Trump et Genève : le multilatéralisme à l’épreuve du protectionnisme
Ancien conseiller au secrétariat de l’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Alan Yanovich a rejoint l’étude d’avocats Akin Gump Strauss Hauer & Feld LLP en qualité d’associé spécialiste des questions de barrières à l’investissement entre juridictions, ainsi que des processus réglementaires internationaux. Il commente pour GENÈVE ÉCONOMIE les conséquences du retour de Donald Trump sur l’économie genevoise.
COMMENT LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES BASÉES À GENÈVE ADAPTENT-ELLES LEURS STRATÉGIES DE FINANCEMENT ET DE GOUVERNANCE FACE AU RETRAIT DE L’ENGAGEMENT AMÉRICAIN ?
OBSERVEZ-VOUS DÉJÀ DES CHANGEMENTS DANS LEUR FONCTIONNEMENT ?
Les quatre prochaines années seront pleines de défis pour les organisations internationales de Genève, cela ne fait aucun doute. Il ne s’agit pas seulement du rôle des États-Unis au sein de ces organisations, mais aussi d’un environnement plus instable et tendu. La Genève internationale devra s’adapter. D’autres pays devront prendre de l’avance et endosser un rôle de leadership plus fort. Nous le constatons déjà à l’OMC, où un certain nombre
de membres dont l’Australie, le Canada, la Corée, le Japon, l’UE, la Suisse, la Chine et le Royaume-Uni - pour n’en citer que quelques-uns – ouvrent déjà la voie. Il s’agit là d’une avancée positive. Ces pays croient fermement au multilatéralisme et ont les capacités de jouer un rôle plus actif et constructif. Les organisations internationales devront trouver des moyens de faire plus avec moins. Elles devront également montrer plus clairement la contribution qu’elles apportent à la gouvernance mondiale. Aujourd’hui, nous assistons à trop de réunions et de discussions interminables qui n’aboutissent pas à grand-chose. Les organisations internationales devraient également s’engager davantage auprès de la communauté des affaires et trouver des moyens de travailler ensemble sur des approches pratiques des défis mondiaux, plutôt que de s’engager dans ce qui ressemble parfois trop à des discussions idéologiques.
QUEL RÔLE LA SUISSE, ET GENÈVE EN PARTICULIER, PEUVENT-ELLES JOUER POUR MAINTENIR LE DIALOGUE ENTRE LES DIFFÉRENTS ACTEURS INTERNATIONAUX DANS CE CONTEXTE POLITIQUE PLUS TENDU ?
La Suisse et Genève sont plus que jamais indispensables pour contribuer à désamorcer et à réduire les tensions. Nous disposons de l’infrastructure et de l’expertise nécessaires. Il n’y a pas d’autre endroit au monde qui offre ce que Genève a à offrir dans ce domaine. Mais il y a toujours de la place pour l’amélioration. Les discussions à Genève doivent être plus centrées et plus concrètes. Les organisations internationales doivent être plus ouvertes à l’innovation.
COMMENT LES POLITIQUES PROTECTIONNISTES DE DONALD TRUMP VONT-ELLES AFFECTER LES EXPORTATIONS DES ENTREPRISES GENEVOISES, NOTAMMENT DANS L’HORLOGERIE, LES TECHNOLOGIES DE PRÉCISION ET LE TRADING INTERNATIONAL ?
Pour les entreprises genevoises, il y a des défis, mais aussi des opportunités. Ma principale préoccupation actuellement concerne l’incertitude créée par les politiques. Il est plus difficile pour les entreprises de se projeter. De nombreuses prévisions sur lesquelles les investissements ont été réalisés sont mises à rude épreuve. Nous travaillons d’ores et déjà activement pour permettre à nos clients de suivre et de comprendre les décrets que l’administration Trump publie quotidiennement. À cette fin, nous avons créé un outil de suivi accessible à tous*. Cet outil est régulièrement mis à jour et consultable. Nous disposons également d’une grande équipe disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour répondre aux questions et conseiller nos clients. Les exportateurs sont susceptibles d’être confrontés à un environnement de droits de douane plus élevés. Toutefois, les exportateurs genevois peuvent être mieux placés pour y faire face car ls vendent des produits de plus grande valeur pour lesquels les consommateurs peuvent être moins sensibles aux prix.
