symbolique du lieu, et aussi
par sa beauté. Les musulmans, qui reconnaissent en Moïse un des prophètes de l'islam,
l'honorent de l'autre côté du Jourdain, près de Jéricho, dans le sanctuaire de nabi Moussa,
le prophète Moïse.
Si les Juifs s'interdisent de chercher la tombe de Moïse, la chrétienté se passionne très tôt
pour le mont Nébo. Dès la fin du IVe siècle, les Byzantins y érigent une petite église,
bourgeon d'un vaste complexe religieux comprenant notamment une basilique à trois nefs.
Au VIIe siècle, le mont Nébo constitue une étape prisée des pèlerins chrétiens en Terre
sainte. Depuis 1933, sous la direction des Franciscains de Terre sainte, propriétaires des
lieux, le mont Nébo fait l'objet de fouilles continuelles. Plusieurs bâtiments ont été mis au
jour ainsi que des mosaïques de l'époque byzantine. Un petit monastère abrite
franciscains et archéologues. Au lieu supposé de la tombe de Moïse, se dresse une
grande croix autour de laquelle s'enroule le serpent d'airain. « C'est ici que Moïse a été
déposé par les anges, puisque comme il est écrit, "aucun homme ne connaît sa sépulture"
», explique, au IVe siècle, un des moines du mont Nébo à la pèlerine Égérie. En 2000, à
l'occasion du jubilé, le pape Jean Paul II se rend au mont Nébo et y prononce ces mots : «
Ici, sur les hauteurs du mont Nébo, je commence cette phase de mon pèlerinage jubilaire.
Je pense à la grande figure de Moïse et à l'alliance que Dieu établit avec lui sur le mont
Sinaï. Je rends grâce à Dieu pour le don ineffable de Jésus-Christ, qui scella la nouvelle
alliance avec son propre sang et qui porta la Loi à son accomplissement. À Lui, qui est
"l'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin" (Ap 22, 13), je dédie
chaque pas de ce voyage sur la terre qui fut la sienne. »
[STEPHANE AMAR - Publié le 1 mars 2008 - Le Monde des Religions n°28]
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Chapitre 3
La conquête de Canaan
(Josué)
Après avoir subi l'esclavage égyptien pendant des générations, après quarante ans
d'errance dans le désert, les Israélites sont enfin parvenus à la frontière de Canaan, sur la
rive opposée du fleuve qui les sépare de la terre de leurs ancêtres, Abraham, Isaac et
Jacob. Dieu leur a donné l'ordre de nettoyer la Terre sainte de toute trace d'idolâtrie, ce
qui signifie l'annihilation intégrale des Cananéens.
Menés par Josué - un général remarquable, particulièrement doué pour la surprise
tactique -, les Israélites volent de victoire en victoire, en une série impressionnante de
sièges et de batailles rangées.
I. Les trompettes de Jéricho (Jos 2 et 6)
Près de la rive opposée du Jourdain, se trouve la ville de Jéricho, dont les Israélites
doivent s'emparer pour y établir une tête de pont. Tandis que le troupes israélites se
préparent à franchir le fleuve, Josué envoie deux espions pour recueillir des
renseignements sur les forces de l'ennemi et la sûreté des fortifications (Jos 2). Les
informations (obtenues auprès d'une prostituée nommée Rahab) que rapportent les
espions sont encourageantes: la nouvelle de l'approche des Israélites terrorise déjà les
habitants. Le peuple d'Israël traverse le Jourdain, précédé de l'Arche d'alliance. L'épisode
de la prise de Jéricho est trop célèbre pour en refaire le récit détaillé: les Israélites, suivant
en cela les instructions de Dieu transmises par l'intermédiaire de Josué, marchent en
procession autour des hautes murailles de la cité; au septième jour, une puissante
sonnerie de trompettes fait crouler les murailles qui protégeaient Jéricho (Jos 6).
II. La conquête de Aï (Jos 8,1-29)
Le prochain objectif est la cité d'Aï, proche de Béthel, située dans les hautes terres de
Canaan, sur l'une des voies principales menant de la vallée du Jourdain aux régions
montagneuses. Cette fois-ci, plutôt que de recourir de nouveau au miracle, la ville sera
conquise grâce à l'habileté tactique de Josué, digne des guerriers grecs lors de la prise de
Troie. Josué range le plus gros de ses troupes en ordre de bataille à l'est de la ville et
lance un défi aux défenseurs; au même moment, en secret, une embuscade se prépare
du côté ouest. Tandis que les défenseurs d'Aï sortent en force pour engager le combat
avec les Israélites et les poursuivre dans le désert, les unités israélites embusquées
pénètrent dans la ville laissée sans défense et l'incendient. Josué, qui d'abord simule la
retraite, fait demi-tour avec ses troupes, massacre tous les habitants, s'empare du bétail et
d'un important butin, et pend ignominieusement le roi vaincu à un arbre.
III. Alliance avec les Gabaonites (Jos 9)
La panique s'empare des habitants des autres villes de Canaan. A la nouvelle du sort
réservé aux populations de Jéricho et d'Aï, les Gabaonites, qui vivent dans quatre villes
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situées au nord de Jérusalem, envoient des émissaires à Josué pour implorer sa grâce. Ils
se présentent comme des étrangers au pays (Dieu n'ayant ordonné l'extermination que
des autochtones); aussi Josué accepte-t-il de passer un traité de paix avec eux. Quand on
lui révèle que les Gabaonites lui ont menti et qu'ils sont natifs de l'endroit, Josué les châtie
en les condamnant à servir les Israélites comme "fendeurs de bois et porteurs d'eau" (Jos
9,27).
IV. Coalition contre Israël (Jos 10 et 11)
Les victoires initiales remportées par les envahisseurs israélites contre Jéricho et les villes
des régions du centre provoquent l'inquiétude des souverains les plus puissants de
Canaan. Le roi de Jérusalem, Adoni-Cédeq, forme une alliance militaire avec le roi
d'Hébron, ville située dans les hautes terres méridionales, et les rois de Yarnut, de Lakish
et d'Eglôn, villes situées sur les contreforts de la Shefelah, à l’ouest. Les rois cananéens
rassemblent leurs forces autour de Gabaôn. En un mouvement éclair, après une marche
nocturne forcée depuis la vallée du Jourdain, Josué fond à l’improviste sur l’armée de la
coalition hiérosolymite. Prises de panique, les forces cananéennes fuient vers les hauteurs
de Bet-Horôn, vers l’ouest. Pendant leur fuite, Dieu fait pleuvoir sur eux d’énormes grêlons
et « il en mourut plus sous les grêlons que sous le tranchant de l’épée des Israélites » (Jos
10,11). Le soleil décline à l’horizon, mais le juste massacre des ennemis n’étant pas
terminé, Josué se tourne vers Dieu, en présence de l’armée d’Israël, pour le supplier
d’arrêter la course du soleil jusqu’à l’accomplissement intégral de la volonté divine. « Le
soleil se tint immobile au milieu du ciel (…). C’est que Yahvé combattait pour Israël » (Jos
10,13-14).
Les rois en fuite sont capturés et passés au fil de l’épée. Josué poursuit sa campagne et
anéantit les cités cananéennes des régions méridionales du pays, qu’il conquiert au
bénéfice du peuple d’Israël.
C’est dans le nord que sera porté le coup final. Une coalition des rois cananéens, menée
par Yabîn, roi d’Haçor, « un peuple nombreux comme le sable au bord de la mer, avec
une énorme quantité de chevaux et de chars » (Jos 11,4) affronte les Israélites en une
bataille rangée quelque part en Galilée. Les forces cananéennes sont écrasées. Haçor, la
cité la plus importante de Canaan, « jadis capitale de tous ces royaumes » (Jos 11,10), est
prise d’assaut et détruite par le feu.
V. L’héritage de la Terre promise (Jos 11,23 et suivants)
La totalité de la Terre promise est entre les mains des Israélites, des déserts méridionaux
aux pics enneigés du mont Hermon, au septentrion. La promesse divine est accomplie.
Tous les Cananéens et autres peuplades indigènes ont été éradiqués. Alors « le pays se
reposa de la guerre » (Jos 11,23). Les enfants d’Israël peuvent s’installer à demeure et se
partager, tribu par tribu, la terre que Dieu leur a donnée en héritage. Ruben, Gad et la
moitié de Manassé reçoivent les territoires situés à l’est du Jourdain ; les autres tribus
s’installent à l’ouest du fleuve. Nephtali, Asher, Zabulon et Issachar se partagent les
hautes terres et les vallées de Galilée. L’autre moitié de la tribu de Manassé, Ephraïm et
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Benjamin reçoivent le plus gros des hautes terres du centre, qui partent de la vallée de
Jezréel, au nord, à Jérusalem, au sud. A Juda sont attribuées les hautes terres du sud, de
Jérusalem à la vallée de Beersheba. Siméon reçoit la zone aride de la vallée de
Beersheba et la plaine littorale avoisinante. Initialement, Dan devait hériter de la plaine
littorale, mais finalement lui sera octroyé un territoire dans le nord du pays. Cette dernière
migration achève de dessiner la carte de la Terre sainte.
En contradiction avec cette proclamation triomphale de victoire totale, le livre de Josué
rapporte que de larges portions de territoires restent à conquérir, notamment « tous les
districts des Philistins » (Jos 13,1-6).
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 121 à 125 et 157 –
filio127histoire]
Comment les Hébreux sont-ils entrés en Israël ?
Ce que dit la Bible
Selon le livre de Josué, celui-ci a exterminé la population autochtone et redistribué le pays
aux tribus d'Israël.
Ce que dit l'historien
Il n'y a pas de preuve archéologique d'une conquête militaire ou des destructions
massives à la fin du IIe millénaire avant notre ère. La plupart des futurs Israélites sont
issus de la population autochtone.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
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Chapitre 4
Le temps des Juges
(Les Juges ; 1er Livre de Samuel 1 à 7)
De nombreuses années de combats incessants nous attendent. Le message de Dieu est
limpide : tant que le peuple d’Israël se tiendra à l’écart de la population locale, il sera
récompensé. Malheureusement pour lui, le peuple fait la sourde oreille…
I. Les Juges (Jg)
Seule l’intervention de chefs pieux et divinement inspirés, appelés les « Juges », sauve
Israël, au moins temporairement, de la perfidie totale (Jg 2,11-19).
Les héros les plus hauts en couleur de la Bible, ainsi que des scènes inoubliables, se
succèdent.
Otniel, frère de Caleb triomphe à lui tout seul des féroces armées d’un mystérieux ennemi,
le « roi d’Edom », nommé Kushân-Risheatayim (Jg 3,7-11).
Ehud, le Benjamite, tue, sans la moindre crainte, Eglôn, le roi de Moab, aussi obèse que
ridicule, dans son appartement privé (Jg 3,12-30).
Shamgar pourfend à lui seul six cents Philistins de son aiguillon à bœuf (Jg 3,31).
Débora et Baraq soulèvent les tribus israélites contre la menace des rois cananéens du
nord ; l’héroïque Yaël, la femme d’Héber le Qénite, tue le général cananéen Sisera en lui
plantant un piquet de tente dans la tempe pendant son sommeil (Jg 4,1 – 5,31).
Gédéon le Manassite purifie la terre de l’idolâtrie et protège son peuple contre les raids
des Madianites (Jg 6,1 – 8,28).
Sans oublier, comme il se doit, Samson, le fameux héros de Dan ; après avoir été séduit
puis trahi par la fourbe Dalila, la Philistine, aveugle et humilié, Samson se donne la mort à
Gaza en faisant crouler sur ses ennemis philistins rassemblés les colonnes du grand
temple de Dagôn (Jg 13,1 – 16,31).
II. La fin des Juges (1S 1 – 7)
Mais les armées philistines alliées mettent en déroute, sur le champ de bataille, les
troupes confédérées des tribus israélites. Les Philistins s’emparent de l’Arche d’alliance et
l’emportent comme trophée de guerre. Guidés par le prophète Samuel, prêtre du
sanctuaire de Silo (situé à mi-chemin entre Jérusalem et Sichem), les Israélites finissent
par recouvrer l’Arche, qui sera ramenée et installée au village de Qiryat-Yéarim, sis à
l’ouest de Jérusalem. (1S 4 – 5).
Mais l’époque des Juges est clairement révolue. La puissance militaire qui menace
aujourd’hui le peuple d’Israël l’oblige à rassembler ses forces autour d’un commandement
unique et permanent.
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 158 à 159 et 196 à 197
– filio127histoire]
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Chapitre 5
Une dynastie royale pour Israël
(1er Livre de Samuel 8 et suivants ; 2ème Livre de Samuel ;
1er Livre des Rois 1 à 12,24 ; 1er Livre des Chroniques 10 à 29 ; 2ème Livre des Chroniques
1 à 9)
Israël connaît une crise militaire d’une exceptionnelle gravité. Les anciens réunis chez
Samuel, à Rama, au nord de Jérusalem, le prient de choisir un roi pour Israël, « comme
toutes les nations ».
I. Un roi pour Israël : Saül (1025-1005 av. J.-C.) (1S 8 – 15)
Samuel les met en garde contre les dangers de la royauté, dans l’un des passages les
plus antimonarchiques de la Bible (1S 8,10-18), mais Dieu lui ordonne de satisfaire la
demande du peuple. Dieu lui révèle également son choix : le premier roi d’Israël sera Saül,
fils de Qish, de la tribu de Benjamin. Saül est un beau jeune homme et un brave guerrier.
Mais ses doutes et son mépris naïf des préceptes divins qui régissent le sacrifice, le
partage du butin et d’autres commandements (1S 15,10-26) provoqueront sa chute et son
rejet. Ils le conduiront finalement au suicide, sur le mont Gelboé, où les Israélites sont, une
fois de plus, mis en déroute.
II. Ascension de David et déclin de Saül (1S 16 – 31)
Du temps que Saül régnait sur Israël, il ignorait que son successeur avait déjà été choisi.
En effet, un beau jour, Dieu avait ordonné à Samuel de se rendre chez Jessé, à Bethléem,
en lui disant (1S 16,1) : « Je me suis choisit un roi parmi ses fils ». Ce sera au plus jeune,
un beau pâtre aux cheveux roux nommé David, qu’il incombera d’apporter le salut à Israël.
En premier lieu, David fait la démonstration éclatante de ses prouesses de guerrier. Les
Philistins se sont à nouveau rassemblés pour combattre Israël. Les deux armées se font
face dans la vallée du Térébinthe (Elah), dans la Shefelah. Les Philistins possèdent une
arme secrète : un guerrier gigantesque, nomme Goliath, qui nargue le Dieu d’Israël et qui
défie en combat singulier le champion israélite. La terreur gagne le cœur des hommes de
Saül, mais le jeune et intrépide David, que son père a envoyé porter des provisions à ses
trois frères aînés qui servent dans les rangs de l’armée de Saül, relève courageusement le
défi. Il lance à Goliath : « Tu marches contre moi avec épée, lance et cimeterre, mais moi
je marche contre toi au nom de Yahvé ! » (1S 17,45). Prenant un galet dans son sac de
berger, David le tire avec sa fronde, atteint Goliath en plein front, qui s’effondre, tué sur le
coup. Les Philistins se débandent. David, le nouveau héros d’Israël, se lie d’amitié avec
Jonathan, fils de Saül, et épouse Mikal, la fille du roi. David est proclamé le plus grand
héros d’Israël, plus grand même que le roi Saül. Les acclamations enthousiastes de ses
admirateurs, « Saül a tué ses milliers, et David ses myriades » (1S 18,7), provoquent la
jalousie de Saül. Sous peu, David sera contraint de contester l’autorité de Saül et de
revendiquer le trône d’Israël.
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David échappe à la fureur assassine de Saül et devient le chef d’une bande de hors-la-loi
et de mercenaires ; les miséreux, les pauvres gens criblés de dettes trouvent refuge
auprès de lui. David et sa bande maraudent sur les contreforts de la Shefelah, dans le
désert et dans la zone frontalière méridionale des collines judéennes, hors de portée du
centre de pouvoir du royaume, situé au nord de Jérusalem. Au cours d’une bataille contre
les Philistins, sur le mont Gelboé, au nord, les fils de Saül sont tués par l’ennemi et leur
père se donne la mort. David s’empresse alors de gagner l’antique cité d’Hébron, où le
peuple de Juda le proclame roi. Ainsi débutent le règne et la lignée du grand David,
prémices de la glorieuse monarchie unifiée.
III. David, roi d’Israël (1005-970 av. J.-C.) (2S 1 – 1R 2,11)
Dès que David et ses troupes eurent nettoyé les quelques poches de résistance des
anciens supporters de Saül, les représentants de toutes les tribus se rassemblent à
Hébron pour déclarer David roi de tout Israël. A l’issue de sept ans de règne, à Hébron,
David marche en direction du nord et s’empare de la place forte jébuséenne de Jérusalem
– qu’aucune tribu n’avait jusqu’alors réclamée. Il en fait sa capitale. Il y installe l’Arche
d’alliance qu’il a fait venir de Qiryat-Yéarim.
Alors Dieu fait à David la promesse suivante (2S 7,8-16) d’autant plus surprenante qu’elle
est inconditionnelle : « Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône
sera affermi à jamais ».
David se lance dans une guerre éclair de libération et d’expansion. Une série de batailles
victorieuses auront raison des Philistins ; il défait les Ammonites, les Moabites et les
Edomites de Transjordanie ; ses campagnes s’achèvent par la soumission des Araméens,
dans les régions lointaines du Nord. Après un retour triomphal à Jérusalem, David règne
sur un vaste territoire, bien plus étendu que l’héritage attribué à l’origine aux tribus d’Israël.
Mais David, même parvenu au faîte de sa gloire, ne connaîtra pas la paix. Des conflits
familiaux éclatent – dont une rébellion de son fils, Absalom –, qui menacent gravement
l’avenir de sa dynastie. Peu avant la mort de David, le grand prêtre Sadoq oint Salomon,
qui sera le prochain roi d’Israël.
IV. La sagesse du roi Salomon (970-931 av. J.-C.) (1R 2,12 – 1R 10,29)
Salomon, à qui Dieu fait don « d’une sagesse et d’un discernement incommensurables »,
affermit la dynastie davidique et organise son empire, qui s’étend de l’Euphrate à la terre
des Philistins et aux frontières de l’Egypte (1R, 4,24). Il enrichit sa formidable trésorerie
grâce à un système ingénieux de taxations, de corvées exigées de la part de chaque tribu
d’Israël, et de fructueuses relations commerciales avec les contrées exotiques du Sud. En
hommage à sa célébrité et à sa sagesse, la légendaire et mystérieuse reine de Saba lui
rend visite à Jérusalem avec une caravane chargée de fabuleux présents.
Le plus grand accomplissement de Salomon sera son activité de constructeur. A
Jérusalem, il bâtit un Temple magnifique et richement décoré en l’honneur de YHWH, qu’il
inaugure en grande pompe et auquel il joint un splendide palais. Il fortifie Jérusalem, ainsi
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que les centres régionaux d’Haçor, de Médigo et de Gézér. Il entretient des écuries de
quarante mille stalles pour abriter les chevaux destinés à ses quatorze mille chars et à ses
douze mille cavaliers. Il conclut un marché avec Hiram, le roi de Tyr, qui lui expédie des
cèdres du Liban pour la construction du Temple et qui sera son associé pour ses
entreprises commerciales d’outre-mer. La Bible résume ainsi la réputation de Salomon :
« Le roi Salomon surpassa en richesse et en sagesse tous les rois de la terre. Tous les
rois de la terre voulaient être reçus par Salomon pour profiter de la sagesse que Dieu lui
avait mise au cœur » (1R 10,23-24).
V. Le péché de Salomon (1R 11,1-13)
Salomon est certes dépeint comme l’un des plus grands rois de tous les temps, mais il
n’en est pas moins un impie, qui a introduit des femmes étrangères dans son harem. Or,
YHWH a formellement interdit ce genre de liaison. Le châtiment guette inéluctablement
l’héritier davidique qui n’obéit pas « comme son père David ».
Ainsi, par la faute de Salomon, la promesse originelle faite à David est compromise, sans
être annulée pour autant.
VI. Annonce du schisme à Jéroboam (1R 11,14-43)
La deuxième prophétie concerne le « serviteur » de Salomon, destiné à régner à la place
de David. Il s’agit de Jéroboam, fils de Nebat, un Ephraïmite qui servit dans
l’administration de Salomon comme officier chargé de la réquisition des hommes de
corvée parmi les tribus nordistes. Un jour, sortant de Jérusalem, il rencontre la prophète
Ahiyya, de Silo, qui déchire son manteau en douze morceaux, dont dix qu’il donne a
Jéroboam. La prédiction d’Ahiyya est aussi sombre que fatidique : YHWH laissera
Jéroboam gouverner sont Etat aussi longtemps que ce dernier fera ce qui est juste aux
yeux de Dieu.
VII. La fin du royaume unifiée (1R 12,1-24)
A la mort de Salomon, au moment de l’accession au trône de son fils Roboam, les
Nordistes supplient ce dernier de bien vouloir alléger leur fardeau. Mais l’arrogant
Roboam, dédaignant l’avis modéré de ses conseillers les plus sages, réplique aux
envoyés du Nord ces paroles devenues célèbres : « Mon père a rendu pesant votre joug,
moi j’ajouterai encore à votre joug ; mon père vous a châtiés avec des lanières, moi je
vous châtierai avec des fouets à pointes de fer » (1R 12,14). L’étendard de la révolte est
déployé et les Nordistes se rallient en masse à l’appel pour la sécession (1R 12,16). Ils
lapident le chef de la corvée de Roboam. Ce dernier, terrorisé, se réfugie aussi vite que
son char le lui permet à Jérusalem.
Les Nordistes se rassemblent pour se choisir un monarque ; ils jettent leur dévolu sur
Jéroboam. La monarchie unifiée de David et Salomon est démantelée. Deux royaumes
indépendants se forment : d’un côté, Juda, gouverné à Jérusalem par la dynastie de
David, avec son territoire réduit à la partie méridionale de la région montagneuse du
centre ; de l’autre, Israël, qui contrôle les vastes territoires du Nord.
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[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 197 à 201 ; 252 et
253 ; 234 – filio127histoire]
David et Salomon,
ont-ils existé et ont-ils régné « de l'Euphrate jusqu'au ruisseau d'Égypte » ?
Ce que dit la Bible
Les livres de Samuel et des Rois indiquent que leur royaume couvrait le Croissant fertile ;
d'autres textes parlent seulement d'une étendue « de Dan à Beersheba ».
Ce que dit l'historien
Il est impossible d'imaginer un royaume israélite allant jusqu'à l'Euphrate : il s'agit sans
doute de la province perse du Transeuphratène, décrite dans la Bible de manière
légendaire. Certains historiens mettent en doute l'historicité de David et de Salomon. Il est
probable que David ait existé. Salomon, lui, pourrait être une figure légendaire.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
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Chapitre 6
Israël, le royaume du Nord
(931-722 av. J.-C.)
(1er Livre des Rois 12,25 et suivants ;
2ème Livre des Rois 1 à 17)
Au lendemain des règnes glorieux de David et de Salomon, sous lesquels Jérusalem
gouvernait un Israël unifié qui baignait dans une prospérité et une puissance sans
précédent, les tribus des hautes terres du Nord et de la Galilée font sécession. Suivent
deux cents ans de division qui opposent Israël, au nord, à celui de Juda, au sud. C’est
l’histoire d’une division tragique, marquée, au nord, par la violence et l’idolâtrie. Les
populations du Nord subiront le châtiment ultime : la destruction de l’Etat et l’exil des dix
tribus septentrionales.
I. Jéroboam 1er, roi d’Israël (931-909 av. J.-C) (1R 12,25 à 14,20)
La première capitale du royaume du Nord est établie à Tirça, située au nord-est de
Sichem. Le nouveau roi nordiste, Jéroboam 1er, décide de construire des sanctuaires qui
rivaliseront avec le Temple de Jérusalem ; il fait couler deux veaux d’or, qu’il placera dans
des sanctuaires aux extrémités nord et sud du royaume, à Béthel et à Dan.
Alors que Jéroboam prépare à officier au sanctuaire de Béthel, lors d’une fête automnale,
destinée sans doute à divertir l’attention des pèlerins des célébrations concurrentes de
Jérusalem, se présente à lui un personnage prophétique, que la Bible se contente de nous
présenter comme un « homme de Dieu » (1R 13,1-2). La prédiction de cet « homme de
Dieu » révèle le nom du roi de Juda qui, trois siècles plus tard, va démolir le sanctuaire,
tuer ses prêtres et souiller l’autel avec leurs restes humains. La prédiction impressionne
fortement Jéroboam ; peu après, son fils Abiyya tombe malade. La femme de Jéroboam
1er se rend en hâte à l’ancien culte de Silo pour s’entretenir avec le prophète Ahiyya –
celui-là même qui avait prédit que Jéroboam 1er allait bientôt régner sur les dix tribus du
Nord. Loin d’apaiser l’inquiétude de la mère, Ahiyya lui fait une autre prédiction, terrifiante
(1R 14,7-16) : « (…) j’(YHWH) exterminerai tous les mâles de la famille de Jéroboam
(…) ».
II. L’accomplissement de la prophétie (909-884 av. J.-C.) (1R 15,25 à 16,22)
A l’issue des vingt-deux années de règne de Jéroboam 1er, son fils Nabab, qui lui avait
succédé, est renversé par un coup d’état militaire au cours duquel tous les membres de la
maison de Jéroboam sont massacrés – ce qui accomplit la prédiction du prophète Ahiyya.
Basha, le nouveau roi, probablement un ex-officier de l’armée, fait aussitôt montre
d’ardeur belliqueuse en déclarant la guerre au royaume de Juda et en marchant avec ses
troupes contre Jérusalem. Mais l’invasion de son propre royaume par le roi de Damas,
Ben-Hadad, le contraint à relâcher la pression sur le royaume du Sud.
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Peu après la mort de Basha, son fils, Ela, est déposé par un nouveau coup d’état, au
cours duquel ce sera au tour de la maison de Basha d’être annihilée (1R 16,8-11). Mais le
règne du chef rebelle Zimri, un commandant de chars, ne durera que sept jours. En effet,
le peuple d’Israël se soulève et proclame Omri commandant en chef des armées, roi
d’Israël. Le siège de Tirça et le suicide de Zimri, l’usurpateur, dans l’incendie du palais
royal, accordent l’avantage à Omri et lui permettent de fonder une dynastie qui sera
destinée à régner sur le royaume du Nord pendant les quarante ans qui suivent.
III. Ascension et chute des Omrides (884-842 av. J.-C.) (1R 16,23 à 22,40 ; 1R
22,52 et suivants ; 2R 1 à 9)
Durant les douze années de son règne, Omri se construit une nouvelle capitale à Samarie
et consolide les fondements de sa dynastie.
Son fils Achab montera sur le trône et règnera sur Israël pendant vingt-deux ans. Sa
célèbre épouse, Jézabel, qui l’induit à l’apostasie (1R 16,30-33), non contente de soutenir
le clergé païen de Samarie et de convier à sa table royale « quatre cent cinquante
prophètes de Baal et quatre cents prophètes d’Achéra », ordonne que tous les prophètes
de YHWH présents dans le royaume d’Israël soient tués.
Le prophète Elie défie Achab et lui ordonne de rassembler tous les prophètes de Baal et
d’Achéra qui « mangent à la table de Jézabel » sur le mont Carmel pour une compétition
de pouvoir sacré. A cet endroit, devant « tout le peuple », chaque adversaire construit un
autel à son dieu pour y sacrifier un taureau, en implorant sa déité de consumer l’offrande
par le feu. Alors que Baal ne répond pas aux implorations de ses partisans, YHWH envoie
immédiatement une puissante flamme du ciel qui consume l’offrande d’Elie. Stupéfaits, les
spectateurs tombent la face contre terre, en s’écriant : « C’est Yahvé qui est Dieu ! » Ils se
jettent alors sur les prophètes de Baal qu’ils égorgent près du torrent de Qishôn.
Elie s’enfuit dans le désert pour échapper à la fureur de Jézabel. Atteignant les hauteurs
désolées de l’Horeb, la montagne de Dieu, il y reçoit l’oracle divin. S’adressant
directement à Elie, YHWH lui prédit la fin de la maison d’Omri. YHWH ordonne à Elie
d’oindre Hazaël comme roi d’Aram-Damas, rival acharné du royaume du Nord. Il lui
ordonne également d’oindre Jéhu, le chef de l’armée d’Achab, comme roi d’Israël. Il lui
ordonne enfin de nommer, à sa place, Elisée comme prophète. Ces trois
commandements, d’après YHWH, suffiront à punir la maison d’Omri de ses crimes, car
« celui qui échappera à l’épée d’Hazaël, Jéhu le fera mourir, et celui qui échappera à
l’épée de Jéhu, Elisée le fera mourir » (1R 19,17).
Pourtant, YHWH accordera une deuxième chance au royaume du Nord, en secourant
Israël lors de l’invasion du pays par Ben-Hadad, le roi d’Aram-Damas, qui assiège la
Samarie. Il accordera à Israël une troisième chance, lorsque, l’année suivante, il donnera
à Achab la victoire sur Ben-Hadad, dans une bataille près de la mer de Galilée.
Malheureusement, Achab se montrera indigne de l’aide divine. En effet, il épargne la vie
de son ennemi en échange de bénéfices temporels. Un prophète informe Achab qu’il
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paiera de sa vie pour n’avoir pas obéi au commandement de YHWH de supprimer Ben-
Haddad.
Nouveau péché du couple royal. Un homme du nom de Nabot possède une vigne à
proximité du palais d’Achab, à Jezréel ; ce vignoble contrarie les plans d’agrandissement
d’Achab. Désireux de l’acquérir, le roi offre à Nabot deux solutions de paiement : soit il lui
échange sa vigne contre une meilleure, soit il le paye en argent. Nabot, qui ne veut pas se
séparer de son héritage familial, refuse tout net. Jézabel répand la rumeur que Nabot a
blasphémé : le peuple lapide Nabot, sous le regard réjoui de la reine. A peine Achab
prend-il possession du vignoble que le prophète Elie fait de nouveau son apparition. Sa
prédiction est terrifiante (1R 21,19-24) : « (…) je (YHWH) balayerai ta race, j’exterminerai
les mâle de la famille d’Achab (…) ».
C’est l’époque où les royaumes d’Israël et de Juda ont conclu une alliance : Josaphat, le
roi de Juda, a joint ses forces à celles d’Achab pour combattre Aram-Damas à Ramot de
Galaad, sur la rive opposée du Jourdain. Dans le combat, une flèche atteint Achab, qui
meurt sur le champ de bataille. On rapporte sa dépouille à Samarie pour l’inhumer. Du
sang a coulé au fond de son char de bataille. Au moment où le char est lavé, les chiens
lapent le sang, accomplissant ainsi la sombre prédiction d’Elie.
Ochozias, le fils d’Achab, monte sur le trône. Lui aussi déplaît à YHWH. Blessé en
tombant « du balcon de sa maison à Samarie », il envoie des messagers pour consulter
Baal Zébud, le dieu de la cité philistine d’Eqrôn, sur ses chances de guérison. Elie lui
reproche d’avoir fait appel à une idole étrangère plutôt qu’à YHWH et lui annonce sa mort
imminente.
Finalement, Joram, le frère d’Ochozias, le quatrième et dernier roi de la dynastie Omrides,
monte sur le trône. Mésha, le roi de Moab, vassal de longue date d’Israël, se rebelle.
Joram part en campagne contre Moab. Il est secondé par Josaphat, le roi de Juda, et un
roi anonyme d’Edom. Elisée, le prophète, leur prédit la victoire uniquement parce que
Josaphat, le bon roi de Juda, combat de leur côté. Les Moabites sont donc vaincus et
leurs cités détruites par la triple alliance israélo-judéo-édomite.
Mais l’anéantissement prédit des Omrides est imminent. La venue d’Hazaël sur le trône de
Damas entame le déclin des succès politiques et militaires de la dynastie. Hazaël défait
l’armée d’Israël à Ramot de Galaad, à l’est du Jourdain. Le roi d’Israël, Joram, est
grièvement blessé sur le champ de bataille. Elie envoie l’un des fils des prophètes de
YHWH oindre Jéhu, le commandement de l’armée, comme roi d’Israël, afin que ce dernier
frappe la maison d’Achab. C’est ce qu’il fera. En revenant à son palais de Jezréel pour
soigner sa blessure, en compagnie d’Ochozias, roi de Juda, Joram rencontre Jéhu, qui le
tue d’une flèche en plein cœur. Ochozias tente d’échapper mais, blessé à son tour, il se
réfugie dans la cité voisine de Megiddo, où il décède.
La liquidation totale de la famille d’Achab approche inexorablement. Jéhu pénètre alors
dans le palais royal où il ordonne que Jézabel soit défenestrée. Au même moment les fils
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d’Achab sont massacrés. Ainsi disparaît la dynastie omride. La terrible prédiction d’Elie est
accomplie à la lettre.
IV. Déloyauté, miséricorde, et chute finale d’Israël (842-722 av. J.-C.) (2R 10 ;
13 ; 14,23 et suivants ; 15-8,31 ; 17)
Après la chute des Omrides, le nouveau roi, Jéhu, fils de Nimshi (842-814), ne traita pas
Jérusalem avec plus de respect que Jéroboam 1er, Omri et Achab. Jéhu eut beau
massacrer la totalité des prophètes, des prêtres et des adorateurs de Baal à Samarie,
transformer son temple en latrines publiques (2R 10,18-28), il n’a pas aboli les centres
nordistes de culte dont la rivalité défiait la suprématie religieuse de Jérusalem.
Le châtiment ne tardera pas à tomber, comme l’avait prédit le prophète Elie. Cette fois-ci,
l’agent destructeur sera Hazaël, le roi d’Aram-Damas, qui défait Israël en Transjordanie et
dans les plaines littorales de la Méditerranée, qu’il ravagera en une seule campagne (2R
10,32-33 ; 13,3.7.22). Commence alors une période de déclin pour le royaume du Nord.
Pendant toute la durée des règnes de Jéhu et de son fils Joachaz, Israël subit une
constante pression d’Aram-Damas. L’armée d’Israël est mise en déroute et le royaume se
retrouve amputé de certains territoires. Mais un répit va bientôt être accordé au peuple
d’Israël, car « Yahvé leur fit grâce et les prit en pitié » (2R 13,23).
Ainsi, le roi israélite suivant, Joas, qui bénéficie temporairement de la faveur divine,
reprend les cités que le royaume avait perdues (2R 13,25). Dès ce moment, la fortune
semble sourire de nouveau à Israël – en dépit d’un raid punitif de Joas contre Jérusalem –
avec la montée du fils de Joas sur le trône. Là encore, la compassion divine se manifeste,
car le fils de Joas, Jéroboam II, régnera paisiblement sur la Samarie pendant les quarante
et un ans qui suivront (788-747 av. J.-C.). Ce roi ne se départ pas pour autant des péchés
du Jéroboam précédent et conserve les sanctuaires idolâtres du Nord, en dépit des
protestations véhémentes des prophètes Amos et Osée.
Mais cette période de bénédiction divine est de courte durée. Dieu avait promis à Jéhu
que quatre générations de descendants seulement allaient lui succéder (2R 10,30). C’est
ainsi que le fils de Jéroboam II, Zacharie, est assassiné après six mois de règne. Israël se
retrouve de nouveau dans la tourmente, déchiré par des luttes intestines et menacé par
des pressions extérieures. Le meurtrier, Shallum, est abattu par plus brutal que lui, un
certain Menahem, fils de Gadi, qui règne sur Samarie pendant dix ans (747-737 av. J.-C.).
C’est alors que Dieu se choisit un nouvel intermédiaire pour châtier le royaume nordiste,
entraînant une série d’évènements qui conduiront à sa disparition définitive. Il s’agit du
puissant empire assyrien, qui envoie son armée exiger d’Israël un tribu tel qu’il contraint
Menahem à lever un impôt sur tous les notables d’Israël de cinquante sicles d’argent par
tête (2R 15,19-20).
La pression interne et externe se fait de plus en plus écrasante. Le fils et successeur de
Menahem, Peqahya, est assassiné par un officier de l’armée, Péqah, fils de Remalyahu.
D’autre part, les Assyriens se satisfont de moins en moins du versement d’un tribut. Ils
convoitent les terres fertiles d’Israël (2R 15,29). La Galilée et les vallées du Nord sont
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conquises (732 av J.-C.). Les habitants sont déportés. La promesse divine, faite à Israël
au moment de la conquête de Canaan, d’une jouissance permanente et en toute sécurité
de la terre donnée en héritage, est réduite à néant. Le royaume d’Israël se retrouve réduit
à la portion congrue des hautes terres qui entourent Samarie, la capitale. Comme si de
désastre ne suffisait pas, à son tour, l’usurpateur Péqah est assassiné. C’est le quatrième
roi d’Israël qui se fait tuer en à peine quinze ans. Osée, l’assassin et le successeur de
Péqah, sera le dernier à régner sur le royaume d’Israël.
Le nœud coulant assyrien se resserre avec la montée au pouvoir de Samanasar V, un
nouveau roi très agressif. Osée affiche extérieurement une loyauté indéfectible et offre à
Samanasar V un tribut, tout en fomentant un complot secret avec le roi égyptien pour
préparer une révolte ouverte. Samanasar V apprend ce qui se trame, il s’empare d’Osée,
et envahit ce qui reste du royaume d’Israël. Au terme d’un siège de trois ans, Samarie est
prise, en 722 av. J.-C. Salmanasar V « déporta les Israélites en Assyrie » (2R 17,6).
Après avoir exilé les Israélites en Mésopotamie, les Assyriens introduisent de nouveaux
colons en Israël (2R 17,24). Voilà les dix tribus nordistes d’Israël dispersées parmi les
nations lointaines. Il ne reste plus que le royaume de Juda, avec son Temple et sa
dynastie davidique, pour observer fidèlement les commandements de Dieu et racheter la
terre d’Israël.
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 232 ; 234 et 235 ; 254
et 255 ; 262 à 267 ; 299 à 303 – filio127histoire]
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Chapitre 7
Le royaume de Juda face à son destin
(931-586 av. J.-C.)
(1er Livre des Rois 14,21 et suivants ; 2ème Livre des Rois ; 2ème Livre des Chroniques 10 à
36)
Au lendemain des règnes glorieux de David et de Salomon, sous lesquels Jérusalem
gouvernait un Israël unifié qui baignait dans une prospérité et une puissance sans
précédent, les tribus des hautes terres du Nord et de la Galilée font sécession. Suivent
deux cents ans de division qui opposent Israël, au nord, à celui de Juda, au sud. Après la
destruction d’Israël, le royaume de Juda se retrouva soudain seul, cerné par un monde
non israélite.
I. Juda « fit ce qui déplaît à Yahvé » (931-911 av. J.-C.) (1R 14,21 à 15,8)
Dès le règne de Roboam, fils et successeur de Salomon, Juda « fit ce qui déplaît à
Yahvé ». A l’instar des nations voisines, dont il imite les pratiques, le peuple se construit
des « hauts lieux » et fait ses dévotions « sur toute collines élevée » (1R 14,22-24). Le
châtiment ne tarde pas à venir. Durant la cinquième année du règne de Roboam (926 av.
J.-C.), le pharaon Shéshonq 1er investit Jérusalem et prélève un lourd tribut sur le trésor
du Temple et le palais des rois davidiques (1R 14,25-26). Le fils de Roboam, Abiyyam, ne
retient pas la leçon, car « il imita les péchés que son père avait commis avant lui et son
cœur ne fut pas tout entier à Yahvé son Dieu » (1R 15,3). Les malheurs de Juda se
poursuivent, ponctués de conflits intermittents avec les armées du royaume d’Israël.
II. Juda « fit ce qui est juste aux yeux de Yahvé, comme son ancêtre David »
(911-846 av. J.-C.) (1R 15,8-24 ; 22,41-51)
La situation s’améliore sous le roi Asa, dont le règne, qui durera quarante et un ans,
débute vers la fin du Xème siècle av. J.-C. Asa, nous dit-on « fit ce qui est juste aux yeux de
Yahvé, comme son ancêtre David » (1R 15,11). En récompense, Jérusalem est protégée
contre l’assaut mené par Basha, le roi d’Israël. Asa ayant appelé à son secours le roi
d’Aram-Damas, celui-ci attaque la frontière nord d’Israël, ce qui contraint Basha à retirer
les troupes qui assiègent Jérusalem.
Le roi suivant, Josaphat (premier monarque hébreu à porter un nom composé à partir de
l’appellation divine de YHWH : Yeho + shaphat = « YHWH a jugé »), sera lui aussi bien
noté, car il marche dans les pas de son dévot père, Asa. Son règne sur Jérusalem durera
vingt-cinq ans, pendant la première moitié du IXème siècle. Il fait la paix avec le royaume
d’Israël, avec lequel il formera même plusieurs alliances pour mener des offensives
victorieuses contre Aram et contre Moab.
III. La domination d’Israël et la restauration de l’indépendance de Juda (846-
798 av. J.-C.) (2R 8,16 et suivants ; 9,14 à 10,17 ; 11 ; 12,1-17)
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Le point le plus bas sera atteint par Juda lorsque Joram, fils de Josaphat, contracte une
alliance matrimoniale avec la famille impie d’Achab et Jézabel. Evidemment, le désastre
s’ensuit : Edom (un vassal de longue date de Juda) se révolte et Juda perd les riches
territoires agricoles de la Shefelah occidentale. Bien pires seront les répercussions
sanglantes de la chute des Omrides, qui secoueront le palais royal de Jérusalem.
Ochozias – fils de Joram et de la princesse omride Athalie – est tué pendant le coup d’état
de Jéhu. De retour à Jérusalem, apprenant le sort que Jéhu avait fait subir à son fils et à
sa famille, Athalie ordonne la mise à mort de tous les descendants de la maison de David
et s’empare du trône. Yehoyada, grand prêtre du Temple, patiente pendant six ans. Au
moment propice, il annonce publiquement qu’un héritier de David a été sauvé du
massacre. Il produit alors Joas, le fils rescapé du roi Ochozias. Joas est désigné comme
roi davidique légitime et Athalie est tuée. Avec elle se termine la période d’influence du
royaume du Nord sur celui du Sud, durant laquelle le culte de Baal avait été introduit à
Jérusalem (2R 11,18).
Joas, dont le règne sur Jérusalem dura quarante ans, « fit ce qui est agréable à Yahvé,
pendant toute sa vie » (2R 12,2). Son action la plus importante fut la rénovation du
Temple. Durant son règne, Hazaël, le roi d’Aram-Damas, menace Jérusalem. Le
souverain judéen lui octroie un lourd tribut en échange de la levée du siège devant la cité
(2R 12,18-19). Le sort de la capitale du Sud est très enviable comparé aux ravages
commis par Hazaël dans le royaume du Nord.
IV. En attendant Ezéchias (798-727 av. J.-C.) (2R 14,1-22 ; 15,1-7 ; 15,32 à 16)
L’alternance de bons et de mauvais rois se poursuit. Amasias, un roi à la vertu plutôt
modérée, qui « fit ce qui est agréable à Yahvé, non pas pourtant comme son ancêtre
David » (2R 14,3), mène une guerre victorieuse contre Edom ; mais il est défait et capturé
par les armées du royaume d’Israël, qui envahissent le territoire de Juda et jettent à bas
les remparts de Jérusalem. L’histoire se poursuit avec le règne du vertueux Ozias, qui
élargira les frontières vers le sud, puis celui de son fils Yotam.
L’affaire se corse avec la mort de Yotam et le couronnement d’Achaz (743-727 av. J.-C.).
La Bible juge ce malheureux Achaz avec une sévérité inhabituelle : le reproche qui lui est
fait dépasse de loi l’accusation d’apostasie (2R 16,2-4).
Un désastre s’ensuit. Les turbulents Edomites s’emparent d’Eilat ; Raçôn, le puissant roi
de Damas, avec son allié Péqah, roi d’Israël, déclarent la guerre à Juda ; leurs armées
coalisées assiègent Jérusalem. Le dos au mur, Achaz implore l’aide du roi d’Assyrie,
Téglath-Phalasar III, en lui offrant des présents en provenance du Temple : « le roi
d’Assyrie l’exauça (…) » (2R 16,9). Juda vient donc d’être temporairement protégé grâce
au stratagème astucieux d’un roi impie, qui a mendié l’intervention du puissant empire
assyrien.
V. Ezéchias et la restauration de la sainteté perdue de Juda (727-639 av. J.-C.)
(2R 18 à 21)
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Le moment est mûr pour qu’un changement religieux de grande envergure se produise. Le
cycle perpétuel de l’apostasie, de la punition et du repentir va enfin être brisé. Ezéchias,
fils d’Achaz, qui règnera à Jérusalem pendant vingt-neuf ans, entreprend une profonde
réforme religieuse dans le but de restaurer la pureté et la fidélité à YHWH, oubliées depuis
les jours du roi David. Les hauts lieux – ou autels de plein air – étaient l’une des
manifestations les plus populaires du culte pratiqué dans les campagnes de Juda ; même
les plus vertueux des rois n’avaient pas osé s’en prendre à eux. Ezéchias sera le premier
à oser s’en prendre à eux ainsi qu’à tout ce qui s’apparente à une vénération idolâtre (2R
18,3-7).
En 705 av. J.-C., après la mort de Sargon II, les capacités de contrôle de l’empire assyrien
sur ses territoires éloignés semblent s’amoindrir. Juda en profite pour fomenter une
coalition anti-assyrienne, soutenue par l’Egypte (2R 18,21 ; 19,9). Quatre ans plus tard, en
701 av. J.-C., le nouveau roi assyrien, Sennachérib, marche sur Juda à la tête d’une
gigantesque armée.
Les généraux assyriens qui assiègent Jérusalem défient les défenseurs perplexes qui se
tiennent sur les remparts de la ville, les narguent et tentent de leur briser le moral en
contestant la sagacité d’Ezéchias et en ridiculisant leur foi (2R 18,28-35). Ezéchias
s’effondre, mais le prophète Isaïe le rassure par un oracle divin (2R 19,6-7.32-34). En
effet, une délivrance miraculeuse intervient la nuit suivante (2R 19,35-37).
Grâce à la piété d’Ezéchias, les Assyriens se retirent de Juda sans avoir pu conquérir
Jérusalem.
Mais peu après, l’histoire se gâte avec l’accession du fils d’Ezéchias, Manassé (698-642),
au trône de David. Alors que le pouvoir de YHWH aurait dû éclater aux yeux du peuple de
Juda, le nouveau roi Manassé lui fait faire un demi-tour théologique radical (2R 21,2-6).
Son fils, Amôn (641-640), « suivit exactement le chemin que son père avait suivi » (2R
21,21).
VI. La grande réforme de Josias (639-609 av. J.-C.) (2R 22 à 23-30)
Cet épisode – d’une importance capitale – de la vie politique et spirituellement de Juda
débute en l’an 639 av. J.-C. par le couronnement du jeune prince Josias. Celui-ci se
comporte comme le fidèle et digne successeur de David (2R 22,2).
D’après la Bible, sa piété incite Josias à prendre une initiative décisive : la rénovation du
Temple. Durant les travaux de rénovation, un document étonnant fait surface, découvert
par le grand prêtre dans les combles du Temple. L’effet en sera déterminant, car il révèle,
de façon soudaine et choquante, combien le culte traditionnel de YHWH, tel que Juda le
pratiquait jusqu’alors, était erroné.
Sans hésiter, Josias rassemble le peuple de Juda, pour qu’il prête serment solennel de se
consacrer entièrement aux commandements divins (2R 23,2-3).
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Alors, pour débarrasser le culte de YHWH des scories qui l’encombraient, Josias initie la
réforme la plus radicale et la plus puritaine de l’histoire de Juda. Il s’en prend en premier
lieux aux rites idolâtres pratiqués à l’intérieur du Temple même de Jérusalem (2R 23,4-7).
Il démolit les sanctuaires dédiés aux cultes étrangers, en particulier ceux qui étaient
établis à Jérusalem et qui jouissaient d’un patronage royal aussi ancien que celui de
Salomon (2R 23,10-14).
Josias met également fin aux cultes rendus par les prêtres ruraux qui accomplissaient
leurs rites sur les hauts lieux et les sanctuaires répartis dans les campagnes (2R 23,8).
Josias règle tous les vieux comptes, l’un après l’autre. Le suivant sera la faute impie de
Jéroboam 1er, l’autel idolâtre de Béthel, où Josias accomplira la prédiction biblique, qui
affirmait qu’un jour, un roi vertueux du nom de Josias présiderait à sa destruction (2R
23,15-18). Mais Josias ne s’arrête pas à Béthel. L’épuration se poursuit plus loin vers le
nord (2R 23,19-20). Tout en combattant l’idolâtrie, Josias institue les grandes fêtes
religieuses nationales (2R 23,21-23).
Enfin, après des siècles d’impiété, Josias s’est levé pour racheter les fautes passées.
VII. La déportation de Juda (609-538 av. J.-C.) (2R 23-31 à 25-21)
Après la mort de Josias, le vaste mouvement de réforme s’effondra. Les quatre derniers
rois de Juda – trois d’entre eux sont les fils de Josias – ne méritent, d’après la Bible, qu’un
jugement négatif
Joachaz, fils et successeur de Josias, apparemment hostile à l’Egypte, ne règne que trois
mois. Il rétablit les coutumes idolâtres des anciens rois de Juda. Déposé et exilé par le
pharaon Neko II, il est remplacé par son frère Joiaquim qui, lui aussi, « fit ce qui déplaît à
Yahvé », et ajoute l’outrage à l’impiété en prélevant un tribut sur le peuple pour le remettre
à son suzerain, le pharaon Neko II.
Mais, en Mésopotamie, le pouvoir des Babyloniens ne cesse de grandir. En 605 av. J.-C.,
le prince héritier de Babylone, connu plus tard sous le nom de Nabuchodonosor, écrase
l’armée égyptienne à Karkémish, en Syrie (Jr 46,2). Cette défaite sonne le glas de l’empire
assyrien ; Nabuchodonosor, devenu roi de Babylone, peut étendre son contrôle sur les
terres d’occident.
Les forces babyloniennes dévastent les riches cités philistines. Le piège se referme sur
Jérusalem. Le pillage et la dévastation complète de Juda est l’objectif avoué des
Babyloniens. Après la mort subite de Joiaquim (598), son fils Joiakîm doit affronter la
puissance terrifiante de l’armée d’invasion (2R 24,10-16).
L’aristocratie et le clergé de Jérusalem furent exilés. Ils laissaient derrière eux une maison
royale totalement désemparée et de plus en plus déchirée par des conflits internes.
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Mais ce n’est qu’une première étape avant le démembrement complet de Juda. En 587 av.
J.-C., Nabuchodonosor marche sur Juda en tête d’une formidable armée et met le siège
devant Jérusalem. C’est le début de la fin.
Les villes provinciales de Juda tombent l’une après l’autre. Il ne reste plus que Jérusalem.
La description biblique des dernières heures de la capitale est terrifiante (2R 25,3-7)
Un mois plus tard, environ, le rideau retombe sur le dernier acte de la tragédie (2R 25,8-
11).
Le dernier souverain, Sédécias, d’une dynastie qui régnait depuis des siècles est
emprisonné et torturé à Babylone. Ses fils sont tous assassinés. Le Temple de Jérusalem
est détruit.
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 347 à 350; 375 à 379 et
407 ; 410 à 415 ; 433 à 438 – filio127histoire]
Quelle a été l'ampleur de la déportation à Babylone ?
Ce que dit la Bible
Les textes ne convergent pas. 2 Rois 24 parle de 7 000 à 10 000 personnes pour la
première déportation, et suggère qu'ensuite toute la population de Juda a été exilée.
Jérémie 52 parle de trois déportations successives de 3023, 832 et 745 personnes.
Ce que dit l'historien
Les chiffres du livre de Jérémie semblent plus plausibles. 5 à 25 % des Juifs de Juda
auraient été déportés. Juda n'était pas vidé de sa population à l'époque babylonienne : le
mythe du pays vide est une invention de certains déportés pour prouver que le « vrai
Israël » se trouvait en exil.
[Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
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Epilogue
Le peuple hébreu et les empires
(538 av. J.-C.-66 ap. J.-C.)
(Esdras ; Néhémie ; 1er et 2ème Livres des Maccabées)
Une partie de la population, cependant, a survécu et n’a pas été déportée. Les autorités
babyloniennes leur ont même accordé une certaine autonomie ; elles ont désigné
Godolias, fils d’Ahiqam, pour gouverner ceux qui sont restés à Juda. Godolias tente alors
de convaincre le peuple de Juda de coopérer avec les Babyloniens. Mais il sera vite
assassiné par Yismaël, le fils de Netanya, « qui était de race royale ». Furent également
massacrés d’autres notables judéens et des représentants de Babylone. Ce qui restait de
la population locale décida de s’enfuir pour garder la vie sauve, désertant Juda, en
Egypte. Jérémie, le prophète, s’enfuit avec eux. De nombreux siècles d’occupation
israélite de la Terre promise semblaient prendre fin (2R 25,22-26 ; Jr 40,7-43,7).
Les déportés de l’aristocratie et du clergé commencèrent une nouvelle vie, en compagnie
du roi davidique exilé, Joiakîn – de préférence à l’aveugle Sédécias, disgracié.
I. Retour d’exil… sous domination perse (538-332 av. J.-C.) (Jr ; Ez ; Isaïe ;
Esd ; Néhémie)
En 539 av. J.-C., le puissant empire babylonien s’effondre et tombe aux mains des
Perses. Durant sa première année de règne, Cyrus, fondateur de l’empire perse, passe un
décret en faveur de la restauration de Juda et du Temple (Esd 1,2-3).
Un chef des exilés nommé Sheshbaççar, que le livre d’Esdras (1,8) appelle « le prince de
Juda » dirige le premier groupe de ceux qui reprennent le chemin de Sion. Ils transportent
avec eux les trésors du Temple pris par Nabuchodonosor à Jérusalem. Ils s’installent sur
leur ancien territoire et posent les fondations d’un nouveau Temple. Quelques années plus
tard, une deuxième vague d’exilés revient à Jérusalem. Conduits par Josué, fils de
Yoçadaq, et par Zorobabel, petit-fils de Joiakîn, construisent un autel pour y offrir des
holocaustes et célébrer la fête des Cabanes (Esd 3,11-13).
Les gens de Samarie – citoyens de l’ex-royaume du Nord et populations déplacées par les
Assyriens qui les avaient installées – apprennent la nouvelle de la construction du Second
Temple. Ils viennent trouver Zorobabel pour lui demander de leur permettre de participer à
ce travail. Mais Josué, le prêtre, et Zorobabel renvoient les Nordistes (Esd 4,3). A
l’évidence, la faction qui a survécu à l’exil estime qu’elle possède, à présent, le droit divin
de décider de l’orthodoxie judéenne.
Furieux, le « peuple du pays » tente de saboter le travail. Ils écrivent au roi de Perse, en
accusant les Juifs de « rebâtir la ville rebelle et perverse » (Esd 4,12-16). A la lecture de
cette lettre, le roi de Perse ordonne l’arrêt des travaux à Jérusalem.
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Faisant la sourde oreille, Zorobabel et Josué poursuivent les travaux. Le gouverneur écrit
alors au nouveau souverain, Darius. Celui-ci lui ordonne non seulement de permettre au
travail de se poursuivre sans obstruction, mais aussi de payer les dépenses sur les
revenus de l’Etat. La construction du Temple se termine en 516 av. J.-C.
Commence alors une période sombre d’un demi-siècle, jusqu’à l’arrivée à Jérusalem du
scribe Esdras, de la famille du grand prêtre Aaron, revenu de Babylon probablement en
458 av. J.-C. (Esd 7,6.10). Esdras est délégué par Artaxerxès, roi de Perse, pour enquêter
sur Juda et Jérusalem. Celui-ci, stupéfait, découvre que le peuple d’Israël, y compris les
prêtres et les lévites, partage les abominations de ses voisins.
Esdras ordonne à tous ceux qui sont revenus de se rassembler à Jérusalem et à présent
de rendre grâce à Yahvé (Esd 10,9-16).
Esdras – l’un des personnages les plus influents des temps bibliques – disparaît alors de
la scène.
Le second héros de l’époque s’appelle Néhémie, l’échanson d’Artaxerxès, le souverain
perse. Néhémie entend parler de la misère qui frappe les habitants de Juda et du triste
état de délabrement dans lequel se trouve encore Jérusalem. Le souverain perse le
nomme gouverneur de la ville. Peu après son arrivée, aux environs de l’an 445 av. J.-C.,
Néhémie accomplit une inspection nocturne de la cité, puis il convie le peuple à participer
à un grand effort collectif pour reconstruire les remparts de Jérusalem. Mais quand les
voisins de Juda – les dirigeants de Samarie et d’Amon, et les Arabes du Sud – apprennent
que Néhémie fortifie Jérusalem, ils accusent les Juifs de préparer une révolte contre les
autorités perses et se préparent à attaquer la cité. Néanmoins, le travail sur les remparts
se poursuit.
Les mesures prises par Esdras et Néhémie dans la Jérusalem du Vème siècle av. J.-C.
jetèrent les fondations du judaïsme du Second Temple.
[In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 440 à 446 –
filio127histoire]
La fin de la période perse en Palestine reste assez obscure. A la fin du long règne
d’Artaxerxès II Mnémon (404-359), le contexte international évolua rapidement et fut
d’abord marqué par la révolte des régions de l’ouest avec l’appui de l’Egypte (367-342).
Mais en 333, après avoir battu le gros de l’armée perse à Issos, Alexandre le Grand
assiégea Tyr qui fut réduite après un siège de sept mois (déc. 333-juil. 332). C’est
probablement pendant ce siège qu’il prit possession de la Samarie et de la Judée (332).
II. Le peuple hébreu… sous domination hellénistique (332-142 av. J.-C.)
Les deux provinces de Samarie et de Judée semblent s’être rapidement ralliées à
Alexandre le Grand. A sa mort en 323 av. J.-C., une période de guerres civiles entre ces
anciens généraux qui prétendent à sa succession s’en suit, dites « les guerres des
Diadoques » (323-281 av. J.-C.).
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De 285 à 200 av. J.-C., la Palestine resta au pouvoir des Lagides (nom tiré d’un général
d’Alexandre) d’Egypte, qui subit dès lors une forte hellénisation par un brassage de la
population. Cette hellénisation semble avoir été moins forte à Jérusalem où le grand-
prêtre était désormais la seule autorité représentative de la tradition juive.
La Palestine va être ballotée d’un camp à l’autre et dévastée à chaque passage des
armées. Sa conquête par Antiochus III y répandit l’emploi de l’ère des Séleucides (200-
167 av. J.-C.).
Après la destruction, il fallut reconstruire. Antiochus confirma la validité de la Loi pour les
Juifs, favorisa la restauration du Temple et libéra les habitants qui avaient été réduits en
esclavage. Antiochus voulut alors s’opposer à l’expansion romaine en Grèce et en
Macédoine. Mais il est défait et s’engagea à verser de très lourdes indemnités de guerre
réparties sur douze ans.
Le règne de Séleucus IV Philopator (187-175 av. J.-C.) fut dominé par les problèmes
financiers liés à la dette à verser aux Romains. C’est dans ce contexte que se situe
l’histoire d’Héliodore racontée en 2M 3. Séleucus IV envoya son Premier ministre
Héliodore inspecter et confisquer le trésor du temple de Jérusalem. Face au refus du
grand-prêtre Onias III, Héliodore s’entend avec celui-ci afin de renverser Séleucus IV qu’il
assassine en 175.
Le fils de Séleucus IV, Démétrius, étant gardé comme otage à Rome, le frère de
Séleucus, Antiochus IV Epiphane, prit le pouvoir à Antioche (175-164 av. J.-C.). Onias III,
encore présent à Antioche, est alors supplanté par son frère Jason qui promit de grosses
sommes d’argent sous la condition que le roi le soutienne dans sa politique d’hellénisation
de la Judée. Jérusalem devint ainsi, pour quelques années, une cité hellénistique
rebaptisée « Antioche ». Le décrit d’Antiochus III accordant aux Juifs le respect de leur Loi
et l’exemption de taxe fut aboli. Le pontificat de Jason dura trois ans (2M 4,21 et suivants).
Pendant la campagne d’Antiochus IV en Egypte (170/169) et sur une fausse rumeur de sa
mort, Jason s’empare de Jérusalem et s’y livre à des massacres d’opposants. Apprenant
cette révolte, Antiochus IV quitte l’Egypte et marche sur Jérusalem. Jason s’enfuit et
meurt. Antiochus massacre une partie de la population de Jérusalem (automne 169) et
s’empare du trésor du Temple et des vases sacrés.
Lors d’une deuxième campagne en Egypte, au printemps 168, Antiochus est obligé de se
retirer devant les menaces de déclaration de guerre du général romain Popillis Laenas. A
son retour, Antiochus décrète une hellénisation systématique de la Judée et de la
Samarie. Jérusalem est pillé. Le temple est dédié à Zeus Olympien. La mort est décrétée
contre quiconque observerait les coutumes israélites (1M 1,41-53 ; 2M 6,1-9). Les livres
de la Loi sont brûlés (1M 1,56).
Cette hellénisation systématique fut, en partie, acceptée et tournée habilement par les
Samaritains qui demandèrent à ne pas y être soumis, car ils étaient des « Sidoniens à
Sichem », ce qui leur fut accordé par Antiochus en 166. Les décrets anti-israélites
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semblent avoir été appliqués sans trop d’opposition en Galilée et en Galaad ; mais de
façon plus réservée en Judée et à Jérusalem (1M 1,43-52). Beaucoup de gens du peuple
acceptèrent par la force, pour survivre ; d’autres se retirèrent à la campagne ou se
cachèrent dans des grottes pour observer la Loi en secret (1M 1,53) ; un certain nombre
de juifs furent arrêtés et exécutés (2M 6,8-7, 42) ; d’autres enfin se révoltèrent et prirent le
maquis.
Avec ces cinq fils, Mattathias l’Hasmonéen, prêtre de la descendance de Yôarib, refusa de
sacrifier devant les envoyés du roi. En égorgeant un Juif qui allait célébrer un sacrifice
païen et en tuant l’envoyé du roi, il donna le signal de la récolte (1M 2).
A la mort de Mattathias (166/165) son fils aîné Simon devint le chef politique de la révolte
tandis que Judas, surnommé « Maccabée », en fut le chef militaire. Après vingt-cinq ans
de luttes pratiquement ininterrompues, le peuple juif retrouvait son indépendance politique.
Le titre de « grand-prêtre », puis de « roi », qu’allaient bientôt assumer les Hasmonéens
ne descendant ni de Sadoq, ni de David, n’allaient pas tarder à provoquer des réactions
divergentes au sein du groupe des Assidéens (révoltés).
III. La restauration du royaume… sous domination romaine (142 av. J.-C.-66
ap. J.-C.)
Simon ne prit pas le titre de « roi » mais de « grand-prêtre » (archiéreus), « chef militaire »
(stratégos) et « chef politique » (hégouménos) (1M 14,41.47). Les Romains reconnurent
officiellement les Juifs comme leurs alliés et amis (1M 14,16-24 ; 15,15-24). L’ethnarcat de
Simon (142-134 av. J.-C.) fut généralement pacifique (1M 14,4 et suivant) bien
qu’assassiné lors d’une tentative de coup d’état.
Les débuts de l’ethnarcat de son fils Jean Hyrcan (134-104 av. J.-C.) furent difficiles.
Antiochus VII mis le siège devant Jérusalem (132 av. J.-C.). Profitant de rivalités internes
aux Séleucides, Jean Hyrcan s’empare de Madaba et du territoire Moabite et se tourne
ensuite contre l’Idumée et la Samarie où il détruit le temple du mont Garizim (111). Les
Samaritains affamés font appel à Antiochus IX. Après un siège d’un an, Jean Hyrcan
s’empare de Samarie qu’il rase complètement marquant la rupture définitive des Juifs et
des Samaritains qui se considèrent désormais comme des ennemis héréditaires.
Simon s’était appuyé sur les Pharisiens. Mais ces derniers critiquèrent le sacerdoce de
Jean Hyrcan qui se rallia dès lors aux positions des Sadducéens.
A la mort d’Hyrcan, en 104, son fils aîné Judas, appelé Aristobule, se fit proclamer « roi ».
Il ne régna qu’un an.
Son frère, Alexandre Jannée (103-76) lui succéda et mena son pays avec une poigne de
fer. Il portait le double titre de « roi » et de « grand-prêtre ». Révoltes et massacres se
succèdent pendant six ans (93-88) faisant 50000 morts.
Vers la fin du règne d’Alexandre Jannée, le royaume hasmonéen comprend la Judée,
l’Idumée, la plaine philistine et celle de Sharon, la Samarie, la Galilée jusqu’au mont
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Thabor, le plateau de Golân, la Galaaditide et la Moabitide. Dans tous les territoires
conquis, le roi a imposé la circoncision et le Loi juive.
A sa mort, sa femme Alexandra assume le pouvoir (76-67) et confie la charge de grand-
prêtre à son fils Hyrcan II. Elle se réconcilie avec les Pharisiens ; les prisonniers sont
libérés. A la mort d’Alexandra, Hyrcan II resta « grand-prête » et son frère, devient le roi
Aristobule II (67-63). Mais l’homme fort du parti d’Hyrcan, le gouverneur de l’Idumée
Antipater, n’accepte pas cet accord. A la tête de cette armée, il défait Aristobule qui
s’enferme dans Jérusalem.
Lorsque Pompée arrive à Damas (printemps 63 av. J.-C.), chacun des deux frères essaie
de le gagner à sa cause. Hyrcan et Antipater l’emportent. Pompée pénètre dans le Saint
des Saints. Hyrcan est rétabli dans ses fonctions d’ethnarque. C’en est fini de
l’indépendance du royaume hasmonéen.
En 49 éclate la guerre civile entre César et Pompée. Après la bataille de Pharsale et la
mort de Pompée (48 av. J.-C.), Hyrcan II et Antipater se rallient à César.
Antipater, devenu procurateur de la Judée, nomme bientôt son fils aîné Phasaël stratège
de Jérusalem et son fils cadet Hérode stratège de Galilée.
Après le meurtre de César (15 mars 44), Antipater et Hérode se rallient au gouverneur de
Syrie, Caecilius Bassus, ex-partisan de Pompée. Antipater meurt assassiné.
Le départ de Cassius de Syrie (42) entraîne une série de troubles. Antoine, nomme
Phasaël et Hérode tétrarques chargés de l’administration de la Judée.
Après le suicide de Phasaël, Antoine et Octave proclament Hérode roi de Judée. Au
printemps 37, Hérode et les légions de Sossius s’emparent de Jérusalem. Antoine fait
exécuter Antigone. Avec cette exécution se termine le règne du dernier Hasmonéen.
Hérode comprit qu’il ne pouvait devenir et rester roi que s’il gardait l’appui des Romains et
l’amitié de leurs chefs.
Celui-ci se lance alors dans de grands travaux de construction qui sont une des gloires de
son règne. Il rebâtie le Temple (vers 20/19), dont il fit un des plus grands et l’un des plus
beaux monuments de cette époque.
S’inspirant de la culture de son temps, Hérode s’entoura d’hellénistes renommés. Vers le
tournant de notre ère, trois langues étaient d’ailleurs couramment utilisées en Palestine :
l’hébreu, l’araméen et le grec, sans compter le latin utilisé pour quelques documents
officiels et dans l’armée.
La succession d’Hérode s’ouvre sur divers troubles. A quelques modifications près, le
testament d’Hérode fut confirmé par Auguste.
Le royaume d’Hérode fut donc essentiellement divisé en trois tétrarchies :
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- Philippe, tétrarque de Batanée, Trachonitide et Auranitide (4 av. J.-C. – 34 ap. J.-
C.) ;
- Hérode Antipas tétrarque de Galilée et de Pérée (4 av. J.-C. – 39 ap. J.-C.) ;
- Archélaüs ethnarque de Judée, Samarie et Idumée (4 av. J.-C. – 6 ap. J.-C.) puis
sous l’administration des préfets romains jusqu’en 41.
Après une vie aventureuse, le fils d’Aristobule et le petit-fils d’Hérode, Agrippa, réussit à
gagner la faveur de Caligula qui, dès son accession au pouvoir, lui accorda l’ancienne
tétrarchie de Philippe (37), puis, un peu après (40), la tétrarchie d’Hérode Antipas. Présent
à Rome lors de l’assassinat de Caligula, il soutint l’accession au pouvoir de Claude et ce
dernier lui accorda la Judée et la Samarie. Hérode Agrippa 1er régna ainsi sur le même
territoire que son grand-père Hérode le Grand.
Durant son court règne, Agrippa s’appuya sur les Pharisiens et la Mishnah. Finalement
Agrippa mourut à Césarée (44), laissant un fils de 17 ans, le futur Agrippa II. L’empereur
Claude plaça la Palestine sous un procurateur romain.
L’administration directe de procurateurs (44-66) qui ne connaissaient rien aux coutumes
juives et ne cherchaient souvent qu’à s’enrichir entraîna de nombreuses maladresses et
provocations, causes immédiates de révoltes et finalement de la guerre juive.
La guerre débuta en 66. Elle se termina en 70 par la destruction du « second Temple » qui
marque la fin de l’Etat hébreu à l’époque ancienne. La Judée devint une province romaine
distincte de la Syrie.
[In Histoire du peuple hébreu, André Lemaire, p. 73 ; 78 à 123 – P.U.F. Que sais-je ?]
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Conclusion
Le prêtre, le rabbin et l’imam
[Le Point 1631-1632, 19-26 décembre 2003]
Cardinal Paul Poupard
« La Bible est le message d'un père à ses enfants »
Le Point : Vous souvenez-vous de votre première Bible ?
Cardinal Paul Poupard : Dans ma famille, on se transmettait de génération en génération
une Bible du Maître de Sacy, écrite en 1672, à l'époque de Louis XIV. C'était une
traduction qui avait l'avantage de convenir à toutes les clientèles. Acceptée par les
catholiques et une partie des protestants, elle plaisait par ses origines jansénistes à une
bourgeoisie souvent teintée d'anticléricalisme. J'ai encore cette Bible chez ma sœur en
Anjou et j'ai eu la joie de la feuilleter cet été avec sa reliure cuir un peu mangée. C'est une
édition qui remonte au XVIIIe siècle qui m'avait été offerte par un grand-oncle. Plus tard,
j'ai beaucoup utilisé la Sainte Bible du chanoine Crampon, qui date de 1952, l'époque où
j'étais au grand séminaire. J'avais alors comme directeur spirituel le père Devreau, un
Lyonnais, professeur d'écriture sainte, qui m'a donné le goût de la parole de Dieu qu'il
vivait intensément. Le père Devreau m'avait donné le conseil de lire la Bible en entier «
pour pouvoir dire quand vous serez prêtre que vous l'avez lue intégralement ». Il y a des
chapitres entiers, comme L'Exode ou le Livre des Nombres, qui ne sont pas
particulièrement poétiques ni affriolants, mais je me fis un devoir de lire la Bible de la
première ligne, « Dieu créa le ciel et la terre », jusqu'au dernier mot de l'Apocalypse, «
viens Seigneur Jésus ». C'était un conseil sage. Si le père Devreau ne m'avait pas fait
l'obligation de la lire d'un bout à l'autre sans rien omettre, il y a des passages de la Bible
que je n'aurais jamais lus, et ce serait dommage. Mais, avant d'être une joie, la lecture de
la Bible a été une obligation.
L. P. : Vous avez donc vraiment rencontré la Bible alors que vous vous dirigiez déjà vers
le sacerdoce. Ce n'est pas elle qui a motivé votre vocation ?
C. P. : Oui et non, car, depuis ma tendre enfance, mes parents m'amenaient à la messe et
la messe se nourrit de la Bible. La Bible, je l'ai donc connue et j'y suis entré avant d'avoir
le livre entre les mains. C'est la pédagogie de l'Eglise à laquelle la Bible participe tous les
dimanches avec la première lecture tirée de l'Ancien Testament de saint Paul et la
seconde lecture de l'Evangile.
L. P. : Aujourd'hui, est-ce que vous revenez à la Bible ?
C. P. : La Bible est le bréviaire de la prière. Les prêtres récitent tous les jours le bréviaire
et l'office divin. Toute la journée est scandée par les prières que les moines et les
communautés chantent ensemble et nous en privé. Il y a le grand office des matines avec
les lectures, l'office de laudes, l'office de la mi-journée, les vêpres et les complies. Toutes
ces différentes «heures», comme on les appelle, sont tissées en particulier des psaumes,
les 150 psaumes attribués à David qui se lisent intégralement. D'autre part, le prêtre que
je suis célèbre tous les jours la messe. Je suis en permanence « dans » la Bible.
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82
L. P. : Est-ce que la routine ne risque pas de s'installer dans cette lecture quotidienne et
répétitive ?
C. P. : Ça pourrait arriver. Jusqu'à maintenant je ne crois pas que cela soit devenu de la
routine. Mais je suis comme le commun des mortels, je ne saurais prétendre que pendant
tout ce temps où je lis la Bible je médite chaque mot et m'y arrête. Non, sûrement pas.
Mais l'inverse non plus. Je lis ces textes et je les aime. De temps en temps, je m'arrête un
peu pour les savourer, puis je continue. Le danger de la routine est dans toute chose. Je
ne suis ni routinier ni mystique, mais la Bible fait partie de ma vie quotidienne.
L. P. : Quels sont vos personnages préférés dans la Bible ?
C. P. : Saint Paul et saint Jean. Dans ma méditation quotidienne, j'en reviens toujours à
eux et je suis enchanté d'avoir été collaborateur de trois papes successifs qui s'appellent
Jean, Paul, et Jean-Paul. C'est ma trilogie personnelle et je dis volontiers que Jean XXIII a
été l'apôtre de l'amour, que Paul VI a été l'apôtre missionnaire en faisant ses voyages
comme saint Paul et que Jean-Paul II fait la synthèse des deux.
L. P. : Dans la Bible, Dieu est miséricordieux mais, dans l'Ancien Testament, il est aussi
cruel. Cruel et misogyne : les femmes sont, bien sûr, mères, mais leur rôle se limite à être
au mieux des confidentes. Qu'en pensez-vous ?
C. P. : La Bible n'est pas tombée du ciel. Pour le croyant que je suis, la Bible a été écrite
par des hommes sur l'inspiration de l'Esprit-Saint. Cette inspiration de l'Esprit-Saint n'a pas
suffoqué l'humanité de l'homme. En 1943, l'encyclique du pape Pie XII « Divino afflante
spiritu » a donné droit de cité à la théorie des genres littéraires. C'est-à-dire qu'il ne faut
pas lire la Bible comme un bloc univoque. Les psaumes sont des chants de prières ; le
Cantique des cantiques, un poème. Dans le Nouveau Testament, saint Luc fait la
chronique de la première Eglise. L'Apocalypse est un genre très particulier qui reprend
toute l'imagerie traditionnelle de l'Ancien Testament des prophètes. Il y a des récits, des
prophéties, des poésies. Toutes ces histoires sanglantes de l'Ancien Testament nous
prouvent que la Bible ne s'est pas élaborée sur une île déserte, mais qu'elle nous fait la
chronique de ce qui s'est passé en ce temps-là. L'Eglise, quand elle parlait latin,
commençait les lectures bibliques durant la messe par « In illo tempore » : en ce temps-
là... Et c'est la grandeur de la Bible et de l'Eglise que de reconnaître qu'elle est immergée
dans des histoires de sueur, de sang et de larmes. Au milieu de tout ça, par une
pédagogie tout à fait extraordinaire et millénaire, Dieu a éduqué le peuple à dépasser la loi
du talion car le père envoie son fils mourir par amour pour les hommes. C'est l'Evangile de
la miséricorde. Les scènes de cruauté et de sang qui abondent dans l'Ancien Testament
racontent l'histoire des hommes, et, hélas, quand j'ouvre les journaux, je vois que ça n'a
pas tellement changé. En ce qui concerne les femmes, c'est la même chose. Ne faisons
pas d'anachronisme dans notre lecture de la Bible. Prenons-la pour ce qu'elle est. Sur les
millénaires durant lesquels elle s'est construite, elle reflète les idées de l'époque. Et c'est
au coeur de ces idées que, petit à petit, s'est faite la révélation chrétienne dont émerge la
Vierge Marie, qui est placée si haut au-dessus de tous les hommes qu'à un moment
donné certains ont reproché aux catholiques de la vénérer comme un Dieu.
L. P. : Que pensez-vous de la vulgarisation de la Bible, notamment au cinéma ?
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C. P. : J'aime le cinéma et je suis bon public ! J'ai vu beaucoup de films bibliques. Il y a un
rapport entre la Bible et le cinéma. Dès l'invention du cinéma, les metteurs en scène ont
été séduits par la Bible. Avec ses multiples formes littéraires, les nouvelles, les poèmes,
les épopées, les paraboles, Victor Hugo a dit qu'elle est la plus grande ressource pour
notre imaginaire. Les premiers films que j'ai vus dans l'école de mon village étaient des
grandes machineries en noir et blanc qui m'enchantaient. Comme disait le même Hugo, «
c'est l'Histoire écoutée aux portes de la légende » avec ces chevauchées extraordinaires
qui n'ont d'égale que le Ben Hur de l'Empire romain. Après, les choses ont changé. J'ai
apprécié les nombreuses Passions de Jésus, « L'Evangile selon Matthieu », de Pasolini, «
Le Messie », de Rosselini. Depuis, il y en eut beaucoup d'autres et, grâce à Dieu, il sort
toujours d'autres films.
L. P. : Mais le cinéma transmet-il la profondeur des Saintes Ecritures ?
C. P. : Jusqu'à un certain point, et je pense à Rossellini, Pasolini et Zeffirelli, la trilogie
incontournable. Mais j'ai découvert que, depuis l'invention du cinéma, Jeanne d'Arc a
inspiré un chef-d’œuvre tous les dix ans, c'est fascinant ! Il y a Hollywood avec ses grands
effets puis, à l'inverse, « La passion de Jeanne d'Arc », de Dreyer, où tout se joue sur les
visages et l'intériorité, les grandes machineries et les introspections. Moi, naturellement, je
suis de l'avis de la Bible qui dit : « Faire ceci et ne pas omettre cela. » Je crois qu'il est
important pour le public d'avoir ces deux visions des grandes fresques et des méditations
intérieures. Si j'aime le cinéma, c'est pour sa plasticité et sa facilité d'être à la fois l'un et
l'autre, de proposer des genres contraires avec le même bonheur.
L. P. : Les catholiques lisent-ils vraiment la Bible ?
C. P. : Depuis un demi-siècle, il y a une explosion extraordinaire des éditions de la Bible.
Je ne prétendrai pas que tous ceux qui l'achètent la lisent intégralement, mais je ne
prétendrai pas non plus le contraire. Pourtant, une chose est certaine : les éditeurs savent
qu'en sortant une Bible ils ne feront pas un four. En ce qui me concerne, j'ai la Bible du
chanoine Osty, qui est la plus fidèle à l'original en hébreu et en grec, et la Bible de
Jérusalem, qui est la plus répandue et associe la forme littéraire à l'exactitude exégétique.
Il y a deux raisons qui poussent de plus en plus de gens à lire la Bible :
la première, c'est que l'Eglise, depuis Vatican II, a élargi les lectures bibliques dans la
célébration de l'eucharistie. Jusqu'à Vatican II, il y avait deux lectures à la messe du
dimanche, maintenant, il y en a trois. Et, au lieu que ce soient les mêmes tous les ans, on
a inventé un cycle de trois années qui permet de découvrir de nouveaux textes et donne
envie d'en savoir davantage. Deuxièmement, il y a la multiplication des commentaires et
des cercles bibliques. Dans l'église de mon enfance angevine, tout le village allait à la
messe et on comptait sur les doigts d'une main ceux « qui ne faisaient pas leurs Pâques ».
Un demi-siècle plus tard, on est passé de 95 % de pratique à 25 % dans ce village, ce qui
est énorme par rapport à une moyenne de 10 % ailleurs. Ça représente quand même
quelques millions de personnes et ces 10 %-là sont très souvent des lecteurs de la Bible.
Mais il y a une autre nouveauté : l'Eglise a perdu le contrôle de la culture biblique, comme
de tant d'autres choses, d'ailleurs. Pendant des siècles, la lecture de la Bible était celle du
magistère de l'Eglise. Aujourd'hui, la Bible est une source littéraire sur laquelle l'Eglise n'a
plus l'exclusivité. L'entrée de la Bible dans la Pléiade en est la démonstration. Cela répond
à votre propos tout en le nuançant : s'il y a moins de personnes qui vont à la messe
régulièrement et entendent la lecture de la Bible, il y a un nombre croissant de personnes
qui lisent la Bible par goût.
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Une enquête du Conseil de la culture sur le thème du « défi de la non-croyance et de
l'indifférence » révèle que des gens s'affirment croyants sans être pratiquants, ce qui n'est
pas une nouveauté, mais aussi qu'il existe des pratiquants qui ne sont pas forcément
croyants au sens où on l'entendait quand j'étais un jeune homme. Au temps de ma
formation, si on était catholique, on croyait que Dieu était père, fils et esprit, qu'il avait
fondé une Eglise, qu'il y avait un magistère, un pape, et ainsi de suite. Aujourd'hui, c'est
moins évident, y compris pour des gens qui sont dans l'Eglise. La perte de contrôle de
l'Eglise porte sur la lecture des Ecritures comme sur le contenu de la foi. On est dans un
monde où on fait les choses à la carte.
L. P. : Comment l'Eglise porte-t-elle la Bible aux croyants ?
C. P. : De deux manières. La première, globale, est le partage, très étendu depuis le
concile, de la Bible à travers la célébration de la messe. Et le fait que l'homélie, le sermon
de mon enfance, soit un commentaire des textes de la parole de Dieu et non plus un
discours moralisant ou mystique déconnecté. Deuxièmement, en plaçant les Saintes
Ecritures au coeur des études des futurs prêtres. Quand j'ai fait mes études, il y avait le
professeur de dogme, de morale, d'histoire, de droit canonique et celui d'écriture sainte qui
avaient la même importance que les autres. Moi, j'ai eu la chance que mon directeur
spirituel soit également professeur d'écriture sainte, ce qui a placé la Bible au centre de
mes études. Ce n'était pas forcément le cas pour mes confrères. Aujourd'hui, la formation
des prêtres est conçue autour de la Bible, et cela influe sur leur ministère. Et puis il y a
cette multiplication des cercles bibliques. Je ne suis pas pessimiste sur la diffusion de
la Bible.
L. P. : Est-il encore possible de lire la Bible au premier degré ?
C. P. : Vous n'avez pas prononcé le mot fondamentaliste et je vous en suis reconnaissant
! La lecture au premier degré a été réactivée par les groupes charismatiques nés dans un
contexte plutôt américain et protestant et qui ont déferlé en Europe. Ou encore au Brésil,
sous l'influence du père Loew, cet ancien avocat athée converti, devenu dominicain puis
prêtre ouvrier, et qui a fondé l'institut séculier Saint-Pierre-et-Saint-Paul, qui a beaucoup
essaimé au Brésil dans les communautés de base des quartiers pauvres. Les chrétiens et
les chrétiennes du quartier lisaient la Bible sans aucune formation biblique. Le père Loew
m'a fait partager son émerveillement devant les trouvailles qui jaillissaient sous l'inspiration
de l'Esprit-Saint de cette lecture naïve de la Bible sans aucun commentaire scientifique. Je
suis de ceux qui pensent que la lecture populaire des Saintes Ecritures nous rappelle que
la parole de Dieu n'est pas une leçon savante à l'attention des experts, mais le message
d'un père à ses enfants. La lecture, même naïve et simpliste, de la Bible n'est pas du
fondamentalisme et elle est vivement encouragée et largement pratiquée dans l'Eglise
actuelle.
L. P. : Quelles sont aujourd'hui les clés pour une lecture juste de la Bible ?
C. P. : C'est, pour les croyants, de considérer que la Bible est la parole de Dieu transmise
par une écriture humaine et que cette écriture respecte les genres littéraires. Le Cantique
des cantiques est un chant d'amour ; le Livre des Macchabées, un récit événementiel, les
Actes des apôtres, une chronique. Donc, il convient de respecter le genre littéraire dans
lequel il a été écrit. En même temps, pour le croyant, il faut y voir le message, la
Révélation, qui court du commencement de la Genèse à la fin de l'Apocalypse. Quand je
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me suis occupé du cas de Galilée, j'ai compris que la Bible ne nous enseigne pas
comment va le ciel, mais comment on va au ciel. On n'y cherche pas des descriptions
scientifiques ni des vérités historiques, mais la révélation d'un Dieu créateur, sauveur et
sanctificateur, racontée avec les moyens des auteurs du temps.
L. P. : Pour lire la Bible, vaut-il mieux se laisser guider par la foi ou par la raison ?
C. P. : Je suis de ceux qui disent : l'un et l'autre. Je pense que la foi et la raison ne
donnent pas des vues antagonistes, mais complémentaires, et, comme le dit le pape
Jean-Paul II dans une encyclique : « La foi et la raison sont les deux ailes qui nous portent
vers la vérité. »
L. P. : Une lecture athée de la Bible est-elle possible ?
C. P. : En tant que responsable du dialogue avec les non-croyants, je respecte la lecture
athée de la Bible et je m'en réjouis, puisque la Bible est ouverte à tout le monde. Les
athées ont le droit de puiser à cette source. Je suis sûr qu'ils y trouvent beaucoup
d'inspiration.
L. P. : Dans l'œcuménisme et le rapport interreligieux, la Bible est-elle un texte qui divise
ou qui rassemble ?
C. P. : C'est un texte qui a divisé et qui maintenant rassemble. La Bible a opposé les
chrétiens de façon dramatique, puisque c'est sur sa lecture que les protestants se sont
séparés de l'Eglise catholique sur la question de la justification. Une des grandes
entreprises de notre temps a consisté à surmonter cette déchirure en retournant à la
source, et à nous mettre d'accord pour publier ensemble la TOB, la traduction
œcuménique de la Bible.
Comme Robert Schuman et Adenauer avaient pensé que pour faire se rencontrer la
France et l'Allemagne il fallait partir de ce qui les avait divisées, le charbon et l'acier,
l'intuition pour rassembler protestants et catholiques a consisté à se mettre ensemble pour
faire une traduction du texte qui nous avait opposés pendant des siècles. Ça a demandé
des années. Je suis frappé de voir que, dans les usages que nous faisons tous de la
Bible, nous utilisons très souvent la traduction de la TOB. Et les orthodoxes y sont
associés.
L. P. : Et en ce qui concerne le rapport interreligieux ?
C. P. : Juifs, chrétiens et musulmans représentent la triple postérité d'Abraham.
Naturellement, les lectures sont différentes car, pour nous, l'Ancien Testament est ancien
puisqu'il y a le Nouveau, alors que, pour les juifs, il est à lui tout seul la Bible. Mais je dois
dire mon émerveillement lorsque mon ami Chouraqui, qui est juif, a traduit en hébreu la
Bible et le Coran. Ça, c'est fantastique, car, si on veut communiquer, il faut mettre en
commun nos sources, qui sont singulières. L'Histoire est en mouvement, car nous héritons
de siècles de séparation et de divisions.
L. P. : La Palestine, théâtre de la Bible, est toujours en guerre. Qu'est-ce que la Bible nous
enseigne sur ce conflit ?
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C. P. : C'est une tragédie affreuse, un drame terrible, alors que, comme dit saint Paul, « le
Christ est venu pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés ». Le pape Paul
VI, à un moment où personne n'y pensait et où beaucoup rêvaient de « décentraliser
l'Eglise », l'a au contraire « recentrée » en allant à Jérusalem, où, étrangement, aucun
pape ne s'était rendu depuis que Pierre avait quitté la Terre sainte. C'était un geste très
important que d'aller de Rome à Jérusalem. Le pape Jean-Paul II, dans le sillage de Paul
VI, a refait ce pèlerinage et, chaque fois que j'en parle avec des amis juifs ou musulmans,
je sens comme une bouffée d'air pur. L'espace de deux jours, ce pape a réussi à parler le
même langage aux enfants d'Ismaël et aux fils d'Israël séparés et antagonistes. Et il a été
reçu des deux côtés. Pendant ces quelques jours, les enfants d'Abraham se sont
retrouvés. Depuis, nous sommes plutôt dans le noir et je pense aux paroles de Jean-Paul
II : « Tous ceux qui prétendent utiliser la religion pour faire la guerre insultent l'homme et
blasphèment Dieu. »
Propos recueillis par Dominique Dunglas
Joseph Sitruk
« Croire en Dieu, c'est en douter tous les jours »
Le Point : Quel est votre premier souvenir de la Bible ?
Joseph Sitruk : Toute approche de la religion juive passe par le texte biblique. Il est le
Livre inspiré qui constitue la source de tous nos enseignements, notre cadre de vie et la
base de nos réflexions. Il est le sang qui circule dans nos veines. Je ne suis pas issu
d'une famile pieuse, je n'ai pas été élevé dans un climat religieux. Je n'ai donc pas connu
la Bible enfant. Je l'ai découverte plus tard, vers l'âge de 16 - 17 ans, pour assumer ma
responsabilité de chef scout, à Nice, où j'habitais. Mais j'ai tout de suite été conquis.
L. P. : Pour quelles raisons ?
J. S. : Par l'extraordinaire expérience de la vie que ce texte recèle, sa très grande
proximité avec ce que nous sommes, tous, en tant qu'hommes. Le génie du texte biblique
inspiré par Dieu est dans l'énoncé de grandes vérités en des termes très simples. Pour
parler de l'existence de Dieu, la Bible ne fait pas un exposé théologique, mais elle raconte
comment le monde a été créé ; Dieu est là, présent, agissant. Quand le premier croyant,
Abraham, apparaît, il parle avec Dieu, comme moi je vous parle. C'est un message
proche, simple, animé, compréhensible par un enfant en bas âge et source de méditation
pour un philosophe expérimenté.
L. P. : Quelle est la part de la légende et de la réalité ?
J. S. : La Loi, la Torah en hébreu, n'a pas été transmise à un homme dans l'intimité de son
alcôve, mais devant tout le peuple juif sortant d'Egypte et réuni au pied du mont Sinaï. Ce
texte est révélé, donc authentique. Il n'y a pas de place pour la « légende », mais pour le
commentaire, la méditation, l'enseignement.
L. P. : Mais comment être sûr que les versions actuelles correspondent au texte originel ?
J. S. : Depuis le prophète Esdras, qui a vécu il y a vingt-quatre siècles, le texte biblique a
été canonisé, rendu sacré, et sa transmission s'est faite dans une grande rigueur. Lorsque
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des manuscrits divergent, les altérations ne touchent que quelques lettres. Les cinq livres
de Moïse - le Pentateuque - sont scrupuleusement inscrits sur un parchemin par un scribe
hautement qualifié qui lui-même l'a recopié d'un autre scribe. Avant de circuler dans les
synagogues, ces écrits sont avalisés par un conseil scientifique de rabbins. Quand les
rouleaux de la Torah sont usés, nous ne les jetons pas, nous les enterrons dans des jarres
pour les protéger des injures du temps, et ce depuis des millénaires. Toutes les
communautés juives organisent leur culte autour de la lecture hebdomadaire de ces
rouleaux. De surcroît, aujourd'hui, le texte biblique est scannérisé et vérifié sur ordinateur.
Les fragments antiques du Pentateuque que l'on a trouvés dans les grottes de Qumran ou
bien à Fostat, dans la banlieue du Caire, sont identiques aux textes que nous possédons
aujourd'hui.
L. P. : N'avez-vous quand même jamais douté de certains épisodes ?
J. S. : « Croire en Dieu , c'est en douter tous les jours », disent nos sages. La foi n'est pas
un acte que l'on accomplit une fois pour toutes dans sa vie en se disant : « Ça y est, je
suis sur des rails. » Les événements de la vie, les questions que se pose tout un chacun
peuvent écorner cette foi, la faire vaciller. Mais, ce faisant, ils lui permettent de se
réaffirmer plus fort.
L. P. : En quoi la Bible peut-elle éclairer notre époque ?
J. S. : Elle permet à l'homme de voir plus loin que l'événement. Elle lui donne son
espérance, lui enseigne des valeurs fondamentales comme l'amour du prochain, le
respect d'autrui, l'attention aux plus défavorisés, l'importance de l'éducation ou la sainteté
du mariage.
L. P. : Existe-t-il une rivalité juive et chrétienne sur la Bible ?
J. S. : Rivalité, je ne sais pas ; divergences, oui. Pour nous, toute atteinte au texte que les
chrétiens appellent l'Ancien Testament est évidemment inacceptable. Il n'y a pas d'«
aggiornamento » de la parole divine. Dieu a parlé une fois pour toutes. La foi du judaïsme
est fondée sur le fait qu'à un moment donné la prophétie s'est arrêtée, au IVe siècle avant
Jésus-Christ, et qu'elle est relayée depuis par la sagesse des hommes. Nous n'avons
adhéré ni au caractère divin du Christ ni à la croyance de la Trinité et de l'Immaculée
Conception, ni à tout ce qui entoure la naissance de Jésus, ou encore nous n'avons pas
les mêmes conceptions de l'enfer et du paradis. Dans le judaïsme, l'enfer est une sorte de
passage par lequel transmigrent les âmes après leur vie terrestre et où l'homme est jugé
par Dieu. Mais il s'agit d'un monde exclusivement spirituel. Quant au paradis, ses joies ne
sont aussi que spirituelles et consistent essentiellement en la contemplation de la majesté
divine et de LA vérité qui, enfin, s'impose à tous. Et connaître la vérité, pour un juif, est la
plus grande des joies
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
Dalil Boubakeur
« Le Coran est une authentification du message biblique »
Le Point : Le Coran ne cite jamais expressément de versets bibliques...
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Dalil Boubakeur : Il ne dit pas nommément que, dans telle partie de la Bible, il est dit
que... Mais il y fait référence. Quand Moïse, par exemple, dit à son peuple « Quiconque
tue une vie humaine tue toute l'humanité, quiconque sauve une vie humaine sauve toute
l'humanité », ce verset se réfère à la Bible. Le Coran évoque les Dix Commandements, la
vie des prophètes, Abraham, Moïse, Pharaon, l'Exode... Il y a des références tellement
fortes à la Bible dans le Coran que celui-ci devient une authentification, un « imprimatur »
des messages bibliques et évangéliques. Comme si l'on attendait la confirmation
coranique pour dire combien ces livres sont des textes de vérités et de prières et que les
hommes ont eu tort de ne pas les suivre, et même parfois de s'en éloigner. Ces Ecritures
doivent être replacées dans leur contexte sémitique de naissance. On ne peut pas
comprendre le Coran si l'on n'a pas présent à l'esprit que le christianisme de l'époque
n'avait pas les mêmes visions que celui d'aujourd'hui.
L. P. : C'est-à-dire ?
D. B. : Dans le Coran, la Crucifixion n'est qu'une vision du peuple, « un faux-semblant »
(sourate IV, versets 157-158) qui a consisté en l'élévation de Jésus vers Dieu. Le peuple
juif est donc lavé de tout déicide. Les Actes de Jean numéros 99 et 101 expriment la
même thèse. Dans la Bible, il est dit : « Voici mon fils, obéissez-lui ! » Dans le Coran, c'est
Jésus qui parle et dit : « Je suis le serviteur de Dieu. » On trouve la même donnée dans
l'Evangile apocryphe de Barnabé : Dieu présente Jésus non comme son fils mais comme
son serviteur au moment de la Transfiguration.
L. P. : Pour la Bible, « l'homme est créé à l'image de Dieu » ; pour le Coran, « Allah est
fondateur des cieux et de la terre... Rien n'est semblable à lui... »
D. B. : Et surtout l'homme est créé comme « vicaire » de Dieu. Le Coran a donné à
l'homme « la prime nature », ce qui le prédispose, par volonté divine, à être porteur de la
foi, de la connaissance de « tous les noms de toutes choses », et à poursuivre l'œuvre
créatrice de Dieu.
L. P. : Si l'on retient une différence entre le Coran et la Bible, quelle est-elle ?
D. B. : Le péché originel. Dieu a pardonné à Adam (sourate II, verset 37). La vie de
l'homme n'a pas pour but de racheter un péché pardonné, mais de mériter à nouveau un
paradis qui lui avait été donné sans conditions, de toute éternité. Il doit le reconquérir par
son travail, sa peine, sa souffrance, et connaître la mort physique. Mais il n'est pas grevé
du péché originel.
L. P. : Ce qui entraîne une différence fondamentale dans la conception de l'homme...
D. B. : Oui. L'homme dans l'islam est entièrement responsable de ses actes, il ne peut pas
se réfugier derrière une espèce de prédestination. Pour l'islam, Jésus n'est pas venu
sauver une humanité pécheresse. L'homme de l'islam est un homme libre, pardonné, à qui
les révélations successives vont sans cesse rappeler son devoir primordial d'adoration de
Dieu.
L. P. : Libre mais entièrement soumis à Dieu...
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D. B. : Il est soumis à la volonté de Dieu exprimée par les prophètes. Dieu, dans le Coran,
ne se reconnaît qu'une fonction : donner sa grâce et sa miséricorde. Et nous, les hommes,
nous devons nous comporter comme si nous devions la mériter, par nos œuvres, notre
adoration, notre soumission. La mort n'est pas un passage, mais le moment du bilan.
L. P. : Quelles sont les autres grandes divergences entre les deux textes ?
D. B. : Surtout, la querelle du Paraclet, l'antique pomme de discorde de la polémique
islamo-chrétienne. Pour les chrétiens, ce Paraclet, c'est le Jésus de la Résurrection. Pour
nous, le Paraclet, c'est l'homme attendu, le « Loué », c'est-à-dire Mahomet. Nos
divergences avec les chrétiens portent essentiellement sur des points de doctrine : même
si l'islam accepte Marie (sourate XIX), sa virginité, Jésus, l'Esprit saint... nous refusons la
Trinité. Avec le judaïsme, l'écart est davantage de nature historique et politique. N'oublions
pas que le judaïsme n'a pas accepté Mahomet comme Prophète.
L. P. : Le Coran et la Bible sont des textes rivaux ?
D. B. : Mohamed Abdou, un illustre maître de l'islam, a écrit que « la Bible, l'Evangile et le
Coran sont trois livres concordants. [...] Je prévois le jour prochain où luira parmi les
hommes la connaissance parfaite et où se dissiperont les ténèbres de l'ignorance. Alors,
les deux grandes religions, le christianisme et l'islam, s'apprécieront mutuellement et se
tendront la main »
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
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Annexe
Plan de la Bible
Selon les Chrétiens catholiques et orthodoxes : « ANCIEN TESTAMENT »

