Vitol, un géant dont le modèle d’affaires se transforme
Face à la complexité croissante des marchés et des zones géographiques dans lesquelles Vitol évolue, le business model de l’entreprise est en pleine mutation. La part des énergies de transition dans ses livraisons physiques a considérablement augmenté depuis 2020 par rapport au pétrole, pour atteindre l’an dernier 33 % des 550 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtpe) délivrés par l’entreprise. Entretien avec Gérard Delsad, CEO de Vitol SA.
Comment s’articulent les marchés des énergies renouvelables avec ceux des énergies fossiles ?
Le rythme de cette transformation dépend des zones géographiques. À titre d’exemple, si nous observons actuellement une électrification progressive du transport ainsi qu’une croissance des énergies renouvelables en Europe et en Amérique du Nord, nous constatons également une augmentation de la demande en énergies fossiles en Asie et en Afrique. Par conséquent, Vitol adapte son business model à la demande des consommateurs, aux politiques des gouvernements et à la complexité des différents marchés.
Nous basons notre transition énergétique sur trois piliers : le traditionnel, le transitionnel (avec le gaz naturel, le LPG, le GNL, l’électricité et les biocarburants) et le durable (énergies renouvelables et biogaz, systèmes de capture carbone, mobilité électrique).
Outre le fait que nous devons tenir compte des spécificités géographiques, le fonctionnement même des marchés des énergies fossiles et renouvelables diffère également en termes de rythme. En effet, le transport des énergies fossiles d’un point A vers un point B peut s’étaler sur plusieurs semaines alors que celui de l’électricité impose un rythme très rapide, notamment dans l’équilibre achat-vente qui se conclut chaque demi-heure (voire toutes les 5 minutes selon les marchés). Cette vitesse de transactions est imposée par la quasi-inexistence de stockage (à l’exception de batteries ou de centrales hydrauliques), ainsi que le besoin du réseau électrique d’être en permanence à l’équilibre.
Dans les années 1960, on prévoyait un pic de production des énergies fossiles autour des années 2000. Aujourd’hui, on prévoit un pic de la demande vers les années 2030 / 35. D’où viennent ces changements et quel est l’impact sur Vitol ?
Effectivement, beaucoup de prévisions établies il y a plus de 30 ans se sont révélées incorrectes, surtout à cause des technologies qui se sont améliorées et qui permettent d’accéder à des puits de pétrole plus profonds ou plus difficilement accessibles. Aujourd’hui, nous parlons surtout d’un pic de demande, et son échéance s’est vu repoussée en raison d’une forte poussée de la demande des pays en développement, comme déjà évoqué. En tant que négociant d’énergies, Vitol s’applique en permanence à affiner ses prévisions afin de participer à l’équilibrage de l’offre et de la demande. Nous devons fournir les énergies (molécules ou électrons) au bon endroit, au bon moment, avec la bonne qualité ainsi qu’avec le prix le plus compétitif possible. De nombreux risques sont associés à cette logistique, comme les risques géopolitiques, financiers, météorologiques et physiques, ou encore ceux liés à la fluctuation des prix, au piratage des bateaux, etc. Garantir la sécurité énergétique au niveau mondial revient régulièrement aux négociants.
Comment se positionne Vitol face au risque climatique et à la transition zéro carbone ?
Certains de nos investissements ont fixé des objectifs nets zéro tels que VARO pour 2040, Viva et VTTI pour 2050. À l’échelle du groupe Vitol, nous agissons là où nous pouvons avoir un impact, par exemple dans le domaine du transport maritime où nous sommes en passe d’atteindre les objectifs fixés par l’Organi sation Maritime Internationale (OMI) pour 2030 déjà en 2024 (réduction de 40 % de l’intensité carbone). Nous nous sommes aussi lancés dans le ravitaillement (« bunkering ») de navires en GNL, moins carboné que le fioul lourd. Nous avons aussi investi dans la rénovation énergétique de notre raffinerie VPR aux Pays-Bas (qui compte parmi les plus efficaces au monde), le développement de panneaux solaires aux États-Unis ou encore l’électrification des transports publics en Amérique latine.