Si le programme de croissance du président Trump est couronné de succès, nous pourrions assister à une augmentation de la demande pour les produits de luxe suisses. Ses politiques dans le secteur de l’énergie devraient également créer de nombreuses opportunités pour les entreprises de trading international présentes à Genève. Il y aura des opportunités d’investissement aux États-Unis dans de nombreux autres secteurs et les entreprises basées à Genève devraient en profiter. Ainsi, certains des secteurs économiques clés de Genève pourraient bénéficier de cette situation. Cela dit, il existe des risques que les droits de douane finissent par alimenter l’inflation et conduisent à un ralentissement économique, ce qui aurait probablement des répercussions négatives pour le monde entier, y compris Genève.
COMMENT LES DÉCRETS SUR LA FISCALITÉ ET LA DÉRÉGLEMENTATION FINANCIÈRE SIGNÉS PAR TRUMP INFLUENCENT-ILS LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES GENEVOISES DANS DES DOMAINES COMME LE COMMERCE INTERNATIONAL OU LA GESTION DE PATRIMOINE ?
Le président Trump entend réduire les impôts et alléger la réglementation pour aider les entreprises américaines à être encore plus compétitives. Cela exercera une pression sur d’autres juridictions pour qu’elles mettent également en œuvre des politiques favorables aux entreprises. Les autorités genevoises doivent garder cela à l’esprit. Elles doivent faire un effort délibéré pour s’assurer que Genève continue d’être une destination attrayante pour les entreprises internationales. Si nous apprécions tous sa beauté naturelle, ce qui compte in fine, c’est l’environnement politique. Les autorités genevoises devraient faire preuve d’une plus grande détermination pour attirer les entreprises internationales. J’aimerais également que l’on soutienne davantage les start-up et les entreprises technologiques, et que l’on développe des pôles technologiques basés à Genève.
L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), qui est basée à Genève, publie chaque année un classement des centres d’innovation. La Suisse occupe la première place, ce dont nous devrions tous être fiers. Cependant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que les clusters suisses qui figurent parmi les 100 premiers clusters scientifiques et technologiques de l’OMPI sont basés à Zurich et à Bâle. J’aimerais que Genève y figure un jour. J’encourage les autorités locales genevoises à envisager d’en faire l’un de leurs principaux objectifs.
DANS QUELLE MESURE LES TENSIONS GÉOPOLITIQUES ET LES CHANGEMENTS RÉGLEMENTAIRES AMÉRICAINS POUR-RAIENT-ILS PERTURBER LES ÉCOSYSTÈMES FINANCIERS ET TECHNOLOGIQUES GENEVOIS, EN PARTICULIER POUR LES MULTINATIONALES ET LES START-UP INTERNATIONALES BASÉES DANS LA RÉGION ?
Les entreprises genevoises seront confrontées aux défis d’une plus grande incertitude et d’une plus grande perturbation dues aux tensions géopolitiques. Toutefois, je pense qu’elles sont mieux placées que d’autres pour relever ces défis. La Suisse est une économie ouverte dotée d’un cadre réglementaire stable. Cette ouverture et cette stabilité seront un atout encore plus important dans le contexte actuel. Les entreprises genevoises devraient continuer à diversifier leurs marchés et leurs clients afin de réduire leur exposition à des perturbations sur des marchés particuliers. En même temps, elles doivent garder à l’esprit qu’il y aura des opportunités parmi les perturbations. Par exemple, il est probable que les États-Unis s’ouvrent davantage aux nouvelles technologies financières. C’est une grande opportunité pour les start-up genevoises du secteur. Malgré l’instabilité, de nombreuses personnes dans le monde considéreront la Suisse, et Genève en particulier, comme un bastion de stabilité et pourraient être disposées à y transférer leurs actifs ou leurs opérations. Les choses peuvent sembler plus sombres actuellement, mais je pense qu’il est important pour les entreprises genevoises et les autorités locales genevoises d’être prêtes à tirer parti des opportunités qui se profilent à l’horizon. ■