PENTATEUQUE


La GENESE : Prologue de toute la Bible, le livre de la Genèse est le
premier livre du Pentateuque. Il contient le récit mythique des origines du monde
et de l’humanité. Il fait ensuite l’histoire des familles des Patriarches, les grands
ancêtres du peuple d’Israël, jusqu’à Jacob et Joseph.
I. L’histoire des origines de l’humanité (1,1-11,26)
II. L’histoire des Patriarches (11,27-50,26)

L’EXODE : Le livre commence avec l’évocation de la servitude du
peuple hébreu et le récit de la vocation de Moïse. Il se poursuit avec la sortie
d’Egypte du peuple d’Israël et la marche dans le désert. Il culmine dans la
révélation de la Loi au mont Sinaï.
I. La préparation et la sortie d’Egypte (1,1-15,21)
II. La marche des Hébreux dans la désert (15,22-18,27)
III. Le don de la Loi au Sinaï (19,1-40,38) : dont le
Décalogue et le Livre de l’Alliance

Le LEVITIQUE : Essentiellement un recueil de lois.
I. Recueil d’instruction sur le sacrifice (1-7)
II. Rites de la consécration des prêtres (8-9)
III. Lois de pureté légale (10-16)
IV. Loi de sainteté (17-26)

Les NOMBRES : Législation dans un cadre historique.
I. Au Sinaï avant le départ des Israélites (1,1-10,10)
II. Voyage dans le désert (10,11-22,1)
III. Israël sur la rive orientale du Jourdain (22,2-36,13)

Le DEUTERONOME : Véritable Bible dans la Bible, il propose une
riche synthèse des prescriptions antérieures.
I. Les deux discours d’introduction à la Loi (1-11)
II. Le code de lois du Deutéronome (12-26)
III. Conclusions, exhortations et bénédictions (27-34)


LIVRES HISTORIQUES


JOSUEH: Le livre s’attache à la période qui va de la mort de
Moïse à celle de Josué.
I. Conquête de Canaan (2-12)
II. Partage de la Terre promise (13-21)
III. Epilogue (22-24)

JUGESH: Nombre de personnalités occupe le devant de la
scène : les « juges », héros dont les « six grands » (Othniel, Ehud, Barac,
Gédéon, Jephté et Samson).

RUTH* : Histoire charmante et douce au service des valeurs
familiales. Naissance du grand-père de David. L’œuvre se termine par la
généalogie de David. Ruth, l’étrangère (de Moab), figure dans la généalogie du
Christ en Mat 1. L’auteur vit au milieu du Vème siècle av. J.C.

I et II SAMUELH: Livres dominés par trois grandes figures que sont
Samuel, Saül et David.
I. Samuel (1S 1-7)
II. Samuel et Saül (1S 8-15)
III. Saül et David (1S 16-2S 1)
IV. Règne de David (2S 2-20)
V. Appendices (2S 21-24)

I et II ROISH: Livres couvrant l’histoire des rois de Juda et d’Israël de
la mort de David à la prise de Jérusalem en 587 av. J.-C.
I. Salomon (1R 1-11)
II. Schisme et les deux royaumes (1R 12-2R 17)
III. Histoire de Juda (2R 18-25)

I et II CHRONIQUES : Second exposé historique de l’histoire des
rois de la mort de Saül au retour d’exil (538 av. J.-C.) centré exclusivement sur
Juda.
I. D’Adam à David (1Ch 1-9)
II. L’histoire de David (1Ch 10-29)
III. L’histoire de Salomon (2Ch 1-9)
IV. Les rois de Juda jusqu’à l’Exil (2Ch 10-36)

ESDRAS et NEHEMIE : Seuls récits postexiliques
I. De l’Exil à la reconstruction du Temple
II. Activités d’Esdras et de Néhémie

ESTHER* (

avec suppl. grec): Conte historique qui restitue avec précision
l’ambiance de la cour de Perse sous Assuérus (Xerxès I, 485-465). Le cœur du
récit est le projet d’extermination totale des juifs mis au point par le premier
ministre Aman.