À combien s’élèvent vos investissements dans les énergies renouvelables et quels sont vos projets en la matière ?
En 2023, sur la totalité de nos actifs immobilisés (11,3 milliards de dollars), 17 % concernaient les énergies renouvelables et 12 % les énergies de transition. Ces derniers sont inférieurs en termes de retour sur investissement à ceux dans les énergies fossiles qui concentrent encore 71 % de nos actifs immobilisés en 2023, en baisse par rapport à 2020 où ils totalisaient 86 %. Nous voyons une complémentarité entre ces différents actifs afin d’équilibrer notre portefeuille vis-à-vis de la transition énergétique.
Sur la base de quels critères choisissez-vous les investissements dans la transition énergétique ?
Nous nous reposons la question à intervalle régulier. Il y a cinq ans, nous avions déjà fait un tour d’horizon de toutes les technologies disponibles. Nous avons étudié le cas de 100 entreprises, allant de l’hydrogène aux systèmes de capture de carbone. Nous avions constitué des groupes de travail. Trois catégories avaient émergé : les pistes à développer, les pistes à surveiller et les pistes à ne pas suivre en raison d’un marché immature ou peu prometteur pour l’instant. Une étude similaire a été actualisée il y a un an. Il s’agit d’un travail à géométrie variable et d’analyse constante qui nous permet de définir une grille pour nos investissements. Régulièrement, nous la revoyons et nous décidons d’aller ou non de l’avant avec de nouveaux projets, tels que l’éolien, le solaire, le biogaz et les véhicules électriques.
Comment établissez-vous les risques liés au climat ?
Nous suivons les recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD, le Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat, mis en place par le Conseil de stabilité financière du G20) et établissons un tableau de bord à court, moyen et long terme en distinguant nos risques physiques, de transition et les opportunités, selon les éléments matériels et les impacts financiers potentiels. De cette évaluation découle notre stratégie des trois piliers, et chaque année, nous rendons compte des progrès effectués dans notre rapport ESG.
Dans quelle mesure l’ensemble de l’industrie du négoce, tant au niveau international qu’en Suisse (notamment via les associations professionnelles comme SuisseNégoce) représente-t-elle un solide soutien dans cette exigence de transition énergétique et climatique ?
SuisseNégoce est très à l’écoute et contribue à construire une vision cohérente au sein de notre industrie. Nous nous mettons tous d’accord pour être force de proposition sur certains sujets clés auprès des autorités suisses. Par exemple, en collaboration avec la délégation suisse auprès de l’OMI, l’Office suisse de la navigation maritime (OSNM) ainsi que d’autres acteurs importants, le Comité Shipping de SuisseNégoce a récemment élaboré un exposé de position pour l’adoption de la stratégie 2023 de l’OMI.
Face à l’avalanche ainsi qu’à la complexité de données, l’intelligence artificielle vous aide-t-elle ? Comment ? À quel rythme ? Et pour quel niveau d’investissement ?
L’IA nous permet d’améliorer nos processus de digitalisation, de fournir un accès à l’information, et d’optimiser la qualité et la rapidité des prises de décisions commerciales. À ce stade, elle ne remplace pas l’expertise d’un trader. Nous pouvons donc parler de « trader augmenté ». Au sein de Vitol, nos équipes de spécialistes en la matière ne cessent de se développer et nous sommes constamment à la recherche de nouveaux talents. La gestion des données est au coeur de nos processus de décision et nous investissons des moyens considérables dans l’amélioration de nos systèmes internes.
Secretary General at SUISSENÉGOCE
1 ansBravo pour cette interview et merci à Gerard de parler du négoce des matières premières au public.
Directeur Général chez BIC-BRED (Suisse) SA |
1 ans👏 Gérard Delsad & CCIG - Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève Smart interview !