TOBIE : Le but du livre est moral, religieux et didactique. Le cadre historique,
de l’Exil en Babylonie et en Médie, est fictif. L’auteur vit au IIIème OU au IIème
siècle.

JUDITH : Courte nouvelle située dans le prétendu cadre de l’Exil à Babylone.
Judith la juive symbolise le peuple de Dieu : elle est la Femme par laquelle le
salut arrive. L’auteur, inconnu, est de tendance pharisienne (1er siècle av. J.-C.).

DERNIERS LIVRES HISTORIQUES


I et II MACCHABEESH: Au nombre de quatre dans la Septante, la
Bible chrétienne n’en conserve que deux. Ces livres tiennent leur nom du plus
illustre des fils de Mattathias, Judas.
I. Histoire des juifs de Palestine de 175 à 135 av. J.-C. (1M)
II. Histoire des juifs de Palestine de 180 à 160 av. J.-C. (2M)

LIVRES SAPIENTAUX


JOB*S : Chef d’œuvre littéraire du courant biblique de sagesse.
Auteur inconnu vers le IVème siècle av. J.-C.

PSAUMES* : Le livre des Psaumes est le grand joyau littéraire de la
Bible. Son élaboration s’étend sur de longs siècles. Il est le résumé poétique de
toute l’histoire religieuse d’Israël. On aborde la grave question des épreuves qui
seraient infligées à l’homme pour sonder ses convictions religieuses.

PROVERBES*S : Livre le plus typique des écrits de sagesse.
L’achèvement de l’œuvre date d’après l’Exil. Salomon est, dans la tradition
considérée comme l’auteur.
Les sources bibliques du christianisme
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91

ECCLESIASTE (QOHELET)* S : Livre d’homme insatisfait qui
commence et se termine par la fameuse phrase : « Vanité des vanités, tout est
vanité ». Comme dans Job, la crise de la sagesse transparaît ici.

CANTIQUE DES CANTIQUES*S : Dernières rédactions en date des VIème ou
Vème siècles. Joyau de la littérature biblique, chant d’amour adressé
principalement aux « filles de Jérusalem » (allégorie de l’amour entre Dieu et
son peuple). Salomon est, dans la tradition considérée comme l’auteur.

SAGESSE DE SALOMONS : Rédigé à Alexandrie, vers la fin du Ier siècle av.
J.-C. par un juif érudit de langue grecque. Son propos est de soutenir la foi des
juifs d’Alexandrie. Salomon est, dans la tradition considérée comme l’auteur.

ECCLESIASTIQUE (SIRACIDE)S : Composé vers 180 av. J.-C.
Œuvre d’un juif de Jérusalem, Ben Sira, dont le but est de montrer que la culture
juive est supérieure à la culture hellénistique.

LIVRES PROPHETIQUES

ISAÏE : Isaïe est l’un des très grands prophètes bibliques. Sous
son nom figurent l’écho direct de ses oracles mais aussi la vaste postérité
littéraire de sa parole. L’originalité du message initial du prophète se trouve
déployée tout au long du livre.
Isaïe est homme de Jérusalem, issu d’une grande famille, il se manifeste surtout
sous les rois Achaz et Ezéchias. Une légende tardive (Ascension d’Isaïe) le fait
mourir sous Manassé, attaché à un arbre et scié.
I. 1er Isaïe (1-39) : Juda est placé devant l’imminence du
jugement divin (paroles authentiques du prophète).
II. 2ème Isaïe (40-55) : La libération est proche (prophète
anonyme).
III. 3ème Isaïe (56-66) : Dénonce les péchés du peuple élu et
évocation de la restauration de Jérusalem (plusieurs auteurs
postérieurs à l’Exil).

JEREMIE : Le prophète est témoin, voir acteur, de la grande
réforme de Josias. Long ministère qui s’écoule de 627 à 587 av. J.-C. qui se
situe entre la fin de l’empire assyrien et la montée de Babylone.
I. Oracles contre Juda et Jérusalem (1-25)
II. Biographie du prophète (26-45)
III. Oracles conte les nations (46-52)

LAMENTATIONS* : Rédaction attribuée artificiellement à Jérémie.

BARUCH : Ce livre bref est placé fictivement sous le patronage de
Baruch, secrétaire de Jérémie. Dernière rédaction date du IIème siècle av. J.-C.

EZECHIEL : Prêtre de Jérusalem déporté en 597 av. J.C., prophète
auprès des exilés (593-571). Largement l’auteur du livre qui porte son nom. Il
est le premier prophète de YHWH reconnu en terre étrangère : là, il annonce la
restauration et la transformation d’Israël.
I. Annonce du châtiment avant la chute de Jérusalem (4-24)
II. Oracles contre les nations étrangères (25-32)
III. Annonce de la vie nouvelle pour Israël (33-48).

DANIEL* (

avec suppl. grec): Dernier livre des « grands prophètes » dans
la Bible chrétienne ; en fait, c’est la première apocalypse biblique dans le sens
complet et formel du terme. Daniel est un pseudonyme emprunté à la Bible (Ez
14,14 ; 28,3) par un auteur véritable, qui écrit directement et seul son œuvre.
Son but est de soutenir la foi et l’espérance des juifs dans un moment sombre
(persécution d’Antiochus Epiphane (-168).
I. Les récits (1-6)
II. Les visions (7-12)

Les « Douze Prophètes » (Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée,
Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie) : Textes souvent
brefs, isolés à l’origine. Leur apparition dans l’Histoire va du VIIIème au IIIème
siècle av. J.-C.
Plan de la Bible hébraïque
Selon les Juifs : « TaNaK » (Torah + Nebiim + Ketûbim)

LOI (TORAH)


La GENESE

L’EXODE

Le LEVITIQUE

Les NOMBRES

Le DEUTERONOME
PROPHETES (NEBIIM)

JOSUE

JUGES

I et II SAMUEL

I et II ROIS

ISAÏE

JEREMIE

EZECHIEL

Les « 12 PROPHETES » (Osée, Joël, Amos,
Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq,
Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie)

ECRITS (KETÛBIM)

PSAUMES

JOB

PROVERBES

RUTH

CANTIQUE DES CANTIQUES

ECCLESIASTE (QOHELET)

LAMENTATIONS

ESTHER

DANIEL

ESDRAS et NEHEMIE

I et II CHRONIQUES

livres de la Bible hébraïque ;

livres «deutérocanoniques» ; *livre ayant été déplacé par rapport à l’ordre de la Bible hébraïque ; LivresH «historiques». LivresS de
«sagesse»
[In La Bible, André Paul, p. 56 à 85 – Repères pratiques NATHAN]
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92
Le gotha de la Bible
Adam et Eve : la Genèse
Adam est l'ancêtre de l'humanité, selon la Genèse. Créé par Dieu à son image, assorti
d'une compagne, Eve, arrachée à ses côtes, nanti d'un domicile exceptionnel, le Paradis,
Adam aurait pu mener jusqu'à la fin des temps une existence paisible. Heureusement pour
l'humanité, le serpent était là, la pomme de la connaissance bien tentante, Eve curieuse,
et lui-même passablement désobéissant. Exilés sur la terre, voués au travail, aux
souffrances et à la mort, ils croissent et se multiplient, au prix certes d'une tragédie
familiale, le meurtre d'Abel par son frère, le jaloux Caïn.
Parmi les personnalités les plus remarquables de leur descendance, citons le bon
Mathusalem, recordman toutes catégories de la longévité (969 ans), et Noé qui sauva,
dans son Arche, lors du Déluge, les espèces qui peuplaient la terre et fut par ses fils Sem,
Cham et Japhet le père d'une humanité nouvelle.
Abraham : le fondateur
Né à Ur, en Chaldée, chez les Sumériens, Abraham, ancêtre reconnu des trois religions
monothéistes (judaïsme, christianisme, islam), a la révélation d'un Dieu unique qui lui
ordonne de quitter la Chaldée (sud de l'actuel Irak) « pour le pays que je te ferai voir » .
Suivi de Sarah, son épouse, Abraham remonte le cours de l'Euphrate jusqu'à Harân (en
actuelle Turquie) avant de gagner l'Egypte puis le pays de Canaan. Au cours d'une
deuxième vision, Abraham reçoit de Dieu la promesse d'un fils issu de son sang. Pourtant,
Abraham est vieux et Sarah stérile. Le patriarche, poussé par sa femme, épouse sa
servante Agar, qui lui donne un fils, Ismaël. Celui-ci sera l'ancêtre des musulmans, mais
ce n'est pas le fils promis. Le miracle annoncé par Dieu se produit enfin : Sarah est
enceinte et Isaac naît. Cependant, Yahvé, pour éprouver la foi de sa créature, feint
d'exiger le sacrifice de l'enfant. Le patriarche obéit sans un murmure, mais le bras de Dieu
arrête le couteau. Et Isaac pourra assurer la descendance des juifs.
Jacob, Esaü et les douze tribus d'Israël
Une histoire de jumeaux qui sort de la norme. En naissant - le second -, Jacob tient
fermement le talon de son frère Esaü. Il annonce ainsi la couleur : il ambitionne déjà la
première place et l'héritage. Aidé par sa mère Rebecca, il achète au gourmand Esaü son
droit d'aînesse pour un plat de lentilles. Puis lorsque Isaac, devenu aveugle et sentant sa
fin prochaine, veut bénir Esaü, c'est le cadet qui, par une vilaine manoeuvre, reçoit la
bénédiction paternelle. Il est vrai que Jacob avait été encouragé par des signes divins (son
rêve d'une échelle reliant la terre et le ciel, son combat avec l'Ange). Un drame de la
jalousie familiale survient ensuite : Joseph, le onzième fils et le préféré de son père, est
vendu comme esclave par ses demi-frères, qui font croire à sa mort. Pour finir, la famine
pousse Jacob et les siens à se réfugier en Egypte. Ils y retrouvent Joseph, devenu
conseiller de Pharaon, qui pardonne à ses frères. Ils seront les ancêtres des douze tribus
d'Israël.
Moïse, le face-à-face avec Dieu
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Moïse, selon le récit biblique, est un miraculé. Pour le sauver des persécutions dont les
Hébreux sont victimes en Egypte, sa mère confie le bébé aux eaux du Nil dans un panier
rendu étanche. Recueilli par la fille de Pharaon, qui le fait élever à l'égyptienne, Moïse finit
par s'enfuir et se fait berger dans le Sinaï. Dieu, sous la forme d'un buisson ardent, le
charge de libérer son peuple. Avec son frère Aaron, il obtient l'acceptation - réticente - de
Pharaon. Les Hébreux se mettent en marche. Mais Pharaon se reprend et les poursuit.
C'est l'épisode fameux de la traversée de la mer Rouge (en langue hébraïque, la mer des
Joncs), puis l'errance de quarante ans dans les déserts du Sinaï. C'est au sommet de
cette montagne que Yahvé donnera à Moïse les tables de la Loi, bases de la Torah et du
Deutéronome, tandis que le peuple, inconséquent, adore un temps le Veau d'or. Moïse
meurt sans avoir atteint son but, la Terre promise.
David, le rassembleur
David est un des personnages clés de la Bible. Il a tous les atouts : il est beau, intelligent,
sympathique, musicien, poète.
Comment est-il arrivé à la cour de Saül, médiocre premier roi d'Israël ? Deux traditions
sont en concurrence. Selon la première, il est appelé comme musicien auprès du
souverain afin d'apaiser ses angoisses aux accents de sa lyre. La seconde est héroïque :
c'est sa victoire contre Goliath, champion du camp philistin, qui lui ouvre les portes du
palais.
Devenu roi, David donne alors sa mesure. Il met fin aux querelles des douze tribus, il règle
leur compte aux voisins inquiétants, il s'empare de Jérusalem, dont il fait sa capitale, il y
transporte l'Arche d'Alliance. David est le symbole de l'amour de Dieu, qu'il manifestera
aussi en écrivant de nombreux psaumes (74 sur les 150 connus lui sont attribués, ce qui
justifie son surnom de « Psalmiste »).
Une ombre, cependant : David s'éprend follement de Bethsabée, une femme mariée,
éloigne le mari, Urie, un militaire qu'il envoie se faire tuer dans un poste exposé. Mais
Dieu, sans doute, pardonne puisque c'est de Bethsabée que naîtra le fameux Salomon.
Salomon, le « juste »
Le troisième roi d'Israël, alors « débutant », fait un rêve décisif où il demande à Dieu de lui
accorder l'entendement nécessaire pour, toujours, discerner le bien du mal. Yahvé, ravi,
tope. Le principe acquis, survient bientôt l'application : devant le roi-juge, deux femmes se
disputent le même nourrisson. « Coupons-le en deux » , propose Salomon. L'une des
femmes acquiesce ; l'autre, horrifiée, renonce aussitôt à « sa part » pour sauver son bébé.
Et le roi, qui sait ce qu'il voulait savoir, lui rend l'enfant. Ce « jugement de Salomon » a fait
la célébrité universelle du roi d'Israël.
C'est cette réputation qui décida la fameuse, et peut-être mythique, reine de Saba à quitter
son lointain royaume pour venir à la cour de Salomon afin d'en juger directement. Peut-
être était-elle venue aussi négocier quelque intéressant traité de commerce. La politique a
de pareilles exigences.
Salomon est enfin un grand bâtisseur : c'est lui qui fait reconstruire le premier Temple de
Jérusalem, un monument superbe mais bien modeste en regard de celui qu'Hérode
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édifiera plus tard. C'est lui aussi qui construisit encore un palais remarquable et de
puissantes forteresses (Haçor, Meggido, Guézer).
Hérode, le bâtisseur
Hérode le Grand (73 à 4 avant notre ère) fut d'abord gouverneur de Judée. En - 40, le
Sénat de Rome le consacre « roi des juifs ». Ami des Romains, bien entendu admirateur
de l'empereur Auguste, Hérode, comme beaucoup de princes orientaux de son temps,
était imprégné de la magnifique civilisation hellénistique, qui mêle si harmonieusement
rigueur grecque et imagination locale.
Hérode est un remarquable administrateur et bâtisseur qui couvre la Palestine de villes, de
monuments, de forteresses. On lui doit, entre autres, Césarée, Samarie et surtout le
Temple, le Palais royal et la citadelle Antonia à Jérusalem, les forteresses de Massada et
de Machéronte, l'Hérodion, mi-château fort mi-mausolée pour lui-même.
Mais Hérode avait aussi du sang sur les mains, car c'est lui qui ordonna à la veille de sa
mort le massacre des Innocents.
Marie, Joseph et l'Ange
Ce sont les Evangiles de Matthieu et surtout de Luc qui nous renseignent un peu sur
Marie, la Sainte Vierge des chrétiens. Elle vit à Nazareth, en Galilée. Elle est l'épouse,
encore vierge, de Joseph, un charpentier qui descend de David. La jeune femme reçoit la
visite de l'ange Gabriel, qui lui annonce qu'elle donnera naissance à un fils engendré par
le Saint-Esprit. Ce sera le Messie, Jésus, chargé d'établir sur terre le royaume de Dieu
prédit par les prophètes. Et Gabriel donne un « signe » à Marie : sa cousine Elisabeth,
âgée déjà et toujours stérile, accouchera elle aussi d'un fils. Ce sera Jean le Baptiste, celui
qui présentera Jésus comme l'« Agneau de Dieu » et le baptisera dans les eaux du
Jourdain. Pour cause de recensement voulu par l'occupant romain, Joseph et Marie sont
obligés de se rendre à Bethléem, où naît Jésus. Puis c'est la fuite en Egypte pour ravir le
bébé aux sbires qu'Hérode avait lâchés sur la Judée. Ce massacre avant la mort d'Hérode
(en 4 avant notre ère) permet de dire que Jésus est né entre 6 et 4 avant... J.-C. !
[François Giron, Le Point 1631-1632]

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  • 2. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOC DU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 2 3ème partie : Les sources bibliques du Christianisme Introduction – Le socle de notre civilisation Prologue – Qu’est-ce que la Bible ? Chapitre 1 – Une saga de quatre générations Chapitre 2 – De l’Egypte à la Terre promise Chapitre 3 – La conquête de Canaan Chapitre 4 – Le temps des Juges Chapitre 5 – Une dynastie royale pour Israël Chapitre 6 – Israël, le royaume du Nord Chapitre 7 – Le royaume de Juda face à son destin Epilogue – Le peuple hébreu et les empires Conclusion – Le prêtre, le rabbin et l’imam Annexes
  • 3. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOC DU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 3 Introduction Le socle de notre civilisation La Bible. Ce n'est pas seulement le livre sacré des enfants d'Abraham, la saga d'un petit peuple du désert, l'histoire du Salut pour des milliards d'hommes et de femmes, juifs, chrétiens, musulmans. C'est un message éthique universel, une formidable leçon de politique, de psychologie, de sociologie. Un véritable cours sur l'humanité où les passions séculaires et charnelles le disputent au divin, à l'élévation de l'âme. La Bible, c'est le sang, la fureur, la noire tragédie des cœurs tourmentés, la vengeance divine mais aussi l'amour des hommes et la compassion. C'est la codification du monothéisme à travers l'adoration d'un seul Dieu qui a choisi un seul peuple, le peuple juif, en un seul lieu, la terre d'Israël, pour transmettre son message au monde. La Bible n'est pas seulement une référence religieuse. C'est le socle de notre civilisation, une grille conceptuelle commune aux croyants et aux agnostiques. Cette première tentative d'écriture de l'histoire d'un peuple, de la Genèse à l'Apocalypse, constitue une incroyable novation. L'Histoire a désormais un début et une fin, le temps est comme un fleuve qui jamais ne remonte à sa source. L'homme n'est plus soumis à l'arbitraire de dieux multiples et capricieux. Il tient son salut et son destin en main. Il dispose du libre arbitre pour choisir entre le Bien et le Mal. Pour cela, il a reçu le Décalogue, fondement de notre morale et ancrage idéologique des droits de l'homme. Pour les juifs, la Bible - la Torah - s'arrête à l'Ancien Testament. Les chrétiens considèrent en revanche que la révélation s'est poursuivie. L'Alliance nouvelle a été conclue par la naissance, la vie et la passion de Jésus, messie né dans une humble mangeoire. Elle n'est plus réservée au seul peuple juif, mais a une vocation universelle. La parole se répandra dans tout l'Occident par le truchement de saint Paul et de la langue grecque avant de faire de Rome la deuxième Jérusalem. Les musulmans se réclament d'une tradition plus tardive. Ils intègrent de larges éléments de la Bible mais estiment que Mohammed est le dernier prophète envoyé par Dieu. [Pierre Beylau, Le Point des 19-26 décembre 2003]
  • 4. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOC DU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 4 Les guerres de traduction En d'autres temps, il aurait fini sur un bûcher. Comme William Tyndale, le premier à avoir traduit la Bible en anglais, au XVIe siècle. Mais - heureusement - les mœurs se sont policées. Quand il a publié - en 2001 - une nouvelle version de la Bible, traduite par des binômes d'exégètes et d'écrivains, Frédéric Boyer, directeur des éditions Bayard, a reçu nombre de lettres d'insultes. « Le scandale, surtout, se souvient Frédéric Boyer, c'est que nous avions touché au mot "résurrection". La mémoire théologique chrétienne s'est forgée autour de la puissance de ce mot. Je trouve plus beau et plus littéral de dire "Christ a été réveillé des morts" plutôt que "Christ est ressuscité des morts". Etymologiquement, en grec, il signifie "se relever" ou "être éveillé", il a été unifié en latin par le verbe "resurrexit". "Quand vous serez crucifié, m'a-t-on écrit, vous nous direz si vous préférez être réveillé ou être ressuscité". » Oui, au début du IIIe millénaire, on s'empoigne encore sur les termes de la Bible. Jamais aucun texte au monde n'a été autant traduit dans l'Histoire. Et jamais aucune œuvre de traduction n'a suscité autant de polémiques, de critiques, de passions. Depuis la nuit des temps. Dès la première traduction - d'hébreu en grec - par les juifs à Alexandrie au IIIe siècle avant Jésus-Christ, contestation ! On raconte que soixante et onze sages auraient pris chacun les rouleaux de la Torah, se seraient retirés sous une tente pour les étudier et en seraient ressortis chacun avec... la même version ! Légende. « Quand les juifs d'Alexandrie ont traduit la Septante en grec, raconte le professeur Armand Abécassis, qui vient de publier "L'univers hébraïque" (Albin Michel), certains se sont réjouis : "Le monde connaîtra notre Bible." Mais d'autres ont voulu jeûner, car ils considéraient que c'était là un grand malheur". » Dès que l'on touche au sacré... Saint Jérôme, pour sa Vulgate, première Bible catholique traduite de l'hébreu en latin, étudiait avec un rabbin, en cachette de l'Eglise. Et quand parut sa Bible, au IVe siècle, rappelle Frédéric Boyer, il reçut de saint Augustin des lettres incendiaires : « Nous avons reçu les textes des saints Evangiles en grec, nous n'avons pas le droit de les traduire en latin. » Certains en sont morts. Au XVIe siècle, les guerres de Religion sont d'abord des guerres de traduction. Conflits théologiques. Mais aussi linguistiques. La langue du peuple contre celle du clergé - le latin. Luther et les protestants de la Réforme traduisent la Bible en langues vernaculaires - l'allemand et le français - pour qu'elle soit compréhensible du plus grand nombre. Les catholiques de la Contre-Réforme instituent en réaction la Vulgate latine comme texte sacré. Jusqu'au XXe siècle, dans les milieux catholiques, on parlait des traductions en français comme de traductions vulgaires. La Bible devait être lue en latin. Chaque grand chantier de traduction provoquera ses contestations. On l'a oublié, car elle est devenue un classique, mais la Bible de Jérusalem, quand elle fut entreprise par les dominicains après la Seconde Guerre mondiale, a provoqué moult polémiques au sein de l'Eglise catholique. L'idée était d'établir une traduction scientifique en s'appuyant sur des connaissances linguistiques et archéologiques. Dérangeant, forcément. Cinquante ans plus tard, quand, dans la Bible Bayard, l'écrivain Florence Delay retire le verbe « être » du premier verset de la Genèse, elle frise le parjure. « Au commencement était le verbe » devient sous sa plume « Au commencement, la parole. » Dans cette nouvelle version, comme l'a relevé le sociologue Pierre Lassave, « péché » se mue en « égarement », « esprit » en « souffle », « foi » en « confiance », « gloire » en « rayonnement ». Et Jésus,
  • 5. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOC DU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 5 interprété par Emmanuel Carrère, lance un « Plutôt crever ! » qui a fait jaser... « Pourtant, précise l'académicienne Florence Delay, le verbe "crever" est classique, Racine et Corneille l'emploient. Notre entreprise visait à dégeler des choses figées. Que disent aux jeunes à notre époque des mots comme "verbe" ou "péché" ? Pour moi, "la femme adultère" était une expression de théâtre de boulevard ; c'est pour cela que j'ai traduit : "Va et ne sois plus infidèle". » On ne peut s'en tenir à une version unique de la Bible. « Elle n'est pas un livre d'histoire ni de science, souligne Armand Abécassis. La traduction est une trahison. L'homme est condamné à l'interprétation. Quand vous traduisez d'une langue à une autre, vous changez de vision du monde et de psychologie. L'auteur n'est plus là, il a écrit pour ses contemporains, il a rompu avec son destinataire, son environnement. » Derrière les mots, ce sont - surtout - les divergences doctrinales qui sont en jeu. « Prenez le fameux "Pierre, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise", explique Dominique Barrios, qui fut pendant trente-sept ans responsable du secteur biblique aux éditions du Cerf. Catholiques et protestants traduisent l'expression de la même manière. Mais chacun en tire des conclusions différentes. L'Eglise est-elle un monolithe autour de Pierre, premier pape ? Les protestants répondent non. Quand, dans la Ire Epître aux Corinthiens, Paul dit : "Est-il convenable que la femme prie Dieu la tête découverte ?", c'est un conseil daté, précis, à l'adresse de gens d'une communauté ; on en a tiré un principe général. » Les adaptations sémantiques sont donc nécessaires. Mais la plume du traducteur est apesantie du poids du sacré. Il a fallu trois ans de travail et de multiples brouillons à Florence Delay pour arriver au bout de l'Evangile de saint Jean. « Pour traduire les quatre prophètes de l'Ancien Testament, raconte l'écrivain, je me sentais rayonnante d'énergie. Avec le texte de Jean, je me suis retrouvée comme intimidée et captive ; j'éprouvais de la crainte. Ce texte avait été mille fois traduit, que pouvais-je apporter ? » Traducteur, métier à risques ! Henri Meschonnic en a fait une profession. Poète et essayiste, l'homme joue avec la Bible comme d'autres avec de la dynamite. Depuis trente- trois ans - sa dernière traduction, « Les noms », vient de sortir chez Desclée de Brouwer -, il veut libérer le texte « des carcans des traditions religieuses et des adaptations » et en tirer la substantifique moelle, « la poétique du divin » . Henri Meschonnic s'échine à suivre le rythme originel, en hébreu, un peu à la manière d'un André Chouraqui, seul traducteur de la Bible dans son intégralité et du Coran. Différence notable entre les deux hommes : l'un est croyant, l'autre pas. Ce qui fait de Meschonnic le mouton noir des cercles bibliques. D'autant qu'il est friand de provocations - Il a même remplacé « Amen » par « C'est ma foi ». Le sniper du sacré ? « Je suis un objet de scandale, car je travaille à débondieuser, déchristianiser, déshelléniser, délatiniser, "défrançais-courantiser" la Bible », rétorque-t-il dans un éclat de rire. De l'espoir pour lui ? Un siècle après la mort du traducteur sur un bûcher, c'est le texte de William Tyndale qui a permis d'établir la King James Version. Cette Bible est aujourd'hui une référence en Grande-Bretagne. Jérôme Cordelier
  • 6. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOC DU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 6 Prologue Qu’est-ce que la Bible ? Le cœur de la Bible hébraïque est un récit épique qui décrit l’émergence du peuple d’Israël et sa relation constante avec Dieu. A l’encontre d’autres récits mythologiques du Proche- Orient, la Bible s’ancre fermement dans l’histoire terrestre. Le drame divin se joue sous les yeux de l’humanité. La Bible ne se contente pas de célébrer le pouvoir de la tradition et des dynasties régnantes. Elle explique pourquoi l’histoire du peuple d’Israël – et du monde entier – s’est déroulée selon un schéma dont l’issue dépend directement des commandements et des promesses de Dieu. C’est le peuple d’Israël qui tient le rôle central dans cette tragédie. Il appartient au peuple d’Israël – et, à travers lui, à tous les lecteurs de la Bible – d’orienter le sort du monde. I. La Bible hébraïque Par « Bible », nous entendons essentiellement le recueil des textes anciens, longtemps désigné sous le titre d’Ancien Testament, et qu’aujourd’hui les savants ont coutume d’appeler la Bible hébraïque. C’est un assemblage d’histoires, de légendes, de textes de lois, de poèmes, de prophéties, de réflexions philosophiques, composés pour la plupart en hébreu. La Bible se divise en trente-neuf livres qui, à l’origine, étaient classés par auteurs ou par sujets – ou bien, pour des ouvrages plus longs comme les livres 1 et 2 de Samuel, les livres 1 et 2 des Rois, les livres 1 et 2 des Chroniques, d’après la longueur étalon des rouleaux de parchemin ou de papyrus utilisé. La Bible hébraïque sert de fondement spirituel au judaïsme ; elle constitue la première partie du canon du christianisme ; l’Islam aussi la considère comme une source d’inspiration et d’enseignement éthique d’une grande richesse, transmise par l’intermédiaire du Coran. La tradition divise la Bible hébraïque en trois parties principales. La Torah ou Pentateuque : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. En premier lieu, vient la Torah, appelée également les cinq livres de Moïse ou Pentateuque (« cinq livres », en grec). Elle inclut la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Elle raconte l’histoire du peuple d’Israël, à commencer par la création du monde, suivie du Déluge, de la vie des patriarches, de la sortie d’Egypte, de la traversée du désert et de la remise des Tables de la Loi sur le mont Sinaï. La Torah se termine par les adieux de Moïse au peuple d’Israël. Les Prophètes : les « premiers prophètes » et les « derniers prophètes ». Les « premiers prophètes » (Josué, les Juges, les livres 1 et 2 de Samuel, les livres 1 et 2 des Rois) narrent l’histoire du peuple d’Israël en partant de la traversée du Jourdain et de la conquête de Canaan, suivies de l’ascension et de la chute des royaumes israélites, puis de leur défaite et de leur exil sous les coups des Assyriens et des Babyloniens. Les « derniers prophètes » (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie) rassemblent un série d’oracles, de directives sociales, d’âpres admonestations, qui expriment l’attente messianique d’un ensemble d’individus diversement inspirés sur une période d’environ trois siècles et demi, entre le milieu du VIIIe siècle et la fin du Ve siècle avant notre ère.
  • 7. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOC DU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 7 Les Ecrits : les Psaumes, les Proverbes, Job, le Cantique des Cantiques, Ruth, les Lamentations, l’Ecclésiaste, Esther, Daniel, les livres 1 et 2 des Chroniques, Esdras et Néhémie. Les Ecrits expriment, de façon mémorable et frappante, la dévotion de l’Israélite ordinaire en des temps de joie, de crise, de vénération ou de réflexion personnelle. Dans la plupart des cas, il est extrêmement difficile de les relier à des évènements historiques ou à des auteurs déterminés. Bien que les premiers textes aient pu être rassemblés au cours de la période monarchique tardive, ou aussitôt après la destruction de Jérusalem, en 586 av. notre ère, la plupart de ces écrits paraissent avoir été composés plus récemment, entre le Ve et le IIe siècle av. notre ère, au cours des périodes perse et hellénistique. II. Du jardin d’Eden à Sion L’histoire biblique débute au jardin d’Eden ; elle se poursuit avec Caïn et Abel, puis Noé et le Déluge, pour se concentrer finalement sur le sort d’une seule famille, celle d’Abraham. Abraham, que Dieu a choisi pour devenir le père d’une grande nation, observe, avec une obéissance farouche, les commandements divins. Il quitte, avec sa famille, sa demeure située en Mésopotamie pour se rendre au pays de Canaan. Là, au cours de sa longue existence, il nomadise, étranger au milieu de la population autochtone. Son épouse Sara, lui donne un fils, Isaac, qui héritera des promesses divines faites en premier lieu à son père. Le fils d’Isaac, Jacob – qui représente la troisième génération de patriarches – sera le père des douze tribus. Au cours d’une existence chaotique, haute en couleur, Jacob élève sa grande famille et parcourt le pays en y construisant des autels ; c’est en luttant avec un ange qu’il reçoit le nom d’Israël, nom qu’il léguera à ses descendants. La Bible raconte alors les querelles qui opposent les douze fils de Jacob, les travaux qu’ils mènent en commun, puis la grande famine qui les contraints à quitter leur terre natale pour se réfugier en terre égyptienne. Dans ses dernières volontés, Jacob, le patriarche, confie à la tribu de son fils Juda la responsabilité de régner sur les onze autres tribus (Gn 49,8-10). La grande saga quitte alors le registre du drame familial pour se transformer en fresque historique. Le Dieu d’Israël fait au pharaon égyptien la démonstration éclatante de ses pouvoirs impressionnants. En effet, les enfants d’Israël se sont multipliés au point de devenir une grande nation, mais, réduite en esclavage, ils subissent le sort des minorités opprimées ? Condamnés aux travaux forcés, ils participent à la construction des grands monuments élevés à la gloire du régime pharaonique. Désireux de se faire reconnaître du monde entier, Dieu choisit alors Moïse pour lui servir d’intermédiaire dans la tâche de libérer les Israélites afin qu’ils puissent se mettre en quête de leur véritable destin. Dans ce qui constitue peut-être la série d’événements la plus dramatique de toute la littérature occidentale, le Dieu d’Israël guide les enfants d’Israël hors d’Egypte jusque dans le désert. Au mont Sinaï, Dieu, non content de révéler à son peuple sa véritable identité sous le nom de YHWH (appellation sacrée composée de quatre lettres hébraïques), leur remet également un code légal pour les guider dans leur vie collective et individuelle. Ce contrat sacré passé entre YHWH et son peuple, gravé dans la pierre et scellé dans l’Arche d’alliance, servira aux Israélites d’étendard de bataille dans leur marche vers la Terre promise. Dans d’autres cultures, un tel mythe fondateur se serait peut-être arrêté à ce moment. Mais la Bible, elle, a encore des siècles et des siècles d’histoire à nous conter. En effet, la conquête triomphale du pays de Canaan, la fondation d’un vaste empire par le roi David, la construction d’un Temple majestueux par Salomon, tous ces exploits seront suivis des drames du schisme, de rechutes à répétition dans l’idolâtrie et, finalement, de l’exil. En effet, la Bible décrit comment, peu après la mort de Salomon, les
  • 8. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOC DU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 8 dix tribus du Nord secoueront le joug des rois davidiques de Jérusalem pour se séparer de la monarchie unifiée, donnant ainsi naissance à deux royaumes distincts et rivaux : au nord, celui d’Israël, et au sud, celui de Juda. Pendant les deux siècles suivants, le peuple d’Israël vit donc sous la tutelle de deux royaumes indépendants. Toujours d’après la Bible, les dirigeants du royaume du Nord sont d’une impiété invétérée ; mais certains rois de Juda n’échappent pas non plus à l’opprobre. Las de ces infidélités, Dieu finit par châtier son peuple en lui envoyant des tyrans envahisseurs. Les premiers sont les Araméens de Syrie, qui harcèlent le royaume d’Israël. Puis, en 722 av. notre ère, viendra le tour du puissant Empire assyrien, qui pille et détruit les cités du Nord, forçant une grande partie de la population des dix tribus nordistes à s’exiler. Le royaume de Juda est épargné pendant plus d’un siècle, mais sa population ne peut échapper éternellement au jugement de Dieu. En 586 av. notre ère, le brutal empire babylonien décime l’ensemble du territoire et réduit en cendres Jérusalem et son Temple. Après une telle tragédie, le récit biblique s’écarte dramatiquement, et de façon caractéristique, du schéma habituel des épopées religieuses de l’Antiquité. Dans ce genre de narration, généralement, la défaite d’un dieu par une armée ennemie entraîne la fin de son culte. Dans la Bible, en revanche, le pouvoir du Dieu d’Israël ne cesse de grandir à la suite de la chute de Juda et de l’exil des Israélites. Ne vient-il pas de manipuler les Assyriens et les Babyloniens, contraint de le servir en devant ses agents involontaires pour infliger au peuple d’Israël la châtiment de son infidélité ? Dorénavant, le retour à Jérusalem d’un certain nombre d’exilés et la reconstruction du Temple, marquera, pour Israël, la fin de la période monarchique et le début de sa mutation en une communauté religieuse, soumise à la loi divine. Tout le pouvoir de la Bible réside dans cette surprenante insistance sur la responsabilité humaine. [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 21 à 28 – filio127histoire] Les trois piliers de la Bible hébraïque La Bible hébraïque, ou l'Ancien Testament des chrétiens, se compose de trois grandes parties : la Torah ou Pentateuque (ce nom désigne les cinq livres qui y sont regroupés), les Prophètes et les Écrits. Pour les Juifs, ces trois parties n'ont pas la même valeur : le judaïsme trouve son fondement et son identité dans la Torah, véritable cœur de la Bible hébraïque. On peut distinguer dans le Pentateuque deux grands ensembles. D'une part, le livre de la Genèse ouvre la Bible, et pose les questions des origines du monde et de l'homme. En racontant ensuite l'histoire des patriarches, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et de leurs femmes, il relate l'origine du peuple d'Israël mais pas seulement, car les patriarches sont aussi les parents de la plupart des voisins d'Israël. D'autre part, suite à la Genèse, les livres de l'Exode et des Nombres, le Lévitique et le Deutéronome forment un deuxième ensemble : il s'agit de l'histoire de Moïse de sa naissance à sa mort, de la libération d'Israël des corvées d'Égypte et de son séjour dans le désert.
  • 9. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 9 La deuxième partie de la Bible hébraïque, les Prophètes, reprend le fil narratif et raconte d'abord, dans les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois, l'histoire d'Israël depuis la conquête militaire du pays sous Josué, l'établissement de la royauté avec Saül, David et Salomon jusqu'à la chute de la royauté judéenne et la destruction de Jérusalem en 587 avant notre ère. Ces livres, qui se terminent sur l'échec de la royauté et des institutions politiques, sont suivis de la collection des livres prophétiques proprement dits, qui permettent de mieux comprendre les raisons de la catastrophe. Selon les prophètes, elle découle du rejet par le peuple et par ses responsables des exigences divines de justice et de la vénération exclusive de Yahvé. Mais ces livres contiennent aussi des promesses de renouveau, d'une restauration et d'un temps de salut à venir. Les Écrits regroupent des livres qui sont, pour la plupart, des réflexions sur la condition humaine et sur la relation souvent difficile entre l'homme et Dieu (Job et l'Ecclésiaste). Mais on trouve aussi les Psaumes ou le Cantique des cantiques dans les Écrits. Ces livres concernent donc l'identité de l'homme qui, dans l'Antiquité, ne peut se définir autrement que par rapport au monde divin. Il faut enfin signaler que le christianisme adopte, selon ses confessions, deux Anciens Testaments différents. Le catholicisme, qui se base sur la traduction grecque de la Bible juive, la Septante, y inclue un certain nombre de livres dits « deutérocanoniques » (Maccabées, Siracide, etc.) et organise le texte en quatre parties : le Pentateuque, les livres historiques, les Écrits et les Prophètes. Le protestantisme ne retient que les livres de la Bible hébraïque, mais organise l'Ancien Testament également en quatre parties, comme le catholicisme. La traduction œcuménique de la Bible reprend la tripartition du judaïsme. [Thomas Römer, Docteur en théologie, professeur d'Ancien Testament à la faculté de théologie et de sciences des religions de l'université de Lausanne, et professeur au Collège de France - Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] Comment la Bible nous est parvenue Yahvé dit à Moïse : « Mets par écrit ces paroles, car elles sont les clauses de l'Alliance que je conclus avec toi et avec Israël. » Tels sont les mots que donne à lire, traduits en notre langue, le verset 27 du chapitre 34 du livre de l'Exode, le deuxième de l'Ancien Testament qui compose lui-même la première partie de la Bible chrétienne. Tout paraît simple : après avoir guidé les Hébreux hors d'Egypte vers le pays de Canaan, le prophète Moïse, qui vécut au XIIIe siècle avant notre ère, a consigné, sous l'inspiration divine, la Loi que Dieu destinait au peuple juif, et cette évidence s'imposa jusqu'à une époque assez récente. Tout s'est compliqué depuis que la science s'en est mêlée : outre l'existence improbable de Moïse, l'absence d'écriture hébraïque à son époque supposée et la réalité très douteuse de la sortie d'Egypte, le lieu, la date, les conditions de rédaction de l'Exode, comme de l'ensemble des Ecritures, demeurent recouverts d'une ombre épaisse. En vérité, le caractère prodigieux de la Bible tient à ce que son texte est parvenu jusqu'à nous. Encore n'est-il pas sûr que son élaboration soit achevée, l'archéologie pouvant encore réserver quelques surprises. N'a-t-on pas publié pour la première fois en 1963 un 151ème psaume en hébreu, trouvé à Qumran ?
  • 10. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 10 Prenons la mesure du temps : la plus ancienne trace matérielle du texte biblique se trouve sur un bijou remontant au début du VIe siècle avant notre ère, portant les quatre lettres hébraïques du nom du dieu d'Israël, YHWH, et un passage des Nombres, le quatrième livre. Mais le premier manuscrit complet de la Bible en hébreu dont nous disposons date du XIe siècle après J.-C. Autant dire que, en plus de mille cinq cents ans, le texte biblique a traversé bien des vicissitudes et vécu plusieurs vies. C'est que la Bible elle-même est plurielle. Son nom français transcrit un féminin singulier latin qui lui-même vient d'un neutre pluriel grec signifiant « collection de livres ». Selon les différentes traditions, ces livres ne sont pas les mêmes. Les Bibles hébraïque et grecque, qui ne contiennent que l'Ancien Testament, ne comportent pas le même nombre de livres. Les Bibles chrétiennes ne sont pas non plus identiques, ni pour l'Ancien ni pour le Nouveau Testament. La Bible latine catholique, dont le texte réputé authentique n'a été publié qu'en 1592, est plus longue que les Bibles réformées de Luther et Calvin. La version de l'Eglise orthodoxe syrienne est sans doute la plus courte, avec 22 livres pour le Nouveau Testament, celle de l'Eglise orthodoxe éthiopienne la plus longue, avec 35 livres. Enfin, pour ajouter à la complexité, la Bible juive et la Bible chrétienne ne présentent pas dans le même ordre les écrits qui leur sont communs. Cette diversité tient aux conditions dans lesquelles les Ecritures ont été élaborées et transmises. Dans ce domaine, le savoir a considérablement progressé depuis cinquante ans grâce à la découverte des manuscrits de la mer Morte et à l'exhumation des civilisations du Proche-Orient, en particulier mésopotamiennes. Du coup, la légendaire simplicité biblique a fait place à des interprétations multiples, et parfois polémiques. De façon générale, les savants confessionnellement les plus engagés sont ceux qui accordent le plus de crédit aux informations fournies par la Bible et font remonter sa rédaction le plus haut dans le temps. Voici donc des conclusions qui ne sont en fait que des hypothèses. Pour qu'un texte soit rédigé, il faut une langue, une écriture, un milieu culturel relativement structuré et conscient de lui-même. Ces éléments apparaissent, entre le Jourdain et la Méditerranée, entre les monts du Liban et le désert de Judée, au IXe siècle avant notre ère. La langue et l'alphabet hébreux paraissent fixés, et le cadre sociopolitique est désormais celui de la royauté. C'est en effet en 853 qu'est mentionnée pour la première fois dans un document non biblique, assyrien en l'occurrence, l'existence d'un royaume d'Israël, sous son souverain Achab. Durant les trois siècles de cette période royale, historiquement de plus en plus précise parce que les sources extérieures tout comme les informations contenues dans le texte biblique augmentent en nombre et en qualité, commence la rédaction des livres bibliques. Non pas par le commencement, par la Genèse, qui va depuis la création du monde jusqu'à la mort de Joseph, fils de Jacob, mais par l'histoire des premiers rois, de Saül à Salomon, grâce aux archives royales conservées à Samarie, capitale d'Israël, le royaume du Nord détruit par les Assyriens en - 722, et à Jérusalem, capitale de Juda, le royaume du Sud, mis à bas par les Babyloniens en - 587. Les paroles de certains « petits prophètes », actifs au VIIIe siècle, comme Amos, Osée et Michée, pourraient avoir été consignées très tôt après leur prédication et constituer les livres bibliques les plus anciens. Les traditions relatives à des personnages importants dont des sanctuaires conservaient ou fabriquaient la mémoire, comme Jacob à Béthel, Josué à Sichem, Samuel à Silo, ont pu alors être transcrites.
  • 11. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 11 La prise de Jérusalem, en - 587, par le roi Nabuchodonosor et l'exil des élites judéennes à Babylone durant cinquante ans marquent une rupture très profonde. Le sort du peuple hébreu, l'état de ses relations avec son Dieu donnent lieu à de vives réactions dont témoignent les prophéties d'Ezéchiel, contemporain de l'événement. Avec le retour d'exil, à partir de - 538, s'ouvrent les deux siècles de la domination perse, scripturairement la plus féconde. Gouvernés par un satrape, privés d'organisation politique propre, menacés culturellement par l'influence perse et l'expansion de sa langue, l'araméen, au détriment de l'hébreu, les Judéens réinvestissent leur identité et s'affirment comme un peuple homogène dans la consignation d'une origine, d'une histoire, d'une loi et d'une foi communes, exprimées dans la langue supposée de Moïse, de Samuel et de David. Yahvé, jusque-là divinité du seul peuple hébreu, est considéré comme le dieu unique et vrai à l'exclusion de tous les autres. Les éléments déjà rédigés font l'objet d'une réécriture tenant compte des préoccupations nouvelles, des compléments y sont introduits, des textes supplémentaires sont élaborés, et tous ces livres sont eux-mêmes mis en ordre, en particulier la Torah, connue en grec sous le nom de Pentateuque, qui regroupe les cinq premiers livres bibliques définitivement mis au point, de la Genèse au Deutéronome. Lorsque, à partir de - 332, le Proche-Orient passe sous la souveraineté grecque d'Alexandre, l'établissement du corpus biblique est bien avancé. Ne s'y ajouteront, à l'époque hellénistique, que des romans comme Tobie, Esther et Judith, des suppléments historiques tels qu'Esdras et Néhémie, des traités de Sagesse avec le Qohélet (ou Ecclésiaste) et le Siracide (ou Ecclésiastique), et un ultime livre prophétique, celui de Daniel, rédigé vers -165, principalement en hébreu, mais avec des passages en araméen et en grec, tandis que, rédigés un peu plus tard, les deux livres des Maccabées ne sont connus qu'en grec. C'est que cette langue est désormais celle de l'élite en Méditerranée orientale, tandis que l'hébreu, même en Palestine, est de moins en moins compris. Aussi, à partir des années 250 fut entreprise une traduction en grec de l'ensemble des écrits hébraïques. Cette version grecque de la Bible, dite des Septante, aboutit parfois à modifier le sens de l'original hébraïque, comme l'explique vers -130 le petit-fils et traducteur de Jesus ben Sira, auteur de l'Ecclésiastique : « Vous êtes invités à vous montrer indulgents là où, en dépit de nos efforts d'interprétation, nous pourrions sembler avoir échoué à rendre quelque expression ; c'est qu'il n'y a pas d'équivalence entre les choses exprimées originairement en hébreu et leur traduction dans une autre langue ; bien plus, si l'on considère la Loi elle-même, les Prophètes et les autres livres, leur traduction [celle des Septante] diffère considérablement de ce qu'exprime le texte original. » De fait, à la fin du Ier siècle de notre ère, des maîtres juifs rassemblés au sud de Jaffa ne retinrent pour constituer, désormais, la Bible hébraïque que les livres rédigés et transmis en hébreu, rejetant l'ensemble de la Bible grecque. Or c'est par la Septante que le monde gréco- romain eut accès à l'Ancien Testament. Le Nouveau Testament ne fut guère plus aisé à établir que le canon hébraïque. Naturellement, nous ne possédons aucun manuscrit contemporain de sa rédaction. Sans doute l'écriture des livres néotestamentaires est-elle beaucoup plus resserrée dans le temps que celle de la Bible hébraïque, puisqu'elle va des premières lettres de Paul, juste avant 50, à l'Evangile de Jean, dont le premier fragment manuscrit connu date de 125. Mais ce n'est qu'au IVe siècle que, dans la masse des écrits christologiques disponibles, furent retenus les 27 livres, de l'Evangile de Matthieu à l'Apocalypse, qui forment aujourd'hui les Nouveaux Testaments occidentaux.
  • 12. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 12 A la fin de l'Antiquité, le grec n'était plus guère compris en Occident, donc les communautés chrétiennes eurent besoin de textes accessibles. Des traductions latines furent entreprises, que Jérôme, au tournant des IVe et Ve siècles, reprit pour établir une Bible latine appelée par la suite Vulgate, qui s'imposa au Moyen Age et demeura pendant des siècles celle de l'Eglise catholique romaine. Au XVIe siècle, sous l'impulsion de l'humanisme et de la Réforme, et aussi de l'imprimerie, réapparurent des textes bibliques établis sur les « originaux » hébreux et grecs, à partir desquels furent publiées des traductions en langues modernes, en allemand par Luther en 1534, en français par Castellion en 1535. C'est alors que l'organisation des livres bibliques en chapitres, attribuée à l'évêque anglais Etienne Langton, au début du XIIIe siècle, fut complétée par la division en versets, due aux premiers imprimeurs parisiens. La Bible est bien une création continue [Laurent Theis, Le Point des 19-26 décembre 2003] La Bible à l'épreuve de l'archéologie Entretien(s) avec Israël Finkelstein, le point de vue de l'archéologue Le Point L. P. : « La Bible dévoilée » : un titre un tantinet provocateur face aux croyants, pour qui la Bible est la vérité révélée... Israël Finkelstein : Le texte biblique est d'abord un guide de la foi. En ce qui me concerne, il est très important comme fondement de mon identité juive et de la culture occidentale judéo-chrétienne. Cela étant, le mot « dévoilée » prend tout son sens en termes d'archéologie. Jusqu'ici, en effet, la plupart des livres traitant de ce sujet mettaient au premier plan le récit de la Bible et utilisaient l'archéologie comme illustration. Notre position (celle de Neil Asher Silberman et la mienne) est radicalement différente. Elle se fonde sur la recherche archéologique, qui, en exhumant le quotidien de ces populations, permet une reconstitution neutre de l'histoire du Proche-Orient. Notre seconde innovation concerne l'historicité de la Bible. Au contraire des tenants de l'archéologie biblique traditionnelle, nous remettons totalement en question la chronologie biblique. Je m'explique : si on s'appuie sur le système des « séquences » du récit biblique pour étudier l'histoire des Israélites, on part de la période des Patriarches pour arriver au royaume de Juda en passant par l'arrivée en Egypte, puis la sortie d'Egypte, la conquête de la Terre promise (le pays de Canaan), etc. Dans ce cas de figure, tout est donc organisé et expliqué selon la chronologie biblique. Or, avec moi, c'est tout le contraire. Conformément d'ailleurs à la grande école historique française des Annales, je fais une histoire « régressive ». Je vais du plus récent au plus ancien. Je pars d'un point dont je suis certain et, de là, je reconstitue ce qu'il y avait avant. Une fois que j'ai pu vérifier la concordance ou non des fouilles archéologiques, je prends le texte biblique en me posant les questions suivantes : pourquoi ont-ils écrit cela ? Quels étaient leurs objectifs ? L. P. : Cela ne revient-il pas à créer deux histoires ? I. F. : Tout à fait ! Prenons l'exemple du roi David. Vous conviendrez qu'il y a une différence entre le David des cathédrales françaises et celui du récit biblique. Dans les cathédrales, je n'ai vu ni Bethsabée ni tous ceux qui ont été tués par ce roi. Même chose dans le judaïsme, où David nous est présenté comme le « roi » par excellence.
  • 13. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 13 L. P. : Et là, vous expliquez que les royaumes de David et de Salomon n'ont pas existé, du moins tels qu'ils sont présentés dans la Bible... I. F. : S'il n'y a pas lieu de douter de l'existence historique de David et de Salomon, il y a de fort bonnes raisons de remettre en question l'étendue et la splendeur de leurs royaumes tels que le récit biblique nous les présente. David et Salomon étaient les potentats ou, si vous préférez, les roitelets d'une toute petite cité-Etat, Jérusalem. Une ville alors assez insignifiante. En fait, la Jérusalem du Xe siècle avant notre ère est tout au plus un village typique des hautes terres. En matière de démographie, et selon les calculs de population qui s'appliquent à cette époque, on trouve 5 000 habitants éparpillés entre Jérusalem, Hébron et une vingtaine de villages de Juda, sans compter quelques groupes épars de semi-nomades. Un pays largement rural, donc, et qui n'a laissé aucune trace de documents, d'inscriptions, aucun signe de l'alphabétisation minimale qu'aurait nécessitée le fonctionnement d'une monarchie digne de ce nom. Dans l'Egypte de Ramsès II, au XIIIe siècle av. J.-C., l'époque supposée de l'Exode, eh bien nous n'avons pas une seule inscription monumentale sur les murs des temples, pas une seule inscription funéraire, pas un seul papyrus qui atteste la présence d'Israélites. Pas non plus de vestiges archéologiques dans le Sinaï d'une quelconque errance de quarante ans des Hébreux dirigés par Moïse. L. P. : Et la conquête de la Terre promise par Josué ? Et l'installation des Israélites en pays de Canaan ? Cela non plus n'a pas existé ? I. F. : Le livre de Josué, qui retrace la conquête de Canaan (la Terre promise), nous décrit une campagne militaire éclair au cours de laquelle les tribus israélites défirent sur le champ de bataille les puissants rois de Canaan et héritèrent de leurs territoires. Un texte épique et qui compte certains des épisodes les plus saisissants, comme la chute des murailles de Jéricho ou le soleil dont la course s'arrête à Gabaon. Mais les fouilles nous fournissent les preuves flagrantes de l'importance de la présence égyptienne dans tout le pays de Canaan durant le XIIIe siècle av. J.-C. On imagine mal les garnisons égyptiennes chargées de la sécurité de Canaan se tourner les pouces pendant qu'une horde de réfugiés, de surcroît échappés d'Egypte, répand la terreur à travers toute la province. Les cités cananéennes de l'époque n'étaient pas les villes qu'elles deviendront plus tard. En fait, la cité typique consistait alors en un palais, un temple et quelques édifices publics ; le tout sans murs d'enceinte, sans fortifications. Aucune muraille ne peut donc s'écrouler. Ce qui remet en question la véracité du récit concernant Jéricho. L. P. : Et l'installation des Hébreux ? I. F. : Sur ce point également, les témoignages archéologiques sont sans équivoque. Les Israélites sont des autochtones. Autrement dit, c'est un processus interne à la société cananéenne qui a permis l'émergence des Israélites. Mais, bien sûr, il s'agit d'un processus fait de hauts et de bas, sur un long terme, et qui regroupe plusieurs vagues d'occupations des hautes terres, suivies de récessions. Ce qui ne veut pas dire qu'une dizaine, une vingtaine et même 200 personnes venues d'Egypte (ou de toute autre région, d'ailleurs) ne se sont pas ajoutées au noyau central formé de gens du cru. Ce qui ne signifie pas non plus que tous les Israélites venaient d'une société sédentaire. Au contraire, je pense même que la plupart étaient, à l'origine, des nomades.
  • 14. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 14 L. P. : Et, d'après vous, c'est ce décalage, ces contradictions même entre l'histoire archéologique et l'histoire biblique qui imposent une datation tardive de la rédaction de l'Ancien Testament ? I. F. : Pas seulement. La recherche biblique a démontré que le récit de l'histoire d'Israël a été rédigé au plus tôt à la fin de la période monarchique. Il apparaît très probable que le texte biblique a été conçu autour de la fin du VIIe siècle av. J.-C., sous le roi Josias. Rédigé par des lettrés de la cour de Jérusalem, il a avant tout des objectifs théologiques et politiques. Au plan religieux, c'est une première cristallisation de l'idée de monothéisme avec, pour les Israélites, l'obligation de croire en un dieu unique, dans un lieu unique, le temple de Jérusalem, dans une seule capitale, Jérusalem, sous un seul roi qui est descendant de la dynastie de David. Au plan politique, c'est aussi à ce moment-là, entre 630 et 609 av. J.-C., que le petit royaume de Juda va se constituer en grande nation en tentant d'étendre son pouvoir sur l'ancien royaume du Nord, celui d'Israël (qui, à cette époque, n'existe déjà plus), et face au puissant empire égyptien qui le menace. L. P. : Vous voulez dire que la Bible serait quasiment un texte de propagande ? I. F. : A l'époque de sa rédaction, la Bible constitue la première tentative d'écriture de l'histoire d'un peuple, quels qu'en aient été les motifs. Dans les grands empires assyrien ou babylonien, vous trouvez seulement des annales royales du style « moi le roi X, j'ai conquis tel pays et telle ville. J'ai construit ceci. J'ai reçu tel ou tel tribut, etc. ». Au-delà du message théologique de l'Ancien Testament - la mise en ordre des relations entre Dieu et son peuple -, il y a un aspect concret qui expose les buts, les besoins et les objectifs de la lignée royale. Si on prend comme exemple le livre de Josué, il est certain qu'il illustre les soucis les plus profonds et les plus pressants du VIIe siècle av. J.-C. Dans ce contexte, la Bible pourrait être considérée comme un document de propagande, même si je me refuse à utiliser ce terme et que je pense que ce n'en était pas le seul but. L. P. : Comment le petit royaume de Juda, dont vous dites qu'il s'agissait d'une entité marginale, périphérique, provinciale, a-t-il pu donner naissance à un tel texte ? I. F. : C'est ce qu'il y a de plus intéressant dans toute cette histoire. Alors qu'à la même époque vous avez les empires assyrien, babylonien, égyptien, aux civilisations si raffinées, c'est dans un royaume sans aucune puissance économique, militaire et d'une grande pauvreté culturelle - pas d'architecture monumentale ou autre ; pas d'art décoratif grandiose ; pas même un mur droit - qu'on assiste à un souffle créateur incroyable qui va donner naissance à cette saga puissante. C'est une leçon extraordinaire concernant les ressorts et les mystères de la créativité. Car, qu'on ne se méprenne pas, je respecte la dignité, la complexité, la profondeur et l'existence propre d'un texte qui est l'expression unique de thèmes éternels et fondamentaux. [Propos recueillis par Danièle Kriegel, Le Point des 19-26 décembre 2003] Le Monde des Religions M. R. : Quand la Bible a-t-elle été rédigée ? Israël Finkelstein : La Bible n'a pas été écrite en une fois, mais sur une très longue durée, entre la fin du VIIIe siècle et le IIe siècle avant notre ère. Une partie semble avoir
  • 15. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 15 été conçue sous le règne de Josias, au VIIe siècle, dans une Jérusalem nouvellement prospère. C'est le travail de scribes de la cour judéenne qui ont compilé un ensemble de souvenirs historiques, de légendes et de propagande royale. Certains textes ultérieurs ont été compilés par des prêtres. Et il y a bien sûr les textes prophétiques, les textes de sagesse et autres dont la mise en forme s'étend sur plusieurs siècles. M. R. : Quel était le contexte politique de cette époque ? I. F. : Le royaume de Juda était alors sous domination assyrienne. Cela soulevait de lourdes questions d'identité nationale, de réflexion sur la place et l'importance de Juda dans le monde environnant. Dans ce contexte, s'est peu à peu constitué un ferment de créativité et de spiritualité dans le royaume de Juda. Les auteurs de la fin du VIIIe siècle avaient deux objectifs principaux : l'un politico-religieux, à savoir la volonté de centralisation du culte autour du Temple de Jérusalem ; l'autre, l'absorption des territoires de l'ancien royaume du nord - Israël -, en profitant du retrait des Assyriens. Les auteurs des phases postérieures avaient quant à eux des objectifs différents, qui ressortent en particulier de la place des prêtres dans la société à l'époque du « Second Temple ». M. R. : Quels types de recherches donnent ce genre d'informations ? I. F. : Les recherches archéologiques s'intéressent à la culture matérielle, à l'économie et à la société, alors que l'étude littéraire du texte, au-delà des qualités d'écriture, atteste des connaissances cognitives et culturelles et des systèmes de valeurs des Hébreux. Chacune apporte son propre éclairage sur la période de compilation des textes et sur la réalité qui se cache derrière les mots. Par exemple, la recherche linguistique a permis de mettre en lumière la différence entre l'hébreu classique de Jérusalem au VIIe siècle, et celui de la période suivant l'exil de Babylone, au VIe et Ve siècle avant notre ère. La recherche archéologique, quant à elle, peut identifier la réalité historique sous-jacente à certains textes. M. R. : Concluez-vous de vos recherches qu'Abraham, Isaac et Jacob ont réellement existé ? I. F. : Comme archéologue, je ne peux pas dire si un simple individu a vécu ou non ! Ce que je peux dire, c'est que les anecdotes qui accompagnent la saga des Patriarches, la présence de chameaux domestiqués comme bêtes de somme, par exemple, ou bien la mention des Philistins et des Araméens dans le livre de la Genèse sont antinomiques de la période qui est sensément décrite. Leur occurrence correspond plutôt à l'époque de l'existence des royaumes d'Israël et Juda. Certains éléments de la Genèse correspondent même à des réalités encore plus tardives. Mais les Patriarches, en tant que personnes, peuvent très bien avoir été des héros dont les mythes ont été transmis, dans un « habillage » littéraire et anecdotique pouvant « parler » de façon convaincante aux auditoires.
  • 16. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 16 M. R. : Quand votre livre La Bible dévoilée, écrit avec l'historien Neil Asher Silberman, a été publié, il a choqué, notamment parce qu'il remettait en question la véracité de l'esclavage en Égypte et de l'Exode... I. F. : Il n'y a pas de preuve archéologique de l'Exode ni de l'esclavage, ni de mention égyptienne de l'émigration massive d'un peuple, alors que les registres étaient bien tenus. Mais le texte parle d'un contexte qui a bien existé sur une longue période, à savoir les relations entre l'Égypte et Canaan, le refuge en Égypte de Cananéens menacés chez eux par la famine. Sur la base de mes recherches, je soutiens que ces thèmes de l'Exode, qui reflètent des traditions anciennes, ont été mis par écrit dans le contexte des aspirations de la période de la royauté tardive et sans doute aussi des époques postérieures. M. R. : Si, selon vous, ils ne venaient pas d'Égypte, qui étaient alors les premiers Israélites qui ont peuplé Canaan ? I. F. : À partir de la fin du XIIIe siècle avant notre ère, on atteste l'établissement de proto- Israélites dans les hautes terres. Mais en réalité, ce sont des autochtones ! La plupart sont des bergers nomades de Canaan qui se sont sédentarisés, après la chute du système égypto-cananéen. Depuis le IVe millénaire avant notre ère, on retrouve dans tout le Moyen-Orient cette facilité à se convertir, selon les circonstances socio-économiques, de pasteurs nomades en agriculteurs sédentaires, et vice-versa. Au début, il est difficile de les distinguer, archéologiquement parlant, de leurs voisins - les différences étant sans doute du domaine des mentalités et des connaissances. M. R. : La description de ces petits villages ne ressemble pas à ce que la Bible raconte de la création du royaume d'Israël, autour de la grande Jérusalem. I. F. : L'archéologie ne trouve pas la moindre preuve de l'existence d'une Jérusalem splendide à l'époque des rois David et Salomon (Xe s. av. notre ère). À cette époque, ce devait être un village. Et il n'y avait pas non plus de royaume unifié, s'étendant sur de larges territoires. En revanche, Jérusalem est devenue une grande cité au VIIIe siècle. Les rédacteurs de la Bible ont donc en fait décrit leur propre ville. Cela dit, il n'y a pas de raison de nier que Jérusalem ait existé avant, ni de nier l'existence des rois David et Salomon, ni même celle d'un palais et d'un temple servant en quelque sorte de sanctuaire royal, comme c'était le cas dans tout le Proche-Orient ancien. Dans l'histoire de David contée par la Bible, il y a sûrement des fragments historiques originaux. Ce n'est pas tout l'un ou tout l'autre. Bien que l'ensemble ait été mis par écrit à partir de la fin du VIIIe siècle, et en majorité au VIIe siècle, il y a aussi des passages qui décrivent des éléments d'histoire plus anciens. M. R. : La Bible a-t-elle été écrite par des monothéistes, au sens où on l'entend aujourd'hui ? I. F. : Il n'existait pas de réel monothéisme dans le royaume de Juda, même s'il y en avait déjà des racines dans la société du VIIe siècle avant notre ère. Il y avait un dieu national,
  • 17. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 17 principal, le dieu d'Israël, mais les auteurs bibliques connaissaient l'existence de cultes d'autres déités. La véritable naissance du monothéisme, tel que nous l'entendons de nos jours, date du début de la période du «Second Temple », c'est-à-dire la période qui suit l'exil de Babylone et le retour d'une élite judéenne à Jérusalem. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] Qui a écrit la Bible ? Selon la vision traditionnelle juive et chrétienne, Moïse aurait écrit le Pentateuque. Mais cette vision ne repose sur aucune base historique et il est impossible que le Pentateuque soit l'œuvre d'un seul auteur. On peut y observer des styles forts différents, voire des contradictions. Selon le chapitre 4 de la Genèse (verset 24), l'humanité appelle Dieu par son propre nom, Yahvé, dès les origines du monde, tandis que dans le livre de l'Exode (aux chapitres 3 et 6), ce nom n'est révélé qu'à l'époque de Moïse. On constate également la présence de nombreux doublons. Le Pentateuque comporte dans ses deux premiers chapitres deux récits de création. Plus loin, Yahvé fait deux fois alliance avec Abraham. Et il existe différents codes législatifs qui ne concordent pas toujours entre eux. Dès le milieu du XIXe siècle, ces observations mènent à l'élaboration de l'hypothèse de la « théorie documentaire ». Cette théorie part de l'idée que le Pentateuque se compose de quatre documents différents, à l'origine indépendants les uns des autres, et successivement mis ensemble par des rédacteurs travaillant par coupures et collages. Le plus ancien est le document dit « yahviste » (car on y trouve une préférence pour le nom divin de Yahvé), probablement élaboré sous le règne du roi Salomon, vers 930 avant notre ère. Des études épigraphiques ont en effet démontré que ce n'est qu'à partir du VIIIe siècle avant notre ère que des documents écrits sont apparus de manière significative dans le royaume de Juda. Durant les VIIIe et VIIe siècles avant notre ère, les royaumes d'Israël et de Juda sont sous occupation assyrienne. Leurs élites subissent une forte influence idéologique : les rois assyriens expriment leur domination à l'aide de traités de vassalité dans lesquels les vassaux sont exhortés à une loyauté sans faille. La première édition du livre du Deutéronome contient de nombreux parallèles avec les traités de vassalité assyriens, qui ordonnent constamment d'aimer le roi d'Assyrie. « Tu aimeras Assurbanipal, le grand prince héritier, comme toi-même », édicte un traité de 672 avant notre ère. Le Deutéronome contient la même idée : « Tu aimeras Yahvé, ton Dieu, de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta force » (6, 5). Les auteurs du Deutéronome ont très certainement voulu présenter Yahvé à l'image d'un souverain assyrien imposant à ses subordonnés un traité, une « alliance », dans le but apparent de contester la suprématie assyrienne, déjà affaiblie à l'époque du roi Josias. La première histoire de Moïse est également rédigée aux alentours du VIIe siècle avant notre ère. Elle débute par la description de sa naissance, celle d'un enfant exposé et miraculeusement sauvé, récit largement répandu dans le folklore. Dans sa version primitive, ce récit ressemble surtout à la légende de la naissance de Sargon, roi légendaire, mise par écrit au plus tôt au VIIIe siècle avant notre ère.
  • 18. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 18 Cette histoire de Moïse ne peut pas être antérieure à cette époque : les scribes judéens, ont, de toute évidence, construit la figure de Moïse à l'image du fondateur mythique de la dynastie assyrienne, pour revendiquer la supériorité du dieu qu'il sert. En effet, dans la suite de l'histoire, Yahvé et Moïse réussissent à vaincre l'Égypte, ce que les Assyriens n'ont jamais pu faire, en dépit de tentatives répétées. La destruction de Jérusalem et de son temple par les Babyloniens en 587 avant notre ère provoque, dans l'ancien royaume de Juda, une immense crise idéologique. Les piliers identitaires de ce peuple du Proche-Orient ancien - le roi, le temple et le pays - se sont écroulés. Une première réaction à la crise est la construction de ce qu'on peut appeler « l'histoire deutéronomiste ». Il s'agit de l'élaboration, par les anciens fonctionnaires de la cour, d'une grande histoire d'Israël et de Juda depuis Moïse jusqu'à la destruction de Jérusalem. Celle-ci cherche à démontrer que la destruction de Jérusalem et la déportation d'une partie de la population ne sont pas dues à la faiblesse de Yahvé face aux divinités babyloniennes. Au contraire, Yahvé se sert des Babyloniens pour sanctionner son peuple et ses rois de ne pas avoir respecté les stipulations de son « alliance », consignées dans le Deutéronome. La population restée en Judée revendique la possession du pays, contre l'élite déportée, en s'identifiant aux descendants du patriarche Abraham (Ézéchiel, 33, 24). Contrairement aux textes deutéronomistes qui prônent une stricte séparation d'Israël face aux autres peuples, l'histoire d'Abraham, composée durant le VIe siècle avant notre ère, insiste sur une cohabitation pacifique de tous les peuples du Levant, lesquels entretiennent, selon le récit de la Genèse, de nombreux liens de parenté par le truchement d'Abraham, père non seulement d'Isaac mais aussi d'Ismaël, ancêtre des tribus arabes. Pendant longtemps, les deux mythes originaires d'Israël, les Patriarches et l'Exode, ne sont pas joints en une succession chronologique: ils restent concurrents. Mais au début de l'époque perse, les rédacteurs issus du milieu des prêtres tentent d'harmoniser la tradition patriarcale qui circule chez les Judéens non-exilés, et celle de Moïse et de l'Exode. Moïse est la figure centrale du Pentateuque, probablement achevé vers 350 avant notre ère : il reprend les fonctions du roi, puisqu'il promulgue la loi et est le médiateur par excellence. Le Pentateuque se termine par sa mort : il voit le pays promis mais n'y entre pas. Cette « fin ouverte » tient compte de la situation d'un judaïsme de diaspora, et signifie aux Juifs qui vivent en dehors de la Palestine que le fondement de leur identité n'est pas le pays mais la loi divine transmise par Moïse. Ainsi, le Pentateuque, qui est en majorité un écrit des anciens exilés mais qui intègre aussi d'autres préoccupations, notamment celles des Juifs de la diaspora, devient, pour reprendre une heureuse formule du poète Heinrich Heine, une « patrie portative ». Là où il y a la Torah, se trouve aussi Israël. Pendant environ deux siècles, seul le Pentateuque est considéré comme la Bible du judaïsme. Les Samaritains, les habitants de l'ancien royaume d'Israël, adoptent en effet le Pentateuque, mais pas les deux parties qui s'y ajoutent successivement. Pour s'opposer à des mouvements apocalyptiques qui se légitiment par des visions prophétiques, les
  • 19. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 19 responsables du Temple décident de canoniser les «vrais» livres prophétiques et inventent une théorie considérant que la période perse marque la fin de la prophétie inspirée. À l'époque de la rédaction des Évangiles, la Bible hébraïque ne comporte que deux parties, la Loi et les Prophètes. C'est ainsi que Jésus cite les écrits. La canonisation des Écrits (Psaumes, livres de Job, Ecclésiaste etc) n'intervient que quelques siècles après la destruction de Jérusalem en 70, en partie en réaction à l'influence grandissante du christianisme. Mais aujourd'hui encore, le Pentateuque reste le centre de la Bible hébraïque. [Thomas Römer - Publié le 1 nov. 2008 - Le Monde des Religions n°32] CONTROVERSES RABBINIQUES Qui a écrit la Bible ? La Bible est un ouvrage multiple. Sa première partie, le Pentateuque ou Torah, est la plus essentielle dans la tradition juive. Elle est d'origine entièrement divine. D'après son propre texte, la Torah a été écrite par Moïse sous la dictée de Dieu, sauf les derniers versets, qui décrivent la mort de Moïse, et peuvent avoir été écrits par Josué. La Bible est aussi composée de deux autres parties moins anciennes et moins essentielles, les Prophètes et les Hagiographes. Les travaux de l'archéologue Israël Finkelstein, entre autres, mettent en doute le fait que le Pentateuque ait été écrit à une époque si ancienne, et avancent plutôt le règne de Josias, au VIIe siècle avant notre ère. Ces affirmations ne nous font pas sursauter. Personnellement, je n'y prête pas grand intérêt. Chacun est libre d'imaginer ce qu'il veut. Mais le peuple juif croit depuis des générations à ce qui est écrit dans la Torah et il s'y tient. Au fond, l'enjeu est le suivant. Dire que la Torah a été écrite sous Josias, qu'elle transmet de simples mythes, c'est dire que le texte ment. Cependant, aucun archéologue ne pourra jamais prouver formellement que le texte de la Torah est faux. Dans le texte, tout se tient, il existe des calculs de dates qui le confirment. La Bible est un texte très ancien, qui donne aussi des informations fiables sur le plan historique. Des textes antiques en Mésopotamie relatent l'existence d'un « déluge ». Y a-t-il eu influence des uns par les autres ? Le déluge a été cosmique, universel. Les descendants de Noé, qui ont repeuplé la terre, ont tous pu transmettre la mémoire de cet événement à différentes civilisations. Pourquoi est-il si important de dire que le texte est d'origine divine ? C'est un article de foi principal. Si le texte est d'origine divine, alors la Loi est divine. Le fidèle, qui craint Dieu, doit s'y conformer strictement, au risque de le bafouer. Alors que si la Loi est humaine, elle peut être contredite. L'absolu du texte interdit de modifier et d'adapter les commandements. Les discours selon lesquels le texte est faux permettent de
  • 20. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 20 s'en affranchir avec une bonne conscience. J'ajoute que le libre-arbitre est malgré tout présent dans la Bible. On peut demander : où est la liberté, dans une telle contrainte ? En fait, c'est par l'octroi de commandements qu'advient la véritable liberté. D'abord parce que chacun est libre de croire ou non, de respecter la Loi ou non. La divinité n'est pas perçue par la conscience immédiate. Il n'y a pas de preuve matérielle de son existence, seulement la transmission de cette croyance de génération en génération. On peut l'accepter ou non. Il y a encore autre chose. L'homme naît esclave de ses passions. La Torah fournit un code de vie, qui lui permet de s'épanouir dans son corps et son esprit en s'en affranchissant. C'est cela, la liberté. C'est ce qui donne à la fois la sainteté et le bonheur. [Grand rabbin Michel Gugenheim est directeur de l'école rabbinique de France depuis 1992, et juge rabbinique auprès du Consistoire israélite de Paris - Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] La Bible est un classique, et comme disait Hemingway, « un classique est un livre dont tout le monde parle mais que personne n'a lu ». Sur la question de savoir qui l'a écrite, l'imagerie populaire repose bien souvent sur des rumeurs comme celle de la pomme croquée par Adam et Ève et dont il n'y a pas la moindre trace dans la Bible. Il est donc nécessaire d'interroger et de réinterroger les on-dit et les préjugés, comme celui de croire que, de la première à la dernière lettre, la Bible a été donnée par Dieu à Moïse au XIVe siècle avant notre ère. La tradition talmudique s'est penchée sur cette question avec la volonté de sortir de cette croyance populaire. Comment donc puis-je, à mon tour, en tant que rabbin qui lit ce texte fondateur de la tradition biblique, concilier une approche critique qui en inclut la dimension mythologique et la dimension traditionnelle ? Il semble, tout d'abord, évident que le Déluge n'a jamais existé tel qu'il est raconté dans la Bible. La Genèse, comme les premiers textes de la Tour de Babel, et ce jusqu'à Abraham, appartiennent, à mon sens, à la mythologie mésopotamienne. Mais il faut bien comprendre que, quelque soit l'origine de l'événement (qu'il ait existé ou pas, qu'il soit babylonien ou indien), à partir du moment où l'événement, le Déluge par exemple, est raconté en hébreu, il se fait littérature. En ce sens, le peuple juif est plus un peuple de lecteurs que de croyants. Dès lors, la dimension mythologique du Déluge ne m'importe guère. Il devient un paradigme de cataclysme, de catastrophe. Il permet de se confronter aux questions : que faire aujourd'hui quand on est confronté à une catastrophe philosophique, psychologique ou sociologique ? Avec nos enfants, notre couple, dans notre travail ? Ou devant un événement traumatique ? C'est cela la Bible. Un ensemble de textes fondamentalement méta-historique, où tout l'intérêt consiste à aller à l'origine de chaque mot pour savoir comment ce mot fait sens, dans, et au-delà, du récit que je le lis. Dans la Bible, le monde se mesure en pages et en lettres. Ainsi, savoir que Moïse n'a pas écrit la Torah ne me gêne pas. Et l'existence ou la non- existence des patriarches Abraham, Isaac et Jacob me laisse indifférent. Car pour le
  • 21. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 21 mystique, même l'existence de Dieu n'a aucune pertinence. Même Dieu est un « peut-être », une hypothèse. Il a inventé le doute, enseigne un maître hassidique, pour que nous puissions douter de lui. En dialogue et contre une parole théologique, imposée par le Dieu biblique, il y a une parole des hommes, une liberté d'interpréter, pour Dieu et contre Dieu : la parole du Talmud. La loi n'est pas un dogme mais une norme. On peut évoluer, pour aller, comme dit Levinas, du « sacré » (qui est figé) au « Saint ». Le saint, c'est la possibilité d'une transcendance, et la Bible est sainte parce que son « pouvoir dire » est supérieur à son « vouloir dire ». Avoir Dieu en soi, c'est sentir que l'on est porté vers quelque chose d'autre. En hébreu, le verbe être n'existe pas au présent. Être, c'est risquer, se risquer à avancer dans la vie. Si le christianisme est l'infini du divin, qui s'offre à la finitude des hommes à travers le corps du Christ, le judaïsme est le Dieu infini qui s'est offert aux hommes dans la finitude des lettres d'un livre. Responsabilité alors pour l'homme d'interpréter, de casser les lettres, de « lire aux éclats » pour libérer Dieu et lui redonner son statut d'infini. Dieu sera ou ne sera pas infini en fonction de l'infinité de l'interprétation des hommes. [Marc-Alain Ouaknin, Rabbin et philosophe, professeur associé à l'université de Tel-Aviv - Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] Aux sources de la Bible La Mésopotamie DÉLUGE, ALLIANCES ET PROPHÈTES Pour l'historien qui lit les livres de la Bible, pas de doute possible : les auteurs de ces écrits ont bien souvent utilisé des thèmes ou des structures littéraires déjà présents dans des textes mésopotamiens. Plus généralement, même si elle est tenue pour « inspirée », la Bible ne peut pas être étudiée en faisant abstraction de son enracinement culturel dans le Proche-Orient ancien, sauf à en faire une lecture littérale qui montre bien vite ses limites. Les emprunts des auteurs bibliques au domaine mésopotamien sont manifestes. Néanmoins, cette dépendance indéniable ne signifie nullement imitation : la comparaison fait également ressortir l'originalité des livres bibliques. Le cas le mieux connu est bien sûr celui du Déluge. Dans L'Épopée de Gilgamesh, le roi d'Uruk, obsédé par la mort de son ami Enkidou, part à la recherche du secret de l'immortalité. Il réussit à retrouver Outa-napishtim, le rescapé du Déluge. Celui-ci lui révèle que, prévenu de l'imminence de la catastrophe par le dieu Ea, il a pu construire le bateau qui lui a permis de survivre. Lors de la décrue, les dieux ont pris conscience que l'éradication des hommes n'est pas une bonne chose. Comme ils sont heureux de voir qu'il existe des survivants, ils accordent à Outa-napishtim et à sa femme l'immortalité. Lorsque George Smith découvre en 1872 ce récit mésopotamien, le sens de l'emprunt n'est alors pas évident : les tablettes cunéiformes qu'il a déchiffrées appartenaient à la
  • 22. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 22 bibliothèque du roi Assurbanipal à Ninive (VIIe siècle avant notre ère). Depuis, des versions plus anciennes ont été retrouvées sur des tablettes babyloniennes du XVIIe siècle avant notre ère. Il s'agit en particulier de l'histoire d'Atra-hasis, « le Très Sage », un des noms du Noé babylonien. L'idée d'une catastrophe primordiale sous forme d'une inondation dramatique se retrouve certes dans bien des civilisations. Cependant, une comparaison détaillée entre le texte de la Genèse et celui des récits mésopotamiens montre qu'il ne s'agit pas d'une rencontre accidentelle, mais bien d'un emprunt littéraire. La façon dont, par exemple, un oiseau est lâché par trois fois pour savoir si la décrue a laissé émerger des terres ne peut laisser de doute à cet égard, de même que le motif du sacrifice final. Le message biblique est néanmoins différent. En Mésopotamie, le panthéon est dépassé par sa création. Les hommes, inventés pour travailler à la place des dieux et leur fournir leur alimentation, deviennent trop nombreux et trop bruyants. Après plusieurs essais (maladie, sécheresse, famine), le déluge est le moyen choisi par les dieux pour éliminer l'humanité et leur permettre de retrouver le calme. Outa-napishtim doit son salut au dieu Ea, qui n'est pas d'accord avec les autres divinités pour supprimer l'humanité. Dans la Genèse, c'est la dégénérescence de l'humanité qui provoque le Déluge : Dieu intervient « car la terre est remplie de violence » (Gen 6, 13). La raison est explicitement de nature morale. À la lumière des textes mésopotamiens, le « Décalogue » (ou encore les « Tables de la Loi ») peut être compris, non comme un catalogue de prescriptions morales, mais comme un véritable traité d'alliance que Dieu propose à son peuple de conclure au Sinaï. Le modèle en est les traités mésopotamiens, remontant pour certains au XVIIIe siècle avant notre ère (Mari, Tell Leilan), d'autres aux XIVe et XIIIe siècles avant notre ère (entre les Hittites d'Anatolie et leurs vassaux de Syrie), d'autres de l'époque néo-assyrienne (VIIe siècle avant notre ère). La comparaison entre les textes bibliques (Exode 19-24 et Deutéronome 1-29) et ces traités permet de comprendre leur structure tripartite, qui débute par un prologue historique et s'achève par des malédictions : les « commandements » sont en fait les clauses de l'alliance, qui forment le cœur du texte. De fait, la conclusion d'un traité d'alliance était chose courante dans le Proche-Orient du IIIe au 1er millénaire. La nouveauté biblique est d'avoir transposé entre Dieu et son peuple ce type de relations jusqu'alors réservées aux rois. Pendant longtemps, les prophètes bibliques sont tenus pour uniques : l'idée qu'une comparaison soit possible avec de vagues devins du monde polythéiste de la Mésopotamie heurte bien des esprits. Il faut d'abord donner quelques définitions pour écarter certaines ambiguïtés. Un prophète n'est pas avant tout quelqu'un qui prédit l'avenir : c'est le « porte-parole » d'une divinité. Il s'agit d'une personne qui a une expérience cognitive : de nature visuelle (« vision »), auditive (« voix ») ou mixte (« apparition »), en état d'éveil ou lors d'un rêve. Le prophète, dépositaire de cette révélation, doit la transmettre au destinataire du message divin : une personne (notamment le roi) ou un groupe. Cette transmission peut se faire sous forme verbale (« prophétie » ou « discours
  • 23. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 23 prophétique »), qu'elle soit directe (par oral) ou indirecte (mise par écrit). Elle peut aussi donner lieu à une communication non-verbale (« actes symboliques »). Seules deux périodes très courtes fournissent l'essentiel des attestations de prophètes en Mésopotamie - même s'il existe par ailleurs des attestations plus fugaces de prophètes dans la seconde moitié du IIe millénaire avant notre ère. La première période est celle du règne de Zimri-Lim (XVIIIe siècle avant notre ère). Les prophètes vont parfois directement trouver le roi de Mari de la part d'un dieu. En l'absence du monarque, ils s'adressent à un responsable qui retranscrit leurs propos dans une lettre au souverain. On possède ainsi le texte d'une quarantaine de « prophéties » : on voit qu'elles ont été mises par écrit immédiatement, mais dans un souci de communication, et non de conservation pour l'avenir. Dans un cas, on voit même un prophète demander l'aide d'un scribe, à qui il veut dicter un message pour le roi. Cette lettre a été retrouvée : elle est adressée à Zimri-Lim par le dieu Shamash, auquel était rattaché ce prophète. En dehors des prophètes « professionnels », de simples particuliers, hommes ou femmes, peuvent recevoir des messages divins sous forme de rêves. Ceux-ci sont signalés au roi lorsqu'ils le concernent. Le deuxième ensemble date des rois assyriens Asarhaddon (680-669 avant notre ère) et Assurbanipal (668-627 avant notre ère). Cette fois, les prophéties ont donné lieu à de véritables recueils, l'un d'entre eux contenant des encouragements au roi Asarhaddon, un autre des prophéties relatives à Babylone. Dans les lettres ou les annales royales, on trouve une quinzaine de références à des prophètes ou prophétesses. À deux exceptions près, ils proclament le soutien divin aux souverains nouvellement couronnés. En temps de crise, intérieure ou extérieure, ils assurent le roi de l'appui des dieux, notamment de la déesse Ishtar. Ainsi, la spécificité de la Bible réside davantage dans le processus qui a conduit à la constitution des livres prophétiques après la destruction de Jérusalem en 587, que dans le prophétisme en tant que phénomène religieux. Les prescriptions bibliques concernent d'abord l'« année sabbatique » (Lévitique 25 et Deutéronome 15) : tous les sept ans, les esclaves mâles hébreux doivent être libérés et l'on doit remettre leurs dettes aux débiteurs insolvables (shemittah). Ces mesures sont complétées lors du « Jubilé », qui a lieu tous les cinquante ans (soit après 7 cycles de sept ans) et qui est annoncé au son de la trompe (yobel). Cette année est marquée par l'affranchissement (deror) : ceux qui, contraints par la nécessité, ont aliéné leurs terres les récupèrent et les esclaves sont libérés. Certains détails de ces prescriptions font douter qu'elles n'aient jamais été appliquées. Cependant, la comparaison avec les pratiques mésopotamiennes montre qu'elles s'enracinent dans des coutumes fort anciennes. Dès le début du IIe millénaire avant notre ère, l'avènement d'un roi est accompagné d'un édit de « rétablissement de l'équité » (misharum) : les arriérés à l'égard du palais sont remis, de même que les dettes à caractère non-commercial entre particuliers. Le « retour au statut d'origine » (andurarum, soit le même mot que l'hébreu deror) s'applique aux biens et aux personnes : les terres aliénées reviennent à leur propriétaire d'origine et les
  • 24. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 24 gens libres asservis pour dettes sont libérés. Ces mesures peuvent être répétées au cours du règne si la situation économique l'exige. On a retrouvé des textes d'édits de ce type pour plusieurs successeurs de Hammourabi de Babylone (XVIIIe-XVIIe siècles avant notre ère), ces pratiques se sont par ailleurs poursuivies jusque dans l'empire néo-assyrien (VIIe siècle avant notre ère) : une influence mésopotamienne directe est donc indiscutable. Cependant, il s'agit en Mésopotamie de mesures liées à la pratique de la justice par le roi, explicitement chargé par les dieux de veiller à ce que « le fort n'accable pas le faible ». Dans la Bible, l'idéal égalitaire qui sous-tend ces prescriptions renvoie à la situation censée avoir existé au moment de l'Exode. [Dominique CHARPIN, Professeur à la Sorbonne (École pratique des hautes études). Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] L’Egypte SAGESSE ET IMMORTALITÉ DE L'ÂME Sans l'Égypte, il n'y aurait pas de Bible. » La formule est du bibliste Thomas Römer, dans sa préface à un livre récent (1), et illustre l'omniprésence du pays des pharaons dans la Bible hébraïque, l'Ancien Testament des chrétiens. Car l'Égypte tient un rôle ambivalent mais essentiel dans l'histoire biblique des Hébreux. Elle est « la grande puissance politique qui, au long des siècles, a exercé répulsion ou attraction en fonction des circonstances historiques », rappelle, dans le même ouvrage, Jacques Briend, exégète de l'Ancien Testament. Son aura est celle d'un pays riche, terre d'accueil en cas de famine, comme en témoignent plusieurs récits bibliques. À commencer par la Genèse, l'histoire d'Abraham, ou celle de Joseph intercédant auprès de Pharaon afin d'obtenir des vivres pour ses frères descendus en Égypte. En revanche, en tant que puissance dominatrice, elle peut aussi se transformer en terre de servitude pour des peuplades enrôlées comme mercenaires dans les armées de Pharaon, ou réquisitionnées pour ses grands travaux. C'est dans ce contexte que prend place le mythe fondateur d'Israël : la sortie d'Égypte, où les Hébreux avaient été réduits en esclavage, sous la conduite de Moïse. Cette libération, racontée dans le livre de l'Exode, marque un tournant majeur dans l'histoire des Hébreux désormais serviteurs d'un dieu unique. L'alliance qui se noue alors s'inscrit dans un code juridique fondamental, transmis par Moïse et résumé dans les « Dix Commandements », selon leur appellation chrétienne. Ainsi, pas de judaïsme ni de christianisme sans ce personnage central de la Bible hébraïque : Moïse l'Égyptien, comme le surnomment Freud et les auteurs qui ont, depuis, tenté d'étoffer cette hypothèse. Égyptien, Moïse l'est par son lieu de naissance et l'origine de son nom : Moshé signifie « engendré » et a la même racine que d'autres noms égyptiens, comme Ramsès (engendré par Ra). C'est un peu mince, toutefois, pour en faire un Égyptien... Fut-il l'un de ces Sémites présents en Égypte, dont certains ont parfois atteint les hautes sphères du
  • 25. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 25 pouvoir ? Les documents égyptiens et l'archéologie n'en laissent pas la moindre trace. Le personnage échappe donc aux historiens. On ne sait de lui que ce que nous en dit la Bible, dont les textes les plus anciens ne mentionnent même pas son nom à propos de la sortie d'Égypte. Le récit biblique de Moïse et de l'Exode a reçu sa forme finale au Ve siècle avant notre ère, selon Thomas Römer : « Dans l'Exode biblique, se combine sans doute une série d'événements opposant les populations sémites aux rois d'Égypte. La figure de Moïse s'est également construite à partir des nombreux hauts fonctionnaires sémites ayant fait carrière à la cour des pharaons. » Aussi, lui paraît-il « plus logique de voir en Moïse un personnage qui condense, comme d'ailleurs l'Exode, différentes traces de mémoire ». Une mémoire qui s'est construite au cours du 1er millénaire avant notre ère. Soit plusieurs siècles après le règne de Ramsès II dont on fait parfois, à tort, l'adversaire de Moïse. Ce grand pharaon est paisiblement mort dans son lit et non pas submergé par les flots déchaînés de la mer des Joncs. Indissociable du nom de Moïse, le monothéisme hébraïque pourrait aussi avoir une origine égyptienne, en la personne du pharaon Akhenaton (XIVe siècle avant notre ère) qui tenta d'imposer le seul culte d'Aton, le dieu solaire, créateur de toute chose, auquel il consacra la ville temple d'Amarna. Pour l'égyptologue Jan Assmann, on doit bien à Akhenaton d'avoir « introduit, dans la pensée religieuse, une innovation que la tradition attribue à Moïse : la distinction entre le vrai et le faux ». C'est-à-dire l'idée qu'il y a des faux dieux et un seul vrai dieu. Mais, estime-t-il, « il n'y a pas une relation de cause à effet entre la révolution monothéiste d'Akhenaton et la naissance du monothéisme biblique six ou huit cents ans plus tard ». Sur des points essentiels, ces deux monothéismes se distinguent radicalement. Le dieu solaire d'Akhenaton n'édicte pas de loi, contrairement au dieu de la Bible hébraïque d'où émerge un « monothéisme politique », souligne Jan Assmann, à l'opposé du monothéisme cosmique d'Akhenaton. Car s'y ajoute cette autre innovation centrale : la notion, étrangère à l'Égypte, d'un « peuple de Dieu » se définissant par sa relation au dieu unique. Enfin, le monothéisme biblique condamne toute représentation divine, alors qu'en Égypte, les dieux n'existent que s'ils sont représentés. Un autre versant de la culture égyptienne a laissé des traces dans la Bible hébraïque : les textes de sagesse. Ainsi, les chapitres 22 et 23 du livre biblique des Proverbes ont une grande proximité littéraire avec l'Enseignement d'Aménémopé, un texte datant du Xe siècle avant notre ère. D'un point de vue thématique, note Jean Lévêque, professeur honoraire de l'Institut catholique de Paris, les proverbes attribués au roi Salomon ont « beaucoup d'éléments communs » avec la sagesse égyptienne : l'insistance sur la justice envers les déshérités, sur la nécessité d'une vie laborieuse, sur la modération et la bienveillance dans les rapports sociaux. « Des deux côtés, relève-t-il, on souligne l'importance de l'éducation et les devoirs des fils envers les parents », et on valorise « la maîtrise de l'agressivité, de l'attention et de la parole ». Mais il y a une grande différence entre la Maât, la sagesse égyptienne, qui est une divinité parmi d'autres, et la sagesse biblique, dont la source est le dieu unique.
  • 26. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 26 C'est encore en Égypte qu'est apparue, pour la première fois, l'idée de l'immortalité de l'âme. Une idée différente de la vague notion du « monde des morts » (le Schéol des Hébreux, l'Hadès des Grecs) car, explique Jan Assmann, « l'immortalité signifie au contraire être délivré de la mort par une nouvelle vie dans l'au-delà ». Définitivement adoptée par le judaïsme au 1er siècle de notre ère, cette idée a connu un bel avenir avec le christianisme centré sur la foi en la résurrection de Jésus. Un christianisme dont la dette égyptienne n'est pas close car il faut y ajouter la « Septante », la traduction de la Bible hébraïque en grec entreprise, à partir du IIIe siècle avant notre ère, au sein de la communauté juive d'Alexandrie où se perdait l'usage de l'hébreu dans une Égypte désormais hellénisée. Cette Bible en grec a permis aux premiers chrétiens de s'approprier cet héritage littéraire et spirituel. Et c'est toujours en Égypte qu'est née la tradition du monachisme chrétien dont les moines ont été, durant des siècles, les inlassables copistes de la Bible. (1) Ce que la Bible doit à l'Égypte, ouvrage collectif, coédition Bayard-Le Monde de la Bible, 2008. Les pays du Levant LITTERATURE ARAMEENNE ET PROVERBES Dans leur majorité, les livres de la Bible hébraïque sont nés dans les royaumes de Juda et d'Israël, puis dans les provinces néo-babyloniennes, perses et hellénistiques de Judée et de Samarie. Rédigés dans le sud du Levant, ils ont été naturellement influencés par l'histoire et la culture des pays qui les entouraient, d'autant plus qu'au Levant, ces pays voisins parlaient une langue ouest-sémitique et utilisaient une écriture alphabétique très proches de celles qu'ils pratiquaient. À la fin du IIe millénaire avant notre ère, Israël a hérité de la langue, de la culture et de l'écriture alphabétique pratiquées en Canaan. Les lettres d'El-Amarna, rédigées en écriture cunéiforme akkadienne et envoyées au pharaon par des roitelets locaux du XIVe siècle avant notre ère, révèlent des tournures que l'on retrouve dans la Bible. Ainsi la formule de politesse : « Qui suis-je, un chien, pour... » (lettres des princes de Megiddo et de Gézer) est semblable à 2 Samuel 9, 8 ou à 2 Rois 8, 13. De même, la phrase d'Abdi- Héba de Jérusalem s'adressant au pharaon : « Puisque le roi a placé son nom dans Jérusalem pour toujours... », évoque directement l'expression en faveur de Jérusalem « le lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire demeurer son nom » (Deutéronome 12, 11 ; 14, 23 ; 16, 2). Les tablettes d'Ougarit (XIIIe siècle avant notre ère), rédigées dans une langue proche du phénicien et de l'hébreu ancien, ont des échos dans les textes les plus anciens de la Bible évoquant le grand dieu El, ou le jeune dieu Baal, ou encore Yahvé siégeant dans l'assemblée divine (Psaumes 29, 1 ; 82, 1 ; 89, 6-13 ; Job 1, 6 ; 2 ,1). Au 1er millénaire avant notre ère, la culture phénicienne est très proche de celle d'Israël et la coopération économique et politique avec le royaume de Tyr bien attestée. La Bible indique que sous le roi Akhab, son épouse Jézabel, fille du roi de Tyr, favorise la diffusion
  • 27. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 27 du culte de Baal qui a même son temple à Jérusalem (2 Rois 11, 18). Certains textes de la Bible, comme les oracles du prophète Ézéchiel contre Tyr (ch. 26-28) font allusion à la littérature phénicienne, tandis que les inscriptions phéniciennes révèlent des expressions bien connues en hébreu biblique. Cependant, l'influence de la littérature phénicienne reste difficile à préciser car nous n'en connaissons que peu de chose et seulement de manière tardive et indirecte (par Flavius Josèphe à la fin du Ier siècle, puis Eusèbe de Césarée au IVe siècle). Le même problème se rencontre avec la littérature ammonite et moabite de Transjordanie. La longue inscription de la stèle de Mésha, roi de Moab au IXe siècle avant notre ère (conservée au Louvre), donne un point de vue extérieur sur le royaume d'Israël, mentionné dans la stèle avec le nom du roi Omri et de sa divinité nationale, Yahvé. Elle fournit un exemple de l'historiographie mise au service de la propagande royale dans une écriture et une langue presque identiques à l'hébreu contemporain. Cette stèle mentionne des sanctuaires mais aussi la pratique moabite du herem, extermination des populations ennemies vouées à la divinité nationale, évoquée aussi dans la Bible. En fait, le pays voisin le plus influent est sans doute le royaume araméen de Damas. À Tel Dan, aux sources du Jourdain, une stèle araméenne du IXe siècle avant notre ère indique que le roi Hazaël défit les rois d'Israël et de Juda. Leurs royaumes doivent se reconnaître « vassaux » de Damas. À l'époque achéménide (539-331), l'écriture et la culture araméenne se diffusent au Moyen-Orient et l'araméen devient la principale langue parlée en Judée au tournant de notre ère. Certains chapitres de la Bible hébraïque sont même écrits en araméen : Daniel 2, 4b à 7, 28 et Esdras 4, 8 à 6, 18 et 7, 12-26. On sait que cette forte influence, attestée à partir de l'Exil, s'exerce déjà à l'époque royale israélite. Des inscriptions à l'encre rouge et noire ont été retrouvées à Deir Alla (Jordanie), sur un mur en brique datant du VIIIe siècle avant notre ère, apparemment copiées d'un manuscrit littéraire rédigé à une époque plus ancienne. L'une de ces inscriptions, le « livre de Balaam fils de Beor, l'homme qui voyait les dieux », concerne le voyant/prophète, que l'on peut identifier avec le héros des chapitres 22 à 24 du livre biblique des Nombres - qui porte d'ailleurs le même nom. C'est parce que ce personnage était célèbre dans la tradition littéraire araméenne archaïque qu'un scribe israélite a cru utile de l'annexer, en quelque sorte, de telle façon qu'il prononce des oracles favorables à Israël. En nous révélant un fragment de la littérature araméenne archaïque, les inscriptions de Deir Alla nous ont révélé, du même coup, l'influence que cette littérature araméenne a exercé sur la littérature hébraïque antique de la Bible. L'influence d'un autre livre de la littérature araméenne pourrait avoir été plus indirecte et indiquer une communauté de culture levantine. Il s'agit du livre des Proverbes attribué à Ahiqar, dont le manuscrit le plus ancien provient de la communauté judéo-araméenne d'Éléphantine en face d'Assouan, en Haute-Égypte (Ve siècle avant notre ère). Ces proverbes auraient été rassemblés pour servir à l'éducation des futurs notables dans un royaume araméen de Syrie du Nord. Ils éclairent indirectement l'histoire de la rédaction et de la fonction du livre biblique des Proverbes, même si seuls trois proverbes araméens sont proches de passages bibliques : Proverbes 23, 13-14 et Jérémie 9, 22b.
  • 28. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 28 Un autre roman araméen, célèbre dans le Proche-Orient ancien et traduit dans de nombreuses langues, le roman d'Ahiqar (VIIe siècle avant notre ère), met en scène les déboires d'un ministre des rois assyriens Sennachérib et Assarhaddon. Calomnié et condamné à mort, puis revenu en grâce auprès du roi, il n'est pas sans évoquer des aspects de l'histoire de Joseph (Genèse 37-50). Ahiqar est par ailleurs mentionné dans le livre de Tobit (rédigé primitivement en araméen). Comme Ahiqar, Tobit a connu la faveur puis la disgrâce du roi d'Assyrie. L'influence araméenne sur la Bible ressort aussi de la comparaison avec des inscriptions monumentales du VIIIe siècle, révélant le rôle politique important des prophètes auprès du roi (stèle de Zakkur, roi de Hamat et Louash en Syrie du Nord) ou révélant des formules de serments de fidélité/vassalité par lesquelles un roi local s'engageait vis-à-vis d'un « grand roi ». Ce genre de serment, le adê, probablement d'origine araméenne, a été pratiqué par les rois d'Israël et, surtout, celui de Juda qui, de 734 à 622 avant notre ère, est vassal de l'Assyrie. Les malédictions du Deutéronome sont elles-mêmes très proches de celles des adê. Leur étude montre que Deutéronome 28, 20-44 dépend d'une version araméenne d'un texte d'adê connu sous le roi assyrien Assarhaddon, vers 672. [André LEMAIRE, Directeur d'études à l'École pratique des hautes études. Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] Le Zoroastrisme ANGES ET JUGEMENT DERNIER Né en Perse entre le VIIIe et le VIe siècle avant notre ère, le zoroastrisme est l'une des premières religions prophétiques et monothéistes. Elle compte aujourd'hui la majorité de ses adeptes en Inde. Le flou historique qui entoure encore ses origines rend difficile l'étude des influences qu'elle aurait pu avoir sur les rédacteurs de la Bible. Si la question de l'origine du monothéisme reste débattue par les spécialistes, il est fort possible que certains thèmes, comme les hiérarchies angéliques ou le Jugement dernier, aient pu pénétrer la pensée juive à partir du VIe siècle avant notre ère. Entretien, à Bombay, avec Firoze Dastur Kotwal, grand prêtre, chercheur et traducteur d'anciens textes zoroastriens. Pensez-vous que votre religion a eu une influence sur l'Ancien Testament ? Je pense en effet que les autres monothéismes se sont inspirés du zoroastrisme, révélé par Zoroastre, pour forger certaines de leurs croyances. L'Ancien Testament a été un vecteur de ces influences, mais nous n'avons que très peu de « preuves » tangibles de cette influence. C'est probablement en Perse que la rencontre s'est produite entre zoroastriens et Hébreux ? Lorsque le roi des Achéménides, Cyrus le Grand, a conquis Babylone au VIe siècle avant notre ère, il a sauvé les Juifs, leur a redonné leur dignité et leur a rendu leurs biens. Il a fait de la Judée une province de son empire, puis il les a aidés à construire leurs temples.
  • 29. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 29 Le « cylindre de Cyrus », sur lequel est inscrite une proclamation de Cyrus après la prise de Babylone, décrète la tolérance religieuse et l'abolition de l'esclavage. Suivant les préceptes du zoroastrisme, il ne s'est pas acharné sur les vaincus. Les Juifs lui ont donné le titre de « Massaia », Messie ou Sauveur, un terme qui revient fréquemment dans notre religion. Leurs relations avec les rois achéménides ont probablement eu un impact sur leur propre religion. D'autant que l'Avesta, texte sacré zoroastrien, était diffusé par des missionnaires zoroastriens dans les pays non-iraniens. Quelles principales notions du zoroastrisme retrouvez-vous dans la Bible ? Outre celle du Dieu unique, Ahura Mazda, il y a également ses serviteurs, les anges et archanges, appelés les Amesha Spenta (« Saints Immortels »). D'autre part, une notion inédite introduite par Zoroastre a été reprise par le judaïsme, puis par le christianisme et l'islam : celle de l'Apocalypse et du Jugement dernier. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] La Septante, de l'hébreu au grec Au milieu du IIIe siècle avant notre ère, la communauté juive d'Alexandrie traduit la Torah en grec. Ensuite rejetée par le judaïsme rabbinique, cette traduction devient une référence dans le monde chrétien. Au commencement, fut une traduction. Au milieu du IIIe siècle avant notre ère, dans l'Alexandrie d'Égypte, la communauté judaïque locale édite la Loi (Torah en hébreu) de Moïse en langue hellénique. C'est la première unité « biblique » réellement constituée. Le fait qu'elle soit traduite dit bien qu'elle est alors fixée et même instituée : nous ne sommes plus dans les hypothèses mais dans l'histoire, l'histoire littéraire de la société judaïque antique. Celle-ci s'assure ainsi d'un bon degré d'intégration dans la grandiose cité fondée par Alexandre en 331 avant notre ère. L'œuvre dite de Moïse, désormais sa « Loi » (nomos) voire sa « constitution » (nomothésia), s'adosse à celle d'Homère, accueillie peut- être comme celle-ci dans la célèbre bibliothèque voulue de Ptolémée II. Pour la première fois dans l'histoire, une unité « biblique » fait l'objet d'une publication véritable. Un bon siècle plus tard, on l'appelle « le Livre » (hê Biblos en grec) (1), jusqu'à l'apparition de son dérivé latin biblia, « bible », en pleine chrétienté médiévale. C'est cette « bible » grecque, ensuite assortie de bien d'autres livres, prophétiques, poétiques ou de sagesse, traduits de l'hébreu voire rédigés en grec, que les chrétiens lettrés reçoivent en héritage comme Graphaï, « Écritures ». Au IIe siècle, ils la dénomment « Septante » (Septuaginta en latin). Une légende très répandue présente la version d'Alexandrie comme miraculeuse : elle serait l'œuvre collective de « soixante-dix » savants venus de Jérusalem, chacun ayant traduit le texte d'une façon rigoureusement identique à celle de tous les autres. Homologuée d'entrée de jeu par les maîtres chrétiens, cette bible est suspectée puis rejetée par les Juifs au bénéfice de révisions parfois drastiques réalisées chez eux à frais nouveaux. En revanche, nombre de versions anciennes des livres saints, chrétiennes dans leur quasi-totalité (latines, coptes, éthiopienne, gothique, slavonne, arménienne, géorgienne, syriaques et arabes), ont été faites à partir d'elle, la plupart directement.
  • 30. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 30 La Septante n'est pas une traduction dans le sens moderne du terme. Certes, on y demeure plus proche de l'original hébraïque dans le traitement des livres de la Loi, eu égard sans doute à la contrainte légale du document. Ce qui n'empêche pas les aménagements de sens, nombreux et marquants. À commencer par la traduction de l'hébreu torah (« sagesse révélée ») par nomos (« loi »), d'où le sens juridique que n'avait pas le mot à l'origine. Le fait s'accentue amplement pour les livres prophétiques, traduits en un second temps, avec cette fois des arrangements quantitatifs parfois de taille. Il est plus net encore dans le livre de Job et surtout dans le livre des Proverbes. Le traducteur du premier actualise la pensée éthique, l'alignant sur les derniers fruits de son évolution ambiante (lire encadré ci-contre). Quant au second, on dirait qu'on l'eût plongé dans un bain soutenu de sagesse hellénique. Les transpositions sémantiques s'y repèrent en nombre : on spiritualise un propos que la formule hébraïque cantonne au registre physique. D'où la propension du traducteur à l'abstraction, à la lecture psychologique et à la piété, avec emprunts à la culture grecque d'éléments qu'il instille dans le texte. Fruit ultime de cette dynamique : la rédaction directe de livres en grec. Certains ont été accueillis tels quels dans l'Ancien Testament chrétien, la Sagesse de Salomon par exemple. Conjointement, une riche production littéraire voit le jour. À Alexandrie toujours, aux IIe et Ier siècles avant notre ère, l'élite lettrée de la communauté juive se met à écrire en grec, bien plus à la manière des Grecs. À partir de la Loi et d'autres traditions nationales recueillies dans les Prophètes et ailleurs, elle compose des œuvres de philosophie (Aristobulos) et d'histoire (Artapanos, avec son traité Sur les Juifs), de poésie (la Sibylle juive et ses nombreux Oracles) voire de théâtre (Ézéchiel le Tragique et son drame Exagôgê, «l'Exode»). Elle ne se prive pas d'adopter les procédés d'écriture et les formes littéraires des classiques grecs, jusqu'à la manière d'Eschyle ou d'Euripide et la métrique d'Homère. Cela veut dire que ces gens ont à leur disposition les grandes œuvres de l'Antiquité grecque, accédant à la fameuse bibliothèque de la cité. La traduction de la Loi n'est pas seulement un acte fondateur pour la Bible, la chose et même le nom. C'est une première dans l'histoire de la culture : la langue grecque, idiome universel, est censée être intraduisible. Il n'y a donc pas de vocabulaire de la traduction chez les Grecs. On le doit aux penseurs, philosophes et exégètes juifs d'Alexandrie. Ces derniers n'inventent pas de mots nouveaux mais déplacent le sens de termes usités. Ainsi, hermênéia, « signification » ou « interprétation » signifie aussi, désormais, « traduction » (en latin, ce sera interpretatio). La doctrine classique de l'« inspiration » des Écritures vient elle-même de là. Car on a dû garantir la dimension sacrée de la Loi devenue grecque, et démontrer pour ce faire son origine divine. On bâtit une théorie de l'inspiration des Écritures reprenant l'idée platonicienne de « possession divine ». On la doit entre autres à Philon d'Alexandrie. L'œuvre littéraire et doctrinale de ce dernier, éminent philosophe et commentateur de la Loi contemporaine de Jésus, est reprise et sauvée par les chrétiens, qui ne cessent de développer la doctrine de l'« inspiration ». 1.C'est attesté une seule fois dans la fameuse lettre d'Aristée, œuvre juive de fiction elle- même rédigée en grec vers 150 avant notre ère.
  • 31. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 31 [André PAUL, Bibliste et historien .Publié le 1 nov 2008 - Le Monde des Religions n°32] Quelle Bible a lu Jésus ? Au temps de Jésus et pour quelques décennies encore, il n'y a pas de recueils constitués de livres saints, ni de listes ou catalogues. Circulent seulement ces appellations génériques : « la Loi » (de Moïse) ou « livre de Moïse », « les livres des Prophètes » ou « les Prophètes ». On dit aussi : « la Loi et les Prophètes ». Ces formules se lisent dans les manuscrits de la mer Morte (IIe et Ier siècles avant notre ère) et dans les Évangiles. Il arrive que « les Prophètes » soient assortis de «David » ou des « Psaumes ». Grâce aux restes de la riche bibliothèque de Qumran (900 rouleaux attestés matériellement, sans compter nombre d'autres disparus), on peut avoir quelque idée des écrits ainsi désignés. La Loi comprend les cinq premiers livres de nos bibles, appelés plus tard Pentateuque. On copiait sur un même rouleau des extraits suivis et arrangés des cinq livres de Moïse. Le chiffre cinq n'est pas pour autant limitatif. D'autres écrits, considérés dès lors comme « saints », relèvent eux-mêmes de la Loi, probablement le livre des Jubilés (passé dans la Bible éthiopienne) et le fameux rouleau du Temple retrouvé à Qumran. La situation des Prophètes est plus complexe. Des figures bibliques comme Élie et Élisée, entre autres, sont présentées comme les signataires d'œuvres réelles et attestées. On les traite dès lors comme des prophètes dans le sens littéraire du terme, à l'instar d'Isaïe, de Jérémie, d'Ézéchiel et de Daniel. Quant à ces derniers, à l'exception d'Isaïe, plusieurs livres leur sont respectivement attribués, et l'on en possède les restes. Il n'y a alors d'œuvre ni « canonique » ni « apocryphe », ni vraie ni fausse. Vers la fin du Ier siècle, voire plus tard, tant les Juifs que les chrétiens organisent le corps des livres saints, la future Bible, sur la base d'un principe tout autre : à signature unique désormais œuvre unique. Le dossier des Psaumes n'est pas moins simple. Dans les grottes des environs de Qumran, on a recueilli plus de trente rouleaux avec de vrais psaumes, mélangés à d'autres pièces pas toutes poétiques. Dans chaque rouleau, on retrouve, en nombre très variable, des psaumes retenus dans nos bibles. Mais le psautier des 150 psaumes n'existe pas. Donc, un lot de livres au contour non arrêté, variable selon les lieux et les personnes, émerge de fait, et de fait seulement, dans la société judaïque préchrétienne. On reconnaît à ces textes une excellence et une autorité qui les place au-dessus des autres : on les dit « saints » ou on les appelle « Écritures ». De Bible, il n'y en a point, ni la chose ni le mot. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
  • 32. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 32 Chapitre 1 Une saga de quatre générations (Genèse 12 et suivants) Au commencement était une famille qui bénéficiait d’une relation privilégiée avec Dieu. Au fil du temps, cette famille devint féconde et se multiplia, donnant naissance au peuple d’Israël. Ainsi débute la grande saga de la Bible. Abraham est le premier patriarche. Dieu lui promet une terre et une nombreuse descendance. La promesse divine se transmet de génération en génération, par l’intermédiaire du fils d’Abraham, Isaac, puis du fils de celui- ci, Jacob, connu également sous le nom d’Israël. A leur tour, les douze fils de Jacob deviendront les patriarches des douze tribus, mais c’est à Juda que sera accordé l’honneur insigne de régner sur les autres. I. D’Abram à Abraham : la promesse et l’alliance (Gn 12 à 25) Abraham est l’archétype du patriarche et de l’homme de foi. Originaire d’Ur, en Mésopotamie méridionale, il vient s’installer avec sa famille à Harân, sur l’un des affluents du haut Euphrate. Là, Dieu lui apparaît et lui ordonne (Gn, 12,1-2) : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction. » Obéissant à l’injonction divine, Abram (c’est ainsi qu’il se nomme à l’époque) emmène avec lui son épouse, Saraï, son neveu, Lot, et se rend à Canaan. Il mène une vie pastorale, errant avec ses troupeaux dans les régions montagneuses du centre du pays ; il se déplace principalement entre Sichem, au nord, Béthel (près de Jérusalem) et Hébron, au sud ; ses pas le mènent parfois jusqu’au Néguev, à l’extrême sud du pays. Dans son errance, Abram bâtit des autels à la gloire de Dieu dans de nombreux endroits ; il prend conscience, petit à petit, de la vraie nature de sa destinée. Dieu lui promet, à lui et à sa postérité, toute la terre « du fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve, le fleuve Euphrate » (Gn 15,18). Pour confirmer qu’Abram est destiné à devenir le patriarche d’un grand peuple, Dieu change son nom en celui d’Abraham, « car je te fais père d’une multitude de nations » (Gn 17,5). Dieu change aussi le nom de Saraï, la femme d’ Abraham, en celui de Sara, pour bien marquer qu’elle a aussi changé de statut. La famille d’Abraham engendre la totalité des peuples de la région. Pendant leur transhumance à travers le pays de Canaan, une querelle oppose les bergers d’Abraham à ceux de Lot. Pour éviter que le conflit s’envenime, Abraham et Lot décident de départager leurs territoires respectifs. Abraham et son peuple demeurent sur place, sur les hautes terres occidentales, tandis que Lot et sa famille émigrent vers l’orient, en direction de la vallée du Jourdain, et s’établissent à Sodome, près de la mer Morte. Les populations de Sodome et de la ville voisine, Gomorrhe, se révèlent fourbes et dépravées. Dieu fait donc pleuvoir sur elles le souffre et le feu, détruisant ainsi ces cités impies. Lot dirige alors ses pas en direction des collines orientales ; il sera l’ancêtre des Moabites et des Ammonites de Transjordanie. Abraham aussi sera à l’origine d’un certain nombre d’anciennes peuplades. Comme son épouse, Sara, âgée de quatre-vingt-dix ans, ne peut enfanter, Abraham prend une concubine, la servante égyptienne de Sara, Hagar, qui lui donne un fils du nom d’Ismaël ; il sera l’ancêtre des Arabes, qui peupleront les étendues désertiques méridionales.
  • 33. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 33 C’est alors qu’intervient le moment crucial du récit biblique : Dieu promet à Abraham que Sara lui donnera un fils. Elle enfantera Isaac. L’un des épisodes les plus tragiques de la Bible raconte alors comment Dieu, pour éprouver la foi d’Abraham, lui ordonne de sacrifier son fils unique, Isaac, au sommet d’un mont dans la région de Moriah. Dieu, qui est intervenu à temps pour annuler le sacrifice, récompense la fidélité d’Abraham en renouvelant l’alliance qu’il a jadis passés avec lui. Non seulement la postérité d’Abraham deviendra une grande nation, mais les futures nations du monde seront bénies à travers elle. Isaac croît en force et en sagesse. Il erre aux alentours de la cité méridionale de Beersheba ; il épouse Rébecca, une jeune femme qu’il a envoyé chercher dans le nord, au pays natal de son père. Pendant ce temps, la famille s’enracine de plus en plus profondément dans la Terre promise. Abraham acquiert la grotte de Makpéla, à Hébron, dans la région montagneuse du midi, pour y enterrer Sara, son épouse bien-aimée. Il y sera inhumé à son tour. II. Isaac et ses fils (Gn 26 à 28,9) Les générations se succèdent. Dans leur campement du Néguev, l’épouse d’Isaac, Rébecca, met au monde des jumeaux. Ceux-ci se révèlent dotés de caractères et de tempéraments violemment antagonistes ; leurs descendants se livreront une guerre permanente pendant des siècles. L’aîné, Esaü, un rude chasseur, est le préféré d’Isaac, tandis que Jacob, le cadet, plus sensible et délicat, jouit des faveurs de sa mère. L’héritage de la promesse divine doit en principe revenir à l’aîné ; mais Rébecca revêt Jacob de peaux de mouton et l’introduit auprès de la couche sur laquelle gît Isaac, agonisant. Faible et aveugle, le patriarche prend Jacob pour Esaü et lui octroie la bénédiction sacrée, réservée au fils aîné. De retour au camp, Esaü découvre la supercherie, mais elle ne peut être réparée. Son vieux père ne peut que lui promettre qu’il sera le père des Edomites, qui peupleront le désert. « Loin des gras terroirs sera ta demeure », lui dit-il, en guise de consolation (Gn 27,39). Ainsi est fondé l’un des peuples de la région. Plus tard (Gn 28,9), Esaü prendra femme dans la famille de son oncle Ismaël ; c’est ainsi qu’il engendrera de nouvelles tribus du désert. Toutes ces tribus seront en conflit permanent avec les Israélites – nom que porteront les descendants de son frère Jacob, qui lui a dérobé son droit d’aînesse. Fuyant la colère de son frère, Jacob se dirige vers le nord, où se trouve la maison de son oncle Laban, à Harân, pour y prendre épouse. III. De Jacob à Israël : le renouvellement de la promesse (Gn 28,10 à 36) En chemin, Jacob fait halte pour la nuit. Un songe le visite : une échelle dressée sur la terre s’élève jusqu’au ciel, et des anges de Dieu y montent et en descendent. Dieu, qui se tient au sommet de l’échelle, fait alors à Jacob la promesse qu’il a faite jadis à Abraham (Gn 28,13-15). Jacob poursuit son périple en direction du nord vers Harân. Il demeure plusieurs années chez Laban dont il épouse les deux filles, Léa et Rachel. Ses deux épouses et leurs deux servantes lui donneront onze fils : Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Dan, Nephtali, Gad, Asher, Issachar, Zabulon et Joseph. Un beau jour, Dieu ordonne à Jacob de retourner à Canaan avec sa nombreuse famille. En chemin, alors qu’il traverse le fleuve au gué de Yabboq, en Transjordanie, un personnage mystérieux le contraint de lutter avec lui. A l’issue du combat, ce personnage mystérieux – ange ou Dieu ? – change le nom de Jacob en celui
  • 34. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 34 d’Israël (ce qui littéralement signifie « Celui qui lutte avec Dieu »), « car tu as été fort contre Dieu et contre les hommes, et tu l’as emporté » (Gn 32,28). Jacob retourne donc à Canaan, où il établit son camp près de Sichem ; il construit un autel à Béthel. Il poursuit son périple vers le sud. Rachel meurt près de Bethléem, en accouchant de Benjamin, le dernier des fils de Jacob. Peu après, Isaac, le père de Jacob, décède à son tour. Il est enterré lui aussi dans la grotte de Makpéla, à Hébron. IV. De Canaan à l’Egypte, le destin fabuleux de Joseph (Gn 37 à 50) Graduellement, la famille s’élargit aux dimensions d’un clan, en passe de devenir une nation. Pourtant, les enfants d’Israël en sont encore au stade d’une grande famille, dont les frères se querellent. En effet, Joseph, qui est le fils favori de Jacob, se fait détester par ses frères en raison de rêves étranges et prémonitoires dans lesquels il règne sur toute la famille. Ruben et Juda parviennent à grand-peine à convaincre leurs autres frères de ne pas assassiner Joseph. Au lieu de l’éliminer, ceux-ci le vendent à un groupe de marchands ismaélites dont la caravane de chameaux se dirige vers l’Egypte. Ses frères, feignant la douleur, expliquent à Jacob qu’une bête féroce a dévoré Joseph. Le patriarche porte longtemps le deuil de son fils bien-aimé. Mais la jalousie criminelle de ses frères ne remet nullement en question le destin fabuleux de Joseph. Arrivé en Egypte, il gravit rapidement, grâce à ses dons exceptionnels, les échelons du pouvoir et de la richesse. Un jour, Joseph interprète de façon magistrale le rêve du pharaon : il lui prédit que sept années d’abondance seront suivies d’autant d’années de disette. Le souverain l’élève alors à la position de grand vizir. Joseph en profite pour réorganiser l’économie du pays : il fait emmagasiner le blé pendant les années d’abondance en prévision des années de disette. Aussi, quand vient la famine, l’Egypte, dont les greniers sont pleins, est prête. Cependant, au pays voisin de Canaan, Jacob et ses fils n’ont plus rien pour se nourrir. Jacob envoie alors en Egypte dix de ses onze fils en quête de ravitaillement. Ceux-ci se rendent auprès du grand vizir, qui n’est autre que leur frère, parvenu à l’âge adulte. De prime abord, les fils de Jacob ne le reconnaissent pas : il avait disparu depuis des lustres. De son côté, Joseph ne dévoile pas son identité. Plus tard, dans une scène émouvante, il leur révélera qu’il n’est autre que ce frère tant haï. Les enfants d’Israël sont enfin réunis. Le vieux patriarche Jacob, avec sa famille nombreuse, vient vivre auprès du personnage influent qu’est devenu son fils, dans la terre de Goshèn. Sur son lit de mort, Jacob bénit ses fils et ses deux petits-fils, Manassé et Ephraïm, les fils de Joseph. Tous sont honorés, mais c’est à Juda que revient le droit d’aînesse de la souveraineté (Gn 49,8-10). Après la mort de Jacob, son corps est ramené à Canaan et se fils l’enterrent dans la grotte de Makpéla, près d’Hébron. A son tour, Joseph décède. Les enfants d’Israël demeurent en Egypte, où se déroulera la suite de leur histoire en tant que nation. [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 53 à 61 – filio127histoire] DECRYPTAGE : Abraham a-t-il existé ? "Un mystère rassembleur" Macha Fogel - publié le 20/12/2010 - Le Monde des Religions
  • 35. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 35 Selon l’archéologue Israël Finkelstein, la figure du patriarche décrite dans la Bible traduit les ambitions idéologiques et théologiques de ses auteurs, plus qu’elle ne fait la chronique scrupuleuse de la vie d’un personnage historique avéré. Le personnage d’Abraham pourrait-il avoir existé ? Constitue-t-il une figure crédible ? À moins de retrouver une inscription, les archéologues sont absolument incapables de dire si une personne individuelle a existé ou non. La figure d’Abraham sert avant tout les ambitions idéologiques des auteurs de la Bible ; il est toutefois raisonnable de penser qu’elle s’inspire de figures connues, au moins mythologiques. Quant à savoir s’il existe une figure historique derrière le récit biblique, cela restera probablement à jamais un mystère. Les travaux de plusieurs exégètes ont montré que le Pentateuque n’avait pas été écrit d’un trait ni par un seul homme, mais par plusieurs groupes de rédacteurs et à différentes époques. Quand les passages concernant l’histoire d’Abraham ont-ils été écrits selon vous ? Au milieu du XXe siècle, des chercheurs à tendance conservatrice ont tenté de démontrer que les aventures des patriarches s’étaient déroulées au début du deuxième millénaire avant notre ère. Ce faisant, ils essayaient de prouver les dires de la Bible, qui situent l’histoire d’Abraham de nombreux siècles avant la période monarchique. De fait, la Bible fournit certaines informations chronologiques censées permettre de dater les événements. Il est mentionné, par exemple, que l’Exode a eu lieu 480 ans avant le début de la construction du Temple de Jérusalem. En recoupant différents indices de temps, le lecteur de la Bible peut ainsi situer le départ d’Abraham de Canaan en 2 100 avant notre ère. Pourtant, on sait aujourd’hui que le contexte qui sert de toile de fond à la narration des aventures des patriarches est celui des VIIIe et VIIe siècles avant notre ère, et leur écriture pourrait même avoir eu lieu plus tard, après le retour d’Exil (VIe et Ve siècles avant notre ère). La rédaction des récits des patriarches comprend un certain nombre d’anachronismes. Par exemple, il est fait mention à de fréquentes reprises de la présence de chameaux. Or, les archéologues ont découvert que le chameau n’avait commencé à être employé comme bête de somme qu’au cours du premier millénaire avant notre ère. De surcroît, la thèse d’une vague de migration de population depuis la Mésopotamie vers Canaan au deuxième millénaire avant notre ère, qui formait la base de la conception des chercheurs conservateurs du milieu du XXe siècle, s’est révélée infondée. Dans quel contexte historico-politique l’histoire d’Abraham a-t-elle été écrite ? Quels étaient les objectifs des rédacteurs ? Le contexte est celui des périodes assyrienne, néobabylonienne et perse, du VIIe au Ve siècles avant notre ère. à cette époque, le royaume d’Israël a disparu. Seul existe le royaume de Juda, plus tard appelé Yehud au temps de la domination perse, sur le territoire duquel se trouvent Jérusalem et son temple. Les rédacteurs de la Bible cherchent à cette époque à construire un narratif national pour unifier le peuple. Les récits relatifs aux patriarches n’ont sans doute pas plus de réalité historique que l’Odyssée d’Homère ou que les aventures d’Enée, ils sont le fruit d’une volonté idéologique et théologique. L’histoire d’Abraham décrit la vie d’un ancêtre commun et rassembleur, qui a vécu la majeure partie de sa vie dans ce qui allait devenir le royaume de Juda. Selon le chercheur allemand Martin Noth, les récits des trois patriarches tentent d’intégrer les traditions du
  • 36. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 36 Sud (Juda) et celles du Nord (Israël), tout en affirmant la prééminence de Juda. C’est pourquoi les rédacteurs de la Bible font construire à Abraham des autels à Sichem et à Béthel (les deux principaux centres du royaume du Nord), aussi bien qu’à Hébron (royaume de Juda, au sud). L’un des objectifs de l’histoire d’Abraham est de montrer l’unité des deux peuples - Juda et Israël - tout en expliquant la prééminence de Juda par une conformité aux lois divines. Un autre objectif de l’histoire d’Abraham consiste à décrire les origines de la nation hébraïque comme celles d’un peuple « séparé », différent du peuple de Canaan. Il s’agit bien plus d’une tentative littéraire de définition du peuple d’Israël que de la chronique scrupuleuse de la vie de personnages historiques. Peut-on attribuer une valeur historique au récit de la destruction des villes de Sodome et Gomorrhe ? La réponse est non, mais il est possible que les populations de l’âge du fer aient remarqué les traces d’anciennes cités datant de l’âge de bronze, dans la région de la mer Morte (par exemple la ville détruite de Bab ed-Dhra) et aient cherché à expliquer leur disparition. Ainsi, sans doute, se développèrent ces mythes. Retrouve-t-on dans l’histoire d’Abraham la trame de récits mythologiques qui auraient existé ailleurs au Moyen-Orient? Dans l’ensemble, le récit des patriarches reflète l’idéologie de ses auteurs, tout en se fondant sur les mythes préexistants des peuples de la région. L’« histoire » des patriarches regroupe en un récit narratif unique les légendes traditionnelles de diverses régions, afin de forger l’unité nationale et politique d’une population hébreu très hétérogène. Il est très possible que les épisodes individuels de la vie des patriarches soient inspirés de légendes anciennes et diverses. La trame narrative et même certains personnages présents dans l’histoire d’Abraham étaient probablement connus dans les folklores de l’époque. Par ailleurs, certaines coutumes décrites dans les récits en question, tel le fait d’avoir un enfant de la servante de sa femme par exemple, étaient tout à fait répandues dans le Proche-Orient ancien, aux deuxième et premier millénaires avant notre ère. Israël Finkelstein Archéologue, directeur de l’Institut d’archéologie de l’université de Tel-Aviv et co- responsable des fouilles de Megiddo (Israël), il est l’auteur d’Un archéologue au pays de la Bible (Bayard, 2008), de Les Rois sacrés de la Bible, à la recherche de David et Salomon (avec Neil Asher Silberman, Gallimard, 2007) et de La Bible dévoilée (avec Neil Asher Silberman, Gallimard, 2004). DECRYPTAGE Le sacrifice d’Abraham Genèse 22, 1-19 ; Sourate 37, à partir du verset 101. Abraham est le père commun des croyants appartenant aux trois religions monothéistes. Il a une double descendance : Isaac, qu’il a eu avec sa femme légitime Sarah, et Ismaël, le fils que lui donna Agar, servante de Sarah. La tradition attribue à l’un la descendance juive
  • 37. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 37 et à l’autre la descendance arabe. Le texte coranique ne précise pas si le fils que Dieu demande à Abraham d’immoler est Isaac ou Ismaël. 1- Une lecture juive Que sommes-nous prêts à sacrifier pour notre idéal personnel ou collectif ? Jusqu’où faut- il aimer sa patrie, ses parents, ses enfants, son épouse, une idole de la musique ou du spectacle, une philosophie ou plus simplement, un maître, un gourou ? Il est apparemment difficile d’objecter à la réponse : " Je l’aime et je suis prêt à mourir pour lui. " En ce sens, la logique immanente de l’amour serait celle du sacrifice, comme les mères le vivent pour leurs enfants, par exemple, ou le héros qui meurt pour sa patrie, ou Rabbi Aqiba écorché vif par les Romains parce qu’il s’entêtait à enseigner la Torah malgré l’interdit, ou le martyr chrétien dans les arènes de Rome. Cette conception de l’amour est admirable, c’est pourquoi elle est présentée comme modèle par les religions, par les chefs militaires et par les meneurs révolutionnaires. Elle est synonyme d’abnégation, de don, de générosité, d’abandon et de pureté, quand ce n’est pas de sainteté. Mais c’est peut-être contre cet amour-ci et ses conséquences que le récit biblique est écrit et canonisé ! En effet, les historiens et les exégètes nous avertissent déjà que l’intention première de ce récit vise l’interdiction de sacrifier son enfant à la divinité, car c’était là un rite païen et idolâtre. La Torah y insiste en plusieurs endroits en l’appelant " rite du Molokh " (1). Molokh était une divinité du peuple d’Ammon, de Tyr et des Assyriens, auquel les Hébreux et même leurs rois furent poussés à sacrifier leurs enfants dans la vallée de la Géhenne ! En d’autres termes, le Dieu de Yisra’el, le Dieu monothéiste, ne désire pas qu’on lui sacrifie les enfants. Le récit biblique insiste donc sur la limitation du pouvoir du père qui, en ces temps-là, était absolu et allait jusqu’à la mort du fils pour de multiples raisons imbéciles, telle que le handicap, par exemple. Le récit biblique enseigne que, même pour Dieu, le père n’a pas le droit d’attenter à la vie de son fils parce que c’est là un rite païen. Mais, surtout, les interprètes juifs montrent que l’épreuve d’Abraham ne pouvait consister, comme on l’enseigne toujours, dans le sacrifice de son fils parce que Dieu le demandait. Dans un tel cas de figure, ça aurait été au patriarche lui-même de donner sa vie pour prouver son amour ! L’ange envoyé au patriarche lui dit : " N’étends pas la main sur ce jeune homme. Ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu, toi qui n’as pas épargné ton fils unique pour moi ! " (v. 12) Et non pas : " Car maintenant je sais que tu aimes Dieu. " Craindre Dieu, c’est le respecter, c’est-à-dire obéir à sa loi et non à la loi que nous nous dictons nous-mêmes individuellement ou collectivement. L’épreuve était donc celle de la Loi et non de l’amour. Il s’agissait pour Abraham de montrer qu’il était capable, en tant qu’être humain, d’intérioriser une Loi qu’il recevait de l’extérieur, une loi transcendante. Et sur quoi portait donc cette Loi ? C’est le verset deux du chapitre qui l’énonce : " Dieu dit : " Prends ton fils, ton unique, Isaac que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l’offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t’indiquerai. " " Rachi, le fameux commentateur de la Torah, fait cette remarque : " Dieu n’a pas dit à Abraham : "Egorge-le
  • 38. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 38 !", car le Saint Béni est-il ne désirait pas l’immolation d’Isaac, mais " le faire monter sur la montagne " pour lui donner le caractère d’une offrande à Dieu. Quand il le fit monter, il lui dit : " Fais-le descendre ! " " Entendons bien ce que cette lecture signifie : le patriarche aurait mal compris l’ordre divin qui se rapportait en fait à la question de l’initiation d’Isaac, à son élévation et à sa promotion au statut de fils. La fonction du père n’est pas, comme l’a comprise Abraham, d’apprendre à son fils à mourir, mais à s’élever jusqu’à ce point où il peut redescendre avec son père. Il peut alors se marier, comme le raconte le récit suivant, et devenir père à son tour. " Immole ton fils " ne pouvait être un ordre divin ; malheureusement le père comprend l’initiation du fils comme sa soumission totale et absolue à sa propre compréhension du monde et de la transmission humaine. Mais l’ange ne laisse pas Abraham toucher son fils Isaac. Il attend qu’il le ligote parce que c’est tout ce qu’il lui demande, mais le couteau ne touche pas Isaac, et le sang du fils ne coula pas parce que Dieu ne le désirait pas. C’est pourquoi la tradition juive a donné à l’épisode biblique le titre de " Ligature d’Isaac " et non celui de " Sacrifice d’Isaac ". C’est la relation entre les générations qui est analysée dans ce récit biblique, c’est-à-dire, en réalité, la relation entre le père et le fils, entre la paternité et la filialité. Si Abraham avait sacrifié son fils, il aurait été un païen. Son épreuve fut de pouvoir accomplir son sacrifice en laissant vivre son fils et en redescendant avec lui de la montagne. Ce n’est pas dans la montée que se déroulait l’épreuve, d’après l’interprétation de Rachi, mais dans la descente " avec " son fils. (1)Lévitique 18,21 ; 20,2,3,4,5 ; 1 Rois 11,7 ; 2 Rois 23,10 ; Jérémie 32,35 [Armand Abécassis, professeur de philosophie générale et comparée (Université Bordeaux II)I. Publié le 1 septembre 2003 - Le Monde des Religions n°1] 2- Une interprétation musulmane Selon l’islam, le Coran est le point terminal de la Révélation. Il se présente comme la récapitulation et la synthèse des messages antérieurs, et maints récits bibliques y sont relatés de façon condensée et allusive. L’épisode du sacrifice d’Abraham illustre le thème coranique de l’épreuve (bala’), qui agit comme une véritable pédagogie spirituelle à l’adresse des croyants et, a fortiori, des prophètes : leur élection et leur investiture ont pour passage obligatoire la purification. Abraham (Ibrahim, en arabe) a été choisi comme " ami intime de Dieu " (khalîl Allâh) parce qu’il a subi avec succès maintes épreuves. L’une des plus intenses fut sans doute ce songe au cours duquel le patriarche se vit en train d’immoler son fils : " " Ô mon fils, je vois en rêve que je t’égorge. Qu’en penses-tu ? " " Père ", répondit le fils, " fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras si Dieu veut, parmi ceux qui supportent l’épreuve ". " Tous les traducteurs rendent ce passage au temps passé – " Ô mon fils, j’ai vu en rêve que... " –, mais il importe de restituer le présent employé dans le texte arabe : celui-ci vit la vision en direct, non en différé ! Les commentateurs insistent sur la dimension onirique de la scène – absente du récit biblique. Cependant, Abraham n’a pas interprété, " transposé " dit l’arabe, cette vision, car, selon l’avis des commentateurs, le songe ou la vision des
  • 39. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 39 prophètes relève de la révélation (wahy), et est perçu par eux comme une réalité immédiate. En effet : " Lorsqu’ils se furent tous deux abandonnés à la volonté divine (aslama) et qu’Abraham eut couché son fils le front contre terre, Nous l’appelâmes : " Ô Abraham ! tu as ajouté foi à la vision." C’est ainsi que nous rétribuons les êtres doués d’excellence. " En réalité, la vision qu’a reçue Abraham ne lui intimait pas d’immoler matériellement son fils, mais de le consacrer à Dieu. L’islam rejoint sur ce point la tradition judaïque. " Voici certes l’épreuve évidente. " Epreuve suprême de soumission à Dieu que de se croire contraint d’égorger son fils ! Selon certains soufis, l’épreuve consistait à donner son vrai sens à la vision. Ils font remarquer que l’enfant est le symbole de l’âme. C’est donc son " moi " que Dieu demande à Abraham d’immoler, cette âme prophétique élevée, certes, mais encore capable d’amour pour un autre que Dieu. Or, afin d’être investi pleinement de l’intimité divine, Abraham doit vider son cœur de tout attachement aux créatures. D’ailleurs, l’épisode du sacrifice suit immédiatement un passage où l’on voit Abraham détruire les idoles adorées par son peuple (84-98). " Nous le rachetâmes par un sacrifice solennel ", car l’enjeu est immense. Un bélier venant, selon la tradition, du paradis, et conduit sur terre par l’ange Gabriel pour le sacrifice, se substitue au fils : grâce à ce transfert, Dieu rachète à Abraham toute sa descendance, prophétique et autre, afin de mieux la préserver et la bénir. Ainsi, " Nous perpétuâmes (le souvenir d’Abraham) parmi les générations postérieures. Paix sur Abraham ! " : après la soumission (islam) vient la paix (salam). L’animal, être pur parce qu’il connaît par intuition directe son Créateur, à l’instar des règnes minéral et végétal, peut en effet prendre la place d’un humain pur, prophète et fils de prophète. Par son sacrifice consenti, il permet aux " fils d’Adam " – et pas seulement d’Abraham – de régénérer leurs énergies vitale et spirituelle. Toujours est-il que la commémoration du sacrifice d’Abraham, actualisée chaque année par le sacrifice d’animaux, est devenue la " grande fête " (Aïd al-Kabir) des musulmans, célébrée le 10 de Doul-Hijja, mois du Pèlerinage, le Hadj. Ceux qui l’ont accompli le savent bien, le Hadj est une épreuve. A l’instar de la bête, le pèlerin est l’offrande sacrificielle dont le parcours rituel permet à la communauté musulmane, et au-delà à l’humanité, de se régénérer. Si le sacrifice animal garde aujourd’hui toute sa pertinence, et si le partage et le don de la viande perpétuent " l’hospitalité sacrée " d’Abraham, il importe de ne pas perdre de vue le sens premier du sacrifice : la purification intérieure. On observera que le Coran ne précise pas si le fils offert en oblation est Ismaël, père des Arabes, fils de la servante Agar jalousée par Sara, ou Isaac, son frère cadet, père des Juifs. Cette imprécision a partagé les auteurs musulmans, chacun tirant argument de façon opposée des mêmes passages coraniques en faveur d’Isaac ou Ismaël. Le silence coranique sur l’identité du fils sacrifié – ou sanctifié – au regard du contexte actuel, peut être perçu comme une source tantôt de rivalité et d’inimitié, tantôt de proximité voire d’intimité entre juifs et musulmans. Ne serait-ce pas dans le dépassement de l’ego,
  • 40. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 40 vrai sens du sacrifice abrahamique, que les uns et les autres parviendront à restaurer une harmonie séculaire mise à mal par des développements politiques récents ? [Eric Geoffroy, professeur d’arabe et d’islamologie à l’université de Strasbourg. Publié le 1 septembre 2003 - Le Monde des Religions n°1] 3- Un point de vue psy Comment ne pas s’étonner que le Dieu d’Israël qui demande à l’homme de ne point tuer semble exiger ici un meurtre ? Ce dieu qui a promis une postérité innombrable à Abraham, qui a permis à son épouse, Sarah, femme âgée et stérile, de mettre au monde un fils, comment se fait-il qu’il veuille gommer d’un seul geste à la fois ses paroles et ses actes ? Serait-il un dieu plein d’incohérences, cruel et despote ? On peut comprendre que nombre de personnes se soient détournées de lui après avoir reçu une telle image en guise de représentation divine. L’interprétation qui leur a été donnée allait dans le sens de la soumission : il faut obéir aveuglément pour ne pas déplaire à ce dieu jaloux. Dans le sens du dolorisme aussi : pour rentrer dans ses grâces, il faut accepter ce qui fait le plus souffrir ! Pourtant ce passage biblique semble dire autre chose. Certes, il parle d’épreuve – " Dieu mit à l’épreuve Abraham ". Mais l’épreuve est inhérente à la vie. Elle est ce qui conduit chacun à grandir en humanité, c’est-à-dire à devenir plus conscient et davantage capable d’ouverture. Alors il ne paraît pas étonnant que le destin d’Abraham l’y confronte tôt ou tard. Peut-être que, pour finir, ce texte ne parle pas de subordination, mais bien plutôt de libération ? Il n’aurait pas pour but de maintenir dans un état de petitesse, mais tout au contraire de favoriser le déploiement de l’être. Son aspect éminemment paradoxal interroge tout du long. Quand Abraham laisse ses serviteurs, il leur demande d’attendre le retour de " nous ", autrement dit du père et du fils, alors qu’il est censé revenir seul. Dieu semble exiger un sacrifice pour le refuser ensuite. On peut se demander si ce côté déroutant de l’écriture n’est pas là pour permettre, par les questions qu’il suscite, un cheminement chez le lecteur, un cheminement pour son grandissement justement. Le mystère s’approfondit quand on songe au comportement d’Isaac. Un fils quasiment muet, qui se laisse ligoter sans se rebeller. Pourtant, le seul moment où il ouvre la bouche, c’est pour poser une question cruciale : " Où est l’agneau pour l’holocauste ? " Comme tout enfant, il a le don d’aller au cœur du sujet. Il interpelle ce père ambigu qui le chérit comme " son " fils, son " unique ", et qui s’arrange pour qu’ils s’en aillent " tous deux ensemble ". Ne se sent-il pas l’agneau sacrifié, cet enfant tellement désiré qu’on imagine ses parents le couver sans cesse d’une attention pleine d’angoisse ? Ne doit-il pas rester lié, si son père, encore bien immature, a besoin pour vivre de rester ainsi accroché à lui ? Abraham répond : " Dieu saura voir l’agneau pour l’holocauste, mon fils ! " Ainsi, le patriarche accepte, en se tournant vers plus haut que lui, de ne pas savoir, de ne pas rester en position d’emprise. La psychanalyste Marie Balmary (1) relève d’ailleurs que les mots " mon fils " et " ils s’en allèrent tous deux ensemble ", qui manifestent l’union
  • 41. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 41 étouffante, semblent comme mis en place de l’agneau. Le couteau est appelé à trancher le lien de dépendance, à rendre le fils libre et, par là-même, à faire devenir ce père pleinement père. Abraham se montre capable de dépasser ses angoisses, d’oublier ses besoins affectifs trop dévorants et de laisser Isaac aller à son destin. L’immolation du bélier signifie qu’il accepte la perte. Ainsi chacun, père et fils, et peut-être le lecteur, échappe aux forces de mort générées par un Moi trop contrôlant pour goûter à la Vie féconde. (1) Le Sacrifice interdit (Grasset, 1999). [Marie Romanens psychanalyste. Publié le 1 septembre 2003 - Le Monde des Religions n°1] Références Euripide. Il est intéressant de rapprocher cet épisode de la Genèse de la tragédie d’Euripide, Iphigénie à Aulis. Agamemnon doit sacrifier à Artémis sa fille Iphigénie afin que des vents favorables lui permettent de voguer vers Troie. Comme Isaac, Iphigénie accepte son sacrifice, mais la déesse Artémis la sauve de la mort en lui substituant une biche. Concordances. La Bible juive campe Abraham et balise sa vie de nomade. II est la figure de l’Ancien Testament la plus citée après Moïse. Saint Paul en fait le père de tous les croyants, juifs et non juifs (Epitre aux Romains 4, 9-12). Abraham occupe une place de choix dans le Coran, en compagnie de Jésus et de Moïse. Il est défini comme " monothéiste " et " soumis " (muslim). C’est donc le premier musulman (sourate 3, 62-68). Figure du Christ. La tradition chrétienne a vu dans le personnage d’Isaac la figure anticipatrice du Christ, fils de Dieu sacrifié pour le salut de l’humanité. Cette interprétation s’appuie sur l’Epître aux Hébreux (11, 17-19). A l’image d’Isaac, Jésus est ligoté au cours de son supplice et il porte lui même sa croix... Iconographie. La ligature d’Isaac a inspiré des peintres aussi divers que Caravage, Rembrandt, Dali, Chagall. Philosophie. La figure d’Abraham a également intéressé philosophes et penseurs. Le Danois Kierkegaard, dans Crainte et Tremblement y a vu " l’expérience de la foi nue " et l’illustration d’une distinction entre " l’ordre éthique " et " l’ordre religieux " qui consiste en un débordement de l’éthique au contact de l’absolu.
  • 42. Les sources bibliques du christianisme LAURENT SAILLY 42 Chapitre 2 De l’Egypte à la Terre promise (Exode ; Lévitique ; Nombres ; Deutéronome) L’héroïsme de Moïse face à la tyrannie du pharaon, les dix plaies d’Egypte, l’Exode de masse des Israélites, ces épisodes hautement dramatiques, dont le souvenir s’est perpétué au cours des siècles, comptent parmi les événements les plus marquants de l’histoire biblique. Sous la conduite d’un chef – et non plus d’un père – divinement inspiré, qui représente Dieu auprès de la nation et la nation auprès de Dieu, les Israélites accomplissent l’impossible périple qui les fait passer de la déchéance de l’esclavage aux frontières de la Terre promise. I. La servitude des fils d’Israël (Exode 1) En l’espace de 430 ans, les descendants des douze frères et de leurs familles proches sont devenus une grande nation – ainsi que Dieu le leur avait promis –, que la population égyptienne appelle les Hébreux : « Ils furent féconds et se multiplièrent, ils devinrent de plus en plus nombreux et puissants, au point que le pays en fut rempli » (Ex 1,7). Mais les temps changent. Un nouveau pharaon monte sur le trône, « qui n’avait pas connu Joseph ». De crainte que les Hébreux ne trahissent l’Egypte en faveur de l’un de ses ennemis, le nouveau pharaon les réduit en esclavage et les condamne aux travaux forcés sur les chantiers de construction des cités impériales de Pitom et Ramsès. « Mais plus on lui [Israël] rendait la vie dure, plus il croissait en nombre et surabondait » (Ex 1,12). Le cercle vicieux de la répression s’intensifie : les Egyptiens rendent la vie encore plus dure aux Hébreux (Ex 1,14). Craignant une explosion démographique chez ces dangereux travailleurs immigrés, le pharaon ordonne de noyer tous les enfants mâles dans le Nil (Ex 1,21). De cette mesure radicale naquit l’instrument de la libération du peuple hébreu ? II. Moïse : de la cour du Pharaon au pays de Madiân (Exode 2,1-22) Un fils de la tribu de Lévi – confié au fleuve dans une corbeille de papyrus – est découvert et adopté par l’une des filles du pharaon. Elle le nomme Moïse (de la racine hébraïque « tirer » des eaux). Il grandit au sein de la cour impériale. Des années plus tard, devenu adulte, Moïse aperçoit un contremaître égyptien en train de battre un esclave hébreu. Son sang ne faisant qu’un tour, il tue le contremaître et le « cache dans le sable ». Craignant pour sa vie, Moïse fuit dans le désert ; il prend refuge au pays de Madiân, où il adopte l’existence d’un nomade du désert. Au cours de son périple de berger solitaire, près de l’Horeb, « la montagne de Dieu », il reçoit la révélation qui changera la face du monde. III. « Je suis celui qui est » (Exode 2,23 à 4,17) Au milieu des flammes étincelantes d’un buisson qui brûle dans le désert sans pour autant se consumer, le Dieu d’Israël se révèle au regard de Moïse comme le libérateur du peuple hébreu. Dieu promet de le délivrer des mains de ses oppresseurs pour le mener sain et sauf à la Terre promise où il vivra libre et en sécurité. Dieu se présente comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il révèle à Moïse son nom mystérieux et mystique, YHWH, « Je suis celui qui est ». Alors, Dieu confie à Moïse la mission solennelle de retourner en Egypte, avec son frère Aaron, pour confronter le pharaon à la démonstration éclatante de puissants miracles et exiger de lui la liberté de la maison d’Israël.
  • 43. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 43 IV. Les fléaux d’Egypte (Exode 4,18 à 12,36) Mais le pharaon a le cœur endurci. Sa seule réponse à Moïse sera d’intensifier la persécution des esclaves hébreux. C’est pourquoi Dieu ordonne à Moïse de menacer l’Egypte d’une série de fléaux épouvantables si le pharaon persiste à refuser de se plier à la divine injonction : « Laisse partir mon peuple ! » (Ex 7,16). Le pharaon refuse de plier. Le Nil se change en sang. Des nuées de grenouilles, de moustiques et de taon tombent sur tout le pays. Une épizootie mystérieuse décime les troupeaux égyptiens. Des ulcères et des pustules crèvent la peau des gens et des bêtes qui ont survécu. La grêle s’abat sur la contrée et détruit les récoltes. Obstiné, le pharaon ne cède toujours pas. Des nuées de sauterelles dévorent le peu qui reste des récoltes et les ténèbres assombrissent tout le pays d’Egypte. Enfin, intervient la plaie la plus terrible de toutes : la mort des premiers- nés, ceux des hommes comme ceux du bétail, sur toute la terre du Nil. Pour protéger les premiers-nés israélites, Dieu ordonne à Moïse et à Aaron de préparer la congrégation d’Israël par l’offrande spéciale de moutons ou de chèvres dont le sang devra être répandu sur le seuil des maisons israélites de façon que Dieu les épargne la nuit où il frappera les enfants égyptiens. Il donne aussi l’ordre de préparer des provisions de pain azyme en vue d’un départ précipité. Quand le pharaon découvre la perte terrible occasionnée par le dixième fléau, la mort de tous les premiers-nés, y compris les siens, il s’avoue vaincu et supplie les Israélites de quitter le pays avec leurs troupeaux. V. La sortie d’Egypte (Exode 12,37 à 15,21) C’est ainsi que la multitude d’Israël, « au nombre de près de six cent mille hommes de pied, sans compter leur famille » (Ex 12,37), abandonne les villes de la région orientale du delta et se dirige vers les étendues désertiques du Sinaï. « Lorsque Pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne lui fit pas prendre la route du pays des Philistins, bien qu’elle fût plus proche, car Dieu s’était dit qu’à la vue des combats le peuple pourrait se repentir et retourner en Egypte. Dieu fit donc faire au peuple un détour par la route du désert de la mer des Roseaux » (Ex 13,17-18). Mais le pharaon regrette soudain sa décision et envoie une force armée de « six cents des meilleurs chars et tous les chars d’Egypte » à la poursuite des Israélites. La mer Rouge se divise en deux pour permettre aux Hébreux de passer à pied sec sur la rive opposée du Sinaï. A peine l’ont-ils franchie que les eaux se referment sur les poursuivants égyptiens, miracle inoubliable que commémore le Chant de victoire (Ex 15,1-18). VI. En chemin vers la « montagne de Dieu » (Exode 15,22 à 18) Sous la conduite de Moïse, la foule des Israélites accomplit un interminable périple à travers le désert. Ils suivent une route à l’itinéraire soigneusement répertorié, qui précise les noms de lieux où ils ont souffert de la soif, de la faim, où ils ont exprimé leur mécontentement, où ils ont été consolés, nourris et abreuvés, grâce à l’intercession de Moïse auprès de Dieu. Ils atteignent finalement la « montagne de Dieu », où Moïse a déjà reçu sa première révélation. VII. L’alliance (Exode 19 à 40) Le peuple se rassemble au pied du mont, tandis que Moïse grimpe au sommet pour y recevoir la Loi destinée à régir l’existence des Israélites nouvellement libérés. La réunion est gâchée par les Israélites, qui se sont mis à adorer le Veau d’or pendant que Moïse était occupé au sommet du mont. De colère, Moïse brise le premier exemplaire des Tables de la Loi. En dépit de cet incident, Dieu s’en remet à Moïse pour communiquer à son
  • 44. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 44 peuple les dix commandements, ainsi qu’une législation très complexe sur tout ce qui touche au culte, à la pureté rituelle et à la nourriture. L’Arche d’alliance qui renferme les Tables de la Loi servira dorénavant d’étendard de bataille ; symbole national le plus sacré, elle accompagnera les Israélites tout au long de leur périple. VIII. Premier essai de pénétration en Canaan (Nombres) De leur campement dans le désert de Parân, les Israélites envoient des espions pour collecter des informations sur les peuples de Canaan (Nb 13). A leur retour, ces derniers font un rapport tellement impressionnant sur les forces cananéennes et la dimension formidable des remparts qui protègent leurs cités que les Israélites perdent courage. Ils se rebellent contre Moïse, allant jusqu'à le supplier de les ramener en Egypte où, au moins, leur sécurité physique est garantie. En voyant cela, Dieu décrète que la génération qui a connu l'esclavage en Egypte ne vivra pas pour jouir de l'héritage de la Terre promise, et devra poursuivre son périple dans le désert pendant encore quarante ans. Aussi les Israélites n'entreront-ils pas dans Canaan directement, mais par un itinéraire détourné, passant par Cadès-Barnéa, puis par l'Araba, puis à travers les terres d'Edom et de Moab, pour aboutir à l'est de la mer Morte. IX. Derniers discours et mort de Moïse (Deutéronome) L'acte final de l'Exode prend place dans les plaines de Moab, en Transjordanie, en vue de la Terre promise. Moïse, qui a atteint un âge fort avancé, révèle aux Israélites les termes définitifs de la Loi qu'ils devront observer s'ils veulent hériter de Canaan. Cette seconde version de la Loi, le Deutéronome, (du grec "deuteronomos", signifie "deuxième loi") réitère les dangers mortels de l'idolâtrie, établit le calendrier des fêtes, énumère toute une série de législations sociales, et ordonne que, une fois la conquête accomplie, le Dieu d'Israël ne soit plus vénéré que dans un sanctuaire unique, "au lieu choisit par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter ton nom" (Dt 26,2). Comme il fait partie de la génération qui a subi l'amère servitude égyptienne, lui aussi est condamné à mourir sans poser le pied sur la Terre promise. Après avoir imposé les mains sur Josué, fils de Nûn, pour qu'il commande aux Israélites durant leur brève campagne de conquête, le vieux Moïse, âgé de cent vingt ans, monte au sommet du mont Nébo pour y rendre l'âme. Ainsi s'achève la transition de famille à nation. Cette dernière n'a plus qu'à relever son défi le plus périlleux: accomplir le destin que Dieu lui a réservé. [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 84 et 86 à 90 – filio127histoire] Moïse a-t-il existé et a-t-il inventé le monothéisme ? Ce que dit la Bible Pour la Bible, la question ne se pose pas. Moïse est appelé par Yahvé pour lui annoncer qu'il est le seul dieu qu'Israël doit vénérer. Les auteurs bibliques ne connaissent pas le concept abstrait de monothéisme. Ce que dit l'historien
  • 45. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 45 L'historicité de Moïse est difficile à saisir. Son nom est d'origine égyptienne, il a parfois été identifié à de hauts fonctionnaires d'origine sémite. S'il a existé, il n'a pas inventé le monothéisme : celui-ci ne voit le jour qu'au VIe siècle avant notre ère. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] À quelle période se situe la sortie d'Égypte, si elle a eu lieu ? Ce que dit la Bible La Bible ne précise pas le nom du pharaon sous lequel a lieu cet événement. Elle donne le chiffre de 600 000 hommes adultes qui auraient traversé la mer des Joncs en une nuit. Elle mentionne la ville de Pithom que les Hébreux ont dû construire (Exode 1, 11), un nom de ville attesté à partir du VIIIe siècle avant notre ère. Ce que dit l'historien On a voulu situer l'exode sous Ramsès II (vers 1220 avant notre ère), mais il n'existe aucune preuve d'un « grand exode » des Hébreux vers la Palestine. 600 000 mâles adultes avec leurs familles représentent plus que la population de l'Égypte à l'époque. La Bible se base sur le souvenir de plusieurs « escapades » de groupes sémitiques hors d'Égypte. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32] La légende de Sargon [Moïse, Thomas Römer. Gallimard, 2002] « Sargon, le roi puissant, le roi d'Akkad, je le suis. Ma mère était une prêtresse, mon père, je ne le connaissais pas... Ma mère, la prêtresse, me conçut en secret, elle m'enfanta. Elle me mit dans une corbeille de roseau avec de l'asphalte, elle ferma le couvercle. Elle me jeta dans la rivière qui ne m'engloutit pas. Le fleuve me porta et m'emmena vers Akki, le puiseur d'eau. Akki, le puiseur d'eau, me sortit comme il trempait son vase. Akki, le puiseur d'eau, me prit comme son fils et m'éleva. Il me plaça comme son jardinier. Durant mon jardinage, Ishtar m'aima. » Moïse, prophète et libérateur Avec ses roches déchiquetées, son paysage à couper le souffle, ses flancs escarpés, le mont Sinaï lui va comme un gant. Lui ? Moïse, qui a reçu ici même les Tables de la Loi, au sommet de la montagne rouge, portant le feu en elle, de l'aurore au crépuscule. Un décor incandescent de Genèse qui impose le silence et qui engendre l'évidence : au début était le Verbe, et juste après Moïse, tant la figure du personnage, prophète des trois religions du Livre, domine ces lieux. A perte de vue, des collines et d'autres monts, quelques villages et, en contrebas, baigné par une lumière douce qui dut caresser aussi le premier jour, le monastère de Sainte-Catherine, garant du protectorat ancestral sur ces lieux bibliques. L'ennui, c'est que le mont Sinaï n'est peut-être pas le bon endroit. Le berceau de la révélation serait ailleurs, davantage au nord, plus proche des points d'eau et de l'itinéraire
  • 46. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 46 des antiques caravanes. C'est du moins ce qu'affirment maints chercheurs, chrétiens et juifs. Que le mont Sinaï, le djebel Moussa des musulmans, soit le lieu historique de la révélation ou non, la polémique souligne en tout cas la force du personnage. Moïse. Une épopée fabuleuse, celle d'un héros magnifique et magnifié. A la fois tribun biblique incomparable, contestataire hors pair, symbole de la révolte, roi législateur, prophète- messager qui sut être faucon et colombe, voyageur solitaire et guide de tout un peuple... Dans le salon du monastère Sainte-Catherine, bâti en 527 après Jésus-Christ par les envoyés de l'empereur Justinien de Byzance, et aux mains de 23 moines grecs orthodoxes, le père Nilos veut bien admettre qu'il y ait différentes thèses en présence, mais lui n'a qu'une certitude : son monastère est bien construit sur les contreforts du mont mythique. Il fait confiance à la tradition. C'est là-haut, au-delà d'un escalier de plusieurs centaines de marches taillées dans la roche, à plus de 2000 mètres d'altitude, que Moïse aurait reçu les Dix Commandements, au terme d'un isolement de quarante jours et quarante nuits. Et c'est ici que demeure le buisson ardent sur lequel veille jalousement le père Michaël, originaire de Crète, chargé d'arroser toutes les deux semaines l'arbuste vénéré. Tel était d'ailleurs le premier nom du couvent, « monastère du Buisson-Ardent et de la Mère de Dieu », qui rend un hommage quotidien à Moïse. Nouveau-né emmené par les eaux du Nil : ce commencement-là avait de quoi forger un sacré destin. Arrivé en Egypte pour fuir une disette en pays de Canaan, le peuple d'Israël connaît très vite l'oppression. En butte aux pharaons, il subit la corvée jusqu'au martyre. Méprisants envers ces clans de gueux, les souverains, dépositaires des dieux sur terre, vont jusqu'à ordonner le massacre des nouveau-nés mâles. Un bambin est alors caché par sa mère, de la tribu des Lévites, puis déposé dans un couffin sur le Nil. L'enfant est sauvé par une princesse égyptienne, en fait la fille du pharaon, qui l'adopte. Devenu homme, Moïse, apercevant un lieutenant du souverain frapper un esclave hébreu, saisit le spadassin et le tue. Les siens, sans pitié, le dénoncent, et Moïse fuit sous une double menace, celle des israélites et celle du pharaon. L'épopée est née dans le limon du Nil, elle continue sous le signe de la trahison. Réfugié au pays de Madian, dans le Sinaï, Moïse devenu pâtre découvre un buisson en feu : le buisson ardent, le signe de Dieu. Une voix lui annonce alors qu'il doit se mettre en route pour chercher son peuple, captif des Egyptiens. Ce qu'il fait, manquant d'être tué par Dieu en route. Devant le pharaon, Moïse implore la libération des Hébreux, le souverain refuse. Alors les dix plaies d'Egypte s'abattent sur le pays du Nil : l'eau du fleuve se transforme en sang ; les grenouilles s'abattent sur le pays ; les insectes envahissent l'Egypte ; les bêtes féroces pullulent ; les épidémies frappent les foyers ; les hommes subissent le calvaire de l'ulcère et autres châtiments divins. Puis, ce sont la grêle, les sauterelles, les ténèbres. La dernière punition est décisive : les nouveau-nés mâles égyptiens meurent, le pharaon est contraint de libérer le peuple d'Israël. Mais il reprend sa parole et lance son armée à la poursuite des fuyards, acculés devant la mer Rouge. Alors, Moïse reçoit un appui divin et de son bâton ouvre la mer Rouge, laquelle se referme plus tard sur les cohortes des poursuivants, engloutis par les flots. Quand Moïse et son peuple parviennent au pied du mont Sinaï, Dieu lui apparaît pour remettre les Dix Commandements. Subjugué, Moïse est désormais nanti d'une mission céleste. Il est l'homme « que Yahvé a connu face à face » . Mais son peuple est rétif à la parole divine. Dès que Moïse a le dos tourné, les Israélites concoctent la représentation d'un dieu, le veau d'or. Lorsqu'il redescend de ses hauteurs, Moïse aperçoit l'idole et, ivre
  • 47. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 47 de colère, brise la statue. Sa tribu, les Lévites, scelle dans le sang le courroux patriarcal. C'est un carnage, au prix de 3 000 morts. De Moïse, il est vrai, prophète du judaïsme, du christianisme, de l'islam, on a tout dit. Qu'il fut un pharaon égyptien en exil, répondant du nom d'Amenmès, fils de Séthi II, selon l'égyptologue berlinois Rolf Krauss. Qu'il fut l'inventeur du monothéisme. Qu'il fut, encore, le disciple du roi Akhenaton et qu'il convertit à sa religion le peuple hébreu - thèse de Freud dans « Moïse et le monothéisme », violemment critiquée lors de sa parution, en 1939. Comme le suggère Daniel Jeremy Silver, auteur d'une biographie de Moïse, il n'existe que peu d'éléments historiques en dehors de la Bible permettant de corroborer les épisodes de la vie de Moïse et l'exode des Hébreux hors d'Egypte. Les recherches archéologiques ont permis d'affiner cette saga, et d'abord le chapitre au sommet de la montagne. Pour l'archéologue italien Emmanuel Anati, qui dirige le Centre des études préhistoriques à Capo di Ponte, cela ne fait aucun doute : n'en déplaise aux moines gardiens du temple de Sainte-Catherine, le vrai mont de Moïse est... en Israël, dans le désert du Néguev. Voilà dix-neuf ans que le chercheur italien sonde cette zone. Sa découverte ? Avoir repéré - progressivement - le vrai lieu de la révélation, Har Karkom. Une centaine de sanctuaires sont parsemés sur ce relief tourmenté, dont le plus ancien date de quarante mille ans. Or toute la thèse d'Anati se fonde sur une triple approche : l'exégèse des textes de l'Ancien Testament, la topographie et les trouvailles archéologiques. Les textes, tout d'abord : dans les références du Pentateuque - les cinq premiers livres de la Bible, la Torah des juifs -, aucune ne laisse penser que le mont Sinaï se situe au sud de la péninsule. Au contraire, le mont sacré serait aux confins de la Terre promise. Or Har Karkom ne se situe qu'à 50 kilomètres de la frontière décrite par Josué. Et la mer Rouge, dans tout ça ? La topographie, ensuite. Anati a pris son bâton de pèlerin et a emprunté la sente de l'exode - celle qu'il croit être la bonne -, c'est-à-dire celle qui fend au nord du Sinaï égyptien. « J'ai recensé, assure-t-il, 16 des 22 sites mentionnés dans la Bible. Et l'un des puits sur la route, d'eau salée, se situait à proximité d'un point de bonne eau, à Mara, sur les rives de la mer Rouge, comme dans la Bible, quand Moïse a sauvé les siens en passant de l'un à l'autre. » Les fouilles, enfin : l'archéologue, auteur d'« Aux origines de l'art, 50 000 ans d'art préhistorique et tribal » (Fayard), a découvert avec son équipe, au pied de « sa » montagne, douze pierres sur un promontoire rocheux, comme pour rappeler le lieu où Moïse bâtit un autel avec une douzaine de cailloux afin de symboliser les douze tribus d'Israël. « Ce petit monument a peut-être été érigé après la mort de Moïse, tempère Anati, mais cela signifie au moins que la tradition situait là le vrai mont Sinaï. » Et la mer Rouge, dans tout ça ? Anati estime qu'il s'agit en fait de la mer des Roseaux, et non de la mer Rouge, à cause d'une erreur de traduction de l'hébreu. Cette mer des Roseaux serait en fait un lac intérieur, le Bardawil, non loin de la Méditerranée, entre Suez et Palestine, « trois sites justement mentionnés par la Bible » , exulte Anati. D'autres chercheurs et exégètes estiment qu'il pourrait s'agir des lacs Amer, entre Méditerranée et mer Rouge, franchis par un gué praticable à certaines saisons.
  • 48. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 48 Bref, la petite révolution de l'archéologue, loin de contredire la Bible, ne fait que l'enrichir. Et s'oppose d'abord à l'école minimaliste développée par des chercheurs israéliens - Anati les connaît pour avoir enseigné à Tel-Aviv - et suivie par des homologues allemands et américains, qui estiment que la Bible ne comporte que peu d'éléments historiques. A écouter Anati, on sort convaincu qu'elle en regorge plus que prévu. En tout cas, on sait que les récits bibliques de Moïse ont été rédigés aux environs du VIe siècle avant J.-C., après la destruction de Jérusalem, afin que les meneurs du peuple juif en exil à Babylone puissent supporter l'asservissement. On peut s'interroger sur la validité historique de Moïse. Mais reste sa charge symbolique, sa figure représentative qui est identitaire car forgeant la religion. Qu'importent les polémiques ! Demeure le personnage qui a inspiré tant de récits, de mythes, d'épopées - et jusqu'au personnage de Néo dans « Matrix ». La Bible a, pour celui qui a vu Yahvé, une phrase magnifique, quand il descend du mont Sinaï : « Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait d'avoir parlé avec Lui » (Exode, 34). L'éblouissement, l'élévation de l'âme, après les épreuves, la mort, les combats. Le libérateur est d'abord un homme, le prophète appartient au domaine du spirituel. Chaleureux et courroucé, quitte à briser les Tables pour vilipender le culte du veau d'or. Et c'est cette double image de lumière et de colère qui traversera les siècles, l'image hautement épique d'un homme aux mille visages qui a tant nourri la culture occidentale. [Olivier Weber, envoyé spécial au Mont Sinaï pour Le Point 1631-1632] DECRYPTAGE Le passage de la mer Rouge (Exode 14, 19-23, 26-27, 29, 31) Nul texte ne mérite autant le nom de " fondateur ". Il évoque un épisode clé de l’histoire du peuple d’Israël, la justification de l’éthique juive. Côté chrétien, on y a vu la figure de la résurrection et du baptême. Mais, par-delà l’aspect religieux, il parle à quiconque veut se libérer ou se délivrer intérieurement. 1. Une lecture juive " C’est parce que les enfants d’Israël se disposèrent face à la mer Rouge selon l’ordre des douze tribus afin de préserver l’héritage des enfants de Jacob que Dieu suscita le miracle et les fit traverser la mer à pied sec. " (Midrash (1) Yalkout reouvéni sur Exode 14). Le miracle de la mer Rouge est là pour rappeler que les tribus d’Israël sont indissociables. On aurait pu penser que cette partition du peuple en douze tribus ait quelque peu perdu de son sens ou de son intérêt avec le temps, que les particularismes des pères fondateurs de la nation se soient estompés, progressivement, comme tous les particularismes, suivant en cela une pente naturelle. Et, sans doute, effectivement, au moment de quitter définitivement l’Egypte après des générations de servitude et d’assimilation, cette constitution du peuple en douze " familles " a-t-elle perdu de sa force originelle.
  • 49. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 49 Or la Torah réagit avec vigueur contre une telle évolution. Tout au long du chapitre 14 de l’Exode, le Midrash revient avec régularité sur cette formelle exigence : " C’est selon les tribus de vos pères que vous bénéficierez de l’ouverture de la mer Rouge et que vous hériterez de la terre d’Israël. " Les dernières lignes du Midrash résonnent encore de cette préoccupation : " Chacun des enfants d’Israël demeura attaché à l’héritage de ses pères et se rassembla devant la mer Rouge selon l’ordre des tribus. " Lorsque la Bible répète à l’envi " qu’aucun héritage chez les enfants d’Israël ne sera transporté d’une tribu à une autre " (Nombres 36, 7), elle témoigne sans doute d’un souci qui dépasse largement celui de la préservation du patrimoine de chaque tribu, du maintien de chacune dans les limites qui lui auront été imparties. C’est aussi de la persistance du caractère particulier de chaque tribu qu’il s’agit là. Le patrimoine spécifique de chacune doit trouver à s’exprimer encore dans l’enracinement sur une terre, dans la confrontation aux problèmes politiques. Epreuve décisive. Mais le souci de la Torah ne peut s’envisager comme une pure et simple volonté d’exacerbation des différences, qui ouvrirait vite le champ à l’émergence de petits nationalismes tatillons et jaloux, à vocation éventuellement hégémonique, qui risquerait de compromettre gravement toute idée d’unité. Elle désire, en fait, par la persistance de la notion de tribu, promouvoir une conception la plus aboutie et la plus exigeante qui soit de l’unité d’un peuple, mais une unité nationale qui ne soit pas une unité de façade. Celle d’un peuple qui soit un – en ceci que chaque individu y soit unique et irremplaçable – et arrive à s’intégrer à la dynamique collective tout en donnant pleinement sens à sa vie. Or ceci est loin d’aller de soi dans la pratique quotidienne. Pour qu’il devienne possible de se situer et d’évoluer dans une aire médiane, entre un individualisme exacerbé et sans partage qui ne permet à aucun projet collectif d’aboutir et un nationalisme exacerbé qui fait fi de tout particularisme, soumettant les individus, sans contrepartie, à la raison d’Etat. Les douze fils de Jacob représentent douze modalités différentes de vivre la Loi. Les douze tribus constituent la passerelle obligée entre l’individu et la nation. Mais ces figures pour être véritablement opérantes ne peuvent rester références livresques, modèles " mythiques ". Elles doivent continuer à s’incarner et à évoluer dans le temps. Car il ne s’est jamais agi de toute façon de reproduire et de perpétuer dans les tribus les caractéristiques propres des pères de ces dernières, telles quelles, sans nuances. Ces pères incarnent chacun des tendances, un style qui doit être infléchi progressivement jusqu’à être porté à un certain accomplissement dans son expression, au niveau du groupe, attaché à sa terre. Chaque tribu aura à cœur de s’accomplir dans son " style " propre, parachevant aussi l’œuvre des pères, assumant jusqu’au bout son mode d’existence spécifique. Assurant ainsi la transmission des valeurs patriarcales sous douze modes principaux qui doivent
  • 50. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 50 trouver à se conjuguer dans l’histoire, seule condition d’une perpétuation de l’héritage paternel dans son intégralité. Ainsi, au-delà de la seule exigence de coexistence pacifique, de respect mutuel dans la différence, on voit se profiler la nécessité de viser à une complémentarité pleinement acceptée, pleinement efficace, condition d’accès à la véritable unité. C’est ce qu’on voit s’ébaucher déjà chez les fils de Jacob. Des associations s’esquissent, bonnes ou mauvaises. Siméon et Lévi, "couple maudit " que Jacob voulait briser à tout prix (Genèse 49, 5-7). Issa’har et Zabulon dont l’association fructueuse se poursuivra de manière exemplaire. Dans le livre des Nombres, de nouveaux regroupements se font. Dans le camp d’Israël (chap. 2), les tribus sont subtilement disposées par groupe de trois autour du Tabernacle. Par cet " arrangement-là ", un sommet est atteint. Les fondements de l’unité du peuple sont valablement posés, la présence divine peut résider en son sein. Mais cette unité doit encore s’éprouver dans l’enracinement dans une terre. Là, il faudra plus que jamais déjouer les tentations nationalistes, laisser place à la diversité, dans l’unité. C’est pour cette raison que la Torah tient à ce que soit préservé ce regroupement par tribus. Et que le Midrash en souligne l’importance dès le passage miraculeux de la mer Rouge, acte fondateur de l’histoire d’Israël. (1) Midrash : commentaire homilétique de la Bible [Gilles Bernheim, grand rabbin de la synagogue de la Victoire, à Paris, et directeur du département Torah et Société du Consistoire de Paris- Publié le 1 mars 2004 - Le Monde des Religions n°4] 2. Une lecture chrétienne Par le passage de la mer Rouge, les Hébreux préparent la voie à ceux qui viendront après eux. Dans la liturgie de l’Eglise catholique, l’évocation du passage de la mer donne le coup d’envoi des célébrations pascales. Lors de la veillée du samedi soir, les fidèles se regroupent sur le parvis de l’église, allument le cierge pascal et l’introduisent dans l’église. Dans la pénombre, à la lueur des cierges, s’élève le chant de l’Exultet. Dans ce vieil hymne, dont certains éléments remontent jusqu’à Ambroise de Milan, on célèbre " la nuit où tu as tiré d’Egypte les enfants d’Israël, nos pères, et leur as fait passer la mer Rouge à pied sec. C’est la nuit où le feu d’une colonne lumineuse repoussait les ténèbres du péché (...) Voici la nuit où le Christ, brisant les liens de la mort, s’est relevé, victorieux, des enfers (...) Ô nuit de vrai bonheur, nuit où le ciel s’unit à la terre, où l’homme rencontre Dieu. "
  • 51. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 51 L’assemblée écoute et médite une série de textes bibliques : le poème de la création, la ligature d’Isaac, le passage de la mer, suivi du Cantique de Moïse. L’Exultet ainsi que la sélection de texte s’inspire du poème juif des quatre nuits qui marquent le monde : création, Abraham, Pâque, venue du Messie (Targoum Neofiti Exode 12,42). Après quelques autres lectures vient la liturgie baptismale. Le prêtre bénit l’eau : " Aux enfants d’Abraham, tu as fait passer la mer Rouge à pied sec, pour que le peuple d’Israël, libéré de la servitude, préfigure le peuple des baptisés (...) que vienne sur cette eau la puissance de l’Esprit saint, afin que tout homme qui sera baptisé, enseveli dans la mort avec le Christ, ressuscite avec le Christ pour la vie. " La Pâque chrétienne célèbre la résurrection du Christ, mais, comme on peut le constater, se situe également en continuité avec la Pâque juive. On y célèbre l’action de Dieu qui fait passer la mer Rouge à pied sec à nos pères et qui fait passer Jésus de la mort à la vie. Le passage de la mer est une image de la mort-résurrection de Jésus et une image du baptême. Jésus a été plongé dans la mort pour renaître à la vie. Le baptisé est plongé dans les eaux du baptême pour renaître à une vie nouvelle. " Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions, nous aussi, une vie nouvelle ", écrit Paul dans sa Lettre aux Romains (6, 4) Le passage de la mer est l’objet d’une lecture typologique. Cela signifie que les événements racontés dans la Bible servent d’exemple aux générations ultérieures et qu’elles sont des images de ce qui se réalisera en plénitude en Jésus-Christ. Un passage de sa Lettre aux Corinthiens illustre bien ce type d’exégèse. Paul apprend que certains Corinthiens sont gonflés d’orgueil. Ils s’imaginent que, parce qu’ils sont baptisés, ils peuvent tout se permettre y compris manger de la viande offerte aux idoles au risque de scandaliser les plus faibles. Paul leur rappelle que le salut n’est pas acquis une fois pour toutes. Pour preuve, ce qui s’est passé lors de la sortie d’Egypte : " Nos ancêtres ont tous été sous la protection de la colonne de nuée, et tous ont passé la mer Rouge. Tous, ils ont été pour ainsi dire baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer (...). Cependant, la plupart n’ont fait que déplaire à Dieu, et ils sont tombés au désert." (10,1-2, 5) " Baptisés en Moïse. " L’expression est étonnante. Elle signifie que Moïse est une figure du Christ. La colonne de nuée – colonne de nuée le jour pour leur ouvrir la route, colonne de feu la nuit, pour les éclairer, selon Exode 13,21 qui symbolise la présence de Dieu – et le passage de la mer sont des figures du baptême. Dans son sermon pour l’Epiphanie, saint Maxime de Turin (³ 415) commente : " La colonne de feu s’est avancée la première à travers la mer Rouge pour que les fils d’Israël marchent sur ses traces avec intrépidité. Elle a traversé les eaux en premier pour préparer la voie à ceux qui viendraient après elle. Ce fut là, dit l’Apôtre, un mystère préfigurant le baptême. Oui, ce fut comme un baptême, lorsque la nuée recouvrait les hommes, et que
  • 52. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 52 l’eau les portait. D’une façon plus populaire, les negro-spirituals ont repris cette idée, en associant le passage de la mer et le baptême. Terminons avec le diacre Ephrem (IVe siècle). Pour montrer la nouveauté apportée par le Christ, il associe dans la même joie pascale le réveil de la nature au printemps, le passage de la mer et la résurrection de Jésus. Voici un court extrait : " Au mois de Nisan, quand les fleurs emprisonnées sortirent de leurs boutons, les enfants à leur tour sortirent de leur chambre. C’était fête ; ils jubilèrent ensemble pour leur Beau Seigneur, les enfants et les fleurs (...) Au mois de Nisan, le mois exubérant qui engendre les chants, les enfants donnèrent leur voix, sans plus avoir de crainte (...) Avec l’agneau pascal, les enfants purent sortir et, comme des agneaux hors de l’enclos, ils bondirent en liberté. " (De Azymis XI). Pour en savoir plus : L’Exode. Ses relectures (Concilium, n°209) ; La Pâque et le passage de la mer dans les lectures juives, chrétiennes et musulmanes. Exode 12-14 (Cahiers Evangile Suppléments, n°92). [Joseph Stricher, prêtre du diocèse de Metz et directeur du Service biblique Evangile et Vie (SBEV) - Publié le 1 mars 2004 - Le Monde des Religions n°4] 3. Une lecture psy La délivrance du peuple hébreu parle à chacun de la sienne : l’être humain n’a pas vocation à rester sous dépendance d’autrui. " Quitter le lien de dépendance n’est pas évident. Quand j’y pense, un sentiment d’insécurité me submerge et me paralyse. Pourtant, ces derniers jours, une image s’est imposée. Je marchais et les eaux s’ouvraient devant moi. Il n’y avait rien d’autre à faire que d’avancer, seule. Alors le tracé se faisait, le sillon se creusait, les parois s’écartaient sur mon passage... Au-delà de la peur, je perçois une puissance qui me dépasse et me porte. " Marianne envisage de mettre un terme à sa relation trop étouffante avec son compagnon. Mais la décision lui est difficile à prendre. A-t-elle conscience que ses paroles renvoient à un récit de la Bible, l’Exode, et particulièrement au " passage de la mer des roseaux "? Les Hébreux cherchent, sous la conduite de Moshé, à échapper à la domination égyptienne. Devant le danger, l’effroi les saisit. Mais, par la grâce du dieu libérateur capable de fendre les eaux devant eux, ils parviennent à sortir de captivité. Cette histoire d’une délivrance parle à chacun de sa destinée. Car l’être humain n’a pas pour vocation de rester sous dépendance d’autrui. Il est appelé à naître à sa véritable identité. L’accouchement est un combat terrible entre les forces qui poussent vers l’avant et les besoins sécuritaires qui conduisent à se replier, quitte à accepter l’aliénation. Cette violence s’exprime en images évocatrices : face au pharaon, expression même du pouvoir qui tient en esclavage, les enfants d’Israël sont tétanisés. " Il nous plaît de servir les
  • 53. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 53 Egyptiens ! Mieux vaut pour nous les servir que de mourir dans le désert ! ", s’écrient-ils, désespérés. On peut les penser lâches. Mais combien de petites ou grandes compromissions ne sommes-nous pas prêts à faire pour échapper au risque de la solitude et au sentiment d’insécurité qui l’accompagne ? Malgré la haute opinion que l’être humain a souvent de lui-même, il lui est plus facile de rester sous la dépendance d’un autre plutôt que de s’en démarquer. Des expériences scientifiques ont fait apparaître sa propension à s’adapter à ce qu’une autorité lui demande. Cette aliénation, dont la plupart du temps il n’a pas conscience, lui vient de sa peur profonde de se retrouver seul, sans le secours d’une figure parentale, essentiellement maternelle, pour le protéger. L’épopée vécue par le peuple hébreu raconte comment, malgré cette angoisse première, chacun d’entre nous est appelé à suivre un chemin de libération. Il y est poussé par la vie même, par les forces de croissance en lui qui l’incitent à quitter le connu pour se propulser en avant, dans l’inconnu. Et s’il peut s’y engager, c’est parce qu’il y a une instance séparatrice, enracinée dans l’expérience de la présence paternelle face au " Tout " de l’univers matriciel. Les limites sont mises. La colonne de nuée s’interpose entre Israël et l’armée de pharaon. Le pouvoir phallique, symbolisé par le bâton levé de Moshé, fend les eaux. Plus forte que la peur existentielle, une puissance libératrice s’exprime, qui, en donnant sa loi d’altérité, permet le dégagement et l’advenue à soi. Tout ce qui reste de l’attitude infantile de dépendance va être emportée par les flots. L’être humain, désormais dégagé de l’emprise matricielle, peut marcher selon son désir propre. Ainsi en est-il de sa destinée quand il sait répondre avec confiance, par delà les angoisses viscérales, à l’appel à être qui monte du fond de lui. [Marie Romanens, psychanalyste - Publié le 1 mars 2004 - Le Monde des Religions n°4] Références Géographie. D’après le géographe Jean-Pierre Pinot, la mer Rouge semble devoir son nom à la prolifération épisodique d’une algue bleue... qui vire au rouge à sa mort. Des récifs coralliens sont présents au long de presque toutes les côtes ; ils sont particulièrement développés au Sud, où ils rendent la navigation dangereuse (voir Rouge (Mer) de l’Encyclopædia Universalis). Histoire. Dans les annales égyptiennes, il n’est fait aucune mention de la traversée de la mer Rouge évoquée par la Bible. Certains en déduisent qu’elle n’a pas de fondement historique. " D’autres avancent qu’il est peu raisonnable de penser qu’un peuple ait délibérément choisi l’esclavage comme récit des origines ; si cette tradition existe, c’est qu’elle est véridique. " (Histoire universelle des Juifs, sous la direction d’Elie Barnavi, Atlas-Hachette, 1992). Deux choses paraissent certaines : les événements rapportés par l’Exode " n’ont eu qu’une portée modeste " du point de vue de l’histoire égyptienne (Anne- Marie Pelletier dans Lectures bibliques, aux sources de la culture occidentale, Nathan- Cerf, 1995). Et, s’il y a eu sortie d’Egypte pour le peuple d’Israël, elle s’est effectuée avant
  • 54. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 54 la fin du XIIIe siècle avant notre ère. Pâque. Ce texte constitue la "référence majeure de la mémoire biblique " (Anne-Marie Pelletier). L’événement, rappelé chaque jour par la liturgie juive, donne sa signification à la fête de la Pâque, qui célèbre la délivrance d’Israël de l’asservissement à l’Egypte. Liturgie. La libération d’Israël a une contrepartie : la mort des premiers-nés égyptiens. Elle garde donc, écrit Anne-Marie Pelletier, " la saveur amère d’un drame ". C’est pourquoi la liturgie juive de la Pâque prévoit de retirer quelque chose de la coupe rituelle de la joie, en souvenir des morts égyptiens. Musique. A Gioacchino Antonio Rossini, le compositeur italien auteur du Barbier de Séville, on doit l’opéra Moïse en Egypte (deux versions, en1818 et 1827), qui évoque le passage de la mer Rouge. Littérature. L’écrivain Théophile Gautier (1811-1872) rêva d’Egypte toute sa vie. Il eut l’opportunité d’accompagner l’impératrice Eugénie à l’inauguration du canal de Suez. Il rapporta du voyage la matière du Roman de la Momie (1857) qui donne à la traversée de la mer Rouge rapportée par l’Exode l’ampleur d’une épopée. L’ouvrage conte l’histoire des amours de la belle Egyptienne Tahoser avec un jeune Hébreu. Dessin. Toujours dans la même veine romantique, le célèbre Gustave Doré (1632-1663) a consacré une série de gravures à l’épisode biblique. Un siècle plus tard, ce fut au tour de Marc Chagall de le représenter, mais dans un tout autre esprit. Voici comment Anne-Marie Pelletier résume ce tableau que nous reproduisons : " On y voit le roi David et le Crucifié encadrant l’ange qui ouvre le chemin. Moïse étend la main sur les eaux, au milieu desquelles se pressent la foule d’Israël et celle d’Egypte. " Puissance de l’évocation ! Mont Nébo Le tombeau de Moïse Situé en Jordanie, le mont Nébo domine la Terre promise aux enfants d'Israël. Selon la Bible, le prophète Moïse s'y est rendu juste avant de mourir. Depuis le Jourdain, il faut emprunter une route sinueuse qui grimpe vers le massif des Abarim. Aucune trace de civilisation ne jalonne le parcours hormis quelques moutons occupés à traquer les rares touffes de verdure. Puis, tranchant avec ce relief aride, surgit le mont Nébo, piqué de centaines de pins et d'oliviers. Nous sommes à 817 mètres d'altitude et une gentille brise balaye le site biblique. Le mont Nébo marque la fin du voyage pour Moïse, dont l'existence est affirmée par une seule source historique, la Bible. Durant quarante ans d'errance dans le désert, depuis la sortie d'Égypte, raconte la Bible, il a présidé aux destinées des Hébreux, son peuple qui s'apprête à entrer en Terre promise. De ce sommet du massif des Abarim, le prophète embrasse du regard le pays de Canaan. « Et le seigneur lui montra tout le pays : le Galaad jusqu'à Dan, tout Nephtali, le pays d'Éphraïm et de Ménassé, tout le pays de Juda jusqu'à la mer Postérieure, le Néguev, la plaine, la ville de Jéricho, ville de palmiers, jusqu'à Tsoar » (Deutéronome, 34). Aujourd'hui, au sommet du mont Nébo, une table d'orientation permet de situer les lieux que le prophète a pu contempler il y a trente-trois siècles. Jéricho et ses palmiers sont bien là, juste en face, à une vingtaine de kilomètres à
  • 55. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 55 vol d'oiseau. Sur la gauche, on aperçoit le Jourdain qui se jette dans la mer Morte. Sur la droite, au nord, les monts de Samarie, la Cisjordanie, où s'encastrent Ramallah et Naplouse. Et au loin, vers l'horizon, on distingue les gratte-ciel de Jérusalem qui percent la brume. Hormis ces traces éparses de civilisation, le paysage n'est que désert brûlant. « Voici le pays que j'ai promis à Abraham, Isaac et Jacob », dit l'Éternel à Moïse. Selon les commentaires rabbiniques, Dieu ne lui montre pas seulement la géographie d'Israël mais aussi son histoire. Du mont Nébo, Moïse aurait en effet vu défiler les événements que vivront toutes les générations jusqu'à la délivrance finale. Puis il meurt, sans avoir pourtant foulé la terre d'Israël. « Je te l'ai fait voir de tes yeux mais tu n'y entreras pas », l'avait prévenu le Seigneur. Une terrible sentence qui sanctionne un accès de colère du prophète, relaté dans le chapitre 20 du livre des Nombres. Arrivés dans le désert de Cîn, les Hébreux manquent d'eau et se rebellent contre leur guide. Ils lui reprochent de les avoir fait sortir d'Égypte pour les laisser mourir de soif dans le désert. Ulcérés devant tant d'ingratitude, Moïse et son frère Aaron se tournent vers Dieu. L'Éternel ordonne alors à son prophète de parler à un rocher afin d'en faire jaillir de l'eau. Mais au lieu de se contenter d'une parole, Moïse frappe rageusement le rocher à deux reprises en invectivant le peuple. Hommes et bêtes boiront mais Dieu reprochera à Moïse ce courroux. « Puisque vous n'avez pas eu confiance en moi pour me sanctifier aux yeux des enfants d'Israël, aussi ne conduirez-vous pas ce peuple dans le pays que je leur ai donné », dit-il aux deux frères. Aaron meurt peu avant l'arrivée des Hébreux au mont Nébo. Sa tombe, dit la tradition, se trouve à une centaine de kilomètres plus au sud, non loin de Pétra. Moïse, lui, conduit son peuple jusqu'aux portes de la Terre promise, à quelques encablures du Jourdain qui sépare le pays de Moab de celui de Canaan. Il sait que l'Éternel ne reviendra pas sur sa décision. De fait, immédiatement après la description du panorama du mont Nébo, la Bible poursuit : « Là mourut Moïse, serviteur du Seigneur, dans le pays de Moab, sur l'ordre du Seigneur. » Puis suit cette précision troublante : « Il l'enterra dans la vallée. » L'exégèse classique considère que « Il » désigne Dieu, qui procéda lui-même à l'inhumation de son prophète. À quel endroit précisément ? Les Juifs s'interdisent de le savoir. La recherche de la sépulture de Moïse constitue même un grave péché. Le Talmud, dans le traité de Sota, raconte qu'un odieux gouvernement a envoyé un jour des émissaires pour localiser la tombe de Moïse. Quand ils montèrent sur le mont Nébo, le tombeau leur apparut en bas. Descendus, ils crurent le distinguer cette fois sur le sommet. Ils se partagèrent finalement en deux groupes. Mais ceux qui se trouvaient en bas juraient qu'il se trouvait en haut. Et ceux du haut le voyaient en bas. La Bible n'affirme-t-elle pas que « nul n'a connu son tombeau jusqu'à ce jour » ? Les commentateurs bibliques se sont beaucoup interrogés sur les raisons d'un tel mystère alors même que le texte indique explicitement que Moïse s'est éteint sur le mont Nébo. Pour le Talmud, ce secret ne garantit rien de moins que la survie du peuple juif. Car Dieu savait que le Temple de Jérusalem allait un jour être détruit et les enfants d'Israël exilés. Grande aurait alors été la tentation de venir implorer la clémence divine sur la tombe de Moïse. L'intercession de ce juste parfait aurait forcé l'Éternel à obtempérer, à sauver le
  • 56. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 56 Temple. Et cette mansuétude aurait été fatale, estime le Talmud. Car Dieu a sacrifié le Temple afin d'expier les fautes du peuple juif. À défaut, il aurait dû détruire le peuple lui- même. Une autre question interpelle les commentateurs de la Bible : comment expliquer l'extrême sévérité de la punition divine condamnant Moïse à se contenter du sublime panorama du mont Nébo ? À chaque étape de l'Exode, Moïse a amplement prouvé sa fidélité à Dieu et sa capacité à guider ce peuple à la nuque raide. « Il ne s'est plus levé en Israël de prophète tel quel Moïse », dit d'ailleurs le texte. Comment, pour un malheureux coup de bâton, l'Éternel peut-il le priver de la Terre promise ? « Un prophète ne doit jamais désespérer de son peuple, rappelle Élihaou Atlhan, professeur d'histoire juive, spécialiste des lieux bibliques. Il a le devoir de faire preuve de patience et d'amour envers son prochain, d'où la gravité de sa faute. En outre, en faisant mourir Moïse, Dieu entend signifier au peuple que s'achève la période des miracles incessants. Après deux cents ans d'esclavage en Égypte, les Hébreux se sont désormais refait une santé. Descendus du mont Nébo et orphelins de Moïse, ils doivent surtout compter sur leurs propres forces pour conquérir le pays d'Israël. » À la faveur de l'accord de paix signé avec la Jordanie en 1994, les Juifs d'Israël viennent de plus en plus nombreux au mont Nébo, attirés par la charge symbolique du lieu, et aussi par sa beauté. Les musulmans, qui reconnaissent en Moïse un des prophètes de l'islam, l'honorent de l'autre côté du Jourdain, près de Jéricho, dans le sanctuaire de nabi Moussa, le prophète Moïse. Si les Juifs s'interdisent de chercher la tombe de Moïse, la chrétienté se passionne très tôt pour le mont Nébo. Dès la fin du IVe siècle, les Byzantins y érigent une petite église, bourgeon d'un vaste complexe religieux comprenant notamment une basilique à trois nefs. Au VIIe siècle, le mont Nébo constitue une étape prisée des pèlerins chrétiens en Terre sainte. Depuis 1933, sous la direction des Franciscains de Terre sainte, propriétaires des lieux, le mont Nébo fait l'objet de fouilles continuelles. Plusieurs bâtiments ont été mis au jour ainsi que des mosaïques de l'époque byzantine. Un petit monastère abrite franciscains et archéologues. Au lieu supposé de la tombe de Moïse, se dresse une grande croix autour de laquelle s'enroule le serpent d'airain. « C'est ici que Moïse a été déposé par les anges, puisque comme il est écrit, "aucun homme ne connaît sa sépulture" », explique, au IVe siècle, un des moines du mont Nébo à la pèlerine Égérie. En 2000, à l'occasion du jubilé, le pape Jean Paul II se rend au mont Nébo et y prononce ces mots : « Ici, sur les hauteurs du mont Nébo, je commence cette phase de mon pèlerinage jubilaire. Je pense à la grande figure de Moïse et à l'alliance que Dieu établit avec lui sur le mont Sinaï. Je rends grâce à Dieu pour le don ineffable de Jésus-Christ, qui scella la nouvelle alliance avec son propre sang et qui porta la Loi à son accomplissement. À Lui, qui est "l'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin" (Ap 22, 13), je dédie chaque pas de ce voyage sur la terre qui fut la sienne. » [STEPHANE AMAR - Publié le 1 mars 2008 - Le Monde des Religions n°28]
  • 57. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 57 Chapitre 3 La conquête de Canaan (Josué) Après avoir subi l'esclavage égyptien pendant des générations, après quarante ans d'errance dans le désert, les Israélites sont enfin parvenus à la frontière de Canaan, sur la rive opposée du fleuve qui les sépare de la terre de leurs ancêtres, Abraham, Isaac et Jacob. Dieu leur a donné l'ordre de nettoyer la Terre sainte de toute trace d'idolâtrie, ce qui signifie l'annihilation intégrale des Cananéens. Menés par Josué - un général remarquable, particulièrement doué pour la surprise tactique -, les Israélites volent de victoire en victoire, en une série impressionnante de sièges et de batailles rangées. I. Les trompettes de Jéricho (Jos 2 et 6) Près de la rive opposée du Jourdain, se trouve la ville de Jéricho, dont les Israélites doivent s'emparer pour y établir une tête de pont. Tandis que le troupes israélites se préparent à franchir le fleuve, Josué envoie deux espions pour recueillir des renseignements sur les forces de l'ennemi et la sûreté des fortifications (Jos 2). Les informations (obtenues auprès d'une prostituée nommée Rahab) que rapportent les espions sont encourageantes: la nouvelle de l'approche des Israélites terrorise déjà les habitants. Le peuple d'Israël traverse le Jourdain, précédé de l'Arche d'alliance. L'épisode de la prise de Jéricho est trop célèbre pour en refaire le récit détaillé: les Israélites, suivant en cela les instructions de Dieu transmises par l'intermédiaire de Josué, marchent en procession autour des hautes murailles de la cité; au septième jour, une puissante sonnerie de trompettes fait crouler les murailles qui protégeaient Jéricho (Jos 6). II. La conquête de Aï (Jos 8,1-29) Le prochain objectif est la cité d'Aï, proche de Béthel, située dans les hautes terres de Canaan, sur l'une des voies principales menant de la vallée du Jourdain aux régions montagneuses. Cette fois-ci, plutôt que de recourir de nouveau au miracle, la ville sera conquise grâce à l'habileté tactique de Josué, digne des guerriers grecs lors de la prise de Troie. Josué range le plus gros de ses troupes en ordre de bataille à l'est de la ville et lance un défi aux défenseurs; au même moment, en secret, une embuscade se prépare du côté ouest. Tandis que les défenseurs d'Aï sortent en force pour engager le combat avec les Israélites et les poursuivre dans le désert, les unités israélites embusquées pénètrent dans la ville laissée sans défense et l'incendient. Josué, qui d'abord simule la retraite, fait demi-tour avec ses troupes, massacre tous les habitants, s'empare du bétail et d'un important butin, et pend ignominieusement le roi vaincu à un arbre. III. Alliance avec les Gabaonites (Jos 9) La panique s'empare des habitants des autres villes de Canaan. A la nouvelle du sort réservé aux populations de Jéricho et d'Aï, les Gabaonites, qui vivent dans quatre villes
  • 58. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 58 situées au nord de Jérusalem, envoient des émissaires à Josué pour implorer sa grâce. Ils se présentent comme des étrangers au pays (Dieu n'ayant ordonné l'extermination que des autochtones); aussi Josué accepte-t-il de passer un traité de paix avec eux. Quand on lui révèle que les Gabaonites lui ont menti et qu'ils sont natifs de l'endroit, Josué les châtie en les condamnant à servir les Israélites comme "fendeurs de bois et porteurs d'eau" (Jos 9,27). IV. Coalition contre Israël (Jos 10 et 11) Les victoires initiales remportées par les envahisseurs israélites contre Jéricho et les villes des régions du centre provoquent l'inquiétude des souverains les plus puissants de Canaan. Le roi de Jérusalem, Adoni-Cédeq, forme une alliance militaire avec le roi d'Hébron, ville située dans les hautes terres méridionales, et les rois de Yarnut, de Lakish et d'Eglôn, villes situées sur les contreforts de la Shefelah, à l’ouest. Les rois cananéens rassemblent leurs forces autour de Gabaôn. En un mouvement éclair, après une marche nocturne forcée depuis la vallée du Jourdain, Josué fond à l’improviste sur l’armée de la coalition hiérosolymite. Prises de panique, les forces cananéennes fuient vers les hauteurs de Bet-Horôn, vers l’ouest. Pendant leur fuite, Dieu fait pleuvoir sur eux d’énormes grêlons et « il en mourut plus sous les grêlons que sous le tranchant de l’épée des Israélites » (Jos 10,11). Le soleil décline à l’horizon, mais le juste massacre des ennemis n’étant pas terminé, Josué se tourne vers Dieu, en présence de l’armée d’Israël, pour le supplier d’arrêter la course du soleil jusqu’à l’accomplissement intégral de la volonté divine. « Le soleil se tint immobile au milieu du ciel (…). C’est que Yahvé combattait pour Israël » (Jos 10,13-14). Les rois en fuite sont capturés et passés au fil de l’épée. Josué poursuit sa campagne et anéantit les cités cananéennes des régions méridionales du pays, qu’il conquiert au bénéfice du peuple d’Israël. C’est dans le nord que sera porté le coup final. Une coalition des rois cananéens, menée par Yabîn, roi d’Haçor, « un peuple nombreux comme le sable au bord de la mer, avec une énorme quantité de chevaux et de chars » (Jos 11,4) affronte les Israélites en une bataille rangée quelque part en Galilée. Les forces cananéennes sont écrasées. Haçor, la cité la plus importante de Canaan, « jadis capitale de tous ces royaumes » (Jos 11,10), est prise d’assaut et détruite par le feu. V. L’héritage de la Terre promise (Jos 11,23 et suivants) La totalité de la Terre promise est entre les mains des Israélites, des déserts méridionaux aux pics enneigés du mont Hermon, au septentrion. La promesse divine est accomplie. Tous les Cananéens et autres peuplades indigènes ont été éradiqués. Alors « le pays se reposa de la guerre » (Jos 11,23). Les enfants d’Israël peuvent s’installer à demeure et se partager, tribu par tribu, la terre que Dieu leur a donnée en héritage. Ruben, Gad et la moitié de Manassé reçoivent les territoires situés à l’est du Jourdain ; les autres tribus s’installent à l’ouest du fleuve. Nephtali, Asher, Zabulon et Issachar se partagent les hautes terres et les vallées de Galilée. L’autre moitié de la tribu de Manassé, Ephraïm et
  • 59. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 59 Benjamin reçoivent le plus gros des hautes terres du centre, qui partent de la vallée de Jezréel, au nord, à Jérusalem, au sud. A Juda sont attribuées les hautes terres du sud, de Jérusalem à la vallée de Beersheba. Siméon reçoit la zone aride de la vallée de Beersheba et la plaine littorale avoisinante. Initialement, Dan devait hériter de la plaine littorale, mais finalement lui sera octroyé un territoire dans le nord du pays. Cette dernière migration achève de dessiner la carte de la Terre sainte. En contradiction avec cette proclamation triomphale de victoire totale, le livre de Josué rapporte que de larges portions de territoires restent à conquérir, notamment « tous les districts des Philistins » (Jos 13,1-6). [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 121 à 125 et 157 – filio127histoire] Comment les Hébreux sont-ils entrés en Israël ? Ce que dit la Bible Selon le livre de Josué, celui-ci a exterminé la population autochtone et redistribué le pays aux tribus d'Israël. Ce que dit l'historien Il n'y a pas de preuve archéologique d'une conquête militaire ou des destructions massives à la fin du IIe millénaire avant notre ère. La plupart des futurs Israélites sont issus de la population autochtone. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
  • 60. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 60 Chapitre 4 Le temps des Juges (Les Juges ; 1er Livre de Samuel 1 à 7) De nombreuses années de combats incessants nous attendent. Le message de Dieu est limpide : tant que le peuple d’Israël se tiendra à l’écart de la population locale, il sera récompensé. Malheureusement pour lui, le peuple fait la sourde oreille… I. Les Juges (Jg) Seule l’intervention de chefs pieux et divinement inspirés, appelés les « Juges », sauve Israël, au moins temporairement, de la perfidie totale (Jg 2,11-19). Les héros les plus hauts en couleur de la Bible, ainsi que des scènes inoubliables, se succèdent. Otniel, frère de Caleb triomphe à lui tout seul des féroces armées d’un mystérieux ennemi, le « roi d’Edom », nommé Kushân-Risheatayim (Jg 3,7-11). Ehud, le Benjamite, tue, sans la moindre crainte, Eglôn, le roi de Moab, aussi obèse que ridicule, dans son appartement privé (Jg 3,12-30). Shamgar pourfend à lui seul six cents Philistins de son aiguillon à bœuf (Jg 3,31). Débora et Baraq soulèvent les tribus israélites contre la menace des rois cananéens du nord ; l’héroïque Yaël, la femme d’Héber le Qénite, tue le général cananéen Sisera en lui plantant un piquet de tente dans la tempe pendant son sommeil (Jg 4,1 – 5,31). Gédéon le Manassite purifie la terre de l’idolâtrie et protège son peuple contre les raids des Madianites (Jg 6,1 – 8,28). Sans oublier, comme il se doit, Samson, le fameux héros de Dan ; après avoir été séduit puis trahi par la fourbe Dalila, la Philistine, aveugle et humilié, Samson se donne la mort à Gaza en faisant crouler sur ses ennemis philistins rassemblés les colonnes du grand temple de Dagôn (Jg 13,1 – 16,31). II. La fin des Juges (1S 1 – 7) Mais les armées philistines alliées mettent en déroute, sur le champ de bataille, les troupes confédérées des tribus israélites. Les Philistins s’emparent de l’Arche d’alliance et l’emportent comme trophée de guerre. Guidés par le prophète Samuel, prêtre du sanctuaire de Silo (situé à mi-chemin entre Jérusalem et Sichem), les Israélites finissent par recouvrer l’Arche, qui sera ramenée et installée au village de Qiryat-Yéarim, sis à l’ouest de Jérusalem. (1S 4 – 5). Mais l’époque des Juges est clairement révolue. La puissance militaire qui menace aujourd’hui le peuple d’Israël l’oblige à rassembler ses forces autour d’un commandement unique et permanent. [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 158 à 159 et 196 à 197 – filio127histoire]
  • 61. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 61 Chapitre 5 Une dynastie royale pour Israël (1er Livre de Samuel 8 et suivants ; 2ème Livre de Samuel ; 1er Livre des Rois 1 à 12,24 ; 1er Livre des Chroniques 10 à 29 ; 2ème Livre des Chroniques 1 à 9) Israël connaît une crise militaire d’une exceptionnelle gravité. Les anciens réunis chez Samuel, à Rama, au nord de Jérusalem, le prient de choisir un roi pour Israël, « comme toutes les nations ». I. Un roi pour Israël : Saül (1025-1005 av. J.-C.) (1S 8 – 15) Samuel les met en garde contre les dangers de la royauté, dans l’un des passages les plus antimonarchiques de la Bible (1S 8,10-18), mais Dieu lui ordonne de satisfaire la demande du peuple. Dieu lui révèle également son choix : le premier roi d’Israël sera Saül, fils de Qish, de la tribu de Benjamin. Saül est un beau jeune homme et un brave guerrier. Mais ses doutes et son mépris naïf des préceptes divins qui régissent le sacrifice, le partage du butin et d’autres commandements (1S 15,10-26) provoqueront sa chute et son rejet. Ils le conduiront finalement au suicide, sur le mont Gelboé, où les Israélites sont, une fois de plus, mis en déroute. II. Ascension de David et déclin de Saül (1S 16 – 31) Du temps que Saül régnait sur Israël, il ignorait que son successeur avait déjà été choisi. En effet, un beau jour, Dieu avait ordonné à Samuel de se rendre chez Jessé, à Bethléem, en lui disant (1S 16,1) : « Je me suis choisit un roi parmi ses fils ». Ce sera au plus jeune, un beau pâtre aux cheveux roux nommé David, qu’il incombera d’apporter le salut à Israël. En premier lieu, David fait la démonstration éclatante de ses prouesses de guerrier. Les Philistins se sont à nouveau rassemblés pour combattre Israël. Les deux armées se font face dans la vallée du Térébinthe (Elah), dans la Shefelah. Les Philistins possèdent une arme secrète : un guerrier gigantesque, nomme Goliath, qui nargue le Dieu d’Israël et qui défie en combat singulier le champion israélite. La terreur gagne le cœur des hommes de Saül, mais le jeune et intrépide David, que son père a envoyé porter des provisions à ses trois frères aînés qui servent dans les rangs de l’armée de Saül, relève courageusement le défi. Il lance à Goliath : « Tu marches contre moi avec épée, lance et cimeterre, mais moi je marche contre toi au nom de Yahvé ! » (1S 17,45). Prenant un galet dans son sac de berger, David le tire avec sa fronde, atteint Goliath en plein front, qui s’effondre, tué sur le coup. Les Philistins se débandent. David, le nouveau héros d’Israël, se lie d’amitié avec Jonathan, fils de Saül, et épouse Mikal, la fille du roi. David est proclamé le plus grand héros d’Israël, plus grand même que le roi Saül. Les acclamations enthousiastes de ses admirateurs, « Saül a tué ses milliers, et David ses myriades » (1S 18,7), provoquent la jalousie de Saül. Sous peu, David sera contraint de contester l’autorité de Saül et de revendiquer le trône d’Israël.
  • 62. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 62 David échappe à la fureur assassine de Saül et devient le chef d’une bande de hors-la-loi et de mercenaires ; les miséreux, les pauvres gens criblés de dettes trouvent refuge auprès de lui. David et sa bande maraudent sur les contreforts de la Shefelah, dans le désert et dans la zone frontalière méridionale des collines judéennes, hors de portée du centre de pouvoir du royaume, situé au nord de Jérusalem. Au cours d’une bataille contre les Philistins, sur le mont Gelboé, au nord, les fils de Saül sont tués par l’ennemi et leur père se donne la mort. David s’empresse alors de gagner l’antique cité d’Hébron, où le peuple de Juda le proclame roi. Ainsi débutent le règne et la lignée du grand David, prémices de la glorieuse monarchie unifiée. III. David, roi d’Israël (1005-970 av. J.-C.) (2S 1 – 1R 2,11) Dès que David et ses troupes eurent nettoyé les quelques poches de résistance des anciens supporters de Saül, les représentants de toutes les tribus se rassemblent à Hébron pour déclarer David roi de tout Israël. A l’issue de sept ans de règne, à Hébron, David marche en direction du nord et s’empare de la place forte jébuséenne de Jérusalem – qu’aucune tribu n’avait jusqu’alors réclamée. Il en fait sa capitale. Il y installe l’Arche d’alliance qu’il a fait venir de Qiryat-Yéarim. Alors Dieu fait à David la promesse suivante (2S 7,8-16) d’autant plus surprenante qu’elle est inconditionnelle : « Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant moi, ton trône sera affermi à jamais ». David se lance dans une guerre éclair de libération et d’expansion. Une série de batailles victorieuses auront raison des Philistins ; il défait les Ammonites, les Moabites et les Edomites de Transjordanie ; ses campagnes s’achèvent par la soumission des Araméens, dans les régions lointaines du Nord. Après un retour triomphal à Jérusalem, David règne sur un vaste territoire, bien plus étendu que l’héritage attribué à l’origine aux tribus d’Israël. Mais David, même parvenu au faîte de sa gloire, ne connaîtra pas la paix. Des conflits familiaux éclatent – dont une rébellion de son fils, Absalom –, qui menacent gravement l’avenir de sa dynastie. Peu avant la mort de David, le grand prêtre Sadoq oint Salomon, qui sera le prochain roi d’Israël. IV. La sagesse du roi Salomon (970-931 av. J.-C.) (1R 2,12 – 1R 10,29) Salomon, à qui Dieu fait don « d’une sagesse et d’un discernement incommensurables », affermit la dynastie davidique et organise son empire, qui s’étend de l’Euphrate à la terre des Philistins et aux frontières de l’Egypte (1R, 4,24). Il enrichit sa formidable trésorerie grâce à un système ingénieux de taxations, de corvées exigées de la part de chaque tribu d’Israël, et de fructueuses relations commerciales avec les contrées exotiques du Sud. En hommage à sa célébrité et à sa sagesse, la légendaire et mystérieuse reine de Saba lui rend visite à Jérusalem avec une caravane chargée de fabuleux présents. Le plus grand accomplissement de Salomon sera son activité de constructeur. A Jérusalem, il bâtit un Temple magnifique et richement décoré en l’honneur de YHWH, qu’il inaugure en grande pompe et auquel il joint un splendide palais. Il fortifie Jérusalem, ainsi
  • 63. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 63 que les centres régionaux d’Haçor, de Médigo et de Gézér. Il entretient des écuries de quarante mille stalles pour abriter les chevaux destinés à ses quatorze mille chars et à ses douze mille cavaliers. Il conclut un marché avec Hiram, le roi de Tyr, qui lui expédie des cèdres du Liban pour la construction du Temple et qui sera son associé pour ses entreprises commerciales d’outre-mer. La Bible résume ainsi la réputation de Salomon : « Le roi Salomon surpassa en richesse et en sagesse tous les rois de la terre. Tous les rois de la terre voulaient être reçus par Salomon pour profiter de la sagesse que Dieu lui avait mise au cœur » (1R 10,23-24). V. Le péché de Salomon (1R 11,1-13) Salomon est certes dépeint comme l’un des plus grands rois de tous les temps, mais il n’en est pas moins un impie, qui a introduit des femmes étrangères dans son harem. Or, YHWH a formellement interdit ce genre de liaison. Le châtiment guette inéluctablement l’héritier davidique qui n’obéit pas « comme son père David ». Ainsi, par la faute de Salomon, la promesse originelle faite à David est compromise, sans être annulée pour autant. VI. Annonce du schisme à Jéroboam (1R 11,14-43) La deuxième prophétie concerne le « serviteur » de Salomon, destiné à régner à la place de David. Il s’agit de Jéroboam, fils de Nebat, un Ephraïmite qui servit dans l’administration de Salomon comme officier chargé de la réquisition des hommes de corvée parmi les tribus nordistes. Un jour, sortant de Jérusalem, il rencontre la prophète Ahiyya, de Silo, qui déchire son manteau en douze morceaux, dont dix qu’il donne a Jéroboam. La prédiction d’Ahiyya est aussi sombre que fatidique : YHWH laissera Jéroboam gouverner sont Etat aussi longtemps que ce dernier fera ce qui est juste aux yeux de Dieu. VII. La fin du royaume unifiée (1R 12,1-24) A la mort de Salomon, au moment de l’accession au trône de son fils Roboam, les Nordistes supplient ce dernier de bien vouloir alléger leur fardeau. Mais l’arrogant Roboam, dédaignant l’avis modéré de ses conseillers les plus sages, réplique aux envoyés du Nord ces paroles devenues célèbres : « Mon père a rendu pesant votre joug, moi j’ajouterai encore à votre joug ; mon père vous a châtiés avec des lanières, moi je vous châtierai avec des fouets à pointes de fer » (1R 12,14). L’étendard de la révolte est déployé et les Nordistes se rallient en masse à l’appel pour la sécession (1R 12,16). Ils lapident le chef de la corvée de Roboam. Ce dernier, terrorisé, se réfugie aussi vite que son char le lui permet à Jérusalem. Les Nordistes se rassemblent pour se choisir un monarque ; ils jettent leur dévolu sur Jéroboam. La monarchie unifiée de David et Salomon est démantelée. Deux royaumes indépendants se forment : d’un côté, Juda, gouverné à Jérusalem par la dynastie de David, avec son territoire réduit à la partie méridionale de la région montagneuse du centre ; de l’autre, Israël, qui contrôle les vastes territoires du Nord.
  • 64. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 64 [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 197 à 201 ; 252 et 253 ; 234 – filio127histoire] David et Salomon, ont-ils existé et ont-ils régné « de l'Euphrate jusqu'au ruisseau d'Égypte » ? Ce que dit la Bible Les livres de Samuel et des Rois indiquent que leur royaume couvrait le Croissant fertile ; d'autres textes parlent seulement d'une étendue « de Dan à Beersheba ». Ce que dit l'historien Il est impossible d'imaginer un royaume israélite allant jusqu'à l'Euphrate : il s'agit sans doute de la province perse du Transeuphratène, décrite dans la Bible de manière légendaire. Certains historiens mettent en doute l'historicité de David et de Salomon. Il est probable que David ait existé. Salomon, lui, pourrait être une figure légendaire. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
  • 65. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 65 Chapitre 6 Israël, le royaume du Nord (931-722 av. J.-C.) (1er Livre des Rois 12,25 et suivants ; 2ème Livre des Rois 1 à 17) Au lendemain des règnes glorieux de David et de Salomon, sous lesquels Jérusalem gouvernait un Israël unifié qui baignait dans une prospérité et une puissance sans précédent, les tribus des hautes terres du Nord et de la Galilée font sécession. Suivent deux cents ans de division qui opposent Israël, au nord, à celui de Juda, au sud. C’est l’histoire d’une division tragique, marquée, au nord, par la violence et l’idolâtrie. Les populations du Nord subiront le châtiment ultime : la destruction de l’Etat et l’exil des dix tribus septentrionales. I. Jéroboam 1er, roi d’Israël (931-909 av. J.-C) (1R 12,25 à 14,20) La première capitale du royaume du Nord est établie à Tirça, située au nord-est de Sichem. Le nouveau roi nordiste, Jéroboam 1er, décide de construire des sanctuaires qui rivaliseront avec le Temple de Jérusalem ; il fait couler deux veaux d’or, qu’il placera dans des sanctuaires aux extrémités nord et sud du royaume, à Béthel et à Dan. Alors que Jéroboam prépare à officier au sanctuaire de Béthel, lors d’une fête automnale, destinée sans doute à divertir l’attention des pèlerins des célébrations concurrentes de Jérusalem, se présente à lui un personnage prophétique, que la Bible se contente de nous présenter comme un « homme de Dieu » (1R 13,1-2). La prédiction de cet « homme de Dieu » révèle le nom du roi de Juda qui, trois siècles plus tard, va démolir le sanctuaire, tuer ses prêtres et souiller l’autel avec leurs restes humains. La prédiction impressionne fortement Jéroboam ; peu après, son fils Abiyya tombe malade. La femme de Jéroboam 1er se rend en hâte à l’ancien culte de Silo pour s’entretenir avec le prophète Ahiyya – celui-là même qui avait prédit que Jéroboam 1er allait bientôt régner sur les dix tribus du Nord. Loin d’apaiser l’inquiétude de la mère, Ahiyya lui fait une autre prédiction, terrifiante (1R 14,7-16) : « (…) j’(YHWH) exterminerai tous les mâles de la famille de Jéroboam (…) ». II. L’accomplissement de la prophétie (909-884 av. J.-C.) (1R 15,25 à 16,22) A l’issue des vingt-deux années de règne de Jéroboam 1er, son fils Nabab, qui lui avait succédé, est renversé par un coup d’état militaire au cours duquel tous les membres de la maison de Jéroboam sont massacrés – ce qui accomplit la prédiction du prophète Ahiyya. Basha, le nouveau roi, probablement un ex-officier de l’armée, fait aussitôt montre d’ardeur belliqueuse en déclarant la guerre au royaume de Juda et en marchant avec ses troupes contre Jérusalem. Mais l’invasion de son propre royaume par le roi de Damas, Ben-Hadad, le contraint à relâcher la pression sur le royaume du Sud.
  • 66. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 66 Peu après la mort de Basha, son fils, Ela, est déposé par un nouveau coup d’état, au cours duquel ce sera au tour de la maison de Basha d’être annihilée (1R 16,8-11). Mais le règne du chef rebelle Zimri, un commandant de chars, ne durera que sept jours. En effet, le peuple d’Israël se soulève et proclame Omri commandant en chef des armées, roi d’Israël. Le siège de Tirça et le suicide de Zimri, l’usurpateur, dans l’incendie du palais royal, accordent l’avantage à Omri et lui permettent de fonder une dynastie qui sera destinée à régner sur le royaume du Nord pendant les quarante ans qui suivent. III. Ascension et chute des Omrides (884-842 av. J.-C.) (1R 16,23 à 22,40 ; 1R 22,52 et suivants ; 2R 1 à 9) Durant les douze années de son règne, Omri se construit une nouvelle capitale à Samarie et consolide les fondements de sa dynastie. Son fils Achab montera sur le trône et règnera sur Israël pendant vingt-deux ans. Sa célèbre épouse, Jézabel, qui l’induit à l’apostasie (1R 16,30-33), non contente de soutenir le clergé païen de Samarie et de convier à sa table royale « quatre cent cinquante prophètes de Baal et quatre cents prophètes d’Achéra », ordonne que tous les prophètes de YHWH présents dans le royaume d’Israël soient tués. Le prophète Elie défie Achab et lui ordonne de rassembler tous les prophètes de Baal et d’Achéra qui « mangent à la table de Jézabel » sur le mont Carmel pour une compétition de pouvoir sacré. A cet endroit, devant « tout le peuple », chaque adversaire construit un autel à son dieu pour y sacrifier un taureau, en implorant sa déité de consumer l’offrande par le feu. Alors que Baal ne répond pas aux implorations de ses partisans, YHWH envoie immédiatement une puissante flamme du ciel qui consume l’offrande d’Elie. Stupéfaits, les spectateurs tombent la face contre terre, en s’écriant : « C’est Yahvé qui est Dieu ! » Ils se jettent alors sur les prophètes de Baal qu’ils égorgent près du torrent de Qishôn. Elie s’enfuit dans le désert pour échapper à la fureur de Jézabel. Atteignant les hauteurs désolées de l’Horeb, la montagne de Dieu, il y reçoit l’oracle divin. S’adressant directement à Elie, YHWH lui prédit la fin de la maison d’Omri. YHWH ordonne à Elie d’oindre Hazaël comme roi d’Aram-Damas, rival acharné du royaume du Nord. Il lui ordonne également d’oindre Jéhu, le chef de l’armée d’Achab, comme roi d’Israël. Il lui ordonne enfin de nommer, à sa place, Elisée comme prophète. Ces trois commandements, d’après YHWH, suffiront à punir la maison d’Omri de ses crimes, car « celui qui échappera à l’épée d’Hazaël, Jéhu le fera mourir, et celui qui échappera à l’épée de Jéhu, Elisée le fera mourir » (1R 19,17). Pourtant, YHWH accordera une deuxième chance au royaume du Nord, en secourant Israël lors de l’invasion du pays par Ben-Hadad, le roi d’Aram-Damas, qui assiège la Samarie. Il accordera à Israël une troisième chance, lorsque, l’année suivante, il donnera à Achab la victoire sur Ben-Hadad, dans une bataille près de la mer de Galilée. Malheureusement, Achab se montrera indigne de l’aide divine. En effet, il épargne la vie de son ennemi en échange de bénéfices temporels. Un prophète informe Achab qu’il
  • 67. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 67 paiera de sa vie pour n’avoir pas obéi au commandement de YHWH de supprimer Ben- Haddad. Nouveau péché du couple royal. Un homme du nom de Nabot possède une vigne à proximité du palais d’Achab, à Jezréel ; ce vignoble contrarie les plans d’agrandissement d’Achab. Désireux de l’acquérir, le roi offre à Nabot deux solutions de paiement : soit il lui échange sa vigne contre une meilleure, soit il le paye en argent. Nabot, qui ne veut pas se séparer de son héritage familial, refuse tout net. Jézabel répand la rumeur que Nabot a blasphémé : le peuple lapide Nabot, sous le regard réjoui de la reine. A peine Achab prend-il possession du vignoble que le prophète Elie fait de nouveau son apparition. Sa prédiction est terrifiante (1R 21,19-24) : « (…) je (YHWH) balayerai ta race, j’exterminerai les mâle de la famille d’Achab (…) ». C’est l’époque où les royaumes d’Israël et de Juda ont conclu une alliance : Josaphat, le roi de Juda, a joint ses forces à celles d’Achab pour combattre Aram-Damas à Ramot de Galaad, sur la rive opposée du Jourdain. Dans le combat, une flèche atteint Achab, qui meurt sur le champ de bataille. On rapporte sa dépouille à Samarie pour l’inhumer. Du sang a coulé au fond de son char de bataille. Au moment où le char est lavé, les chiens lapent le sang, accomplissant ainsi la sombre prédiction d’Elie. Ochozias, le fils d’Achab, monte sur le trône. Lui aussi déplaît à YHWH. Blessé en tombant « du balcon de sa maison à Samarie », il envoie des messagers pour consulter Baal Zébud, le dieu de la cité philistine d’Eqrôn, sur ses chances de guérison. Elie lui reproche d’avoir fait appel à une idole étrangère plutôt qu’à YHWH et lui annonce sa mort imminente. Finalement, Joram, le frère d’Ochozias, le quatrième et dernier roi de la dynastie Omrides, monte sur le trône. Mésha, le roi de Moab, vassal de longue date d’Israël, se rebelle. Joram part en campagne contre Moab. Il est secondé par Josaphat, le roi de Juda, et un roi anonyme d’Edom. Elisée, le prophète, leur prédit la victoire uniquement parce que Josaphat, le bon roi de Juda, combat de leur côté. Les Moabites sont donc vaincus et leurs cités détruites par la triple alliance israélo-judéo-édomite. Mais l’anéantissement prédit des Omrides est imminent. La venue d’Hazaël sur le trône de Damas entame le déclin des succès politiques et militaires de la dynastie. Hazaël défait l’armée d’Israël à Ramot de Galaad, à l’est du Jourdain. Le roi d’Israël, Joram, est grièvement blessé sur le champ de bataille. Elie envoie l’un des fils des prophètes de YHWH oindre Jéhu, le commandement de l’armée, comme roi d’Israël, afin que ce dernier frappe la maison d’Achab. C’est ce qu’il fera. En revenant à son palais de Jezréel pour soigner sa blessure, en compagnie d’Ochozias, roi de Juda, Joram rencontre Jéhu, qui le tue d’une flèche en plein cœur. Ochozias tente d’échapper mais, blessé à son tour, il se réfugie dans la cité voisine de Megiddo, où il décède. La liquidation totale de la famille d’Achab approche inexorablement. Jéhu pénètre alors dans le palais royal où il ordonne que Jézabel soit défenestrée. Au même moment les fils
  • 68. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 68 d’Achab sont massacrés. Ainsi disparaît la dynastie omride. La terrible prédiction d’Elie est accomplie à la lettre. IV. Déloyauté, miséricorde, et chute finale d’Israël (842-722 av. J.-C.) (2R 10 ; 13 ; 14,23 et suivants ; 15-8,31 ; 17) Après la chute des Omrides, le nouveau roi, Jéhu, fils de Nimshi (842-814), ne traita pas Jérusalem avec plus de respect que Jéroboam 1er, Omri et Achab. Jéhu eut beau massacrer la totalité des prophètes, des prêtres et des adorateurs de Baal à Samarie, transformer son temple en latrines publiques (2R 10,18-28), il n’a pas aboli les centres nordistes de culte dont la rivalité défiait la suprématie religieuse de Jérusalem. Le châtiment ne tardera pas à tomber, comme l’avait prédit le prophète Elie. Cette fois-ci, l’agent destructeur sera Hazaël, le roi d’Aram-Damas, qui défait Israël en Transjordanie et dans les plaines littorales de la Méditerranée, qu’il ravagera en une seule campagne (2R 10,32-33 ; 13,3.7.22). Commence alors une période de déclin pour le royaume du Nord. Pendant toute la durée des règnes de Jéhu et de son fils Joachaz, Israël subit une constante pression d’Aram-Damas. L’armée d’Israël est mise en déroute et le royaume se retrouve amputé de certains territoires. Mais un répit va bientôt être accordé au peuple d’Israël, car « Yahvé leur fit grâce et les prit en pitié » (2R 13,23). Ainsi, le roi israélite suivant, Joas, qui bénéficie temporairement de la faveur divine, reprend les cités que le royaume avait perdues (2R 13,25). Dès ce moment, la fortune semble sourire de nouveau à Israël – en dépit d’un raid punitif de Joas contre Jérusalem – avec la montée du fils de Joas sur le trône. Là encore, la compassion divine se manifeste, car le fils de Joas, Jéroboam II, régnera paisiblement sur la Samarie pendant les quarante et un ans qui suivront (788-747 av. J.-C.). Ce roi ne se départ pas pour autant des péchés du Jéroboam précédent et conserve les sanctuaires idolâtres du Nord, en dépit des protestations véhémentes des prophètes Amos et Osée. Mais cette période de bénédiction divine est de courte durée. Dieu avait promis à Jéhu que quatre générations de descendants seulement allaient lui succéder (2R 10,30). C’est ainsi que le fils de Jéroboam II, Zacharie, est assassiné après six mois de règne. Israël se retrouve de nouveau dans la tourmente, déchiré par des luttes intestines et menacé par des pressions extérieures. Le meurtrier, Shallum, est abattu par plus brutal que lui, un certain Menahem, fils de Gadi, qui règne sur Samarie pendant dix ans (747-737 av. J.-C.). C’est alors que Dieu se choisit un nouvel intermédiaire pour châtier le royaume nordiste, entraînant une série d’évènements qui conduiront à sa disparition définitive. Il s’agit du puissant empire assyrien, qui envoie son armée exiger d’Israël un tribu tel qu’il contraint Menahem à lever un impôt sur tous les notables d’Israël de cinquante sicles d’argent par tête (2R 15,19-20). La pression interne et externe se fait de plus en plus écrasante. Le fils et successeur de Menahem, Peqahya, est assassiné par un officier de l’armée, Péqah, fils de Remalyahu. D’autre part, les Assyriens se satisfont de moins en moins du versement d’un tribut. Ils convoitent les terres fertiles d’Israël (2R 15,29). La Galilée et les vallées du Nord sont
  • 69. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 69 conquises (732 av J.-C.). Les habitants sont déportés. La promesse divine, faite à Israël au moment de la conquête de Canaan, d’une jouissance permanente et en toute sécurité de la terre donnée en héritage, est réduite à néant. Le royaume d’Israël se retrouve réduit à la portion congrue des hautes terres qui entourent Samarie, la capitale. Comme si de désastre ne suffisait pas, à son tour, l’usurpateur Péqah est assassiné. C’est le quatrième roi d’Israël qui se fait tuer en à peine quinze ans. Osée, l’assassin et le successeur de Péqah, sera le dernier à régner sur le royaume d’Israël. Le nœud coulant assyrien se resserre avec la montée au pouvoir de Samanasar V, un nouveau roi très agressif. Osée affiche extérieurement une loyauté indéfectible et offre à Samanasar V un tribut, tout en fomentant un complot secret avec le roi égyptien pour préparer une révolte ouverte. Samanasar V apprend ce qui se trame, il s’empare d’Osée, et envahit ce qui reste du royaume d’Israël. Au terme d’un siège de trois ans, Samarie est prise, en 722 av. J.-C. Salmanasar V « déporta les Israélites en Assyrie » (2R 17,6). Après avoir exilé les Israélites en Mésopotamie, les Assyriens introduisent de nouveaux colons en Israël (2R 17,24). Voilà les dix tribus nordistes d’Israël dispersées parmi les nations lointaines. Il ne reste plus que le royaume de Juda, avec son Temple et sa dynastie davidique, pour observer fidèlement les commandements de Dieu et racheter la terre d’Israël. [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 232 ; 234 et 235 ; 254 et 255 ; 262 à 267 ; 299 à 303 – filio127histoire]
  • 70. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 70 Chapitre 7 Le royaume de Juda face à son destin (931-586 av. J.-C.) (1er Livre des Rois 14,21 et suivants ; 2ème Livre des Rois ; 2ème Livre des Chroniques 10 à 36) Au lendemain des règnes glorieux de David et de Salomon, sous lesquels Jérusalem gouvernait un Israël unifié qui baignait dans une prospérité et une puissance sans précédent, les tribus des hautes terres du Nord et de la Galilée font sécession. Suivent deux cents ans de division qui opposent Israël, au nord, à celui de Juda, au sud. Après la destruction d’Israël, le royaume de Juda se retrouva soudain seul, cerné par un monde non israélite. I. Juda « fit ce qui déplaît à Yahvé » (931-911 av. J.-C.) (1R 14,21 à 15,8) Dès le règne de Roboam, fils et successeur de Salomon, Juda « fit ce qui déplaît à Yahvé ». A l’instar des nations voisines, dont il imite les pratiques, le peuple se construit des « hauts lieux » et fait ses dévotions « sur toute collines élevée » (1R 14,22-24). Le châtiment ne tarde pas à venir. Durant la cinquième année du règne de Roboam (926 av. J.-C.), le pharaon Shéshonq 1er investit Jérusalem et prélève un lourd tribut sur le trésor du Temple et le palais des rois davidiques (1R 14,25-26). Le fils de Roboam, Abiyyam, ne retient pas la leçon, car « il imita les péchés que son père avait commis avant lui et son cœur ne fut pas tout entier à Yahvé son Dieu » (1R 15,3). Les malheurs de Juda se poursuivent, ponctués de conflits intermittents avec les armées du royaume d’Israël. II. Juda « fit ce qui est juste aux yeux de Yahvé, comme son ancêtre David » (911-846 av. J.-C.) (1R 15,8-24 ; 22,41-51) La situation s’améliore sous le roi Asa, dont le règne, qui durera quarante et un ans, débute vers la fin du Xème siècle av. J.-C. Asa, nous dit-on « fit ce qui est juste aux yeux de Yahvé, comme son ancêtre David » (1R 15,11). En récompense, Jérusalem est protégée contre l’assaut mené par Basha, le roi d’Israël. Asa ayant appelé à son secours le roi d’Aram-Damas, celui-ci attaque la frontière nord d’Israël, ce qui contraint Basha à retirer les troupes qui assiègent Jérusalem. Le roi suivant, Josaphat (premier monarque hébreu à porter un nom composé à partir de l’appellation divine de YHWH : Yeho + shaphat = « YHWH a jugé »), sera lui aussi bien noté, car il marche dans les pas de son dévot père, Asa. Son règne sur Jérusalem durera vingt-cinq ans, pendant la première moitié du IXème siècle. Il fait la paix avec le royaume d’Israël, avec lequel il formera même plusieurs alliances pour mener des offensives victorieuses contre Aram et contre Moab. III. La domination d’Israël et la restauration de l’indépendance de Juda (846- 798 av. J.-C.) (2R 8,16 et suivants ; 9,14 à 10,17 ; 11 ; 12,1-17)
  • 71. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 71 Le point le plus bas sera atteint par Juda lorsque Joram, fils de Josaphat, contracte une alliance matrimoniale avec la famille impie d’Achab et Jézabel. Evidemment, le désastre s’ensuit : Edom (un vassal de longue date de Juda) se révolte et Juda perd les riches territoires agricoles de la Shefelah occidentale. Bien pires seront les répercussions sanglantes de la chute des Omrides, qui secoueront le palais royal de Jérusalem. Ochozias – fils de Joram et de la princesse omride Athalie – est tué pendant le coup d’état de Jéhu. De retour à Jérusalem, apprenant le sort que Jéhu avait fait subir à son fils et à sa famille, Athalie ordonne la mise à mort de tous les descendants de la maison de David et s’empare du trône. Yehoyada, grand prêtre du Temple, patiente pendant six ans. Au moment propice, il annonce publiquement qu’un héritier de David a été sauvé du massacre. Il produit alors Joas, le fils rescapé du roi Ochozias. Joas est désigné comme roi davidique légitime et Athalie est tuée. Avec elle se termine la période d’influence du royaume du Nord sur celui du Sud, durant laquelle le culte de Baal avait été introduit à Jérusalem (2R 11,18). Joas, dont le règne sur Jérusalem dura quarante ans, « fit ce qui est agréable à Yahvé, pendant toute sa vie » (2R 12,2). Son action la plus importante fut la rénovation du Temple. Durant son règne, Hazaël, le roi d’Aram-Damas, menace Jérusalem. Le souverain judéen lui octroie un lourd tribut en échange de la levée du siège devant la cité (2R 12,18-19). Le sort de la capitale du Sud est très enviable comparé aux ravages commis par Hazaël dans le royaume du Nord. IV. En attendant Ezéchias (798-727 av. J.-C.) (2R 14,1-22 ; 15,1-7 ; 15,32 à 16) L’alternance de bons et de mauvais rois se poursuit. Amasias, un roi à la vertu plutôt modérée, qui « fit ce qui est agréable à Yahvé, non pas pourtant comme son ancêtre David » (2R 14,3), mène une guerre victorieuse contre Edom ; mais il est défait et capturé par les armées du royaume d’Israël, qui envahissent le territoire de Juda et jettent à bas les remparts de Jérusalem. L’histoire se poursuit avec le règne du vertueux Ozias, qui élargira les frontières vers le sud, puis celui de son fils Yotam. L’affaire se corse avec la mort de Yotam et le couronnement d’Achaz (743-727 av. J.-C.). La Bible juge ce malheureux Achaz avec une sévérité inhabituelle : le reproche qui lui est fait dépasse de loi l’accusation d’apostasie (2R 16,2-4). Un désastre s’ensuit. Les turbulents Edomites s’emparent d’Eilat ; Raçôn, le puissant roi de Damas, avec son allié Péqah, roi d’Israël, déclarent la guerre à Juda ; leurs armées coalisées assiègent Jérusalem. Le dos au mur, Achaz implore l’aide du roi d’Assyrie, Téglath-Phalasar III, en lui offrant des présents en provenance du Temple : « le roi d’Assyrie l’exauça (…) » (2R 16,9). Juda vient donc d’être temporairement protégé grâce au stratagème astucieux d’un roi impie, qui a mendié l’intervention du puissant empire assyrien. V. Ezéchias et la restauration de la sainteté perdue de Juda (727-639 av. J.-C.) (2R 18 à 21)
  • 72. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 72 Le moment est mûr pour qu’un changement religieux de grande envergure se produise. Le cycle perpétuel de l’apostasie, de la punition et du repentir va enfin être brisé. Ezéchias, fils d’Achaz, qui règnera à Jérusalem pendant vingt-neuf ans, entreprend une profonde réforme religieuse dans le but de restaurer la pureté et la fidélité à YHWH, oubliées depuis les jours du roi David. Les hauts lieux – ou autels de plein air – étaient l’une des manifestations les plus populaires du culte pratiqué dans les campagnes de Juda ; même les plus vertueux des rois n’avaient pas osé s’en prendre à eux. Ezéchias sera le premier à oser s’en prendre à eux ainsi qu’à tout ce qui s’apparente à une vénération idolâtre (2R 18,3-7). En 705 av. J.-C., après la mort de Sargon II, les capacités de contrôle de l’empire assyrien sur ses territoires éloignés semblent s’amoindrir. Juda en profite pour fomenter une coalition anti-assyrienne, soutenue par l’Egypte (2R 18,21 ; 19,9). Quatre ans plus tard, en 701 av. J.-C., le nouveau roi assyrien, Sennachérib, marche sur Juda à la tête d’une gigantesque armée. Les généraux assyriens qui assiègent Jérusalem défient les défenseurs perplexes qui se tiennent sur les remparts de la ville, les narguent et tentent de leur briser le moral en contestant la sagacité d’Ezéchias et en ridiculisant leur foi (2R 18,28-35). Ezéchias s’effondre, mais le prophète Isaïe le rassure par un oracle divin (2R 19,6-7.32-34). En effet, une délivrance miraculeuse intervient la nuit suivante (2R 19,35-37). Grâce à la piété d’Ezéchias, les Assyriens se retirent de Juda sans avoir pu conquérir Jérusalem. Mais peu après, l’histoire se gâte avec l’accession du fils d’Ezéchias, Manassé (698-642), au trône de David. Alors que le pouvoir de YHWH aurait dû éclater aux yeux du peuple de Juda, le nouveau roi Manassé lui fait faire un demi-tour théologique radical (2R 21,2-6). Son fils, Amôn (641-640), « suivit exactement le chemin que son père avait suivi » (2R 21,21). VI. La grande réforme de Josias (639-609 av. J.-C.) (2R 22 à 23-30) Cet épisode – d’une importance capitale – de la vie politique et spirituellement de Juda débute en l’an 639 av. J.-C. par le couronnement du jeune prince Josias. Celui-ci se comporte comme le fidèle et digne successeur de David (2R 22,2). D’après la Bible, sa piété incite Josias à prendre une initiative décisive : la rénovation du Temple. Durant les travaux de rénovation, un document étonnant fait surface, découvert par le grand prêtre dans les combles du Temple. L’effet en sera déterminant, car il révèle, de façon soudaine et choquante, combien le culte traditionnel de YHWH, tel que Juda le pratiquait jusqu’alors, était erroné. Sans hésiter, Josias rassemble le peuple de Juda, pour qu’il prête serment solennel de se consacrer entièrement aux commandements divins (2R 23,2-3).
  • 73. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 73 Alors, pour débarrasser le culte de YHWH des scories qui l’encombraient, Josias initie la réforme la plus radicale et la plus puritaine de l’histoire de Juda. Il s’en prend en premier lieux aux rites idolâtres pratiqués à l’intérieur du Temple même de Jérusalem (2R 23,4-7). Il démolit les sanctuaires dédiés aux cultes étrangers, en particulier ceux qui étaient établis à Jérusalem et qui jouissaient d’un patronage royal aussi ancien que celui de Salomon (2R 23,10-14). Josias met également fin aux cultes rendus par les prêtres ruraux qui accomplissaient leurs rites sur les hauts lieux et les sanctuaires répartis dans les campagnes (2R 23,8). Josias règle tous les vieux comptes, l’un après l’autre. Le suivant sera la faute impie de Jéroboam 1er, l’autel idolâtre de Béthel, où Josias accomplira la prédiction biblique, qui affirmait qu’un jour, un roi vertueux du nom de Josias présiderait à sa destruction (2R 23,15-18). Mais Josias ne s’arrête pas à Béthel. L’épuration se poursuit plus loin vers le nord (2R 23,19-20). Tout en combattant l’idolâtrie, Josias institue les grandes fêtes religieuses nationales (2R 23,21-23). Enfin, après des siècles d’impiété, Josias s’est levé pour racheter les fautes passées. VII. La déportation de Juda (609-538 av. J.-C.) (2R 23-31 à 25-21) Après la mort de Josias, le vaste mouvement de réforme s’effondra. Les quatre derniers rois de Juda – trois d’entre eux sont les fils de Josias – ne méritent, d’après la Bible, qu’un jugement négatif Joachaz, fils et successeur de Josias, apparemment hostile à l’Egypte, ne règne que trois mois. Il rétablit les coutumes idolâtres des anciens rois de Juda. Déposé et exilé par le pharaon Neko II, il est remplacé par son frère Joiaquim qui, lui aussi, « fit ce qui déplaît à Yahvé », et ajoute l’outrage à l’impiété en prélevant un tribut sur le peuple pour le remettre à son suzerain, le pharaon Neko II. Mais, en Mésopotamie, le pouvoir des Babyloniens ne cesse de grandir. En 605 av. J.-C., le prince héritier de Babylone, connu plus tard sous le nom de Nabuchodonosor, écrase l’armée égyptienne à Karkémish, en Syrie (Jr 46,2). Cette défaite sonne le glas de l’empire assyrien ; Nabuchodonosor, devenu roi de Babylone, peut étendre son contrôle sur les terres d’occident. Les forces babyloniennes dévastent les riches cités philistines. Le piège se referme sur Jérusalem. Le pillage et la dévastation complète de Juda est l’objectif avoué des Babyloniens. Après la mort subite de Joiaquim (598), son fils Joiakîm doit affronter la puissance terrifiante de l’armée d’invasion (2R 24,10-16). L’aristocratie et le clergé de Jérusalem furent exilés. Ils laissaient derrière eux une maison royale totalement désemparée et de plus en plus déchirée par des conflits internes.
  • 74. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 74 Mais ce n’est qu’une première étape avant le démembrement complet de Juda. En 587 av. J.-C., Nabuchodonosor marche sur Juda en tête d’une formidable armée et met le siège devant Jérusalem. C’est le début de la fin. Les villes provinciales de Juda tombent l’une après l’autre. Il ne reste plus que Jérusalem. La description biblique des dernières heures de la capitale est terrifiante (2R 25,3-7) Un mois plus tard, environ, le rideau retombe sur le dernier acte de la tragédie (2R 25,8- 11). Le dernier souverain, Sédécias, d’une dynastie qui régnait depuis des siècles est emprisonné et torturé à Babylone. Ses fils sont tous assassinés. Le Temple de Jérusalem est détruit. [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 347 à 350; 375 à 379 et 407 ; 410 à 415 ; 433 à 438 – filio127histoire] Quelle a été l'ampleur de la déportation à Babylone ? Ce que dit la Bible Les textes ne convergent pas. 2 Rois 24 parle de 7 000 à 10 000 personnes pour la première déportation, et suggère qu'ensuite toute la population de Juda a été exilée. Jérémie 52 parle de trois déportations successives de 3023, 832 et 745 personnes. Ce que dit l'historien Les chiffres du livre de Jérémie semblent plus plausibles. 5 à 25 % des Juifs de Juda auraient été déportés. Juda n'était pas vidé de sa population à l'époque babylonienne : le mythe du pays vide est une invention de certains déportés pour prouver que le « vrai Israël » se trouvait en exil. [Publié le 1 novembre 2008 - Le Monde des Religions n°32]
  • 75. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 75 Epilogue Le peuple hébreu et les empires (538 av. J.-C.-66 ap. J.-C.) (Esdras ; Néhémie ; 1er et 2ème Livres des Maccabées) Une partie de la population, cependant, a survécu et n’a pas été déportée. Les autorités babyloniennes leur ont même accordé une certaine autonomie ; elles ont désigné Godolias, fils d’Ahiqam, pour gouverner ceux qui sont restés à Juda. Godolias tente alors de convaincre le peuple de Juda de coopérer avec les Babyloniens. Mais il sera vite assassiné par Yismaël, le fils de Netanya, « qui était de race royale ». Furent également massacrés d’autres notables judéens et des représentants de Babylone. Ce qui restait de la population locale décida de s’enfuir pour garder la vie sauve, désertant Juda, en Egypte. Jérémie, le prophète, s’enfuit avec eux. De nombreux siècles d’occupation israélite de la Terre promise semblaient prendre fin (2R 25,22-26 ; Jr 40,7-43,7). Les déportés de l’aristocratie et du clergé commencèrent une nouvelle vie, en compagnie du roi davidique exilé, Joiakîn – de préférence à l’aveugle Sédécias, disgracié. I. Retour d’exil… sous domination perse (538-332 av. J.-C.) (Jr ; Ez ; Isaïe ; Esd ; Néhémie) En 539 av. J.-C., le puissant empire babylonien s’effondre et tombe aux mains des Perses. Durant sa première année de règne, Cyrus, fondateur de l’empire perse, passe un décret en faveur de la restauration de Juda et du Temple (Esd 1,2-3). Un chef des exilés nommé Sheshbaççar, que le livre d’Esdras (1,8) appelle « le prince de Juda » dirige le premier groupe de ceux qui reprennent le chemin de Sion. Ils transportent avec eux les trésors du Temple pris par Nabuchodonosor à Jérusalem. Ils s’installent sur leur ancien territoire et posent les fondations d’un nouveau Temple. Quelques années plus tard, une deuxième vague d’exilés revient à Jérusalem. Conduits par Josué, fils de Yoçadaq, et par Zorobabel, petit-fils de Joiakîn, construisent un autel pour y offrir des holocaustes et célébrer la fête des Cabanes (Esd 3,11-13). Les gens de Samarie – citoyens de l’ex-royaume du Nord et populations déplacées par les Assyriens qui les avaient installées – apprennent la nouvelle de la construction du Second Temple. Ils viennent trouver Zorobabel pour lui demander de leur permettre de participer à ce travail. Mais Josué, le prêtre, et Zorobabel renvoient les Nordistes (Esd 4,3). A l’évidence, la faction qui a survécu à l’exil estime qu’elle possède, à présent, le droit divin de décider de l’orthodoxie judéenne. Furieux, le « peuple du pays » tente de saboter le travail. Ils écrivent au roi de Perse, en accusant les Juifs de « rebâtir la ville rebelle et perverse » (Esd 4,12-16). A la lecture de cette lettre, le roi de Perse ordonne l’arrêt des travaux à Jérusalem.
  • 76. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 76 Faisant la sourde oreille, Zorobabel et Josué poursuivent les travaux. Le gouverneur écrit alors au nouveau souverain, Darius. Celui-ci lui ordonne non seulement de permettre au travail de se poursuivre sans obstruction, mais aussi de payer les dépenses sur les revenus de l’Etat. La construction du Temple se termine en 516 av. J.-C. Commence alors une période sombre d’un demi-siècle, jusqu’à l’arrivée à Jérusalem du scribe Esdras, de la famille du grand prêtre Aaron, revenu de Babylon probablement en 458 av. J.-C. (Esd 7,6.10). Esdras est délégué par Artaxerxès, roi de Perse, pour enquêter sur Juda et Jérusalem. Celui-ci, stupéfait, découvre que le peuple d’Israël, y compris les prêtres et les lévites, partage les abominations de ses voisins. Esdras ordonne à tous ceux qui sont revenus de se rassembler à Jérusalem et à présent de rendre grâce à Yahvé (Esd 10,9-16). Esdras – l’un des personnages les plus influents des temps bibliques – disparaît alors de la scène. Le second héros de l’époque s’appelle Néhémie, l’échanson d’Artaxerxès, le souverain perse. Néhémie entend parler de la misère qui frappe les habitants de Juda et du triste état de délabrement dans lequel se trouve encore Jérusalem. Le souverain perse le nomme gouverneur de la ville. Peu après son arrivée, aux environs de l’an 445 av. J.-C., Néhémie accomplit une inspection nocturne de la cité, puis il convie le peuple à participer à un grand effort collectif pour reconstruire les remparts de Jérusalem. Mais quand les voisins de Juda – les dirigeants de Samarie et d’Amon, et les Arabes du Sud – apprennent que Néhémie fortifie Jérusalem, ils accusent les Juifs de préparer une révolte contre les autorités perses et se préparent à attaquer la cité. Néanmoins, le travail sur les remparts se poursuit. Les mesures prises par Esdras et Néhémie dans la Jérusalem du Vème siècle av. J.-C. jetèrent les fondations du judaïsme du Second Temple. [In La Bible dévoilée, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman, p. 440 à 446 – filio127histoire] La fin de la période perse en Palestine reste assez obscure. A la fin du long règne d’Artaxerxès II Mnémon (404-359), le contexte international évolua rapidement et fut d’abord marqué par la révolte des régions de l’ouest avec l’appui de l’Egypte (367-342). Mais en 333, après avoir battu le gros de l’armée perse à Issos, Alexandre le Grand assiégea Tyr qui fut réduite après un siège de sept mois (déc. 333-juil. 332). C’est probablement pendant ce siège qu’il prit possession de la Samarie et de la Judée (332). II. Le peuple hébreu… sous domination hellénistique (332-142 av. J.-C.) Les deux provinces de Samarie et de Judée semblent s’être rapidement ralliées à Alexandre le Grand. A sa mort en 323 av. J.-C., une période de guerres civiles entre ces anciens généraux qui prétendent à sa succession s’en suit, dites « les guerres des Diadoques » (323-281 av. J.-C.).
  • 77. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 77 De 285 à 200 av. J.-C., la Palestine resta au pouvoir des Lagides (nom tiré d’un général d’Alexandre) d’Egypte, qui subit dès lors une forte hellénisation par un brassage de la population. Cette hellénisation semble avoir été moins forte à Jérusalem où le grand- prêtre était désormais la seule autorité représentative de la tradition juive. La Palestine va être ballotée d’un camp à l’autre et dévastée à chaque passage des armées. Sa conquête par Antiochus III y répandit l’emploi de l’ère des Séleucides (200- 167 av. J.-C.). Après la destruction, il fallut reconstruire. Antiochus confirma la validité de la Loi pour les Juifs, favorisa la restauration du Temple et libéra les habitants qui avaient été réduits en esclavage. Antiochus voulut alors s’opposer à l’expansion romaine en Grèce et en Macédoine. Mais il est défait et s’engagea à verser de très lourdes indemnités de guerre réparties sur douze ans. Le règne de Séleucus IV Philopator (187-175 av. J.-C.) fut dominé par les problèmes financiers liés à la dette à verser aux Romains. C’est dans ce contexte que se situe l’histoire d’Héliodore racontée en 2M 3. Séleucus IV envoya son Premier ministre Héliodore inspecter et confisquer le trésor du temple de Jérusalem. Face au refus du grand-prêtre Onias III, Héliodore s’entend avec celui-ci afin de renverser Séleucus IV qu’il assassine en 175. Le fils de Séleucus IV, Démétrius, étant gardé comme otage à Rome, le frère de Séleucus, Antiochus IV Epiphane, prit le pouvoir à Antioche (175-164 av. J.-C.). Onias III, encore présent à Antioche, est alors supplanté par son frère Jason qui promit de grosses sommes d’argent sous la condition que le roi le soutienne dans sa politique d’hellénisation de la Judée. Jérusalem devint ainsi, pour quelques années, une cité hellénistique rebaptisée « Antioche ». Le décrit d’Antiochus III accordant aux Juifs le respect de leur Loi et l’exemption de taxe fut aboli. Le pontificat de Jason dura trois ans (2M 4,21 et suivants). Pendant la campagne d’Antiochus IV en Egypte (170/169) et sur une fausse rumeur de sa mort, Jason s’empare de Jérusalem et s’y livre à des massacres d’opposants. Apprenant cette révolte, Antiochus IV quitte l’Egypte et marche sur Jérusalem. Jason s’enfuit et meurt. Antiochus massacre une partie de la population de Jérusalem (automne 169) et s’empare du trésor du Temple et des vases sacrés. Lors d’une deuxième campagne en Egypte, au printemps 168, Antiochus est obligé de se retirer devant les menaces de déclaration de guerre du général romain Popillis Laenas. A son retour, Antiochus décrète une hellénisation systématique de la Judée et de la Samarie. Jérusalem est pillé. Le temple est dédié à Zeus Olympien. La mort est décrétée contre quiconque observerait les coutumes israélites (1M 1,41-53 ; 2M 6,1-9). Les livres de la Loi sont brûlés (1M 1,56). Cette hellénisation systématique fut, en partie, acceptée et tournée habilement par les Samaritains qui demandèrent à ne pas y être soumis, car ils étaient des « Sidoniens à Sichem », ce qui leur fut accordé par Antiochus en 166. Les décrets anti-israélites
  • 78. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 78 semblent avoir été appliqués sans trop d’opposition en Galilée et en Galaad ; mais de façon plus réservée en Judée et à Jérusalem (1M 1,43-52). Beaucoup de gens du peuple acceptèrent par la force, pour survivre ; d’autres se retirèrent à la campagne ou se cachèrent dans des grottes pour observer la Loi en secret (1M 1,53) ; un certain nombre de juifs furent arrêtés et exécutés (2M 6,8-7, 42) ; d’autres enfin se révoltèrent et prirent le maquis. Avec ces cinq fils, Mattathias l’Hasmonéen, prêtre de la descendance de Yôarib, refusa de sacrifier devant les envoyés du roi. En égorgeant un Juif qui allait célébrer un sacrifice païen et en tuant l’envoyé du roi, il donna le signal de la récolte (1M 2). A la mort de Mattathias (166/165) son fils aîné Simon devint le chef politique de la révolte tandis que Judas, surnommé « Maccabée », en fut le chef militaire. Après vingt-cinq ans de luttes pratiquement ininterrompues, le peuple juif retrouvait son indépendance politique. Le titre de « grand-prêtre », puis de « roi », qu’allaient bientôt assumer les Hasmonéens ne descendant ni de Sadoq, ni de David, n’allaient pas tarder à provoquer des réactions divergentes au sein du groupe des Assidéens (révoltés). III. La restauration du royaume… sous domination romaine (142 av. J.-C.-66 ap. J.-C.) Simon ne prit pas le titre de « roi » mais de « grand-prêtre » (archiéreus), « chef militaire » (stratégos) et « chef politique » (hégouménos) (1M 14,41.47). Les Romains reconnurent officiellement les Juifs comme leurs alliés et amis (1M 14,16-24 ; 15,15-24). L’ethnarcat de Simon (142-134 av. J.-C.) fut généralement pacifique (1M 14,4 et suivant) bien qu’assassiné lors d’une tentative de coup d’état. Les débuts de l’ethnarcat de son fils Jean Hyrcan (134-104 av. J.-C.) furent difficiles. Antiochus VII mis le siège devant Jérusalem (132 av. J.-C.). Profitant de rivalités internes aux Séleucides, Jean Hyrcan s’empare de Madaba et du territoire Moabite et se tourne ensuite contre l’Idumée et la Samarie où il détruit le temple du mont Garizim (111). Les Samaritains affamés font appel à Antiochus IX. Après un siège d’un an, Jean Hyrcan s’empare de Samarie qu’il rase complètement marquant la rupture définitive des Juifs et des Samaritains qui se considèrent désormais comme des ennemis héréditaires. Simon s’était appuyé sur les Pharisiens. Mais ces derniers critiquèrent le sacerdoce de Jean Hyrcan qui se rallia dès lors aux positions des Sadducéens. A la mort d’Hyrcan, en 104, son fils aîné Judas, appelé Aristobule, se fit proclamer « roi ». Il ne régna qu’un an. Son frère, Alexandre Jannée (103-76) lui succéda et mena son pays avec une poigne de fer. Il portait le double titre de « roi » et de « grand-prêtre ». Révoltes et massacres se succèdent pendant six ans (93-88) faisant 50000 morts. Vers la fin du règne d’Alexandre Jannée, le royaume hasmonéen comprend la Judée, l’Idumée, la plaine philistine et celle de Sharon, la Samarie, la Galilée jusqu’au mont
  • 79. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 79 Thabor, le plateau de Golân, la Galaaditide et la Moabitide. Dans tous les territoires conquis, le roi a imposé la circoncision et le Loi juive. A sa mort, sa femme Alexandra assume le pouvoir (76-67) et confie la charge de grand- prêtre à son fils Hyrcan II. Elle se réconcilie avec les Pharisiens ; les prisonniers sont libérés. A la mort d’Alexandra, Hyrcan II resta « grand-prête » et son frère, devient le roi Aristobule II (67-63). Mais l’homme fort du parti d’Hyrcan, le gouverneur de l’Idumée Antipater, n’accepte pas cet accord. A la tête de cette armée, il défait Aristobule qui s’enferme dans Jérusalem. Lorsque Pompée arrive à Damas (printemps 63 av. J.-C.), chacun des deux frères essaie de le gagner à sa cause. Hyrcan et Antipater l’emportent. Pompée pénètre dans le Saint des Saints. Hyrcan est rétabli dans ses fonctions d’ethnarque. C’en est fini de l’indépendance du royaume hasmonéen. En 49 éclate la guerre civile entre César et Pompée. Après la bataille de Pharsale et la mort de Pompée (48 av. J.-C.), Hyrcan II et Antipater se rallient à César. Antipater, devenu procurateur de la Judée, nomme bientôt son fils aîné Phasaël stratège de Jérusalem et son fils cadet Hérode stratège de Galilée. Après le meurtre de César (15 mars 44), Antipater et Hérode se rallient au gouverneur de Syrie, Caecilius Bassus, ex-partisan de Pompée. Antipater meurt assassiné. Le départ de Cassius de Syrie (42) entraîne une série de troubles. Antoine, nomme Phasaël et Hérode tétrarques chargés de l’administration de la Judée. Après le suicide de Phasaël, Antoine et Octave proclament Hérode roi de Judée. Au printemps 37, Hérode et les légions de Sossius s’emparent de Jérusalem. Antoine fait exécuter Antigone. Avec cette exécution se termine le règne du dernier Hasmonéen. Hérode comprit qu’il ne pouvait devenir et rester roi que s’il gardait l’appui des Romains et l’amitié de leurs chefs. Celui-ci se lance alors dans de grands travaux de construction qui sont une des gloires de son règne. Il rebâtie le Temple (vers 20/19), dont il fit un des plus grands et l’un des plus beaux monuments de cette époque. S’inspirant de la culture de son temps, Hérode s’entoura d’hellénistes renommés. Vers le tournant de notre ère, trois langues étaient d’ailleurs couramment utilisées en Palestine : l’hébreu, l’araméen et le grec, sans compter le latin utilisé pour quelques documents officiels et dans l’armée. La succession d’Hérode s’ouvre sur divers troubles. A quelques modifications près, le testament d’Hérode fut confirmé par Auguste. Le royaume d’Hérode fut donc essentiellement divisé en trois tétrarchies :
  • 80. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 80 - Philippe, tétrarque de Batanée, Trachonitide et Auranitide (4 av. J.-C. – 34 ap. J.- C.) ; - Hérode Antipas tétrarque de Galilée et de Pérée (4 av. J.-C. – 39 ap. J.-C.) ; - Archélaüs ethnarque de Judée, Samarie et Idumée (4 av. J.-C. – 6 ap. J.-C.) puis sous l’administration des préfets romains jusqu’en 41. Après une vie aventureuse, le fils d’Aristobule et le petit-fils d’Hérode, Agrippa, réussit à gagner la faveur de Caligula qui, dès son accession au pouvoir, lui accorda l’ancienne tétrarchie de Philippe (37), puis, un peu après (40), la tétrarchie d’Hérode Antipas. Présent à Rome lors de l’assassinat de Caligula, il soutint l’accession au pouvoir de Claude et ce dernier lui accorda la Judée et la Samarie. Hérode Agrippa 1er régna ainsi sur le même territoire que son grand-père Hérode le Grand. Durant son court règne, Agrippa s’appuya sur les Pharisiens et la Mishnah. Finalement Agrippa mourut à Césarée (44), laissant un fils de 17 ans, le futur Agrippa II. L’empereur Claude plaça la Palestine sous un procurateur romain. L’administration directe de procurateurs (44-66) qui ne connaissaient rien aux coutumes juives et ne cherchaient souvent qu’à s’enrichir entraîna de nombreuses maladresses et provocations, causes immédiates de révoltes et finalement de la guerre juive. La guerre débuta en 66. Elle se termina en 70 par la destruction du « second Temple » qui marque la fin de l’Etat hébreu à l’époque ancienne. La Judée devint une province romaine distincte de la Syrie. [In Histoire du peuple hébreu, André Lemaire, p. 73 ; 78 à 123 – P.U.F. Que sais-je ?]
  • 81. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 81 Conclusion Le prêtre, le rabbin et l’imam [Le Point 1631-1632, 19-26 décembre 2003] Cardinal Paul Poupard « La Bible est le message d'un père à ses enfants » Le Point : Vous souvenez-vous de votre première Bible ? Cardinal Paul Poupard : Dans ma famille, on se transmettait de génération en génération une Bible du Maître de Sacy, écrite en 1672, à l'époque de Louis XIV. C'était une traduction qui avait l'avantage de convenir à toutes les clientèles. Acceptée par les catholiques et une partie des protestants, elle plaisait par ses origines jansénistes à une bourgeoisie souvent teintée d'anticléricalisme. J'ai encore cette Bible chez ma sœur en Anjou et j'ai eu la joie de la feuilleter cet été avec sa reliure cuir un peu mangée. C'est une édition qui remonte au XVIIIe siècle qui m'avait été offerte par un grand-oncle. Plus tard, j'ai beaucoup utilisé la Sainte Bible du chanoine Crampon, qui date de 1952, l'époque où j'étais au grand séminaire. J'avais alors comme directeur spirituel le père Devreau, un Lyonnais, professeur d'écriture sainte, qui m'a donné le goût de la parole de Dieu qu'il vivait intensément. Le père Devreau m'avait donné le conseil de lire la Bible en entier « pour pouvoir dire quand vous serez prêtre que vous l'avez lue intégralement ». Il y a des chapitres entiers, comme L'Exode ou le Livre des Nombres, qui ne sont pas particulièrement poétiques ni affriolants, mais je me fis un devoir de lire la Bible de la première ligne, « Dieu créa le ciel et la terre », jusqu'au dernier mot de l'Apocalypse, « viens Seigneur Jésus ». C'était un conseil sage. Si le père Devreau ne m'avait pas fait l'obligation de la lire d'un bout à l'autre sans rien omettre, il y a des passages de la Bible que je n'aurais jamais lus, et ce serait dommage. Mais, avant d'être une joie, la lecture de la Bible a été une obligation. L. P. : Vous avez donc vraiment rencontré la Bible alors que vous vous dirigiez déjà vers le sacerdoce. Ce n'est pas elle qui a motivé votre vocation ? C. P. : Oui et non, car, depuis ma tendre enfance, mes parents m'amenaient à la messe et la messe se nourrit de la Bible. La Bible, je l'ai donc connue et j'y suis entré avant d'avoir le livre entre les mains. C'est la pédagogie de l'Eglise à laquelle la Bible participe tous les dimanches avec la première lecture tirée de l'Ancien Testament de saint Paul et la seconde lecture de l'Evangile. L. P. : Aujourd'hui, est-ce que vous revenez à la Bible ? C. P. : La Bible est le bréviaire de la prière. Les prêtres récitent tous les jours le bréviaire et l'office divin. Toute la journée est scandée par les prières que les moines et les communautés chantent ensemble et nous en privé. Il y a le grand office des matines avec les lectures, l'office de laudes, l'office de la mi-journée, les vêpres et les complies. Toutes ces différentes «heures», comme on les appelle, sont tissées en particulier des psaumes, les 150 psaumes attribués à David qui se lisent intégralement. D'autre part, le prêtre que je suis célèbre tous les jours la messe. Je suis en permanence « dans » la Bible.
  • 82. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 82 L. P. : Est-ce que la routine ne risque pas de s'installer dans cette lecture quotidienne et répétitive ? C. P. : Ça pourrait arriver. Jusqu'à maintenant je ne crois pas que cela soit devenu de la routine. Mais je suis comme le commun des mortels, je ne saurais prétendre que pendant tout ce temps où je lis la Bible je médite chaque mot et m'y arrête. Non, sûrement pas. Mais l'inverse non plus. Je lis ces textes et je les aime. De temps en temps, je m'arrête un peu pour les savourer, puis je continue. Le danger de la routine est dans toute chose. Je ne suis ni routinier ni mystique, mais la Bible fait partie de ma vie quotidienne. L. P. : Quels sont vos personnages préférés dans la Bible ? C. P. : Saint Paul et saint Jean. Dans ma méditation quotidienne, j'en reviens toujours à eux et je suis enchanté d'avoir été collaborateur de trois papes successifs qui s'appellent Jean, Paul, et Jean-Paul. C'est ma trilogie personnelle et je dis volontiers que Jean XXIII a été l'apôtre de l'amour, que Paul VI a été l'apôtre missionnaire en faisant ses voyages comme saint Paul et que Jean-Paul II fait la synthèse des deux. L. P. : Dans la Bible, Dieu est miséricordieux mais, dans l'Ancien Testament, il est aussi cruel. Cruel et misogyne : les femmes sont, bien sûr, mères, mais leur rôle se limite à être au mieux des confidentes. Qu'en pensez-vous ? C. P. : La Bible n'est pas tombée du ciel. Pour le croyant que je suis, la Bible a été écrite par des hommes sur l'inspiration de l'Esprit-Saint. Cette inspiration de l'Esprit-Saint n'a pas suffoqué l'humanité de l'homme. En 1943, l'encyclique du pape Pie XII « Divino afflante spiritu » a donné droit de cité à la théorie des genres littéraires. C'est-à-dire qu'il ne faut pas lire la Bible comme un bloc univoque. Les psaumes sont des chants de prières ; le Cantique des cantiques, un poème. Dans le Nouveau Testament, saint Luc fait la chronique de la première Eglise. L'Apocalypse est un genre très particulier qui reprend toute l'imagerie traditionnelle de l'Ancien Testament des prophètes. Il y a des récits, des prophéties, des poésies. Toutes ces histoires sanglantes de l'Ancien Testament nous prouvent que la Bible ne s'est pas élaborée sur une île déserte, mais qu'elle nous fait la chronique de ce qui s'est passé en ce temps-là. L'Eglise, quand elle parlait latin, commençait les lectures bibliques durant la messe par « In illo tempore » : en ce temps- là... Et c'est la grandeur de la Bible et de l'Eglise que de reconnaître qu'elle est immergée dans des histoires de sueur, de sang et de larmes. Au milieu de tout ça, par une pédagogie tout à fait extraordinaire et millénaire, Dieu a éduqué le peuple à dépasser la loi du talion car le père envoie son fils mourir par amour pour les hommes. C'est l'Evangile de la miséricorde. Les scènes de cruauté et de sang qui abondent dans l'Ancien Testament racontent l'histoire des hommes, et, hélas, quand j'ouvre les journaux, je vois que ça n'a pas tellement changé. En ce qui concerne les femmes, c'est la même chose. Ne faisons pas d'anachronisme dans notre lecture de la Bible. Prenons-la pour ce qu'elle est. Sur les millénaires durant lesquels elle s'est construite, elle reflète les idées de l'époque. Et c'est au coeur de ces idées que, petit à petit, s'est faite la révélation chrétienne dont émerge la Vierge Marie, qui est placée si haut au-dessus de tous les hommes qu'à un moment donné certains ont reproché aux catholiques de la vénérer comme un Dieu. L. P. : Que pensez-vous de la vulgarisation de la Bible, notamment au cinéma ?
  • 83. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 83 C. P. : J'aime le cinéma et je suis bon public ! J'ai vu beaucoup de films bibliques. Il y a un rapport entre la Bible et le cinéma. Dès l'invention du cinéma, les metteurs en scène ont été séduits par la Bible. Avec ses multiples formes littéraires, les nouvelles, les poèmes, les épopées, les paraboles, Victor Hugo a dit qu'elle est la plus grande ressource pour notre imaginaire. Les premiers films que j'ai vus dans l'école de mon village étaient des grandes machineries en noir et blanc qui m'enchantaient. Comme disait le même Hugo, « c'est l'Histoire écoutée aux portes de la légende » avec ces chevauchées extraordinaires qui n'ont d'égale que le Ben Hur de l'Empire romain. Après, les choses ont changé. J'ai apprécié les nombreuses Passions de Jésus, « L'Evangile selon Matthieu », de Pasolini, « Le Messie », de Rosselini. Depuis, il y en eut beaucoup d'autres et, grâce à Dieu, il sort toujours d'autres films. L. P. : Mais le cinéma transmet-il la profondeur des Saintes Ecritures ? C. P. : Jusqu'à un certain point, et je pense à Rossellini, Pasolini et Zeffirelli, la trilogie incontournable. Mais j'ai découvert que, depuis l'invention du cinéma, Jeanne d'Arc a inspiré un chef-d’œuvre tous les dix ans, c'est fascinant ! Il y a Hollywood avec ses grands effets puis, à l'inverse, « La passion de Jeanne d'Arc », de Dreyer, où tout se joue sur les visages et l'intériorité, les grandes machineries et les introspections. Moi, naturellement, je suis de l'avis de la Bible qui dit : « Faire ceci et ne pas omettre cela. » Je crois qu'il est important pour le public d'avoir ces deux visions des grandes fresques et des méditations intérieures. Si j'aime le cinéma, c'est pour sa plasticité et sa facilité d'être à la fois l'un et l'autre, de proposer des genres contraires avec le même bonheur. L. P. : Les catholiques lisent-ils vraiment la Bible ? C. P. : Depuis un demi-siècle, il y a une explosion extraordinaire des éditions de la Bible. Je ne prétendrai pas que tous ceux qui l'achètent la lisent intégralement, mais je ne prétendrai pas non plus le contraire. Pourtant, une chose est certaine : les éditeurs savent qu'en sortant une Bible ils ne feront pas un four. En ce qui me concerne, j'ai la Bible du chanoine Osty, qui est la plus fidèle à l'original en hébreu et en grec, et la Bible de Jérusalem, qui est la plus répandue et associe la forme littéraire à l'exactitude exégétique. Il y a deux raisons qui poussent de plus en plus de gens à lire la Bible : la première, c'est que l'Eglise, depuis Vatican II, a élargi les lectures bibliques dans la célébration de l'eucharistie. Jusqu'à Vatican II, il y avait deux lectures à la messe du dimanche, maintenant, il y en a trois. Et, au lieu que ce soient les mêmes tous les ans, on a inventé un cycle de trois années qui permet de découvrir de nouveaux textes et donne envie d'en savoir davantage. Deuxièmement, il y a la multiplication des commentaires et des cercles bibliques. Dans l'église de mon enfance angevine, tout le village allait à la messe et on comptait sur les doigts d'une main ceux « qui ne faisaient pas leurs Pâques ». Un demi-siècle plus tard, on est passé de 95 % de pratique à 25 % dans ce village, ce qui est énorme par rapport à une moyenne de 10 % ailleurs. Ça représente quand même quelques millions de personnes et ces 10 %-là sont très souvent des lecteurs de la Bible. Mais il y a une autre nouveauté : l'Eglise a perdu le contrôle de la culture biblique, comme de tant d'autres choses, d'ailleurs. Pendant des siècles, la lecture de la Bible était celle du magistère de l'Eglise. Aujourd'hui, la Bible est une source littéraire sur laquelle l'Eglise n'a plus l'exclusivité. L'entrée de la Bible dans la Pléiade en est la démonstration. Cela répond à votre propos tout en le nuançant : s'il y a moins de personnes qui vont à la messe régulièrement et entendent la lecture de la Bible, il y a un nombre croissant de personnes qui lisent la Bible par goût.
  • 84. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 84 Une enquête du Conseil de la culture sur le thème du « défi de la non-croyance et de l'indifférence » révèle que des gens s'affirment croyants sans être pratiquants, ce qui n'est pas une nouveauté, mais aussi qu'il existe des pratiquants qui ne sont pas forcément croyants au sens où on l'entendait quand j'étais un jeune homme. Au temps de ma formation, si on était catholique, on croyait que Dieu était père, fils et esprit, qu'il avait fondé une Eglise, qu'il y avait un magistère, un pape, et ainsi de suite. Aujourd'hui, c'est moins évident, y compris pour des gens qui sont dans l'Eglise. La perte de contrôle de l'Eglise porte sur la lecture des Ecritures comme sur le contenu de la foi. On est dans un monde où on fait les choses à la carte. L. P. : Comment l'Eglise porte-t-elle la Bible aux croyants ? C. P. : De deux manières. La première, globale, est le partage, très étendu depuis le concile, de la Bible à travers la célébration de la messe. Et le fait que l'homélie, le sermon de mon enfance, soit un commentaire des textes de la parole de Dieu et non plus un discours moralisant ou mystique déconnecté. Deuxièmement, en plaçant les Saintes Ecritures au coeur des études des futurs prêtres. Quand j'ai fait mes études, il y avait le professeur de dogme, de morale, d'histoire, de droit canonique et celui d'écriture sainte qui avaient la même importance que les autres. Moi, j'ai eu la chance que mon directeur spirituel soit également professeur d'écriture sainte, ce qui a placé la Bible au centre de mes études. Ce n'était pas forcément le cas pour mes confrères. Aujourd'hui, la formation des prêtres est conçue autour de la Bible, et cela influe sur leur ministère. Et puis il y a cette multiplication des cercles bibliques. Je ne suis pas pessimiste sur la diffusion de la Bible. L. P. : Est-il encore possible de lire la Bible au premier degré ? C. P. : Vous n'avez pas prononcé le mot fondamentaliste et je vous en suis reconnaissant ! La lecture au premier degré a été réactivée par les groupes charismatiques nés dans un contexte plutôt américain et protestant et qui ont déferlé en Europe. Ou encore au Brésil, sous l'influence du père Loew, cet ancien avocat athée converti, devenu dominicain puis prêtre ouvrier, et qui a fondé l'institut séculier Saint-Pierre-et-Saint-Paul, qui a beaucoup essaimé au Brésil dans les communautés de base des quartiers pauvres. Les chrétiens et les chrétiennes du quartier lisaient la Bible sans aucune formation biblique. Le père Loew m'a fait partager son émerveillement devant les trouvailles qui jaillissaient sous l'inspiration de l'Esprit-Saint de cette lecture naïve de la Bible sans aucun commentaire scientifique. Je suis de ceux qui pensent que la lecture populaire des Saintes Ecritures nous rappelle que la parole de Dieu n'est pas une leçon savante à l'attention des experts, mais le message d'un père à ses enfants. La lecture, même naïve et simpliste, de la Bible n'est pas du fondamentalisme et elle est vivement encouragée et largement pratiquée dans l'Eglise actuelle. L. P. : Quelles sont aujourd'hui les clés pour une lecture juste de la Bible ? C. P. : C'est, pour les croyants, de considérer que la Bible est la parole de Dieu transmise par une écriture humaine et que cette écriture respecte les genres littéraires. Le Cantique des cantiques est un chant d'amour ; le Livre des Macchabées, un récit événementiel, les Actes des apôtres, une chronique. Donc, il convient de respecter le genre littéraire dans lequel il a été écrit. En même temps, pour le croyant, il faut y voir le message, la Révélation, qui court du commencement de la Genèse à la fin de l'Apocalypse. Quand je
  • 85. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 85 me suis occupé du cas de Galilée, j'ai compris que la Bible ne nous enseigne pas comment va le ciel, mais comment on va au ciel. On n'y cherche pas des descriptions scientifiques ni des vérités historiques, mais la révélation d'un Dieu créateur, sauveur et sanctificateur, racontée avec les moyens des auteurs du temps. L. P. : Pour lire la Bible, vaut-il mieux se laisser guider par la foi ou par la raison ? C. P. : Je suis de ceux qui disent : l'un et l'autre. Je pense que la foi et la raison ne donnent pas des vues antagonistes, mais complémentaires, et, comme le dit le pape Jean-Paul II dans une encyclique : « La foi et la raison sont les deux ailes qui nous portent vers la vérité. » L. P. : Une lecture athée de la Bible est-elle possible ? C. P. : En tant que responsable du dialogue avec les non-croyants, je respecte la lecture athée de la Bible et je m'en réjouis, puisque la Bible est ouverte à tout le monde. Les athées ont le droit de puiser à cette source. Je suis sûr qu'ils y trouvent beaucoup d'inspiration. L. P. : Dans l'œcuménisme et le rapport interreligieux, la Bible est-elle un texte qui divise ou qui rassemble ? C. P. : C'est un texte qui a divisé et qui maintenant rassemble. La Bible a opposé les chrétiens de façon dramatique, puisque c'est sur sa lecture que les protestants se sont séparés de l'Eglise catholique sur la question de la justification. Une des grandes entreprises de notre temps a consisté à surmonter cette déchirure en retournant à la source, et à nous mettre d'accord pour publier ensemble la TOB, la traduction œcuménique de la Bible. Comme Robert Schuman et Adenauer avaient pensé que pour faire se rencontrer la France et l'Allemagne il fallait partir de ce qui les avait divisées, le charbon et l'acier, l'intuition pour rassembler protestants et catholiques a consisté à se mettre ensemble pour faire une traduction du texte qui nous avait opposés pendant des siècles. Ça a demandé des années. Je suis frappé de voir que, dans les usages que nous faisons tous de la Bible, nous utilisons très souvent la traduction de la TOB. Et les orthodoxes y sont associés. L. P. : Et en ce qui concerne le rapport interreligieux ? C. P. : Juifs, chrétiens et musulmans représentent la triple postérité d'Abraham. Naturellement, les lectures sont différentes car, pour nous, l'Ancien Testament est ancien puisqu'il y a le Nouveau, alors que, pour les juifs, il est à lui tout seul la Bible. Mais je dois dire mon émerveillement lorsque mon ami Chouraqui, qui est juif, a traduit en hébreu la Bible et le Coran. Ça, c'est fantastique, car, si on veut communiquer, il faut mettre en commun nos sources, qui sont singulières. L'Histoire est en mouvement, car nous héritons de siècles de séparation et de divisions. L. P. : La Palestine, théâtre de la Bible, est toujours en guerre. Qu'est-ce que la Bible nous enseigne sur ce conflit ?
  • 86. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 86 C. P. : C'est une tragédie affreuse, un drame terrible, alors que, comme dit saint Paul, « le Christ est venu pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés ». Le pape Paul VI, à un moment où personne n'y pensait et où beaucoup rêvaient de « décentraliser l'Eglise », l'a au contraire « recentrée » en allant à Jérusalem, où, étrangement, aucun pape ne s'était rendu depuis que Pierre avait quitté la Terre sainte. C'était un geste très important que d'aller de Rome à Jérusalem. Le pape Jean-Paul II, dans le sillage de Paul VI, a refait ce pèlerinage et, chaque fois que j'en parle avec des amis juifs ou musulmans, je sens comme une bouffée d'air pur. L'espace de deux jours, ce pape a réussi à parler le même langage aux enfants d'Ismaël et aux fils d'Israël séparés et antagonistes. Et il a été reçu des deux côtés. Pendant ces quelques jours, les enfants d'Abraham se sont retrouvés. Depuis, nous sommes plutôt dans le noir et je pense aux paroles de Jean-Paul II : « Tous ceux qui prétendent utiliser la religion pour faire la guerre insultent l'homme et blasphèment Dieu. » Propos recueillis par Dominique Dunglas Joseph Sitruk « Croire en Dieu, c'est en douter tous les jours » Le Point : Quel est votre premier souvenir de la Bible ? Joseph Sitruk : Toute approche de la religion juive passe par le texte biblique. Il est le Livre inspiré qui constitue la source de tous nos enseignements, notre cadre de vie et la base de nos réflexions. Il est le sang qui circule dans nos veines. Je ne suis pas issu d'une famile pieuse, je n'ai pas été élevé dans un climat religieux. Je n'ai donc pas connu la Bible enfant. Je l'ai découverte plus tard, vers l'âge de 16 - 17 ans, pour assumer ma responsabilité de chef scout, à Nice, où j'habitais. Mais j'ai tout de suite été conquis. L. P. : Pour quelles raisons ? J. S. : Par l'extraordinaire expérience de la vie que ce texte recèle, sa très grande proximité avec ce que nous sommes, tous, en tant qu'hommes. Le génie du texte biblique inspiré par Dieu est dans l'énoncé de grandes vérités en des termes très simples. Pour parler de l'existence de Dieu, la Bible ne fait pas un exposé théologique, mais elle raconte comment le monde a été créé ; Dieu est là, présent, agissant. Quand le premier croyant, Abraham, apparaît, il parle avec Dieu, comme moi je vous parle. C'est un message proche, simple, animé, compréhensible par un enfant en bas âge et source de méditation pour un philosophe expérimenté. L. P. : Quelle est la part de la légende et de la réalité ? J. S. : La Loi, la Torah en hébreu, n'a pas été transmise à un homme dans l'intimité de son alcôve, mais devant tout le peuple juif sortant d'Egypte et réuni au pied du mont Sinaï. Ce texte est révélé, donc authentique. Il n'y a pas de place pour la « légende », mais pour le commentaire, la méditation, l'enseignement. L. P. : Mais comment être sûr que les versions actuelles correspondent au texte originel ? J. S. : Depuis le prophète Esdras, qui a vécu il y a vingt-quatre siècles, le texte biblique a été canonisé, rendu sacré, et sa transmission s'est faite dans une grande rigueur. Lorsque
  • 87. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 87 des manuscrits divergent, les altérations ne touchent que quelques lettres. Les cinq livres de Moïse - le Pentateuque - sont scrupuleusement inscrits sur un parchemin par un scribe hautement qualifié qui lui-même l'a recopié d'un autre scribe. Avant de circuler dans les synagogues, ces écrits sont avalisés par un conseil scientifique de rabbins. Quand les rouleaux de la Torah sont usés, nous ne les jetons pas, nous les enterrons dans des jarres pour les protéger des injures du temps, et ce depuis des millénaires. Toutes les communautés juives organisent leur culte autour de la lecture hebdomadaire de ces rouleaux. De surcroît, aujourd'hui, le texte biblique est scannérisé et vérifié sur ordinateur. Les fragments antiques du Pentateuque que l'on a trouvés dans les grottes de Qumran ou bien à Fostat, dans la banlieue du Caire, sont identiques aux textes que nous possédons aujourd'hui. L. P. : N'avez-vous quand même jamais douté de certains épisodes ? J. S. : « Croire en Dieu , c'est en douter tous les jours », disent nos sages. La foi n'est pas un acte que l'on accomplit une fois pour toutes dans sa vie en se disant : « Ça y est, je suis sur des rails. » Les événements de la vie, les questions que se pose tout un chacun peuvent écorner cette foi, la faire vaciller. Mais, ce faisant, ils lui permettent de se réaffirmer plus fort. L. P. : En quoi la Bible peut-elle éclairer notre époque ? J. S. : Elle permet à l'homme de voir plus loin que l'événement. Elle lui donne son espérance, lui enseigne des valeurs fondamentales comme l'amour du prochain, le respect d'autrui, l'attention aux plus défavorisés, l'importance de l'éducation ou la sainteté du mariage. L. P. : Existe-t-il une rivalité juive et chrétienne sur la Bible ? J. S. : Rivalité, je ne sais pas ; divergences, oui. Pour nous, toute atteinte au texte que les chrétiens appellent l'Ancien Testament est évidemment inacceptable. Il n'y a pas d'« aggiornamento » de la parole divine. Dieu a parlé une fois pour toutes. La foi du judaïsme est fondée sur le fait qu'à un moment donné la prophétie s'est arrêtée, au IVe siècle avant Jésus-Christ, et qu'elle est relayée depuis par la sagesse des hommes. Nous n'avons adhéré ni au caractère divin du Christ ni à la croyance de la Trinité et de l'Immaculée Conception, ni à tout ce qui entoure la naissance de Jésus, ou encore nous n'avons pas les mêmes conceptions de l'enfer et du paradis. Dans le judaïsme, l'enfer est une sorte de passage par lequel transmigrent les âmes après leur vie terrestre et où l'homme est jugé par Dieu. Mais il s'agit d'un monde exclusivement spirituel. Quant au paradis, ses joies ne sont aussi que spirituelles et consistent essentiellement en la contemplation de la majesté divine et de LA vérité qui, enfin, s'impose à tous. Et connaître la vérité, pour un juif, est la plus grande des joies Propos recueillis par Jérôme Cordelier Dalil Boubakeur « Le Coran est une authentification du message biblique » Le Point : Le Coran ne cite jamais expressément de versets bibliques...
  • 88. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 88 Dalil Boubakeur : Il ne dit pas nommément que, dans telle partie de la Bible, il est dit que... Mais il y fait référence. Quand Moïse, par exemple, dit à son peuple « Quiconque tue une vie humaine tue toute l'humanité, quiconque sauve une vie humaine sauve toute l'humanité », ce verset se réfère à la Bible. Le Coran évoque les Dix Commandements, la vie des prophètes, Abraham, Moïse, Pharaon, l'Exode... Il y a des références tellement fortes à la Bible dans le Coran que celui-ci devient une authentification, un « imprimatur » des messages bibliques et évangéliques. Comme si l'on attendait la confirmation coranique pour dire combien ces livres sont des textes de vérités et de prières et que les hommes ont eu tort de ne pas les suivre, et même parfois de s'en éloigner. Ces Ecritures doivent être replacées dans leur contexte sémitique de naissance. On ne peut pas comprendre le Coran si l'on n'a pas présent à l'esprit que le christianisme de l'époque n'avait pas les mêmes visions que celui d'aujourd'hui. L. P. : C'est-à-dire ? D. B. : Dans le Coran, la Crucifixion n'est qu'une vision du peuple, « un faux-semblant » (sourate IV, versets 157-158) qui a consisté en l'élévation de Jésus vers Dieu. Le peuple juif est donc lavé de tout déicide. Les Actes de Jean numéros 99 et 101 expriment la même thèse. Dans la Bible, il est dit : « Voici mon fils, obéissez-lui ! » Dans le Coran, c'est Jésus qui parle et dit : « Je suis le serviteur de Dieu. » On trouve la même donnée dans l'Evangile apocryphe de Barnabé : Dieu présente Jésus non comme son fils mais comme son serviteur au moment de la Transfiguration. L. P. : Pour la Bible, « l'homme est créé à l'image de Dieu » ; pour le Coran, « Allah est fondateur des cieux et de la terre... Rien n'est semblable à lui... » D. B. : Et surtout l'homme est créé comme « vicaire » de Dieu. Le Coran a donné à l'homme « la prime nature », ce qui le prédispose, par volonté divine, à être porteur de la foi, de la connaissance de « tous les noms de toutes choses », et à poursuivre l'œuvre créatrice de Dieu. L. P. : Si l'on retient une différence entre le Coran et la Bible, quelle est-elle ? D. B. : Le péché originel. Dieu a pardonné à Adam (sourate II, verset 37). La vie de l'homme n'a pas pour but de racheter un péché pardonné, mais de mériter à nouveau un paradis qui lui avait été donné sans conditions, de toute éternité. Il doit le reconquérir par son travail, sa peine, sa souffrance, et connaître la mort physique. Mais il n'est pas grevé du péché originel. L. P. : Ce qui entraîne une différence fondamentale dans la conception de l'homme... D. B. : Oui. L'homme dans l'islam est entièrement responsable de ses actes, il ne peut pas se réfugier derrière une espèce de prédestination. Pour l'islam, Jésus n'est pas venu sauver une humanité pécheresse. L'homme de l'islam est un homme libre, pardonné, à qui les révélations successives vont sans cesse rappeler son devoir primordial d'adoration de Dieu. L. P. : Libre mais entièrement soumis à Dieu...
  • 89. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 89 D. B. : Il est soumis à la volonté de Dieu exprimée par les prophètes. Dieu, dans le Coran, ne se reconnaît qu'une fonction : donner sa grâce et sa miséricorde. Et nous, les hommes, nous devons nous comporter comme si nous devions la mériter, par nos œuvres, notre adoration, notre soumission. La mort n'est pas un passage, mais le moment du bilan. L. P. : Quelles sont les autres grandes divergences entre les deux textes ? D. B. : Surtout, la querelle du Paraclet, l'antique pomme de discorde de la polémique islamo-chrétienne. Pour les chrétiens, ce Paraclet, c'est le Jésus de la Résurrection. Pour nous, le Paraclet, c'est l'homme attendu, le « Loué », c'est-à-dire Mahomet. Nos divergences avec les chrétiens portent essentiellement sur des points de doctrine : même si l'islam accepte Marie (sourate XIX), sa virginité, Jésus, l'Esprit saint... nous refusons la Trinité. Avec le judaïsme, l'écart est davantage de nature historique et politique. N'oublions pas que le judaïsme n'a pas accepté Mahomet comme Prophète. L. P. : Le Coran et la Bible sont des textes rivaux ? D. B. : Mohamed Abdou, un illustre maître de l'islam, a écrit que « la Bible, l'Evangile et le Coran sont trois livres concordants. [...] Je prévois le jour prochain où luira parmi les hommes la connaissance parfaite et où se dissiperont les ténèbres de l'ignorance. Alors, les deux grandes religions, le christianisme et l'islam, s'apprécieront mutuellement et se tendront la main » Propos recueillis par Jérôme Cordelier
  • 90. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 90 Annexe Plan de la Bible Selon les Chrétiens catholiques et orthodoxes : « ANCIEN TESTAMENT »  PENTATEUQUE   La GENESE : Prologue de toute la Bible, le livre de la Genèse est le premier livre du Pentateuque. Il contient le récit mythique des origines du monde et de l’humanité. Il fait ensuite l’histoire des familles des Patriarches, les grands ancêtres du peuple d’Israël, jusqu’à Jacob et Joseph. I. L’histoire des origines de l’humanité (1,1-11,26) II. L’histoire des Patriarches (11,27-50,26)  L’EXODE : Le livre commence avec l’évocation de la servitude du peuple hébreu et le récit de la vocation de Moïse. Il se poursuit avec la sortie d’Egypte du peuple d’Israël et la marche dans le désert. Il culmine dans la révélation de la Loi au mont Sinaï. I. La préparation et la sortie d’Egypte (1,1-15,21) II. La marche des Hébreux dans la désert (15,22-18,27) III. Le don de la Loi au Sinaï (19,1-40,38) : dont le Décalogue et le Livre de l’Alliance  Le LEVITIQUE : Essentiellement un recueil de lois. I. Recueil d’instruction sur le sacrifice (1-7) II. Rites de la consécration des prêtres (8-9) III. Lois de pureté légale (10-16) IV. Loi de sainteté (17-26)  Les NOMBRES : Législation dans un cadre historique. I. Au Sinaï avant le départ des Israélites (1,1-10,10) II. Voyage dans le désert (10,11-22,1) III. Israël sur la rive orientale du Jourdain (22,2-36,13)  Le DEUTERONOME : Véritable Bible dans la Bible, il propose une riche synthèse des prescriptions antérieures. I. Les deux discours d’introduction à la Loi (1-11) II. Le code de lois du Deutéronome (12-26) III. Conclusions, exhortations et bénédictions (27-34)   LIVRES HISTORIQUES   JOSUEH: Le livre s’attache à la période qui va de la mort de Moïse à celle de Josué. I. Conquête de Canaan (2-12) II. Partage de la Terre promise (13-21) III. Epilogue (22-24)  JUGESH: Nombre de personnalités occupe le devant de la scène : les « juges », héros dont les « six grands » (Othniel, Ehud, Barac, Gédéon, Jephté et Samson).  RUTH* : Histoire charmante et douce au service des valeurs familiales. Naissance du grand-père de David. L’œuvre se termine par la généalogie de David. Ruth, l’étrangère (de Moab), figure dans la généalogie du Christ en Mat 1. L’auteur vit au milieu du Vème siècle av. J.C.  I et II SAMUELH: Livres dominés par trois grandes figures que sont Samuel, Saül et David. I. Samuel (1S 1-7) II. Samuel et Saül (1S 8-15) III. Saül et David (1S 16-2S 1) IV. Règne de David (2S 2-20) V. Appendices (2S 21-24)  I et II ROISH: Livres couvrant l’histoire des rois de Juda et d’Israël de la mort de David à la prise de Jérusalem en 587 av. J.-C. I. Salomon (1R 1-11) II. Schisme et les deux royaumes (1R 12-2R 17) III. Histoire de Juda (2R 18-25)  I et II CHRONIQUES : Second exposé historique de l’histoire des rois de la mort de Saül au retour d’exil (538 av. J.-C.) centré exclusivement sur Juda. I. D’Adam à David (1Ch 1-9) II. L’histoire de David (1Ch 10-29) III. L’histoire de Salomon (2Ch 1-9) IV. Les rois de Juda jusqu’à l’Exil (2Ch 10-36)  ESDRAS et NEHEMIE : Seuls récits postexiliques I. De l’Exil à la reconstruction du Temple II. Activités d’Esdras et de Néhémie  ESTHER* (  avec suppl. grec): Conte historique qui restitue avec précision l’ambiance de la cour de Perse sous Assuérus (Xerxès I, 485-465). Le cœur du récit est le projet d’extermination totale des juifs mis au point par le premier ministre Aman.  TOBIE : Le but du livre est moral, religieux et didactique. Le cadre historique, de l’Exil en Babylonie et en Médie, est fictif. L’auteur vit au IIIème OU au IIème siècle.  JUDITH : Courte nouvelle située dans le prétendu cadre de l’Exil à Babylone. Judith la juive symbolise le peuple de Dieu : elle est la Femme par laquelle le salut arrive. L’auteur, inconnu, est de tendance pharisienne (1er siècle av. J.-C.).  DERNIERS LIVRES HISTORIQUES   I et II MACCHABEESH: Au nombre de quatre dans la Septante, la Bible chrétienne n’en conserve que deux. Ces livres tiennent leur nom du plus illustre des fils de Mattathias, Judas. I. Histoire des juifs de Palestine de 175 à 135 av. J.-C. (1M) II. Histoire des juifs de Palestine de 180 à 160 av. J.-C. (2M)  LIVRES SAPIENTAUX   JOB*S : Chef d’œuvre littéraire du courant biblique de sagesse. Auteur inconnu vers le IVème siècle av. J.-C.  PSAUMES* : Le livre des Psaumes est le grand joyau littéraire de la Bible. Son élaboration s’étend sur de longs siècles. Il est le résumé poétique de toute l’histoire religieuse d’Israël. On aborde la grave question des épreuves qui seraient infligées à l’homme pour sonder ses convictions religieuses.  PROVERBES*S : Livre le plus typique des écrits de sagesse. L’achèvement de l’œuvre date d’après l’Exil. Salomon est, dans la tradition considérée comme l’auteur.
  • 91. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 91  ECCLESIASTE (QOHELET)* S : Livre d’homme insatisfait qui commence et se termine par la fameuse phrase : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Comme dans Job, la crise de la sagesse transparaît ici.  CANTIQUE DES CANTIQUES*S : Dernières rédactions en date des VIème ou Vème siècles. Joyau de la littérature biblique, chant d’amour adressé principalement aux « filles de Jérusalem » (allégorie de l’amour entre Dieu et son peuple). Salomon est, dans la tradition considérée comme l’auteur.  SAGESSE DE SALOMONS : Rédigé à Alexandrie, vers la fin du Ier siècle av. J.-C. par un juif érudit de langue grecque. Son propos est de soutenir la foi des juifs d’Alexandrie. Salomon est, dans la tradition considérée comme l’auteur.  ECCLESIASTIQUE (SIRACIDE)S : Composé vers 180 av. J.-C. Œuvre d’un juif de Jérusalem, Ben Sira, dont le but est de montrer que la culture juive est supérieure à la culture hellénistique.  LIVRES PROPHETIQUES  ISAÏE : Isaïe est l’un des très grands prophètes bibliques. Sous son nom figurent l’écho direct de ses oracles mais aussi la vaste postérité littéraire de sa parole. L’originalité du message initial du prophète se trouve déployée tout au long du livre. Isaïe est homme de Jérusalem, issu d’une grande famille, il se manifeste surtout sous les rois Achaz et Ezéchias. Une légende tardive (Ascension d’Isaïe) le fait mourir sous Manassé, attaché à un arbre et scié. I. 1er Isaïe (1-39) : Juda est placé devant l’imminence du jugement divin (paroles authentiques du prophète). II. 2ème Isaïe (40-55) : La libération est proche (prophète anonyme). III. 3ème Isaïe (56-66) : Dénonce les péchés du peuple élu et évocation de la restauration de Jérusalem (plusieurs auteurs postérieurs à l’Exil).  JEREMIE : Le prophète est témoin, voir acteur, de la grande réforme de Josias. Long ministère qui s’écoule de 627 à 587 av. J.-C. qui se situe entre la fin de l’empire assyrien et la montée de Babylone. I. Oracles contre Juda et Jérusalem (1-25) II. Biographie du prophète (26-45) III. Oracles conte les nations (46-52)  LAMENTATIONS* : Rédaction attribuée artificiellement à Jérémie.  BARUCH : Ce livre bref est placé fictivement sous le patronage de Baruch, secrétaire de Jérémie. Dernière rédaction date du IIème siècle av. J.-C.  EZECHIEL : Prêtre de Jérusalem déporté en 597 av. J.C., prophète auprès des exilés (593-571). Largement l’auteur du livre qui porte son nom. Il est le premier prophète de YHWH reconnu en terre étrangère : là, il annonce la restauration et la transformation d’Israël. I. Annonce du châtiment avant la chute de Jérusalem (4-24) II. Oracles contre les nations étrangères (25-32) III. Annonce de la vie nouvelle pour Israël (33-48).  DANIEL* (  avec suppl. grec): Dernier livre des « grands prophètes » dans la Bible chrétienne ; en fait, c’est la première apocalypse biblique dans le sens complet et formel du terme. Daniel est un pseudonyme emprunté à la Bible (Ez 14,14 ; 28,3) par un auteur véritable, qui écrit directement et seul son œuvre. Son but est de soutenir la foi et l’espérance des juifs dans un moment sombre (persécution d’Antiochus Epiphane (-168). I. Les récits (1-6) II. Les visions (7-12)  Les « Douze Prophètes » (Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie) : Textes souvent brefs, isolés à l’origine. Leur apparition dans l’Histoire va du VIIIème au IIIème siècle av. J.-C. Plan de la Bible hébraïque Selon les Juifs : « TaNaK » (Torah + Nebiim + Ketûbim)  LOI (TORAH)   La GENESE  L’EXODE  Le LEVITIQUE  Les NOMBRES  Le DEUTERONOME PROPHETES (NEBIIM)  JOSUE  JUGES  I et II SAMUEL  I et II ROIS  ISAÏE  JEREMIE  EZECHIEL  Les « 12 PROPHETES » (Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie)  ECRITS (KETÛBIM)  PSAUMES  JOB  PROVERBES  RUTH  CANTIQUE DES CANTIQUES  ECCLESIASTE (QOHELET)  LAMENTATIONS  ESTHER  DANIEL  ESDRAS et NEHEMIE  I et II CHRONIQUES  livres de la Bible hébraïque ;  livres «deutérocanoniques» ; *livre ayant été déplacé par rapport à l’ordre de la Bible hébraïque ; LivresH «historiques». LivresS de «sagesse» [In La Bible, André Paul, p. 56 à 85 – Repères pratiques NATHAN]
  • 92. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 92 Le gotha de la Bible Adam et Eve : la Genèse Adam est l'ancêtre de l'humanité, selon la Genèse. Créé par Dieu à son image, assorti d'une compagne, Eve, arrachée à ses côtes, nanti d'un domicile exceptionnel, le Paradis, Adam aurait pu mener jusqu'à la fin des temps une existence paisible. Heureusement pour l'humanité, le serpent était là, la pomme de la connaissance bien tentante, Eve curieuse, et lui-même passablement désobéissant. Exilés sur la terre, voués au travail, aux souffrances et à la mort, ils croissent et se multiplient, au prix certes d'une tragédie familiale, le meurtre d'Abel par son frère, le jaloux Caïn. Parmi les personnalités les plus remarquables de leur descendance, citons le bon Mathusalem, recordman toutes catégories de la longévité (969 ans), et Noé qui sauva, dans son Arche, lors du Déluge, les espèces qui peuplaient la terre et fut par ses fils Sem, Cham et Japhet le père d'une humanité nouvelle. Abraham : le fondateur Né à Ur, en Chaldée, chez les Sumériens, Abraham, ancêtre reconnu des trois religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam), a la révélation d'un Dieu unique qui lui ordonne de quitter la Chaldée (sud de l'actuel Irak) « pour le pays que je te ferai voir » . Suivi de Sarah, son épouse, Abraham remonte le cours de l'Euphrate jusqu'à Harân (en actuelle Turquie) avant de gagner l'Egypte puis le pays de Canaan. Au cours d'une deuxième vision, Abraham reçoit de Dieu la promesse d'un fils issu de son sang. Pourtant, Abraham est vieux et Sarah stérile. Le patriarche, poussé par sa femme, épouse sa servante Agar, qui lui donne un fils, Ismaël. Celui-ci sera l'ancêtre des musulmans, mais ce n'est pas le fils promis. Le miracle annoncé par Dieu se produit enfin : Sarah est enceinte et Isaac naît. Cependant, Yahvé, pour éprouver la foi de sa créature, feint d'exiger le sacrifice de l'enfant. Le patriarche obéit sans un murmure, mais le bras de Dieu arrête le couteau. Et Isaac pourra assurer la descendance des juifs. Jacob, Esaü et les douze tribus d'Israël Une histoire de jumeaux qui sort de la norme. En naissant - le second -, Jacob tient fermement le talon de son frère Esaü. Il annonce ainsi la couleur : il ambitionne déjà la première place et l'héritage. Aidé par sa mère Rebecca, il achète au gourmand Esaü son droit d'aînesse pour un plat de lentilles. Puis lorsque Isaac, devenu aveugle et sentant sa fin prochaine, veut bénir Esaü, c'est le cadet qui, par une vilaine manoeuvre, reçoit la bénédiction paternelle. Il est vrai que Jacob avait été encouragé par des signes divins (son rêve d'une échelle reliant la terre et le ciel, son combat avec l'Ange). Un drame de la jalousie familiale survient ensuite : Joseph, le onzième fils et le préféré de son père, est vendu comme esclave par ses demi-frères, qui font croire à sa mort. Pour finir, la famine pousse Jacob et les siens à se réfugier en Egypte. Ils y retrouvent Joseph, devenu conseiller de Pharaon, qui pardonne à ses frères. Ils seront les ancêtres des douze tribus d'Israël. Moïse, le face-à-face avec Dieu
  • 93. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 93 Moïse, selon le récit biblique, est un miraculé. Pour le sauver des persécutions dont les Hébreux sont victimes en Egypte, sa mère confie le bébé aux eaux du Nil dans un panier rendu étanche. Recueilli par la fille de Pharaon, qui le fait élever à l'égyptienne, Moïse finit par s'enfuir et se fait berger dans le Sinaï. Dieu, sous la forme d'un buisson ardent, le charge de libérer son peuple. Avec son frère Aaron, il obtient l'acceptation - réticente - de Pharaon. Les Hébreux se mettent en marche. Mais Pharaon se reprend et les poursuit. C'est l'épisode fameux de la traversée de la mer Rouge (en langue hébraïque, la mer des Joncs), puis l'errance de quarante ans dans les déserts du Sinaï. C'est au sommet de cette montagne que Yahvé donnera à Moïse les tables de la Loi, bases de la Torah et du Deutéronome, tandis que le peuple, inconséquent, adore un temps le Veau d'or. Moïse meurt sans avoir atteint son but, la Terre promise. David, le rassembleur David est un des personnages clés de la Bible. Il a tous les atouts : il est beau, intelligent, sympathique, musicien, poète. Comment est-il arrivé à la cour de Saül, médiocre premier roi d'Israël ? Deux traditions sont en concurrence. Selon la première, il est appelé comme musicien auprès du souverain afin d'apaiser ses angoisses aux accents de sa lyre. La seconde est héroïque : c'est sa victoire contre Goliath, champion du camp philistin, qui lui ouvre les portes du palais. Devenu roi, David donne alors sa mesure. Il met fin aux querelles des douze tribus, il règle leur compte aux voisins inquiétants, il s'empare de Jérusalem, dont il fait sa capitale, il y transporte l'Arche d'Alliance. David est le symbole de l'amour de Dieu, qu'il manifestera aussi en écrivant de nombreux psaumes (74 sur les 150 connus lui sont attribués, ce qui justifie son surnom de « Psalmiste »). Une ombre, cependant : David s'éprend follement de Bethsabée, une femme mariée, éloigne le mari, Urie, un militaire qu'il envoie se faire tuer dans un poste exposé. Mais Dieu, sans doute, pardonne puisque c'est de Bethsabée que naîtra le fameux Salomon. Salomon, le « juste » Le troisième roi d'Israël, alors « débutant », fait un rêve décisif où il demande à Dieu de lui accorder l'entendement nécessaire pour, toujours, discerner le bien du mal. Yahvé, ravi, tope. Le principe acquis, survient bientôt l'application : devant le roi-juge, deux femmes se disputent le même nourrisson. « Coupons-le en deux » , propose Salomon. L'une des femmes acquiesce ; l'autre, horrifiée, renonce aussitôt à « sa part » pour sauver son bébé. Et le roi, qui sait ce qu'il voulait savoir, lui rend l'enfant. Ce « jugement de Salomon » a fait la célébrité universelle du roi d'Israël. C'est cette réputation qui décida la fameuse, et peut-être mythique, reine de Saba à quitter son lointain royaume pour venir à la cour de Salomon afin d'en juger directement. Peut- être était-elle venue aussi négocier quelque intéressant traité de commerce. La politique a de pareilles exigences. Salomon est enfin un grand bâtisseur : c'est lui qui fait reconstruire le premier Temple de Jérusalem, un monument superbe mais bien modeste en regard de celui qu'Hérode
  • 94. Les sources bibliques du christianisme PAROLES D’EVANGILES EST UN BLOG SU SITE MECHANTREAC.FR LAURENT SAILLY 94 édifiera plus tard. C'est lui aussi qui construisit encore un palais remarquable et de puissantes forteresses (Haçor, Meggido, Guézer). Hérode, le bâtisseur Hérode le Grand (73 à 4 avant notre ère) fut d'abord gouverneur de Judée. En - 40, le Sénat de Rome le consacre « roi des juifs ». Ami des Romains, bien entendu admirateur de l'empereur Auguste, Hérode, comme beaucoup de princes orientaux de son temps, était imprégné de la magnifique civilisation hellénistique, qui mêle si harmonieusement rigueur grecque et imagination locale. Hérode est un remarquable administrateur et bâtisseur qui couvre la Palestine de villes, de monuments, de forteresses. On lui doit, entre autres, Césarée, Samarie et surtout le Temple, le Palais royal et la citadelle Antonia à Jérusalem, les forteresses de Massada et de Machéronte, l'Hérodion, mi-château fort mi-mausolée pour lui-même. Mais Hérode avait aussi du sang sur les mains, car c'est lui qui ordonna à la veille de sa mort le massacre des Innocents. Marie, Joseph et l'Ange Ce sont les Evangiles de Matthieu et surtout de Luc qui nous renseignent un peu sur Marie, la Sainte Vierge des chrétiens. Elle vit à Nazareth, en Galilée. Elle est l'épouse, encore vierge, de Joseph, un charpentier qui descend de David. La jeune femme reçoit la visite de l'ange Gabriel, qui lui annonce qu'elle donnera naissance à un fils engendré par le Saint-Esprit. Ce sera le Messie, Jésus, chargé d'établir sur terre le royaume de Dieu prédit par les prophètes. Et Gabriel donne un « signe » à Marie : sa cousine Elisabeth, âgée déjà et toujours stérile, accouchera elle aussi d'un fils. Ce sera Jean le Baptiste, celui qui présentera Jésus comme l'« Agneau de Dieu » et le baptisera dans les eaux du Jourdain. Pour cause de recensement voulu par l'occupant romain, Joseph et Marie sont obligés de se rendre à Bethléem, où naît Jésus. Puis c'est la fuite en Egypte pour ravir le bébé aux sbires qu'Hérode avait lâchés sur la Judée. Ce massacre avant la mort d'Hérode (en 4 avant notre ère) permet de dire que Jésus est né entre 6 et 4 avant... J.-C. ! [François Giron, Le Point 1631-1632]